Hresh prit son courage à deux mains et il alla trouver Koshmar pour lui demander de le nommer chroniqueur à la place de Thaggoran. Ce n’est pas tant un refus qu’il redoutait, car sa requête était tout à fait extravagante, que les moqueries de Koshmar. Elle pouvait être cruelle, elle pouvait être sans pitié. Et Hresh n’ignorait pas qu’elle avait déjà des raisons de ne pas le porter dans son cœur.
Mais, à son grand étonnement, le chef de la tribu accueillit sa démarche avec une certaine bienveillance.
— Chroniqueur, dis-tu ? C’est une tâche traditionnellement dévolue à l’aîné de la tribu. Et tu as…
— Bientôt neuf ans, répondit Hresh d’une voix ferme.
— Neuf ans. Ce n’est pas ce qu’on peut appeler vieux, n’est-ce pas ?
Il crut voir Koshmar réprimer un sourire.
— L’aîné de la tribu est Anijang, poursuivit Hresh, mais il est trop bête pour devenir chroniqueur. Et puis, en quoi mon âge est-il important, Koshmar ? Tout est différent maintenant que nous sommes sortis. Il y a des dangers partout et les hommes doivent monter la garde en permanence. Nous avons affronté les rats-loups, les oiseaux de sang, les piquefeux et il nous faut chaque jour ou presque repousser de nouvelles attaques. Et cela continuera jour après jour. Je suis trop petit pour être vraiment utile dans ces batailles, mais je peux tenir les chroniques.
— En es-tu sûr ? demanda Koshmar. Sais-tu lire ?
— Thaggoran m’a appris. Je sais écrire des mots et je sais les lire. Et j’ai une bonne mémoire. Je connais déjà une grande partie des chroniques. Tu peux m’interroger sur la venue des étoiles de mort, sur la construction des cocons…
— Tu as lu les chroniques ? demanda Koshmar avec étonnement.
Hresh sentit le rouge lui monter aux joues. Quelle gaffe ! Les chroniques étaient enfermées dans un coffret que seul le chroniqueur en personne avait le droit d’ouvrir. Mais Hresh avait déjà eu l’occasion, et cela remontait à l’époque du cocon, d’en étudier quelques pages lorsqu’il arrivait à Thaggoran de laisser le coffret ouvert, Était-ce négligence ou indulgence, mais l’ancien avait toujours fait semblant de ne rien remarquer ? Mais c’est surtout depuis la disparition du chroniqueur que Hresh avait effectué la majeure partie de ses recherches sur le passé, en cachette, profitant de ce que les autres étaient occupés à chercher de la nourriture. Depuis qu’il n’y avait plus de chroniqueur pour veiller jalousement sur le coffret, il restait souvent sans surveillance et personne ne semblait prêter attention au gamin quand il ouvrait l’objet sacré.
— Thaggoran m’a permis de les regarder, dit piteusement Hresh en espérant que Koshmar se laisserait prendre à ce mensonge grossier. Il m’a fait promettre de ne jamais en parler à personne, mais, de temps en temps, il me faisait une faveur et me laissait…
— Tu imagines que je vais croire cela ? l’interrompit Koshmar en riant. Personne n’est donc capable de tenir ses promesses dans cette tribu ?
— Il aimait à raconter des histoires de l’ancien temps, poursuivit Hresh en improvisant désespérément. Et comme c’est moi qui étais le plus intéressé, il… Enfin, nous…
— Oui, je vois, dit Koshmar en le considérant de toute sa hauteur. Mais peu importe maintenant si des promesses n’ont pas été tenues avant le Départ.
Elle demeura longtemps pensive, puis elle tourna la tête vers Hresh.
— Ainsi tu veux devenir chroniqueur ? Et tu n’as même pas neuf ans ? Quelle drôle d’idée !
Puis, au moment où Hresh s’apprêtait à s’esquiver, le rouge de la honte au front, elle ajouta :
— Va chercher les livres ! Montre-moi comment tu écris et nous prendrons une décision. Allez, dépêche-toi !
Hresh partit en courant, le cœur bondissant dans la poitrine. Parlait-elle sérieusement ? Le prenait-elle vraiment au sérieux ? Allait-elle lui accorder ce qu’il avait demandé ? Certes, cela pouvait n’être qu’une blague cruelle, mais si Koshmar savait se montrer cruelle, elle ne faisait jamais de blague. Elle devait donc être sincère ! Lui, Hresh, chroniqueur ! Il ne pouvait y croire. Il allait devenir l’ancien de la tribu avant d’avoir fêté son neuvième anniversaire !
C’est Threyne qui, ce jour-là, avait la responsabilité des objets sacrés. C’était une petite femme aux grands yeux et au ventre distendu par l’enfant qu’elle portait. Hresh se rua sur elle en criant que Koshmar lui avait demandé de lui apporter les livres sacrés. Threyne fit une moue sceptique et refusa de les lui remettre, de sorte qu’ils finirent par se rendre tous les deux auprès du chef, transportant ensemble le lourd coffret contenant les chroniques.
— C’est vrai, dit Koshmar, je lui ai demandé de m’apporter les livres.
Threyne la regarda avec stupéfaction. A l’évidence, c’était pour elle un véritable blasphème, mais elle n’osa pas défier Koshmar et tendit en grommelant le coffret à Hresh.
— Tu peux partir, dit Koshmar en faisant signe à Threyne de se retirer comme on enlève d’une chiquenaude un grain de poussière.
Quand elle fut hors de vue, Koshmar se retourna vers Hresh.
— Ouvre, dit-elle, puisque tu sembles déjà savoir comment t’y prendre.
Les doigts tremblants, Hresh commença avec empressement à manipuler les fermoirs et les ferrures du coffret qu’il parvint à ouvrir en quelques instants. A l’intérieur se trouvaient le Barak Dayir soigneusement enfermé dans sa bourse, les pierres de lumière et les livres des chroniques empilés comme Thaggoran les avait laissés, avec le volume en cours au sommet de la pile et le Livre de la Voie juste au-dessous.
— Très bien, dit Koshmar. Sors le livre de Thaggoran, ouvre-le à la dernière page et écris ce que je vais te dicter.
Hresh sortit le volume et le caressa avec respect. Il l’ouvrit en faisant le signe du Destructeur, car Dawinno, celui qui écrasait et exterminait, était aussi le gardien des connaissances. Hresh feuilleta lentement le livre jusqu’à ce qu’il arrive à l’endroit où Thaggoran avait commencé de son écriture élégante à rédiger le récit du Départ sur la page de gauche. Le récit du chroniqueur s’arrêtait brusquement, au beau milieu de la page, et celle de droite était vierge.
— Es-tu prêt ? demanda Koshmar.
— Tu veux que j’écrive dans ce livre ? demanda Hresh d’un ton incrédule.
— Oui, dit-elle en plissant le front et en pinçant les lèvres. Écris ceci : Il fut alors décidé par le chef Koshmar que la tribu partirait à la recherche de Vengiboneeza, la grande cité des yeux de saphir, là où il serait peut-être possible de découvrir des secrets utiles au repeuplement de la planète.
Hresh la regardait fixement, sans faire un geste.
— Allez, écris cela ! Tu es sûr de savoir écrire ? Tu ne m’as pas fait perdre mon temps pour rien ? Attention, Hresh ! Par Dawinno, si tu n’écris pas, je te fais écorcher et je fais transformer ta peau en une paire de bottes pour me protéger les pieds du froid de la nuit ! Écris !
— Oui, murmura-t-il. Oui, j’écris.
Il appuya les doigts sur le papier, fit appel à toute sa puissance de concentration et projeta avec une violence désespérée sur la feuille de vélin sensible les mots que Koshmar lui avait dictés. Et, à sa profonde stupéfaction, des caractères brun foncé apparurent presque aussitôt sur le fond jaune. Il écrivait ! Il écrivait dans le Livre du Départ ! Son écriture n’était pas aussi belle que celle de Thaggoran, mais c’était une vraie écriture, nette et parfaitement lisible.
— Fais-moi voir, dit Koshmar.
Elle se pencha sur le livre, les yeux plissés, et hocha la tête.
— Oui, dit-elle, c’est bien. Tu sais donc vraiment écrire ? Petit garnement, petit fouineur, tu sais écrire !
Les lèvres pincées, elle prit fermement le livre entre ses deux mains et laissa courir son doigt sur la feuille en plissant les yeux.
— Le chef Koshmar décida alors que la tribu partirait à la recherche de Vengiboneeza, la grande cité des yeux de saphir…
La différence était minime, mais les mots que lisait Koshmar n’étaient pas tout à fait les mêmes que ceux qu’elle avait dictés à Hresh quelques instants auparavant et qu’il avait fidèlement transcrits. Comment était-ce possible ? Il tendit le cou pour regarder la page à laquelle le livre était ouvert. Ce qu’il avait écrit commençait par : Il fut alors décidé par le chef Koshmar… Était-il possible que Koshmar ne sût pas lire, qu’elle citât de mémoire ce qu’elle avait dicté ? Cela paraissait stupéfiant. Mais, après quelques instants de réflexion, Hresh songea que ce n’était finalement pas si étonnant que cela.
Au contraire d’un chroniqueur, un chef n’avait pas besoin de maîtriser l’art de la lecture.
Il fallut encore quelques instants à Hresh pour se rendre compte de quelque chose de tout aussi étonnant : Koshmar venait de lui révéler le but vers lequel la tribu marchait depuis plusieurs mois ! Jusqu’à cet instant, elle avait fermement refusé de divulguer à quiconque leur destination. Hresh était si absorbé par l’acte d’écrire qu’il n’avait prêté aucune attention à la signification des paroles de Koshmar, mais il en saisissait maintenant toute la portée.
Vengiboneeza ! songea-t-il en sentant les battements de son cœur s’accélérer.
Ils étaient à la recherche de la plus belle de toutes les cités de la Grande Planète !
J’aurais dû m’en douter, songea-t-il avec une pointe de dépit. Thaggoran lui avait dit qu’il était écrit dans le Livre de la Voie qu’à la fin de l’hiver le Peuple sortirait des cocons pour aller chercher au milieu des ruines de la Grande Planète ce dont il aurait besoin pour se rendre maître de la terre. Et quel meilleur endroit pouvait-il y avoir que l’ancienne capitale du peuple des yeux de saphir ? Koshmar y avait peut-être pensé elle aussi, mais c’est plus probablement Thaggoran qui le lui avait suggéré. Vengiboneeza ! La vie était devenue un véritable rêve !
— Alors, demanda-t-il en levant les yeux vers Koshmar. Est-ce que je suis le nouveau chroniqueur ?
— Quel âge as-tu déjà ? dit-elle en le considérant d’un air ironique. Neuf ans ?
— Pas tout à fait.
— Pas tout à fait neuf ans.
— Mais je sais lire. Je sais écrire. J’ai déjà appris beaucoup de choses, Koshmar, et, pour moi, ce n’est que le début.
— Oui, dit-elle en hochant lentement la tête. C’est peut-être le seul moyen de retenir ton attention. N’est-ce pas, Hresh-le-questionneur ? Tu vas lire ces livres. Ils répondront à une partie de tes questions et ils en soulèveront beaucoup d’autres. Tu seras si occupé que tu n’auras plus le temps de fouiner partout et de causer des ennuis à tout le monde.
— C’est moi qui ai découvert les rats-loups, le jour où j’étais parti tout seul, lui rappela Hresh.
— Oui, je sais.
— Cela montre que je peux aussi être utile.
— Peut-être, dit Koshmar.
— Ce n’es pas une blague que tu me fais, Koshmar ? Je suis vraiment le nouveau chroniqueur ?
— Oui, mon garçon, dit-elle en riant. Tu es le nouveau chroniqueur. Tu seras investi de cette fonction dès aujourd’hui, bien que tu sois encore trop jeune pour avoir fêté ton jour de baptême. Nous sommes entrés dans une ère nouvelle et tout est différent maintenant. Disons presque tout. Alors, mon garçon, qu’en dis-tu ?
Il avait réussi !
Hresh s’attela à sa nouvelle tâche avec le plus grand zèle. Il fit de son mieux pour mettre à jour le récit inachevé de Thaggoran narrant les aventures de la tribu depuis le Départ. Il s’efforça de reconstituer le calendrier afin que les rites puissent être célébrés à la date appropriée. Mais, dans la confusion ayant suivi la disparition du chroniqueur, nul ne s’était occupé de cette tâche et Hresh redoutait de ne pas avoir retrouvé le compte exact des jours, de sorte que les jours de baptême, les jours de couplage et autres événements rituels ne seraient peut-être pas célébrés à la date correcte. Il fit tout son possible pour y remédier, mais sans être persuadé d’y parvenir.
Hresh se rendait tous les jours auprès de Koshmar. Le chef s’entretenait avec lui et il consignait dans le grand livre tout ce qui lui paraissait être d’importance. Dès qu’il en avait l’occasion, il se plongeait avec délectation dans les ouvrages reposant au fond du coffret, avide de tout découvrir. Les abondants trésors de l’histoire lui procuraient une profonde volupté. Il lui faudrait peut-être consacrer la moitié de son existence à lire tous ces livres, mais il était résolu à le faire. Pris d’une soif inextinguible de connaissances, Hresh tournait les pages, les caressait, s’efforçait d’en absorber le contenu sans s’accorder le temps de lire plus de quelques lignes avant de passer à la suivante. A mesure qu’il explorait les différents ouvrages, les vérités qu’ils contenaient se brouillaient et s’enchevêtraient dans son esprit, engendrant des mystères encore plus profonds qu’ils l’avaient été avant qu’il les effleure. Mais ce n’était pas important ; il aurait tout le temps par la suite pour approfondir ses connaissances. Tout ce qu’il désirait dans l’immédiat, c’était dévorer goulûment.
Il avait décidé de porter en sautoir l’amulette de Thaggoran et ne l’enlevait ni de jour ni de nuit. Il avait eu au début le sentiment d’une étrange présence battant sourdement contre son sternum, mais il s’y était vite habitué et elle faisait maintenant presque partie intégrante de lui-même. Elle lui donnait un sentiment d’intimité avec Thaggoran et, quand il la touchait, il avait l’impression que le vieux chroniqueur lui communiquait sa sagesse.
Il reprit les ouvrages les plus anciens, ceux qu’il comprenait très difficilement, car ils étaient rédigés en une étrange sorte d’écriture sur laquelle son esprit avait beaucoup de mal à se régler. Mais en laissant courir ses doigts tremblants sur les pages racornies, il finissait par percevoir une signification, mais toujours ambiguë, elliptique, évasive. Il s’agissait de récits fragmentaires remontant à l’époque de la Grande Planète et qui évoquaient l’existence harmonieuse des Six Peuples : les humains et les hjjk, les végétaux et les mécaniques, les seigneurs des mers et. les yeux de saphir. C’était très flou, comme l’écho d’un écho lointain, mais cet écho éclatait dans son âme comme une sonnerie de clairon jaillissant de la nuit des temps. C’était, sans conteste, l’époque dorée, le faîte de la splendeur perdue de la Terre, quand la planète entière n’était qu’une fête. Hresh ne pouvait s’empêcher de trembler à l’évocation des différentes races, des multitudes d’habitants, des cités flamboyantes, des navires voguant orgueilleusement entre les étoiles. Tout cela dépassait véritablement l’entendement. Il sentait monter en lui toutes ces connaissances, aussi partielles fussent-elles, avec une telle violence qu’il craignait d’en être étouffé. Puis il avançait dans le temps jusqu’à la fin tragique de la Grande Planète, le moment fatal où les étoiles de mort commencèrent à tomber, comme il avait été prédit de très longue date. Mais comment ceux qui étaient parvenus à une telle grandeur avaient-ils pu laisser l’irréparable se produire ? Avaient-ils donc été incapables de détourner la course folle des étoiles fondant sur eux ? C’était certainement en leur pouvoir, puisque tout le reste l’était. Mais rien n’avait été fait. Il n’en était fait mention nulle part dans les chroniques qui ne parlaient que du cataclysme lui-même. Et les yeux de saphir avaient péri, car ils avaient le sang froid et ne pouvaient supporter le gel. Les végétaux étaient morts eux aussi, et pour la même raison, car ils avaient été créés à partir de cellules de plantes. Hresh avait dévoré le noble récit de la destruction volontaire des mécaniques qui avaient refusé la survie dans l’ère nouvelle qui s’ouvrait alors que cela leur eût été possible. Il lut tout, il avala tout avec ivresse.
Il arrivait à Hresh de sortir les pierres de lumière du coffret. Il les disposait devant lui, les caressait, les serrait dans sa main en leur parlant tout bas, espérant qu’elles lui communiqueraient un peu de sagesse. Mais elles demeuraient désespérément muettes. Malgré les efforts de Hresh, elles refusaient d’être autre chose que des pierres sombres à la luisance légère et de lui révéler quoi que ce fût. Il comprit avec une profonde tristesse que le Peuple devrait désormais se passer de leurs précieux conseils. Le secret du contact avec les pierres de lumière s’était perdu avec la mort de Thaggoran.
Il restait le Barak Dayir, la Pierre des Miracles. C’était la seule chose renfermée dans le coffret que Hresh n’osait pas examiner. Il la laissait prudemment dans sa bourse de velours vert, refusant même de la toucher. Il savait qu’elle avait le pouvoir d’ouvrir les portes de connaissances encore plus riches que celles auxquelles la lecture lui donnait accès. Mais il redoutait d’en faire trop et trop hâtivement. Thaggoran lui avait révélé que la Pierre des Miracles était un fragment d’étoile, mais il lui avait également dit qu’elle pouvait être dangereuse. Hresh préféra donc la laisser de côté jusqu’à ce qu’il soit en mesure de l’utiliser sans courir le moindre risque. Il se félicita chaleureusement en son for intérieur pour cette prudence si contraire à sa nature avant de se moquer de sa ridicule réaction d’orgueil.
Pour les autres membres de la tribu, la promotion de Hresh à la fonction honorifique de chroniqueur était avant tout un sujet d’amusement. Ils avaient entendu la proclamation de Koshmar et le voyaient fourrager tous les jours dans les bagages, mais ils avaient de la peine à comprendre qu’un enfant de son âge fût leur nouveau chroniqueur.
— Suis-je censé t’appeler l’ancien ? lui demanda Minbain en riant.
— Ce n’est qu’un titre, maman. Cela m’est parfaitement égal qu’on l’utilise ou non.
— Mais tu es le chroniqueur ? Tu es vraiment notre chroniqueur ?
— Tu le sais bien, dit Hresh.
Minbain posa les mains sur son giron et se mit à rire de plus belle.
— Je me demande comment un être aussi étrange que toi a pu sortir de mon ventre, dit-elle d’un ton affectueux mais qui semblait dépourvu de bonté. Comment est-ce possible ?
Torlyri s’était montrée beaucoup plus gentille avec lui et lui avait avoué qu’elle avait toujours pensé qu’il était né pour être chroniqueur. Mais Torlyri était gentille avec tout le monde. Orbin, qui était son camarade de jeu et son meilleur ami, le regardait maintenant comme une sorte de monstre à deux têtes et les autres enfants de son âge, qui ne s’étaient jamais sentis à l’aise en sa compagnie, le tenaient franchement à l’écart. La seule exception était Taniane qui ne semblait aucunement impressionnée par sa gloire nouvelle. Elle parlait encore avec lui et marchait à ses côtés comme si rien n’avait changé, mais, depuis quelque temps, elle était de plus en plus souvent avec Haniman. Hresh ne comprenait pas bien ce qu’elle pouvait trouver d’intéressant à ce balourd, mais il fallait reconnaître qu’il était beaucoup moins mollasson depuis que la tribu était en marche et qu’il montrait même quelques signes légers de coordination, voire de grâce.
Anijang, qui, du temps du cocon, serait devenu chroniqueur au bénéfice de l’âge, étouffait un gloussement quand il voyait Hresh approcher. « Quelle corvée tu m’as épargnée, mon garçon ! disait-il. Imagine qu’il aurait fallu que j’apprenne à lire ! » Et il semblait sincèrement soulagé. A l’exception de Salaman qui s’arrêtait parfois pour le regarder comme s’il refusait de croire qu’un garçon encore plus jeune que lui soit devenu le chroniqueur et l’ancien de la tribu, les jeunes guerriers ne lui prêtaient pour la plupart aucune attention. Les guerriers d’âge mûr ne lui lançaient même pas un regard. A leurs yeux le chroniqueur était un personnage qu’il convenait de révérer et il n’était aucunement dans leur intention de révérer ce blanc-bec. Harruel était le seul qui daignât lui adresser la parole. L’écrasant de toute sa masse, il lui avait souhaité bonne chance avec sa brusquerie coutumière. « Tu es très jeune, mais les coutumes changent avec les époques, et, si tu dois être notre chroniqueur, je n’ai rien à y redire. » Hresh l’avait remercié comme il convenait, mais Harruel était devenu si bizarre depuis quelque temps — la mine renfrognée et le regard noir, comme s’il avait connu une cruelle déception — que le gamin préférait garder prudemment ses distances.
Il allait de soi que Hresh était censé garder le secret sur tout ce que le chef lui dictait jusqu’à ce que Koshmar décide d’en faire part à la tribu tout entière. Mais le nouveau chroniqueur n’avait pas encore neuf ans. Un jour où il marchait à côté de Taniane, il se tourna vers la fillette et lui demanda :
— Sais-tu où nous allons ?
— Il n’y a que Koshmar qui le sait.
— Moi aussi.
— C’est vrai ?
— Et je vais te le dire, à condition que tu ne le répètes à personne.
Il se pencha lentement vers elle.
— Nous allons à Vengiboneeza, lui murmura-t-il à l’oreille. Tu ne t’attendais pas à cela, Taniane ? A Vengiboneeza !
Hresh croyait qu’elle allait être abasourdie par cette révélation, mais la fillette tourna vers lui un regard sans expression.
— Où ? demanda-t-elle.
Ils continuaient d’avancer vers l’occident, traversant des paysages variés et, de jour en jour, l’atmosphère se réchauffait sans devenir véritablement agréable.
Pas une seule fois ils ne rencontrèrent d’autres humains. Les étendues désertiques qu’ils traversaient ne semblaient peuplées que d’animaux sauvages et inconnus. Koshmar ne savait si elle devait s’en réjouir ou le déplorer. D’une part, elle eût aimé rencontrer une autre tribu pour avoir la confirmation que sa décision d’abandonner le cocon avant que l’hiver soit véritablement terminé n’avait pas été une grosse erreur. Elle souhaitait également soulager son esprit de la pensée tenaillante que sa petite troupe de soixante âmes était tout ce qui subsistait de la race humaine. Et, au fond d’elle-même, elle n’eût pas été mécontente de s’unir avec quelques autres tribus errantes pour partager les risques et les épreuves du voyage.
Mais, en même temps, l’idée de découvrir d’autres humains ne lui plaisait qu’à moitié. Elle était depuis longtemps le maître absolu et incontesté de sa tribu. Les regards noirs et les grommellements d’Harruel ne constituaient pas une véritable menace : jamais le Peuple ne l’accepterait comme chef. Mais s’ils devaient rencontrer une autre tribu et faire alliance avec elle, il pourrait y avoir des rivalités, des affrontements et même une guerre ouverte. Koshmar n’avait aucune envie de partager son pouvoir avec un autre chef et elle se rendait compte que, dans une certaine mesure, elle souhaitait que sa propre tribu fût la seule à avoir survécu à la destruction de la Grande Planète.
Si c’était le cas, et si tout se passait bien, elle figurerait dans les chroniques au rang des plus grands chefs de l’histoire, celle qui aurait été à l’origine du renouveau de la race humaine. Elle était tout à fait consciente de la vanité de sa position, mais une telle ambition ne pouvait être un péché impardonnable.
Les responsabilités qui pesaient sur Koshmar étaient lourdes. La tribu traversait des contrées dangereuses, en route vers une destination inconnue. Chaque jour apportait son lot de difficultés, qui mettaient à l’épreuve la résolution de la tribu, et Koshmar elle-même était souvent incertaine de ce qu’il convenait de faire. Mais en aucun cas ses doutes ne devaient transparaître.
Un beau jour, elle réunit tout le monde pour leur dévoiler enfin que leur destination était Vengiboneeza. Les plus âgés connaissaient le nom, d’après les histoires que Thaggoran leur racontait dans le cocon, mais le visage des plus jeunes proclamait leur ignorance.
— Parle-leur de Vengiboneeza, ordonna-t-elle à Hresh.
Il s’avança et parla des tours majestueuses de la grande cité du passé, de ses éblouissants palais de pierre, de ses merveilleuses machines, de ses bassins d’une radieuse beauté et de ses jardins chatoyants. Il avait trouvé toutes ces descriptions dans les chroniques. Il lui suffisait de poser les mains sur les pages des livres et de laisser les images monter à son esprit.
— Mais à quoi bon aller à Vengiboneeza ? demanda Harruel quand Hresh eut terminé.
— Ce sera le début de notre grandeur, répondit sèchement Koshmar. Les chroniques nous affirment que les machines de la Grande Planète s’y trouvent toujours et ceux qui les découvriront deviendront puissants. Nous allons entrer dans Vengiboneeza et chercher les trésors qu’elle renferme. Nous y prendrons tout ce qui peut nous être utile, nous nous rendrons maîtres de la planète et nous bâtirons la plus magnifique des cités.
— Une cité ? demanda Staip. Nous allons habiter dans une cité ?
— Bien sûr, Staip. Crois-tu que nous allons rester au milieu des bêtes sauvages ?
— Vengiboneeza est en ruine depuis sept cent mille ans, déclara Harruel d’un ton lugubre. Il n’y restera plus rien d’utilisable.
— Ce n’est pas ce que disent les chroniques, répliqua Koshmar.
— Des protestations s’élevèrent. Staip continua de murmurer, ainsi que Kalide et quelques autres. Koshmar lut le désarroi et le chagrin dans le regard de Torlyri et elle comprit que son autorité sur la tribu était sérieusement battue en brèche. Elle leur avait trop demandé en entreprenant cette marche démoralisante. Elle les avait arrachés au confort de leur cocon pour les jeter dans le froid mordant et les vents violents. Elle les avait exposés à la lumière cruelle du soleil et à l’éclat glacé de la lune. Elle les avait fait entrer dans un monde d’oiseaux de sang, de piquefeux et de gigantesques bouches béantes. Ils avaient supporté avec patience toutes ces épreuves, mais leur patience avait des limites. Il fallait maintenant leur promettre des récompenses si elle voulait qu’ils restent derrière elle.
— Écoutez-moi ! s’écria-t-elle. Avez-vous des raisons de douter de moi ? Je suis Koshmar, fille de Lissiminimar, et vous m’avez choisie pour chef du temps de Thekmur ! Vous ai-je jamais déçue depuis ce jour ? Je vous guiderai jusqu’à Vengiboneeza et toutes les merveilles de la Grande Planète seront à nous ! Puis nous irons encore plus loin et nous deviendrons les maîtres du monde entier ! Nous dormirons au sec, nous boirons des boissons exquises, il y aura de la nourriture en abondance, de beaux vêtements et une vie facile pour chacun d’entre nous ! Je vous en fais la promesse ! C’est le serment du Printemps Nouveau !
Koshmar voyait encore des regards fuyants ; Staip se balançait nerveusement d’une jambe sur l’autre et Konya lui chuchotait quelque chose à l’oreille. Kalide, qui semblait également hésiter sur le parti à prendre, se retourna vers Minbain pour lui glisser quelques mots. Harruel semblait distant, perdu dans ses pensées. Mais nul n’osait élever la voix contre elle. Koshmar sentit qu’il fallait profiter de ce flottement.
— A Vengiboneeza ! s’écria-t-elle.
— A Vengiboneeza ! lança Torlyri d’une voix forte.
— Vengiboneeza ! hurla Hresh à son tour.
Il y eut un moment de gêne durant lequel tous les autres demeurèrent silencieux, les yeux baissés. Koshmar vit que son peuple était las, hésitant, prêt à se rebeller. Seuls Torlyri et Hresh l’avaient soutenue ; mais Torlyri était sa compagne et Hresh était à son service. Qui d’autre allait lui apporter son soutien ?
— A Vengiboneeza !
La voix forte et haute qui reprenait enfin le cri était celle du jeune Orbin. Puis, au grand étonnement de Koshmar, Haniman se joignit à lui, aussitôt suivi par certains des adultes, Konya, Minbain, Striinin, et par l’ensemble de la tribu. Y compris Harruel, y compris Staip, même si c’était un peu à contrecœur. Ils étaient de nouveau unis, ils parlaient de nouveau d’une même voix !
La tribu se remit en marche, mais Koshmar se demandait de combien de temps elle disposait avant de devoir les rallier encore une fois autour de sa personne.
Ils eurent bientôt de nouvelles pertes à déplorer. Un jour où un vent chaud soufflait en violentes rafales, le jeune Hignord fut emporté par un énorme animal vert aux innombrables pattes qui jaillit d’un grand trou invisible. Quelques jours plus tard, la petite Tramassilu qui était partie attraper de petits crapauds jaunes vivant dans les arbres fut blessée à mort par une monstrueuse créature sautillante au bec rouge vif qui fondit sur elle à la vitesse de la foudre et exécuta sur le pauvre petit corps une danse lugubre à laquelle Harruel mit fin d’un violent coup de massue.
Cela faisait déjà quatre morts sur les soixante qui avaient entrepris le long voyage. Les ventres bien rebondis des génitrices annonçaient pour bientôt le remplacement des disparus, mais une grossesse était une affaire de longue haleine alors que la mort frappait avec soudaineté. Koshmar s’inquiétait de voir s’éclaicir les rangs de sa petite troupe et redoutait qu’ils ne fussent plus assez nombreux si d’autres femmes venaient à périr. Et ils avaient déjà perdus deux femelles en état de procréer. Koshmar savait bien qu’il suffisait d’un seul mâle pour féconder toutes les femmes de la tribu, mais c’étaient les femmes qui portaient les enfants et la gestation était longue.
Les lourds nuages qui les menaçaient s’ouvrirent et il plut sans discontinuer pendant dix jours et dix nuits. Tout le monde était trempé jusqu’aux os et une mauvaise odeur d’humidité se dégageait des fourrures dégoulinantes. C’était la première fois qu’il pleuvait depuis le Départ, mais le spectacle de l’eau tombant du ciel n’exerça pas longtemps la fascination de la nouveauté et se tranforma rapidement en un affreux tourment. Des murmures commencèrent à s’élever. « Quand verrons-nous Vengiboneeza ? » entendait-on de plus en plus souvent.
D’aucuns allaient jusqu’à affirmer qu’une nouvelle étoile de mort s’était fracassée au loin sur la planète, trop loin pour qu’ils aient pu percevoir le choc, et que la pluie marquait le commencement d’une nouvelle période de froid et le retour des ténèbres.
— Non, répliqua Koshmar avec véhémence, la pluie ne tombe qu’à l’endroit où nous nous trouvons. Ailleurs il faisait sec, mais ici il pleut ! Vous voyez bien que l’herbe est grasse et la végétation plus abondante !
Elle disait vrai et ils repartirent, l’échine courbée, la fourrure ruisselante. Et la pluie finit par cesser.
Puis les jours commencèrent à raccourcir. Depuis qu’ils avaient quitté le cocon, chaque jour avait été un peu plus long que le précédent, mais maintenant ils voyaient le soleil disparaître à l’horizon un peu plus tôt à la fin de chaque après-midi.
— Et Vengiboneeza ? recommencèrent à murmurer plusieurs voix dans les rangs.
— Koshmar se contenta de hocher la tête en tendant le bras vers l’occident.
— Je crois que nous entrons dans un pays plongé dans une nuit éternelle, dit Staip, le guerrier jovial à qui le doute et le pessimisme avaient toujours été étrangers. Et un pays de ténèbres ne peut être qu’un pays froid.
— Et un pays mort, ajouta Konya d’un ton lugubre.
Il avait cessé de rire et de chanter. Sa réserve naturelle était revenue depuis déjà plusieurs semaines et s’était même singulièrement accentuée, de sorte que cet être distant et solitaire semblait maintenant reclus dans un univers intérieur sinistre et terrifiant.
— Rien ne peut survivre dans cet endroit, ajouta-t-il. Il faut faire demi-tour.
— Non, déclara Koshmar, il faut continuer. Ce qui vous effraie tant est normal, naturel. Là où nous sommes maintenant, les ténèbres sont plus fortes que la lumière, mais, plus loin, tout s’arrangera.
— Le crois-tu vraiment ? demanda Staip.
— Garde confiance, répondit Koshmar. Yissou nous protégera. Emakkis pourvoira à nos besoins. Dawinno nous guidera.
Et ils poursuivirent leur route.
En son for intérieur, Koshmar n’avait pas la même certitude que sa confiance fût justifiée. Dans le cocon le jour et la nuit étaient d’égale longueur, mais, à l’évidence, il en allait autrement dans le monde de l’extérieur. Quelle pouvait être la véritable signification de cette diminution de la durée du jour ? Peut-être Staip était-il dans le vrai, peut-être pénétraient-ils dans une contrée où le soleil ne se levait jamais et où le froid aurait raison de leur vaillance.
Elle regrettait de ne pouvoir consulter Thaggoran qui aurait pu lui fournir une explication ou au moins inventer quelque chose de rassurant. Mais Thaggoran n’était plus à ses côtés et l’ancien de la tribu n’était qu’un enfant. Koshmar envoya quand même chercher Hresh et prit soin de ne pas lui montrer l’incertitude qui l’assaillait.
— J’ai besoin de connaître un mot de l’ancien temps, dit-elle.
— Quel mot ? demanda Hresh.
— Le nom que nos ancêtres donnaient aux changements de durée du jour et de la nuit. On doit pouvoir trouver cela dans les chroniques. Le nom est celui du dieu. Il faut s’adresser au dieu dans nos prières en lui donnant son vrai nom, sinon le soleil ne reviendra jamais.
Hresh partit fouiller dans les archives. Il chercha dans le Livre de la Voie, dans le Livre des Heures et des Jours, dans le Livre du Réveil Glacé, dans le Livre de l’Éclat mensonger et dans bien d’autres volumes dont certains étaient si anciens qu’ils n’avaient même pas de nom. Il découvrit la réponse par fragments, dans différents ouvrages, et, au bout de trois jours, il revint trouver Koshmar.
— On appelle cela les saisons, dit-il. Il y a la saison du jour qui est suivie par la saison de la nuit, puis revient la saison du jour.
— Bien sûr, dit Koshmar. Les saisons ! Comment ai-je pu oublier cela ?
Elle fit venir Torlyri et lui ordonna d’adresser ses prières au dieu des saisons.
— Lequel est-ce ? demanda doucement la femme-offrande.
— Celui qui nous amène le temps de la lumière et le temps de l’obscurité, répondit Koshmar.
— Est-ce Friit, à ton avis ? dit Torlyri en hésitant. Friit est le Guérisseur. Il apporte assurément la lumière après l’obscurité.
— Mais Friit n’apporterait pas l’obscurité, dit Koshmar. Non, ce n’est pas lui.
— Alors, dis-moi lequel c’est, poursuivit Torlyri, car je ne sais pas à qui faire mes offrandes.
Koshmar espérait que Torlyri trouverait la réponse, mais, de toute évidence, la prêtresse attendait que le chef se prononce.
— C’est Dawinno, déclara Koshmar d’une voix ferme.
— Bien sûr, dit Torlyri en souriant. Le Destructeur. L’obscurité, puis la lumière : c’est bien dans sa manière d’agir. Il tient tout en équilibre dans ses mains et c’est pour notre plus grand bien.
Tous les jours à midi, quand le soleil était au zénith, Torlyri commença donc à faire une offrande à Dawinno le Destructeur, dieu des saisons. Elle brûlait de vieux fragments de fourrure et un morceau de bois sec dans une belle coupe ancienne de pierre verte polie et veinée d’or. La fumée qui s’élevait vers le soleil était son message de gratitude au dieu dont la sagacité dépassait l’entendement humain.
Les jours continuaient inexorablement de raccourcir, mais Koshmar refusait toute discussion sur ce phénomène.
— Ce sont les saisons, disait-elle avec un geste impérieux de la main. Tout le monde sait cela ! Qu’y a-t-il à craindre ? Les saisons sont dans la nature des choses. C’est un phénomène normal, c’est le don que nous fait Dawinno !
— Oui, grommela Harruel, suffisamment fort pour que Koshmar puisse l’entendre. Les étoiles de mort aussi.
Le paysage changeait à mesure qu’ils avançaient. Il était demeuré très plat pendant longtemps, puis était devenu beaucoup plus accidenté et sauvage et ils durent traverser des montagnes d’un rouge éclatant dont la crête était aiguisée comme la lame d’un couteau. De l’autre côté ils découvrirent quelque chose de tout à fait curieux sur une pente dénudée : une masse inerte de métal, deux fois large comme un homme mais moitié moins haute. Sa tête formait un large dôme muni d’un seul œil et ses jambes étaient articulées d’une manière très complexe. Sa peau métallique, jadis épaisse et luisante, n’était plus maintenant que rouille piquetée depuis des siècles par les précipitations.
— C’est un mécanique, annonça Hresh après avoir vérifié dans les chroniques. Nous devons être à l’endroit où ils sont venus mourir.
Et, de fait, dans les plaines qui s’étendaient au pied des montagnes, ils découvrirent plusieurs centaines, voire des milliers de ces créatures métalliques trapues, une véritable forêt, un océan de carcasses recouvrant le sol dans toutes les directions, occupant chacune une petite parcelle du terrain dans une solitude éternelle. Elles étaient toutes mortes et tellement rongées par la rouille qu’elles s’effritaient au moindre contact et tombaient aussitôt en poussière.
— A l’époque de la Grande Planète, dit Hresh en prenant un ton solennel, ces créatures habitaient dans les puissantes cités de royaumes uniquement peuplés de machines. Mais elles ont refusé de continuer à vivre quand les premières étoiles de mort sont tombées.
— Qu’est-ce qu’une machine ? demanda Haniman.
— Une machine, répondit Hresh, est un objet qui fournit un travail. C’est un objet métallique doté d’un esprit, d’une force, d’une utilité et d’une sorte de vie qui n’est pas semblable à la nôtre.
Il n’avait pu trouver meilleure définition et tout le monde l’accepta. Mais quand quelqu’un demanda pourquoi quelque chose de vivant avait accepté de son plein gré de renoncer à la vie, même si elle n’était pas semblable à la leur, Hresh ne sut que répondre. Cela le dépassait lui aussi.
Koshmar parcourut le cimetière de carcasses corrodées dans l’espoir de découvrir un mécanique ayant encore assez de vie en lui pour lui indiquer la route de Vengiboneeza, mais leurs têtes rongées par la rouille lui opposaient un silence moqueur. La mort les avait frappés depuis trop longtemps et plus rien ne pouvait les tirer de leur sommeil éternel.
La tribu traversa ensuite un désert de terre sablonneuse encore plus aride que tout ce qu’il lui avait été donné de voir jusqu’alors. Il n’y avait pas la moindre goutte d’eau et le sol crissait et se craquelait sous les pas. Rien ne poussait, pas la plus petite touffe d’herbe, et les seuls êtres vivants étaient de petits animaux jaunes au corps allongé qui avançaient en ondulant sur le sable et laissaient derrière eux une trace sinueuse et profonde. Ils attaquèrent Staip et Haniman et leur morsure provoqua sur les jambes de leurs victimes un gonflement douloureux qui ne se résorba qu’au bout de plusieurs jours. Ils infligèrent également à quelques têtes de bétail des morsures qui se révélèrent mortelles. Il ne restait plus beaucoup d’animaux maintenant. La tribu avait été obligée de tuer pour se nourrir la majorité de ceux qu’elle avait emmenés et un certain nombre d’autres s’étaient égarés et avaient disparu ou bien avaient été tués en chemin par des bêtes sauvages. La sécheresse était telle que, la gorge brûlante et l’œil enfoncé, la petite troupe de marcheurs regrettait douloureusement la pluie qu’elle avait trouvée si désagréable peu de temps auparavant.
Puis ils laissèrent enfin le désert derrière eux et arrivèrent dans une contrée verdoyante où ils trouvèrent un chapelet de lacs et un grand fleuve tumultueux qu’ils traversèrent sur des radeaux faits de troncs de bois tendre liés par la peau d’une créature élancée au corps d’azur, mi-serpent, mi-arbre. L’autre rive du fleuve était bordée par une chaîne de montagnes basses. Un jour, cependant qu’ils traversaient ces montagnes, Torlyri aperçut au loin, dans un défilé, un groupe très nombreux de hjjk, une véritable armée qui se dirigeait vers le sud. A la clarté cuivrée du crépuscule, ils ne paraissaient pas plus grands que des fourmis, mais ils étaient plusieurs milliers, une effrayante multitude. Si les insectes avaient vu la petite troupe de Koshmar, ils n’en laissèrent rien paraître et ils disparurent bientôt dans les replis de la montagne.
Et les jours recommencèrent à s’allonger. L’atmosphère se réchauffa et la température devint franchement agréable. De temps en temps, le vent du nord soufflait encore en rafales glacées, mais de plus en plus rarement. Il était maintenant indéniable que l’étreinte mortelle de l’hiver sur la planète se desserrait et ne serait bientôt plus qu’un souvenir. Sous d’autres latitudes l’hiver régnait encore, mais la tribu était entrée dans une région au climat printanier et, plus elle avançait vers l’occident, plus le temps devenait agréable. Koshmar avait le sentiment que son obstination était enfin récompensée. Le dieu des saisons lui souriait.
Mais où pouvait donc se trouver l’illustre cité de Vengiboneeza ? S’il fallait en croire les chroniques, l’ancienne capitale des yeux de saphir s’élevait à l’endroit où le soleil se couche. Cela signifiait certainement qu’elle était à l’occident. Mais l’occident était un lieu qui s’étendait à l’infini, un lieu sans limites. La tribu couvrait chaque jour plusieurs lieues dans la direction de l’ouest, mais quand le soleil disparaissait sous l’horizon à la tombée de la nuit, il était évident que la journée entière de marche ne leur avait aucunement permis de se rapprocher de l’astre couchant.
— Cherche encore dans les livres, ordonna Koshmar à Hresh en désespoir de cause. Tu as dû rater le passage qui nous expliquera comment atteindre Vengiboneeza.
Et le jeune chroniqueur feuilleta encore une fois tous les ouvrages sacrés. Il passa au crible les plus anciens, les plus poussiéreux du lot, ceux qui ne parlaient que de la Grande Planète. Mais il ne trouva rien. Peut-être ne cherchait-il pas où il fallait. Ou peut-être que les auteurs de l’époque n’avaient pas vu la nécessité de donner l’emplacement d’une ville aussi célèbre. Mais peut-être encore avait-on simplement perdu ces informations. Hresh savait que les ouvrages les plus anciens des chroniques n’étaient pas les textes originaux, tombés en poussière depuis des centaines de milliers d’années. Ceux qui étaient renfermés dans le coffret n’étaient que des copies de copies de copies, rédigées à partir de versions antérieures par des générations de chroniqueurs dans le courant de l’interminable nuit du cocon. Comment savoir si des parties du texte d’origine n’avaient pas été transformées par erreur, ou même entièrement supprimées, à l’occasion de ces innombrables retranscriptions. La majeure partie de ce que contenaient ces ouvrages lui était incompréhensible et ce qu’il y trouvait, malgré la limpidité apparente, avait parfois la clarté trompeuse d’un rêve où tout paraît simple et ordonné alors qu’en réalité tout est dénué de sens.
Hresh se dit que le moment était peut-être venu de risquer de faire appel au Barak Dayir. Mais il avait très peur. Jamais dans sa courte existence il n’avait eu peur de rien, même le jour où il avait tenté de se glisser hors du cocon. Non, ce n’était pas vrai… Il avait eu peur que Koshmar le condamne à mort. Il ne pouvait nier qu’il avait peur de la mort. Mais la mort était la seule question qui renfermait sa propre réponse. Quand on posait la question, on obtenait la réponse. Mais il était trop tard, on n’était déjà plus rien. Telle était donc l’unique réponse que Hresh redoutait. Mais la question de savoir comment utiliser la Pierre des Miracles pouvait fort bien être la même que celle de la compréhension de la mort. Et la réponse, s’il ne parvenait à se protéger efficacement, risquait également d’être la même. Il préféra donc laisser le Barak Dayir dans sa bourse de velours.
— Dis-moi comment atteindre Vengiboneeza ! lui demanda encore une fois Koshmar.
— Je vais continuer à chercher, dit Hresh. Laisse-moi encore quelques jours et je te dirai ce que tu veux savoir.
Harruel vint trouver Hresh un matin où le chroniqueur était plongé dans ses livres.
— Bonjour, l’ancien ! Le chroniqueur !
Surpris, Hresh leva la tête et, en découvrant la haute silhouette du guerrier, il écarta machinalement le livre qu’il lisait en le protégeant de la main. Comme si Harruel avait su lire !
— Assieds-toi si tu veux me parler, dit Hresh. Tu es beaucoup trop grand et je suis obligé de me tordre le cou pour te voir.
— Tu n’as pas froid au yeux, dit Harruel en riant.
— Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour toi ?
Harruel se mit à rire de plus belle. C’était un rire âpre qui sortait de sa gorge avec un bruit semblable à celui de rochers dévalant une pente, mais ses yeux pétillaient. Hresh savait qu’il jouait à un jeu stupide et peut-être dangereux. Un garçon de neuf ans donnait des ordres à l’homme le plus fort de la tribu ! Comment Harruel aurait-il pu ne pas rire ? Il était déjà bien beau qu’il résistât à l’envie de gifler l’insolent. Mais je suis le chroniqueur, songea Hresh avec bravade. Je suis l’ancien de la tribu et lui n’est qu’un imbécile avec de gros muscles !
Le grand guerrier s’agenouilla et se rapprocha de lui. Trop près au goût de Hresh. Il émanait du corps d’Harruel une odeur âcre et désagréable et sa masse physique était troublante.
— J’ai besoin de savoir quelque chose, commença le guerrier à voix basse.
— Demande-moi.
— Parle-moi de ce qu’on appelait la royauté.
— La royauté ? répéta Hresh.
C’était un mot ancien, un de ces mots qui n’avaient plus cours aujourd’hui, et il était tout étonné de l’entendre dans la bouche d’Harruel.
— Tu as entendu parler de la royauté ? demanda-t-il.
— Un peu. Je me souviens que Thaggoran nous en a parlé un jour où il lisait les chroniques. Tu n’étais encore qu’un bébé. Il nous parlait de lord Fanigole, de lady Theel, de Belilirion et des autres fondateurs du Peuple, à l’époque où les premières étoiles de mort sont tombées. A part Lady Theel, tous étaient des hommes et ils détenaient le pouvoir. Je lui ai demandé si, dans ces temps reculés, le pouvoir était souvent détenu par les hommes et Thaggoran m’a dit qu’à l’époque de la Grande Planète il y avait de nombreux rois qui étaient des hommes comme moi, et pas seulement chez les humains… Les yeux de saphir avaient des rois, eux aussi. Et Thaggoran m’a dit que quand le roi donnait un ordre on lui obéissait.
— Comme on obéit maintenant aux ordres du chef, dit Hresh.
— Oui, dit Hamiel, comme on obéit maintenant aux ordres du chef.
— Alors, tu sais déjà ce qu’est la royauté, poursuivit Hresh. Que veux-tu savoir d’autre ?
— Je veux que tu me dises que cela existait vraiment.
— Que des hommes étaient rois sur la Grande Planète ? dit Hresh avec un haussement d’épaules.
C’était une question sur laquelle il ne s’était jamais penché. Et même s’il S’avait fait, il aurait certainement évité de fournir des détails à Harruel ou à n’importe qui d’autre que Koshmar. Les chroniques servaient avant tout à guider le chef de la tribu et non à distraire tout un chacun.
— Je ne sais pas grand-chose sur la royauté, dit Hresh. Pas beaucoup plus que ce que tu viens de me dire.
— Mais tu peux en savoir plus long, non ?
— Je trouverai peut-être des détails dans les chroniques, répondit prudemment Hresh.
— Cherche bien et dis-moi tout. J’ai la conviction que la royauté n’aurait pas dû être abandonnée. Si la Grande Planète doit renaître, il nous faut savoir ce qui se passait à l’époque de sa splendeur. Fouille dans tes livres, mon garçon, et dis-moi tout ce qu’il y a à savoir.
— Il ne faut plus m’appeler « mon garçon », dit Hresh.
Harruel partit d’un nouvel éclat de rire, mais, cette fois, ses yeux ne pétillaient plus.
— Fouille donc dans tes livres, chroniqueur. Et dis-moi tout ce qu’il y a à savoir… l’ancien !
Harruel s’éloigna à grandes enjambées et Hresh le suivit d’un regard craintif en songeant que cette démarche ne pouvait être synonyme que d’ennuis, voire de danger. Il caressa nerveusement l’amulette de Thaggoran et, dès le soir, il commença à chercher dans les livres tout ce qu’il pouvait trouver sur la royauté. Ce qu’il découvrit ne fît que confirmer ses craintes.
Hresh se dit qu’il devrait peut-être raconter toute l’histoire à Koshmar.
Mais il n’en fit rien. Il ne communiqua pas non plus à Harruel le résultat de ses recherches et le guerrier ne lui demanda rien d’autre sur la royauté. Leur conversation demeura confidentielle, comme un secret qui les liait.
Koshmar sentait souffler le vent de la défaite. Si seulement Thaggoran était là pour la guider ! Mais Thaggoran n’était plus de ce monde et le nouveau chroniqueur n’était encore qu’un enfant. Hresh était vif et zélé, mais il lui manquai t la profondeur de Thaggoran et sa longue pratique des siècles passés.
Il lui fallait maintenant regarder les choses en face : elle ne pouvait plus espérer continuer très longtemps ainsi. Les grognements avaient repris, mais avec beaucoup plus de force. Certains murmuraient déjà avec insistance que leur longue errance n’avait ni rime ni raison. Harruel s’était affirmé comme le chef de cette faction et il déclarait dans le dos de Koshmar qu’il convenait maintenant de s’installer sur des terres fertiles et d’y construire un village. Torlyri l’avait surpris en train de haranguer un petit groupe d’hommes. Dans le cocon, il eût été impensable d’envisager qu’on batte ainsi en brèche l’autorité du chef, mais hélas ! ils n’étaient plus dans le cocon. Koshmar commençait à s’imaginer qu’elle risquait d’être déchue de son pouvoir. Celle qui devait sauver la race humaine ne serait plus qu’un chef renversé comme tant d’autres !
Et s’ils la déposaient, lui laisseraient-ils seulement la vie sauve ? La tradition était muette sur le chapitre de la déposition d’un chef et sur le sort qui lui était réservé.
Koshmar avait laissé dans le cocon la pierre noire et luisante renfermant l’âme des chefs qui l’avaient précédée. Elle n’avait conservé que leurs noms qu’elle répétait interminablement. Mais peut-être les noms n’avaient-ils aucun pouvoir sans la pierre, pas plus que la pierre n’avait de pouvoir sans les noms.
Thekmur. Nialli. Sismoil. Lirridon. Si vous êtes encore avec moi, le moment est venu de me guider !
Mais les chefs défunts ne se manifestaient pas. Koshmar se tourna vers Hresh pour lui demander conseil. Le jeune chroniqueur était le seul avec qui elle avait cessé de faire semblant de suivre la volonté des dieux.
— Qu’allons-nous faire ? demanda-t-elle.
— Il faut demander de l’aide, répondit l’enfant.
— A qui ?
— A toutes les créatures que nous rencontrerons sur la route.
Koshmar était sceptique, mais il fallait tout essayer. De ce jour, chaque fois que la petite troupe rencontrait un être vivant doté d’une intelligence, aussi minime fût-elle, Koshmar le faisait capturer et le calmait. Puis, à l’aide de sa seconde vue et de son organe sensoriel, elle s’efforçait d’obtenir de lui ce qu’elle voulait savoir.
Le premier fut une curieuse créature charnue et toute ronde, une grosse tête sans corps mais avec une douzaine de petites pattes. Tout son corps fut parcouru de frissons d’excitation quand Koshmar sonda son esprit pour y chercher des images de Vengiboneeza. Mais elle ne put rien obtenir d’autre que ces frissons. D’un trio d’animaux à la fourrure bleue, montés sur d’interminables pattes et qui semblaient n’avoir qu’un seul cerveau, elle obtint un bourdonnement intense accompagné de grognements en réponse à sa question sur les villes qui se trouvaient à l’occident. Ce fut ensuite un hideux animal de la forêt, haut comme deux hommes, aux griffes recourbées et à la fourrure orange et nauséabonde, qui partit d’un grand rire rauque et projeta l’image de hautes tours à moitié dévorées par la végétation.
— Tout cela ne nous mène nulle part, dit Koshmar à Hresh.
— Mais ces animaux sont intéressants, Koshmar.
— Intéressants ! Nous pourrions mourir cent fois dans ce désert et tu trouverais cela intéressant, non ?
Elle demanda quand même à son chroniqueur de donner un nom à tous ces animaux avant de les relâcher et elle lui fit noter ces noms dans son livre. Aux yeux de Koshmar, il était très important de donner des noms. Tous ces animaux devaient faire partie d’espèces récentes qui n’étaient apparues qu’après la destruction de la Grande Planète, ce qui expliquait pourquoi on ne trouvait rien sur elles dans les chroniques. Koshmar estimait qu’en leur donnant un nom l’espèce humaine commençait à établir sa domination sur elle, car elle n’avait pas renoncé à l’espoir que le Peuple deviendrait le maître de la planète du Printemps Nouveau. Mais chaque fois que Hresh, après un long moment de réflexion, lui proposait un nom nouveau, elle éprouvait un sentiment de futilité. Ils étaient perdus sur cette planète hostile et ils erraient en cherchant désespérément un but.
Koshmar se sentait gagnée par un profond pessimisme.
Mais un jour où la tribu longeait un lac immense, au cœur d’une région de marécages, les eaux sombres commencèrent à frémir à leur passage, puis se mirent à bouillonner avec violence. Des profondeurs émergea lentement un animal gigantesque, d’une longueur démesurée, mais si frêle qu’il semblait à la merci du moindre coup de vent. Ses membres pâles et grêles servaient uniquement d’appui au tube interminable de son corps. En voyant l’animal s’élever dans le ciel juste devant eux, Koshmar leva les bras pour se protéger le visage tandis qu’Harruel brandissait sa lance en rugissant et que les plus peureux prenaient la fuite.
— Je crois que c’est un marcheur sur l’onde, dit Hresh sans s’effrayer de l’étonnante apparition. Il est inoffensif.
Et l’animal aquatique continua de s’élever dans les airs jusqu’à une hauteur de dix à quinze fois celle du plus grand des hommes de la tribu. Il finit par s’immobiliser, prenant appui avec ses petites pattes très écartées sur la surface de l’eau qu’il troublait à peine. Il baissa la tête et, de sa rangée d’yeux d’un vert doré, considéra la petite troupe d’un air mélancolique.
— Hé ! Toi, le marcheur sur l’onde ! cria Hresh. Dis-nous comment trouver la cité des yeux de saphir !
A la stupéfaction générale, la monstrueuse créature répondit aussitôt dans le langage muet de l’esprit.
— Dépassez encore deux lacs et un cours d’eau dans la direction du soleil couchant. Tout le monde sait cela ! Mais à quoi bon aller là-bas ?
L’animal aquatique éclata d’un rire affreux aux sonorités métalliques, un rire aigu et hystérique, puis il commença à redescendre en se repliant lentement.
— A quoi bon ? A quoi bon ? A quoi bon ?
Et, dans un dernier éclat de rire grinçant, il disparut dans les eaux sombres du lac.