« Si seulement nous pouvions être des gens meilleurs ou plus sages,
Peut-être que les dieux nous expliqueraient
Les choses absurdes et insupportables qu’ils font. »
Dès que l’amiral Bobby Lands apprit que les connections ansibles avec le Congrès Stellaire avaient été rétablies, il ordonna à toute la Flotte lusitanienne de ralentir sa vitesse pour descendre juste en dessous de la limite d’invisibilité. L’ordre fut appliqué immédiatement, et il savait que d’ici une heure, pour n’importe quel observateur muni d’un télescope sur Lusitania, la flotte semblerait surgir de nulle part. Ils se dirigeraient alors à une vitesse vertigineuse vers un point bien précis de Lusitania, leur puissant bouclier de défense toujours en position pour les protéger contre les dégâts dévastateurs d’une éventuelle collision avec des particules sidérales. La stratégie de l’amiral Lands était simple. Ils s’approcheraient de Lusitania le plus rapidement possible sans effet de relativité. Il lancerait le Petit Docteur en fin d’approche, une brèche de quelques heures tout au plus. Puis il ramènerait sa flotte à vitesse relativiste, si bien que lorsque le Dispositif DM exploserait, aucun de ses vaisseaux ne se trouverait dans son rayon de destruction.
C’était une stratégie simple et efficace, basée sur la présomption que Lusitania ne possédait aucune défense. Mais pour Lands, il ne fallait pas se reposer uniquement sur cette hypothèse. D’une manière ou d’une autre, les rebelles de Lusitania avaient acquis assez de moyens pour se trouver en mesure, à l’approche du terme du voyage, de couper toutes les communications entre la flotte et le reste de l’humanité. Peu importait que ce problème ait été créé par un programme de sabotage informatique ingénieux et très envahissant ; peu importait que ses supérieurs lui aient assuré que ce fameux programme avait prudemment été éradiqué juste avant que la flotte n’arrive à destination. Lands n’avait nulle envie de se laisser berner par une apparente vulnérabilité. L’ennemi avait déjà montré que ses effectifs étaient inconnus, et Lands devait être prêt à tout. C’était la guerre, une guerre totale, et il n’allait pas risquer de faire échouer sa mission par négligence ou excès de confiance. Dès qu’il avait reçu son affectation, il avait été pleinement conscient que l’on se souviendrait de lui dans les annales de l’histoire humaine comme du Deuxième Xénocide. Il n’était pas facile de contempler l’extermination d’une espèce extraterrestre, surtout lorsque l’on considérait que les piggies de Lusitania, d’après leurs recherches, ne représentaient aucune menace envers l’humanité. Et même lorsque les extraterrestres constituaient bien une menace, comme les doryphores à l’époque du Premier Xénocide, il y avait eu un type au grand cœur se faisant appeler le Porte-Parole des Morts pour en brosser un portrait idyllique où il dépeignait ces monstres comme une communauté utopique ne voulant aucun mal à l’humanité. Comment l’auteur d’une telle œuvre pouvait-il savoir ce que les doryphores avaient réellement en tête ? C’était en fait une monstruosité que d’écrire cela, car cela traînait dans la boue le nom de l’enfant héros qui avait si brillamment vaincu les doryphores et sauvé l’humanité.
Lands avait accepté sans l’ombre d’une hésitation le commandement de la Flotte lusitanienne, mais depuis le début du voyage il avait passé une bonne partie de ses journées à étudier le peu d’informations disponibles concernant Ender le Xénocide. L’enfant, bien évidemment, n’avait pas été conscient de commander la véritable flotte humaine à travers les ansibles ; il croyait faire partie d’un programme de simulation rigoureux. Il avait néanmoins pris les bonnes décisions à un moment critique – en choisissant d’utiliser l’arme à laquelle il lui était interdit de recourir contre des planètes, et en faisant ainsi exploser la dernière planète des doryphores. Cela avait été la fin de la menace qui pesait sur les hommes. C’était l’action nécessaire, ce que l’art de la guerre commandait de faire, et à cette époque l’enfant avait été, à juste titre, acclamé comme un héros.
Et pourtant, en quelques décennies, l’opinion avait été retournée par un livre pernicieux s’intitulant La Reine, et Ender Wiggin, déjà pratiquement en exil dans quelque nouvelle colonie sur une autre planète, avait disparu de l’histoire alors que son nom était devenu le synonyme de l’extermination d’une race d’êtres si doux, si bons et tellement incompris.
S’ils ont pu se retourner contre l’enfant apparemment innocent qu’était Ender Wiggin, que feront-ils de moi ? se répétait Lands en boucle. Les doryphores étaient des êtres brutaux, des tueurs sans âme, possédant des flottes à la puissance de feu dévastatrice, alors que je suis sur le point de tuer les piggies, qui se sont certes livrés à quelques tueries, mais à une échelle insignifiante… quelques chercheurs qui avaient sans doute bravé quelque tabou local. Les piggies n’avaient certainement pas, ni maintenant, ni dans un futur proche, les moyens de s’envoler de leur planète pour aller défier la supériorité de l’homme dans l’espace.
Et pourtant Lusitania était aussi dangereuse que les doryphores – peut-être plus. Car un virus sévissait sur cette planète, un virus mortel pour tous les humains qui entraient en contact avec lui, forçant les victimes à prendre des antidotes à doses régressives pendant le restant de leurs jours. De plus, le virus avait la réputation d’évoluer très rapidement.
Tant que le virus ne quittait pas Lusitania, le danger demeurait faible. Mais deux scientifiques arrogants de Lusitania – les dossiers indiquaient qu’ils s’appelaient Marcos « Miro » Vladimir Ribeira von Hesse et Ouanda Figueira Mucumbi – avaient violé les termes de la convention des colonies humaines en fournissant des technologies illégales et des formes biologiques aux piggies. Le Congrès Stellaire avait réagi comme il le devait, en renvoyant les contrevenants devant le tribunal d’une autre planète, où, bien sûr, ils avaient dû être mis en quarantaine – mais la leçon devait être prompte et sévère afin de dissuader toute personne sur Lusitania d’enfreindre les lois qui protégeaient les humains du virus de la descolada. Qui aurait pu croire qu’une si petite colonie humaine oserait défier le Congrès en refusant d’arrêter ces criminels ? À partir de là, il n’y avait pas d’autre solution que d’envoyer une flotte détruire Lusitania. Car tant que la révolte y grondait, le risque que des vaisseaux quittent la planète en emportant à leur bord un fléau destructeur menaçant le reste de l’humanité était trop grand.
L’affaire était simple. Pourtant, Lands le savait, dès que le danger serait écarté, dès que la menace du virus n’inquiéterait plus personne, les gens oublieraient quelle avait été l’ampleur du danger et commenceraient à s’apitoyer sur le sort des piggies, ces malheureuses victimes exterminées par l’impitoyable amiral Bobby Lands, le Deuxième Xénocide.
Lands n’était pas insensible. Qu’il puisse être plus tard un objet d’exécration l’empêchait de dormir la nuit. De plus, il n’appréciait pas la tâche qui lui avait été confiée – ce n’était pas un homme violent, et l’idée de détruire non seulement les piggies mais aussi toute la population humaine de Lusitania le rendait malade. Personne à son bord ne pouvait ignorer la répugnance qu’il avait à accomplir sa mission, mais personne ne devait non plus douter de sa farouche détermination à s’en acquitter.
Si seulement il y avait un autre moyen, ne cessait-il de se répéter. Si seulement, lors de notre retour en temps réel, le Congrès pouvait nous avertir qu’un antidote ou un vaccin efficace a été trouvé pour lutter contre la descolada. N’importe quoi qui puisse nous assurer que tout danger est écarté. N’importe quoi qui nous permette de garder le Petit Docteur, désactivé, dans le vaisseau amiral.
Mais de tels désirs ne méritaient même pas d’être qualifiés d’espoirs. Il n’y avait aucune chance que cela se produise. Même si un remède avait été trouvé sur Lusitania, comment faire parvenir l’information ? Non, Lands devait accomplir sciemment ce qu’Ender Wiggin avait accompli en toute innocence. Et c’était ce qu’il ferait. Il en supporterait les conséquences. Il ferait face à ceux qui le conspueraient. Car il saurait avoir agi pour le bien de l’humanité. En comparaison de quoi, il importait peu qu’un individu soit honoré ou détesté à tort.
Dès que le réseau ansible fut de nouveau opérationnel, Yasujiro Tsutsumi envoya ses messages, puis se dirigea vers le neuvième étage de son immeuble, où se trouvait l’appareillage, et se mit à attendre fébrilement. Si la famille jugeait que son idée valait la peine d’être prise en considération, ils demanderaient une conférence en direct, et dans ce cas, il ne voulait pas les faire attendre. Et si jamais ils répondaient par une réprimande, il voulait être le premier à la lire. Ainsi ses subalternes et ses collègues de Vent Divin recevraient la nouvelle de sa propre bouche et non par des bruits de couloirs.
Aimaina Hikari était-il conscient de ce qu’il avait demandé à Yasujiro ? Il était au sommet de sa carrière. S’il se débrouillait bien, il voyagerait d’une planète à une autre, deviendrait l’un de ces dirigeants membres de l’élite, affranchis des limites du temps, voyageant dans le futur par un effet de dilatation temporelle du voyage stellaire. Mais si jamais l’on jugeait qu’il n’était digne que d’être un second couteau, il stagnerait, voire régresserait dans la hiérarchie de l’organisation ici, sur Vent Divin. Il ne partirait jamais et devrait constamment faire face aux regards compatissants de ceux qui le sauraient dépourvu de l’envergure nécessaire pour se hisser au-dessus d’une vie insignifiante, jusqu’à l’éternité gratifiante de la direction supérieure.
Aimaina devait vraisemblablement savoir tout cela. Mais même s’il ignorait à quel point la position de Yasujiro était fragile, en avoir connaissance ne l’aurait pas arrêté. Quelques carrières pouvaient être sacrifiées quand il s’agissait de sauver une race entière de l’extermination. Était-ce la faute d’Aimaina si ce n’était pas sa propre carrière qui était en jeu ? C’était un honneur qu’il ait choisi Yasujiro, qu’il l’ait jugé suffisamment digne de reconnaître le péril moral que courait le peuple Yamato et suffisamment courageux pour agir en conséquence, quel que soit le prix personnel à payer.
Un immense honneur – Yasujiro espérait que cela suffirait à le combler si tout devait échouer. Car il quitterait la compagnie Tsutsumi s’il devait être réprimandé. S’ils ne faisaient rien pour contrer la menace, il ne pourrait pas rester. Ni se taire. Il parlerait et condamnerait Tsutsumi comme les autres. Il ne les menacerait pas d’une telle action, car la famille avait toujours, à juste titre, méprisé les menaces. Il se contenterait de parler. Alors, pour le punir de les avoir trahis, ils feraient tout ce qui serait en leur pouvoir pour le détruire. Aucune compagnie ne voudrait le reprendre. Il ne pourrait avoir accès à aucun poste public. Il ne plaisantait pas lorsqu’il avait dit à Aimaina qu’il viendrait vivre avec lui. Une fois que les Tsutsumi avaient décidé de punir, le scélérat n’avait plus qu’à solliciter l’aide de ses amis – si toutefois il en restait qui ne craignaient pas l’ire des Tsutsumi.
Tous ces scénarios catastrophes se déroulaient dans l’esprit de Yasujiro tandis qu’il attendait au fil des heures. Ils ne pouvaient quand même pas avoir ignoré son message. Ils devaient en parler et en débattre en ce moment même.
Il finit par somnoler. Ce fut l’opératrice des ansibles qui le réveilla – une femme qui n’était pas en service lorsqu’il s’était endormi. « Seriez-vous par hasard l’honorable Yasujiro Tsutsumi ? »
La conférence avait déjà démarré ; malgré toute sa bonne volonté, il fut le dernier à arriver. Le prix d’une telle conférence en direct sur les ansibles était phénoménal, sans parler des problèmes que cela posait. Dans le nouveau système informatique mis en place, chaque participant devait être présent devant l’ansible, car aucune conférence n’était possible s’il fallait attendre à chaque fois le délai de protection entre chaque question et sa réponse.
Lorsque Yasujiro vit les noms s’inscrire au-dessous de chaque visage sur les écrans, il fut à la fois excité et terrorisé. Ce problème n’avait pas été délégué aux officiels de second ou troisième ordre de la maison mère à Honshu. Yoshiaki-Seiji Tsutsumi lui-même était présent, l’ancien qui avait dirigé Tsutsumi durant toute la vie de Yasujiro. C’était de bon augure. Yoshiaki-Seiji Tsutsumi – aussi appelé « Oui Chef », derrière son dos, naturellement – n’aurait pas perdu son temps dans une conférence par ansible pour aller rabaisser le caquet à un subalterne arriviste.
Oui Chef ne parla pas, bien sûr. C’était la tâche du vieil Eiichi, connu pour être la conscience de Tsutsumi – ce qui signifiait selon certains, et de manière cynique, qu’il devait certainement être sourd et muet.
« Notre jeune frère a fait preuve d’audace, mais il a eu la sagesse de nous transmettre les sentiments et les réflexions de notre vénéré maître, Aimaina Hikari. Bien qu’aucun d’entre nous, ici sur Honshu, n’ait eu le privilège de rencontrer le Gardien de Yamato en personne, nous avons tous appris ses pensées. Nous n’étions pas prêts à croire que les Japonais puissent être, en tant que peuple, responsables de la Flotte lusitanienne. De même que nous n’étions pas prêts à penser que Tsutsumi puisse avoir la moindre responsabilité dans une situation politique sans rapport direct avec la finance ou l’économie en général.
Les mots de notre jeune frère étaient sincères et choquants, et s’ils n’étaient pas sortis de la bouche de quelqu’un qui s’est toujours montré humble et respectueux au cours de toutes ses années passées avec nous, prudent et néanmoins suffisamment audacieux pour prendre des risques lorsque la situation l’exigeait, nous n’aurions sans doute pas fait cas de son message. Mais nous en avons fait cas ; nous l’avons étudié et avons appris d’après nos sources gouvernementales que l’influence japonaise sur le Congrès Stellaire était et continue d’être essentielle, sur ce problème en particulier. Il est de notre avis à tous qu’il est trop tard pour former une nouvelle coalition d’autres compagnies ou pour renverser l’opinion publique. La flotte risque d’arriver à n’importe quel moment. Notre flotte, si Aimaina ne s’est pas trompé ; et même s’il n’en était pas ainsi, est une flotte humaine, et nous sommes nous-mêmes des êtres humains ; nous avons donc peut-être les moyens de l’arrêter. Une quarantaine sera largement suffisante pour protéger les espèces humaines du virus de la descolada. Nous souhaitons donc t’informer, Yasujiro Tsutsumi, que tu t’es montré digne de porter le nom qui t’a été donné à ta naissance. Nous allons réunir tous les moyens existants au sein de la famille Tsutsumi pour convaincre un nombre suffisamment important de membres du Congrès de s’opposer à la flotte – et de s’y opposer avec une vigueur qui oblige à un vote immédiat pour la rappeler et lui interdire une frappe sur Lusitania. Nous pouvons réussir dans cette tâche, comme nous pouvons échouer, mais quelle qu’en soit l’issue, notre jeune frère Yasujiro Tsutsumi nous a rendu un immense service. Non seulement à travers ce qu’il a accompli au sein de notre compagnie, mais aussi parce qu’il a su prêter l’oreille à un membre étranger à celle-ci, placer la morale au-dessus des considérations financières et prendre tous les risques pour que Tsutsumi fasse ce qui est juste. En conséquence de quoi, nous le nommons à Honshu, où il servira Tsutsumi en tant que mon assistant personnel. » Cela dit, Eiichi salua. « C’est un honneur pour moi qu’un jeune homme si exceptionnel soit formé pour être mon successeur lorsque je mourrai ou prendrai ma retraite. »
Yasujiro salua solennellement. Il était soulagé, ô combien, d’être ainsi appelé à servir à Honshu – personne ne s’était jamais trouvé dans cette situation aussi jeune. Mais l’idée de devenir l’assistant et le poulain d’Eiichi n’était pas vraiment ce dont Yasujiro avait rêvé comme but dans la vie. Ce n’était pas pour devenir un philosophe-médiateur qu’il avait travaillé si durement et servi avec une telle dévotion. Il aurait voulu faire partie des instances dirigeantes des entreprises familiales.
Cela dit, il lui faudrait des années de voyage stellaire avant d’arriver à Honshu. Eiichi serait peut-être mort d’ici là. Oui Chef serait sûrement mort lui aussi. Au lieu de remplacer Eiichi, on pourrait tout aussi bien lui confier une autre fonction plus adaptée à ses compétences réelles. Yasujiro ne refuserait donc pas cet étrange cadeau. Il suivrait son destin là où celui-ci le guidait.
« Oh, Eiichi, mon père, je me prosterne devant toi et tous les autres pères de notre compagnie, en particulier Yoshiaki-Seiji-san. Vous m’honorez plus que je ne le mérite. Je prie le ciel de ne pas vous décevoir. Et je le remercie qu’en ces temps difficiles l’esprit Yamato soit en d’aussi bonnes mains. »
Dès qu’il eut publiquement accepté ses fonctions, la réunion se termina – c’était tout de même très onéreux, et la famille Tsutsumi évitait systématiquement les dépenses inutiles. La conférence par ansibles prit fin.
Yasujiro s’enfonça dans son fauteuil et ferma les yeux. Il tremblait.
« Yasujiro-san, dit l’opérateur de l’ansible. Yasujiro-san. »
Yasujiro-san, se répéta-t-il mentalement. Qui aurait pu s’imaginer que la visite d’Aimaina se terminerait de cette manière ? Les choses auraient très bien pu se passer autrement. Il allait désormais devenir un des hommes d’Honshu. Quelle que soit sa fonction là-bas, il ferait partie des dirigeants suprêmes de Tsutsumi. Ça ne pouvait pas mieux se terminer. Qui aurait pu le croire ?
Avant qu’il ne quitte son fauteuil à côté de l’ansible, des représentants de Tsutsumi parlaient déjà avec des membres japonais du Congrès ainsi qu’à d’autres membres non japonais mais qui suivaient néanmoins la voie des Nécessariens. Ainsi, alors que le nombre de politiciens partisans augmentait, il devenait évident que le soutien dont bénéficiait la flotte était de plus en plus fragile. Finalement, il ne leur en coûterait pas trop cher d’arrêter celle-ci.
Le pequenino de faction, occupé à surveiller les satellites en orbite autour de Lusitania, entendit l’alarme se déclencher et se demanda tout d’abord ce qui pouvait bien se passer. L’alarme ne s’était jamais déclenchée auparavant, du moins à sa connaissance. Il pensa d’abord à une configuration climatique dangereuse qui venait d’être détectée. Mais ce n’était rien de tel. C’étaient les télescopes qui avaient déclenché l’alarme. Des douzaines de vaisseaux de combat venaient d’apparaître, avançant à grande vitesse, mais non relativiste, selon une trajectoire qui leur permettrait de lâcher le Petit Docteur dans l’heure suivante.
L’officier de garde fit part de l’urgence à ses collègues, le maire de Milagre fut rapidement averti, puis la rumeur se propagea dans ce qu’il restait du village. Tous ceux qui n’avaient pas quitté les lieux dans l’heure seraient détruits, tel était le contenu du message, et en l’espace de quelques minutes des centaines de familles humaines s’étaient réunies autour des vaisseaux, attendant anxieusement d’être embarquées. De manière assez remarquable, seules les familles humaines insistèrent pour quitter précipitamment les lieux. Face à la mort inévitable de leur propre forêt d’arbres-pères, d’arbres-mères et d’arbres-frères, les pequeninos n’éprouvaient pas le besoin de sauver leur vie. Que seraient-ils sans leur forêt ? Mieux valait mourir sur place parmi les leurs que de vivre en éternels étrangers dans des forêts qui n’étaient pas et ne seraient jamais les leurs.
Quant à la Reine, elle avait déjà envoyé la dernière de ses filles et ne voyait aucun intérêt à partir elle-même. Elle était la dernière des reines en vie avant la destruction de leur planète d’origine par Ender. Elle trouvait logique de subir le même sort trois mille ans plus tard. De plus, pensait-elle, comment pourrait-elle vivre quand son grand ami Humain, enraciné dans le sol de Lusitania, était incapable de partir ? Ce n’était pas une pensée digne d’une reine, mais par ailleurs, aucune reine avant elle n’avait eu d’amis. C’était une chose nouvelle dans son monde que d’avoir un interlocuteur qui ne soit pas intrinsèquement soi-même. Elle aurait eu trop de peine de continuer à vivre sans Humain. Et puisque sa survie n’était pas essentielle à celle de son espèce, elle ferait ce qu’il y avait de plus noble, de plus courageux, de plus tragique et de plus romantique à faire – et aussi de moins compliqué : elle resterait. Elle ne détestait pas l’idée de faire preuve d’une certaine dignité selon les critères humains ; cela démontrait, à sa grande surprise, qu’elle n’était pas restée inchangée au contact des humains et des pequeninos. Ils l’avaient transformée au-delà de ce qu’elle aurait pu croire. Il n’y avait jamais eu de reine comme elle dans toute l’histoire de son peuple.
« J’aimerais que tu partes, lui dit Humain. Je préfère te savoir vivante. »
Mais pour une fois, elle ne lui répondit pas.
Jane était inflexible. L’équipe travaillant sur le langage des descoladores devait quitter Lusitania et retourner en orbite autour de leur planète. Bien sûr, cela l’incluait, mais personne n’avait la bêtise de contester la survie de la seule personne capable de transporter tous les vaisseaux, ainsi que celle de l’équipe qui pouvait sauver l’humanité des descoladores. Mais Jane se plaça sur un terrain moral plus glissant en insistant pour que Novinha, Grego, Ohaldo et la famille de ce dernier soient emmenés en lieu sûr. Valentine fut aussi informée que si elle ne suivait pas son mari et sa famille ainsi que leur équipe et leurs amis dans le vaisseau de Jakt, Jane serait obligée de gâcher une énergie précieuse pour les transporter physiquement contre leur volonté, et sans vaisseau s’il le fallait.
« Pourquoi nous ? demanda Valentine. Nous n’avons demandé aucun traitement de faveur.
— Je me moque de savoir ce que vous avez demandé ou non, dit Jane. Tu es la sœur d’Ender. Novinha, sa veuve, et ses enfants sont ses enfants adoptifs. Je ne resterai pas les bras croisés quand j’ai le pouvoir de sauver la famille de mon ami. Si cela te paraît un traitement de faveur injuste, tu pourras toujours venir te plaindre plus tard, mais dans l’immédiat, embarquez tous dans le vaisseau de Jakt pour que je puisse vous faire quitter cette planète. Et tu pourras sauver d’autres vies en ne me faisant pas perdre davantage de temps et d’énergie dans des discussions stériles. »
Un peu honteuse de bénéficier d’un tel privilège, mais néanmoins reconnaissante de pouvoir être sauvée, elle et ses proches, l’équipe des descoladores se regroupa dans la navette, désormais transformée en vaisseau, que Jane avait éloignée de la zone d’atterrissage grouillante de monde. Les autres se précipitèrent vers le vaisseau de Jakt, qu’elle avait aussi déplacé vers un secteur isolé.
D’une certaine manière, pour bon nombre d’entre eux, l’apparition de la flotte était presque un soulagement. Ils avaient vécu si longtemps dans l’ombre de sa menace, que sa présence mettait un terme à leur angoisse. En l’espace d’une heure ou deux, leur sort serait décidé.
La navette se déplaçait à grande vitesse le long de l’orbite de la planète des descoladores. À l’intérieur, Miro, l’air abattu, était assis devant son ordinateur. « Je n’arrive pas à travailler, finit-il par dire. Je n’arrive pas à me concentrer sur un langage quand mon peuple et ma demeure sont sur le point d’être détruits. » Il savait que Jane, sanglée à sa couchette à l’arrière de la navette, utilisait toute son énergie pour déplacer les vaisseaux de Lusitania vers d’autres colonies mal préparées à les recevoir. Alors que tout ce qu’il pouvait faire de son côté, c’était de se creuser la tête sur des messages moléculaires d’extraterrestres invisibles.
« Eh bien moi, si, dit Quara. Après tout, ces descoladores représentent un danger important, pas seulement pour une seule planète mais pour l’humanité tout entière.
— Quelle preuve de sagesse que de prendre un peu de distance par rapport à tout cela, dit Ela sèchement.
— Regarde ces messages que nous recevons des descoladores, reprit Quara. Peux-tu reconnaître ce que je vois ici ? »
Ela fit apparaître les données de Quara sur son propre écran ; Miro l’imita. Quara avait beau être une peste, elle dominait son sujet.
« Vous voyez ? Quoi que fasse cette molécule, elle est conçue pour travailler dans la même zone du cerveau que la molécule d’héroïne. »
Il était indéniable que tout concordait parfaitement. Ela, en revanche, avait du mal à y croire. « Ils n’ont pu réussir à faire cela qu’en s’inspirant des informations historiques contenues dans la description de la descolada que nous leur avons envoyée. Puis ils ont utilisé ces informations pour fabriquer un corps humain, l’ont étudié, et ont fini par trouver une composante chimique susceptible de nous immobiliser dans une espèce de joie béate et de nous réduire du même coup à leur merci. Mais il est impossible qu’ils aient pu fabriquer un corps humain si peu de temps après l’envoi de notre message.
— Peut-être n’ont-ils pas besoin de fabriquer un corps entier, dit Miro. Ils sont peut-être suffisamment calés en lecture d’information génétique pour pouvoir en extraire toutes les informations concernant l’anatomie, la physiologie et la génétique humaine.
— Mais ils n’avaient même pas nos codes ADN, objecta Ela.
— Peut-être peuvent-ils extraire l’information nécessaire de notre ADN primitif, dans son état naturel, dit Miro. De toute évidence, ils ont réussi à avoir cette information d’une manière ou d’une autre et ils ont trouvé un moyen de nous rendre aussi rigides que des statues, un sourire idiot aux lèvres.
— Ce qui me paraît encore plus évident, dit Quara, c’est qu’ils avaient en vue que nous lisions ces molécules de manière biologique. Que nous prenions instantanément cette drogue. En ce qui les concerne, nous sommes coincés ici, immobiles, attendant qu’ils viennent nous chercher. »
Miro changea immédiatement les données inscrites sur son écran.
« Bon Dieu, Quara, tu as raison. Regarde : trois de leurs vaisseaux se dirigent vers nous.
— Ils ne nous avaient jamais approchés jusque-là, dit Ela.
— Eh bien, ce n’est pas maintenant qu’ils vont le faire, dit Miro. On va leur montrer qu’on ne s’est pas laissé piéger par leur cheval de Troie. » Il quitta son siège pour se précipiter au fond du couloir, là où Jane se trouvait. « Jane ! cria-t-il avant même d’arriver jusqu’à elle. Jane ! »
Il lui fallut quelques instants pour se réveiller, puis elle cligna des yeux.
« Jane, dit-il. Déplace-nous de quelques centaines de kilomètres et place-nous sur une orbite plus proche. »
Elle le considéra, perplexe, puis lui fit manifestement confiance puisqu’elle ne lui posa aucune question. Elle ferma les yeux de nouveau, alors que Coupe-Feu s’écriait de la salle de contrôle : « Elle a réussi ! Nous avons bougé ! »
Miro revint tranquillement vers les autres. « Maintenant, je sais qu’ils ne peuvent pas faire cela », dit-il. En effet, son écran lui signalait que les vaisseaux extraterrestres n’avançaient plus vers eux, mais stationnaient prudemment à une vingtaine de kilomètres de là, orientés dans trois – non quatre – directions différentes. « Nous sommes au beau milieu d’un tétraèdre, observa Miro.
— Eh bien, maintenant ils savent que nous n’avons pas succombé à leur drogue mortellement hilarante, dit Quara.
— Mais nous ne pouvons toujours pas les comprendre.
— Parce que nous sommes franchement stupides, déclara Miro.
— Ce n’est pas en s’autoflagellant que nous allons faire avancer les choses, dit Quara. Même si dans ton cas, ça peut fonctionner.
— Quara ! s’exclama Ela.
— C’était pour rire, bon sang ! Si on ne peut plus taquiner son grand frère.
— C’est vrai, dit Miro d’un ton sec. Tu es une telle boute-en-train…
— Lorsque vous avez dit que nous étions stupides, qu’entendiez-vous par là ? demanda Coupe-Feu.
— Nous n’arriverons jamais à déchiffrer leur langage, expliqua Miro, pour la bonne raison que ce n’est pas un langage. Il ne s’agit que d’une série de codes biologiques. Ils ne parlent pas. Ils ne font pas dans l’abstrait.
Ils se contentent de créer des molécules qui agissent sur les autres. C’est un peu comme si le langage humain était constitué de briques et de sandwiches. Envoyez une brique ou donnez un sandwich, punissez ou récompensez. S’ils ont des pensées abstraites, nous n’y aurons pas accès en lisant ces molécules.
— J’ai du mal à croire qu’une espèce incapable de langage abstrait puisse fabriquer des vaisseaux comme ceux-ci, dit Quara d’un ton hautain. Ils arrivent tout de même à diffuser ces molécules comme nous des vidéos ou des voix.
— Et s’ils possédaient des organes internes capables de traduire directement des messages moléculaires en structures chimiques ou physiques ? Ils pourraient dans ce cas…
— Tu ne comprends pas ce que je veux dire, insista Quara. Tu ne peux pas construire une base de savoir commun en lançant des briques ou en partageant des sandwiches. Il leur faut un langage pour stocker des informations en dehors de leur corps afin de les transmettre d’individu à individu, d’une génération à une autre. On ne peut pas voyager dans l’espace ou envoyer des messages faisant appel au spectre électromagnétique en se fondant sur ce qu’une personne peut faire avec une brique.
— Elle n’a sans doute pas tort, remarqua Ela.
— Dans ce cas, peut-être que certaines parties des messages moléculaires qu’ils envoient sont des codes de mémoire, dit Miro. Une fois de plus, il ne s’agit pas d’un langage – cela stimule le cerveau pour qu’il se « souvienne » de choses dont l’envoyeur a fait l’expérience mais pas le receveur.
— Écoutez, intervint Coupe-Feu, que vous ayez raison ou non, nous devons continuer à tout tenter pour déchiffrer ce langage.
— Si j’ai raison, nous sommes en train de perdre notre temps, répliqua Miro.
— Précisément, dit Coupe-Feu.
— Ah. » L’argument de Coupe-Feu n’était pas si bête. Si Miro ne se trompait pas, toute cette mission n’avait plus aucun sens – ils avaient déjà échoué. Il fallait donc qu’ils continuent de faire comme si Miro se trompait, comme si ce langage pouvait être déchiffré, car dans le cas contraire, c’était l’impasse.
Et pourtant…
« Nous oublions quelque chose, dit Miro.
— Pas moi, dit Quara.
— Jane. Elle a été créée pour servir de pont entre les espèces.
— Entre les humains et les reines, pas entre des extraterrestres concepteurs de virus inconnus et les humains », observa Quara.
Mais Ela trouvait cela intéressant. « La façon de communiquer des humains – le discours d’égal à égal – devait certainement paraître aussi étrange aux reines que ce langage moléculaire l’est pour nous. Il n’est pas impossible que Jane trouve un moyen de se connecter à eux philotiquement.
— Par télépathie ? dit Quara. Nous n’avons pas de pont, rappelez-vous.
— Tout dépend comment ils peuvent utiliser les liens philotiques. La Reine parle tout le temps avec Humain, n’est-ce pas ? Parce que les arbres-pères et les reines utilisent déjà des liens philotiques pour communiquer. Ils se parlent d’esprit à esprit, sans qu’un langage intervienne. Et ils ne se ressemblent pas plus sur le plan biologique que les reines et les humains. »
Ela acquiesça pensivement. « Jane ne peut rien tenter de tel pour l’instant, pas avant que le problème de la flotte du Congrès soit réglé. Mais dès qu’elle pourra nous redonner toute son attention, elle sera peut-être en mesure de contacter ces… individus directement, ou du moins d’essayer.
— Si ces êtres communiquaient par des liens philotiques, ils n’auraient pas besoin d’utiliser de molécules, objecta Quara.
— Peut-être que c’est ainsi qu’ils communiquent avec des animaux », dit Miro.
L’amiral Lands avait du mal à croire ce qu’il entendait. Le Premier Porte-parole du Congrès Stellaire et le Premier Secrétaire de l’Amirauté de la Flotte stellaire étaient tous deux visibles au-dessus de l’ordinateur, et leurs messages étaient identiques. « La quarantaine, exactement, disait le Secrétaire. Vous n’êtes pas autorisé à utiliser le Dispositif de Désintégration Moléculaire.
— La quarantaine n’est pas envisageable, répondit Lands. Nous avançons trop vite. Vous êtes au courant du plan de bataille que j’ai préparé au début de notre voyage. Il nous faudrait des semaines pour ralentir. Et qu’adviendra-t-il de nos hommes ? Il n’est déjà pas évident de les faire voyager en vol relativiste pour les ramener chez eux ensuite. Leurs amis et leurs familles seront morts depuis longtemps, mais au moins ils ne seront pas coincés en service permanent dans un vaisseau ! En maintenant notre vitesse proche du vol relativiste, je leur économise des mois de vie passés en accélérations et décélérations. Et vous leur demandez de perdre des années de leur vie !
— J’espère que vous n’êtes pas en train de suggérer de faire sauter Lusitania et d’exterminer les pequeninos ainsi que des milliers d’êtres humains pour éviter à votre équipage de déprimer, plaça le Premier Porte-parole.
— Je dis simplement que si vous ne voulez pas que nous fassions sauter cette planète, très bien… mais laissez-nous rentrer chez nous.
— Nous ne pouvons y consentir, dit le Premier Secrétaire. La descolada est trop dangereuse pour la laisser sans surveillance sur une planète en pleine révolte.
— Ce qui signifie que vous annulez l’utilisation du Petit Docteur alors que rien n’a été prévu pour contrer le virus de la descolada ?
— Nous allons envoyer une équipe au sol avec toutes les précautions nécessaires afin d’évaluer les risques sur place, dit le Premier Secrétaire.
— En d’autres termes, vous allez envoyer des hommes affronter un danger mortel sans réelle connaissance de la situation sur le terrain, alors que nous avons le moyen d’éliminer le danger sans faire courir le moindre risque d’infection aux personnes saines.
— Le Congrès a pris sa décision, trancha le Premier Porte-parole. Nous ne commettrons pas un nouveau xénocide alors qu’il existe une solution de rechange. Avez-vous bien reçu et compris ces ordres ?
— Oui, monsieur, fit Lands.
— Seront-ils exécutés ? » demanda le Premier Porte-parole.
Le Premier Secrétaire était atterré. Il n’y avait pas de pire insulte que de demander à un officier s’il avait l’intention d’obéir aux ordres.
Pourtant le Premier Porte-parole ne se rétracta pas.
« Eh bien ?
— Monsieur, j’ai toujours honoré et honorerai toujours mon serment. » Sur ce, Lands coupa la communication. Il se tourna immédiatement vers Causo, son CS, la seule autre personne présente dans la salle de communication hermétique. « Vous êtes en état d’arrestation, monsieur », dit-il.
Causo leva un sourcil. « Vous n’avez donc pas l’intention d’obéir à cet ordre ?
— Je ne vous demande pas votre avis personnel sur la question. Je sais que vous êtes d’origine portugaise comme les gens de Lusitania.
— Ils sont brésiliens. »
Lands passa outre. « J’inscrirai dans mon registre que l’on ne vous a pas donné l’occasion de vous exprimer et que vous n’avez aucune part de responsabilité dans ce que je suis sur le point d’accomplir.
— Que faites-vous de votre serment, monsieur ? demanda calmement Causo.
— Mon serment consiste à mener toutes les actions nécessaires pour le bien de l’humanité. J’invoquerai la clause des crimes de guerre.
— On ne vous a pas donné l’ordre de commettre un crime de guerre. On vous ordonne de ne pas en commettre un.
— Au contraire. Ne pas détruire ce monde et le péril mortel qu’il représente serait un plus grand crime contre l’humanité que de ne pas le détruire. » Lands lui posa une main sur l’épaule. « Vous êtes en état d’arrestation, monsieur. »
Le CS plaça ses mains sur la tête et lui tourna le dos. « Vous avez peut-être raison, monsieur, comme vous avez peut-être tort. Mais dans un cas comme dans l’autre, c’est monstrueux. Je n’arrive pas à comprendre comment vous pouvez prendre une telle décision seul. »
Lands plaça le patch de docilité sur la nuque de Causo et, tandis que la drogue faisait lentement son effet, lui dit : « J’ai été aidé, mon ami. Je me suis demandé ce qu’Ender Wiggin, l’homme qui a sauvé l’humanité des doryphores, aurait fait si on lui avait dit au dernier moment : « Ceci n’est pas un jeu, c’est bien réel. » Ce qu’il aurait fait si, au moment de tuer les jeunes Stilson et Madrid, ses Premier et Deuxième Meurtres, un adulte était intervenu pour lui ordonner de s’arrêter. Aurait-il obtempéré, sachant que l’adulte était incapable de le protéger par la suite lorsque ses ennemis l’auraient attaqué de nouveau ? Sachant que c’était maintenant ou jamais ? Si les adultes de l’École de Guerre lui avaient dit : « Nous estimons possible que les doryphores n’aient pas vraiment l’intention de détruire la race humaine, alors ne les tuez pas tous », pensez-vous qu’Ender Wiggin aurait obéi ? Non. Il aurait fait – comme il a toujours fait – ce qui était nécessaire pour éradiquer définitivement le danger. Voilà celui que j’ai consulté. Celui dont je suivrai aujourd’hui la sagesse. »
Causo ne répondit pas. Il se contenta de sourire et hocha la tête à plusieurs reprises.
« Asseyez-vous et ne vous relevez pas tant que je ne vous en aurai pas donné l’ordre. »
Causo s’exécuta.
Lands alluma l’ansible pour communiquer avec le reste de la flotte. « L’ordre a été donné et nous devons procéder. Je vais lancer le Dispositif DM et nous repartirons aussitôt à vitesse relativiste. Que Dieu ait pitié de mon âme. »
Quelques instants plus tard, le Dispositif DM quitta le vaisseau de l’amiral et poursuivit sa route juste en dessous de la vitesse relativiste en direction de Lusitania. Il lui faudrait une heure avant d’arriver à la distance nécessaire pour son déclenchement automatique. Si le détecteur de distance ne devait pas fonctionner correctement, une minuterie l’activerait quelques instants avant le temps estimé de collision.
Lands augmenta la vitesse de son vaisseau pour le faire passer au-delà du seuil qui le maintenait dans la temporalité du reste de l’univers. Puis il retira le patch de docilité de la nuque de Causo pour le remplacer par un patch antidote. « Vous pouvez désormais me mettre aux arrêts pour la mutinerie dont vous avez été le témoin. »
Causo secoua la tête. « Non, monsieur. Vous n’irez nulle part, et la flotte reste sous votre contrôle jusqu’à ce que nous soyons rentrés. À moins que vous n’ayez un autre plan idiot pour essayer d’échapper au procès pour crime de guerre qui vous attend.
— Non, monsieur. J’affronterai la sentence qui m’attend. Ce que j’ai fait a sauvé l’humanité de la destruction, mais je suis prêt à rejoindre les humains et les pequeninos de Lusitania à titre de sacrifice nécessaire pour l’accomplissement d’une telle action. »
Causo le salua puis, s’affaissant dans son siège, il fondit en larmes.