Dix-septième partie

1

Heller se dirigeait vers le nord.

Il tapota le rebord du pare-brise et dit :

— Eh bien, ma vieille Cadillac Brougham Coupé d’Elegance dont le moteur fonctionne aux produits chimiques, on t’a sortie de là saine et sauve.

J’émis un reniflement de mépris. Les officiers de la Flotte et leurs jouets… Fétichisme !

— Hé, môme ! fit Bang-Bang. Je voudrais pas jouer les rabat-joie en cet instant de gloire, mais je tiens à te faire remarquer que tu conduis avec des plaques d’immatriculation volées, ce qui est illégal !

— J’ai d’autres plaques, avec la carte grise et tout le reste.

— Tu les tiens d’où ?

— De ce gars que j’ai essayé d’appeler.

— Celui que tu voulais flinguer ?… Ecoute, môme. T’as encore beaucoup de choses à apprendre. Les poulets, ça fonctionne exclusivement avec les plaques minéralogiques. Sans ces numéros, ils seraient incapables de localiser qui que ce soit. Ils seraient perdus. Tout leur système est fondé sur ces plaques. Aussi, si t’as du fric, je te conseille de t’acheter une autre voiture. Je connais un gars…

— Non, je veux celle-ci.

— Mais c’est un gouffre à essence.

— Je sais. Exactement ce qu’il me faut.

— Très bien, dit Bang-Bang avec un soupir. Je connais un autre gars qui peut changer le numéro du moteur et te procurer un nouveau permis. J’ai une dette envers toi. Je veux pas que tu te fasses pincer ! Prends la prochaine à gauche, Tonnelle Avenue. On va à Newark !

Peu après, ils roulaient au milieu des poids lourds rugissants et de la fumée des pots d’échappement. Bang-Bang indiqua le chemin à Heller et ils arrivèrent bientôt à Newark. Ils remontèrent plusieurs rues affreusement polluées du quartier industriel et parvinrent au Flash Class Garage. Heller engagea la Cadillac dans le garage et zigzagua entre d’innombrables voitures qui étaient à divers stades de réparation ou de peinture.

Bang-Bang bondit hors du véhicule et revint avec un Italien corpulent portant un blouson blanc couvert de taches de graisse. Heller sortit de la Cadillac.

— Môme, dit Bang-Bang, voici Mike Mutazione, le propriétaire, le patron et la grande gueule de cette taule. Je lui ai dit que tu étais un ami de la famille. Alors explique-lui ce qu’il te faut.

Heller et Mike échangèrent une poignée de main.

— Peut-être qu’il vaudrait mieux que ce soit lui qui me le dise, répliqua Heller.

Mike examina la Cadillac.

— Ma foi, dit-il, la première chose que je ferais avec cette bagnole, c’est de l’envoyer dans le fleuve.

— Ah non ! s’exclama Heller. C’est une bonne voiture !

— C’est un gouffre, rétorqua Mike. Une Cadillac de 1968 consomme au minimum trente litres aux cent.

— C’est justement ça que j’aime bien chez elle.

— Dis-moi, il aurait pas une case de vide, ce gamin ? demanda Mike à Bang-Bang.

— Non, non ! C’est un étudiant.

— Ah. Ça explique tout, fit Mike.

Bang-Bang déchira l’un des cartons à l’intérieur de la Cadillac et sortit une bouteille de scotch.

— C’est quoi ? demanda Mike. Du golden label ?… C’est la première fois que j’en vois.

Bang-Bang dévissa le bouchon. __

— C’est tellement bon que les Écossais se le gardent pour eux tout seuls, dit-il. Tiens, goûte.

— T’es sûr que c’est pas du poison, hein ? (Avec précaution, il prit une minuscule gorgée qu’il fit rouler sur sa langue.) Bon Dieu, c’est du velours ! J’ai jamais rien bu de pareil !

— Ça vient d’arriver par le bateau. On t’en a apporté une caisse entière.

— Eh bien, dit Mike, comme je le disais, môme, jetons un coup d’œil à cette superbe voiture.

Tout en serrant plus fort la bouteille, Mike ouvrit le capot de sa main libre. Il sortit une lampe de poche qu’il promena sur le bloc-moteur. Puis il secoua la tête tristement et dit :

— J’ai de mauvaises nouvelles, môme. Ce numéro de moteur a été changé trop souvent. La dernière fois qu’on l’a changé, on l’a incrusté trop profondément. Impossible de le modifier une nouvelle fois. (Il regardait Heller.) Allez, fais pas cette tête-là, môme ! Tu dois avoir des liens sentimentaux avec cette voiture, hein ? Peut-être la première que t’as volée, ou quelque chose comme ça ?

Il prit une nouvelle gorgée de whisky, s’appuya contre le radiateur et se mit à réfléchir. Brusquement son visage s’éclaira.

— Hé, je viens juste de me rappeler. On peut acheter des moteurs neufs pour ce modèle 68. La General Motors en a encore un stock. T’as de l’argent ?

— J’ai de l’argent, dit Heller.

— Je vais vérifier, dit Mike.

Il entra dans son bureau et décrocha le téléphone. Lorsqu’il revint, il rayonnait.

— Ils en ont toujours ! T’es pressé ou tu peux attendre quelques semaines ?

— Je ne suis pas pressé. Ça cadrera parfaitement avec mes projets.

Je n’y comprenais plus rien, tout à coup. J’avais été tellement convaincu qu’il voulait simplement sa voiture pour faire du stock-car dans les rues de New York, tellement persuadé qu’il faisait une fixation sur les jouets – comme tout officier de la Flotte – qu’il ne m’était pas venu à l’esprit qu’il préparait peut-être quelque complot diabolique. Rapidement, je passai en revue dans ma tête tout ce qu’il avait fait depuis son arrivée en Amérique. Il ne musardait pas comme je l’avais cru ! Il travaillait ! Ce (bip) s’était jeté à corps perdu dans sa mission ! Il me vint alors une pensée aussi hideuse que le spectre de Lombar : et si Heller réussissait !

Par tous les Diables, qu’est-ce qu’il mijotait ?

— Très bien, dit Mike, mais qu’est-ce que tu veux vraiment avec cette voture ? Faire de la vitesse ? Si c’est ça que tu veux, je peux mettre des pistons en alliage d’aluminium dans le nouveau moteur : ils refroidissent plus vite. Comme ça, le moteur a moins de chances de cramer et il sera beaucoup plus nerveux.

— Est-ce que ça augmentera la consommation d’essence ou est-ce que ça la diminuera ? demanda Heller.

— Oh, ça l’augmentera probablement.

— Excellent. Mettez les pistons en alu.

— Très bien. Je pourrais aussi installer un carburateur spécial.

— Excellent.

— Mais si elle doit rouler plus vite, il serait préférable de lui donner un nouveau radiateur et peut-être même un radiateur à huile pour éviter la surchauffe.

— Excellent.

— Il faudra sans doute remplacer certaines pièces usées, comme les fusées d’essieu.

— Excellent.

— Il vaut mieux prévoir des pneus neufs. Des pneus de course qui n’exploseront pas si tu fais du deux cent vingt.

— Excellent.

— Des roues plus légères avec du magnésium ?

— Est-ce qu’elles changeront l’apparence de la voiture ?

— Affirmatif. Elle aura l’air beaucoup plus moderne.

— Non.

Mike venait d’essuyer son premier « non ». Il recula de quelques pas et but un peu de whisky en réfléchissant rapidement.

— Ce ne serait pas une camionnette de chez Corleone ? l’interrompit Bang-Bang en désignant une Ford noire dont la peinture venait d’être refaite.

— Prête à rouler, dit Mike.

— Je vais repartir avec, annonça Bang-Bang.

Et il se dirigea vers la Cadillac et commença à décharger les cartons de whisky pour les transférer dans la camionnette.

Mike, apparemment requinqué par cet intermède, retourna au combat. Il tapota la carrosserie.

— Ya quelques poques qui ont besoin d’être redressées. Il faudrait passer la carrosserie au papier de verre et remettre une couche de peinture neuve. Hé ! Tu sais quoi, môme ? On a de la peinture pour Cadillac, de la peinture d’époque ! On ne s’en sert jamais parce qu’elle est trop voyante ! Je vais te chercher un échantillon.

Il se rua vers son bureau et revint avec une carte-spécimen.

— Voilà. On appelle cette couleur « Flamme Écarlate ». La voiture brille même dans le noir ! Y a pas plus tape-à-l’œil !

— Excellent, fit Heller.

Je n’y comprenais rien. Au départ, il avait pris une voiture grise pour passer inaperçu. Et voilà qu’il choisissait une couleur qui faisait pratiquement griller mon écran ! Qu’est-ce qu’il fabriquait ?

Mike se pencha sur le siège avant et tira sur l’étoffe.

— Le revêtement des sièges est mort. Les rideaux aussi. Or, il se trouve qu’on a acheté des housses qu’on n’a jamais utilisées. « Léopard des Neiges », ça s’appelle. Blanc avec des taches noires. Éblouissant ! Avec la carrosserie rouge vif, les sièges ressortiront un max ! Et l’étoffe est tellement épaisse qu’on pourra même s’en servir pour tapisser le sol de la voiture.

— Excellent.

Mike réfléchit encore un peu mais ne trouva rien d’autre.

— Maintenant, est-ce qu’il y a quelque chose que toi tu voudrais qu’on fasse ? demanda-t-il.

— Oui, répondit Heller. J’aimerais que vous installiez autour du capot un système qui me permettra de le fermer à clé. Et, sous la voiture, je voudrais une feuille de métal qui scelle hermétiquement le moteur.

— Oh, tu veux un blindage, tu veux te protéger contre les bombes. Tu sais, c’était pour ça qu’on construisait des voitures aussi puissantes : pour qu’elles puissent supporter le poids du blindage. Je peux installer des vitres pare-balles, des plaques de blindage sur les parois…

Ça y est, je comprenais ! Heller avait peur qu’on piège à nouveau sa voiture !

— Non, dit-il. Juste une mince plaque de métal sous le moteur et des serrures autour du capot pour que personne ne puisse toucher au moteur.

— Un signal d’alarme ? fit Mike d’une voix pleine d’espoir.

— Non.

Je renonçais à comprendre. La seule explication possible était qu’Heller avait perdu la raison !

— C’est tout ? demanda Mike.

— C’est à peu près tout, acquiesça Heller.

— Eh bien, dit Mike, avec ce qui me sembla être une légère appréhension, le tout va revenir à environ vingt mille dollars.

Bang-Bang déchargeait la dernière boîte d’enregistreurs made in Taiwan. Il la jeta dans la camionnette et rejoignit Heller et Mike.

— Doux Jésus ! Écoute, môme, pour ce prix-là, je peux voler et maquiller quinze Cadillac dernier modèle !

— Môme, dit Mike, je ne te ferai pas payer ton nouveau permis de conduire. Cadeau de la maison. Honnêtement, Bang-Bang, ça coûtera ce prix-là de refaire la voiture exactement selon ses instructions.

— Marché conclu, fit Heller.

Il sortit un rouleau de billets de sa poche et préleva dix mille dollars qu’il tendit au garagiste.

— Il vient de braquer un fourgon blindé ? demanda Mike à Bang-Bang.

— C’est de l’argent honnêtement braqué, dit Heller.

— Ah bon. Dans ce cas, je le prends. Comme acompte.

Et il entra dans son bureau pour faire un reçu.

— Quel nom j’écris ? cria-t-il. Non pas que ça ait de l’importance.

— Jerome Terrance Wister, dit Heller.

Oui, il avait vraiment perdu la raison. Trapp apprendrait qu’il était encore en vie et le retrouverait ! .Et avec une voiture aussi voyante, aussi différente…

Bang-Bang avait fini de charger la camionnette. Il fit cadeau à un Mike reconnaissant d’une caisse de Johnnie Walker golden label.

— Allez, monte, môme, lança Bang-Bang. Où est-ce que je te dépose ?

— Je vais à Manhattan, dit Heller.

— En ce cas, je te conduis à la gare. C’est plus rapide par le train.

Quelques minutes plus tard, ils étaient à la gare. Heller descendit.

— C’est ton vrai nom, môme ? Jerome Terrance Wister ? demanda Bang-Bang.

— Non. En fait, je m’appelle Pretty Boy Floyd.

Bang-Bang et Heller éclatèrent d’un rire tonitruant.

J’étais scandalisé. Pretty Boy Floyd avait été un gangster américain particulièrement célèbre, beaucoup trop célèbre pour qu’on le tourne en ridicule. Son nom était sacré.

— Qu’est-ce que je te dois ? demanda Heller.

— Toi, me devoir quelque chose ! Tu veux rigoler ou quoi ? (Il tendit le doigt vers la cargaison.) Pendant ces six mois de cabane, j’ai pas arrêté de rêver d’un verre de scotch ! Maintenant je vais pouvoir nager dedans !

Et il démarra en chantant.

Moi, je ne chantais pas. Juste au moment où je croyais que la situation ne pouvait pas être pire, voilà que j’étais dans un nouveau pétrin. En utilisant ce nom, Heller allait remettre Trapp sur sa piste – alors que je n’avais toujours pas la plaque. Et, en plus, il travaillait d’arrache-pied à la mission et il progressait. Je le sentais ! Il pouvait même réussir !

La tête me tournait. D’un côté, Heller ne devait PAS se faire tuer avant que j’aie trouvé le moyen de forger les rapports qu’il envoyait au capitaine Tars Roke. Et d’un autre côté, il fallait l’éliminer ou le mettre hors d’état de nuire, car il semblait bien qu’il eût mis au point quelque plan diabolique destiné à mener à bien la mission.

Je suis sorti dans le jardin, je me suis allongé et j’ai enfoui ma tête dans mes mains. Il fallait absolument que je garde mon calme, que je pense logiquement. Ce n’était pas le moment de perdre les pédales. Pourtant il y avait de quoi : je devais empêcher la mort d’un homme qu’il faudrait finalement tuer. Il était impératif que je trouve une solution, une solution quelconque !

Et ce (bip) de canari qui n’arrêtait pas de gazouiller dans son arbre ! Pour me narguer ! Rien que pour me narguer !

2

Heller remonta l’allée incurvée qui menait au Gracious Palms – cliqueti-clac, cliqueti-clac – et pénétra dans le vestibule. Il faisait très chaud en cet après-midi de fin d’été. Et comme c’était la morte-saison, l’endroit était désert.

Au moment où il allait s’engager dans l’escalier pour se rendre au deuxième, l’un des gardes en smoking apparut et dit :

— Attends une minute. T’as plus ta chambre, môme.

Heller s’arrêta net.

— Le directeur veut te voir, ajouta le gangster. Il est dans tous ses états.

Heller fit demi-tour et se dirigea vers le bureau de Vantagio.

— Non, fit le garde. Par ici. Il t’attend.

Et il poussa Heller vers l’un des ascenseurs. Ils montèrent et le malfrat appuya sur le bouton du dernier étage.

Ils sortirent et se retrouvèrent dans un couloir insonorisé aux murs recouverts de moquette. Le truand était derrière Heller et lui donnait de petites poussées dans le dos qui faisaient sauter l’image sur mon écran.

Tout au bout de l’interminable couloir, il y avait une porte ouverte par laquelle s’échappait la voix du directeur. Il injuriait des gens en italien. Il semblait absolument hors de lui !

Les personnes qui étaient avec lui dans la chambre s’agitaient dans tous les sens en jetant des objets çà et là.

D’une dernière petite poussée, le gangster envoya Heller au cœur du tumulte.

— Le voici, patron, dit-il.

Vantagio Meretrici écarta d’une bourrade une femme de ménage qui se trouvait sur son chemin et marcha droit sur Heller.

— Tu essayes de me mettre dans le pétrin ! cria-t-il. Tu veux me faire perdre mon travail !

Comme tout Italien qui se respecte, il avait parlé en agitant frénétiquement les mains. Il se passa un doigt sous la gorge, comme pour la couper.

— Tu aurais pu me faire tuer !

Il s’interrompit et hurla quelque chose en italien à l’adresse de deux femmes de ménage. Elles se précipitèrent l’une contre l’autre et l’une d’elles lâcha la pile de draps qu’elle tenait.

Ces Italiens… Ils sont si émotifs. Si mélodramatiques. J’ai baissé le son.

Sage précaution. Vantagio s’était approché et parlait encore plus fort qu’avant !

— C’était pas très correct comme façon d’agir ! T’introduire comme ça, sans rien dire !

— Si vous me disiez ce que vous croyez que j’ai pu faire…, commença Heller.

— Je ne crois pas ! Je sais ! rugit Vantagio.

— Si j’ai fait quelque chose…

— Oui, tu as fait quelque chose ! Tu m’as laissé te caser dans cette vieille chambre de bonne ! Tu n’as rien dit ! Elle était absolument furieuse ! Elle a pratiquement cramé l’écouteur du téléphone tellement elle était en rogne !

Il posa les mains sur les épaules d’Heller, leva la tête et le dévisagea. Sa voix se fit tout à coup larmoyante.

— Pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu étais un ami de Babe ?

Heller prit une profonde inspiration.

— J’ignorais complètement que cet endroit lui appartenait. Je suis sincèrement navré.

— Écoute, môme. A l’avenir, ouvre-la, d’accord ? Plus jamais de cachotteries ! Maintenant, est-ce que ceci te convient ?

Heller regarda autour de lui. C’était une suite composée de deux pièces. Les murs du gigantesque salon étaient recouverts d’un carrelage d’onyx noir agrémenté de tableaux. La moquette, beige, était jonchée de petits tapis coûteux ornés de motifs dorés. Le mobilier, d’un beige plus clair, était tout en courbes harmonieuses. Quant aux lampes, c’étaient des statues dorées de jeunes filles en tenue d’Ève. Il y avait un balcon-jardin à l’extérieur du salon et, à travers les portes-fenêtres, on avait une vue superbe sur le building des Nations unies et son parc, ainsi que sur le fleuve.

Vantagio dit à Heller de tourner la tête. De l’autre côté de la pièce, il y avait un bar recouvert de cuir beige, derrière lequel s’élevaient un buffet doré et des volutes en fer forgé. Un barman vidait rapidement les étagères de tout l’alcool et déposait les bouteilles dans des cartons.

— Désolé, mais je ne peux pas laisser les boissons alcoolisées, dit Vantagio. Ça nous coûterait notre licence, vu que t’es mineur. Mais, ajouta-t-il en toute hâte, nous allons remplir le frigo de toutes les boissons possibles et imaginables. Et nous te laisserons les grands verres à cocktail. Tu pourras les remplir de glaçons avec la machine que tu vois là-bas. Et on te fera monter du lait frais tous les jours. Et aussi des ice-creams, d’accord ?

Il avait posé cette question d’une voix suppliante.

Ensuite, il montra à Heller la batterie de tiroirs et de placards qui se trouvaient derrière le bar. Puis il vint se planter devant lui.

— Écoute, môme. Les sandwiches, c’était juste une blague. On n’a pas de restaurant parce qu’on sert uniquement dans les chambres. Mais nous avons les meilleurs chefs et la cuisine la plus sophistiquée de New York. Tu peux commander ce que tu veux. T’as envie de quelque chose juste maintenant ? Qu’est-ce que tu dirais d’un faisan sous cloche ?

Il n’attendit pas qu’Heller eût répondu. Il hurla quelques mots en direction de la chambre à coucher et plusieurs femmes de ménage en émergèrent précipitamment. Il escorta Heller jusqu’à la chambre et la lui désigna en agitant les bras.

— J’espère que ça te conviendra, fit-il d’une voix implorante.

La pièce était vaste. Le plafond et les murs étaient entièrement couverts de miroirs dont chacun était enchâssé dans un cadre d’onyx noir. Un énorme lit circulaire occupait le centre de la pièce. Le couvre-lit de soie noire était orné d’hibiscus dorés. Des petits tabourets rouges avaient été disposés tout autour du lit. Quant à la moquette, elle était pourpre.

Il y avait aussi quatre haut-parleurs encastrés dans les murs et encadrés par des frises dorées représentant des filles nues. Vantagio courut vers le mur et montra les boutons de sélection à Heller : musique pour se soûler ; musique sensuelle ; passionnée ; frénétique ; apaisante.

Ensuite Vantagio entraîna Heller dans la salle de bains. Elle était entièrement moquettée. Au centre, s’étendait un énorme bassin romain dans lequel une demi-douzaine de personnes auraient tenu sans problème. Sur le côté, je vis plusieurs douches à massage, ainsi qu’une rangée de placards remplis de produits en tout genre. Il y avait aussi des toilettes ainsi que deux bidets avec toute une série de poires. Heller examinait un appareil appelé distributeur de serviettes chaudes. Il appuya sur le bouton et une serviette fumante atterrit dans ses mains. Il s’essuya le visage.

Vantagio le ramena dans le salon.

— Alors ça te va ? C’est la suite qui avait été spécialement aménagée pour le Secrétaire Général, l’ancien, celui qui a été assassiné. Je sais qu’elle est plutôt modeste, mais elle est plus spacieuse que les autres. Nous ne l’utilisons presque jamais, aussi tu ne seras plus obligé de déménager. Ça faisait tellement longtemps qu’elle n’avait pas servi que nous avons dû faire le ménage en catastrophe. Les autres suites sont plus luxueuses, mais je me suis dit que pour un jeune garçon comme toi, celle-ci conviendrait mieux. Tu penses que ça ira ?

— Par tous les Dieux, oui, dit Heller.

Vantagio émit un sifflement de soulagement.

— Écoute, môme. Je te pardonne tout et nous pourrons à nouveau être amis si tu décroches ce téléphone et si tu appelles Babe. Elle attend ton coup de fil depuis le début de l’après-midi !

Sur un signal de Vantagio, un domestique poussant un petit chariot contenant les bagages d’Heller se rua dans la pièce. Il faillit renverser Heller.

Celui-ci décrocha le combiné, la standardiste le mit aussitôt en communication avec Bayonne – à l’évidence il s’agissait d’une ligne directe.

— C’est moi, madame Corleone.

— Oh, mon cher garçon. Mon très cher garçon !

— Vantagio m’a dit de vous appeler pour vous dire que la nouvelle suite me convenait, madame Corleone. Elle me convient parfaitement.

— Est-ce que c’est la suite du Secrétaire Général ? Celle avec les tableaux de maître qui représentent des filles polynésiennes ?

— Oui. Elle est très, très belle. Et la vue est superbe.

— Ne quittez pas, mon cher garçon. Il y a quelqu’un à la porte.

Il y eut un bruit de voix – à peine audible car Babe avait posé la main sur le microphone du combiné – suivi d’une exclamation stridente :

— Il a quoi ?…

Suivirent plusieurs phrases en italien, débitées à toute allure et trop étouffées pour être compréhensibles.

Babe reprit le combiné.

— C’est Bang-Bang ! Il vient d’arriver ! Je n’arrive pas à y CROIRE ! Oh, mon cher, mon très cher garçon ! Mon très, très cher garçon ! Merci, merci ! Je ne peux pas en parler au téléphone. Mais… Oh, mon cher garçon, MERCI !

Une avalanche de baisers retentirent dans l’écouteur ! Puis un rugissement :

— Passez-moi Vantagio !

Tout à coup je compris. Elle venait d’être mise au courant de la destruction du stock de whisky et d’enregistreurs de Faustino – deux millions de dollars de perte sèche – et de la mort d’Oozopopolis, son ennemi mortel !

Visiblement, Vantagio n’était pas très rassuré. Timidement, il prit le combiné.

— … si… gia… si, Babe. (Il était hagard.) No… non-si… Grazie, mia capa !

Il raccrocha.

Il prit la serviette fumante des mains d’Heller et s’essuya le visage.

— C’était Babe, dit-il. (Il regarda Heller.) Môme, je ne sais pas ce que tu as fait, mais ça a dû être quelque chose ! Elle m’a dit que je n’étais pas viré, mais j’ai comme l’impression que je n’ai pas fini de l’entendre, cette histoire de chambre de bonne. (Il se ressaisit.) Mais elle a raison. Je ne t’ai pas montré assez de reconnaissance. C’est vrai que tu as sauvé l’endroit et que tu m’as sauvé la vie. Je t’ai manqué de respect. Alors je te présente toutes mes excuses. D’accord, môme ?

Ils se serrèrent la main.

— Maintenant, continua Vantagio, il y a autre chose. C’est la meilleure suite que nous puissions t’offrir, mais Babe m’a dit que tu n’as pas de voiture. Tu dois aller t’en acheter une. N’importe laquelle, celle que tu veux. Nous avons notre propre parking souterrain, tu sais. Et je lui ai dit que tu n’avais presque pas de vêtements. Nous avons un tailleur génial. Je vais le faire venir pour qu’il prenne tes mesures et pour qu’il te fasse une garde-robe complète. T’auras des vêtements sur mesure, et dans les meilleures étoffes. Ça te va ?

— Vraiment, je ne peux accepter…

— Tu ferais mieux d’accepter, môme. On est amis. Ne me fourre pas dans un nouveau pétrin ! Maintenant, est-ce qu’il y a autre chose que tu désires ?

— Eh bien… Je ne vois pas de poste de télévision…

— Par la Madone, heureusement que tu ne lui as pas parlé de cet oubli ! Personne ne regarde la télé dans une maison de passe. Ça ne m’était pas venu à l’idée. Je vais envoyer quelqu’un en acheter une. D’accord, môme ?

Heller hocha la tête. Vantagio alla jusqu’à la porte puis revint.

— Môme, je sais ce que tu as fait ici. Tu as sauvé le Gracious Palms. Mais tu as dû faire autre chose… Cependant, ça n’explique pas tout… Elle te traite si différemment des autres. Est-ce que tu pourrais me dire, juste entre nous, de quoi vous avez parlé, elle et toi ?

— De généalogie.

— C’est tout ?

— C’est tout. Il ne s’est rien passé d’autre aujourd’hui.

Vantagio le dévisagea avec gravité. Puis il éclata de rire.

— Pendant une minute, tu as failli me faire marcher. Bon, ça ne fait rien. J’ai de la chance de t’avoir pour ami.

Il se dirigea vers la porte mais s’arrêta brusquement.

— Ah oui. Babe a dit que tu pouvais avoir toutes les filles que tu voulais et au diable la loi ! A plus tard, môme.

3

Mon attention fut brutalement détournée de l’écran par un coup sur la porte du passage secret qui conduisait de ma tanière au bureau. J’avais été obligé de menacer Faht des pires représailles pour bien faire entrer dans sa grosse cervelle ramollie qu’il devait immédiatement me faire parvenir, par un messager de l’Appareil, tout rapport en provenance d’Amérique.

Oui, c’était bien un rapport qu’on avait glissé par la fente de la porte ! Je le pris et l’ouvris avec des doigts tremblants. Peut-être que Raht et Terb s’étaient enfin montrés à la hauteur. Peut-être qu’ils avaient une solution ! Je me mis à lire.

Nous pensons qu’il s’est fait tuer. Nous avons découvert qu’il a été emmené jusqu’aux ordures et qu’il se trouve maintenant quelque part au fond de l’Atlantique. Sachez que nous ne ménageons pas nos efforts.

Les idiots ! La boutique s’était débarrassée des vêtements qui contenaient les mouchards !

Cependant, mon accès de colère eut pour effet de renforcer ma détermination : il était temps de passer à l’action. Dans un premier temps, j’étudierais soigneusement la suite d’Heller, ainsi que chaque centimètre carré du Gracious Palms, et je noterais très exactement ses habitudes et les endroits où il rangeait telle ou telle chose. Ensuite, déguisé en officier turc affecté aux Nations unies, je m’introduirais dans la maison de passe, je crochèterais la serrure de sa suite, je fouillerais ses bagages, je m’emparerais de la plaque, je déposerais une bombe et je détalerais. C’était un plan génial. Il m’était venu en une fraction de seconde. Si je réussissais à faire tout ça, Heller serait mort, mort, mort, et Soltan Gris resterait en vie !

Avec une expression déterminée, je retournai m’asseoir devant mon écran. Je savais qu’Heller ne tarderait pas à défaire ses bagages car le domestique avait laissé le chariot dans la pièce.

Il continuait d’explorer la suite. Elle n’était peut-être pas aussi belle que son appartement du Club des Officiers de Voltar, mais elle possédait un charme tout particulier : les filles ! Les pieds de lampe avaient la forme d’un buste de femme et les tapis étaient ornés d’une fille tissée de fil d’or.

Heller s’arrêta devant l’un des tableaux qui pendaient au mur. Il l’examina longuement et dit quelque chose en voltarien que je ne parvins pas à saisir. C’était un très beau tableau : une fille à peau brune, « vêtue » de fleurs rouges, se tenait devant quelques palmiers et l’océan. De l’art conceptuel, comme disent les connaisseurs – l’art conceptuel qui a été l’un des courants majeurs de l’école moderne.

Il se pencha pour lire la signature. Gauguin.

Je connais bien la valeur des tableaux : c’est normal pour quelqu’un comme moi, qui s’intéresse presque exclusivement à l’argent. S’il s’agissait d’une œuvre originale, elle valait une fortune !

Je revins rapidement en arrière pour savoir ce qu’Heller venait de dire. Je sais que, personnellement, ma première réaction aurait été de voler le tableau – et je me demandais si je n’allais pas inclure cela dans mon plan. Je tenais à connaître les intentions d’Heller vis-à-vis du Gauguin.

Il avait dit : les immigrants !

Ah, l’un de ces peuples d’Atalanta dont Krak et lui avaient l’habitude de s’entretenir.

Il se planta devant un deuxième Gauguin.

Une voix perçante retentit dans la pièce.

— Non, non, non !

C’était la maquerelle en chef, madame Sesso. Sa moustache frémissait. Elle agitait un doigt réprobateur.

— Non ! Les zeunes garçons, ça né doit pas régarder les imazes cossonnes ! Vous né férez pas les choses dégoûtantes ici ! Si lé zeune signore, il veut regarder les filles nues, il doit faire ça comme il faut !

Du doigt, elle lui indiqua qu’il ne devait pas bouger d’un millimètre, puis elle s’empara du téléphone et y déversa un chapelet de paroles en italien. Elle raccrocha violemment.

— Z’aurais eu des gros ennuis si ça s’était ébruité que zé vous apprénais à régarder les imazes cossonnes ! Mama mia ! Qu’est-cé qué les clients auraient pensé !

Des bruits de pas rapides. Quelqu’un arrivait en courant. Une jeune femme de petite taille entra précipitamment. Elle paraissait être au bord de la panique !

Elle avait un petit nez, des dents parfaites, des cheveux de jais et une poitrine ferme qui pointait fièrement. Sa peau était cuivrée. Elle portait des bas, une minuscule chemise de nuit et un peignoir de soie qu’elle avait hâtivement jeté sur ses épaules. Une Polynésienne !

Appétissante !

— De qui s’agît-il ? demanda-t-elle.

— Z’ai surpris cé zeune signore ici en train de régarder les imazes cossonnes sur lé mur. Minette, tu vas tout dé suite sauter dans son lit ! Allez, vite ! Vite !

— Non, non, protesta Heller. Je veux juste jeter un coup d’œil !

— Haha ! fit Minette. Un voyeur.

— Non, non, dit Heller. Il y a des gens sur Manc… dans mon pays natal qui sont exactement comme vous. Je voulais juste regarder si…

— Ah, je vous l’avais dit, madame Sesso. Un voyeur ! Quelqu’un qui prend son pied en matant !

Madame Sesso se dirigea sur Minette avec une expression résolue.

— Dans cé cas, tu vas laisser lé zeune signore régarder !

Et elle tira sur la chemise de nuit de Minette. Le vêtement glissa, découvrant ses seins fermes et altiers. Deux beaux melons dorés !

Minette recula.

— Madame Sesso, vous êtes cruelle ! C’est la morte-saison. Ça fait trois semaines que je n’ai pas eu d’homme ! Mon lit est vide et ça me rend à moitié folle. Toutes les filles parlent de ce garçon. Si je me déshabille, je sais que je vais avoir envie de lui, madame Sesso.

Madame Sesso se rua sur elle, attrapa l’une des épaules du peignoir et tira d’un coup sec. Le peignoir s’envola et atterrit sur le visage d’Heller. Il n’y voyait plus rien.

— Tu vas té déshabiller et tout dé suite ! beugla madame Sesso.

Heller essayait de retirer le peignoir de son visage.

— D’accord ! dit Minette d’une voix stridente. Je vais aller chercher ma jupe tressée et me mettre des fleurs dans les cheveux. Ensuite je ferai mon strip. Mais à une condition : après, il devra me…

L’image sauta brusquement pour être remplacée par des stries ! Et à la place du son, il n’y eut plus qu’un grondement !

Plus d’image, plus rien ! Juste ce grondement !

Quel choc !

Une interférence !

C’était la première fois que j’étais victime d’une interférence avec ce matériel.

Ce fichu engin m’avait lâché !

J’ai vérifié l’alimentation. Oui, tout était en ordre de ce côté-là. J’ai monté le son, mais cela n’a fait qu’augmenter le grondement. On était loin du noir total et du silence quand Heller dormait.

Pendant un moment, je me suis demandé si cela ne venait pas d’une surcharge émotionnelle chez le sujet.

Je me suis trituré la cervelle pour essayer de trouver une explication, j’ai envisagé toutes les hypothèses possibles et imaginables. Finalement, j’ai sorti le manuel d’instructions. Je ne l’avais jamais lu en entier.

Je l’ai feuilleté et, à l’avant-dernière page, je suis tombé sur le paragraphe suivant :

AVERTISSEMENT

Étant donné que ce matériel est utilisé dans un corps à base de carbone et d’oxygène, il sera, bien entendu, extrêmement sensible aux ondes des atomes et des molécules de carbone.

A notre connaissance, il n’y a qu’une chose qui puisse perturber l’onde double venant du sujet : une source émettrice de carbone. On rencontre très rarement ce genre de source, néanmoins il serait bon de prévenir l’espion et de lui dire de se tenir à au moins trente mètres d’une telle source d’énergie s’il en existe sur la planète où il opère.

Comme explication, c’était plutôt mince. Et, bien entendu, il n’était pas question de prévenir Heller, puisqu’il ne savait pas qu’il était sous surveillance.

Le prévenir de quoi, d’ailleurs ?… C’était quoi, une source émettrice de carbone ?… Pour une fois, je regrettais d’avoir passé mon temps à dormir durant les classes de l’Académie. A l’évidence, Heller se trouvait à moins de trente mètres d’une de ces « sources ». Mais était-ce possible sur une planète comme la Terre où l’électronique en était encore à un stade primitif ?

En tout cas, quelle que fût la cause de la panne, j’étais coincé ! J’ai baissé le son. J’ai regardé la bouillie informe sur mon écran. Hagard, désespéré, je me suis affaissé sur mes machines.

Il était minuit, heure locale. Toutes ces journées de stress intense m’avaient épuisé.

Je franchis la porte secrète et pénétrai dans ma chambre à coucher. J’appelai le cuisinier et je lui dis de se lever et de me préparer un bol de soupe bouillante. Après un temps, je réussis à trouver le sommeil.

Je m’éveillai en sursaut. Il faisait toujours nuit et tout était silencieux. Silencieux ?… Oui ! Les grondements de l’écran s’étaient tus dans la pièce d’à côté !

Je me ruai dans ma chambre secrète.

L’image était revenue ! Aussi parfaite que possible !

Heller était assis dans le salon de sa suite et regardait la télé ! Je jetai un coup d’œil à ma montre. Il était environ sept heures du soir à New York. L’heure du journal télévisé.

Comment cela s’était-il terminé avec Minette ?

Avait-elle eu le dernier mot ?

Est-ce qu’Heller l’avait laissée faire son strip-tease avant de l’emmener au lit, comme elle l’avait demandé ?

Impossible de savoir. Impossible de deviner.

Le présentateur du journal avait le type sud-américain. Il n’arrêtait pas de parler de meurtres et d’assassinats. Soudain, il dit :

« Cet après-midi, à la sortie du Lincoln Tunnel, côté New Jersey, les automobilistes new-yorkais ont eu la chance et le plaisir de voir une gigantesque boule de feu s’élever dans le ciel. Aussitôt, d’innombrables personnes ont appelé la compagnie des télécommunications pour demander si la troisième guerre mondiale avait éclaté. (Il émit un petit rire.) Mais elles ont été immédiatement rassurées en apprenant qu’il s’agissait simplement de l’explosion d’un entrepôt de la Société Acme de Peintures Automobiles. On estime que l’entrepôt renfermait plusieurs dizaines de milliers de litres de peinture. La compagnie d’assurances a déclaré que l’explosion était due à un incendie volontaire, car la Société Acme venait de souscrire une police d’une valeur de cent mille dollars. Onze cadavres ont été découverts à proximité de l’entrepôt.

Aucun n’a pu être identifié. (Le présentateur sourit.) Mais c’est ça, la vie dans le New Jersey. »

J’en conclus que c’était sans doute une chaîne new-yorkaise !

Tiens, qu’est-ce que c’était que ça ?… Une ombre ?…Non, une main et un bras, juste devant le visage d’Heller ! Une main qui venait de la gauche d’Heller. Mais il ne la regardait pas.

La main tenait un objet !

Une fourchette !

Quelqu’un lui donnait à manger pendant qu’il regardait la télé !

La main disparut et la voix du présentateur fut couverte par un bruit de mastication.

Il y avait quelqu’un avec Heller ! Minette ?

Est-ce qu’elle avait eu le dernier mot, après tout ?

Le présentateur relatait d’une voix monotone une vague d’attaques à main armée contre des célébrités. La liste était interminable.

Heller tourna légèrement la tête vers la droite. Attendez un peu ! Qu’est-ce que c’était que ça ? Quelque chose de blanc à droite du poste de télévision !

Je finis par discerner ce que c’était : deux paires de pieds ! Deux pieds chaussés de mules et deux pieds nus !

Je distinguai également un murmure qui, jusque-là, m’avait échappé à cause de la télé.

En toute hâte, j’ai repassé l’enregistrement sur mon deuxième écran et j’ai monté le son. Deux voix féminines ! Minette et une autre fille ?

Au milieu du boucan de la télé, j’ai fini par saisir ce que disait l’une des filles. Elle avait l’accent du Middle West.

— … et permets-moi de te dire, ma chérie, qu’il était très, très bon ! Je n’ai jamais eu meilleur…

Puis l’autre fille parla. Sa voix était à peine audible. Était-ce Minette ? J’ai encore monté le son et réglé les graves et les aigus.

— … et, honnêtement, je ne croyais pas que c’était possible d’avoir autant d’orgasmes en une seule…

Elle avait l’accent anglais ! Aucune des deux filles n’était Minette !

Le présentateur donna quelques informations sur les cours de la Bourse avant d’enchaîner :

« Cet après-midi, un porte-parole du ministère des Finances a signalé la disparition d’Oozopopolis, le chef du BAFT pour le New Jersey, et de plusieurs agents du Trésor Public. Il a démenti la rumeur selon laquelle ils auraient détourné d’importantes sommes d’argent, encore qu’il soit de notoriété publique qu’Oozopopolis possédait de nombreux comptes en banque aux Bahamas. Tous les aéroports, de ce côté-ci du fleuve, sont sous surveillance. (Il émit à nouveau un petit rire amusé.) Mais c’est ça, la vie dans le New Jersey, pas vrai, bonnes gens ? »

Heller se pencha en avant et éteignit le poste. Il tourna la tête vers la gauche. Une fille superbe au corps gracieux était assise sur la table basse ! Elle avait la peau jaune clair. Elle était pratiquement nue ! Sur ses épaules, il y avait juste un grand foulard transparent au travers duquel on voyait très nettement ses seins.

Où était passée Minette ?

Et qu’est-ce que cette fille fabriquait là ?

Elle riait et ses jolies dents scintillaient comme des perles.

— Tu peux le croire sur parole, mon chéri. Évite le New Jersey. Viens plutôt te blottir ici.

Et elle fit frémir ses seins avec un mouvement sensuel du buste.

Puis elle plongea une fourchette dans une énorme salade mixte servie dans une coupe de cristal. Elle effleura la bouchée de ses lèvres et, avec une attitude aguicheuse, la présenta à Heller.

— Quand tu auras fini de manger, beau gosse, est-ce que ça te dirait que je te montre comment on fait ça à Harlem ?

Elle se mit à rire. C’était un rire grave, provocant. J’étais au supplice ! Et puis, soudain, ses yeux se mirent à briller.

— En fait, dit-elle, je pense que tu as assez mangé.

Elle posa la fourchette et se leva.

Oui ! A part le foulard, elle ne portait rien !

Elle étendit la main…

L’interférence revint !

J’ai laissé échapper un gémissement et j’ai attendu que l’image revienne.

Elle n’est pas revenue.

Après deux ou trois minutes d’attente, je suis retourné dans ma chambre et je me suis allongé sur mon lit. J’étais dans tous mes états.

C’était plus qu’un homme normalement constitué pouvait endurer !

Après un temps, j’ai réussi à maîtriser mon vertige et les émotions qui m’agitaient.

Une chose était sûre : il y avait une interférence. Une interférence sporadique.

A l’heure qu’il était, Heller avait probablement défait ses bagages et rangé ses affaires dans les innombrables placards et armoires de sa suite. Avec de la patience, beaucoup de patience, je finirais bien par découvrir l’endroit exact où il avait dissimulé la plaque.

J’étais décidé à mener mon plan à bien, quoi qu’il arrive !

4

Mon écran cessa de bourdonner dans la pièce voisine. Mû par une espèce de fascination morbide, je regagnai en chancelant mon poste d’observation.

J’arrivai juste au moment où Heller sortait de l’ascenseur et pénétrait dans le vestibule.

J’ai regardé ma montre. Non, impossible, elle avait dû tomber en panne. Certes, la conversion du temps et les fuseaux horaires n’avaient jamais été mon fort, mais il n’était pas possible que je me trompe à ce point. Ça faisait à peine dix minutes que j’avais vu cette beauté jaune se lever avec une attitude plus qu’engageante. Et voilà qu’Heller se trouvait dans le hall.

Voyons voir. Il lui avait sans doute fallu quelques minutes pour s’habiller et une minute peut-être pour descendre par l’ascenseur…

Hum, disons qu’Heller était drôlement rapide.

On était en début de soirée à New York. Le hall était plutôt bondé – des hommes de toutes les races et de tous les pays et qui portaient, pour la plupart, le traditionnel costume trois pièces occidental. Des hommes à l’allure prospère et bon enfant qui venaient de régions désertiques, de villages sur pilotis ou de contrées montagneuses, et qui étaient à New York pour prendre du bon temps. Bref, la faune habituelle de diplomates des Nations unies. Plusieurs d’entre eux étaient amassés devant le comptoir de la réception pour prendre rendez-vous avec telle ou telle fille. D’autres étaient assis à l’écart et attendaient qu’on appelle leur numéro. Certains faisaient les cent pas, sans doute histoire de se stimuler les glandes.

Soudain je compris : Heller était descendu pour s’acquitter de son job d’« épouvantail ». Je vis dans une glace qu’il n’avait pas encore ses nouveaux habits et qu’il portait son costume bleu. Au moins, il avait eu le bon goût de ne pas coiffer sa casquette de base-ball rouge. Mais lorsqu’il se mit à marcher sur les dalles du hall, je sus qu’il portait toujours ses maudites chaussures à pointes.

Il s’assit dans un fauteuil d’où il pouvait voir à la fois l’entrée du Gracious Palms et la porte du bureau de Vantagio. L’instant d’après, un domestique franchit le seuil. Il portait une pile de journaux et de magazines. Il se dirigea droit sur Heller et lui remit la pile. Heller lui donna un billet de vingt dollars et agita la main pour lui signifier qu’il pouvait garder la monnaie.

Hé ! Attendez un peu ! Heller avait dû commander les journaux depuis sa suite ! Donc, si on soustrayait le temps que ça lui avait pris des dix minutes qui s’étaient écoulées… Que diable s’était-il réellement passé avec cette superbe fille à peau jaune ?

Heller se mit à lire, tout en jetant un coup d’œil de temps à autre sur l’entrée et sur la porte du bureau de Vantagio. Aha ! J’allais pouvoir me faire une idée de ses plans en analysant ce qu’il lisait.

Des revues de courses automobiles !

Il les feuilleta rapidement, mais je le connaissais bien : en réalité, il lisait chaque page. Sournois, va… Par bonheur, j’avais eu le temps de me familiariser avec ses habitudes. Quand quelque chose l’intéressait vraiment, il s’arrêtait de feuilleter, regardait fixement la page et se mettait à réfléchir.

Il s’arrêta de feuilleter.

Sur la page, il y avait une photo d’une vieille Pontiac et un article intitulé : Du trou noir à la gloire.

Mais oui, bien sûr ! Heller, le fou de vitesse. Heller, l’obsédé du chrono. Heller, un cas flagrant de velocis dementia à son stade le plus avancé !

Mais attendez une seconde… Ses yeux étaient rivés sur un chiffre qui apparaissait dans la dernière phrase de l’article :

Nous avons réussi à financer toute la saison de stock-cars avec 225 000 malheureux dollars ET à payer toutes les factures. Un exploit exceptionnel s’il en est !

Son regard revenait sans cesse sur ces « 225 000 malheureux dollars ».

Pendant un instant, il observa la foule des délégués. Une toute petite foule puisque l’ONU ne siégeait pas. L’un des gardes en smoking s’approcha discrètement d’Heller et, du coin de la bouche, murmura :

— Fais gaffe au délégué en second du Maysabongo. Il vient d’arriver. C’est celui avec la cape et le haut-de-forme. Dans sa manche, il cache un kriss. La lame fait au moins cinquante centimètres de long. De temps en temps, il perd la boule.

Le garde s’éloigna.

Heller bâilla – un signe évident de tension. Il ouvrit le Wall Street Journal et se mit à le feuilleter. Il s’arrêta à la page des petites annonces immobilières et se mit à lire attentivement les annonces pour les propriétés « extramuros », c’est-à-dire celles qui se trouvent tout à fait à l’extérieur de New York et de sa banlieue. Il y avait des propriétés à vendre dans le Buckinghamshire, en Pennsylvanie, dans le Vermont et dans différents comtés du Connecticut. Des maisons de campagne idéales pour cadres supérieurs. L’une des propriétés retint son attention.

QUE DIRIEZ-VOUS DE POSSÉDER VOTRE DOMAINE FÉODAL ?

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Ses yeux restèrent fixés quelques instants sur « 300 000 dollars ».

Ensuite il étudia les différents marchés, avec les prévisions pour la journée et leurs interminables colonnes de chiffres. Puis il passa aux cours de la Bourse et à leur fatras d’abréviations incompréhensibles.

La porte du bureau de Vantagio s’ouvrit. Le petit Italien sortit avec un géant basané qui portait un turban. Ils étaient en pleine discussion. J’ai monté le son en toute hâte.

Ils parlaient en anglais. L’homme au turban remerciait Vantagio d’avoir rectifié la note. Il tourna la tête et aperçut Heller.

— Tiens, une nouvelle tête, remarqua-t-il.

— Oh, vous voulez parler du jeune garçon, dit Vantagio. Que ça reste entre nous. Son père est un personnage très important. Un musulman. Il a épousé une actrice américaine. C’est leur fils. Il va à l’université et son père a tenu à ce qu’il habite ici. Nous ne pouvions pas dire non. Il y aurait eu d’interminables répercussions diplomatiques si nous avions refusé.

— Je puis vous apporter quelques éclaircissements sur ce point. Il vous faut comprendre la religion musulmane. (Il se mit à parler sur un ton professoral.) Voyez-vous, au Moyen-Orient, la tradition veut que les enfants, et tout particulièrement les enfants mâles, soient élevés dans un harem. Cette maison close est probablement ce que son père a trouvé de plus approchant d’un harem aux États-Unis. Rien de plus naturel, vraiment.

— Eh bien, merci d’avoir éclairci ce petit mystère, dit Vantagio, qui n’était pas docteur ès sciences politiques pour rien.

— Je vais aller le saluer dans sa langue natale. Comme ça il ne se sentira pas trop dépaysé.

Et il marcha droit sur Heller ! Il s’arrêta devant lui et le grafitia du traditionnel salut arabe – une série complexe de gestes de la main. Ensuite il dit quelque chose qui ressemblait à « Aliekoum sala’am » et se lança dans un long discours. En arabe !

Misère ! Heller ne parlait pas arabe !

Il se leva et, avec des manières parfaites, reproduisit très exactement la référence et les gestes de l’homme au turban. Puis il dit :

— Je suis sincèrement désolé, mais je n’ai pas le droit de parler ma langue maternelle pendant mon séjour aux États-Unis. Mais je vais très bien et je vous souhaite de passer une excellente soirée.

Tous deux s’inclinèrent.

Le géant enturbanné retourna auprès de Vantagio.

— Un jeune homme très bien éduqué. Je vous l’avais bien dit qu’il avait été élevé dans un harem. Ça s’entend à son accent. Mais je garderai votre secret, Vantagio. Surtout qu’il s’agit du fils de l’Aga Khan.

Il prit congé de Vantagio et alla rejoindre un petit groupe de diplomates près de l’entrée. Aussitôt il leur parla à voix basse et les regards convergèrent furtivement vers Heller. Pas de doute, le secret était bien gardé. Par tout le monde.

Une demi-heure s’écoula pendant laquelle Heller finit sa pile de journaux. Puis il resta assis là, immobile, silencieux. Brusquement, le délégué en second du Maysabongo émergea de l’ascenseur et s’élança vers la réception.

— Où est ce pourceau de Tringlimo ?

Le réceptionniste regarda autour de lui d’un air inquiet. Aucun des gardes ne se trouvait dans le hall.

— J’exige que vous me le disiez ! gronda le délégué. Je l’exige expressément !

Il avait attrapé le réceptionniste par le col.

Heller se leva. L’imbécile. On venait pourtant de lui dire que le gars dissimulait un kriss dans sa manche. Les kriss, avec leur lame ondulée en forme de flamme, sont les poignards les plus meurtriers du monde ! Et moi qui n’avais toujours pas récupéré cette maudite plaque !

— Catina n’est pas là ! rugit le délégué en second. Elle est avec Tringlimo ! Je le sais !

La porte de l’ascenseur s’ouvrit et un homme mince vêtu d’un costume trois pièces et tenant un parapluie en sortit.

— Tringlimo ! hurla l’autre. Ennemi du peuple ! Belliciste, capitaliste ! Mort à l’agresseur !

Et il se rua à travers le hall. Le réceptionniste appuyait frénétiquement sur ses bourdonneurs. Tringlimo battit en retraite et essaya de regagner l’ascenseur.

D’un petit geste sec, le représentant du Maysabongo fit jaillir le kriss dans sa paume. La lame d’acier faisait au moins cinquante centimètres !

Il abattit l’arme. La lame fendit l’air en sifflant !

Et fit une entaille dans le gilet de Tringlimo !

Il leva son poignard pour frapper à nouveau.

Soudain Heller fut devant lui !

La lame siffla pour la deuxième fois.

Heller lui saisit le poignet !

Et lui enfonça son pouce dans le dos de la main. L’arme tomba.

Heller la rattrapa par le manche avant qu’elle touche le sol.

Deux gardes arrivèrent. Il leur fit signe de s’éloigner, puis il poussa amicalement Tringlimo et le délégué du Maysabongo dans l’ascenseur.

— Quel est le numéro de la chambre de Catina ? demanda-t-il en posant la main gauche sur les boutons d’étage.

Les deux hommes le regardèrent fixement. Il s’amusait à faire sauter le kriss dans sa paume.

— Allez, allez, dit-il. Dites-moi au moins à quel étage. Comme ça nous pourrons la trouver.

— Qu’est-ce que vous avez l’intention de faire ? interrogea le délégué du Maysabongo.

— Eh bien, elle a incommodé deux hommes importants. Il va falloir la tuer, bien sûr.

Et il fit de nouveau sauter le poignard dans sa paume.

— Non ! cria Tringlimo. Pas Catina !

— NON ! hurla le délégué. Pas ma Catina adorée !

— Le règlement de la maison est très strict sur ce point, dit Heller. Vous alliez vous tuer à cause d’elle. Nous ne tolérons pas ce genre de chose !

— Je vous en prie, gémit Tringlimo.

— Je vous en prie, épargnez-la, supplia l’autre.

— J’ai bien peur qu’il n’y ait pas d’autre solution.

— Oh, mais si ! Il y a une solution ! s’écria le délégué d’un air triomphant. Tenons une conférence !

— Exact ! fit Tringlimo. C’est la solution correcte en cas de conflit international !

Et tous deux s’assirent, face à face, sur les banquettes de l’ascenseur.

Heller appuya sur le bouton « hors service » et sortit.

L’un des gardes italiens vint à sa rencontre.

— Merci, môme. Tu manies le couteau comme un chef. Mais tu devrais m’écouter quand je te donne un conseil. Ils ont l’immunité diplomatique, tu sais, et on peut pas les arrêter pour quoi que ce soit, quels que soient les crimes qu’ils commettent. Par contre, on peut appréhender les Américains respectueux des lois, autrement dit des gars comme toi et moi. C’est pour ça que nous nous barrons quand l’autre fou se pointe. Mais bon, peut-être qu’il va se tenir tranquille maintenant.

Vantagio sortit de son bureau et Heller lui remit le kriss.

Les deux ex-ennemis émergèrent de l’ascenseur.

— Nous sommes parvenus à un accord, annonça Tringlimo. Occupation bilatérale du territoire.

— Oui, confirma le délégué du Maysabongo. J’aurai Catina le lundi, le mercredi et le vendredi et lui l’aura le mardi, le jeudi et le samedi.

— Le dimanche nous devons rester avec nos femmes, ajouta Tringlimo.

— Vantagio, est-ce que nous pourrions vous emprunter votre bureau pour ratifier et signer le traité ?

Heller les suivit du regard jusqu’à ce qu’ils eussent disparu à l’intérieur du bureau.

Il bâilla.

Il alla prendre ses journaux, monta dans l’ascenseur et se rendit au dernier étage.

Il remontait le couloir qui menait à sa suite quand une porte s’ouvrit. Une jeune femme s’élança au-dehors et lui courut après. Elle portait un peignoir de soie. Mais elle ne l’avait pas fermé et il flottait autour d’elle, dévoilant tout. C’était une brune – d’une beauté à vous couper le souffle !

— Ah, te voilà enfin, beau gosse. L’endroit est plutôt mort ce soir. Quelques-unes des filles disent que tu as quelque chose de tout nouveau, quelque chose de mignon tout plein. (Elle le regarda avec une expression aguicheuse et lui caressa le bras.) S’il te plaît. Oh, s’il te plaît, est-ce que je peux venir avec toi pour te…

Il y eut un éclair et l’image disparut brusquement. L’écran se mit à vrombir. L’interférence était revenue.

Mais il n’y avait pas que cela qui me préoccupait. Heller semblait porter beaucoup d’intérêt à son passe-temps préféré – la vitesse. Et il cherchait un endroit tranquille à la campagne. En réfléchissant un peu, peut-être pourrais-je assembler les pièces de ce puzzle.

Mais j’eus beau me triturer les méninges jusqu’au petit matin, je ne parvins pas à me figurer comment on pouvait piloter une voiture de course dans un terrain planté d’arbres. Ni pourquoi on ferait une telle chose.

5

Il était trois heures de l’après-midi en Turquie quand je me suis réveillé. Abruti de sommeil et sans vraiment réfléchir à ce que je faisais, j’ai gagné mon bureau secret et, comme un imbécile, j’ai jeté un coup d’œil à l’écran.

J’ai failli m’évanouir !

Je regardais dans le vide d’une hauteur de vingt étages !

Je crus que j’allais tomber !

Tout en bas, dans la rue, les gens étaient des points minuscules. Quant aux voitures, on aurait dit des modèles réduits !

Mes nerfs avaient été mis à rude épreuve dernièrement. Le choc que je venais de subir m’acheva. Je décollai mon regard de l’écran et je m’effondrai sur une chaise. Après un moment, je réussis à maîtriser ma nausée et je risquai un autre coup d’œil.

Que Diables fabriquait-il ?

Il était perché sur le dôme qui couronnait le Gracious Palms. Cinq mètres plus bas, sur la surface plane du toit d’asphalte, une prostituée vêtue d’un survêtement vert était occupée à tendre un filin qui partait du dôme.

Il posait une antenne de télévision ! Sur la boîte qu’il tenait en équilibre sur ses genoux, je lus :

ANTENNE TV TÉLÉCOMMANDÉE ENTIÈREMENT AUTOMATIQUE AVEC AMPLIFICATEUR DE SIGNAL – A MONTER SOI-MÊME. PRATIQUE ET GÉNIAL, C’EST UN PRODUIT «JIM»

Il avait fixé le pied de l’antenne sur la calotte bétonnée du dôme et installait l’amplificateur. Il regarda autour de lui. Sur les toits alentour, il y avait des systèmes similaires. Il avait dû commander le sien la veille.

Ho, ho ! Donc il n’était pas le seul à avoir des problèmes de signal ! Oui, mais attendez un peu ! Cela signifiait que sa télé avait été en panne pendant les heures où mon appareillage avait cessé de fonctionner. Conclusion : les filles n’étaient pas venues dans sa chambre pour regarder la télé !

Il acheva de monter l’amplificateur et, la boîte sous un bras, il entama sa descente le long du filin.

Je le tenais. Transgression du Code ! C’était un filin de sécurité de spatial ! Il avait du matériel voltarien dans ses valises !

Tout en descendant, il fixait le câble de l’antenne à la pierre au moyen d’une agrafeuse.

Il posa les pieds sur le toit et se tourna vers la fille. Imaginez un peu : une prostituée new-yorkaise tenant un filin de sécurité fabriqué dans la Cité Industrielle, planète Voltar ! J’ai observé la scène avec avidité, tel un oiseau de proie. Est-ce qu’elle s’était aperçue de quelque chose ? Tout en dépendait ! Si elle remarquait quoi que ce soit, je pouvais ordonner à Heller de revenir et l’envoyer devant une cour martiale !

— Tiens, voilà ta corde à linge, mon chou, dit-elle. Qu’est-ce que je fais maintenant ?

Il prit le filin, lui donna une petite secousse pour le détacher du dôme et l’enroula autour de son poignet à mesure qu’il tombait – un de ces gestes de frimeur dont sont coutumiers les spatiaux. Je n’ai jamais réussi à comprendre comment ils font.

— Tu vas débobiner ce câble, Martha, répondit-il. Jusqu’à l’extrémité du toit, là-bas. Je vais le fixer derrière toi.

— Très bien, mon trésor, roucoula-t-elle.

Elle passa une tige au centre de la bobine et se mit à dérouler, avec Heller sur ses talons qui agrafait le câble le long du parapet.

C’est alors que je pris conscience d’un autre fait. Heller devait savoir d’où l’interférence provenait. Le toit sur lequel il posait le câble faisait plus de cent mètres de long, c’est-à-dire deux fois la largeur de l’immeuble. Et l’antenne qu’il avait installée se trouvait obligatoirement à l’extérieur de la zone d’interférence. A partir de ces éléments, je tentai aussitôt de calculer où se situait l’interférence, car non seulement j’étais curieux de savoir ce qu’il fabriquait réellement dans sa suite, mais il fallait aussi que je découvre la cachette de la plaque. Je m’embrouillai dans mes calculs et laissai tomber.

La fille arriva au bout du toit.

— Qu’est-ce que je fais maintenant, mon joli ?

— Tu vas aller dans ma chambre ouvrir la porte-fenêtre, sortir sur le balcon et me tenir à nouveau le filin de sécurité.

Elle partit en courant. Heller attacha le filin à la bobine et le fila jusqu’au balcon, quelques mètres plus bas. La fille apparut sur le balcon et attrapa la bobine.

Heller fixa solidement le filin au parapet, l’enfourcha…

Je détournai la tête. Ce type me rendait dingue ! Il était complètement inconscient. Ça ne lui faisait ni chaud ni froid de se promener dans le vide et de risquer sa peau. Je l’entendis poser les agrafes dans la pierre tandis qu’il descendait, mais je refusais de regarder. Je savais que je verrais des gens et des véhicules microscopiques, TOUT EN BAS !

Brusquement je reconnus le son familier d’une perceuse désintégratrice. Je risquai un regard. Il était sur le balcon et avait détaché le filin du parapet. Il était occupé à percer un trou dans le mur pour y faire passer le câble. Avec une perceuse désintégratrice voltarienne !

J’ai guetté très attentivement la réaction de la fille. Elle avait devant les yeux un petit gadget pas plus grand que la paume, sans foret, et qui faisait dans la paroi un petit trou de la dimension exacte. Pas d’étincelles, pas d’éclats de pierre. Un véritable miracle technologique sur une planète comme celle-ci. Tout ce que la fille avait à dire, c’était : « Hé, mec, c’est quoi ce bidule qui mange la pierre ? », et je tenais Heller ! Mais elle dit :

— Je vais appeler la cuisine pour qu’ils te servent un breakfast, mon chou.

Elle disparut dans le salon. J’étais effondré.

Heller la suivit. Il brancha le câble d’antenne au poste de télévision qu’il alluma et il joua pendant quelques instants avec la télécommande afin de faire pivoter l’antenne sur le toit et régler l’image.

— Hé ! s’écria la fille ! L’image est géniale ! On a réussi !… Le petit déjeuner arrive dans une minute.

Heller entreprit de ranger le filin et la perceuse dans sa mallette à outils. Aha ! Comme je n’avais pas d’interférence, j’allais savoir où il cachait son matériel. Car, bien entendu, il était obligé de le dissimuler pour ne pas violer le Code.

Il referma la mallette. Sur le dessus, en lettres énormes, on pouvait lire :

JETTERO HELLER CORPS DES INGÉNIEURS DE COMBAT DE LA FLOTTE

Bon, c’était imprimé en lettres voltariennes, mais ça voulait bien dire ce que ça voulait dire !

Il jeta la mallette sur le canapé et elle atterrit face en l’air !

Il se rendit dans la salle de bains, ôta ses chaussures de base-ball, son survêtement, et entra dans la douche à massage.

Il tourna le robinet et un puissant jet d’eau fouetta son corps avec un fracas assourdissant. Néanmoins, je perçus un autre bruit dans la salle de bains : quelqu’un qui faisait claquer les portes des placards.

Tout ce que la dénommée Martha avait à faire, c’était de remarquer l’inscription sur la mallette et de dire : « Hé ! C’est quoi, ces lettres bizarres ? On dirait que ça ne vient pas de cette planète », et Heller était bon pour le peloton d’exécution !

La porte de la douche s’ouvrit. Une main apparut, tenant un morceau de savon. Puis un bras… Martha ! Elle ne portait plus son survêtement. Elle dit :

— Laisse-moi te laver le dos, chéri, avant que nous ne…

L’interférence revint !

J’émis un long chapelet de jurons. Sur l’écran, il n’y avait plus que des stries et des éclairs et, à la place du son, on n’entendait plus qu’un vrombissement infernal. Comment allais-je pouvoir découvrir où il cachait ses affaires ? Si ça continuait comme ça, jamais je ne mettrais la main sur cette satanée plaque et jamais je ne réussirais à coincer Heller. Les minutes passèrent, interminables.

Une demi-heure s’était écoulée lorsque, brusquement, l’image revint !

Heller était assis sur le divan, sirotant une tasse de café. Il était seul. Quelqu’un frappa à la porte.

Une armée de tailleurs déferla dans la pièce !

Ils se mirent aussitôt à sortir des échantillons d’étoffes fines, de soies, d’angora, de tweed, de laine, de coton, et les firent défiler sous le nez d’Heller.

Leur boss obtint la permission de s’asseoir à côté d’Heller. Il constata qu’il avait posé son derrière sur quelque chose, se leva et ramena devant lui la mallette à outils. Tout ce qu’il avait à faire, c’était d’examiner l’inscription et de sortir quelques-uns des outils, et il saurait immédiatement qu’il s’adressait à un extraterrestre !

— Mon jeune monsieur, commença-t-il sans préambule, nous vous avons apporté un costume jetable afin que vous ayez quelque chose à mettre aujourd’hui. Mais il va falloir vous choisir une garde-robe complète pour l’université et pour votre vie mondaine. Maintenant, il se trouve que la mode, cet automne, sera très légèrement débraillée. Élégante mais débraillée. Dans ce catalogue d’Ives Saint-Gilles, vous pouvez voir que le col…

C’était écœurant. Qu’est-ce qu’on en avait à faire de tous ces styles et de la largeur de pantalon actuellement à la mode ? Néanmoins je vis une gabardine qui me plaisait bien, avec des épaulettes et une poche revolver. Elle ressemblait beaucoup à celle que portait Humphrey Bogart dans ses films. Mais tout le reste… Pouah !

Soudain, je compris pourquoi tout ce cirque m’horripilait. Ce n’était pas à cause des modèles présentés. C’était à cause du tailleur. Un pédé. S’il y a une chose que je ne supporte pas, ce sont les pédés !

— Auriez-vous l’amabilité de vous lever, jeune homme ?

Il s’accroupit devant Heller et entreprit de lui mesurer les jambes. Il paraissait avoir des problèmes avec son ruban, car il n’arrêtait pas de le tendre et de le retendre.

— Hihi, gloussa-t-il. Vous êtes vraiment bien bâti !

— Qu’est-ce qu’il y a ? fit Heller. J’ai les hanches trop étroites ?

— Oh, non, mon jeune monsieur. Ce n’était pas des hanches que je parlais.

L’interférence réapparut !

C’en était trop !

Je me levai. On me persécutait, on m’en voulait personnellement. Puis je réalisai que ce n’était rien à côté de ce qui m’attendait si je ne récupérais pas cette maudite plaque.

Quelqu’un frappa à la porte du tunnel. Je m’y rendis sans attendre et vis que quelqu’un venait de glisser dans la fente un nouveau message de Raht et Terb. Je le saisis et lus :

Nous surveillons l’océan nuit et jour, au cas où il referait surface.

Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase !

Je me ruai hors de la maison et me mis à faire les cent pas dans le jardin. J’étais dans tous mes états.

Et ce (bip) de canari qui me cassait les oreilles ! Qui sifflait et pépiait gaiement dans son arbre ! Il faisait partie du complot !

Je rentrai et pris un fusil à douze coups que je chargeai. Je ressortis et aperçus une petite tache jaune sur un rameau.

J’épaulai et vidai le chargeur !

Les détonations furent assourdissantes.

Dans le tronc de l’arbre, il y avait à présent un trou gigantesque.

Une plume flotta lentement jusqu’au sol dans le profond silence.

Je me sentais beaucoup, beaucoup mieux.

Une voiture de patrouille déboula dans un crissement de pneus. Je me mis à rire et lui fis signe de s’en aller.

— Oui, je me sentais nettement mieux. J’étais enfin capable de réfléchir. Je m’assis sur un banc.

Qu’est-ce que j’avais appris aujourd’hui ? Pas grand-chose. Ah, si ! J’avais appris quelque chose de vital. La fille n’avait pas remarqué qu’elle tenait entre les mains un filin de sécurité voltarien. Ensuite, le tailleur s’était assis sur une mallette à outils avec une inscription en voltarien et il l’avait simplement posée de côté. Les gens de l’entourage d’Heller n’avaient aucun sens de l’observation ! Peut-être en serait-il autrement lorsqu’il irait à l’université. Mais, pour le moment, il était indéniable que personne, au Gracious Palms, ne remarquerait jamais quoi que ce soit !

Je rentrai, m’assis à mon bureau et rédigeai un message féroce à l’intention de notre bureau new-yorkais :

Raht et Terb sont quelque part à New York. Trouvez-les et dites-leur de rappliquer au bureau. Si cet ordre n’est pas exécuté sur-le-champ, c’est tout le personnel du bureau qui le sera.

Sultan Bey.

Lorsqu’ils se présenteraient au bureau new-yorkais, je leur transmettrais l’ordre de se procurer les plans complets du Gracious Palms et de trouver le moyen de s’y introduire.

Je serais alors en mesure de régler le problème une fois pour toutes. Et d’échapper à la dépression nerveuse qui menaçait de me terrasser.

J’ai appelé un messager afin qu’il fasse immédiatement parvenir mon ordre. Puis je suis allé me chercher un pichet de sira avant de regagner ma pièce secrète.

Je me suis installé devant le visionneur. L’interférence avait cessé.

Heller était dans l’ascenseur.

6

Je vis dans l’une des glaces de l’ascenseur qu’il avait mis son nouveau costume « jetable ». C’était un ensemble d’été bleu ciel qui, pour une fois, lui allait, mais dont les poches, bourrées à craquer, semblaient sur le point d’éclater. Il portait une chemise bleue avec un col large qui recouvrait en partie les revers de son veston. C’était sans doute le « look débraillé ». Ainsi vêtu, Heller faisait vraiment très, très jeune. Cependant l’effet qu’avait voulu créer le tailleur était complètement gâché par la sempiternelle casquette de base-ball rouge dont Heller avait cru bon de s’affubler. Et lorsqu’il traversa le hall, je pus entendre qu’il portait toujours ses chaussures à pointes ! Il était peut-être bien mis de sa personne et certains le trouvaient sans doute très beau garçon, mais il était toujours aussi nul en espionnage ! Un espion, ça doit se fondre dans le paysage. Je savais pourquoi il portait sa casquette de base-ball : il estimait qu’il travaillait. Quant aux souliers à pointes, c’était juste parce qu’il n’avait pas trouvé de chaussures qui lui allaient. Quel idiot !

Mais je pouvais me permettre de faire preuve d’une certaine indulgence à son égard. C’était un homme condamné.

Il se rendit aux coffres-forts et s’arrêta devant le sien. Ce coup-ci, je pus noter la combinaison.

Il étala les billets à l’intérieur du coffre.

L’endroit était silencieux. Soudain, je perçus des voix. Je montai le son. Une conversation téléphonique en italien ! On utilisait un téléphone muni d’un haut-parleur car j’entendais les deux interlocuteurs.

— … ce n’était pas une raison pour le laisser faire la grasse matinée.

La voix de Babe Corleone !

— Mais Babe, les filles n’y étaient pour rien. (Je reconnus la voix de Vantagio.) Ces deux huiles de l’ONU dépensent la moitié de leur budget diplomatique ici. Il a bien fait de les empêcher de s’entre-tuer.

— Vantagio, est-ce que tu insinuerais que je n’apprécie pas ce qu’il a fait ?

— Non, non, mia capa !

— Vantagio, est-ce que tu essaierais de te mettre en travers de la carrière de ce garçon ?

Heller comptait son argent, billet par billet. Il paraissait douter de l’authenticité de certaines coupures.

Apparemment, la dernière remarque de Babe avait laissé Vantagio sans voix.

— Oh, mia capa, hoqueta-t-il après quelques secondes, comment pouvez-vous dire une chose pareille ?

— Tu sais parfaitement que l’éducation, c’est important. Tu es jaloux. Dis-moi, tu veux qu’il finisse comme certains minables que tu connais bien ?

— Mais non ! gémit Vantagio.

— Alors voudrais-tu avoir l’amabilité d’éclairer ma lanterne. Je t’écouterai. Je n’élèverai pas la voix. Je t’écouterai avec patience. Avant-hier, je lis dans le journal que les inscriptions à l’Université d’Empire démarrent le lendemain, et quand je te demande aujourd’hui, patiemment, tranquillement, pourquoi le garçon n’est pas allé s’inscrire, tout ce que tu trouves à me répondre, c’est : « Il a fait la grasse matinée. »

— Mia capa… commença Vantagio.

— Tu sais aussi bien que moi, et ce n’est pas le Bon Dieu qui nous contredira, que les garçons détestent l’école. Tu sais très bien qu’il faut les mener à la baguette, qu’il faut leur botter les fesses. Prends mes frères, par exemple – Dieu ait leur âme. Eh bien, il fallait tout le temps leur taper dessus, donc je sais de quoi je parle.

— Mia capa, je vous jure que…

— Laisse-moi parler et réponds à cette simple question, Vantagio : pourquoi n’as-tu pas affirmé ton autorité ? Pourquoi n’as-tu pas fait en sorte que ce garçon t’obéisse ? Non, inutile de discuter. Appelle-moi dans trente minutes exactement pour me dire qu’il s’est inscrit à l’université.

Il y eut un « clic » très sec. Babe avait raccroché.

Heller avait finalement conclu que les billets représentant Benjamin Franklin n’étaient pas des contrefaçons. Il disposa l’argent en piles égales. La somme qu’il avait comptée ne semblait pas le satisfaire car il secouait la tête.

Il fourra quinze mille dollars dans sa poche déjà passablement gonflée, ferma le coffre et se dirigea vers la sortie. La voix de Vantagio l’arrêta.

— Je peux te voir une minute, môme ?

Le petit Italien se tenait sur le seuil de son bureau. Heller le rejoignit. Vantagio avait l’air soucieux, déprimé. Il désigna un siège. Mais, comme tous les Italiens, il n’alla pas droit au but. Ils trouvent ça impoli.

— Alors, môme, comment tu t’entends avec les filles ?

Il avait parlé d’une voix morne.

— Oh, on n’a pas besoin de sortir d’une grande école pour savoir s’y prendre avec les femmes, répondit Heller en riant.

— Tu ne dirais pas ça si tu avais mon job.

Ha, ha ! Là, je tenais quelque chose. Vantagio était jaloux. Il avait peur qu’Heller l’évincé et prenne sa place !

— Cette entrevue tombe à pic, dit Heller. Vous êtes sans doute très bien placé pour me donner quelques conseils.

Aussitôt, Vantagio fut sur ses gardes.

— A propos de quoi ? fit-il.

Pas de doute, quelque chose le rongeait.

— Eh bien, j’ai pas mal d’argent, mais je crois qu’il va m’en falloir beaucoup plus.

— Pour quoi faire ?

— Il faut que je m’occupe de cette planète.

— Tu veux conquérir la planète entière ?… Écoute, môme, tu n’y arriveras jamais sans diplômes.

— C’est très, très vrai. Mais je vais aussi avoir besoin d’argent. Aussi je voulais vous demander où je peux trouver des maisons de jeux dans le coin.

— Tu veux jouer ? explosa Vantagio. Mais tu es complètement dingue ! C’est nous qui contrôlons la loterie dans la région et je peux te dire que tu y laisserais ta chemise ! Elle est truquée !

Ho, ho… Vantagio était belliqueux. Était-ce de la jalousie ?

— Bon, très bien, dit Heller. Dans ce cas… (Il sortit la dernière édition du Wall Street Journal et l’ouvrit à la page des prévisions économiques.)… Je suppose qu’on achète et qu’on vend chaque jour ces denrées et ces matières premières selon qu’elles chutent ou qu’elles grimpent.

Vantagio eut un geste de mépris.

— C’est la meilleure façon de perdre de gigantesques sommes d’argent, môme, répliqua-t-il d’un air maussade.

C’est à cet instant précis que je pris conscience que j’avais peut-être un allié de choix en la personne de Vantagio. De toute évidence, il manifestait de l’animosité à l’égard d’Heller. Oui, mais pourquoi ? Je me mis à réfléchir à la question.

Heller avait tourné la page.

— Et ça ? demanda-t-il. Apparemment ces valeurs changent tous les jours.

— C’est le marché des actions ! La meilleure façon de faire faillite !

— Oui, mais comment fait-on pour les acheter et les revendre ?

— On passe par un courtier. Un agent de change.

— Vous pourriez m’en recommander un ?

— Ce sont tous des escrocs.

Visiblement, il cherchait à décourager Heller. Il était sur les nerfs.

J’étais de plus en plus convaincu qu’il y avait quelque chose ici – quelque chose qui me permettrait d’en faire un allié.

— Vous en connaissez un ?

— Tu n’as qu’à regarder dans les pages jaunes de l’annuaire. Je n’ai aucune envie de me lancer dans ce genre de combine. Et toi non plus, d’ailleurs. Écoute, môme, tu m’avais dit que tu allais t’inscrire à l’université.

— En effet. Personne ne vous écoute si vous n’avez pas de diplômes.

— Exactement, lâcha Vantagio, toujours aussi agité. Et c’est pour ça que je t’ai appelé, môme. Tu sais quel jour on est ? (Heller fit non de la tête.) On en est déjà au deuxième jour de la semaine d’inscription à l’Université d’Empire. Tu as tes papiers ?

— Je les ai sur moi, répondit Heller en tapotant sa poche. Mais puisque j’ai toute une semaine pour…

— Tais-toi ! coupa Vantagio.

Il ouvrit un tiroir et en sortit une brochure intitulée Programme du Premier Trimestre de l’Université d’Empire. Sur la couverture, il y avait une étiquette avec un nom : Geovani Meretrici. Tiens, je croyais qu’il se prénommait Vantagio.

— C’est quoi, ta matière principale ?

— Je suppose que c’est l’ingénierie.

— Quel genre ?

— Passez-moi cette brochure, comme ça je l’étudierai et, dans deux ou trois jours, je vous…

— Ingénierie aérospatiale ? Bio-ingénierie ? l’interrompit Vantagio en lisant à voix haute les matières données dans la brochure. (Il était vraiment en colère, à présent. Oui, mais pourquoi ?) Ponts et chaussées ? Ingénierie mécanique ? Électro-ingénierie ? Ingénierie tout court ?

— Ingénierie nucléaire. C’est ce qui se rapproche le plus de ma spécialité. Mais…

— Pour cette matière, il y a une licence, une agrégation, un doctorat et d’autres titres. Adjugé, donc ! Ingénierie nucléaire !… Hé, ça jette !

— Oui, mais j’aimerais jeter un coup d’œil à cette broch…

— Bon, maintenant que nous avons réglé ce problème, regarde ! Ici, il y a un plan de l’université. Là, tu as la bibliothèque et tout ça. Là, c’est le bâtiment d’administration et ça, ici, c’est l’entrée. Et voilà un plan du métro. Tu vas jusqu’à cette station, ici, près de chez nous, et tu prends la ligne qui traverse la ville. Ensuite tu changes à Times Square et tu prends la ligne numéro 1. Tu descends à la 116e Rue et tu vas à pied jusqu’à l’université. Tu entres, tu te rends directement au bâtiment d’administration et tu t’inscris. Pigé ?

— Heu, oui. Et je vous suis reconnaissant de me donner tous ces tuyaux. Mais puisque j’ai toute une semaine pour…

La voix d’Heller mourut : il venait de remarquer que Vantagio le dévisageait d’un air bizarre.

— Môme, reprit le petit Italien, tu as déjà vécu à New York ?

— Non.

Vantagio prit une mine de conspirateur et poursuivit :

— Donc tu ne connais pas les coutumes de cette ville. Maintenant, écoute-moi bien, môme. Quand on est en territoire étranger, ça peut être fatal de ne pas suivre les coutumes.

— C’est vrai.

— Or, il se trouve que nous avons une tradition que nous sommes obligés de suivre quand nous sauvons la vie d’un homme. C’est une vieille coutume qui nous vient des Indiens d’Amérique et les lois indiennes sont restées en vigueur – pour des histoires de souveraineté. Est-ce que tu savais que lorsque tu sauves la vie d’un homme, il est responsable de toi pour toujours ?

Je sursautai ! Vantagio était en train d’énoncer une coutume chinoise. Et, en plus, il la citait à l’envers ! L’Appareil avait découvert que, lorsque vous sauviez la vie de quelqu’un dans l’ancienne Chine, c’était vous qui étiez responsable de lui pour toujours. C’est pourquoi nous disions à nos agents de ne jamais sauver la vie de qui que ce soit en Chine ! Vantagio avait accommodé cette tradition à sa sauce ! Il savait pertinemment qu’il mentait !

— Vous êtes sûr ? demanda Heller.

Le petit Sicilien le regarda d’un air supérieur et suffisant, et répondit :

— Évidemment. Après tout, je suis docteur ès sciences politiques, pas vrai ?

— C’est vrai, fit Heller d’un ton incertain.

— Et tu m’as sauvé la vie, non ?

— Il semblerait que oui.

Brusquement je compris ! Vantagio était un homme de petite taille – il faisait environ un mètre cinquante-cinq. A côté de la Sicile, il y a une île appelée « Corse », dont les habitants sont comme les Siciliens. Et il y avait eu autrefois un Corse de nom de Napoléon qui souffrait d’un complexe d’infériorité. Comme Vantagio. Tous ces exploits d’Heller, toutes ces louanges qu’il avait reçues avaient fini par donner au petit Sicilien un complexe d’infériorité. Il se sentait menacé par Heller. Un autre détail me vint alors à l’esprit, qui confirmait ma théorie : « Vantagio » n’était pas son prénom, mais son surnom ! C’était un mot italien qui signifaient « dominateur » !

Il se leva et, du haut de son mètre cinquante-cinq, il toisa Heller qui, même assis, faisait à peine une demi-tête de moins que lui.

— Tu m’as sauvé la vie, par conséquent tu dois faire tout ce que je te dis, tout ! Et dorénavant ce sera comme ça et pas autrement !

— Je comprends, fit Heller d’un ton contrit.

Aussitôt Vantagio fut tout sourire.

— Je suis content que nous ayons réglé ce petit problème ! Allez, prends un cigare. Ah, non, j’oubliais. Tu n’as pas le droit de fumer. Tiens, prends un bonbon à la menthe.

Et il présenta une boîte à Heller qui se servit. Puis il fit le tour du bureau et lui donna une claque dans le dos.

— Eh bien, tout est parfaitement clair entre nous maintenant, pas vrai ?

— Parfaitement clair.

— Excellent. Alors tu vas aller directement au métro et t’inscrire sans attendre !

Il avait dit cela d’un ton joyeux.

Heller se leva. Vantagio l’accompagna jusqu’à la porte, la lui ouvrit et lui donna à nouveau une claque dans le dos.

Heller s’avança dans le hall et tourna la tête une dernière fois. Vantagio souriait jusqu’aux oreilles et agitait la main.

Les Siciliens sont des gens très difficiles à comprendre. Ce Vantagio était manifestement un personnage sournois et lunatique. Je me demandais si je pouvais lui faire confiance et l’inclure dans mes plans. Néanmoins, il n’était pas impossible que je réussisse à tourner sa jalousie et son complexe d’infériorité à mon avantage.

7

Croyant qu’Heller était parti exécuter les ordres de Vantagio, j’avais plus ou moins détaché mon regard de l’écran du visionneur. Il pénétra dans une station de métro, entra dans une cabine téléphonique et consulta un annuaire. Peut-être voulait-il appeler l’université.

Mais non, il descendit sur le quai. Une rame arriva et il monta dans un wagon. Le métro démarra. Heller semblait particulièrement intéressé par les autres voyageurs. Il faisait très, très chaud ce jour-là. Dès que c’est la canicule à New York, le métro est transformé en fournaise, et les gens dans le wagon étaient trempés de sueur.

Comme je l’ai dit, je ne regardais mon écran que par intermittence. Brusquement, je vis défiler à toute allure le quai de la station 23e Rue, puis, quelques instants après, celui de la station 14e Rue-Union Square.

Hé ! Il s’était trompé de direction. Il n’allait pas au nord de la ville, mais au sud ! Et il n’était pas sur la bonne ligne ! Il se dirigeait vers Lexington Avenue !

En toute hâte, je fis revenir l’enregistrement en arrière sur mon second visionneur. Heller n’avait pas changé à Times Square, mais avant ! A Grand Central ! Je revins un peu plus en arrière pour voir ce qu’il avait cherché dans les pages jaunes de l’annuaire. Il avait consulté la rubrique « Agents de change » ! Et son doigt s’était arrêté sur Short, Skidder and Long Associates, 81 1/2 Wall Street.

Il faisait l’école buissonnière !

Ho, ho… Peut-être pourrais-je quand même obtenir la coopération de Vantagio… Si je parvenais à rassembler suffisamment de preuves et à montrer au petit Sicilien que le « môme » lui désobéissait, il n’était pas impossible qu’il me laisse fouiller la chambre d’Heller. Il me vint un rêve merveilleux. Vantagio, tout sourire, m’invitait à entrer d’un ample mouvement de bras et disait : « Oui, officier Gris. Faites comme chez vous. Mettez la pièce sens dessus dessous ! Je vais même appeler quelques domestiques pour vous aider à trouver la plaque ! Ça lui apprendra à n’en faire qu’à sa tête, à ce jeune indiscipliné. »

Je revins à la réalité.

Heller, sa casquette rouge rejetée en arrière sur sa tête, était sorti du métro et marchait d’un pas alerte. Il entra au 81 1/2 Wall Street, prit un ascenseur, pénétra chez Short, Skidder et Long Associates et se planta devant un comptoir qui lui arrivait à mi-hauteur. Sur le mur, il y avait des tableaux noirs avec les cotes de la journée. Des télex cliquetaient.

Une fille qui mâchait du chewing-gum lui demanda :

— Ouais ?

— J’aimerais voir quelqu’un pour acheter des actions.

— Vous voulez ouvrir un compte ? Allez voir Mr Arbitrage, troisième porte.

Mr Arbitrage était un homme tiré à quatre épingles, au visage desséché. Il demeura assis à son bureau et examina Heller de la tête aux pieds comme si quelqu’un venait de lancer un poisson dans la pièce – un poisson qui sentait mauvais.

— Je voudrais voir quelqu’un pour acheter des actions, dit Heller.

— Vos papiers, s’il vous plaît, fit Mr Arbitrage, plus par habitude qu’autre chose.

Heller s’assit sans y avoir été invité, sortit son permis de conduire au nom de Wister, ainsi que sa carte de sécurité sociale.

Mr Arbitrage les examina, puis regarda Heller.

— Il est probablement inutile de vous demander vos références bancaires.

— Qu’est-ce que vous voulez dire par références bancaires ? demanda Heller.

— Mon cher jeune homme, si vous êtes venu pour faire un exercice pratique requis par votre école, je crains fort de ne pas avoir de temps à consacrer à l’éducation de la jeunesse. C’est aux écoles de le faire. C’est pour ça que nous payons des impôts. La sortie se trouve juste derrière vous.

— Attendez, j’ai de l’argent.

— Mon cher jeune homme, je vous prie de ne plus m’importuner. Mon temps est précieux et j’ai un déjeuner d’affaires avec le directeur de la J. P. Morgan. La sortie se tr…

— Mais pourquoi ? insista Heller. Pourquoi ne puis-je pas acheter d’actions ?

Mr Arbitrage laissa échapper un profond soupir.

— Mon cher jeune homme, pour acheter des actions, vous devez ouvrir un compte. Et vous devez être en âge de le faire. Dans notre firme, c’est vingt et un ans. Pour ouvrir un compte, il faut avoir des références bancaires. De toute évidence, vous n’en avez pas. Je vous suggère d’emmener vos parents la prochaine fois que vous viendrez. Bonne journée.

— Mes parents ne sont pas sur Terre.

— Toutes mes condoléances. Mais vous devez absolument avoir quelqu’un de plus de vingt et un ans qui soit responsable de vous, quelqu’un qui agisse comme tuteur, pour pouvoir traiter avec notre firme. Bonne journée.

— Est-ce que c’est pareil avec toutes les firmes ?

— Mon cher jeune homme, vous aurez l’occasion de constater que les autres firmes vous claqueront la porte au nez avec beaucoup plus de brutalité que je ne l’ai fait. Je vous souhaite une bonne journée. Au revoir, au revoir, au revoir.

Sur ce, il se leva, prit son chapeau melon et sortit.

Heller regagna la rue. Des flots de gens se déversaient des immeubles pour aller déjeuner. A midi, il règne toujours une cohue indescriptible à Wall Street.

D’un air distrait, Heller acheta un hot dog et un jus d’orange à un marchand ambulant. Il vit Mr Arbitrage faire comme lui un peu plus loin.

Lorsqu’il eut fini de manger, il observa longuement les gratte-ciel, froids, gigantesques, et la foule compacte ruisselante de sueur. Ensuite, il étudia la couche de crasse sur les murs des immeubles. Cela paraissait l’intéresser au plus haut point. Il arracha quelques pages d’un carnet, inscrivit une adresse sur l’une d’elles et la frotta contre un mur d’immeuble. Bien entendu, cela eut pour effet de la rendre noire. Il se fraya un chemin à travers la foule et préleva un second échantillon sur un autre mur. Puis il retourna dans le métro et recommença son manège en frottant une troisième feuille de papier contre le rebord du quai. Il plia soigneusement les trois pages et les mit dans sa poche.

Ensuite il consulta le plan du métro, constata qu’il n’y avait pas de ligne directe de Wall Street à Chambers et monta dans une rame qui allait à Grand Central. Il prit une correspondance qui l’emmena à Times Square. Là, il attrapa un métro de la Ligne 1 et fila en direction du nord.

Il descendit à la station 116e Rue et se retrouva bientôt dans l’allée centrale de l’université, au milieu d’une foule bigarrée d’étudiants qui allaient et venaient ou stationnaient, l’air morne et déprimé.

Un jeune homme se porta au-devant d’Heller et lui demanda :

— A ton avis, qu’est-ce que je devrais me taper, cette année ?

— Du lait. C’est très vivement recommandé.

Puis, à la façon de quelqu’un qui sait où il va au milieu de tout un tas de gens qui ne savent pas où aller, il franchit un perron et se retrouva dans un hall où de longues files d’attente s’étiraient devant des bureaux d’inscription provisoires encombrés de monceaux de paperasses qui dissimulaient à moitié les employés aux inscriptions. Heller regarda sa montre, puis les longues queues d’étudiants.

Un jeune homme portant une énorme pile de brochures pénétra dans le hall – il s’agissait apparemment d’un étudiant qui se faisait un peu d’argent en effectuant des petits travaux pour l’université. Heller s’approcha de lui et, avec l’intonation impérieuse des officiers de la Flotte, demanda :

— A qui sont destinées ces brochures ?

— A Miss Simmons, répondit timidement le jeune homme en désignant de la tête une employée aux inscriptions assise derrière l’un des bureaux provisoires.

— Vous êtes en retard, dit Heller. Je vais les lui apporter. Allez en chercher d’autres.

— Oui, monsieur, fit l’autre, avant de s’éloigner.

Heller se plaça un peu à l’écart de la file et attendit que la fille dont s’occupait Miss Simmons ait rassemblé ses affaires et se soit levée. Alors il s’avança, posa la pile de brochures sur le bureau et s’assit dans le siège. Dans la queue, personne n’avait remarqué sa manœuvre. Il sortit ses papiers et les posa devant Miss Simmons.

Elle ne leva pas la tête. C’était une jeune femme à l’expression sévère, aux cheveux bruns coiffés en chignon, et qui portait des lunettes aux verres épais. Elle tâtonna devant elle et dit :

— Vous n’avez pas rempli votre formulaire d’inscription.

— Je ne sais pas comment on fait, expliqua Heller.

— Mon Dieu, fit-elle d’un ton las, encore un qui ne sait pas lire ni écrire.

Elle prit un formulaire vierge et se mit à le remplir en recopiant les papiers d’Heller. Elle écrivit pendant quelques minutes, puis demanda :

— Votre adresse actuelle, Wister ?

— Gracious Palms. (Et il lui donna la rue et le numéro.)

Miss Simmons lui remit une facture.

— Payez à la caisse. Mais je ne crois pas que ça serve à grand-chose. Le versement des frais de scolarité ne garantit pas l’acceptation de votre dossier.

— Pourquoi ? Quelque chose cloche ?

— Quelque chose cloche ? singea-t-elle. Il y a toujours quelque chose qui cloche. Mais là n’est pas la question. Ce sont vos notes, Wister. Vos notes. 5 sur 20 de moyenne. Elles montrent clairement que vous passiez votre temps à roupiller. En plus, vous venez d’une école quasiment inconnue. Quelle va être votre matière principale ?

— L’ingénierie nucléaire.

Miss Simmons laissa échapper un hoquet. On aurait dit qu’elle venait de prendre une balle en pleine poitrine. Quand elle eut repris ses esprits et recouvré l’usage de la parole, elle dit d’une voix glaciale, implacable :

— Wister, il vous manque certaines matières. Je ne les vois pas sur votre carnet de notes. J’ai bien peur que tout ceci ne soit tout à fait irrégulier. C’est contraire au règlement. Vous voulez vous inscrire directement en dernière année. C’est contraire au règlement, Wister.

— Tout ce que je veux, c’est un diplôme.

— En toute simplicité ! Si je comprends bien, Wister, ce que vous demandez, c’est que l’Université d’Empire vous délivre, en mai de l’année prochaine, un diplôme de docteur en ingénierie nucléaire, avec tout le prestige que cela comporte, et qu’elle lâche dans la société le barbare illettré que vous êtes afin que vous puissiez faire sauter la planète. C’est ça que vous demandez, hein, Wister ?… C’est bien ce que je me disais.

— Non, non. Je suis censé la remettre en état, pas la faire sauter !

— Wister, la seule chose que je puisse faire pour vous, c’est de soumettre votre candidature au conseil d’orientation. Il se peut que certains professeurs ne soient pas du même avis que moi. Alors soyez ici demain matin à neuf heures. Je ne vous cache pas que votre cas est désespéré. SUIVANT !

Ah ! quel moment délicieux ! Enfin quelqu’un de sensé qui avait percé à jour la véritable nature d’Heller. L’Officier Royal Jettero Heller, toujours si imbu de sa personne. Ç’avait été très habile de la part de Trapp de monter ce piège diabolique. Je pris mon verre de sira et le vidai d’un trait. A ta santé, Trapp !

Heller progresserait très lentement, désormais !

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