II L’écriture

Tous les caractères et les modes d’écriture en usage au Troisième Âge étaient d’origine eldarine et dataient déjà, à l’époque, d’une haute antiquité. Ils s’étaient alors développés en alphabets complets, mais les plus anciens modes, où seules les consonnes étaient représentées par des lettres proprement dites, demeuraient tout de même usités.

Les alphabets étaient de deux principales variétés, aux origines distinctes : les Tengwar ou Tîw, que l’on appellera ici « lettres » ; et les Certar ou Cirth, que l’on nommera « runes ». Les Tengwar avaient été conçues pour l’écriture au pinceau ou à la plume, les formes carrées de certaines inscriptions étant dérivées des formes écrites. Les Certar étaient conçues et principalement utilisées pour les inscriptions par grattage ou ciselure.

L’écriture tengwar était la plus ancienne, car c’était l’invention des Noldor, les plus doués en la matière parmi les peuples des Eldar ; et elle avait vu le jour longtemps avant leur exil. Les toutes premières lettres eldarines, les Tengwar de Rúmil, ne servirent jamais en Terre du Milieu. De nouvelles lettres, les Tengwar de Feänor, bien qu’inspirées des premières, réinventèrent pratiquement le mode d’écriture. Elles furent diffusées en Terre du Milieu par les Noldor en exil, qui les transmirent aux Edain et aux Númenóréens. Au Troisième Âge, leur usage recouvrait plus ou moins tout l’espace linguistique du parler commun.

Les Cirth sont une invention des Sindar du Beleriand. Elles ne servirent longtemps qu’à graver des noms et de brèves inscriptions sur le bois ou la pierre, d’où leurs formes anguleuses, très semblables aux runes de notre époque, malgré quelques variations de détail et des attributions entièrement différentes quant à la valeur des signes. Elles se répandirent à l’est sous une forme ancienne, moins complexe, au cours du Deuxième Âge, et furent ainsi transmises à de nombreux peuples (aux Hommes, aux Nains, et même aux Orques) qui tous les adaptèrent à leurs besoins, selon leur habileté propre ou à défaut. L’une de ces formes simples était encore en usage chez les Hommes du Val, et les Rohirrim en avaient une autre du même genre.

Mais au Beleriand, dès avant la fin du Premier Âge, les Cirth furent remaniées et plus amplement développées. Leur forme la plus riche et la mieux ordonnée était connue sous le nom d’Alphabet de Daeron, car le folklore des Elfes en attribuait l’invention à Daeron, le ménestrel et maître en tradition du roi Thingol du Doriath. Chez les Eldar, l’Alphabet de Daeron ne donna jamais de véritables formes cursives, les Elfes ayant généralisé, pour l’écriture, l’emploi des lettres feänoriennes. De fait, une bonne partie des Elfes de l’Ouest finirent par délaisser complètement l’usage des runes. En pays Eregion, toutefois, on se servait encore de l’Alphabet de Daeron, lequel se répandit alors en Moria, où il devint l’alphabet de prédilection des Nains. Ils n’en abandonnèrent jamais l’usage et l’apportèrent avec eux dans le Nord. Ainsi, bien des années plus tard, il prenait encore couramment le nom d’Angerthas Moria, les Longs Alignements de Runes de la Moria. Comme dans leurs modes d’expression orale, les Nains se servaient de toutes écritures d’usage courant, et nombre d’entre eux savaient tracer les lettres fëanoriennes avec art ; mais s’agissant de leur propre langue, ils s’en tenaient aux Cirth, qu’ils adaptèrent à l’écriture cursive.








(I) LES LETTRES FËANORIENNES

Le tableau présenté ici donne, en calligraphie soignée, toutes les lettres couramment utilisées dans les Terres de l’Ouest, au Troisième Âge. L’arrangement choisi est celui qui, à l’époque, était le plus commun, et reflète l’ordre dans lequel on avait coutume de réciter les lettres.











LES TENGWAR

Ces lettres, à l’origine, ne constituaient pas un « alphabet », une série de caractères désordonnés et indépendants ayant chacun sa valeur propre, récités selon un ordre traditionnel indépendamment de leur forme ou de leur fonction8. Il s’agissait en fait d’un ensemble de signes consonantiques, cohérents par la forme et le style, pouvant être adaptés à loisir ou au besoin pour représenter les consonnes de diverses langues, entendues (ou inventées) par les Eldar. Ces lettres ne possédaient aucune valeur fixe ; mais il y avait entre elles certains rapports qui se dégagèrent graduellement.

L’ensemble était composé de 24 lettres primaires, 1 à 24, ordonnées en quatre témar (séries) possédant six tyeller (degrés) chacune. Il comportait également des « lettres supplémentaires », dont les numéros 25 à 36 constituent des exemples. Parmi celles-ci, seules 27 et 29 constituent des lettres indépendantes ; les autres sont des variantes des lettres primaires. Il y avait aussi un certain nombre de tehtar (signes) aux usages variés. Ceux-ci ne figurent pas sur le tableau9.

Chacune des lettres primaires était formée d’un telco (queue) et d’un lúva (arc). Les formes des numéros 1 à 4 étaient considérées comme normales. La queue pouvait être relevée (9 à 16) ou raccourcie (17 à 24.) L’arc était soit ouvert (séries I et III), soit fermé (séries II et IV) ; dans un cas comme dans l’autre, il pouvait également être doublé (numéros 5 à 8, par exemple).

La liberté d’application de ces lettres primaires, reconnue en théorie, était quelque peu limitée par les usages du Troisième Âge, voulant que la série I s’appliquât généralement aux dentales (la série des t, tincotéma), et la série II aux labiales (la série des p, parmatéma). Les séries III et IV connaissaient diverses applications selon les besoins des différentes langues.

Dans les langues comme l’occidentalien, où se rencontraient beaucoup de sons consonantiques10 comme « tch », « dj », « ch », la série III était le plus souvent associée à ceux-ci ; auquel cas, IV représentait la série normale des k (calmatéma). En quenya, où la calmatéma était doublée d’une série palatale (tyelpetéma) et d’une série labialisée (quessetéma), les palatales étaient représentées par un diacritique fëanorien (habituellement deux points souscrits) servant à dénoter le y « postposé », tandis que la série IV représentait kw.

En sus de ces attributions plus générales, les rapports suivants étaient aussi communément établis. Les lettres normales, au degré 1, représentaient les « occlusives sourdes » : t, p, k, etc. Le redoublement de l’arc était une indication de « voisement » : si 1, 2, 3, 4 valent t, p, ch, k (ou t, p, k, kw), alors 5, 6, 7, 8 valent d, b, j, g (ou d, b, g, gw). La queue relevée marquait l’ouverture de la consonne, qui devenait ainsi une « spirante » : en reprenant les valeurs ci-dessus pour le degré 1, le degré 3 (9-12) vaut th, f, sh, ch (ou th, f, kh, khw/hw) et le degré 4 (13-16) vaut dh, v, zh, gh (ou dh, v, gh, ghw/w).

Le système fëanorien, dans sa forme d’origine, comportait un degré supplémentaire obtenu par un allongement de la queue au-dessus et en dessous de la ligne. Ces lettres représentaient le plus souvent des consonnes aspirées (t+h, p+h, k+h, etc.), mais dénotaient aussi au besoin d’autres variations consonantiques. Ce degré n’était pas utile pour les langues du Troisième Âge transcrites selon ce système ; mais les formes supplémentaires servaient couramment de variantes (plus faciles à distinguer du degré 1) pour les degrés 3 et 4.

Le degré 5 (17-20) était d’ordinaire réservé aux consonnes nasales, aussi les signes 17 et 18 étaient-ils le plus souvent utilisés pour n et m. Suivant le principe énoncé ci-dessus, le degré 6 aurait dû représenter les nasales sourdes ; mais lesdits sons (que l’on entend par exemple dans le gallois nh ou l’ancien anglais hn) étant fort peu courants dans les langues concernées, le degré 6 représentait le plus souvent les consonnes les plus faibles (ou semi-vocaliques) de chaque série. De toutes les lettres primaires, ces lettres avaient la plus petite et la plus simple des formes. Ainsi, 21 désignait souvent le r faible (non roulé), un son propre au quenya d’origine, considéré dans le système de cette langue comme la plus faible consonne de la tincotéma ; 22 était largement utilisé pour w ; et quand la série III était désignée comme série palatale, 23 représentait généralement le y consonantique11.

Dans la mesure où certaines consonnes du degré 4 avaient tendance à s’affaiblir, leur prononciation finit par se rapprocher ou par se confondre avec les consonnes du degré 6 (telles que décrites plus haut). Ainsi, une bonne partie de ces dernières finit par perdre toute fonction claire dans les langues eldarines ; et ce fut à partir de ces lettres que furent tirées, pour une large part, celles employées dans l’expression des voyelles.








NOTE

L’orthographe standard du quenya ne se conformait pas aux attributions de lettres décrites ci-dessus. Le degré 2 représentait nd, mb, ng, ngw, tous plutôt fréquents, puisque b, g et gw ne se rencontraient que dans ces combinaisons, tandis que rd et ld se voyaient attribuer les lettres 26 et 28. (Pour lv, mais non lw, de nombreux locuteurs, en particulier les Elfes, employaient lb : on se servait des lettres 27+6, car lmb était inconnu.) De même, le degré 4 représentait les combinaisons extrêmement fréquentes nt, mp, nk, nqu, car le quenya ne possédait pas les sons dh, gh, ghw, et exprimait le v à l’aide de la lettre 22. Voir les noms des lettres quenya, ici.

Les lettres supplémentaires. La 27 était universellement utilisée pour l. La 25 (à l’origine, une modification de 21) représentait le r pleinement roulé. Les lettres 26 et 28 étaient des modifications de ces dernières : généralement, elles représentaient le r (rh) et le l (lh) sourds, respectivement. En quenya, toutefois, elles exprimaient rd et ld. La 29 était mise pour s et la 31 (à double boucle) pour z, dans les langues qui possédaient ce son. Les formes inversées, 30 et 32, bien que disponibles pour d’autres usages, servaient le plus souvent de simples variantes pour 29 et 31, par souci de commodité d’écriture : accompagnées de tehtar suscrits, par exemple, elles remplaçaient volontiers les formes normales.

La 33 était, à l’origine, une modification servant à représenter une variante (plus faible) de 11 ; au Troisième Âge, elle exprimait le plus souvent le son h. La 34, d’usage plutôt restreint, dénotait surtout le w (hw) sourd. Les lettres 35 et 36, lorsqu’elles représentaient des consonnes, valaient le plus souvent y et w, respectivement.

Les voyelles étaient, dans de nombreux modes, représentées par les tehtar, généralement placés au-dessus d’une lettre consonantique. Dans les langues comme le quenya, où la plupart des mots se terminaient par une voyelle, le tehta se plaçait au-dessus de la consonne précédente ; dans celles comme le sindarin, où les mots s’achevaient le plus souvent sur une consonne, le tehta s’écrivait au-dessus de la consonne suivante. En l’absence de consonne à l’endroit requis, le tehta se plaçait au-dessus du « support court », qui prenait couramment la forme d’un i sans point. Les tehtar eux-mêmes, employés pour marquer les voyelles dans différentes langues, étaient de nombreuses formes. Les plus communes, servant généralement à exprimer (diverses variétés de) e, i, a, o et u, se retrouvent dans les exemples fournis. Les trois points, très souvent mis pour a dans l’écriture soignée, pouvaient prendre d’autres formes dans des styles plus rapides, dont une, fort usitée, s’apparentant à un accent circonflexe12. Le point suscrit et l’« accent aigu » représentaient souvent i et e (mais e et i dans certains modes). Les boucles représentaient o et u. Dans l’inscription de l’Anneau, la boucle ouverte à droite est mise pour u ; mais sur la page de titre, le même signe est mis pour o, et la boucle ouverte à gauche représente u. On accordait la préférence au signe ouvert à droite, et son application dépendait de la langue concernée : dans le noir parler, o était plutôt rare.

On indiquait généralement les voyelles longues en plaçant le tehta sur le « support long », qui prenait couramment la forme d’un j sans point. On pouvait aussi doubler les tehtar pour obtenir le même résultat. Toutefois, cette méthode ne s’appliquait guère qu’aux boucles, et quelquefois à l’« accent ». Le double point suscrit dénotait plus souvent le y « postposé ».

L’inscription de la Porte Ouest illustre un mode d’« écriture au long » où les voyelles sont exprimées par des lettres entières. Toutes les lettres vocaliques usitées en sindarin y sont représentées. Notons l’usage de la lettre 30 pour dénoter le y vocalique, et l’emploi du tehta marquant le y « postposé », placé au-dessus de la lettre vocalique pour exprimer les diphtongues. Dans ce mode, le w « postposé » (servant à exprimer le son au, aw) était représenté à l’aide de la boucle dénotant u ou d’une modification de celle-ci : ~. Mais les diphtongues étaient souvent écrites au long, comme dans la transcription. Les voyelles longues étaient généralement indiquées par l’« accent aigu », en l’occurrence appelé andaith « marque de longueur ».

Il existait, outre les tehtar déjà mentionnés, plusieurs autres signes dont la principale fonction était d’abréger l’écriture, le plus souvent en exprimant les combinaisons de consonnes les plus courantes sans qu’il soit besoin de les écrire au long. Par exemple, on employait couramment un tiret suscrit (ou une marque semblable au tilde espagnol) pour signifier que la consonne au-dessous était précédée de la nasale de même série (comme nt, mp ou nk) ; le même signe, placé en dessous, dénotait toutefois, dans la plupart des cas, une consonne longue ou double. Un crochet pointé vers le bas, rattaché à l’arc principal (comme dans hobbits, dernier mot de la page de titre), servait à indiquer le s « postposé », surtout dans les combinaisons ts, ps, ks (x), très fréquentes en quenya.

Il n’existait bien sûr aucun « mode » pour transcrire l’anglais. À partir du système fëanorien, on pourrait en inventer un qui soit phonétiquement adéquat. Le court exemple de la page de titre ne prétend pas en faire la démonstration. Il s’agit plutôt d’un échantillon de ce qu’aurait pu produire un homme du Gondor, hésitant entre les valeurs des lettres propres à son mode d’écriture, et l’orthographe traditionnelle de l’anglais. Notons que le point souscrit (lequel servait notamment à représenter les voyelles affaiblies) est mis ici pour le and non accentué, mais dénote également le e muet en finale du mot here ; the, of et of the sont représentés par des abréviations (long dh, long v, et trait souscrit dans le dernier cas).

Les noms des lettres. Dans tous les modes, chaque lettre ou signe portait un nom ; et ces noms étaient conçus pour décrire les attributions phonétiques propres à chacun des modes. Mais il fut bien souvent jugé souhaitable, surtout quand il s’agissait de décrire l’attribution des lettres dans d’autres modes, de disposer d’un nom spécifique à chacune des formes de lettres. Pour ce faire, on employait généralement les « noms complets » du quenya, même lorsqu’ils renvoyaient à des usages propres au quenya. Chaque « nom complet » consistait en un mot quenya où apparaissait la lettre en question. Celle-ci, dans la mesure du possible, venait en début de mot ; mais dans le cas de sons ou de combinaisons inusités en début de mot, ceux-ci venaient immédiatement après une voyelle initiale. Les noms des lettres du tableau allaient comme suit : (1) tinco métal, parma livre, calma lampe, quesse plume ; (2) ando porte, umbar sort, anga fer, ungwe toile d’araignée ; (3) thúle (súle) esprit, formen nord, harma trésor (ou aha fureur), hwesta brise ; (4) anto bouche, ampa crochet, anca mâchoires, unque un creux ; (5) númen ouest, malta or, noldo (anciennement ngoldo) un membre du peuple des Noldor, nwalme (anciennement ngwalme) tourment ; (6) óre cœur (esprit intime), vala puissance angélique, anna don, vilya air, ciel (anciennement wilya) ; rómen est, arda région, lambe langue, alda arbre ; silme lumière des étoiles, silme nuquerna (s renversé), áre lumière du soleil (ou esse nom), áre nuquerna ; hyarmen sud, hwesta sindarinwa, yanta pont, úre chaleur. Les variantes reflètent des changements survenus a posteriori dans le parler quenya des Exilés. Ainsi, la lettre 11 se nommait harma à l’époque où elle représentait la spirante ch indépendamment de sa position ; lorsqu’elle prit la valeur du h soufflé en position initiale13 (mais non en position médiane), le nom aha fut inventé. áre se nommait initialement áze, mais ce z vint à se confondre avec 21, et áre prit alors en quenya la valeur de ss, fort usité dans cette langue, et fut rebaptisé esse. Le nom hwesta sindarinwa ou « hw gris-elfique » vient du fait que, en quenya, 12 avait la valeur de hw ; il n’était donc pas nécessaire de représenter chw et hw par deux signes distincts. Les noms de lettres les plus connus et les plus usités étaient 17 n, 33 hy, 25 r, 10 f : númen, hyarmen, rómen, formen = ouest, sud, est, nord (cf. le sindarin dûn ou annûn, harad, rhûn ou amrûn, forod ). Ces lettres représentaient généralement les points cardinaux O, S, E et N, même dans les langues où leurs noms étaient tout à fait différents. Dans les Terres de l’Ouest, on les nommait dans cet ordre, en commençant par l’ouest et en lui faisant face ; hyarmen et formen signifiaient d’ailleurs « région de gauche » et « région de droite » (contrairement à la coutume en usage dans bien des langues des Hommes).








(II) LES CIRTH

À l’origine, le Certhas Daeron fut conçu pour représenter les sons du sindarin, et ceux-là seulement. Les cirth les plus anciens étaient les nos 1, 2, 5, 6 ; 8, 9, 12 ; 18, 19, 22 ; 29, 31 ; 35, 36 ; 39, 42, 46, 50 ; et une certh qui prenait alternativement les formes 13 et 15. L’attribution des valeurs n’avait rien de systématique. Les nos 39, 42, 46 et 50 étaient des voyelles et le demeurèrent dans toutes les évolutions ultérieures. Les nos 13 et 15 étaient mis pour h ou s, selon que le no 35 représentait s ou h. Ce flottement dans l’attribution des valeurs pour s et h se maintint dans les agencements ultérieurs. Pour tous les caractères composés d’une « tige » et d’une « branche », soit 1 à 31, la branche, si elle ne partait que d’un côté, se plaçait généralement du côté droit. L’inverse n’était pas rare, mais dépourvu de signification phonétique.

La forme plus étendue et plus élaborée de ce certhas était, dans son incarnation la plus ancienne, connue sous le nom d’Angerthas Daeron, les ajouts à l’alphabet primitif, de même que sa réorganisation, étant attribués à Daeron. Mais les principaux ajouts, soit l’introduction de deux nouvelles séries 13 à 17 et 23 à 28, sont fort probablement attribuables aux Noldor d’Eregion, puisqu’ils avaient pour but de représenter des sons inconnus en sindarin.











LES ANGERTHAS











VALEURS

Dans ce réagencement de l’Angerthas, on remarque les principes suivants (manifestement inspirés du système fëanorien) : (1) un trait ajouté à une branche exprimait le « voisement » ; (2) l’inversion de la certh marquait l’ouverture de la consonne, qui devenait une « spirante » ; (3) l’extension de la branche des deux côtés de la tige exprimait le voisement et la nasalité. Ces principes étaient systématiquement observés, sauf en un point. Un signe était requis, en sindarin (archaïque), pour dénoter le m spirant (ou v nasal), et l’inversion du signe attribué à m était la meilleure façon d’obtenir cela. C’est pourquoi l’on assigna la valeur de m au no 6 (réversible), le no 5 (non réversible) étant alors mis pour hw.

Le no 36, dont la valeur théorique était z, représentait, dans l’orthographe du quenya et du sindarin, le son ss : cf. la lettre fëanorienne 31. Le no 39 pouvait dénoter i ou y (consonne) ; les nos 34 et 35 étaient mis indifféremment pour s ; et la combinaison nd, plutôt courante, était représentée par le no 38, bien que cette forme n’eût aucun lien apparent avec les autres signes attribués aux dentales.

Dans la Table des Valeurs, celles de gauche, lorsque séparées par un tiret, représentent les valeurs de l’Angerthas, première forme. À droite du tiret sont données les valeurs de l’Angerthas Moria en usage chez les Nains14. Les Nains de la Moria, on le voit, introduisirent un certain nombre de changements non systématiques portant sur la valeur des cirth, et ils en ajoutèrent de nouveaux : 37, 40, 41, 53, 55, 56. Le glissement de valeur tenait essentiellement à deux causes : (1) la réassignation des valeurs des nos 34, 35 et 54, devenues respectivement h, (le coup de glotte entendu en khuzdul, en début de mot avec voyelle initiale) et s ; (2) la mise au rancart des nos 13 et 16, auxquels les Nains substituèrent 29 et 30. Notons également l’emploi de 12, mis pour r, qui en résulte, l’invention de 53 pour n (et la confusion de ce signe avec le 22) ; l’utilisation de 17 pour z, à rapprocher de 54 qui vaut s, d’où l’utilisation de 36 pour ŋ et l’apparition d’une nouvelle certh pour représenter ng. Deux autres nouvelles certh, 55 et 56, avaient pour origine 46 (forme divisée en deux), et représentaient des voyelles comme celles que l’on entend dans l’anglais butter, courantes en langue naine et en occidentalien. Faibles ou évanescentes, ces voyelles étaient souvent indiquées par un simple trait sans tige. Cet Angerthas Moria apparaît dans l’inscription relevée sur la tombe de Balin.

Les Nains d’Erebor remanièrent à leur tour ce système, ce qui donna un nouveau mode, le mode d’Erebor, représenté dans le Livre de Mazarbul. Ses principales caractéristiques se résumaient ainsi : 43 mis pour z, 17 mis pour ks (x), et invention de deux nouveaux cirth, 57 et 58, mis pour ps et ts. Ils redonnèrent également à 14 et à 16 les valeurs j et zh ; mais ils utilisaient 29 et 30 pour g et gh, ou comme simples variantes de 19 et 21. Sauf pour les cirth spécifiques à Erebor, nos 57-58, la table ne rend pas compte de ces particularités.










1.

Dans la présente traduction, tous les noms en anglais moderne ont été rendus par des équivalents français. En outre, les exemples et les explications de ce guide de prononciation ont parfois été adaptés afin de les rendre plus accessibles au lecteur de langue française. (N.d.T.)

2.

Communément appelé Menelvagor en sindarin (I 113), en quenya Menelmacar.

3.

Ce qui est le cas dans l’expression galadhremmin ennorath (I 305) « la Terre du Milieu enchevêtrée d’arbres ». Remmirath (I 113) est composé de rem « réseau », quenya rembe, + mîr « joyau ».

4.

Le u est celui de l’anglais, prononcé « ou ». De même, dans tous les mots et les noms qui ne sont pas des traductions françaises du parler commun (i.e. Saruman, Morannon, Thorin, mais non Fendeval, Montauvent), les combinaisons AN, EN, IN (et OIN), ON (ainsi que IM, OM, etc.), n’ont pas la valeur de voyelles nasales comme en français, mais se prononcent séparément. AN se prononce « anne », EN se prononce « ènne », et ainsi de suite. Pour plus de détails, voir Le Hobbit, p. 7. (N.d.T.)

5.

La diphtongaison des voyelles longues é et ó, mise en évidence par certaines graphies, telles ei et ou (ou leur équivalent dans les caractères de l’époque), paraît assez fréquente en occidentalien et dans la prononciation des noms quenya par les locuteurs de ce parler commun. Cette prononciation était toutefois considérée comme incorrecte ou régionale. Dans le rustique Comté, elle était évidemment très courante. Ainsi, ceux qui prononcerait yéni únótime, « les longues années sans nombre », comme on aurait tendance à le faire en anglais (c’est-à-dire, plus ou moins, « yaïni ounôou-taïmi ») ne se fourvoieraient guère davantage que Bilbo, Meriadoc ou Peregrin. Frodo était réputé pour « son aptitude à reproduire les sons étrangers ».

6.

Il en va de même pour Annûn « coucher du soleil », apparenté à dûn « ouest », et pour Amrûn « lever du soleil », apparenté à rhûn « est ».

7.

À l’origine. Mais iu, en quenya du Troisième Âge, était d’ordinaire une diphtongue ascendante, comme yu dans l’anglais yule.

8.

Dans notre alphabet, seul le rapport entre P et B eût semblé intelligible aux Eldar ; et le fait qu’ils ne soient pas nommés ensemble, ni avec F, M ou V, leur eût paru absurde.

9.

Bon nombre d’entre eux apparaissent dans les exemples de la page de titre, et dans l’inscription de la page I 75, transcrite à la page I 325. Ces signes indiquaient avant tout les voyelles, considérées en quenya comme des modificateurs de la consonne associée ; mais ils servaient aussi de notation abrégée pour les combinaisons de consonnes les plus courantes.

10.

Dans ce cas-ci, les sons sont représentés de même manière que dans le mode de transcription décrit plus haut, à ceci près que ch représente le son de l’anglais church (« tch ») ; j a la même valeur que le j anglais (« dj »), et zh représente le son entendu dans l’anglais azure et occasion (semblable au j français).

11.

Sur l’inscription de la Porte Ouest de la Moria, on trouve l’exemple d’un mode, employé pour la transcription du sindarin, dans lequel le degré 6 représente les nasales simples, mais où le degré 5 représente les nasales doubles (ou longues), très fréquentes en sindarin, 17 valant nn, mais 21, n.

12.

En quenya, où a était une voyelle très fréquente, le signe vocalique était souvent entièrement omis. Ainsi, calma « lampe » pouvait s’écrire clm. Il n’y avait d’autre lecture possible que calma, car cl en quenya ne figurait jamais en début de mot, et m n’apparaissait jamais en finale. On aurait pu lire calama, mais pareil mot n’existait pas.

13.

Pour le h soufflé, le quenya employait à l’origine une simple queue relevée, sans arc, appelée halla « élancé ». Placée devant une consonne, elle imprimait à cette consonne un caractère sourd et soufflé ; le r et le l sourds étaient généralement exprimés de cette manière et se transcrivent hr, hl. Plus tard, 33 vint à représenter le h seul, et le son hy (l’ancienne valeur de cette lettre) s’exprima désormais en ajoutant le tehta du y « postposé ».

14.

Les valeurs entre parenthèses ne sont usitées que pour l’elfique ; l’astérisque dénote les cirth utilisés exclusivement par les Nains.

APPENDICE F




















I Langues et peuples du Troisième Âge

La langue représentée par l’anglais tout au long de ce récit1 était l’occidentalien, le « parler commun » des régions occidentales de la Terre du Milieu au Troisième Âge. Au cours de cet âge, cet idiome devint la langue maternelle de presque tous les peuples doués de parole (sauf les Elfes) au-dedans des frontières des anciens royaumes de Gondor et d’Arnor, c’est-à-dire tout le long du littoral, d’Umbar jusqu’à la baie du Forochel dans le Nord, et à l’intérieur des terres jusqu’aux Montagnes de Brume et à l’Ephel Dúath. Il s’était également répandu au nord le long de l’Anduin, gagnant les terres à l’ouest du Fleuve et à l’est des Montagnes, jusqu’aux Champs de Flambes.

À l’époque de la Guerre de l’Anneau, au tournant de l’âge, il subsistait comme langue maternelle à l’intérieur de ces mêmes limites, bien que l’Eregion fût en grande partie dépeuplé et que très peu d’Hommes fussent encore établis sur les rives de l’Anduin entre la Rivières aux Flambes et le Rauros.

Un vestige des anciennes peuplades d’Hommes Sauvages menait toujours une existence clandestine dans la Forêt de Drúadan en Anórien ; et dans les collines de Dunlande vivaient les restes d’un peuple séculaire, anciens habitants d’une bonne partie du Gondor. Ces gens conservaient jalousement leur langue ; tandis que sur les plaines du Rohan vivait désormais un peuple nordique, les Rohirrim, venus s’y établir quelque cinq cents ans auparavant. Mais l’occidentalien servait de seconde langue d’échange pour tous ceux qui conservaient leur propre parler, même pour les Elfes, non seulement en Arnor et au Gondor mais à travers les vaux de l’Anduin et jusqu’à la lisière orientale de Grand’Peur. Même parmi les Hommes Sauvages et les Dunlandais, qui fuyaient tous les étrangers, il y en avait qui le parlaient, encore qu’avec difficulté.








DES ELFES

Les Elfes, à une époque reculée des Jours Anciens, se trouvèrent divisés en deux branches principales : les Elfes de l’Ouest (les Eldar) et ceux de l’Est. La plupart des Elfes de Grand’Peur et de Lórien étaient de cette dernière souche ; mais leurs langues ne figurent pas dans ce récit, où tous les mots et les noms elfiques sont de forme eldarine2.

Les langues eldarines figurant dans ces pages sont au nombre de deux : le haut-elfique ou quenya, et le gris-elfique ou sindarin. Le haut-elfique était une langue ancienne, parlée à Eldamar au-delà de la Mer, la première à avoir été consignée par écrit. Elle n’était plus usitée comme langue maternelle, étant devenue, si l’on peut dire, une sorte de « latin elfique », réservée aux cérémonies et aux sujets plus nobles (en matière de chant et de savoir traditionnel), pour les Hauts Elfes revenus s’exiler en Terre du Milieu à la fin du Premier Âge.

Le gris-elfique était, de par ses origines, apparenté au quenya ; car c’était la langue des Eldar qui, parvenus aux rivages de la Terre du Milieu, n’avaient pas traversé la Mer mais étaient demeurés sur les côtes, dans les terres du Beleriand. Thingol Capegrise du Doriath était leur roi, et là, dans le long crépuscule, leur langue s’était transformée, soumise au changement et aux vicissitudes des terres mortelles, s’éloignant considérablement du parler des Eldar d’outre-Mer.

Les Exilés, évoluant parmi les Elfes Gris, plus nombreux, adoptèrent le sindarin pour leur usage quotidien ; et c’était donc la langue de tous les Elfes et seigneurs elfes qui apparaissent dans ce récit. Car tous étaient de la race eldarine, même lorsque leurs sujets étaient issus de peuples moins illustres. La plus noble d’entre tous était la dame Galadriel de la maison royale de Finarfin, et sœur de Finrod Felagund, Roi de Nargothrond. Dans le cœur des Exilés, la nostalgie de la Mer était une inquiétude qu’on ne pouvait calmer ; et dans le cœur des Elfes Gris sommeillait la même inquiétude qui, une fois éveillée, ne trouvait aucun apaisement.








DES HOMMES

L’occidentalien était de la famille des langues des Hommes, bien qu’enrichi et atténué sous l’influence des Elfes. À l’origine, c’était la langue de ceux que les Eldar nommaient Atani ou Edain, « les Pères des Hommes », en particulier les gens des Trois Maisons des Amis des Elfes qui entrèrent au Beleriand, dans l’ouest de la Terre du Milieu, au Premier Âge. Là, ils vinrent en aide aux Eldar dans la Guerre des Grands Joyaux contre le Sombre Pouvoir du Nord.

Après la chute du Pouvoir Sombre, au cours de laquelle le Beleriand se trouva en grande partie submergé ou détruit, il fut consenti aux Amis des Elfes de passer au-delà de la Mer, comme les Eldar. Mais, les terres du Royaume Immortel leur étant interdites, l’on détacha pour eux une grande île, la plus occidentale de toutes les terres mortelles. Cette île s’appelait Númenor (l’Occidentale). Ainsi, la plupart des Amis des Elfes allèrent s’établir à Númenor, où ils devinrent de grands et puissants Hommes, et d’illustres navigateurs à la tête de nombreux navires. Ils étaient beaux de visage et grands de stature, et leur longévité était trois fois celle des Hommes de la Terre du Milieu. Tels étaient les Númenóréens, les Rois des Hommes, que les Elfes nommaient les Dúnedain.

De tous les peuples des Hommes, seuls les Dúnedain connaissaient et parlaient une langue elfique ; car leurs ancêtres avaient appris la langue sindarine, un savoir important qu’ils avaient transmis à leurs enfants et qui, au fil des années, ne se modifiait guère. Et leurs sages apprirent aussi le quenya haut-elfique, qu’ils plaçaient au-dessus de toute autre langue ; et ils nommèrent dans cette langue beaucoup de lieux considérés comme importants ou vénérables, et bien des personnages de noble lignée et de grand renom3.

Mais la langue maternelle des Númenóréens demeura, pour le commun des hommes, celle qu’ils tenaient de leurs ancêtres, soit l’adûnaïque, auquel les rois et les grands seigneurs, gonflés d’orgueil, devaient plus tard revenir. Alors, tous délaissèrent le parler elfique, sauf les rares fidèles qui ne trahirent pas leur vieille amitié avec les Eldar. Au faîte de leur puissance, les Númenóréens détenaient de nombreuses places fortes ainsi que des havres sur les côtes occidentales de la Terre du Milieu pour la sécurité de leurs navires ; et l’un des plus importants était Pelargir, près des Bouches de l’Anduin. On y parlait l’adûnaïque, lequel, mêlé à quantité de mots issus des langues des hommes moindres, donna un parler commun qui se répandit le long des côtes parmi tous ceux qui avaient commerce avec l’Occidentale.

Après la Chute de Númenor, Elendil ramena les survivants des Amis des Elfes aux rivages du nord-ouest de la Terre du Milieu. Y habitaient déjà de nombreux hommes qui se réclamaient, en partie ou en totalité, d’une ascendance númenóréenne ; mais bien peu se souvenaient du parler elfique. Dès le commencement, les Dúnedain étaient en tout et pour tout beaucoup moins nombreux que les hommes moindres parmi lesquels ils évoluaient, et qu’ils gouvernaient ; car c’étaient des seigneurs de grande longévité et des hommes puissants et sages. Ils usaient donc du parler commun dans leurs rapports avec les autres peuples et le gouvernement de leurs vastes royaumes ; mais ils lui donnèrent une plus grande ampleur et l’enrichirent de nombreux mots issus des langues elfiques.

Au temps des rois númenóréens, cet occidentalien ennobli connut une large diffusion, même parmi leurs ennemis ; et les Dúnedain eux-mêmes l’adoptèrent graduellement, de sorte qu’à l’époque de la Guerre de l’Anneau, la langue elfique n’était plus connue que d’une faible proportion des gens du Gondor ; plus rares encore étaient ceux qui en faisaient un usage journalier. Ces derniers vivaient surtout à Minas Tirith et dans les terres avoisinantes, de même que chez les princes tributaires établis à Dol Amroth. Il n’empêche qu’au royaume de Gondor, presque tous les noms de lieux et de personnes étaient elfiques, tant par la forme que par le sens. Quelques-uns, d’origine inconnue, remontaient sans doute à une époque où les navires des Númenóréens n’avaient pas encore pris la Mer, notamment Umbar, Arnach et Erech ; et les noms Eilenach et Rimmon désignant des montagnes. Forlong est un autre exemple du même genre.

La plupart des Hommes qui habitaient les régions septentrionales des Terres de l’Ouest étaient issus des Edain du Premier Âge, ou de leurs proches parents. Leurs langues s’apparentaient donc à l’adûnaïque, et certaines avaient encore quelque ressemblance avec le parler commun. C’était le cas des habitants des vallées supérieures de l’Anduin : les Béorniens et les Hommes des Bois de l’ouest de Grand’Peur ; et, plus au nord et à l’est, les Hommes du Long Lac et ceux du Val. Dans les terres situées entre la Rivière aux Flambes et le Carroc, vivait jadis un peuple que les gens du Gondor appelèrent plus tard les Rohirrim, les Maîtres des Chevaux. Ils avaient conservé leur langue ancestrale, aussi nommèrent-ils en cette langue presque tous les endroits de leur nouveau pays ; et ils se nommaient eux-mêmes les Eorliens, ou les Hommes du Riddermark. Mais leurs seigneurs usaient volontiers du parler commun, et ils le parlaient noblement à la manière de leurs alliés du Gondor ; car au Gondor, dans sa terre d’origine, l’occidentalien conservait un style plus raffiné et plus ancien.

À ces langues, le parler des Hommes Sauvages de la Forêt de Drúadan était tout à fait étranger. Il en allait de même de celui des Dunlandais, aucunement relié, sinon de manière très lointaine. Ce peuple était un vestige des populations qui occupaient anciennement les vallées des Montagnes Blanches. Les Hommes Morts de Dunhart leur étaient apparentés. Mais durant les Années Sombres, d’autres étaient partis s’établir dans les vallons du sud des Montagnes de Brume ; et de là, certains avaient gagné les terres désertes, aussi loin au nord que les Coteaux des Tertres. Les Hommes de Brie en étaient issus ; mais ceux-ci étaient passés depuis longtemps sous la dépendance de l’Arnor, le Royaume du Nord, et ils avaient fait de l’occidentalien leur langue usuelle. Ce n’est qu’en Dunlande que les Hommes de cette souche conservèrent leur parler ancien et leurs coutumes d’antan : un peuple secret, hostile aux Dúnedain, ennemis jurés des Rohirrim.

Leur langue n’apparaît nulle part dans ce livre, sauf pour le nom Forgoil qu’ils donnaient aux Rohirrim (et qui, semble-t-il, signifiait Têtes-de-Paille). Dunlande et Dunlandais sont les noms que leur donnaient les Rohirrim, parce qu’ils avaient la peau bistre et les cheveux foncés ; il n’y a donc aucun lien entre l’élément dun de ces noms (du vieil anglais dunn « brun foncé ») et le mot gris-elfique Dûn « ouest ».








DES HOBBITS

Les Hobbits du Comté et de Brie avaient à cette époque, probablement depuis un millénaire, adopté le parler commun. Ils en usaient à leur manière, librement et quelque peu négligemment ; bien que les plus érudits eussent encore la maîtrise d’un registre soutenu lorsqu’il était de mise.

La documentation ne fait état d’aucune langue propre aux Hobbits. Ils semblent, de tout temps, avoir parlé les langues des Hommes près desquels ou parmi lesquels ils vivaient. Aussi, à leur arrivée en Eriador, ils adoptèrent rapidement le parler commun ; et dès l’époque de leur colonisation de Brie, ils avaient déjà commencé à oublier leur ancienne langue. Il s’agissait à l’évidence d’un parler des Hommes de l’Anduin supérieur, apparenté à celui des Rohirrim ; encore que les Fortauds du Sud semblent s’être servis d’une langue apparentée au dunlandais avant de remonter au nord dans le Comté4.

Au temps de Frodo, il restait encore quelque trace de cela dans les vocables et les noms régionaux, bon nombre desquels ressemblaient fortement à ceux du Val et du Rohan, notamment les noms des jours, des mois et des saisons ; plusieurs autres mots du même genre (tels mathom et smial ) étaient encore d’usage courant, alors que d’autres subsistaient dans les toponymes de la région de Brie et du Comté. Les noms et prénoms des Hobbits étaient tout aussi particuliers, et nombre d’entre eux étaient hérités de l’ancien temps.

Hobbit étaient le nom couramment employé par les Gens du Comté pour désigner tous ceux de leur espèce. Les Hommes les appelaient Demi-Hommes et les Elfes Periannath. L’origine du mot hobbit était oubliée de la plupart. Il semble toutefois que le nom ait été, en tout premier lieu, attribué aux Piévelus par les Peaublêmes et les Fortauds. Il s’agirait de la déformation d’un mot ancien, mieux conservé au Rohan : holbytla « bâtisseur de trous ».








DES AUTRES PEUPLES

Les Ents. Les Onodrim, ou Enyd, étaient le plus antique des peuples encore existants au Troisième Âge. Ils étaient connus des Eldar depuis les temps anciens, et c’est d’ailleurs aux Eldar que les Ents attribuaient, non pas leur propre langue, mais leur désir de parole. La langue qu’ils avaient créée ne ressemblait à aucune autre : lente, sonore, agglutinante, répétitive et, disons-le, verbeuse ; composée d’une multitude de nuances vocaliques et de distinctions de ton et de timbre que même les maîtres du savoir, chez les Eldar, ne s’étaient jamais essayés à représenter par l’écriture. Ils ne l’employaient jamais qu’entre eux mais n’avaient aucun besoin de la garder secrète, car nuls autres ne pouvaient l’apprendre.

Les Ents, cependant, étaient eux-mêmes doués pour les langues, qu’ils apprenaient rapidement et n’oubliaient jamais par la suite. Ils préféraient toutefois les langues des Eldar, chérissant par-dessus tout l’ancienne langue haut-elfique. Les mots et les noms étranges que les Hobbits attribuent dans leurs récits à Barbebois et aux autres Ents sont donc de l’elfique, ou des fragments d’elfique agglutinés à la manière ent5. Certains sont en quenya, comme Taurelilómëa-tumbalemorna Tumbaletaurëa Lómëanor, que l’on peut traduire par « Forêt-aux-maintes-ombres-vallée-profonde-noire Vallée-profonde-boisée Sombre-pays », par quoi Barbebois entendait plus ou moins : « Il y a une ombre noire dans les profondes vallées de la forêt ». D’autres sont en sindarin, tels Fangorn « barbe-(d’)arbre » et Fimbrethil « mince-hêtre ».

Les Orques et le noir parler. La forme orque est celle que prenait le nom de ce peuple infâme chez les autres races, et celle en usage au Rohan. En sindarin, c’était orch. Les deux sont certainement apparentées au mot uruk du noir parler, bien que ce terme ne s’appliquât normalement qu’aux soldats orques qui sortirent du Mordor et d’Isengard vers cette époque. Les plus chétifs étaient appelés (en particulier par les Urukhai) snaga « esclave ».

Les Orques furent initialement engendrés par le Pouvoir Sombre du Nord aux Jours Anciens. On dit qu’ils n’avaient pas de langue à eux, mais se contentaient d’emprunter ce qu’ils pouvaient aux autres langues, qu’ils pervertissaient comme ils l’entendaient ; mais ils n’en tiraient que de rudes jargons, à peine convenables pour leurs propres besoins, sauf en matière de jurons et d’insultes. Et très vite, ces créatures, pleines de malveillance et de haine, même envers leur propre espèce, développèrent autant de dialectes barbares qu’il y avait de groupes ou d’établissements parmi eux, si bien que leur parler orque ne pouvait guère servir, dès qu’il s’agissait d’interagir avec d’autres tribus.

Aussi, au Troisième Âge, les Orques se servaient-ils de la langue occidentalienne pour communiquer entre espèces ; de fait, certaines des plus anciennes tribus, dont celles qui subsistaient dans le Nord et les Montagnes de Brume, avaient depuis longtemps adopté le parler commun comme langue maternelle, encore qu’ils en aient fait un sabir presque aussi détestable que la langue orque. Dans ce jargon, le mot tark « homme du Gondor » était une forme dégradée de tarkil, terme quenya, désignant en occidentalien une personne d’ascendance númenóréenne ; voir III 214.

Le noir parler aurait été inventé durant les Années Sombres par Sauron, qui aurait voulu en faire la langue de tous ses serviteurs, ce à quoi il ne réussit pas. C’est néanmoins du noir parler que venaient bon nombre de mots d’usage général chez les Orques du Troisième Âge, tel ghâsh « feu » ; mais après la première défaite de Sauron, cette langue, dans sa forme primitive, tomba dans l’oubli le plus complet, sauf chez les Nazgûl. Lors de la résurgence de Sauron, elle redevint la langue de Barad-dûr et des capitaines du Mordor. L’inscription de l’Anneau était en noir parler ancien, mais l’invective de l’orque du Mordor (II 54) en est une forme dénaturée, en usage chez les soldats de la Tour Sombre, dont Grishnákh était le capitaine. Sharkû, dans cette langue, signifie « vieil homme ».

Les Trolls. On s’est servi du mot Troll pour traduire le sindarin Torog. À leur apparition, dans le lointain crépuscule des Jours Anciens, c’étaient des créatures obtuses et maladroites, et leur langage n’était pas plus évolué que celui des bêtes. Mais Sauron s’était servi d’eux, leur apprenant le peu qu’ils étaient capables d’assimiler et les imprégnant de méchanceté afin d’aiguiser leur intelligence. Les trolls prirent donc aux Orques tous les éléments de langage qu’ils pouvaient maîtriser ; ainsi, dans les Terres de l’Ouest, les Trolls de Pierre parlaient une forme altérée du parler commun.

Mais à la fin du Troisième Âge, une race de trolls jusqu’alors inconnue fit son apparition dans le sud de Grand’Peur et aux lisières montagneuses du Mordor. En noir parler, ils se nommaient les Olog-hai. Nul ne doutait que Sauron les avait engendrés, bien qu’on ne sût pas à partir de quelles souches. D’aucuns prétendaient qu’il s’agissait non pas de Trolls mais d’Orques géants ; mais les Olog-hai étaient, de corps et d’esprit, d’une tournure tout à fait dissemblable aux Orques, même ceux des grandes espèces, qu’ils surpassaient largement par la taille, comme par la force. C’étaient bien des Trolls, mais ils étaient pénétrés de la malveillance de leur maître : une race cruelle, agile, puissante, féroce et rusée, mais plus dure que la pierre. Contrairement à l’ancienne race du Crépuscule, ils supportaient la lumière du Soleil, pourvu que Sauron les tînt sous l’emprise de sa volonté. Ils parlaient peu, la seule langue qu’ils connaissaient étant le noir parler de Barad-dûr.

Les Nains. Les Nains forment un peuple à part. Leur étrange genèse, et le pourquoi de leurs ressemblances et dissemblances avec les Elfes et les Hommes, sont racontés dans le Silmarillion ; mais les Elfes mineurs de la Terre du Milieu n’avaient pas connaissance de ce récit, tandis que les récits des Hommes venus après brossent un portrait faussé par le souvenir d’autres races.

Ce sont, en règle générale, des gens coriaces et biscornus, secrets, laborieux, qui longtemps gardent souvenir des injures (mais aussi des bienfaits), et qui aiment la pierre, les gemmes, et les choses qui prennent forme sous la main des artisans, plutôt que celles qui vivent de leur vie propre. Mais ils ne sont pas malfaisants de nature, et rares sont ceux qui ont servi l’Ennemi de leur plein gré, quoi qu’aient pu raconter les Hommes. Car les Hommes d’autrefois convoitaient leurs richesses et les ouvrages de leurs mains, et les deux races ont parfois été ennemies.

Mais au Troisième Âge, l’amitié fleurissait encore en maints endroits entre les Hommes et les Nains ; et il était dans la nature des Nains, lorsqu’ils voyageaient, travaillaient et commerçaient de par les terres, comme ce fut le cas après la destruction de leurs antiques palais, d’employer les langues des Hommes parmi lesquels ils évoluaient. Mais en secret (secret que, contrairement aux Elfes, ils ne révélaient pas volontiers, même à leurs amis), ils parlaient l’étrange langue qui était la leur, et qui ne changeait guère avec les années ; car c’était devenu une langue d’érudition plutôt qu’un parler appris à la naissance, qu’ils entretenaient et conservaient comme un trésor du passé. Peu de gens des autres races réussirent jamais à l’apprendre. Dans le présent récit, elle n’apparaît que dans les noms de lieux que Gimli voulut bien révéler à ses compagnons ; et dans le cri de guerre qu’il lança au siège de la Ferté-au-Cor. Ce cri, du moins, n’était pas secret, ayant été entendu sur maints champs de bataille depuis le commencement du monde. Baruk Khazâd ! Khazâd ai-mênu ! « Les haches des Nains ! Les Nains sont sur vous ! »

Le nom de Gimli, toutefois, et ceux de toute sa famille, sont d’origine nordique (issus des langues des Hommes). Leurs noms secrets ou « intérieurs », leurs noms véritables, les Nains ne les ont jamais révélés à quiconque n’était pas de leur race. Ils ne les inscrivent même pas sur leurs tombes.












II Des questions de traduction

Afin de présenter la matière du Livre Rouge dans une langue que les gens peuvent comprendre aujourd’hui, l’ensemble du paysage linguistique a dû être traduit, dans la mesure du possible, en des termes actuels. Seules les langues étrangères au parler commun conservent leur forme d’origine ; mais elles figurent essentiellement dans les noms de personnes et de lieux.

Le parler commun, c’est-à-dire la langue des Hobbits et celle de leurs récits, a nécessairement été transposé en anglais moderne6. Le contraste entre les différentes variétés observables dans l’usage de l’occidentalien se trouve du même coup atténué. On a tenté de représenter ces variations par différents registres de l’anglais ; mais l’écart entre la prononciation et l’idiome du Comté d’une part, et d’autre part l’occidentalien tel que le parlaient les Elfes ou les nobles du Gondor, était plus grand que ce qu’on a pu montrer dans ce livre. En fait les Hobbits parlaient pour la plupart un dialecte rustique, tandis qu’au Gondor et au Rohan, on se servait d’une langue autrement archaïque, plus soutenue et plus concise.

Il convient de noter ici l’un de ces points de divergence qui, bien qu’important, s’est révélé impossible à reproduire. Par les pronoms de la deuxième personne (et souvent aussi de la troisième), la langue occidentalienne marquait une distinction, sans égard au nombre, entre des formes « familières » et des formes « polies ». Or, l’idiome du Comté avait ceci de particulier que les formes « polies » étaient sortis de l’usage courant. On ne les entendait plus que chez les villageois, en particulier dans le Quartier Ouest, pour qui elles avaient valeur hypocoristique. C’est là un point qui revenait souvent, quand les gens du Gondor évoquaient la tournure étrange du parler des Hobbits. Peregrin Touc, par exemple, à son arrivée à Minas Tirith, s’adressait familièrement aux personnes de tout rang, y compris au seigneur Denethor lui-même. Une pratique qui pouvait amuser le vieil Intendant, mais qui dut laisser ses serviteurs pantois. Nul doute que ce libre emploi des formes familières n’ait accrédité la rumeur populaire voulant que Peregrin fût un personnage de très haut rang dans son propre pays7.

On remarquera que les Hobbits, comme Frodo, et d’autres personnages, comme Gandalf et Aragorn, ne s’expriment pas toujours dans le même style. Ce choix est délibéré. Les Hobbits les plus érudits et les plus capables n’étaient pas sans connaître la « langue des livres », comme on disait dans le Comté ; et ils étaient prompts à saisir et à adopter le style de ceux qu’ils rencontraient. Il était, au surplus, tout à fait naturel pour les grands voyageurs de s’exprimer dans la manière des gens qu’ils se trouvaient côtoyer, et c’était d’autant plus vrai pour les hommes qui, comme Aragorn, s’efforçaient bien souvent de cacher leurs origines et leurs desseins. Néanmoins, en ce temps-là, tous les ennemis de l’Ennemi honoraient les choses anciennes, en matière de langues comme en toute autre chose, et ils y prenaient plaisir dans la mesure de leurs connaissances. Les Eldar, suprêmement doués avec les mots, maîtrisaient une variété de styles, quoique leur expression la plus naturelle fût celle qui s’approchait de leur propre langue, encore plus ancienne que celle du Gondor. Les Nains s’exprimaient eux aussi avec habileté, s’adaptant aisément à leur entourage, bien que leur élocution semblât plutôt heurtée, et par trop gutturale à certaines oreilles. Mais les Orques et les Trolls parlaient comme bon leur semblait, sans amour pour les mots ou les choses ; et leur langue était en réalité plus vile et plus ordurière que je ne l’ai montré. Je ne crois pas qu’il s’en trouvera pour réclamer de ma part une reproduction plus fidèle, mais ce ne sont pas les exemples qui manquent. On entend encore le même langage dans la bouche de ceux qui pensent comme des Orques : répétitif et ennuyeux, pétri de haine et de mépris, et depuis trop longtemps éloigné du bien pour conserver ne serait-ce que la force expressive, sauf pour qui la puissance de l’expression est proportionnelle à la sordidité du propos.

Cette démarche de traduction n’a, forcément, rien d’exceptionnel, puisqu’elle inévitable pour tout récit des temps passés. Habituellement, elle s’arrête là ; mais je suis allé plus loin. J’ai également traduit tous les noms occidentaliens selon leur sens. Lorsque apparaît dans ce livre un nom ou un titre qui semble appartenir à notre langue, cela signifie qu’il existait à l’époque un équivalent courant dans le parler commun, en plus ou au lieu de ceux en langues étrangères (le plus souvent elfiques).

En règle générale, les noms occidentaliens étaient des traductions de noms plus anciens : c’est le cas de Fendeval, Bruyandeau, Argentine, Longuestrande, l’Ennemi, la Tour Sombre. D’autres avaient un sens différent, comme le Mont Destin pour Orodruin « montagne brûlante », ou Grand’Peur [aMirkwood] pour Taur e-Ndaedelos « forêt de la grande peur »8. Quelques-uns étaient des déformations des noms elfiques, comme Loune et Brandivin issus de Lhûn et Baranduin.

Le choix de traduire ces noms appelle sans doute quelques explications. Conserver tous les noms sous leur forme originelle aurait, m’a-t-il semblé, eu pour effet de masquer une caractéristique essentielle de l’époque du point de vue des Hobbits (point de vue que j’ai cherché le plus souvent à conserver) : le contraste entre une langue très répandue, pour eux aussi ordinaire et habituelle que l’anglais peut l’être pour nous, et les vestiges encore présents de langues beaucoup plus anciennes et plus vénérables. Si je m’étais contenté de transcrire tous les noms, ils auraient semblé tout aussi obscurs aux yeux des lecteurs modernes – si, par exemple, le nom elfique Imladris et son équivalent occidentalien Karningul avaient tous deux été laissés tels quels. Mais parler d’Imladris au lieu de Fendeval reviendrait à dire Camelot au lieu de Winchester, à ceci près que, dans le premier des cas, l’identité des lieux était connue avec certitude, en dépit du fait qu’il y avait encore à Fendeval un seigneur de grand renom, bien plus vieux que ne le serait Arthur s’il régnait encore à Winchester de nos jours.

Le nom du Comté (Sûza), de même que tous les autres toponymes hobbits, ont donc été anglicisés. Cela s’est fait sans trop de difficulté, car leurs noms étaient souvent composés d’éléments analogues à ceux que l’on trouve dans nos toponymes les plus simples : soit des mots encore d’usage courant comme « colline » ou « champ », soit des formes un peu altérées comme, en anglais, ton au lieu de town. Mais, comme on l’a déjà dit, d’autres étaient issus d’anciens mots hobbits désormais passés d’usage, lesquels sont représentés par des éléments équivalents dans notre langue (bourde pour « habitation », court pour « ferme », etc.).

Cependant, les noms de personnes, tant des Hobbits du Comté que de Brie, étaient inhabituels pour l’époque, notamment la coutume qui s’était développée, quelques siècles auparavant, des noms patronymiques hérités de génération en génération. Ces noms de famille avaient pour la plupart une signification claire (dans la langue courante, étant dérivés de surnoms plaisants, de noms de lieux ou – à Brie en particulier – de noms de plantes ou d’arbres). Traduire ces noms ne présentait guère de difficulté ; mais il restait un ou deux noms plus anciens dont la signification s’est perdue, et je me suis contenté d’adapter leur orthographe : Touc pour Tûk et Boffine pour Bophîn, par exemple.

Autant que faire se peut, j’ai suivi pour les prénoms des Hobbits une démarche semblable. Les Hobbits donnaient communément à leurs filles des noms de fleurs ou de pierres précieuses. À leurs garçons, ils donnaient le plus souvent des noms sans signification dans le langage courant ; et certains noms de femme étaient de cette espèce. Citons, à titre d’exemple, Bilbo, Bungo, Polo, Lotho, Tanta, ou encore Nina. On trouve d’inévitables ressemblances avec plusieurs noms encore portés ou connus aujourd’hui : Otho, Odo, Drogo, Dora, Cora, et ainsi de suite. J’ai conservé ces noms, que j’ai simplement adaptés en modifiant la finale ; car dans les noms hobbits, a était une finale masculine, tandis que les finales en o et en e étaient féminines.

Cependant, dans certaines familles anciennes, en particulier celles d’origine peaublême comme les Touc et les Bolgeurre, on avait coutume de donner des prénoms grandiloquents. La plupart étaient vraisemblablement tirés de légendes du passé, autant des Hommes que des Hobbits ; et si bon nombre d’entre eux ne signifiaient plus rien pour les Hobbits, ils ressemblaient néanmoins aux noms des Hommes de la Vallée de l’Anduin, du Val ou de la Marche. Aussi les ai-je rendus par ces vieux noms, principalement d’origine franque et gothique, que l’on trouve encore chez nous ou qui figurent dans nos livres d’histoire. Ainsi, j’ai pu au moins préserver le contraste souvent amusant entre prénoms et noms de famille, dont les Hobbits eux-mêmes étaient bien conscients. Très peu de noms sont issus des langues classiques, car les plus proches équivalents du latin et du grec, dans la tradition du Comté, étaient les langues elfiques, qui figuraient rarement dans la nomenclature hobbite. Les Hobbits ne furent jamais nombreux à connaître les « langues des rois », comme ils les appelaient.

Les noms des Boucerons différaient de ceux du reste du Comté. Les gens de la Marêche et leurs parents ayant traversé le Brandivin se distinguaient de plusieurs manières, comme on l’a raconté. Nul doute que c’est de l’ancienne langue des Fortauds du Sud qu’ils tenaient bon nombre de leurs noms excessivement étranges. J’ai choisi le plus souvent de les conserver tels quels, car s’ils semblent bizarres aujourd’hui, ils l’étaient tout autant à l’époque. Ils avaient une consonance que l’on pourrait vaguement qualifier de « celtique ».

Ainsi, les traces résiduelles de l’ancienne langue des Fortauds et des Hommes de Brie rappelant la survivance d’éléments celtiques en Angleterre, j’ai parfois cherché à reproduire ces derniers dans ma traduction. Brie, Combe, Archètes et le Bois de Chètes s’inspirent donc de ces reliques de la nomenclature anglaise, choisies en fonction du sens : brie signifie « colline » et chètes signifie « bois ». Quant aux prénoms, un seul a été modifié de cette manière. J’ai choisi Meriadoc parce que le diminutif de ce personnage, Kali, signifiait « jovial, gai », mais il s’agissait en réalité d’une abréviation de Kalimac, un nom du Pays-de-Bouc désormais sans signification9.

Je ne me suis servi, dans mes transpositions, d’aucun nom d’origine hébraïque ou de semblable provenance. Il n’est rien dans les noms hobbits qui corresponde à cette composante de nos noms. Les diminutifs tels que Sam, Tom, Tim, Mat, sont des abréviations courantes de noms hobbits tout à fait originaux comme Tomba, Tolma, Matta et autres. Mais Sam et son père Ham se nommaient en réalité Ban et Ran. C’étaient là les diminutifs de Banazîr et Ranugad qui, à l’origine, étaient des surnoms, lesquels signifiaient respectivement « mi-dégourdi, benêt » et « casanier » ; mais, ces mots n’étant plus d’usage courant, ils étaient restés comme prénoms traditionnels dans certaines familles. J’ai donc tenté de conserver ces qualités en proposant Samsaget [aSamwise] et Hamfast, formes modernisées de l’ancien anglais samwís et hámfæst, de sens très voisin.

Parvenu aussi loin dans mes efforts pour moderniser la langue et les noms des Hobbits et leur donner un air de familiarité, j’ai été entraîné dans une nouvelle démarche. Les langues des Hommes apparentées à l’occidentalien devaient, à mon sens, être rendues par des formes apparentées à l’anglais. J’ai donc transposé la langue du Rohan pour la rapprocher de l’ancien anglais, étant donné sa parenté (relativement lointaine) avec le parler commun, son rapport (très proche) avec l’ancienne langue des Hobbits du Nord, et son caractère archaïque par comparaison à l’occidentalien. Dans le Livre Rouge, il est maintes fois rapporté que les Hobbits, au contact de la langue du Rohan, reconnaissaient de nombreux mots, et voyaient là une langue assez proche de la leur ; ainsi, il paraissait absurde de laisser sous une forme tout à fait étrangère les noms et les mots des Rohirrim préservés dans les chroniques.

J’ai choisi de moderniser la forme et la graphie des toponymes du Rohan dans un certain nombre de cas, comme pour Dunhart ; mais ce choix n’est pas systématique, car j’ai suivi l’exemple des Hobbits. Ils modifiaient les noms qu’ils entendaient de la même manière, lorsque ces noms étaient composés d’éléments qu’ils reconnaissaient, ou ressemblaient à des toponymes du Comté ; mais il en est d’autres auxquels ils ne touchaient pas, et j’ai fait la même chose, comme pour Edoras « les clos ». Pour les mêmes raisons, quelques noms de personnes ont été modernisés, dont celui de Langue de Serpent10.

Cette assimilation permet aussi de représenter les vocables régionaux spécifiques aux Hobbits, originaires des parlers du Nord. Je leur ai donné des formes qu’auraient pu prendre, s’ils avaient survécu jusqu’à nos jours, des mots désuets de la langue anglaise. Ainsi, mathom est à l’ancien anglais máthm ce que le véritable mot hobbit kast est au kastu de la langue du Rohan. De même, smial (ou smile, prononcé à l’anglaise) « terrier » est un descendant plausible de l’ancien mot smygel, ce qui représente bien la relation qui existait entre le mot hobbit trân et celui du Rohan trahan. Sméagol et Déagol sont des équivalents inventés selon le même principe pour les noms Trahald « chose qui fouit, se faufile » et Nahald « secret » des langues du Nord.

La langue du Val, plus septentrionale encore, n’apparaît au cours du récit que dans les noms des Nains originaires de cette région et donc locuteurs de la langue des Hommes qui y vivaient, d’où leurs noms « extérieurs » choisis dans cette langue. Notons que dans la version anglaise du présent livre, comme dans Le Hobbit, c’est la forme dwarves qui est utilisée (pour « nains »), bien que les dictionnaires nous disent que le pluriel de dwarf est dwarfs. Ce serait plutôt dwarrows (ou dwerrows), si le singulier et le pluriel avaient chacun suivi leur propre voie au cours des années, comme c’est le cas de man et men (« homme[s] »), ou goose et geese (« oie[s] »). Mais l’on ne parle plus aussi souvent des nains que l’on parle des hommes, ou même des oies, et les Hommes n’ont pas eu la mémoire assez fidèle pour que l’usage consacre un pluriel spécial à une race désormais abandonnée au conte populaire (où subsiste néanmoins une parcelle de vérité), et enfin aux histoires sans queue ni tête où ils font figure de simples bouffons. Mais au Troisième Âge s’entrevoit encore une part de leur caractère et de leur pouvoir d’antan, encore que déjà un peu pâlis : les descendants des Naugrim, en qui brûle encore la flamme ancienne d’Aulë le Forgeron et couvent les braises d’une longue rancune contre les Elfes ; et en les mains desquels survit un don pour le travail de la pierre que nul n’a jamais égalé.

C’est pour dénoter cela que je me suis hasardé à employer la forme dwarves, afin de les distancer un peu, je l’espère, des histoires parfois grotesques que l’on entend de nos jours. Dwarrows eût été préférable ; mais je ne m’en suis servi que dans l’appellation Creusée des Nains [aDwarrowdelf ], qui représente le nom de la Moria dans le parler commun : Phurunargian. Ce nom signifiait en effet « excavation des Nains », mais il s’agissait déjà d’un mot de forme ancienne. Moria, par ailleurs, est d’origine elfique, et c’est un nom peu élogieux ; car si les Eldar, ont parfois été contraints, au cours de leurs terribles guerres contre le Pouvoir Sombre et ses serviteurs, de bâtir des forteresses souterraines, ils ne choisissaient pas volontiers d’y vivre. Ils aimaient la terre verdoyante et les lumières des cieux ; et Moria, dans leur langue, signifie Gouffre Noir. Mais le nom donné par les Nains eux-mêmes, et qui tout au moins ne fut jamais gardé secret, était Khazad-dûm, le Palais des Khazâd ; car tel est le nom qu’ils se donnent eux-mêmes en tant que peuple, et ce, depuis qu’Aulë le leur a donné au moment de leur création, dans les profondeurs du temps.

Elfes traduit à la fois Quendi, « les parlants », nom haut-elfique de toute leur espèce, et Eldar, le nom des Trois Peuples qui cherchèrent à gagner le Royaume Immortel et qui y parvinrent au commencement des Jours (tous sauf les Sindar). Ce mot ancien, en réalité le seul qui pouvait convenir, avait déjà servi à désigner le souvenir qui restait de ce peuple dans la mémoire des Hommes, ou ce que leur imagination avait inventé de plus approchant. Mais ce mot s’est dégradé, et pour beaucoup il n’évoque plus que des esprits mignons ou ridicules, aussi éloignés des Quendi d’autrefois que le papillon du vif faucon – non qu’aucun des Quendi ait jamais eu des ailes au sens corporel, chose tout aussi étrangère à leur nature qu’elle ne l’est à celle des Hommes. C’était une belle et noble race, les aînés des Enfants du monde ; et parmi eux, les Eldar étaient comme des rois, qui maintenant sont partis : les Gens du Grand Voyage, le Peuple des Étoiles. Ils étaient grands, au teint clair et aux yeux gris, mais leur chevelure était sombre, sauf dans la maison dorée de Finarfin11 ; et leur voix était plus richement mélodieuse qu’aucune voix mortelle entendue de nos jours. Ils étaient vaillants, mais l’histoire de ceux qui revinrent s’exiler en Terre du Milieu fut tragique ; et bien qu’il ait croisé le destin des Pères au temps jadis, leur destin n’est pas celui des Hommes. Leur suprématie est passée depuis bien longtemps, et ils vivent désormais au-delà des cercles du monde, et ne reviennent pas.








NOTE PORTANT SUR TROIS NOMS : HOBBIT, GAMGIE ET BRANDIVIN

Hobbit est un mot inventé. En occidentalien, les rares fois où l’on faisait allusion à ces gens, le mot était banakil « demi-homme ». Mais au temps du récit, les gens du Comté et de Brie se servaient du mot kuduk, qui ne se disait nulle part ailleurs. Or, selon ce que rapporte Meriadoc, le Roi du Rohan employait le terme kûd-dûkan « habitant de trous ». Étant donné que les Hobbits, comme on l’a vu, parlaient par le passé une langue fort apparentée à celle des Rohirrim, il semble probable que kuduk ait été une déformation de kûd-dûkan. Pour les raisons précédemment mentionnées, j’ai choisi de rendre ce dernier terme par holbytla ; et hobbit pourrait très bien passer pour une déformation de holbytla, si ce nom avait existé autrefois dans notre langue.

Gamgie. Selon la tradition familiale exposée dans le Livre Rouge, le nom de famille Galbasi ou, par réduction, Galpsi, était issu du village de Galabas, nom généralement compris comme un composé de galab- « gibier » et de l’élément archaïque bas-, plus ou moins équivalent à l’anglais wick, wich. Gamwich (prononcé Gammidge), semblait donc un bon équivalent. Mais en réduisant Gammidgy à Gamgie [aGamgee] pour représenter Galpsi, je ne faisais aucunement allusion aux relations qu’entretenait Samsaget avec la famille Casebonne [aCotton], encore que l’esprit hobbit n’eût pas dédaigné semblable plaisanterie, au contraire, si le calembour s’était présenté dans leur langue12.

[aCotton], en fait, représente Hlothran, un nom de village plutôt répandu dans le Comté, composé de hloth, « trou ou habitation de deux pièces », et ran(u), qui désigne un petit groupe de ces habitations juché à flanc de colline. Comme nom de famille, il s’agit peut-être d’une déformation de hlothram(a) « habitant d’une maison de campagne ». Hlothram, rendu par Casenier, était le nom du grand-père du fermier Casebonne.

Brandivin. Les noms hobbits de ce cours d’eau étaient des déformations de l’elfique Baranduin (accent tonique sur le and ), dérivé de baran « brun doré » et duin « (grande) rivière ». Brandivin pour Baranduin semble de nos jours une déformation assez plausible. En réalité, l’ancien nom hobbit était Branda-nîn, « eau frontalière », dont une traduction plus fidèle eût été Bournemarche ; mais par suite d’une plaisanterie qui finit par passer dans l’usage, là encore par allusion à sa couleur, le nom du fleuve était devenu, à l’époque qui nous concerne, Bralda-hîm « bière capiteuse ».

Il faut toutefois remarquer que, lorsque les Vieilbouc (Zaragamba) prirent le nom de Brandibouc (Brandagamba), le premier élément signifiait « pays frontalier » : Marchebouc eût donc été plus exact. Seul un hobbit des plus hardis aurait osé affubler le Maître du Pays-de-Bouc du nom de Braldagamba en sa présence.










1.

Dans la présente traduction, il s’agit bien sûr du français. (N.d.T.)

2.

À cette époque, en Lórien, on parlait sindarin mais avec un « accent », la plupart des habitants étant d’origine sylvaine. Cet « accent », jumelé à sa connaissance limitée du sindarin, dérouta Frodo (comme il est rapporté dans le Livre du Thain par un commentateur du Gondor). Tous les mots elfiques apparaissant dans le livre second, chapitres 6-8, sont d’ailleurs sindarins, ainsi que la plupart des noms de lieux et de personnes. Mais Lórien, Caras Galadhon, Amroth et Nimrodel sont probablement des noms d’origine sylvaine, adaptés au sindarin.

3.

Parmi ces noms quenya, citons par exemple Númenor (ou, au long, Númenóre), ainsi qu’Elendil, Isildur et Anárion, et tous les noms royaux du Gondor, dont Elessar « Pierre-elfe ». La plupart des noms des autres Dúnedain, hommes et femmes, tels Aragorn, Denethor, Gilraen, sont d’origine sindarine, souvent empruntés à des personnages illustres, Hommes ou Elfes, célébrés dans les chants et les chroniques du Premier Âge (comme Beren et Húrin). Quelques-uns sont de forme mixte, comme Boromir.

4.

Les Fortauds de l’Angle, qui regagnèrent la Contrée Sauvage, avaient déjà adopté l’usage du parler commun ; mais les noms Déagol et Sméagol sont issus d’une langue d’Hommes, parlée dans la région de la Rivière aux Flambes.

5.

Il y a bien quelques cas où les Hobbits semblent avoir voulu représenter les plus courts marmottements ou interjections des Ents ; a-lalla-lalla-rumba-kamanda-lindor-burúme n’est pas non plus de l’elfique, et c’est la seule tentative (sans doute très maladroite) visant à représenter un fragment un peu plus appréciable de véritable entique.

6.

Dans la présente traduction, c’est le français moderne qui joue ce rôle ; les observations de l’auteur, dans la présente section, s’appliquent néanmoins à l’anglais. Pour la bonne compréhension du discours, certains noms de l’anglais d’origine sont ici donnés entre crochets et précédés de la lettre a. (N.d.T.)

7.

En quelques endroits, on a voulu marquer ces distinctions par l’emploi non systématique du pronom thou. Peu fréquent de nos jours et indéniablement archaïque, ce pronom indique le plus souvent un style cérémonieux ; mais un changement de pronoms, de you à thou (ou thee), entend parfois montrer, à défaut d’autre moyen, une modification significative des termes d’adresse : l’abandon de la forme respectueuse (soit, entre adultes, la forme attendue) au profit de la forme familière. [La traduction française respecte ces principes (thou devient systématiquement tu). Toutefois, la distinction entre tutoiement et voussoiement (absente en anglais moderne) étant encore bien vivante en français, il a fallu, de manière plus générale, choisir entre les deux formes afin d’exprimer différents rapports (familiarité, autorité, égalité, connivence, etc.). (N.d.T.)]

8.

Le nom français traduit plus directement le nom elfique ; l’anglais Mirkwood signifie plus ou moins « bois sombre ». (N.d.T.)

9.

Le diminutif de Meriadoc, Merry, signifie en anglais « joyeux ». (N.d.T.)

10.

Cette démarche linguistique ne suppose pas que les Rohirrim aient été spécialement proches des anciens Anglo-Saxons à d’autres égards, que ce soit par la culture ou l’art, les armes ou les méthodes de guerre, sinon d’une manière très générale attribuable aux circonstances de leur milieu : celles d’un peuple plus primitif à l’existence relativement simple, vivant au contact d’une culture plus noble et plus vénérable sur des terres jadis comprises dans son domaine.

11.

[Cette description des caractéristiques du visage et des cheveux ne s’applique en fait qu’aux Noldor : voir Le Livre des Contes Perdus, p. 59.]

12.

En anglais, gamgee est un mot de la langue familière pour désigner un tampon d’ouate, d’où le rapprochement avec le nom Cotton, qui rappelle la matière textile. (N.d.T.)

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