Treize

Une image apparut à côté d’Iger, montrant des silhouettes floues. « Nous les avons découverts par hasard, précisa-t-il. Un des drones de surveillance que nous avons largués est tombé sur une rafale de données provenant de cet astéroïde. » Une autre image s’afficha, celle d’un astéroïde d’un diamètre d’une quarantaine de kilomètres, à la vitesse de rotation réduite. « L’interception n’a duré qu’une fraction de seconde, mais nous avons capté un flux d’images vidéo dont nous avons pu extraire assez de détails pour distinguer cela. »

Geary loucha sur les silhouettes mal définies. Certainement pas des Énigmas, et, malgré l’absence de détails précis, sans doute des humains. « Ils sont sur cet astéroïde ?

— Dedans, amiral, rectifia Iger. Nous avons la certitude qu’il est creux ou excavé. Nous avons vérifié sa vitesse de rotation et elle suffit à fournir, grosso modo, les trois quarts d’une gravité standard à ceux qui se tiendraient sur sa surface interne. » Des symboles clignotaient à la surface extérieure. « Nous avons pu repérer certaines anomalies, probablement relatives aux communications extraterrestres et aux antennes de senseurs. On trouve assez communément ce type d’artefacts abandonnés par les mineurs sur les astéroïdes de systèmes stellaires occupés par les hommes, mais ceux-là sont très bien cachés, et les Énigmas n’ont pas l’habitude de laisser traîner des objets derrière eux. » À l’intérieur d’un astéroïde. Pas moyen de s’échapper, ni même de voir leurs geôliers. « La prison idéale du point de vue d’Énigma.

— Oui, amiral. » Au lieu de s’enorgueillir de sa découverte ou de s’en montrer content, le lieutenant Iger fit la grimace. « Je… ne vois aucune manière de les tirer de là. »

Tartare. Apparemment, le nom de ce système stellaire lui convenait parfaitement.


Les centaines d’officiers attablés dans la salle de conférence écoutaient avec un enthousiasme croissant les informations que leur fournissait Iger, mais, quand l’officier du renseignement en eut terminé, Tulev secoua lentement la tête. « Si jamais nous progressions d’un kilomètre vers cet astéroïde, ils le détruiraient. Ils sont disposés à sacrifier les leurs. Ils n’hésiteraient sûrement pas à tuer aussi ces hommes.

— À quelle distance pouvons-nous nous en approcher sans risque ? » demanda Badaya.

Le lieutenant Iger secoua la tête à son tour. « Je n’en ai pas idée, capitaine. Si nous nous fondons sur ce que nous avons connu à Limbes, les Énigmas attendront d’être sûrs de notre objectif pour le détruire. Et cette cible précise est exceptionnellement bien cachée. Si la transmission que nous avons interceptée ne nous avait pas mis la puce à l’oreille, nous n’aurions probablement vu aucune raison d’examiner cet astéroïde de près et nous n’aurions jamais découvert l’équipement dissimulé à sa surface. Tant qu’ils ne nous imaginent pas au courant que des humains s’y trouvent, ils ne chercheront probablement pas à le faire exploser au seul motif que nous nous dirigeons approximativement dans sa direction.

— Probablement, répété Armus en grimaçant.

— C’est notre meilleure hypothèse, capitaine. »

Bradamont était en train d’étudier une représentation du système de Tartare. « Ce doit être une zone d’exclusion pour eux aussi. Si nous détenions des extraterrestres dans un astéroïde, nous ne permettrions pas à des vaisseaux non autorisés de s’en approcher. Si nous nous immiscions dans cette zone d’exclusion, l’intrusion déclencherait certainement aussi sa destruction.

— Plausible, concéda Armus. Sans doute un déclenchement automatique par une alerte de proximité ou un signal PRL émis depuis ailleurs dans le système. On ne trouve aucune trace de la présence d’extraterrestres à la surface ?

— Non, capitaine, répondit Iger. À part des champs de cellules solaires très minutieusement camouflés. »

Duellos hocha la tête. « Je les vois mal vivre à l’intérieur avec des humains, même séparés d’eux par une barrière solide. Mais, si nous n’avons aucune idée du diamètre de cette zone d’exclusion, toutes ces spéculations ne nous servent à rien.

— Ils ont bien dû l’établir sur une base quelconque, laissa tomber Bradamont. Les Syndics et nous comptons en secondes-lumière, parce que c’est un étalon simple, suffisamment grand pour procurer une sécurité, mais assez petit en même temps pour qu’une intrusion accidentelle dans la zone interdite ne déclenche pas l’alerte.

— Combien de secondes-lumière pour les Syndics ? s’enquit Tulev.

— Une. » Nul ne demanda à Bradamont d’où elle tenait cette information.

« La même distance que nous observons pour nos zones d’exclusion standard dans l’espace. »

Duellos plissa pensivement le front. « Les Énigmas se servent certainement d’autres moyens de mesure, mais, comme l’a dit le capitaine Bradamont, nos paramètres sont basés sur des considérations pratiques. Si nous nous maintenions à une distance d’une seconde/lumière de l’astéroïde, en faisant mine de ne pas nous y intéresser, il n’y aurait sans doute pas de danger.

— Mettons quatre cent mille kilomètres, soit bien plus qu’une seconde-lumière, suggéra Tulev. Mais trop loin malgré tout. Cela nous laissera amplement le temps de réagir à leurs défenses ou à leurs mécanismes d’autodestruction quand nous nous tournerons vers l’astéroïde. Nous devrons ensuite l’atteindre, adopter sa vélocité et son orbite, neutraliser l’équipement extraterrestre de surface, y pénétrer et l’évacuer de ses prisonniers humains. Tout cela dans quel délai ? En une demi-heure, à partir de la position la plus proche que nous oserons adopter ?

— Plus d’une heure, vraisemblablement, rectifia Desjani. Même si nous ne recourons qu’aux seuls croiseurs de combat. »

Bradamont reprit la parole, plus hardiment cette fois. « Les auxiliaires pourraient fabriquer de petits modules de débarquement furtifs aux effectifs réduits. Si nous pouvions…» Elle s’interrompit en voyant le capitaine Smyth secouer la tête.

« Je vous demande pardon, capitaine. Compte tenu du temps et des moyens dont nous disposons, je ne peux pas vous promettre que nous serions en mesure de construire des appareils assez spacieux pour abriter plusieurs personnes et en même temps assez furtifs pour échapper avec certitude à toute détection.

— À qui confieriez-vous cette mission ? » s’enquit Badaya. Sa question d’apparence rhétorique s’adressait manifestement à Bradamont.

Celle-ci rougit, mais sa voix resta assurée. « Je me porte volontaire.

— À moins d’une chance raisonnable de succès, mission il n’y aura pas, déclara Geary, rompant le silence qui avait suivi la déclaration de Bradamont. Il serait parfaitement absurde de conduire à leur perte nos volontaires et les humains retenus dans cet astéroïde en tentant un sauvetage qui n’aurait qu’une chance infime de réussir.

— Nous ne pouvons pas les abandonner, s’insurgea Bradamont.

— Tout à fait d’accord, déclara Badaya. Mais…

— Pardonnez-moi. » Le général Carabali s’entretenait jusque-là avec quelqu’un hors du logiciel de conférence, et sa voix portait à présent aisément, dominant celle des autres participants. « Les fusiliers peuvent s’en charger. »

Badaya arqua les sourcils. « Quatre cent mille kilomètres, c’est une assez longue trotte, général. Je ne crois pas que les fusiliers en seraient capables, même si vous leur annonciez qu’une bière les attend sur l’astéroïde.

— Bien sûr que si, pourvu qu’elle soit gratuite. Mais nous n’avons nullement besoin de leur fournir une pareille motivation. » Un diagramme s’afficha devant Carabali. « En raison de la nature même de cette expédition, dont l’objectif est de nous renseigner sur Énigma, notre matériel de dotation comprend une quantité plus importante qu’à l’ordinaire de cuirasses à furtivité maximale. Suffisamment pour en équiper trente de mes éclaireurs. J’ai demandé à mes subordonnés de procéder à des calculs, et nous pouvons le faire. Si la flotte larguait ces éclaireurs vers l’astéroïde alors qu’elle passe à quatre cent mille kilomètres de lui, la probabilité pour qu’ils échappent à la détection lors du largage et durant le transit serait très élevée. Une fois au sol, ils pourront planter des brouilleurs et des écrans, ainsi que des charges capables de neutraliser tout l’équipement extraterrestre visible. En aveuglant leurs détecteurs et en brouillant leurs transmissions, nous devrions pouvoir donner à la flotte le temps d’atteindre l’astéroïde, d’envoyer des navettes au sol, d’exfiltrer ces gens et de récupérer aussi nos éclaireurs. »

Tulev se pencha. « À quelle vélocité voyageront-ils, ces éclaireurs ?

— Assez lentement pour qu’on ne les distingue pas trop nettement sur fond d’espace et pour que les systèmes de leur combinaison puissent procéder à un atterrissage en douceur, qui ne les tuera pas et leur évitera aussi de se faire repérer. » Carabali pointa le diagramme. « Leur vitesse moyenne devrait être de quatre mille kilomètres à l’heure, mais nous préférerions être largués à une vélocité bien supérieure, pour freiner ensuite graduellement durant la dernière tranche. »

Le capitaine Neeson lui jeta un regard stupéfait. « Vous pourriez décélérer depuis quatre mille kilomètres-heure jusqu’à un atterrissage sans risque et conserver malgré tout votre furtivité ?

— Exactement, répondit Carabali. Mes éclaireurs me l’assurent, et c’est leur vie qu’ils mettent en jeu.

— Une vitesse moyenne de quatre mille kilomètres-heure exigerait malgré tout un voyage de quatre jours, objecta Geary. Les combinaisons de vos éclaireurs peuvent-elles maintenir si longtemps un individu en vie, sans même parler du temps qu’ils consacreront à poser ces brouilleurs et ces charges à la surface de l’astéroïde ? »

Carabali hocha la tête. « Nous dépendrons de paquetages de survie de longue durée, et nous pourrons ralentir le métabolisme des éclaireurs durant le voyage à l’aide de médicaments. Ce qui devrait réduire à la fois les besoins de leurs fonctions vitales et la quantité de chaleur et d’énergie dégagée, que précisément leur cuirasse furtive doit dissimuler.

— Les brouilleurs opéreront-ils contre tout le matériel dont dispose Énigma ? s’interrogea Badaya. Nous ne connaissons même pas le fonctionnement de leurs communications PRL.

— Ils ont été améliorés en fonction de quelques principes glanés chez les Syndics et leur dispositif chargé de prévenir l’effondrement des portails, expliqua Carabali. Tout comme notre système de sécurité élimine les virus extraterrestres basés sur les probabilités quantiques sans même connaître leur mode opératoire. Nous avons la quasi-certitude que nos brouilleurs peuvent couper les transmissions des Énigmas. »

Nouveau long silence. Tous étudiaient le diagramme de Carabali. Puis Duellos le rompit en montrant une partie de la représentation du système stellaire de Tartare. « Il y a une installation d’Énigma sur la seconde des plus grosses lunes qui gravitent autour de cette planète. Si nous piquions sur elle au bon moment, nous donnerions l’impression de viser un objectif différent, de réitérer notre tentative de Limbes pour espionner une installation lunaire ; mais nous pourrions faire passer une partie de la flotte à quatre cent mille kilomètres de l’astéroïde tout en faisant mine de cingler vers cette lune.

— C’est jouable », affirma Badaya. Un concert d’une centaine de voix renchérit positivement.

« À condition de recourir aux croiseurs de combat, ajouta Desjani en lançant à Geary un regard dur. À tous. Il nous faudra bouger aussi vite que possible. »

Geary fixa encore longuement l’écran en songeant aux vies qui dépendaient de sa décision. Il ne tenait pas à la prendre. Mais Carabali avait amplement donné la preuve de sa compétence, les officiers de la flotte avaient l’impression de pouvoir jouer leur rôle et il fallait porter secours, autant que possible, à ces prisonniers. De manière ironique, c’était le dispositif syndic qu’il avait marchandé avec Iceni et les leçons qu’ils en avaient tirées qui rendaient l’opération praticable. « Très bien. On va le faire. »

Tous applaudirent.


Ça faisait la même étrange impression que lorsqu’on passe devant un agent de police, même quand on n’a rien fait de mal. Reste calme, fais l’innocent, ne prends pas un air menaçant. Tâche sans doute délicate pour une flotte munie d’assez de puissance de feu pour dévaster des planètes entières et empiétant sur un système stellaire où elle n’était assurément pas la bienvenue, surtout quand l’agent de police en question se présente sous la forme d’extraterrestres disposés à vous tuer et prêts à se suicider pour préserver leur intimité, et qu’en outre vous vous préparez à commettre un acte que la « police » locale n’approuverait certainement pas.

Geary attendit le moment idoine pour ordonner à la flotte d’adopter une trajectoire d’interception de la lune qui passerait pour leur objectif apparent. Le spectacle de navettes allant et venant entre des vaisseaux, transportant des pièces détachées, des fournitures et du personnel qualifié n’avait sans doute rien d’inhabituel, mais, durant les dernières heures, nombre de ces vols de routine avaient eu pour but le transfert d’éclaireurs de l’infanterie et de leur matériel à bord des croiseurs de combat de la quatrième division. Écume de Guerre, Vengeance, Revanche et Gardien seraient les gros vaisseaux les plus proches de l’astéroïde quand la flotte le dépasserait et que chacun cracherait sept ou huit fusiliers vers la position qu’il occuperait quatre jours plus tard ; ces largages seraient encore un peu plus occultés par le repositionnement des croiseurs et des destroyers auprès des cuirassés, ainsi que par l’activité des navettes.

« Ici l’amiral Geary. À T quinze, toutes les unités se déportent de quarante et un degrés vers bâbord, de six degrés vers le haut et maintiennent la vélocité à 0,1 c. » Ça faisait certes un peu bizarre de se servir de ces conventions humaines dans un système stellaire qui n’avait certainement jamais vu un spationef humain. Mais elles avaient été adoptées pour permettre à chaque vaisseau de comprendre ce que faisaient les autres et pourquoi, quels que soient leur position dans l’espace et leur alignement. Bâbord, c’était s’éloigner de l’étoile, tribord s’en rapprocher, tandis que haut et bas désignaient respectivement chaque côté du plan du système. C’était parfaitement arbitraire, mais ça fonctionnait suffisamment bien, depuis des siècles, pour qu’on n’y changeât rien.

Geary se demanda comment les extraterrestres répondaient à cette question. Était-ce d’ailleurs un problème pour eux ? Pourquoi diable refusent-ils le dialogue ? Imaginez un peu tout ce que nous pourrions apprendre rien qu’en comprenant la conception que se fait de l’univers une autre espèce intelligente. Quel gâchis !

« De nouveau d’humeur sombre, amiral ? demanda Desjani en même temps qu’elle se dégageait d’une tâche administrative. Avez-vous déjà reçu des nouvelles de Jane Geary ?

— Oui. Comment êtes-vous au courant ?

— Elle s’est portée volontaire avec sa division de croiseurs de combat pour larguer les fusiliers, non ?

— Exact. Je lui ai répondu que cela dépendait entièrement de sa proximité avec l’orbite de l’astéroïde, en évitant au maximum les manœuvres à l’intérieur de la formation pour ne pas éveiller la curiosité des extraterrestres. » Il décocha à Desjani un regard intrigué. « Avez-vous réussi à comprendre ce qui la motivait ?

— Non. Je ne crois pas que ce soit directement ce qui tracassait Kattnig, mais… (elle s’interrompit pour faire un signe religieux invoquant la grâce) c’est peut-être lié.

— Se prouver quelque chose ?

— C’est une Geary, amiral. Vous les connaissez.

— J’aimerais bien. » Il se renversa dans son fauteuil pour fixer l’écran où sa flotte se retournait sans à-coup pour mettre le cap vers la lune. « Le plus dur sera sans doute d’attendre plusieurs jours après le largage pour renverser la vapeur et repartir vers l’orbite de l’astéroïde, tout cela sans savoir si les fusiliers ont réussi leur coup. Ils ne peuvent envoyer ni rapports ni mises à jour. Ils doivent activer les brouilleurs et les charges à un moment bien précis, et il nous faudra déjà cingler vers l’astéroïde quand ça se produira. Et ces trente-cinq vaisseaux extraterrestres nous chargeront certainement en même temps. »

Desjani sourit. « On va enfin pouvoir rigoler. »


« Un matelot blessé par un arc électrique, rapporte l’Écume de Guerre, annonça l’officier des trans.

— Très bien. » Geary se tourna vers Desjani, qui leva les deux pouces en l’air. Maintenant que les systèmes des vaisseaux avaient été expurgés de leurs programmes basés sur les probabilités quantiques, les Énigmas ne devraient plus disposer d’aucun moyen d’accéder au réseau de données ni aux systèmes de communication de la flotte. Mais ça restait un conditionnel, de sorte qu’on était convenu de ce message comme d’un signal annonçant que le largage s’était effectué sans encombre.

Deux très longs jours plus tard, alors que la lune se trouvait encore à une heure-lumière, Geary ordonna à la flotte d’adopter une trajectoire la ramenant apparemment au point de saut. Un cargo venait de quitter l’installation extraterrestre, reproduisant en quelque sorte le schéma de Limbes. « Quand ils assisteront à notre changement de cap, ils en concluront certainement que nous avons préféré renoncer à perdre notre temps à courir après des trucs qui nous explosent au nez. »

Les yeux rivés sur son écran, Desjani approuva distraitement d’un hochement de tête. « Vous savez quoi, amiral ? Même si les brouillages opèrent et que tous les senseurs et moyens de communications extraterrestres de cet astéroïde sont H. S., leurs vaisseaux piqueront sur lui dès qu’ils se rendront compte que c’est notre destination. Nous ignorons combien de gens il nous faudra exfiltrer et quelles difficultés nous rencontrerons pour y pénétrer sans déclencher de chausse-trapes. Ça risque d’être serré.

— Je sais. C’est bien pourquoi vous devrez ordonner les manœuvres dès que les croiseurs de combat décéléreront pour adopter l’orbite de l’astéroïde. » Elle lui jeta un regard interloqué auquel se substitua aussitôt un grand sourire. « Je suis sans doute très doué pour cela, poursuivit Geary, mais, s’agissant de manœuvrer des croiseurs de combat, vous êtes bien meilleure que moi. Que quiconque dans la flotte, d’ailleurs.

— Oui, reconnut-elle. Effectivement.

— Sans compter que vous faites preuve d’une très grande modestie pour un commandant de croiseur de combat.

— Ça aussi. » Desjani reporta le regard sur son écran, où elle travaillait sur des simulations d’un assaut de l’astéroïde. « Oh, ça va se passer à merveille. »

Les éclaireurs des fusiliers avaient dû atterrir depuis plus de huit heures. Ils avaient l’ordre d’activer les brouilleurs, écrans et autres charges incapacitantes à T quatre cent quarante pile, quand la flotte, retour de son trajet simulé vers le point de saut, passerait au plus près de l’orbite de l’astéroïde.

Hormis l’astéroïde lui-même, les vaisseaux de guerre d’Énigma restaient les signes les plus proches d’une présence extraterrestre ou d’appareils de surveillance. Ils continuaient de rôder derrière la flotte, à une heure-lumière de distance et par tribord, en réglant toutes leurs manœuvres sur les siennes avec une heure de retard. Mais, le dernier jour, alors qu’elle se rapprochait de l’orbite de l’astéroïde et de l’astéroïde lui-même, ils avaient lentement regagné du terrain, au point qu’ils ne s’en trouvaient plus qu’à une demi-heure-lumière.

On en était à T quatre cent trente-huit, l’astéroïde à quarante-cinq secondes-lumière, soit 13 500 000 kilomètres. À 0,1 c, les vaisseaux humains pouvaient couvrir cette distance en sept minutes et demie. Mais il ne servirait strictement à rien de l’atteindre à une telle vélocité, car ils le dépasseraient alors en trombe, incapables de régler leur vitesse sur la sienne. La « charge » impliquait en fait une décélération qui, tout en n’exigeant que le moins de temps possible, permettrait à la vélocité des croiseurs de combat d’épouser très exactement celle de l’astéroïde au moment où ils l’atteindraient. Seuls les bâtiments de cette classe disposaient d’une capacité de propulsion les autorisant à réduire aussi rapidement leur vélocité, à condition de commencer tout de suite, faute de quoi ils risquaient de manquer leur cible ; mais ils devaient aussi éviter de freiner trop vite et, alors que chaque seconde comptait, de ne pas atteindre l’astéroïde en temps voulu.

C’était là qu’intervenait Tanya Desjani.

Geary inspira profondément puis transmit les ordres. « Détachement Lima, séparez-vous de la formation et conformez-vous aux instructions du capitaine Desjani, commandant de l’Indomptable. À toutes les autres unités, déportez-vous de quarante-cinq degrés sur tribord, de deux degrés vers le bas, et commencez de décélérer jusqu’à 0,02 c à T quarante. »

Desjani transmit ses propres instructions dès que Geary eut fini. « À toutes les unités du détachement Lima, déportez-vous de quarante-six degrés sur tribord, de deux degrés vers le bas, et commencez à décélérer au maximum. Exécution immédiate. »

Desjani attendait d’ordinaire sans mot dire qu’il eût l’inspiration, qu’il se concentrât sur le moment idéal pour procéder à une modification des vecteurs de la flotte ; mais, cette fois, c’était à elle qu’il revenait de donner des ordres au détachement, tandis que Geary, de son côté, se contentait de regarder les croiseurs de combat virer de bord pour se séparer de la formation principale puis décélérer si promptement que son dos fut plaqué à son fauteuil et que l’armature de l’Indomptable protesta par des grincements. Malgré sa tentation d’observer Desjani, de s’assurer qu’elle faisait de son mieux, il devait la laisser s’acquitter de la tâche qu’il lui avait confiée et se borner à tenir la flotte à l’œil. Celle-ci ralentissait régulièrement et incurvait sa trajectoire pour décrire une courbe légèrement plus ample qui intercepterait l’astéroïde plus loin sur son orbite, près d’une heure après que les croiseurs de combat auraient atteint leur objectif. Il surveillait également les extraterrestres, mais leurs vaisseaux ne recevraient cette image de la flotte que dans une demi-heure et ne prendraient conscience de ses manœuvres qu’à cet instant.

Il appela le général Carabali en grimaçant, tant lui coûtaient les mouvements qu’il devait effectuer sous l’empire des forces que ne parvenaient pas à résorber les tampons d’inertie. « Faites-moi savoir quand vous recevrez des nouvelles des éclaireurs, en visuel ou en audio.

— Probablement dans les secondes qui viennent, amiral. » Carabali marqua une pause. « Rapport de situation. Je vous connecte, amiral. »

Un écran secondaire s’ouvrit près de Geary, montrant l’astéroïde tournant sur lui-même avec une dignité empruntée. Sa surface était à présent piquetée de nombreux nouveaux symboles, désignant non seulement la position des fusiliers, mais aussi celle des antennes, relais, senseurs et autres dispositifs extraterrestres repérés. Quelques-uns de ceux qui balisaient l’emplacement du matériel d’Énigma clignotaient d’une lumière rouge, indiquant qu’ils avaient été détruits par les charges incapacitantes posées par les fusiliers, tandis que d’autres voyants de couleur jaune signalaient les équipements brouillés.

On apercevait aussi un grand sas, habilement camouflé et également détecté par les fusiliers, menant à l’intérieur de l’astéroïde. « Demande permission d’investir, amiral.

— Accordée, général Carabali. Pourquoi est-ce que je ne dénombre que vingt-neuf fusiliers ?

— On vient de m’en informer : le chef de l’unité des éclaireurs pense qu’une combinaison n’a pas freiné assez vite et a manqué l’astéroïde », répondit Carabali d’une voix sans timbre.

Que les ancêtres nous préservent ! Geary activa un autre circuit. « Onzième escadron de croiseurs légers, vingt-troisième et trente-deuxième escadrons de destroyers, séparez-vous de la formation principale et tâchez de récupérer l’éclaireur qui aurait dépassé l’astéroïde. Exécution immédiate. »

Carabali laissa échapper un soupir. « Merci, amiral. Mes éclaireurs vont faire sauter le sas d’une seconde à l’autre. »

Geary s’accorda le temps de recouvrer une respiration régulière pour se calmer, en songeant à ce fantassin qui tombait dans le vide tandis que l’énergie de sa combinaison s’épuisait lentement. « Nous ne pourrons réussir à l’intercepter que si cet éclaireur a suffisamment ralenti sa vélocité, général. S’il continue de filer à quatre mille kilomètres-heure, nous ne le rejoindrons jamais à temps.

— Si les vaisseaux d’Énigma tombent sur ceux que vous envoyez…

— M’étonnerait que cela se produise, général. Quand ils se rendront compte que nous sommes en train d’ouvrir leur cage à hommes…»

Desjani transmit de nouvelles instructions. « À toutes les unités du détachement Lima. Réduisez la vélocité à 0,09 c. Exécution immédiate. »

La pression qui pesait sur Geary s’allégea légèrement, et il aurait juré que l’armature de l’indomptable venait aussi de pousser un soupir de soulagement. Il consulta son écran, où la trajectoire des croiseurs de combat commençait de s’incurver vers l’astéroïde, l’instant T prévu pour l’interception reculant à mesure qu’ils décéléraient.

« Les fusiliers sont entrés, annonça Carabali. Ils ont probablement détecté des chausse-trapes. Il leur faudra les neutraliser avant de poursuivre. »

Bon sang ! « Nous n’avons guère le temps d’atermoyer, général.

— Compris, amiral.

— À toutes les unités du détachement Lima, réduisez la vélocité à 0,08 c, ordonna Desjani. Exécution immédiate. »

Seize minutes après le premier ordre de Desjani, et après avoir procédé à plusieurs autres ajustements de la réduction de leur vélocité, les croiseurs de combat stoppaient près de l’astéroïde et le cernaient. « Largage de toutes les navettes », commanda Desjani.

Elles jaillirent aussitôt des croiseurs de combat vers leur destination. Chacune transportait quelques ingénieurs d’infanterie avec leur matériel d’effraction ou autre, quelques membres du personnel médical et un ingénieur de la flotte chargé d’identifier l’équipement extraterrestre susceptible d’être embarqué dans le délai imparti, ainsi que des sièges pour les prisonniers que l’on espérait trouver à l’intérieur. « Cinq minutes avant atterrissage de la première navette à proximité du sas, annonça Desjani à Geary.

— Général Carabali… appela ce dernier.

— Ils ont dépassé les chausse-trapes, rapporta Carabali. Ils traversent des compartiments déserts. Du matériel. Un autre sas. Pièges repérables de ce côté. Délai estimé pour les désamorcer : deux minutes. »

Desjani ne quittait pas des yeux les vaisseaux Énigma. « Nous avons décéléré, pas eux. Ils recevront l’image de nos manœuvres dans dix minutes. »

Geary hocha la tête. « C’est là, j’imagine, que nous découvrirons s’ils disposent d’un autre moyen de faire sauter cet astéroïde. » Il observa la formation principale de la flotte qui continuait de décélérer, creusant à chaque seconde davantage l’écart avec le détachement Lima. Geary n’avait nullement besoin de se livrer à des calculs compliqués pour se rendre compte qu’il ne pourrait pas inverser à temps la course de ces bâtiments. « Apparemment, ça va se réduire à seize croiseurs de combat contre trente-cinq vaisseaux Énigma.

— Du gâteau ! » lâcha Desjani.

La formation principale s’étirait néanmoins bizarrement. Geary éclaira mieux ce secteur et constata que l’Intrépide freinait plus sèchement que prévu, tandis que le Fiable et le Conquérant réglaient leur allure sur la sienne. « Capitaine Geary, vous surchargez vos unités de propulsion principales. Levez le pied et rejoignez la flotte. »

Desjani l’avait remarqué et elle secoua la tête. « Elle s’efforce de rapprocher ces cuirassés de nous pour nous soutenir. Ils ne peuvent absolument pas réduire aussi vite leur vélocité.

— Et elle devrait le savoir. »

Il reporta son attention vers les croiseurs légers et les destroyers qui continuaient d’accélérer vers la zone où devait se trouver le fusilier égaré. « Général, si vous pouviez demander à votre homme d’allumer une balise, ça nous aiderait bien.

— C’est déjà fait, amiral. L’éclaireur aurait dû en recevoir l’ordre, mais il n’a pas donné acte. Il doit toujours se trouver en état de métabolisme ralenti. Nous venons d’activer sa balise par télécommande.

— Balise de détresse repérée », annonça le lieutenant Castries.

Geary se livra mentalement à un bref calcul de la position de la balise et de son mouvement, relativement à ceux des croiseurs et des destroyers. « Ce fusilier avait passablement décéléré avant que les rétrofusées de sa combinaison ne le lâchent. Je crois qu’on va réussir à le récupérer.

— Quelqu’un peut en remercier ses ancêtres, laissa tomber Desjani.

— Nous avons dépassé le sas, déclara Carabali. Un autre sas hermétique, pas de chausse-trapes. On le fait sauter.

— Ils bougent, rapporta Desjani.

— Les vaisseaux Énigma accélèrent pour une interception avec notre position actuelle, cria le lieutenant Yuon.

— On vous entend très bien, lieutenant, le coupa sèchement Desjani. À toutes les unités du détachement Lima, récupérez les navettes les plus proches sur le retour sans considération pour leur vaisseau mère. » Elle haussa les épaules. « Ça devrait nous faire gagner quelques minutes », dit-elle à Geary.

Il hocha la tête distraitement. Il concentrait successivement son attention sur la formation principale puis sur la progression des fusiliers, avant de la reporter sur les navettes, les vaisseaux Énigma et ainsi de suite. « Il nous reste à peu près une heure avant l’arrivée de leurs vaisseaux.

— Nous avons franchi la dernière barrière, annonça Carabali. Nous entrons à présent dans une vaste zone ouverte. De nombreuses structures s’alignent le long des flancs de l’astéroïde. C’est une ville, absolument. Nous repérons des humains. Quelques-uns accourent vers nos gens, tandis que d’autres s’enfuient.

— Atterrissage de la première navette. Largage des occupants.

— Première évaluation du nombre des prisonniers : plus d’une centaine.

— Coupure de courant à l’intérieur de l’astéroïde. Cause inconnue. Déployons éclairage mobile.

— Vaisseaux Énigma à cinquante minutes du contact.

— Délai estimé pour récupération de l’éclaireur égaré : quarante minutes selon le croiseur léger Kusari.

— Nous rassemblons les prisonniers libérés. Nombre d’entre eux se cacheraient et se barricaderaient dans leurs habitations. »

Geary résista à la tentation de se frapper le front d’exaspération. La réaction de ces détenus isolés restait compréhensible malgré sa sottise. « Permission d’abattre ces barricades ou tout autre édifice accordée, si cela se révèle nécessaire pour récupérer ces prisonniers sans délai. »

Carabali avait l’air plus agacée que furieuse. « Demande permission de recourir si besoin à des gaz incapacitants pour neutraliser ceux qui résistent.

— Accordée. Nous allons manquer de temps, général.

— Mes ingénieurs me signalent que l’équipement extraterrestre scanné par mes services est truffé d’engins explosifs, amiral, annonça le capitaine Smyth. Tenter de les embarquer risquerait de déclencher un mécanisme d’autodestruction, à moins que nous ne prenions le temps de les désactiver tous.

— Combien de temps ? » demanda Geary.

Smyth réfléchit un instant. « Une bonne heure, amiral.

— Trop long. Ordonnez à vos ingénieurs de scanner de leur mieux ce matériel, intérieur et extérieur, puis regagnez les navettes. Ils ont vingt minutes.

— La première navette décolle de l’astéroïde avec trente prisonniers à son bord, cria Castries.

— Ils doivent les entasser serré, murmura Desjani.

— Amiral ! » C’était le médecin-major. « J’ai procédé à une évaluation de ce qu’il est déjà possible de dire des prisonniers. Ils doivent être confinés sur-le-champ et maintenus en isolement médicalisé, jusqu’à ce qu’on les ait examinés en quête d’un traitement biologique ou artificiel.

— Prévenez les médecins de chaque croiseur de combat, aboya Geary. Demandez-leur d’en informer le commandant de chaque bâtiment et veillez à ce que ce soit fait.

— Vingt minutes avant l’interception de l’astéroïde par Énigma.

— Amiral, un de ces vaisseaux s’est détaché de leur flottille et semble mettre le cap sur le fusilier égaré qui attend les secours. »

Geary allait laisser les croiseurs légers et les destroyers s’en charger. Pas besoin de leur expliquer qu’ils devaient retrouver cet homme les premiers.

« Une ration énergétique ? s’enquit Desjani.

— Non, merci. Pas faim.

— Nous avons récupéré la moitié des navettes, poursuivit-elle. L’autre attend que les fusiliers sortent de leurs trous ces débiles qui se planquent de leurs sauveteurs.

— Vingt minutes avant interception par Énigma.

— Des équipements commencent d’exploser à l’intérieur de l’astéroïde, annonça Carabali. Cause inconnue. Peut-être des systèmes de l’homme mort qui s’activent au bout d’un certain délai sans aucune communication.

— Quand aurez-vous fini d’exfiltrer tout le monde ? demanda Geary à brûle-pourpoint.

— Impossible à déterminer. Nous cherchons encore, amiral.

— Il vous reste un quart d’heure, général.

— À vos ordres, amiral. »

Desjani transmit d’autres ordres. « Capitaine Duellos, les soutes de vos navettes sont pleines. Ordonnez à vos croiseurs de combat d’accélérer et d’engager le combat avec l’ennemi afin de nous gagner du temps, voire davantage de supériorité numérique.

— C’est comme si c’était fait », répondit Duellos. Sur l’écran, l’Inspiré, le Formidable, le Brillant et l’Implacable entreprirent de s’écarter de l’astéroïde pour piquer sur les vaisseaux Énigma.

« Bien joué, lâcha Geary. Inutile de laisser ces croiseurs de combat se tourner les pouces s’ils ne peuvent plus embarquer de navettes. J’aurais dû y songer.

— Vous êtes occupé par ailleurs, signala Desjani. Et vous m’avez confié ce rôle. Mais j’apprécierais assez que vous activiez les fusiliers, afin que nous puissions récupérer toutes les navettes avant l’arrivée des extraterrestres.

— Nous décollons, annonça Carabali. Nous ne pouvons pas garantir que nous avons exfiltré tout le monde, mais l’astéroïde est sur le point d’imploser et de se dépressuriser, si bien que tous seraient morts avant que nous les ayons trouvés. Il doit être bourré de systèmes de l’homme mort.

— Compris. Sortez vos gens de là. Combien de prisonniers avons-nous récupérés ?

— Trois cent trente-trois.

— Quoi ?

— Trois cent trente-trois, répéta Carabali. Oui, amiral. Bizarre, hein ? Il y a peut-être un sens caché. » Elle reporta ailleurs son attention. « Tout de suite ! Je veux que tous les fusiliers dégagent sur-le-champ ! Si ces ingénieurs traînent les pieds, assommez-les et emportez-les ! »

De petites déflagrations firent tanguer la surface de l’astéroïde, envoyant valser dans l’espace des débris qui échappaient à sa faible attraction, tandis que l’air qu’il avait contenu se dispersait dans le vide. Geary consulta l’écran principal. Plus que six minutes avant l’arrivée des Énigmas. « Ça va se jouer très serré. »

Desjani opina. « Capitaine Tulev, ébranlez votre division et engagez le combat.

— Compris. » Léviathan, Dragon, Inébranlable et Vaillant entreprirent d’accélérer en direction des vaisseaux Énigma.

« Notre soute est pleine, capitaine. Nous la scellons à l’instant.

— Très bien. Pourquoi une navette flotte-t-elle encore devant votre soute, Invulnérable ?

— Je me plie à la procédure réglementaire des séquences de chargement… commença Vente avec sa raideur coutumière.

— Embarquez-la tout de suite ou j’ordonne qu’on ouvre le feu sur vous ! À toutes les unités. Il nous reste trois minutes ! Je n’ai pas l’intention d’engager le combat avec ces salopards tant que nous récupérerons des navettes à proximité de ce caillou ! »

Les croiseurs de combat de Duellos avaient atteint l’ennemi et vomissaient déjà des spectres. Les vaisseaux adverses louvoyèrent pour tenter de les esquiver, puis les deux flottilles s’interpénétrèrent en trombe, déchaînant toutes leurs armes.

« Tout le monde est à l’abri, annonça Carabali. Manque personne. La dernière navette cingle vers l’Admirable. »

Geary fixa un instant l’écran montrant l’astéroïde et vit s’effondrer vers l’intérieur de vastes sections de sa surface, quand elles ne se soulevaient pas en réaction aux spasmes qui le convulsaient.

« Toutes les navettes récupérées, capitaine. L’Admirable ferme hermétiquement sa soute.

— À toutes les unités du détachement Lima. Liberté de manœuvre. Engagez le combat ! »

Vingt-neuf vaisseaux extraterrestres arrivaient toujours sur eux, mais ils devraient d’abord franchir la barrière des croiseurs de combat de Tulev. Bien qu’ils n’eussent guère eu le temps d’accélérer, ceux-ci restaient mortellement dangereux, et, s’ils voulaient atteindre l’astéroïde, les bâtiments d’Énigma devraient leur passer sur le corps.

Les deux forces se heurtèrent : salves de spectres, suivies quelques secondes plus tard de tirs de mitraille et de lances de l’enfer.

« Le Vaillant est durement touché ! » lança une voix. Geary se rendit soudain compte que c’était la sienne. Mais seuls seize vaisseaux Énigma fondaient encore sur eux, tandis que, menés par l’Indomptable, les huit croiseurs de combats rescapés de l’Alliance accéléraient férocement à leur rencontre.

Les mains de Desjani dansèrent sur ses commandes de tir, et l’Indomptable frémit légèrement, secoué par le largage de ses missiles spectres ; puis les lances de l’enfer du vaisseau s’activèrent à leur tour, commandées automatiquement par des systèmes de combat plus réactifs que tout être humain. Des rafales de mitraille suivirent, juste avant que le plus rapide des bâtiments adverses ne traverse en un clin d’œil le barrage de la flotte.

Geary ne quittait pas des yeux l’écran, où s’affichaient rapidement des mises à jour à mesure que les senseurs de chaque vaisseau de la flotte transmettaient leurs données. Seuls trois Énigma bougeaient encore, piquant droit sur l’astéroïde sans faire mine de se retourner ni de ralentir.

Un instant plus tard, ils le télescopaient à soixante mille kilomètres par seconde.

Les écrans se remirent à jour, montrant à présent un nuage de poussière en rapide expansion là où, un instant plus tôt, se trouvaient l’astéroïde et les trois vaisseaux extraterrestres. Tout le monde se taisait. Geary s’arracha finalement à la contemplation de ce spectacle pour constater que, de nouveau, tous les autres bâtiments ennemis proches, qu’ils fussent gravement endommagés ou complètement H. S., s’étaient autodétruits.

Ce ne fut qu’une demi-heure plus tard qu’ils virent l’unique rescapé de tous les vaisseaux extraterrestres du système virer de bord, poursuivi par les croiseurs légers et la moitié des destroyers de l’Alliance, tandis que l’autre moitié freinait pour récupérer l’éclaireur égaré. « Pourquoi se suicident-ils parfois sans aucune raison logique, alors qu’il leur arrive de faire preuve de modération devant une forte supériorité numérique ? » se demanda Geary avant de reporter le regard sur l’évaluation des dommages infligés à ses croiseurs de combat, pour se concentrer avant tout sur le Vaillant et ses dix-sept morts.

« Je l’ignore, répondit Desjani. Et je m’en fous. Si d’autres extraterrestres arrivent à portée de mes armes, je leur ôte tout espoir d’avenir. »

Les destroyers chargés de récupérer l’éclaireur ralentirent encore, jusqu’à ce que le Carbine agrafe sa combinaison et le hisse à bord. « But ! » Le message de victoire leur parvint quelques minutes plus tard de l’équipe de secours, tandis que tout le groupe de destroyers et de croiseurs entreprenait d’accélérer pour rejoindre la flotte.

« Les destroyers exigent une rançon », annonça Carabali à Geary. Elle avait l’air bien plus détendue que durant l’intervention sur l’astéroïde.

« Rien que les fusiliers ne soient pas disposés à payer ?

— Nous offrirons des tournées à leurs gars dans un bar la prochaine fois que la flotte sera en permission, amiral. Merci.

— Je ne pouvais pas abandonner cet éclaireur, général.

— Vous n’aviez pas à prendre cette décision. »

Desjani se tourna vers Geary quand il coupa la communication. « Vous devriez aller vous reposer.

— Vous aussi.

— J’ai parlé la première.

— Vous avez fait du très bon boulot là-bas.

— Eh bien, merci, amiral. Je peux encore descendre Vente ?

— Non. » Geary ferma un instant les yeux, pris d’une immense lassitude maintenant que ces longues journées de tension s’achevaient sur un succès. « La menace n’a pas eu l’air de l’éperonner. Deux minutes de plus et nous nous serions encore trouvés à proximité de cet astéroïde quand les vaisseaux Énigma l’ont transformé en ferraille à haute vélocité.

— Il fallait absolument réussir, parce que nous n’en aurons plus l’occasion. » La voix de Desjani semblait lointaine. « La prochaine fois que nous nous approcherons à moins d’une heure-lumière d’un site où ils détiennent des hommes, ils le feront exploser. »

Elle avait raison et Geary le savait. Sans doute avaient-ils remporté une victoire, mais ce serait la dernière de cette espèce.


En dépit de l’apparition de vingt nouveaux vaisseaux Énigma aux autres points de saut, Geary prit le temps de rassembler la flotte et de la réorganiser en une unique formation. Les journées qu’ils consacrèrent à cette tâche puis au trajet vers le point de saut qu’ils comptaient emprunter leur permirent aussi d’en apprendre davantage sur les gens qu’ils avaient secourus.

« Ils n’ont jamais vu un seul extraterrestre, rapporta le lieutenant Iger à Geary. Même pas ceux qui ont été capturés plutôt que nés sur place. » Il activa une autre fenêtre montrant un homme d’un âge avancé. « C’était un matelot d’un aviso syndic. Il ne sait pas à quand remonte sa capture, parce qu’ils ne disposaient d’aucun moyen de mesurer le temps à l’intérieur de l’astéroïde, mais, en comparant son récit avec les archives fournies par les Syndics, elle doit dater d’une quarantaine d’années. Un aviso a disparu à cette époque alors qu’il traversait le système stellaire frontalier d’Hina. »

Le vieillard prit la parole : « J’ignore ce qui s’est passé. J’étais à mon poste d’observation quand, brusquement, nous avons commencé à nous faire canarder. Les frappes venaient de nulle part. Je me rappelle au moins ça. Tout le monde s’est mis à hurler “Mais d’où est-ce que ça vient ?”. Puis nous avons reçu l’ordre d’évacuer le bâtiment et je me suis dirigé vers une capsule de survie avec deux autres matelots. Nous avons jailli du vaisseau. C’est mon dernier souvenir avant de me réveiller là-bas. Dans un astéroïde. J’ai toujours pensé que ça devait en être un. Je ne sais pas ce qu’il est advenu des deux autres gars. De toute notre unité mobile, je suis le seul à avoir débarqué là-bas. Non, personne ne m’a vu arriver. Je me suis simplement retrouvé sur place. La lumière s’éteignait de temps en temps, nous nous endormions tous et, à notre réveil, il y avait quelqu’un d’autre étendu devant le sas, ou bien des caisses de vivres, quand ce n’était pas un cadavre qui avait été enlevé. Si l’un de nous mourait, nous savions qu’un autre prisonnier allait apparaître tôt ou tard, ou qu’une des femmes tomberait enceinte et aurait un enfant. Nous étions toujours le même nombre. Oui. Trois cent trente-trois. Pourquoi, j’en sais rien. »

Il s’interrompit, clignant des paupières pour chasser ses larmes. « Je sais que vous appartenez à l’Alliance mais… est-ce que je ne pourrais pas rentrer chez moi, amiral ? Ça fait si longtemps. Je croyais mourir dans ce trou. J’ai envie de rentrer, amiral. »

Geary détourna les yeux en s’efforçant de maîtriser son émotion, de ne pas permettre à la pitié qu’il éprouvait pour cet homme ni à l’animosité que lui inspiraient ses geôliers de prendre le pas sur sa raison. Comment aurions-nous traité des Énigmas si nous en avions capturé ? Peut-être pas l’Alliance. Mais les Syndics auraient sans doute bâti quelque chose comme cet astéroïde/prison. « Il ne peut rien nous apprendre, lieutenant Iger ?

— Non, amiral. Aucun ne le peut. »

Seul le compte rendu du médecin-major était quelque peu encourageant. « Nous n’avons détecté aucun agent biologique dans leur organisme, ni même la preuve qu’on aurait procédé sur eux à de tels essais. En revanche, ils étaient farcis de nanotechnologie, de dispositifs qui, hors de l’astéroïde, auraient certainement déclenché des réactions fatales si nous ne les avions pas tout de suite neutralisés. »

Autre forme de système de l’homme mort. « Comment se portent-ils à présent ?

— Pas trop mal compte tenu des circonstances. Ils formaient une communauté soudée. Matériel et équipements de survie d’origine humaine, tout comme les soins médicaux et ainsi de suite. Deux au moins avaient reçu une formation suffisante pour se servir de ce matériel et leur prodiguer les soins nécessaires, sauf pour les affections les plus graves. Ils cultivaient la terre et récoltaient, et, de temps à autre, d’importantes quantités de vivres, manifestement de provenance humaine, apparaissaient près du sas. Au vu de leur condition physique, ils n’étaient pas sous-alimentés. Sauf que, bien sûr, leur régime n’était guère varié. Du moins la plupart du temps.

— Et mentalement ? Comment sont-ils ? »

Le médecin détourna le regard avant de répondre. « Fragilisés. Ils avaient édifié à l’intérieur de l’astéroïde une société assez stable pour permettre le maintien de l’ordre et la transmission du savoir. Un Conseil était chargé de prendre les décisions. Mais ils étaient à ce point isolés et dépendants des caprices de geôliers inconnus et invisibles… Bon… L’idée de revoir le ciel en exalte certains. D’autres sont terrifiés par cette perspective. Leur monde, ce qui fondait leur stabilité, a été détruit. Et pas seulement au pied de la lettre par l’explosion de l’astéroïde. »

Geary soupira. « Nous avons sûrement bien fait de les sauver.

— Bien sûr. Une cage reste une cage. Mais ils auront le plus grand mal à s’adapter à leur nouvelle liberté. Qu’allez-vous en faire ? demanda le médecin.

— Les ramener chez eux. » Geary marqua une pause, brusquement conscient que c’était plus facile à dire qu’à faire. « Tous devraient encore avoir des parents survivants quelque part dans le territoire syndic.

— Où les systèmes stellaires gouvernés par l’autorité centrale sont désormais très rares, fit remarquer le médecin. Pour nombre de ces gens, les prisonniers de la première génération, les retrouvailles ne seront pas si difficiles. Mais d’autres sont les rejetons de parents capturés voilà plus d’un siècle. La seule patrie qu’ils connaissent est l’intérieur de cet astéroïde, leur seule famille ceux qui y vivaient avec eux. »

Le médecin hésita un instant puis reprit la parole plus lentement. « Je crains pour ces gens, amiral. Ils sont un… sujet de recherche unique et précieux. Ceux qui voudront en faire des rats de laboratoire, exactement comme Énigma, seront nombreux, et bien peu prendront leur défense, surtout dans les Mondes syndiqués. Il faut les protéger des individus qui chercheront à les exploiter et les manipuler.

— Mon aptitude à leur assurer une telle protection est limitée, docteur.

— Mais vous pouvez au moins les ramener au sein de l’Alliance s’ils en expriment le désir, insista le médecin. D’autres se chargeraient d’y défendre leurs droits. Si Black Jack Geary annonçait publiquement son désir qu’on traite humainement des personnes qui n’ont déjà que trop souffert, cela aurait une grande incidence sur l’accueil qu’on leur réserverait. Peut-être même dans les Mondes syndiqués. »

Ce n’était sans doute pas beaucoup exiger de lui, mais Geary entrevit aussitôt le plus gros obstacle. « Je ferai cette déclaration publique. C’est en mon pouvoir. Mais imaginez qu’ils refusent de trouver asile dans l’Alliance ?

— Que feraient de ces gens les commandants en chef syndics, amiral ? Vous connaissez la réponse. Je suis conscient que nous ne regagnerons pas l’espace humain avant un bon moment, mais j’aimerais que vous y réfléchissiez avant notre retour. »

Les prisonniers libérés avaient été rassemblés sur le Typhon, de sorte qu’on avait dû procéder au transfert de nombreux fusiliers, mais les médecins de la flotte avaient insisté : il fallait qu’ils restent ensemble, ne serait-ce que pour préserver leur équilibre mental. On avait modifié le logiciel de conférence afin de permettre à Geary de s’adresser à tout leur groupe : son image apparaissait simultanément dans chacun de leurs dortoirs, tandis que lui-même avait l’impression qu’ils étaient tous réunis pour l’écouter dans le même vaste compartiment.

Bien sûr, il avait déjà vu des prisonniers libérés des camps de travail syndics, mais, là, c’était différent. Ces hommes s’agglutinaient, se cramponnaient les uns aux autres. Certains portaient des vêtements neufs venant des stocks de la flotte, mais d’autres offraient le spectacle d’un mélange hétéroclite de styles et de modes, de tenues évoquant diverses périodes et professions, la plupart élimées et lourdement ravaudées. « Nous vous conduirons où vous voudrez, déclara Geary. Certains souhaitent regagner leur patrie des Mondes syndiqués. On vous a appris que la situation avait changé, que la vie y est beaucoup plus difficile que dans vos souvenirs, mais, si vous y tenez absolument, nous nous efforcerons malgré tout de vous ramener chez vous. Vous êtes tous invités à nous suivre dans l’espace de l’Alliance, où vous serez les bienvenus et bien traités, je vous en fais la promesse. »

Les ex-prisonniers échangèrent des regards ; certains semblaient effrayés, d’autres pleins d’espoir. Quelques enfants se cramponnaient à leur mère. « De quel délai disposons-nous pour y réfléchir ?

— Quelques mois. Le temps de regagner l’espace syndic, puisque notre mission ici n’est pas terminée. »

Pressés les uns contre les autres, ils ne tenaient pas à en dire davantage, de sorte que Geary coupa la communication au bout d’un moment et s’efforça de réfléchir, les pensées embrouillées. Et dire que je m’apitoyais sur moi-même quand, en sortant d’hibernation, je me suis rendu compte qu’un siècle s’était enfui. Pardonnez-moi, mais j’aimerais faire du mal à ces Énigmas. Leur faire payer ça. Certes, ils ont déjà souffert. Beaucoup sont morts et nous avons détruit un bon nombre de leurs vaisseaux. Mais est-ce vraiment une prouesse ? Au moins avons-nous libéré ces gens.

Il afficha les derniers rapports sur le statut de la flotte. Près de trente destroyers avaient souffert de brusques pannes matérielles exigeant des auxiliaires du capitaine Smyth qu’ils se concentrent sur ces réparations en même temps que sur celles des dommages infligés aux vaisseaux lors des derniers combats. Il avait fallu pour cela reporter de plusieurs mois les travaux de remplacement prévus, et rapprocher la date d’ouverture de ces chantiers de celle du pic annoncé dans la courbe des dysfonctionnements de l’équipement pour vétusté.

L’alerte de son écoutille carillonna. Il releva les yeux, espérant qu’il s’agissait de Tanya, et découvrit Victoria Rione. « Que me vaut ? » s’enquit-il plus rudement qu’il ne l’avait escompté.

Le visage de Rione se durcit. « Je tenais à vous dire que le capitaine Benan avait reçu une sorte de tract incitant à votre remplacement.

— Suis-je censé me rendre quelque part ? »

Elle entra dans la cabine. « Un accident est vite arrivé.

— Est-ce une mise en garde ou un constat philosophique ? »

Rione se contenta de secouer la tête. « Je ne suis informée d’aucune menace vous visant. Du moins au sein de la flotte. »

Geary n’en retint que la fin. « Au sein de la flotte ?

— J’ai dit ce que j’avais à dire. Qui assumerait le commandement s’il vous arrivait malheur ? »

L’espace d’un instant, il envisagea de refuser de répondre, la renvoyant ainsi à ses projets secrets, mais il décida finalement de jouer la carte de la sincérité. « Le capitaine Badaya, qui m’a promis de se faire conseiller par Duellos et Tulev. Vous ne voulez pas vous asseoir ? »

Elle prit un siège sans le quitter des yeux. « Pas de poste de commandement pour votre capitaine ?

— S’il m’arrivait quelque chose, on peut avancer sans grand risque qu’elle ne serait pas épargnée. Il manque aussi à Tanya l’ancienneté requise, et la diplomatie n’est pas son fort.

— Oh, vous l’avez remarqué, hein ? Mais, si cet événement malencontreux se produisait, son statut de veuve de Black Jack Geary ne serait-il pas un atout ?

— Tanya n’en abuserait pas.

— Elle devrait pourtant, si besoin. » Rione hésita. Très brièvement, elle donna l’impression d’en avoir trop dit. « Qu’en est-il de tous ces amiraux qui végètent à bord des transports ?

— Ils ont tous été placés sous surveillance médicale en attendant qu’une évaluation complète permette d’affirmer qu’ils sont en état de supporter la pression du service actif. »

Elle éclata de rire. « Le grand Black Jack s’abaisserait à des machinations politiciennes ?

— Le grand Black Jack sait à quel point le stress post-traumatique peut esquinter les gens. C’est déjà un miracle que j’aie réussi à soustraire cette flotte aux Syndics quand on m’a parachuté à sa tête. Et ces amiraux ne comprennent rien à la tactique. » Il se rejeta en arrière. « Je m’attache avant tout au salut de la flotte.

— En plaçant Badaya à sa tête ?

— Badaya n’est pas stupide et il sait que Tulev jouit d’assez d’ancienneté pour l’affronter s’il quitte le droit chemin. Il sait aussi que, sans moi, il n’aurait aucun espoir de diriger l’Alliance. Vous êtes venue parler politique ? »

Elle le fixa droit dans les yeux. « Comptez-vous faire rebrousser chemin à la flotte maintenant ?

— Non. Encore quelques systèmes stellaires puis nous rentrerons. »

Rione hocha la tête, méditative. « Je suis contrainte de vous rappeler qu’on vous a ordonné de définir les frontières de l’espace Énigma.

— Voilà qui est fait, Victoria. Allez-vous enfin me dire pourquoi on vous a confié ce rôle d’émissaire ? »

Les émotions qu’elle dissimulait si soigneusement transparurent fugitivement. « Je me suis portée volontaire après qu’on m’a fait une proposition que je ne pouvais pas refuser. J’aurais pu décliner, certes, mais j’ignorais qui on enverrait à ma place.

— Vous saviez votre mari à Dunaï ?

— Non. Je savais que c’était un camp de travail réservé aux huiles, et Paol n’était que capitaine de frégate.

— Mais marié à la coprésidente de la République de Callas. »

Rione haussa les épaules, relevant de nouveau sa garde.

« J’aurais franchement dû y songer. Les gens que nous avons sauvés, que vont-ils devenir ?

— Nous veillerons sur eux de notre mieux, mais ce sont des êtres humains doués de libre arbitre, de sorte que la décision leur incombe.

— Quel marché avez-vous conclu avec le commandant en chef Iceni pour obtenir le dispositif syndic de prévention de l’effondrement des portails ? »

La question le prit de court, car il croyait que Rione avait déjà deviné la réponse. « Un pacte impliquant tacitement que je n’agirais pas à son encontre. Elle envisage de s’affranchir des Mondes syndiqués. Une chance que les Syndics aient découvert ce dispositif, n’est-ce pas ? Rentrer chez nous sans emprunter leur hypernet eût représenté un bien long périple, poursuivit-il, lui tendant délibérément la perche pour voir si elle allait la saisir.

— Oui, un bien long périple. » Rione hocha encore la tête puis se leva. « Plus que quelques systèmes stellaires, amiral ? Pousser ensuite plus loin pourrait se révéler très tentant. »

Tout en elle laissait entendre que ce serait une erreur, même si quelque chose lui interdisait de le dire de vive voix. « Je comprends. Nous avons planifié une course nous permettant d’en visiter sept autres. Le septième sera le dernier. »

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