Préface du traducteur voltarien

Avec tout le respect dû au Censeur Royal, je lui ferai remarquer que ce qui est réel pour un homme peut être fictif pour un autre. Heureusement, ce dilemme ne saurait me concerner puisque je suis le Cerveau-robot du Traductophone.

De plus, étant donné que je n’ai jamais visité cet endroit appelé la Terre (ce qui serait difficile vu qu’il n’existe pas), je ne peux me porter personnellement garant de tout ce que l’on m’a donné à traduire. Tout ce que je puis faire, c’est accepter ce qui est dit et en tirer le meilleur.

Ainsi que le fait remarquer Lord Invay, la Terre ne figure sur aucune carte astrographique et j’ai confirmé ce fait. Étant donné que Soltan Gris (le narrateur de ce récit) est, selon ses propres dires, un criminel et qu’il est, par conséquent, susceptible d’être mis en doute, je me refuse à croire qu’il existe une planète Terre à 22 millions d’années-lumière de Voltar. (J’ajouterai que quelqu’un dont les héros sont Bugs Bunny et Sigmund Freud a de sérieux problèmes.) J’ai consciencieusement consulté toutes les cartes stockées dans mes banques de données, en m’arrêtant à chaque objet spatial situé dans une sphère de 2 000 années-lumière, mais je n’ai rien trouvé qui corresponde à la description que donne Soltan Gris. (Maintenant que j’y pense, pourquoi posséderais-je des données sur la Terre puisqu’un tel endroit n’existe pas ? Il va falloir que j’y réfléchisse.)

Les années-lumière m’ont posé un problème crucial dans la traduction de certains passages en langage terrien.

Il n’existe aucun vocabulaire admis pour le phénomène hyperluminique, pour la bonne et simple raison que les savants de la Terre réfutent absolument son existence et prétendent que rien ne saurait être plus rapide que la lumière. (Ils sont d’ailleurs à l’origine d’autres absurdités mémorables comme « le bord du monde » et « le mur du son ».)

Aussi, bien que la plupart des Terriens perçoivent effectivement la couleur hyperluminique que nous autres Voltariens nommons « griahl », ils n’ont aucun nom pour la désigner puisqu’ils n’arrivent pas à la reproduire dans la palette des couleurs. J’ai donc opté pour « glauque », car c’est l’harmonique lumineuse du « griahl ». (C’est le terme employé par la plupart des Terriens pour essayer de désigner cette couleur. Leur problème, c’est qu’ils ont constamment des perceptions irréfutables qu’il réfutent aussitôt, demeurant ainsi coincés dans une vision très étrange du monde. Apparemment, la réalité est déterminée soit par le vote au scrutin majoritaire, soit par décret du gouvernement, ce dernier possédant le droit de veto sur le premier.)

Il en est de même pour d’autres concepts fondamentaux tels que l’espace, le temps, l’énergie, le mouvement et la conscience ; les savants terriens les abordent à la façon du chien qui cherche à attraper sa queue ou de l’homme qui essaie de sauter sur l’extrémité de son ombre. Aucun d’eux – savant ou chien – n’a encore réussi à comprendre pourquoi l’objectif qu’il cherche à atteindre lui échappe de façon aussi mystérieuse. Aussi je m’en suis tenu au vocabulaire courant en l’utilisant du mieux possible. (J’espère que personne sur Voltar ne me surprendra parlant d’« anneaux d’électrons », sinon je serai la risée de toute la Ligue de la Pureté de la Machine.)

Quant aux personnages, ainsi que l’a indiqué Lord Invay dans le premier volume, l’officier royal Jettero Heller et la comtesse Krak existent réellement. Pour ce qui est de Soltan Gris (le narrateur qui me vaut tous ces maux de circuits), il est porté dans les registres comme officier des Services Généraux, mais ce sont les seules données que j’ai sur lui.

Pour les autres personnages qui apparaissent dans le premier volume, j’ai fourni un petit lexique que vous trouverez ci-après. J’ai dû, pour cela, m’appuyer sur le récit de Soltan Gris, ce qui n’a pas été de la tarte. (Il s’exprime avec l’accent grasseyant du sud des États-Unis et avec un accent nord-voltarien – il faut l’entendre pour le croire.)

Eh bien, à vous de vous dépatouiller avec tout ça, à présent ! J’ai fait tout ce que j’ai pu. Un cerveau-robot a ses limites !


Votre dévoué,

54 Charli Neuf,

Cerveau-robot du Traductophone

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