APPENDICES


APPENDICE A Annales des rois et dirigeants









Concernant les sources utilisées pour la plus grande partie du matériau que l’on trouve dans ces Appendices, en particulier ceux de A à D, voir la note à la fin du Prologue. La section A III, Le Peuple de Durin, nous vient probablement de Gimli le Nain, qui demeura ami avec Peregrin et Meriadoc et les revit souvent au Gondor et au Rohan.

Les légendes, les chroniques et le savoir ancien contenus dans ces sources représentent une somme considérable de matière. Seuls des morceaux choisis, le plus souvent très abrégés, seront donnés ici. Ils visent essentiellement à illustrer la Guerre de l’Anneau et ses origines, et à combler certaines lacunes du récit principal. Les légendes anciennes du Premier Âge, auxquelles Bilbo s’est avant tout intéressé, sont évoquées très brièvement, puisqu’elles touchent à l’ascendance d’Elrond ainsi qu’aux rois et aux chefs númenóréens. Les passages directement extraits de plus longs récits ou annales sont donnés entre guillemets, et les ajouts ultérieurs placés entre crochets. Les notes entre guillemets figurent dans les sources d’origine. Les autres sont des ajouts éditoriaux1.

Les dates données ici sont celles du Troisième Âge, sauf si elles sont suivies de l’indication D.A. (Deuxième Âge) ou Q.A. (Quatrième Âge). Traditionnellement, on considère que le Troisième Âge a pris fin quand les Trois Anneaux sont passés au-delà, en septembre 3021 ; mais aux fins des archives du Gondor, le début de 1 Q.A. est fixé au 25 mars 3021. Sur l’équivalence entre les dates du Gondor et le Comput du Comté, voyez I 19 et III 470. Dans les listes, les dates qui suivent les noms des rois et des souverains sont celles de leur mort, lorsqu’une seule est donnée. Le signe † dénote une mort prématurée, au combat ou autrement, bien que l’événement en question ne soit pas toujours recensé dans les présentes annales.












I Les Rois númenóréens








(I) NÚMENOR

Fëanor était le plus grand des Eldar en savoir et en artifice, mais aussi le plus fier et le plus entêté. Il fabriqua les Trois Joyaux, les Silmarilli, et les emplit de la lumière des deux Arbres, Telperion et Laurelin2, lesquels éclairaient le pays des Valar. Les Joyaux furent convoités par Morgoth l’Ennemi, qui les déroba et, après avoir détruit les Arbres, les emporta en Terre du Milieu pour les conserver dans sa grande forteresse du Thangorodrim3. Contre la volonté des Valar, Fëanor quitta le Royaume Bienheureux et s’exila en Terre du Milieu, entraînant une grande partie de son peuple à sa suite ; car dans son orgueil, il se proposait de reprendre les Joyaux à Morgoth par la force. S’ensuivit alors la guerre désespérée des Eldar et des Edain contre le Thangorodrim, dans laquelle ils finirent par être complètement défaits. Les Edain (Atani) sont les trois peuples des Hommes qui, arrivés les premiers dans l’Ouest de la Terre du Milieu et aux rivages de la Grande Mer, se firent les alliés des Eldar contre l’Ennemi.

Il y eut trois unions entre Eldar et Edain : Lúthien et Beren, Idril et Tuor, enfin Arwen et Aragorn. Par cette dernière union, les rameaux longtemps séparés des Semi-Elfes furent réunis, et leur lignée rétablie.

Lúthien Tinúviel était la fille du roi Thingol Cape-grise du Doriath au Premier Âge, mais sa mère était Melian du peuple des Valar. Beren était le fils de Barahir de la Première Maison des Edain. Ensemble, ils arrachèrent un silmaril de la Couronne de Fer de Morgoth4. Lúthien devint mortelle et fut perdue pour la gent elfique. Elle eut Dior comme fils, et lui eut une fille, Elwing, qui conserva le silmaril.

Idril Celebrindal était la fille de Turgon, roi de la cité cachée de Gondolin5. Tuor était le fils de Huor de la Maison de Hador, la Troisième Maison des Edain et la plus renommée dans les guerres contre Morgoth. Eärendil le Marin était leur fils.

Eärendil épousa Elwing et, avec le pouvoir du silmaril, il traversa les Ombres6 et vint dans l’Ouest Absolu, et, parlant en qualité d’ambassadeur tant pour les Elfes que pour les Hommes, il obtint l’aide qui permit de renverser Morgoth. Eärendil n’eut pas la permission de retourner dans les terres mortelles, et son navire portant le silmaril fut lancé au firmament pour y naviguer, comme une étoile et un signe d’espoir pour les habitants de la Terre du Milieu qui vivaient sous le joug du Grand Ennemi ou de ses serviteurs7. Seuls les silmarilli préservaient l’ancienne lumière des Deux Arbres de Valinor, avant que Morgoth n’eût empoisonné ceux-ci ; mais les deux autres joyaux furent perdus à la fin du Troisième Âge. Le récit complet de ces événements, et bien d’autres choses encore au sujet des Elfes et des Hommes, sont racontés dans Le Silmarillion.

Les fils d’Eärendil étaient Elros et Elrond, les Peredhil ou Semi-Elfes. Eux seuls perpétuèrent la lignée des chefs héroïques des Edain au Premier Âge ; et après la chute de Gil-galad8, leurs descendants furent aussi les seuls représentants de la lignée des Rois haut-elfiques en Terre du Milieu.

À la fin du Premier Âge, les Valar présentèrent aux Semi-Elfes un choix qui les lierait irrévocablement à un peuple ou à l’autre. Elrond choisit le Peuple des Elfes, et il devint un maître de sagesse. On lui accorda ainsi la même grâce qu’à ceux des Hauts Elfes qui demeuraient encore en Terre du Milieu, celle de pouvoir quitter les terres mortelles lorsque enfin ils seraient las : prendre la mer aux Havres Gris et passer dans l’Ouest Absolu ; et cette grâce subsista après que le monde fut changé. Mais les enfants d’Elrond se virent également imposer un choix : soit de quitter avec lui les cercles du monde, soit d’y demeurer pour devenir mortels, et mourir en Terre du Milieu. Aussi toutes les issues de la Guerre de l’Anneau étaient-elles, pour Elrond, autant de pénibles dénouements9.

Elros choisit le Peuple des Hommes et demeura parmi les Edain ; mais une grande longévité lui fut conférée, bien au-delà de celles des hommes moindres.

En compensation des souffrances endurées dans la lutte contre Morgoth, les Valar, les Gardiens du Monde, offrirent aux Edain une terre où ils pourraient vivre, loin des périls de la Terre du Milieu. La plupart d’entre eux prirent donc la Mer, et, guidés par l’Étoile d’Elendil, ils arrivèrent à la grande île d’Elenna, la plus occidentale des terres mortelles, où ils fondèrent le royaume de Númenor.

Au centre du pays se dressait une montagne, le Meneltarma ; et au sommet, ceux qui avaient la vue longue pouvaient discerner la tour blanche du Havre des Eldar à Eressëa. De là, les Eldar se rendirent auprès des Edain et les enrichirent de leur savoir, ainsi que de nombreux présents ; mais les Númenóréens étaient soumis à un commandement, l’« Interdit des Valar » : en aucun cas ils ne devaient faire voile à l’ouest jusqu’à perdre de vue leurs propres rivages, ni tenter de débarquer sur les Terres Immortelles. Car bien qu’une grande longévité leur eût été octroyée, à l’origine trois fois plus grande que celle des Hommes moindres, ils étaient contraints de demeurer mortels, les Valar n’étant pas autorisés à leur retirer le Don des Hommes (ou le Destin des Hommes, comme on l’appela par la suite).

Elros fut le premier Roi de Númenor, et connu désormais sous le nom haut-elfique de Tar-Minyatur. Ses descendants, s’ils avaient la longévité, n’en étaient pas moins mortels. Plus tard, quand ils devinrent puissants, ils vinrent à regretter le choix de leur ancêtre, désirant l’immortalité pour la durée du monde, soit le sort réservé aux Eldar, et murmurant contre l’Interdit. Ainsi naquit leur rébellion qui, nourrie par les mauvais enseignements de Sauron, amena la Chute de Númenor et la ruine du monde ancien, comme il est raconté dans l’Akallabêth.

Voici les noms des Rois et des Reines de Númenor : Elros Tar-Minyatur, Vardamir, Tar-Amandil, Tar-Elendil, Tar-Meneldur, Tar-Aldarion, Tar-Ancalimë (la première Reine régnante), Tar-Anárion, Tar-Súrion, Tar-Telperiën (la deuxième Reine), Tar-Minastir, Tar-Ciryatan, Tar-Atanamir le Grand, Tar-Ancalimon, Tar-Telemmaitë, Tar-Vanimeldë (la troisième Reine), Tar-Alcarin, Tar-Calmacil, Tar-Ardamin.

Après Ardamin, les Rois prirent le sceptre sous un nom en langue númenóréenne (ou adûnaïque) : Ar-Adûnakhôr, Ar-Zimrathôn, Ar-Sakalthôr, Ar-Gimilzôr, Ar-Inziladûn. Inziladûn changea son nom en Tar-Palantir, « la Longue-Vue ». Sa fille aurait dû être la quatrième Reine, Tar-Míriel, mais le neveu du Roi usurpa son sceptre et devint Ar-Pharazôn le Doré, dernier Roi des Númenóréens.

Les premiers navires númenóréens revinrent en Terre du Milieu à l’époque de Tar-Elendil. L’aînée de ses enfants était une fille, Silmariën. Elle eut un fils, Valandil, premier des Seigneurs d’Adúnië à l’ouest du continent, connus pour leur amitié avec les Eldar. Parmi les descendants de Valandil, on compte Amandil, le dernier seigneur, et son fils Elendil le Grand.

Le sixième Roi ne produisit qu’un enfant, une fille. Elle devint la première Reine ; car la maison royale décréta alors une loi voulant que l’aîné des enfants du Roi, homme ou femme, reçût le sceptre.

Le royaume de Númenor subsista jusqu’à la fin du Deuxième Âge sans jamais cesser de croître en puissance et en splendeur ; et dans la première moitié de l’Âge, les Númenóréens gagnèrent aussi en sagesse et en félicité. Le premier signe de l’ombre qui devait s’abattre sur eux fit son apparition à l’époque de Tar-Minastir, le onzième Roi. Ce fut lui qui envoya une grande force au secours de Gil-galad. Il aimait les Eldar mais les enviait. Les Númenóréens étaient alors devenus de grands marins, explorant toutes les mers à l’est, mais ils soupiraient de plus en plus après l’Ouest et les eaux interdites ; et plus leur vie était bienheureuse, plus ils aspiraient à l’immortalité des Eldar.

En outre, après Minastir, les Rois se firent plus avides de pouvoir et de richesses. Au début, les Númenóréens étaient venus en amis dans la Terre du Milieu, pour enseigner aux Hommes moins fortunés qui vivaient sous le joug de Sauron ; mais à présent, ils érigèrent leurs havres en forteresses, plaçant de vastes régions côtières sous leur sujétion. Atanamir et ses successeurs levaient un lourd tribut, et leurs navires rentraient à Númenor chargés de butin.

Ce fut Tar-Atanamir qui le premier s’éleva contre l’Interdit, déclarant que la vie des Eldar lui revenait de droit. Ainsi, l’ombre s’épaissit, et l’idée de la mort vint assombrir le cœur des gens. Puis les Númenóréens se divisèrent. D’un côté, il y avait les Rois et leurs suivants, éloignés des Eldar et des Valar ; de l’autre, il y avait ceux qui s’appelaient les Fidèles : ils étaient peu nombreux, et ils vivaient surtout dans l’ouest du pays.

Les Rois et leurs suivants délaissèrent peu à peu l’usage des langues eldarines ; et le vingtième Roi finit par adopter son nom royal sous forme númenóréenne, se faisant appeler Ar-Adûnakhôr, « Seigneur de l’Ouest ». Ce nom était de sinistre augure aux yeux des Fidèles, car jusque-là il n’avait servi qu’à désigner l’un des Valar, ou le Roi Vénérable en personne10. Et en effet, Ar-Adûnakhôr se mit à persécuter les Fidèles et à punir ceux qui usaient ouvertement des langues elfiques ; et les Eldar ne vinrent plus à Númenor.

La puissance et la richesse des Númenóréens continuèrent néanmoins de croître ; mais leurs années s’amenuisèrent à mesure qu’augmentait chez eux la peur de la mort, et leur joie se ternit. Tar-Palantir tenta de redresser le mal ; mais il était trop tard, et Númenor fut la proie de soulèvements et de conflits. À sa mort, son neveu, le chef de la rébellion, s’empara du sceptre et devint le roi Ar-Pharazôn. Ar-Pharazôn le Doré se révéla le plus fier et le plus puissant de tous les Rois, et il ne désirait rien de moins que la souveraineté du monde.

Il résolut de défier la suprématie de Sauron le Grand en Terre du Milieu, et il finit par partir lui-même avec une grande flotte, débarquant à Umbar. Telles furent la puissance et la splendeur des Númenóréens que Sauron se trouva déserté par ses propres serviteurs ; et il se prosterna devant le Roi et lui rendit hommage, implorant son pardon. Alors Ar-Pharazôn, dans la folie de son orgueil, le ramena à Númenor comme prisonnier. Il ne mit pas longtemps à ensorceler le Roi et à se rendre maître de son conseil ; et, hormis ce qui restait des Fidèles, il eut tôt fait de dévoyer les cœurs des Númenóréens vers les ténèbres.

Et Sauron berna le Roi, soutenant que la vie éternelle viendrait à qui prendrait possession des Terres Immortelles, et que l’Interdit n’avait été imposé que pour empêcher les Rois des Hommes de surpasser les Valar. « Mais les grands Rois prennent ce qui leur revient de droit », lui dit-il.

Ar-Pharazôn finit par suivre ce conseil, car il sentait ses jours décliner, et sa peur de la Mort l’avait abêti. Il prépara alors le plus grand armement que le monde eût jamais vu, et quand tout fut prêt, il fit sonner ses trompettes et prit la mer ; et il viola l’Interdit des Valar, partant en guerre pour arracher la vie éternelle aux Seigneurs de l’Ouest. Mais sitôt qu’il mit le pied sur les rivages d’Aman le Béni, les Valar se démirent de leur Intendance et en appelèrent à l’Unique, et le monde fut transformé. Númenor fut renversée et engloutie par les flots, et les Terres Immortelles furent soulevées à jamais hors des cercles du monde. Ainsi périt la gloire de Númenor.

Les derniers à la tête des Fidèles, Elendil et ses fils, échappèrent à la Chute de Númenor sur neuf navires, emportant un semis de Nimloth et les Sept Pierres de Vision (cadeaux des Eldar offerts à leur Maison)11 ; et portés par un vent de tempête, ils furent rejetés sur les rivages de la Terre du Milieu. Là, dans le Nord-Ouest, ils établirent les royaumes númenóréens de l’exil, l’Arnor et le Gondor12. Elendil en fut le Grand Roi et vécut dans le Nord à Annúminas ; tandis que le gouvernement du Sud fut confié à ses fils, Isildur et Anárion. Ils fondèrent là-bas Osgiliath, entre Minas Ithil et Minas Anor13, non loin des confins du Mordor. Car ils croyaient que la ruine avait amené au moins un bienfait, en ce que Sauron lui-même avait péri.

Mais il n’en était rien. S’il fut pris dans le naufrage de Númenor, en sorte qu’il perdit la forme corporelle qu’il avait longtemps assumée, Sauron retourna néanmoins en Terre du Milieu, esprit de haine porté par un vent de ténèbres. Il fut à jamais incapable de reprendre une forme qui parût agréable aux yeux des Hommes, aussi prit-il un aspect noir et repoussant, et son pouvoir ne s’exerça plus que par la terreur. Il revint au Mordor et s’y terra longtemps en silence. Mais sa colère fut immense lorsqu’il apprit qu’Elendil, qu’il détestait par-dessus tout, lui avait échappé, et qu’il ordonnait à présent un royaume sur ses frontières.

Ainsi, au bout d’un certain temps, il décida de faire la guerre aux Exilés avant qu’ils ne prennent racine. L’Orodruin s’enflamma de nouveau, et il reçut au Gondor un nouveau nom, Amon Amarth, le Mont Destin. Mais Sauron frappa trop tôt, avant que sa propre puissance fût restaurée, tandis que celle de Gil-galad n’avait cessé de croître en son absence ; et quand la Dernière Alliance s’éleva contre lui, Sauron fut renversé et l’Anneau Unique lui fut dérobé14. Ainsi s’acheva le Deuxième Âge.








(II) LES ROYAUMES DE L’EXIL






La lignée du Nord


Héritiers d’Isildur

Arnor. Elendil †3441 D.A., Isildur †2, Valandil 24915, Eldacar 339, Arantar 435, Tarcil 515, Tarondor 602, Valandur †652, Elendur 777, Eärendur 861.

Arthedain. Amlaith de Fornost16 (fils aîné d’Eärendur) 946, Beleg 1029, Mallor 1110, Celepharn 1191, Celebrindor 1272, Malvegil 134917, Argeleb Ier †1356, Arveleg Ier 1409, Araphor 1589, Argeleb II 1670, Arvegil 1743, Arveleg II 1813, Araval 1891, Araphant 1964, Arvedui le Dernier †1975. Fin du Royaume du Nord.

Chefs. Aranarth (fils aîné d’Arvedui) 2106, Arahael 2177, Aranuir 2247, Aravir 2319, Aragorn Ier †2327, Araglas 2455, Arahad Ier 2523, Aragost 2588, Aravorn 2654, Arahad II 2719, Arassuil 2784, Arathorn Ier †2848, Argonui 2912, Arador †2930, Arathorn II †2933, Aragorn II 120 Q.A.






La lignée du Sud


Héritiers d’Anárion

Rois du Gondor. Elendil, (Isildur et) Anárion †3440 D.A., Meneldil fils d’Anárion 158, Cemendur 238, Eärendil 324, Anardil 411, Ostoher 492, Rómendacil Ier (Tarostar) †541, Turambar 667, Atanatar Ier 748, Siriondil 830. Vinrent ensuite les quatre « Rois-Navigateurs » :

Tarannon Falastur 913. Il fut le premier roi sans postérité, et ce fut le fils de son frère Tarciryan qui lui succéda. Eärnil Ier †936, Ciryandil †1015, Hyarmendacil Ier (Ciryaher) 1149. Le Gondor était alors au faîte de sa puissance.

Atanatar II Alcarin « le Glorieux » 1226, Narmacil Ier 1294. Il fut le deuxième roi sans postérité, et son frère cadet lui succéda. Calmacil 1304, Minalcar (régent 1240-1304), couronné sous le nom de Rómendacil II 1304, mort 1366, Valacar 1432. Le premier désastre du Gondor, la Lutte Fratricide, débuta sous son règne.

Eldacar fils de Valacar (d’abord appelé Vinitharya) déposé 1437. Castamir l’Usurpateur †1447. Restauration d’Eldacar, mort 1490.

Aldamir (deuxième fils d’Eldacar) †1540, Hyarmendacil II (Vinyarion) 1621, Minardil †1634, Telemnar †1636. Telemnar et tous ses enfants moururent de la peste ; son neveu lui succéda, le fils de Minastan, deuxième fils de Minardil. Tarondor 1798, Telumehtar Umbardacil 1850, Narmacil II †1856, Calimehtar 1936, Ondoher †1944. Ondoher et ses deux fils moururent au combat. Un an après, en 1945, on remit la couronne au général victorieux Eärnil, un descendant de Telumehtar Umbardacil. Eärnil II 2043, Eärnur †2050. Ici, la lignée des rois s’éteignit, avant d’être rétablie par Elessar Telcontar en 3019. Dans l’intervalle, le royaume fut dirigé par les Intendants.

Intendants du Gondor. La Maison de Húrin : Pelendur 1998. Il régna une année après la chute d’Ondoher et conseilla au Gondor de rejeter les prétentions d’Arvedui à la couronne. Vorondil le Chasseur 202918. Mardil Voronwë « le Loyal », premier des Intendants Régnants. Ses successeurs ne prirent plus de noms en haut-elfique.

Intendants régnants. Mardil 2080, Eradan 2116, Herion 2148, Belegorn 2204, Húrin Ier 2244, Túrin Ier 2278, Hador 2395, Barahir 2412, Dior 2435, Denethor Ier 2477, Boromir 2489, Cirion 2567. À son époque, les Rohirrim entrèrent au Calenardhon. Hallas 2605, Húrin II 2628, Belecthor Ier 2655, Orodreth 2685, Ecthelion Ier 2698, Egalmoth 2743, Beren 2763, Beregond 2811, Belecthor II 2872, Thorondir 2882, Túrin II 2914, Turgon 2953, Ecthelion II 2984, Denethor II. Il fut le dernier des Intendants Régnants. Son deuxième fils, Faramir, Seigneur des Emyn Arnen, lui succéda en qualité d’Intendant du roi Elessar, 82 Q.A.








(III) L’ERIADOR, L’ARNOR ET LES HÉRITIERS D’ISILDUR

« Eriador était le nom donné à l’ensemble des terres entre les Montagnes de Brume et les Montagnes Bleues ; au sud, elles étaient bornées par le Grisfleur et la Glanduin, qui s’y jette en amont de Tharbad.

« À son apogée, l’Arnor comprenait tout l’Eriador, hormis les régions situées au-delà du Loune, et les terres à l’est du Grisfleur et de la Bruyandeau, où se trouvaient Fendeval et la Houssière. Au-delà du Loune était un pays d’Elfes, verdoyant et calme, où les Hommes n’allaient pas ; mais des Nains habitaient, et habitent encore, sur le versant est des Montagnes Bleues, en particulier dans les régions au sud du golfe de Loune, où ils exploitent encore des mines. C’est pourquoi ils avaient l’habitude de se rendre dans l’Est en passant par la Grande Route, comme ils l’avaient fait de longues années durant avant que nous arrivions dans le Comté. Aux Havres Gris vivait Círdan le Constructeur de Navires, et certains disent qu’il y vit encore, tant que le Dernier Navire n’aura pas vogué dans l’Ouest. À l’époque des Rois, la plupart des Hauts Elfes qui s’attardaient encore en Terre du Milieu vivaient auprès de Círdan ou dans les terres maritimes du Lindon. S’il en reste aujourd’hui, ils sont peu nombreux. »






Le Royaume du Nord et les Dúnedain

Après Elendil et Isildur, il y eut huit Grands Rois de l’Arnor. Après Eärendur, en raison des dissensions qui déchiraient ses fils, leur royaume fut divisé en trois : l’Arthedain, le Rhudaur et le Cardolan. L’Arthedain se trouvait au nord-ouest et englobait les terres entre le Brandivin et le Loune, de même que celles au nord de la Grande Route jusqu’aux Collines du Vent. Le Rhudaur, au nord-est, s’étendait entre les Landes d’Etten, les Collines du Vent et les Montagnes de Brume, mais comprenait également la Fongrège et la Bruyandeau. Le Cardolan était situé au sud, borné par le Brandevin, le Grisfleur et la Grande Route.

La lignée d’Isildur fut maintenue en Arthedain, et elle y subsista, tandis qu’elle ne tarda pas à périr au Cardolan et au Rhudaur. Il y eut de nombreuses querelles entre les royaumes, ce qui eut pour effet d’accélérer le déclin des Dúnedain. Le principal contentieux était la possession des Collines du Vent et du pays situé à l’ouest, vers Brie. Le Rhudaur et le Cardolan convoitaient chacun Amon Sûl (Montauvent), lequel se trouvait à la frontière des deux royaumes ; car la Tour d’Amon Sûl renfermait le Palantír le plus puissant du Nord, les deux autres étant en possession de l’Arthedain.

« C’est au commencement du règne de Malvegil de l’Arthedain que le mal arriva en Arnor. Car à cette époque, le royaume d’Angmar se forma dans le Nord au-delà des Landes d’Etten. Son territoire s’étendait des deux côtés des Montagnes, et des hommes mauvais s’y trouvaient rassemblés en grand nombre, de même que des Orques et d’autres terribles créatures. [Le seigneur de ce royaume se faisait appeler le Roi-Sorcier, mais c’est seulement plus tard que l’on apprit qu’il s’agissait en vérité du chef des Spectres de l’Anneau, venu dans le Nord dans l’intention d’anéantir les Dúnedain en Arnor, espérant profiter de leur désunion, tandis que le Gondor demeurait puissant.] »

Au temps d’Argeleb fils de Malvegil, alors qu’il ne restait plus aucun descendant d’Isildur dans les autres royaumes, les rois de l’Arthedain voulurent reprendre la suzeraineté de tout l’Arnor. Le Rhudaur s’opposa à leur revendication. Les Dúnedain y étaient peu nombreux, et un seigneur des Montagnards s’était emparé du pouvoir, un homme mauvais et un allié secret de l’Angmar. Ainsi, Argeleb fortifia les Collines du Vent19 ; mais il tomba au combat dans la guerre contre le Rhudaur et l’Angmar.

Arveleg fils d’Argeleb, avec l’aide du Cardolan et du Lindon, expulsa ses ennemis des Collines ; et durant maintes années, l’Arthedain et le Cardolan défendirent une frontière le long des Collines du Vent, de la Grande Route et du cours inférieur de la Fongrège. Il est dit que Fendeval fut assiégé à cette époque.

Une grande armée marcha hors de l’Angmar en 1409. Franchissant la rivière, elle entra au Cardolan et encercla Montauvent. Les Dúnedain furent vaincus et Arveleg tomba. La Tour d’Amon Sûl fut incendiée et rasée ; mais le palantír survécut, emporté dans la retraite vers Fornost. Le Rhudaur fut occupé par des Hommes mauvais soumis à l’Angmar20, et les Dúnedain qui y demeuraient furent tués ou s’enfuirent vers l’ouest. Le Cardolan fut ravagé. Araphor fils d’Arveleg n’était pas encore adulte, mais n’en était pas moins vaillant ; et avec l’aide de Círdan, il bouta l’ennemi hors de Fornost et des Coteaux du Nord. Un dernier bastion de fidèles, composés de Dúnedain du Cardolan, résista également à Tyrn Gorthad (les Coteaux des Tertres) ou se réfugia dans la Forêt avoisinante.

On dit que l’Angmar fut un temps contenu par Ceux des Elfes venus du Lindon – et aussi de Fendeval, car Elrond fit venir des renforts de la Lórien au-delà des Montagnes. À cette époque, les Fortauds qui s’étaient établis dans l’Angle (entre la Fongrège et la Bruyandeau) s’enfuirent à l’ouest et au sud, à cause des guerres et de la terreur de l’Angmar, mais aussi en raison de la détérioration des terres et du climat de l’Eriador, devenus hostiles, en particulier dans l’est. Certains regagnèrent la Contrée Sauvage, s’installant aux abords de la Rivière aux Flambes, et ils devinrent un peuple de riverains et de pêcheurs.

Durant le règne d’Argeleb II, la peste arriva en Eriador par le Sud-Est et décima la population du Cardolan, et celle du Minhiriath en particulier. Les Hobbits et tous les autres peuples en pâtirent beaucoup, mais l’épidémie diminua en progressant au nord, et les régions septentrionales de l’Arthedain ne furent guère touchées. Cette époque signala la fin des Dúnedain du Cardolan, et de mauvais esprits venus de l’Angmar et du Rhudaur investirent les tertres désertés et y élurent domicile.

« On dit que les monticules de Tyrn Gorthad, comme on appelait jadis les Coteaux des Tertres, sont très anciens : bon nombre auraient été élevés à l’époque du monde antique, au Premier Âge, par les ancêtres des Edain, avant qu’ils ne franchissent les Montagnes Bleues jusqu’au Beleriand, dont le Lindon est la seule partie qui subsiste de nos jours. Aussi les Dúnedain, à leur retour, regardèrent-ils ces collines avec la plus grande révérence ; et ils y enterrèrent bon nombre de leurs seigneurs et de leurs rois. [Le tertre où fut emprisonné le Porteur de l’Anneau aurait été, selon certains, la tombe du dernier prince du Cardolan, tombé durant la guerre de 1409.] »

« En 1974, la puissance de l’Angmar se manifesta de nouveau, et le Roi-Sorcier envahit l’Arthedain avant la fin de l’hiver. Il s’empara de Fornost et chassa la plupart des Dúnedain restant au-delà du Loune ; les fils du roi étaient de ce nombre. Mais le roi Arvedui tint les Coteaux du Nord jusqu’à la toute fin, puis il s’enfuit vers le nord avec quelques-uns de son escorte ; et la rapidité de leurs chevaux les sauva.

« Arvedui se cacha pour un temps dans les galeries des anciennes mines naines à l’extrémité des Montagnes, mais la faim le poussa à chercher assistance auprès des Lossoth, les Hommes des Neiges du Forochel21. Il en trouva quelques-uns bivouaquant au bord de la mer ; mais ils ne l’aidèrent pas volontiers, car le roi n’avait rien à leur offrir, hormis quelques joyaux sans valeur à leurs yeux ; et ils craignaient le Roi-Sorcier, qui pouvait (disaient-ils) commander le gel et le dégel par sa seule volonté. Mais tant par compassion envers le roi hâve et ses hommes que par crainte de leurs armes, ils leur offrirent un peu de nourriture et leur construisirent des huttes de neige. Là, Arvedui fut contraint d’attendre et d’espérer qu’une aide lui parvînt du sud ; car ses chevaux avaient péri.

« Sitôt que Círdan apprit par Aranarth, fils d’Arvedui, la fuite de ce dernier dans le Nord, il envoya un navire au Forochel afin d’aller à sa recherche. Après bien des jours, en raison de vents contraires, le navire arriva enfin à destination, et les marins virent au loin le petit feu de bois flotté que les hommes égarés s’efforçaient de maintenir. Mais cette année-là, l’hiver mit longtemps à relâcher son étreinte ; et bien qu’on fût alors en mars, la débâcle commençait à peine, et la glace s’étendait encore loin des rives.

« Les Hommes des Neiges, apercevant le navire, furent en même temps ébahis et effrayés, car jamais de mémoire d’homme ils n’avaient vu un tel navire sur les flots ; mais ils étaient entre-temps devenus plus amicaux, et ils s’aventurèrent sur la banquise avec le roi et les survivants de son escorte, aussi loin qu’ils l’osèrent dans leurs voitures glissantes. Ainsi, une barque du navire fut en mesure d’aller les recueillir.

« Mais les Hommes des Neiges étaient inquiets, car ils disaient flairer un danger sur le vent. Et le chef des Lossoth dit à Arvedui : “Ne montez pas sur ce monstre des mers ! Que les marins nous apportent des vivres et d’autres choses qui nous font défaut, s’ils les ont, et vous pourrez rester ici jusqu’à ce que le Roi-Sorcier soit rentré chez lui. Car en été, son pouvoir diminue ; mais son souffle est mortel à présent, et son bras est long et froid.”

« Mais Arvedui ne suivit pas son conseil. Il le remercia, et lorsqu’ils se séparèrent, il lui donna son anneau, disant : “Cet objet a plus de valeur que vous ne pouvez le concevoir. Par sa seule origine. Il n’a aucun pouvoir, sinon le prix que lui accordent ceux qui tiennent ma maison en honneur. Il ne vous aidera pas, mais si jamais vous êtes dans le besoin, les miens vous le rachèteront avec quantité de choses que vous pourriez désirer22.”

« Or, le conseil de Lossoth était bon, par hasard ou par clairvoyance ; car le navire n’avait pas encore gagné la haute mer qu’une grande tempête de vent se leva avec un blizzard venu du Nord ; et elle repoussa le navire sur la banquise et entassa de la glace contre ses flancs. Même les marins de Círdan ne purent rien faire, et, à la nuit, la glace défonça la coque et le navire périt. Ainsi finit Arvedui le Dernier, et les palantirí s’abîmèrent avec lui dans la mer23. Ce n’est que bien plus tard que l’on apprit des Hommes des Neiges la nouvelle du naufrage de Forochel. »

Les gens du Comté survécurent, mais la guerre balaya leur pays, si bien que la plupart durent fuir pour se cacher. Ils envoyèrent au secours du roi quelques archers qui ne revinrent jamais ; et d’autres se rendirent aussi à la bataille qui entraîna la chute de l’Angmar (bataille relatée dans les annales du Sud). Puis, dans la paix qui s’ensuivit, les gens du Comté devinrent maîtres d’eux-mêmes, et ils prospérèrent. Ils se choisirent un Thain en lieu et place du Roi et s’estimèrent heureux ; encore qu’ils aient longtemps été nombreux à attendre le retour du Roi. Mais cet espoir finit par disparaître des mémoires, et ne subsista plus que dans l’adage Quand le Roi reviendra, qui se disait d’une chose bonne mais irréalisable, ou d’un mal qu’on ne pouvait réparer. Le premier Thain du Comté fut un certain Bucca de la Marêche, dont les Vieilbouc se réclamaient d’être les descendants. Il devint Thain en 379 de notre comput (1979).

Après Arvedui, le Royaume du Nord prit fin, car les Dúnedain étaient désormais peu nombreux, et tous les peuples de l’Eriador se trouvaient diminués. La lignée des rois se perpétua néanmoins à travers les Chefs des Dúnedain, dont Aranarth fils d’Arvedui fut le premier. Arahel, son fils, fut élevé à Fendeval, comme tous les fils de chef qui vinrent après lui ; et leurs biens de famille, héritage de la maison, furent également conservés là-bas : les fragments de Narsil, l’étoile d’Elendil et le sceptre d’Annúminas24.

« Quand le royaume fut déchu, les Dúnedain passèrent dans l’ombre, vivant dans la clandestinité et le vagabondage. Rien, ou presque, ne fut jamais chanté ou consigné de leurs exploits et de leurs labeurs ; et le souvenir de ces choses ne s’est guère perpétué, depuis le départ d’Elrond. Et même si les créatures mauvaises, avant même la fin de la Paix Vigilante, avaient déjà recommencé à attaquer l’Eriador ou à l’envahir secrètement, les Chefs des Dúnedain furent pour la plupart à même de jouir de leurs longues existences. Aragorn I, dit-on, fut tué par les loups, qui depuis lors ne cessèrent d’être une menace en Eriador, et ils le sont encore de nos jours. Au temps d’Arahad I, les Orques, qui jusque-là occupaient, comme on le vit plus tard, des forteresses secrètes dans les Montagnes de Brume, se manifestèrent soudain. En 2509, Celebrían, épouse d’Elrond, fut prise en embuscade dans le Col de Cornerouge alors qu’elle se rendait en Lórien. Voyant son escorte dispersée par leur soudain assaut, les Orques la saisirent et l’enlevèrent. Elladan et Elrohir allèrent à sa poursuite et la secoururent, mais seulement après qu’on lui eut infligé des tourments et une blessure empoisonnée25. On la ramena à Imladris, et bien qu’Elrond fût à même de guérir son corps, elle perdit toute joie en la Terre du Milieu et se rendit aux Havres dès l’année suivante, traversant la Mer. Et plus tard, au temps d’Arassuil, les Orques, proliférant à nouveau dans les Montagnes de Brume, se mirent à ravager les terres, et les Dúnedain et les fils d’Elrond les combattirent. C’est à cette époque qu’une bande nombreuse fit une grande incursion à l’ouest, au point d’entrer dans le Comté pour en être chassée par Bandobras Touc26. »

Il n’y eut pas moins de quinze Chefs avant la naissance du seizième, Aragorn II, qui assuma de nouveau la royauté, tant du Gondor que de l’Arnor. « Nous l’appelons notre Roi ; et lorsqu’il vient dans le Nord et regagne sa demeure d’Annúminas aujourd’hui refondée pour séjourner un temps au bord du lac du Crépuscule, tous se réjouissent dans le Comté. Mais il n’entre pas dans ce pays et s’en tient à la loi qu’il a lui-même prescrite, qu’aucun des Grandes Gens n’en passe jamais les frontières. Il n’empêche qu’on le voit souvent mener une belle suite jusqu’au Grand Pont, où il salue ses amis et tous ceux qui désirent le voir ; et d’aucuns prennent la route avec lui et partent vivre sous son toit aussi longtemps qu’ils en ont envie. Peregrin le Thain y a séjourné à maintes reprises, ainsi que maître Samsaget le Maire. Sa fille Elanor la Belle compte parmi les demoiselles d’honneur de la reine Étoile du Soir. »

La Lignée du Nord pouvait s’enorgueillir sinon s’émerveiller du fait que, malgré leur puissance déchue et leur population diminuée, la succession de père en fils se maintint, ininterrompue, tout au long des générations. De même, si la longévité des Dúnedain ne cessa de s’amenuiser en Terre du Milieu, le déclin fut plus rapide au Gondor dès lors que leurs rois firent défaut ; cependant que maints Chefs du Nord vivaient encore deux fois plus vieux que les autres Hommes, c’est-à-dire bien au-delà des jours octroyés à nos plus vénérables. Aragorn vécut d’ailleurs deux cent dix ans, plus longtemps qu’aucun autre de sa lignée depuis le roi Arvegil ; mais en Aragorn Elessar fut renouvelée la dignité des rois d’autrefois.








(IV) LE GONDOR ET LES HÉRITIERS D’ANÁRION

Trente et un rois se succédèrent au Gondor après Anárion, tombé devant la Barad-dûr. Sur plus d’un millénaire, bien que la guerre n’ait jamais cessé d’assaillir leurs bornes, les Dúnedain du Sud acquirent puissance et richesse sur terre et sur mer, jusqu’au règne d’Atanatar II, surnommé Alcarin, le Glorieux. Mais même alors, on entrevoyait déjà les signes du déclin ; car les nobles du Sud se mariaient tardivement, et ils avaient peu d’enfants. Le premier roi sans postérité fut Falastur, et le second Narmacil I, fils d’Atanatar Alcarin.

Ce fut Ostoher, le septième roi, qui rebâtit Minas Anor, où les rois eurent dès lors coutume de passer l’été, la préférant à Osgiliath. En son temps, le Gondor essuya la première attaque des hommes sauvages de l’Est. Mais Tarostar, son fils, les vainquit et les expulsa, et il prit le nom de Rómendacil, « Vainqueur de l’Est ». Il tomba par ailleurs au combat contre de nouvelles hordes d’Orientais. Turambar son fils le vengea et conquit de grands territoires à l’est.

Ce fut avec Tarannon, le douzième roi, que commença la lignée des Rois-Navigateurs, qui constituèrent des forces navales afin d’accroître l’empire du Gondor le long des côtes, à l’ouest et au sud des Bouches de l’Anduin. Pour commémorer ses victoires en tant que Capitaine des Armées, Tarannon ceignit la couronne sous le nom de Falastur, « Seigneur des Côtes ».

Eärnil I, son neveu, qui lui succéda, réhabilita l’ancien port de Pelargir et se fit construire une grande escadre. Il assiégea Umbar par mer et par terre et s’en empara, et ce devint un port important et une grande place forte au sein du Gondor27. Mais Eärnil ne survit pas longtemps à son triomphe. Il périt avec maints navires et maints hommes dans une terrible tempête au large d’Umbar. Ciryandil son fils poursuivit la construction de navires ; mais les Hommes du Harad, sous la conduite des seigneurs qui avaient été chassés d’Umbar, marchèrent en grande force sur cette place, et Ciryandil tomba sous leur glaive au Haradwaith.

Umbar fut investi de nombreuses années durant, mais la puissance navale du Gondor tint le Harad en échec. Ciryaher fils de Ciryandil attendit son heure, puis, ayant enfin rassemblé une force suffisante, il descendit du nord par terre et par mer et, franchissant le fleuve Harnen, ses armées écrasèrent complètement les Hommes du Harad, et leurs rois furent forcés de reconnaître la souveraineté du Gondor (1050). Ciryaher prit alors le nom de Hyarmendacil, « Vainqueur du Sud ».

Nul n’osa plus défier la puissance de Hyarmendacil tant que dura son règne. Celui-ci dura cent trente-quatre ans, le plus long de toute la Lignée d’Anárion, hormis un seul. En son temps, la puissance du Gondor atteignit son zénith. Le royaume s’étendait alors, au nord, jusqu’au champ de la Celebrant et aux lisières sud de Grand’Peur, jusqu’au Grisfleur à l’ouest, à l’est jusqu’à la Mer intérieure du Rhûn, et au sud jusqu’au fleuve Harnen, et de là le long de la côte jusqu’à la péninsule du port d’Umbar. Les Hommes des Vaux de l’Anduin reconnaissaient son autorité ; et les rois du Harad rendaient hommage au Gondor, eux dont les fils vivaient en otages à la cour du Roi. Le Mordor était désolé, mais sous la surveillance de grandes places fortes gardant les cols.

Ainsi prit fin la lignée des Rois-Navigateurs. Atanatar Alcarin fils de Hyarmendacil vécut dans un grand faste, et les gens disaient : Les pierres précieuses au Gondor sont des cailloux qui servent aux jeux des enfants. Mais Atanatar aimait l’aisance et ne fit rien pour sauvegarder la puissance dont il avait hérité, et ses deux fils étaient de même tempérament. Le déclin du Gondor était déjà amorcé avant sa mort, et ses ennemis ne purent manquer de l’observer. La surveillance du Mordor fut négligée. Mais ce ne fut pas avant le règne de Valacar que s’abattit sur le Gondor une première grande calamité : la guerre civile qui prit le nom de Lutte Fratricide, à la source de grandes pertes et dommages considérables qui ne furent jamais pleinement réparés.

Minalcar fils de Calmacil était un homme d’une grande vigueur et, en 1240, Narmacil, voulant s’affranchir de toute responsabilité, le nomma Régent du royaume. Il assuma dès lors le gouvernement du Gondor au nom des rois, jusqu’au jour où il succéda à son père. Son souci premier tenait aux Hommes du Nord.

Ceux-ci s’étaient beaucoup multipliés à la faveur de la paix que la puissance du Gondor avait amenée. Ils étaient en grâce auprès des rois, car leur ascendance les plaçait au plus près des Dúnedain parmi les Hommes moindres (remontant aux mêmes peuples dont étaient issus les Edain de jadis) ; et les rois leur concédèrent de vastes territoires par-delà l’Anduin au sud de Vertbois-le-Grand, afin qu’ils leur servent de défense contre les hommes de l’Est. Car les attaques des Orientais, par le passé, étaient venues surtout de la plaine entre la Mer Intérieure et les Montagnes de Cendre.

Sous le règne de Narmacil I, ces attaques reprirent, quoique peu appuyées au début ; mais il vint aux oreilles du régent que les Hommes du Nord n’étaient pas toujours demeurés fidèles au Gondor ; ainsi d’aucuns s’alliaient parfois aux Orientais, ou par soif de butin, ou pour servir leurs intérêts dans leurs querelles de princes. Ainsi, en 1248, Minalcar se porta à la tête d’une grande force et vainquit une grande armée d’Orientais entre le Rhovanion et la Mer Intérieure, détruisant tous leurs campements et leurs villages à l’est de la Mer. Il prit alors le nom de Rómendacil.

À son retour, Rómendacil fortifia la rive occidentale de l’Anduin jusqu’au confluent avec la Limeclaire et interdit à tout étranger de descendre le Fleuve au-delà des Emyn Muil. Ce fut lui qui érigea les piliers des Argonath à l’entrée du Nen Hithoel. Mais comme il lui fallait des hommes, et qu’il désirait consolider le lien entre le Gondor et les Hommes du Nord, il prit bon nombre d’entre eux à son service, dont certains à qui il conféra de hauts grades au sein de ses armées.

Rómendacil montra une faveur toute particulière à Vidugavia, qui l’avait aidé à la guerre. Lui se proclama Roi du Rhovanion, et c’était en vérité le plus puissant des princes du Nord, bien que son royaume se limitât au territoire entre Vertbois et la rivière Celduin28. En 1250, Rómendacil envoya son fils Valacar auprès de Vidugavia en qualité d’ambassadeur, afin qu’il se familiarise avec la langue, les manières et les politiques des Hommes du Nord. Mais Valacar outrepassa les desseins de son père. Il finit par s’attacher aux terres du Nord et à leur peuple, et il épousa Vidumavi, fille de Vidugavia. Ce mariage devait être l’élément déclencheur de la Lutte Fratricide.

« Car les nobles du Gondor regardaient avec suspicion les Hommes du Nord qui allaient et venaient parmi eux ; et c’était une chose inouïe que l’héritier de la couronne, ou l’un quelconque des fils du roi, dût épouser une femme de race étrangère et de moindre ascendance. Il y avait déjà des soulèvements dans les provinces du Sud quand le roi Valacar se fit vieux. Sa reine avait été une belle et noble dame mais n’avait pas vécu longtemps, comme le voulait le sort des Hommes moindres ; et les Dúnedain craignaient que sa descendance ne soit affligée de la même tare et n’ait pas la majesté des Rois des Hommes. Ils refusaient également de reconnaître son fils comme leur seigneur, car, bien qu’ayant pris le nom d’Eldacar, il était né en pays étranger sous le nom de Vinitharya, qu’il tenait du peuple de sa mère.

« Ainsi, lorsque Eldacar succéda à son père, la guerre éclata au Gondor. Mais Eldacar ne se laissa pas facilement dépouiller de son héritage. Au lignage du Gondor s’ajoutait chez lui l’esprit intrépide des Hommes du Nord. Il était beau et courageux, et ne semblait pas devoir vieillir plus rapidement que son père. Quand les insurgés sous la conduite des descendants des rois se soulevèrent contre lui, il leur résista jusqu’au bout de ses forces. Enfin, il fut assiégé à Osgiliath, et il la tint longtemps, jusqu’à ce que la faim et les forces supérieures des rebelles l’en chassent, livrant la cité aux flammes. Au cours de ce siège et dans l’incendie qui s’ensuivit, la Tour du Dôme d’Osgiliath fut détruite, et le palantír perdu au fond des eaux.

« Mais Eldacar échappa à ses adversaires et se réfugia dans le Nord auprès de ses parents du Rhovanion. Nombreux sont ceux qui alors se rallièrent à lui, Hommes du Nord au service du Gondor, mais aussi Dúnedain des provinces septentrionales du royaume. Car ceux-ci étaient nombreux à l’avoir pris en estime, mais bien d’autres encore vinrent à haïr son usurpateur. Ce n’était autre que Castamir, le petit-fils de Calimehtar, cadet de Rómendacil II. Non seulement figurait-il, de par son extraction, parmi les plus proches prétendants à la couronne, mais il était celui des rebelles qui comptait le plus de partisans ; car il était Capitaine de Navires, soutenu par les habitants des côtes et des grands havres de Pelargir et d’Umbar.

« Castamir n’était pas monté depuis bien longtemps sur le trône qu’il se révéla hautain et inclément. C’était un homme cruel, ce qui s’était déjà vérifié lors de la prise d’Osgiliath. Ornendil fils d’Eldacar, capturé par l’assiégeant, fut mis à mort sur son commandement ; et dans la cité, le massacre et les ravages perpétrés en son nom allèrent bien au-delà des impératifs de la guerre. Les gens de Minas Tirith et d’Ithilien s’en souvinrent longtemps ; et leur amour pour Castamir tiédit encore davantage, quand on vit qu’il se souciait fort peu des terres et songeait uniquement aux flottes, et projetait de déplacer le siège du royaume à Pelargir.

« Ainsi, il n’était roi que depuis dix ans quand Eldacar, voyant son heure arriver, descendit du Nord à la tête d’une grande armée ; et les gens du Calenardhon, de l’Anórien et de l’Ithilien affluèrent sous son drapeau. Il y eut une grande bataille au Lebennin et aux Passages de l’Erui, où fut versé une bonne part du plus noble sang du Gondor. Eldacar tua lui-même Castamir en combat singulier et fut ainsi vengé de la mort d’Ornendil ; mais les fils de Castamir prirent la fuite et, avec quelques autres de leurs parents et nombre de gens des navires, ils résistèrent longtemps à Pelargir.

« Lorsqu’ils y eurent rassemblé toutes les forces possibles (car Eldacar ne disposait d’aucune flotte pour les assaillir par mer), ils mirent les voiles et allèrent s’établir à Umbar. Là, ils fondèrent un refuge pour tous les ennemis du roi et une seigneurie indépendante de sa couronne. Umbar fit la guerre au Gondor durant maintes générations encore, une menace pour ses côtes et pour tout trafic maritime. Il ne fut de nouveau complètement soumis qu’à l’époque d’Elessar ; et le Gondor du Sud devint une terre disputée entre les Corsaires et le Rois. »

« La perte d’Umbar fut désastreuse pour le Gondor, non seulement parce que le royaume se trouvait amoindri au sud, et du même coup son ascendant sur les Hommes du Harad, mais aussi parce que c’était le lieu où Ar-Pharazôn le Doré, dernier Roi de Númenor, avait débarqué pour rabattre les prétentions de Sauron. Même les suivants d’Elendil, malgré la tragédie qui devait s’ensuivre, se rappelaient avec fierté la grande armée d’Ar-Pharazôn venue là-bas des confins de la Mer ; et sur la plus haute colline du promontoire surplombant le Havre, ils avaient érigé une grande colonne blanche en guise de monument. Elle était couronnée d’un globe de cristal qui accrochait les rayons du Soleil et de la Lune, et ce globe luisait comme une brillante étoile qui se voyait, par temps clair, jusque sur les rivages du Gondor ou sur la mer de l’Ouest, loin au large des côtes. Elle demeura jusqu’au jour où, après la deuxième résurgence de Sauron, alors imminente, Umbar tomba sous la domination de ses serviteurs, qui renversèrent la stèle commémorant sa défaite. »

Après le retour d’Eldacar, le sang de la maison royale et des autres maisons des Dúnedain se mêla encore de celui d’Hommes moindres. Car les grands avaient péri en nombre lors de la Lutte Fratricide ; mais Eldacar était favorable aux Hommes du Nord qui l’avaient aidé à reprendre la couronne, et le Gondor fut repeuplé de ces hommes qui affluaient du Rhovanion.

Ce métissage ne parut pas, au début, précipiter le déclin des Dúnedain comme on l’avait craint ; mais ce déclin se poursuivit tout de même peu à peu, comme il avait commencé. Car il y a fort à croire qu’il tenait à la Terre du Milieu elle-même, et au fait que les descendants de Númenor, conséquence de la chute du Pays de l’Étoile, se voyaient lentement dépossédés de leurs dons. Eldacar vécut jusque dans sa deux cent trente-cinquième année, et son règne dura cinquante-huit ans, dont dix passées en exil.

La seconde et la pire des calamités s’abattit sur le Gondor durant le règne de Telemnar, le vingt-sixième roi, après que son père Minardil, fils d’Eldacar, eut été tué à Pelargir par les Corsaires d’Umbar (avec à leur tête Angamaitë et Sangahyando, les arrière-petits-fils de Castamir). Une peste mortelle survint peu après, amenée par des vents sombres venus de l’Est. Elle emporta le Roi et tous ses enfants, et de larges pans de la population, à Osgiliath en particulier. Alors, par lassitude et par pénurie d’hommes, la surveillance des frontières du Mordor cessa, et les forteresses gardant les cols furent laissées sans garnison.

Comme on le remarqua par la suite, ces événements survenaient alors même que l’Ombre s’épaississait à Vertbois, et que reparaissaient quantité de choses mauvaises, signes de la résurgence de Sauron. Vrai, les ennemis du Gondor souffraient eux aussi, sans quoi ils n’auraient pas manqué de l’écraser dans sa faiblesse ; mais Sauron, lui, pouvait attendre, et peut-être n’avait-il d’autre souhait que de voir le Mordor s’ouvrir.

À la mort du roi Telemnar, l’Arbre Blanc de Minas Anor se fana également et mourut. Mais Tarondor, son neveu et son successeur, replanta un semis dans la Citadelle. Ce fut sous son règne que la maison du Roi se transporta définitivement à Minas Anor, car Osgiliath était en partie déserte et de plus en plus délabrée. Ceux qui, pour fuir la peste, s’étaient établis en Ithilien ou dans les vaux de l’ouest étaient peu nombreux à vouloir y retourner.

Tarondor, couronné fort jeune, connut le plus long règne de tous les Rois du Gondor ; mais il ne parvint guère qu’à réorganiser l’intérieur du royaume et à rebâtir lentement sa puissance. Mais son fils Telumehtar, se rappelant la mort de Minardil, et déplorant l’insolence des Corsaires, rassembla ses forces et se lança à l’assaut d’Umbar en 1810. Les derniers descendants de Castamir périrent dans cette guerre, et Umbar retourna un temps en possession des rois. Telumehtar adjoignit alors à son nom le titre d’Umbardacil. Mais les nouveaux malheurs qui affligèrent bientôt le Gondor lui ravirent Umbar une fois de plus, et il tomba aux mains des Hommes du Harad.

La troisième calamité fut l’invasion des Chariotiers, qui engloutit la puissance déclinante du Gondor dans des guerres qui s’étalèrent sur près de cent ans. Les Chariotiers étaient un peuple, ou une confédération de peuples, originaire de l’Est ; mais ils étaient plus forts et mieux armés qu’aucun de ceux rencontrés jusque-là. Ils voyageaient dans de grandes voitures, et leurs chefs se battaient dans des chars. Soulevés, comme on le vit plus tard, par les émissaires de Sauron, ils lancèrent un soudain assaut contre le Gondor, et le roi Narmacil II mourut en les combattant au-delà de l’Anduin en 1856. Les gens de l’est et du sud du Rhovanion furent réduits en esclavage, et les frontières du Gondor ramenées à la hauteur de l’Anduin et des Emyn Muil, tant que dura cette occupation. [On croit qu’à cette époque, les Spectres de l’Anneau entrèrent de nouveau au Mordor.]

Calimehtar, fils de Narmacil II, à la faveur de révoltes sévissant au Rhovanion, vengea son père en remportant une éclatante victoire contre les Orientais sur la plaine de Dagorlad, en 1899 ; ainsi, la menace fut un temps écartée. C’est sous le règne d’Araphant, dans le Nord, et d’Ondoher fils de Calimehtar, dans le Sud, que les deux royaumes reprirent conseil ensemble, après des siècles de silence et d’éloignement. Car enfin ils perçurent qu’un seul et unique pouvoir, une seule et unique volonté dirigeait l’offensive qui s’abattait de toutes parts contre les survivants de Númenor. Et à cette époque, Arvedui, héritier d’Araphant, épousa Fíriel, fille d’Ondoher (1940). Mais aucun royaume ne put venir au secours de l’autre ; car l’Angmar renouvela son assaut contre l’Arthedain au moment même ou les Chariotiers revenaient en force.

Cette fois, les Chariotiers passèrent en nombre au sud du Mordor, s’alliant aux hommes du Khand et du Proche-Harad ; et, pris d’assaut au nord comme au sud, le Gondor fut bien près d’être anéanti. En 1944, le roi Ondoher et ses deux fils, Artamir et Faramir, tombèrent au nord de la Morannon, et l’ennemi se déversa en Ithilien. Mais Eärnil, Capitaine de l’Armée du Midi, triompha sur lui en Ithilien du Sud, écrasant les troupes du Harad qui avaient franchi le fleuve Poros. Se hâtant vers le nord, il rassembla tout ce qu’il put des débris de l’Armée du Nord qui battait alors en retraite, puis ils tombèrent sur le premier campement des Chariotiers alors qu’ils célébraient et festoyaient, croyant le Gondor vaincu et le butin prêt à être cueilli. Eärnil prit le campement d’assaut et mit le feu aux chariots, et il bouta l’ennemi en déroute hors de l’Ithilien. Une grande partie des fuyards périrent dans les Marais Morts.

« À la mort d’Ondoher et de ses fils, Arvedui du Royaume du Nord revendiqua la couronne du Gondor en tant que descendant direct d’Isildur et époux de Fíriel, seule survivante des enfants d’Ondoher. Sa revendication fut rejetée. Pelendur, l’Intendant du roi Ondoher, eut la plus grande part dans cette décision.

« Le Conseil du Gondor répondit : “La couronne et la royauté du Gondor reviennent aux seuls héritiers de Meneldil, fils d’Anárion, à qui Isildur a abandonné ce royaume. Au Gondor, cet héritage n’est reconnu qu’aux fils ; et nous ne sachions pas qu’il en soit autrement en Arnor.”

« Arvedui eut cette réplique : “Elendil eut deux fils, Isildur étant l’aîné et l’héritier de son père. Pour ce que nous en savons, le nom d’Elendil figure encore en tête de la lignée des Rois du Gondor, car il était reconnu comme le grand roi de toutes les terres des Dúnedain. Du vivant d’Elendil, ses fils se virent confier le gouvernement conjoint du Sud ; mais quand Elendil tomba, Isildur partit assumer l’autorité suprême de son père, confiant à son tour le gouvernement du Sud au fils de son frère. Il n’est pas dit qu’il abandonna la royauté du Gondor, pas plus qu’il ne souhaitait que le royaume d’Elendil fût à jamais divisé.

« “Non seulement cela, mais, dans l’ancienne Númenor, le sceptre passait à l’aîné des enfants du roi, homme ou femme. Il est vrai que cette loi ne fut pas observée dans les terres d’exil toujours en proie aux guerres ; mais telle était la loi de notre peuple, que nous invoquons à présent, puisque les fils d’Ondoher sont morts sans postérité29.”

« À cela, le Gondor ne fit aucune réponse. La couronne fut revendiquée par Eärnil, le capitaine victorieux ; et elle lui fut concédée avec l’assentiment de tous les Dúnedain du Gondor, puisqu’il appartenait à la maison royale. Eärnil était le fils de Siriondil, fils de Calimmacil, fils d’Arciryas frère de Narmacil II. Arvedui se garda de réitérer sa demande, car il n’avait ni le pouvoir ni la volonté de s’opposer au choix des Dúnedain du Gondor ; toutefois, ses descendants n’oublièrent jamais cette revendication, même quand leur royauté eut passé. Car l’heure approchait où le Royaume du Nord ne serait plus qu’un souvenir.

« Arvedui fut en vérité le dernier roi, comme son nom l’indique. On dit qu’il lui fut donné à sa naissance par Malbeth le Voyant, qui dit à son père : “Tu l’appelleras Arvedui, car il sera le dernier en Arthedain. Mais les Dúnedain seront placés devant un choix, et s’ils choisissent la voie qui semble la moins prometteuse, ton fils prendra un nouveau nom et deviendra maître d’un grand royaume. Autrement, bien des souffrances et des générations se succéderont, avant que les Dúnedain ne se relèvent et soient de nouveau unis.”

« De même, au Gondor, il y eut seulement un roi après Eärnil. Peut-être la royauté eût-elle été maintenue, et de grands malheurs évités, si la couronne et le sceptre avaient été unis. Mais Eärnil était un homme sage, et nullement arrogant ; encore que, pour lui comme pour la plupart des hommes du Gondor, le royaume d’Arthedain parût chose négligeable, malgré le noble lignage de ses seigneurs.

« Il manda à Arvedui qu’il ceindrait la couronne du Gondor suivant les lois et la nécessité du Royaume du Sud ; “Mais, dit-il, je n’oublie pas la royauté de l’Arnor, et je ne renie pas notre parenté, pas plus que je ne souhaite la désunion entre les royaumes d’Elendil. J’enverrai pour vous des secours quand vous en aurez besoin, dans la mesure de mes capacités.”

« Toutefois, il fallut longtemps avant qu’Eärnil n’ait suffisamment assuré sa propre sécurité pour tenir sa promesse. Le roi Araphant, toujours s’affaiblissant, continua de repousser les assauts de l’Angmar, et Arvedui, quand il lui succéda, fit de même ; mais enfin, à l’automne 1973, des messages parvinrent au Gondor disant que l’Arthedain était à toute extrémité, et que le Roi-Sorcier s’apprêtait à livrer sa dernière offensive. Eärnil mit alors son fils Eärnur à la tête d’une grande flotte, et, distrayant toutes les forces dont il pouvait se passer, les envoya au nord avec la plus grande célérité possible. Trop tard. Avant qu’Eärnur n’eût atteint les havres du Lindon, le Roi-Sorcier avait conquis l’Arthedain et Arvedui avait péri.

« Mais l’arrivée d’Eärnur aux Havres Gris suscita la joie et l’émerveillement, tant chez les Elfes que chez les Hommes. Sa flotte était si nombreuse, et ses bâtiments si imposants qu’ils eurent peine à trouver leur mouillage, bien que le Harlond et le Forlond fussent aussi à pleine capacité ; et il en débarqua une armée toute-puissante, avec tout l’armement et les provisions pour une guerre de grands rois. Telle fut du moins l’impression des gens du Nord, encore que ce ne fût là qu’un petit détachement, au regard de l’ensemble des forces du Gondor. On loua spécialement les chevaux, car nombre d’entre eux étaient des Vaux de l’Anduin, montés par de beaux et grands cavaliers et par des princes du Rhovanion. »

« Círdan appela alors tous ceux qui voudraient bien se joindre à lui, du Lindon à l’Arnor, et quand l’armée fut enfin prête, elle franchit le Loune et marcha sur le Nord contre le Roi-Sorcier de l’Angmar. Celui-ci, disait-on, s’était désormais établi à Fornost, qu’il avait rempli de choses maléfiques, usurpant la maison et l’autorité des rois. Dans son orgueil, il n’attendit pas l’assaut de ses ennemis dans sa forteresse, mais alla plutôt à leur rencontre, croyant pouvoir les repousser, comme d’autres avant eux, dans les eaux du Loune.

« Mais l’Armée de l’Ouest fondit sur lui depuis les Collines du Crépuscule, et une grande bataille se déroula sur la plaine entre le Nenuial et les Coteaux du Nord. Les forces de l’Angmar battaient déjà en retraite vers Fornost quand le gros de la cavalerie qui avait contourné les collines les assaillit par le nord et les mit en déroute. Alors le Roi-Sorcier, rassemblant tous ceux qu’il put sauver de la débâcle, s’enfuit vers le nord, cherchant à rallier son propre royaume d’Angmar. Avant qu’il n’ait pu gagner la sécurité de Carn Dûm, la cavalerie du Gondor le rattrapa, menée par Eärnur en personne. Au même moment, une force dirigée par le seigneur elfe Glorfindel arriva de Fendeval. La défaite de l’Angmar fut alors si totale qu’il ne resta plus un homme, ni un seul orque de ce royaume à l’ouest des Montagnes.

« Mais l’on dit qu’à l’heure de la défaite, le Roi-Sorcier parut alors soudain, manteau et masque noirs sur une monture noire. Tous ceux qui le virent furent saisis d’effroi ; mais sa haine entière se porta sur le Capitaine du Gondor, qu’il chargea avec un terrible cri. Eärnur entendait l’affronter ; mais son cheval ne put souffrir cet assaut, et il vira brusquement et emporta son cavalier avant que celui-ci ne l’ait maîtrisé.

« Alors le Roi-Sorcier éclata de rire, et quiconque l’entendit n’oublia jamais l’horreur de ce cri. Mais Glorfindel s’avança alors sur son cheval blanc, et, au milieu de son rire, le Roi-Sorcier prit la fuite et se perdit dans les ombres. Car la nuit tombait sur le champ de bataille, et il disparut, et nul ne vit où il s’en était allé.

« Eärnur revint à présent, mais Glorfindel, scrutant les ténèbres qui s’amoncelaient, dit : “Ne le poursuivez pas ! Il ne reviendra plus dans ces terres. Sa fin est encore lointaine, et il ne tombera pas par la main d’un homme.” Beaucoup se souvinrent de ces mots ; mais Eärnur était furieux, et ne pensait qu’à se venger de son déshonneur.

« Ainsi finit le sinistre royaume d’Angmar, et ainsi Eärnur, Capitaine du Gondor, s’attira-t-il la haine suprême du Roi-Sorcier ; mais de nombreuses années devaient s’écouler avant que celle-ci n’éclate au grand jour. »

Ce fut donc au temps du roi Eärnil, comme on le vit plus tard, que le Roi-Sorcier s’échappa du Nord et revint au Mordor, où il rassembla les autres Spectres de l’Anneau dont il était le chef. Mais ce ne fut pas avant l’an 2000 qu’ils sortirent par le col de Cirith Ungol et assiégèrent Minas Ithil. Ils prirent cette tour en 2002 et s’emparèrent de son palantír. Ils ne devaient pas en être chassés de tout le Troisième Âge ; et Minas Ithil devint un endroit redouté, désormais connu sous le nom de Minas Morgul. Nombre de ceux qui habitaient encore en Ithilien désertèrent alors ce pays.

« Eärnur était l’égal de son père en valeur, mais non en sagesse. C’était un homme de forte constitution et de tempérament violent ; mais il ne voulait prendre aucune femme, car son seul plaisir était dans le combat ou dans l’exercice des armes. Ses prouesses étaient telles que nul ne pouvait rivaliser avec lui dans ces sports de combat qu’il affectionnait, et l’on eût dit un champion plutôt qu’un capitaine ou un roi ; de fait, il conserva sa vigueur et son habileté jusqu’à un âge plus avancé qu’il n’était alors habituel. »

Quand Eärnur reçut la couronne en 2043, le roi de Minas Morgul le défia en combat singulier, raillant son adversaire de n’avoir pas voulu l’affronter dans la bataille du Nord. Pour cette fois, Mardil l’Intendant contint la colère du roi. Minas Anor, principale cité du royaume depuis l’époque du roi Telemnar, et résidence des rois, fut alors rebaptisée Minas Tirith, en raison de sa veille constante contre le pouvoir maléfique de Morgul.

Eärnur ne détenait la couronne que depuis sept ans lorsque le Seigneur de Morgul réitéra son défi, raillant le roi de ce qu’à la couardise de la jeunesse il avait ajouté la faiblesse de l’âge. Alors Mardil ne put le contenir plus longtemps, et il se rendit devant la porte de Minas Morgul avec une maigre escorte de chevaliers. Aucun d’eux n’en revint jamais. On croyait au Gondor que le roi, piégé par son perfide ennemi, avait péri sous la torture à Minas Morgul ; mais, nul n’ayant été témoin de sa mort, Mardil le Bon Intendant dirigea le Gondor en son nom durant de longues années.

Or, les descendants du roi étaient désormais fort peu nombreux. La Lutte Fratricide en avait emporté beaucoup ; et depuis ce temps-là, les rois s’étaient montrés jaloux et méfiants de ceux qui se réclamaient de ces origines. Et ceux qui s’étaient attirés de tels soupçons, souvent avaient fui à Umbar pour se joindre aux rebelles ; tandis que d’autres avaient renoncé à leur lignage, épousant des femmes qui n’étaient pas de sang númenóréen.

C’est pourquoi l’on ne put trouver un seul prétendant au trône dont le sang ait été pur, ou dont le privilège aurait fait l’unanimité ; et tous étaient hantés par le souvenir de la Lutte Fratricide, et savaient que le Gondor périrait, si de telles dissensions devaient survenir une nouvelle fois. Ainsi, les années s’allongèrent, l’Intendant continua de régner sur le Gondor, et la couronne d’Elendil demeura dans le giron du roi Eärnil, dans les Maisons des Morts où Eärnur l’avait laissée.






Les Intendants

La Maison des Intendants était connue sous le nom de Maison de Húrin, car ses membres étaient issus de l’Intendant du roi Minardil (1621-1634), Húrin des Emyn Arnen, un homme d’ascendance númenóréenne. Après lui, les rois choisirent toujours leurs intendants parmi ses descendants ; et après Peneldur, l’Intendance devint héréditaire au même titre que la royauté, passant du père au fils ou au plus proche parent.

Chaque nouvel Intendant endossait d’ailleurs sa charge en jurant « de tenir la verge de l’autorité au nom du roi, jusqu’à son retour ». Mais ce devint bientôt des paroles rituelles, guère observées dans les faits, car les Intendants exerçaient tous les pouvoirs des rois. Bien des gens du Gondor croyaient cependant qu’un roi reviendrait bel et bien dans les temps à venir ; et d’aucuns se souvenaient de l’ancienne lignée du Nord, laquelle survivait parmi les ombres, disait-on. Mais les Intendants régnants se refusaient à pareilles idées.

Néanmoins, les Intendants n’occupèrent jamais le trône ancien, ne portant aucune couronne ni aucun sceptre. Ils avaient, pour seul insigne de leur charge, une verge blanche qu’ils tenaient à la main ; et leur bannière était blanche et dénuée de tout emblème ; mais sur la bannière fleurissait autrefois un arbre blanc en champ de sable, couronné de sept étoiles.

Après Mardil Voronwë, considéré comme le premier de sa lignée, le Gondor connut vingt-quatre Intendants régnants, et ce, jusqu’au temps de Denethor II, le vingt-sixième et dernier. Leurs règnes furent tranquilles au début, car c’était l’époque de la Paix Vigilante, qui vit Sauron reculer devant le pouvoir du Conseil Blanc et les Spectres de l’Anneau se terrer dans le Val de Morgul. Mais dès l’époque de Denethor Ier, il n’y eut plus jamais de véritable paix ; et même lorsque le Gondor n’était pas ouvertement ou sérieusement en guerre, ses frontières demeuraient constamment menacées.

Vers la fin du règne de Denethor Ier, la race des uruks, des orques noirs d’une force exceptionnelle, surgit du Mordor pour la première fois : en 2475, ils balayèrent l’Ithilien et prirent Osgiliath. Boromir fils de Denethor (de qui Boromir des Neuf Marcheurs tenait son nom) les écrasa et reconquit l’Ithilien ; mais la ruine d’Osgiliath était désormais complète, et son grand pont de pierre était rompu. Dès lors, la cité fut désertée. Boromir était un grand capitaine, et même le Roi-Sorcier le craignait. Il était beau et noble de visage, et sa vigueur n’avait d’égale que sa volonté, mais une blessure de Morgul lui fut infligée dans cette guerre qui écourta grandement ses jours. Amenuisé par la souffrance, il mourut douze ans après son père.

Alors débuta le long règne de Cirion. C’était un homme vigilant et circonspect, mais l’emprise du Gondor était considérablement réduite, et il ne pouvait guère qu’assurer la défense de ses frontières, pendant que ses ennemis (ou le pouvoir qui les dirigeait) préparaient contre lui des coups qu’il ne pouvait contrecarrer. Les Corsaires harcelaient ses côtes, mais son plus grave péril se trouvait au nord. Dans les vastes terres du Rhovanion, entre Grand’Peur et la Rivière Courante, vivait désormais un peuple farouche, entièrement sous la domination de l’ombre de Dol Guldur. Ils faisaient souvent incursion à travers la forêt, si bien que la vallée de l’Anduin fut bientôt pratiquement déserte au sud de la Rivière aux Flambes. Ces Balchoth se voyaient constamment grossis par d’autres gens de même espèce qui affluaient de l’Est, tandis que le Calenardhon était dépeuplé. Cirion eut fort à faire pour tenir le front de l’Anduin.

« Voyant venir l’orage, Cirion manda à ses alliés du Nord de lui envoyer de l’aide, mais c’était trop tard ; car en cette même année 2510, les Balchoth, qui avaient construit quantité d’embarcations et de radeaux de grandes dimensions sur les rives orientales de l’Anduin, franchirent le Fleuve en masse et balayèrent la défense. Une armée qui venait du sud se trouva alors coupée des autres et chassée au-delà de la Limeclaire, où elle fut soudainement attaquée par une horde d’Orques des Montagnes et repoussée vers l’Anduin. Puis du Nord vint un secours inespéré, et les cors des Rohirrim retentirent pour la première fois au Gondor. Eorl le Jeune arriva avec ses cavaliers, balayant l’ennemi, et les Balchoth furent pourchassés à mort à travers les champs du Calenardhon. Cirion concéda ces terres à Eorl afin qu’il s’y établisse, et celui-ci prononça le Serment d’Eorl, jurant son amitié aux seigneurs du Gondor en quelque nécessité ou sollicitation. »

Au temps de Beren, le dix-neuvième Intendant, le Gondor se trouva face à un péril encore plus grave. Trois grandes flottes, préparées de longue date, remontèrent d’Umbar et d’autres endroits du Harad, et assaillirent en force les côtes du Gondor ; et l’ennemi débarqua en de nombreux endroits, aussi loin au nord que la bouche de l’Isen. Au même moment, les Rohirrim furent attaqués à l’est et à l’ouest, et, leur pays occupé, ils se réfugièrent dans les vallées des Montagnes Blanches. Cette année-là (2758), le Long Hiver amena un froid extrême et de fortes chutes de neige en provenance du Nord et de l’Est, sur une période de près de cinq mois. Helm du Rohan et ses deux fils périrent au cours de cette guerre ; et la mort et la misère sévirent en Eriador et au Rohan. Mais au Gondor, au sud des montagnes, ce ne fut pas si pénible, et avant la venue du printemps, Beregond fils de Beren avait vaincu les envahisseurs. Il envoya aussitôt des secours au Rohan. C’était le plus grand capitaine que le Gondor eût connu depuis Boromir ; et lorsqu’il succéda à son père (2763), le Gondor commença à reprendre des forces. Mais le Rohan mit plus longtemps à se relever des blessures qu’il avait subies. Voilà pourquoi Beren accueillit Saruman et lui remit les clefs d’Orthanc ; et dès lors (2759), Saruman eut sa résidence à Isengard.

C’est sous le règne de Beregond qu’eut lieu, dans les Montagnes de Brume, la Guerre des Nains et des Orques (2793-2799), dont seule une rumeur parvint au sud jusqu’au jour où les Orques, fuyant Nanduhirion, tentèrent de traverser le Rohan et de s’établir dans les Montagnes Blanches. On combattit de nombreuses années dans les vallées pour mettre fin à cette menace.

À la mort de Belecthor II, vingt et unième Intendant du Gondor, l’Arbre Blanc mourut également à Minas Tirith ; mais on le laissa en place « jusqu’au retour du roi », car il ne s’en trouvait plus aucun semis.

À l’époque de Túrin II, les ennemis du Gondor s’agitèrent de nouveau ; car Sauron avait recouvré sa puissance et le jour de sa résurgence approchait. Tous sauf les plus hardis de ses habitants avaient déserté l’Ithilien, se retirant au-delà de l’Anduin, car le pays était infesté d’orques du Mordor. Ce fut Túrin qui construisit en Ithilien des refuges pour ses soldats, dont Henneth Annûn fut le plus longtemps maintenu. Il fortifia également l’île de Cair Andros30 afin de défendre l’Anórien. Mais pour lui, le plus grave péril était ailleurs : les Haradrim occupaient le Gondor du Sud, et les combats se multipliaient le long du Poros. Lorsqu’une force nombreuse envahit l’Ithilien, le roi Folcwine du Rohan respecta le Serment d’Eorl et s’acquitta de sa dette envers Beregond, envoyant à son tour de nombreux hommes au secours du Gondor. Avec l’aide du Rohan, Túrin remporta la victoire au passage du Poros ; mais les fils de Folcwine tombèrent tous deux au combat. Les Cavaliers les ensevelirent selon la coutume de leur peuple, et on les allongea sous un même monticule, car ils étaient jumeaux. Longtemps se dressa ce tertre, Haudh in Gwanûr, sur la haute berge du fleuve, et les ennemis du Gondor craignaient de le passer.

Turgon succéda à Túrin, mais l’on se souvient surtout de lui que Sauron resurgit deux ans avant sa mort et se déclara ouvertement ; et il entra de nouveau au Mordor, préparé de longue date en prévision de son retour. Alors, la Barad-dûr fut érigée une seconde fois, le Mont Destin s’embrasa, et les derniers habitants de l’Ithilien s’enfuirent au loin. À la mort de Turgon, Saruman s’empara d’Isengard et le fortifia.

« Ecthelion II, fils de Turgon, était un homme de sagesse. Usant du pouvoir qui lui restait, il entreprit de fortifier son royaume contre l’assaut du Mordor. Il exhorta tous les hommes de valeur, d’ici, de là ou de là-bas, à s’engager à son service, et donna haut rang et privilèges à ceux qui firent honneur à sa confiance. Il bénéficia, dans la plupart de ses entreprises, de l’aide et des conseils d’un grand capitaine qu’il aimait plus que tout autre. Les hommes du Gondor l’appelaient Thorongil, l’Aigle de l’Étoile, car il était vif et d’un regard perçant, et il portait une étoile d’argent sur son manteau ; mais nul ne connaissait son véritable nom, ni son pays d’origine. Lorsqu’il se présenta devant Ecthelion, il arrivait du Rohan, où il s’était mis au service de Thengel, Roi des Rohirrim ; mais il n’était pas de ce peuple. C’était un grand meneur d’hommes, sur terre comme en mer, mais il repartit dans les ombres d’où il était venu, avant que le règne d’Ecthelion fût achevé.

« Thorongil insistait souvent auprès d’Ecthelion, disant que la force des rebelles d’Umbar représentait un grave péril pour le Gondor, et un danger mortel pour les fiefs du sud si Sauron décidait d’entrer en guerre ouverte. Enfin, il obtint la permission de l’Intendant et réunit une modeste flotte, puis, arrivant de nuit, il prit Umbar à l’improviste et incendia une bonne part des navires des Corsaires. Combattant sur les quais, il terrassa lui-même le Capitaine du Havre et se retira alors avec sa flotte, n’essuyant que des pertes minimes. Mais, de retour à Pelargir, au grand désespoir et à la surprise de tous, il ne voulut pas rentrer à Minas Tirith, où de grands honneurs l’attendaient.

« Il fit parvenir un message d’adieu à Ecthelion, disant : “D’autres devoirs m’appellent à présent, seigneur, et un long temps et de nombreux périls viendront à passer avant que je retourne au Gondor, si mon destin est tel.” Et bien que nul ne pût deviner quels étaient ces devoirs, ni quelle injonction il avait reçue, l’on sut par où il partit. Car il s’embarqua et franchit l’Anduin, et là, il dit adieu à ses compagnons et poursuivit sa route en solitaire ; et lorsqu’on le vit pour la dernière fois, son visage était tourné vers les Montagnes de l’Ombre.

« Le départ de Thorongil sema le désarroi dans la Cité, et tous y virent une bien grande perte, sauf peut-être Denethor, le fils d’Ecthelion, désormais mûr pour l’Intendance, à laquelle il accéda quatre ans plus tard à la mort de son père.

« Denethor II était un homme fier, vaillant, de haute stature et de plus royale apparence qu’aucun autre des fils du Gondor, et ce, depuis maintes générations ; de plus, il était sage et clairvoyant, et versé dans la tradition ancienne. En fait, sa ressemblance avec Thorongil était celle d’un proche parent, pourtant il venait toujours en second après l’étranger, dans le cœur des hommes et dans l’estime de son père. À l’époque, on était nombreux à penser que Thorongil était parti avant que son rival ne devînt son maître ; bien que Thorongil ne l’eût jamais disputé à Denethor, et qu’il n’eût d’autres prétentions que de servir son père. Et leurs conseils à l’Intendant ne différèrent jamais qu’en un point : Thorongil disait souvent à Ecthelion de ne point s’en remettre à Saruman le Blanc à Isengard, mais de favoriser plutôt Gandalf le Gris. Toutefois, il n’y avait guère de sympathie entre Denethor et Gandalf, et après le règne d’Ecthelion, le Pèlerin Gris trouva moins bon accueil à Minas Tirith. Ainsi, des années après, quand tout fut éclairci, il s’en trouva beaucoup pour penser que Denethor, doué d’un esprit subtil et d’une vue plus longue et plus profonde que celle de ses contemporains, avait découvert la véritable identité de cet étranger du nom de Thorongil, et soupçonnait que Mithrandir et lui conspiraient pour le supplanter.

« Quand Denethor devint Intendant (2984), il se révéla un seigneur autoritaire, aimant à garder bien en main la maîtrise de toutes choses. C’était un homme de peu de mots. Il prêtait l’oreille aux conseils puis suivait son propre avis. Il s’était marié tardivement (2976), prenant pour épouse Finduilas, fille d’Adrahil de Dol Amroth. C’était une dame d’une grande beauté, au cœur tendre, mais elle n’était pas mariée depuis douze ans qu’elle mourut. Denethor l’aimait, à sa manière, plus que tout autre au monde, sauf l’aîné des deux fils qu’elle lui donna. Mais elle paraissait s’étioler dans la cité gardée, comme une fleur des vallées côtières transplantée sur un rocher nu. Elle était horrifiée par l’ombre qui planait à l’est, et ses regards se tournaient constamment vers la mer dont elle se languissait.

« Après sa mort, Denethor se fit plus sévère et plus silencieux qu’auparavant, et souvent il s’asseyait seul dans sa tour et méditait longuement, pressentant que l’assaut du Mordor surviendrait sous son règne. L’on conclut par la suite qu’ayant besoin de savoir, et n’écoutant que son orgueil et sa grande force de volonté, il s’aventura à regarder dans le palantír de la Tour Blanche. Aucun Intendant ne l’avait jamais osé, pas même les rois Eärnil et Eärnur, depuis la chute de Minas Ithil, quand le palantír d’Isildur tomba aux mains de l’Ennemi ; car celui de Minas Tirith était la Pierre d’Anárion, fortement en accord avec celle dont Sauron s’était emparée.

« C’est de là que Denethor tenait sa grande connaissance de tout ce qui se passait dans son royaume, et bien au-delà ses frontières, ce qui en étonnait plus d’un ; mais il paya chèrement cette connaissance, car il vieillit prématurément, à force de lutter contre la volonté de Sauron. Ainsi, l’orgueil se gonfla chez lui en proportion de son désespoir, si bien que, dans tous les événements de cette époque, il ne finit par voir qu’un combat singulier entre le Seigneur de la Tour Blanche et le Seigneur de la Barad-dûr ; et il se méfiait de tous les autres qui s’opposaient à Sauron, s’ils n’étaient pas entièrement voués à le servir lui-même.

« Ainsi passèrent les années jusqu’à la Guerre de l’Anneau, et les fils de Denethor atteignirent l’âge d’homme. Boromir, de cinq ans l’aîné, très cher à son père, lui ressemblait trait pour trait, et orgueil pour orgueil, mais là s’arrêtait leur ressemblance. C’était plutôt un homme de la tournure du ci-devant roi Eärnur, peu soucieux de prendre femme et se passionnant surtout pour les armes ; intrépide et fort, mais peu attaché au savoir ancien, sauf pour les récits d’antiques batailles. Faramir, le plus jeune, lui ressemblait par les traits mais non par l’esprit. Il lisait dans le cœur des hommes à la manière de son père et avec la même perspicacité ; mais ce qu’il y découvrait l’incitait davantage à la pitié qu’au mépris. Il était d’un naturel doux, féru de musique et de savoir ancien, et pour cette raison, on lui prêtait souvent moins de courage qu’à son frère. Mais il n’en était rien, sinon qu’il ne recherchait pas le danger sans autre dessein, par pure gloriole. Il faisait bon accueil à Gandalf quand celui-ci venait dans la Cité et s’instruisait auprès de lui comme il le pouvait ; et en cela comme en bien d’autres choses, il s’attirait le mécontentement de son père.

« Mais les deux frères s’aimaient d’un grand amour, et ce, depuis l’enfance, Boromir ayant toujours aidé et protégé Faramir. Nulle jalousie, nulle rivalité n’était survenue entre eux depuis, que ce fût pour la faveur de leur père ou pour les louanges des hommes. Faramir ne pouvait envisager que quiconque au Gondor pût rivaliser avec Boromir, héritier de Denethor et Capitaine de la Tour Blanche ; et Boromir n’en pensait pas moins. Toutefois, les événements devaient prouver le contraire. Mais ce qu’il advint de ces trois-là dans la Guerre de l’Anneau est longuement raconté ailleurs. Et au terme de cette Guerre, l’époque des Intendants régnants prit fin ; car l’héritier d’Isildur et d’Anárion revint et la royauté fut rétablie, et l’étendard de l’Arbre Blanc flotta de nouveau au sommet de la Tour d’Ecthelion. »








(V) EST DONNÉ CI-APRÈS UN FRAGMENT DU CONTE D’ARAGORN ET D’ARWEN

« Arador était le grand-père du Roi. Son fils Arathorn voulait épouser Gilraen la Belle, fille de Dírhael, lui-même un descendant d’Aranarth. Dírhael s’opposait à cette union ; car Gilraen était jeune, n’ayant pas encore atteint l’âge où les femmes des Dúnedain avaient coutume de se marier.

« “De plus, disait-il, Arathorn est un homme sévère dans la maturité de l’âge, et il sera chef plus tôt que l’on ne s’y attendait ; mais mon cœur m’avertit que sa vie sera brève.”

« Mais Ivorwen, son épouse, elle aussi douée de prescience, répondit :

« “D’où la nécessité d’agir ! Les jours s’assombrissent avant l’orage, et de grands événements sont à venir. S’ils deviennent sitôt mari et femme, un espoir naîtra peut-être pour notre peuple ; mais s’ils attendent, il n’en viendra aucun tant que durera cet âge.”

« De fait, Arathorn et Gilraen n’étaient mariés que depuis un an, quand Arador fut assailli par des trolls des collines dans les Froides-Landes au nord de Fendeval, et y trouva la mort ; et Arathorn devint Chef des Dúnedain. L’année suivante, Gilraen lui donna un fils du nom d’Aragorn. Mais Aragorn n’avait que deux ans lorsque Arathorn, parti chevaucher contre les Orques avec les fils d’Elrond, mourut d’une flèche orque qui lui transperça l’œil ; et il eut en effet la vie brève pour quelqu’un de sa race, car il n’avait que soixante ans le jour où il tomba.

« Aragorn, devenu l’Héritier d’Isildur, fut alors conduit à la maison d’Elrond pour y vivre avec sa mère ; et Elrond prit la place de son père et vint à l’aimer comme son propre fils. Mais on l’appela alors Estel, c’est-à-dire “Espoir”, et son nom et ses origines véritables furent tenus secrets sur l’ordre d’Elrond ; car les Sages savaient désormais que l’Ennemi cherchait à découvrir l’Héritier d’Isildur, s’il en restait un seul sur terre.

« Mais un jour qu’Estel n’avait encore que vingt ans d’âge, il se trouva rentrer à Fendeval en compagnie des fils d’Elrond après bien des hauts faits ; et Elrond le regarda avec fierté, car il vit qu’il était beau, et noble, et déjà venu à l’âge d’homme, bien qu’il dût encore grandir de corps et d’esprit. Ce jour-là, donc, Elrond l’appela par son vrai nom, et lui révéla son identité et celle de son père ; et il remit tous les biens de sa maison entre ses mains.

« “Voici l’anneau de Barahir, lui dit-il, symbole de notre lointaine parenté ; et voici également les fragments de Narsil. Ceux-ci pourraient t’amener à d’insignes exploits ; car je te prédis une plus grande longévité que celle accordée aux Hommes, à moins qu’il ne t’arrive malheur ou que tu ne passes pas l’épreuve. Mais cette épreuve sera longue et ardue. Je garderai par-devers moi le Sceptre d’Annúminas, car tu devras d’abord le mériter.”

« Le lendemain, à l’heure du couchant, Aragorn se promenait seul dans les bois, le cœur exalté ; et il chantait, car l’espoir avait jailli en lui et le monde était beau. Et soudain, tandis qu’il chantait, il vit une jeune femme entre les bouleaux blancs, marchant sur une pelouse verte ; et il s’arrêta, stupéfait, croyant avoir pénétré dans un rêve, ou reçu un don des ménestrels elfes, capables de montrer les choses qu’ils chantent à ceux qui écoutent.

« Car Aragorn chantait alors un passage du Lai de Lúthien, celui-là même où Lúthien et Beren se rencontrent dans la forêt de Neldoreth. Et voici que Lúthien marchait devant lui dans cette clairière de Fendeval, avec, sur ses épaules, une mante d’argent et de bleu, belle comme le crépuscule dans la Patrie des Elfes ; un vent soudain éparpillait sa noire chevelure, et des gemmes pareilles à des étoiles brillaient sur son front.

« Aragorn la regarda un moment en silence, mais, craignant qu’elle ne s’éloigne et qu’elle ne disparaisse à jamais, il l’appela, criant : Tinúviel ! Tinúviel ! comme l’avait fait Beren aux Jours Anciens, longtemps auparavant.

« Alors, la jeune femme se tourna vers lui et dit : “Qui êtes-vous ? Et pourquoi m’appelez-vous par ce nom ?”

« Et il répondit : “Parce que j’ai cru que vous étiez vraiment Lúthien Tinúviel, dont je chantais la beauté. Mais si vous n’êtes pas Lúthien, vous êtes tout à son image.”

« “On l’a dit tant de fois, répondit-elle d’un air grave. Son nom n’est pourtant pas le mien. Encore que mon destin pourrait ressembler au sien. Mais qui êtes-vous ?”

« “On m’appelait Estel, dit-il ; mais je suis Aragorn, fils d’Arathorn, Héritier d’Isildur, Seigneur des Dúnedain.” Mais ce disant, il sentit que ce haut lignage dont il s’était félicité n’était plus que de faible valeur, et ne comptait pour rien devant la dignité et la joliesse de la jeune femme.

« Mais elle eut un rire joyeux et dit : “Dans ce cas, nous sommes de lointains parents. Car je suis Arwen fille d’Elrond, et je me nomme aussi Undómiel.”

« “Souvent, dit Aragorn, en des jours périlleux, les hommes vont cacher leur plus grand trésor. Mais je m’étonne d’Elrond et de vos frères ; car bien que j’aie demeuré en cette maison depuis l’enfance, je n’ai jamais entendu parler de vous. Comment se fait-il que nous ne nous soyons jamais rencontrés ? Votre père ne vous tenait sûrement pas enfermée dans sa trésorerie ?”

« “Non, répondit-elle, levant les yeux vers les Montagnes qui s’élevaient à l’est. J’ai vécu un temps auprès des parents de ma mère, dans la lointaine Lothlórien. Je ne suis revenue que dernièrement pour rendre visite à mon père. Il y a maintes années que je n’ai pas marché à Imladris.”

« Aragorn s’étonna alors, car elle ne semblait pas beaucoup plus vieille que lui, et il n’avait encore passé qu’une vingtaine d’années en Terre du Milieu. Mais Arwen le regarda dans les yeux et dit : “Ne vous surprenez pas ! Car les enfants d’Elrond jouissent de la vie des Eldar.”

« Alors, Aragorn fut honteux, car il perçut la lueur elfique dans son regard et la sagesse de nombreux jours ; dès lors, pourtant, il aima Arwen Undómiel fille d’Elrond.

« Dans les jours qui suivirent, Aragorn s’enferma dans le silence, et sa mère comprit qu’une curieuse chose lui était arrivée ; et il finit par céder à ses interrogations et lui raconta sa rencontre dans la pénombre des arbres.

« “Mon fils, dit Gilraen, tes visées sont hautes, même pour le descendant de nombreux rois. Car cette dame est la plus noble et la plus belle qui soit aujourd’hui sur cette terre. Et il ne convient pas qu’un mortel se marie avec la gent elfique.”

« “Pourtant, nous sommes en partie de cette famille, dit Aragorn, si l’histoire de mes ancêtres est vraie, telle que je l’ai apprise.”

« “Elle l’est, dit Gilraen, mais c’était il y a longtemps, dans un autre âge au monde, avant que notre race ne soit diminuée. C’est pourquoi j’ai peur ; car sans la bonne volonté d’Elrond, les Héritiers d’Isildur ne tarderont pas à disparaître. Mais je ne pense pas que la bonne volonté d’Elrond te soit acquise à cet égard.”

« “Alors, amers seront mes jours, et j’irai seul de par les terres sauvages”, dit Aragorn.

« “En effet, je crains que ce ne soit ton lot”, dit Gilraen ; mais bien qu’elle eût hérité dans une certaine mesure de la prévoyance que l’on connaissait aux gens de son peuple, elle ne lui parla plus de son pressentiment, pas plus qu’elle ne dit à personne ce que son fils lui avait confié.

« Mais Elrond voyait bien des choses et pouvait lire dans bien des cœurs. Ainsi, un jour, avant le déclin de l’année, il appela Aragorn à sa chambre et dit : “Aragorn, fils d’Arathorn, Seigneur des Dúnedain, écoute-moi ! Un lourd destin t’attend, soit de t’élever au-dessus de tous tes pères depuis l’époque d’Elendil, soit de sombrer dans les ténèbres avec tout ce qui reste des tiens. De nombreuses années d’épreuves sont devant toi. Tu n’auras point d’épouse, et nulle femme ne sera ta promise, jusqu’à ce que ton heure vienne et que tu en sois trouvé digne.”

« Alors, Aragorn eut le cœur troublé, et il dit : “Se pourrait-il que ma mère ait parlé de cela ?”

« “Non point, dit Elrond. Ton propre regard t’a trahi. Mais je ne parle pas seulement de ma fille. Tu ne te fianceras à l’enfant d’aucun homme, pour le moment. Mais pour ce qui est d’Arwen la Belle, Dame d’Imladris et de Lórien, l’Étoile du Soir de son peuple, elle est d’un plus haut lignage que toi, et elle vit en ce monde depuis si longtemps déjà que, pour elle, tu sembles une pousse d’une année à côté d’un jeune bouleau de maints étés. Elle est trop au-dessus de toi. Et il se pourrait bien, je pense, que ce soit là son sentiment. Mais même s’il n’en était rien, et que son cœur se tournait vers toi, je n’en serais pas moins peiné, de par le destin qui pèse sur nous.”

« “Quel est donc ce destin ?” demanda Aragorn.

« “Eh bien, tant que je demeurerai ici, elle aura la jeunesse des Eldar, répondit Elrond, et quand je partirai, elle viendra avec moi, si elle en décide ainsi.”

« “Je vois, dit Aragorn, que mon regard s’est porté sur un trésor non moins précieux que celui que Beren désirait de Thingol. Tel est mon lot.” Puis la prévoyance des gens de son peuple lui vint soudainement, et il dit : “Mais voyez ! maître Elrond, toutes vos années passées ici arrivent enfin à leur terme, et vos enfants devront bientôt choisir, soit de se séparer de vous, soit de la Terre du Milieu.”

« “Vrai, dit Elrond. Bientôt à notre façon de voir, bien qu’il doive encore s’écouler de nombreuses années des Hommes. Mais aucun choix ne viendra troubler Arwen, ma bien-aimée, à moins que toi, Aragorn, fils d’Arathorn, ne te mettes entre nous et n’amènes l’un de nous, toi ou moi, à une pénible séparation au-delà de la fin du monde. Tu ne sais pas encore ce que tu désires de moi.” Il soupira et, au bout d’un moment, observant le jeune homme d’un air grave, il ajouta : “Les ans amèneront ce qu’ils amèneront. Nous ne parlerons plus de cela avant qu’un bon nombre ne se soient écoulés. Les jours s’assombrissent, et bien des malheurs sont à venir.”

« Aragorn prit alors congé d’Elrond avec grande affection ; et le lendemain, il fit ses adieux à sa mère, à la maisonnée d’Elrond, et à Arwen, et il s’en fut dans les terres sauvages. Durant près de trente ans, il se consacra à la lutte contre Sauron ; et il devint l’ami de Gandalf le Sage, tirant de cette amitié une grande sagesse. Il entreprit avec lui de nombreux et périlleux voyages, mais, à mesure que les années passaient, il alla plus souvent seul. Son chemin fut long et ardu, et il devint quelque peu sinistre à regarder, sauf quand il lui arrivait de sourire ; mais il n’en paraissait pas moins digne d’honneur au regard des Hommes, tel un roi en exil, lorsqu’il ne cachait pas sa véritable apparence. Car il allait sous plusieurs formes, et il acquit la renommée sous maints noms différents. Il chevaucha au sein de l’ost des Rohirrim, et combattit pour le Seigneur du Gondor, sur terre et en mer ; puis, à l’heure de la victoire, il passa hors de la connaissance des Hommes de l’Ouest et, seul, il s’aventura loin dans l’Est dans les profondeurs du Sud, explorant le cœur des Hommes, bons ou mauvais, exposant les complots et les artifices de Sauron.

« Ainsi, il finit par devenir le plus hardi des Hommes de son temps, versé dans leurs arts et leur savoir, tout en étant plus grand ; car il avait la sagesse des Elfes, et il y avait dans son regard une lueur que peu de gens arrivaient à soutenir lorsqu’il s’allumait. Son visage était d’une tristesse et d’une sévérité qui tenaient au destin qui pesait sur lui, mais toujours l’espoir résidait au fond de son cœur, d’où sourdait parfois une joie comme une source jaillit du rocher.

« Il advint que, lorsque Aragorn eut quarante-neuf ans, il revint de périls aux sombres confins du Mordor, où Sauron s’était de nouveau établi pour y accomplir ses mauvais desseins. Fatigué de ses labeurs, il comptait retourner à Fendeval pour s’y reposer un moment, avant d’entreprendre son voyage dans les contrées lointaines ; et, en chemin, il se rendit aux frontières de la Lórien et fut admis dans le pays caché par la dame Galadriel.

« Il ne le savait pas, mais Arwen Undómiel s’y trouvait également, séjournant de nouveau un temps auprès des parents de sa mère. Elle n’avait guère changé, car les années mortelles avaient passé sans la frôler ; mais son visage était plus grave, et son rire ne tintait plus que rarement. Aragorn, pour sa part, avait atteint sa pleine stature, tant de corps que d’esprit, et Galadriel lui fit retirer ses habits usés, et elle le vêtit d’argent et de blanc, et elle posa une cape de gris-elfique sur ses épaules, et une brillante gemme sur son front. Plus grand qu’aucun roi des Hommes parut-il alors, semblable à un seigneur elfe des Îles de l’Ouest. Ce fut ainsi qu’Arwen le revit pour la première fois depuis leur longue séparation ; et en le voyant marcher vers elle sous les arbres de Caras Galadhon chargés de fleurs d’or, elle sut que son choix était fait et son destin scellé.

« Alors, durant une saison, ils se promenèrent ensemble dans les clairières de la Lothlórien, jusqu’à ce qu’il fût temps pour lui de partir. Et à la veille de la Mi-Été, le soir venu, Aragorn fils d’Arathorn et Arwen fille d’Elrond se rendirent à la belle colline, Cerin Amroth, au mitan du pays, et ils marchèrent pieds nus dans l’herbe immortelle semée d’elanor et de niphredil. Et là, sur cette colline, ils se tournèrent à l’est, vers l’Ombre, et à l’ouest, vers le Crépuscule, et ils échangèrent leur promesse et furent heureux.

« Et Arwen dit : “Noire est l’Ombre, pourtant mon cœur se réjouit, car vous, Estel, ferez partie des grands qui, par leur valeur, amèneront sa destruction.”

« Mais Aragorn répondit : “Hélas ! Je ne puis l’entrevoir, et les circonstances d’une telle victoire me sont encore cachées. Mais avec votre espoir, j’espérerai. Et l’Ombre, je la rejette entièrement. Mais le Crépuscule, chère dame, n’est pas pour moi non plus ; car je suis mortel, et si vous vous attachez à moi, Étoile du Soir, vous devrez y renoncer aussi.”

« Et elle se tint alors immobile, tel un arbre blanc face à l’Ouest, et elle dit enfin : « Je m’attacherai à vous, Dúnadan, et me détournerai du Crépuscule. Pourtant c’est là que se trouve le pays des miens, et le long séjour de tous mes parents.” Elle aimait tendrement son père.

« Elrond, lorsqu’il apprit le choix de sa fille, demeura silencieux, mais il eut le cœur en peine ; et il vit que ce destin, longtemps redouté, n’en était pas moins pénible à supporter. Mais quand Aragorn fut de retour à Fendeval, il l’appela à lui, et il dit :

« “Mon fils, des années s’en viennent où l’espoir s’évanouira, et au-delà desquelles je ne puis voir clairement. Et voici qu’une ombre s’étend entre nous. Peut-être en a-t-il été décidé ainsi : que soit rétablie, à travers ma perte, la royauté des Hommes. Aussi te dis-je, malgré l’amour que j’ai pour toi : Arwen Undómiel ne verra pas la grâce de sa vie diminuée dans un dessein moindre. Si elle doit épouser un Homme, il ne sera rien moins que le Roi du Gondor et de l’Arnor. Notre victoire ne sera alors, pour moi, que chagrin et séparation – mais pour toi, l’espoir d’une joie éphémère. Hélas, mon fils ! Je crains que, pour Arwen, le Destin des Hommes ne semble impitoyable à la toute fin.”

« Les choses en restèrent là entre Elrond et Aragorn, et ils ne reparlèrent plus de cela par la suite ; mais Aragorn reprit son périlleux labeur. Et tandis que le monde s’obscurcissait et que la peur s’emparait de la Terre du Milieu, à mesure que grandissait le pouvoir de Sauron, et que la Barad-dûr s’élevait toujours plus haute et plus forte, Arwen demeura à Fendeval, et, cependant qu’Aragorn était absent, elle le guettait de loin et veillait sur lui en pensée ; et sans laisser d’espérer, elle lui cousit un grandiose et royal étendard, tel que n’en pourrait montrer celui-là seul qui pût revendiquer la suzeraineté des Númenóréens et l’héritage d’Elendil.

« Quelques années après, Gilraen prit congé d’Elrond et retourna auprès des siens en Eriador, où elle vécut dans la solitude ; et elle revit rarement son fils, car il passa de nombreuses années dans des pays lointains. Mais il arriva un jour qu’Aragorn, de retour dans le Nord, vint la trouver, et elle lui dit avant qu’il ne repartît :

« “Ceci est notre dernière séparation, Estel, mon fils. Les soucis m’ont amenée tôt à la vieillesse, comme il en va chez les Hommes moindres ; et maintenant qu’elles approchent, je ne puis faire face aux ténèbres de notre époque, que je vois s’amonceler sur la Terre du Milieu. Je la quitterai bientôt.”

« Aragorn voulut la rassurer, disant : “Il est peut-être une lumière au-delà des ténèbres ; et si tel est le cas, j’aimerais que vous puissiez la voir et être heureuse.”

« Mais elle répondit seulement par ce linnod :





Ónen i-Estel Edain, ú-chebin estel anim31,

et Aragorn s’en fut le cœur lourd. Gilraen mourut avant le printemps suivant.

« Ainsi, les années passèrent jusqu’au temps de la Guerre de l’Anneau, longuement racontée ailleurs : comment fut révélé le moyen d’action imprévu par lequel il devenait possible de vaincre Sauron, et comment l’espoir triompha contre tout espoir. Et il advint qu’à l’heure de la défaite, Aragorn arriva de la mer et déploya l’étendard d’Arwen à la bataille des Champs du Pelennor, et en ce jour, il fut reconnu comme roi pour la première fois. Et lorsque enfin tout fut terminé, il entra dans l’héritage de ses pères et reçut la couronne du Gondor et le sceptre de l’Arnor ; et à la Mi-Été de l’année de la Chute de Sauron, il reçut la main d’Arwen Undómiel, et ils furent mariés dans la cité des Rois.

« Le Troisième Âge s’acheva ainsi dans la victoire et l’espoir ; mais l’une des grandes peines de cet Âge fut la séparation d’Elrond et d’Arwen, car la Mer les divisa, et un destin qui devait perdurer au-delà de la fin du monde. Quand le Grand Anneau fut détruit et que les Trois furent dépouillés de leur pouvoir, Elrond se sentit enfin las, et il renonça à la Terre du Milieu pour ne plus jamais y revenir. Mais Arwen assuma l’existence d’une femme mortelle ; pourtant, elle ne devait pas mourir avant d’avoir perdu tout ce qu’elle avait gagné.

« Comme Reine des Elfes et des Hommes, elle demeura auprès d’Aragorn pendant cent vingt années de gloire et de félicité ; mais lui sentit enfin l’approche du grand âge, et il sut que l’espace de ses jours arrivait enfin à son terme, si long qu’il eût été. Alors, Aragorn dit à Arwen :

« “Enfin, dame de l’Étoile du Soir, la plus belle en ce monde et la plus adorée, mon monde s’évanouit. Voyez ! nous avons reçu, nous avons dépensé, et voici que l’heure du paiement approche.”

« Arwen savait bien ce qu’il comptait faire et l’avait longtemps pressenti ; néanmoins, elle fut terrassée par l’émotion. “Voudriez-vous donc, seigneur, avant votre temps, quitter votre peuple qui vit de votre parole ?” demanda-t-elle.

« “Non pas avant mon temps, répondit-il. Car si je ne pars pas maintenant, je devrai bientôt partir par nécessité. Et Eldarion, notre fils, est fin mûr pour la royauté.”

« Alors, s’étant rendu à la Maison des Rois dans la Rue Silencieuse, Aragorn s’allongea sur la longue couche que l’on avait préparée pour lui. Là, il dit adieu à Eldarion, et il lui remit la couronne ailée du Gondor et le sceptre de l’Arnor ; puis tous le quittèrent, sauf Arwen, et elle se tint seule auprès de son lit. Et, pour si sage et si noble qu’elle fût, elle ne put s’abstenir de le supplier de demeurer encore un peu. Elle n’était point encore lasse de ses jours, aussi percevait-elle enfin le goût amer de la mortalité qu’elle avait endossée.

« “Dame Undómiel, dit Aragorn, l’heure est certes éprouvante, mais elle fut décidée le jour même où nous nous sommes rencontrés sous les bouleaux blancs dans le jardin d’Elrond, où nul ne se promène plus. Et sur la colline de Cerin Amroth, en renonçant à l’Ombre et au Crépuscule, nous avons pris ce destin sur nous. Cherchez en vous-même, ma bien-aimée, et demandez-vous si vous préféreriez vraiment me voir attendre jusqu’à ce que je tombe de mon haut siège, sénile et dépourvu. Non, madame, je suis le dernier des Númenóréens et l’ultime Roi des Jours Anciens ; et l’on m’a donné non seulement une vie trois fois plus longue que celle des Hommes de la Terre du Milieu, mais aussi la grâce de partir à mon gré et de rendre le don. C’est pourquoi, maintenant, je vais dormir.

« “Je ne vous consolerai pas, car il n’est aucun réconfort pour une telle douleur à l’intérieur des cercles du monde. Le choix ultime s’offre à vous, soit de vous repentir, d’aller aux Havres, et d’emporter avec vous dans l’Ouest le souvenir de notre vie ensemble qui, là-bas, sera impérissable, mais ne sera jamais qu’un souvenir ; soit d’accepter le Destin des Hommes.”

« “Non, seigneur bien-aimé, dit-elle, ce choix est arrêté depuis longtemps. Il n’est plus aucun navire qui puisse m’emporter d’ici, et je suis bel et bien tenue d’accepter le Destin des Hommes, bon gré mal gré ; cette perte et ce silence. Mais je vous le dis, Roi des Númenóréens : c’est aujourd’hui seulement que je comprends l’histoire de votre peuple, et celle de leur chute. Comme de pauvres fous, je les méprisais, mais enfin j’ai pitié d’eux. Car s’il s’agit là en vérité, comme disent les Eldar, du don de l’Unique aux Hommes, il est amer à recevoir.”

« On le dirait, répondit-il. Mais ne cédons pas devant l’épreuve finale, nous qui, autrefois, avons renoncé à l’Ombre et à l’Anneau. Il nous faut partir dans la tristesse, mais non dans le désespoir. Voyez ! nous ne sommes pas éternellement confinés aux cercles du monde ; et au-delà, il y a pour nous davantage que le souvenir. Adieu !”

« “Estel ! Estel !” cria-t-elle, sur quoi, alors même qu’il lui prenait la main et la baisait, il s’abandonna au sommeil. Une grande beauté se révéla alors en lui, à tel point que tous ceux qui vinrent ensuite au sépulcre s’émerveillèrent de le voir, percevant que la grâce de sa jeunesse, la force de sa maturité, et la sagesse et la majesté de son vieil âge se trouvaient mêlées en lui. Et il resta longtemps étendu là, image de la splendeur des Rois des Hommes dans leur gloire inaltérée, avant que le monde fût brisé.

« Mais Arwen quitta la Maison, et on eût dit que la lumière de ses yeux s’était éteinte ; et aux gens de son peuple, elle parut désormais froide et grise, comme un soir d’hiver qui ne voit poindre aucune étoile. Alors, elle dit adieu à Eldarion, et à ses filles, et à tous ceux qu’elle avait aimés ; et elle quitta la cité de Minas Tirith et s’en fut vers le pays de Lórien, où elle demeura, seule sous les arbres brunissants, jusqu’à la venue de l’hiver. Galadriel était passée au-delà, Celeborn aussi était parti, et le pays était silencieux.

« Là, enfin, alors que tombaient les feuilles de mallorn, sans avoir attendu le printemps32, elle s’allongea sur le Cerin Amroth pour son dernier repos ; et là se trouve sa verte sépulture, jusqu’à ce que le monde soit changé, que tous les jours de sa vie aient complètement disparu de la mémoire des générations, et que ne fleurissent plus les boutons d’elanor et de niphredil à l’est de la Mer.

« Ici s’achève ce récit, tel qu’il nous est venu du Sud ; et avec le départ de l’Étoile du Soir, plus rien n’est dit dans ce livre au sujet des jours anciens. »












II La Maison d’Eorl

« Eorl le Jeune était seigneur des Hommes de l’Éothéod. Ce pays se trouvait près des sources de l’Anduin, entre la chaîne supérieure des Montagnes de Brume et les régions septentrionales de la forêt de Grand’Peur. Les Éothéod s’étaient établis dans ces contrées au temps du roi Eärnil II, ayant quitté leurs terres dans les vaux de l’Anduin entre le Carroc et la Rivière aux Flambes ; et ils étaient à l’origine fort apparentés aux Béorniens et aux hommes de la lisière ouest de la forêt. Les ancêtres d’Eorl se réclamaient de la lignée des rois du Rhovanion, dont le royaume s’étendait au-delà de Grand’Peur avant les invasions des Chariotiers, aussi s’estimaient-ils parents des rois du Gondor issus d’Eldacar. Grands amateurs de chevaux et de prouesses cavalières, ils préféraient avant tout les plaines ; mais les régions moyennes de l’Anduin étaient fort peuplées à cette époque, et l’ombre de Dol Guldur s’allongeait ; ainsi donc, lorsqu’ils eurent vent de la chute du Roi-Sorcier, ils montèrent au nord en quête de plus grands espaces, et ils chassèrent ce qui restait des hordes de l’Angmar de leur côté des Montagnes. Mais au temps de Léod, père d’Eorl, ils étaient devenus un peuple nombreux et se trouvaient de nouveau quelque peu à l’étroit dans leur propre pays.

« En l’an deux mille cinq cent dix du Troisième Âge, le Gondor se vit confronté à une nouvelle menace. Une grande armée d’hommes sauvages du Nord-Est envahit le Rhovanion et, descendant par les Terres Brunes, franchit l’Anduin sur des radeaux. Au même moment, par hasard ou à dessein, les Orques (qui à cette époque, avant leur guerre contre les Nains, étaient fort nombreux) descendirent des Montagnes et firent incursion dans les terres. Les envahisseurs occupèrent le Calenardhon, et Cirion, Intendant du Gondor, envoya quérir de l’aide au nord ; car une longue amitié s’était développée entre les Hommes de la Vallée de l’Anduin et le peuple du Gondor. Mais dans la vallée du Fleuve, les hommes étaient désormais rares et dispersés, et lents à prodiguer l’aide qu’ils étaient à même d’apporter. Eorl finit par être informé de la nécessité du Gondor, et bien que l’heure parût tardive, il partit à la tête d’une grande armée de cavaliers.

« Ainsi, il arriva à la bataille du Champ de la Celebrant, du nom des terres verdoyantes qui s’étendaient entre l’Argentine et la Limeclaire. Là, l’armée septentrionale du Gondor était aux abois. Défaite sur le Wold et coupée de sa retraite au sud, elle avait été refoulée au-delà de la Limeclaire, où les troupes d’Orques l’avaient soudainement assaillie, la poussant vers l’Anduin. Tout espoir était perdu lorsque, contre toute attente, les Cavaliers surgirent du Nord et s’abattirent sur les arrières de l’ennemi. Alors, la fortune des armes se retourna, et l’ennemi fut chassé au-delà de la Limeclaire avec grand massacre. Eorl mena ses hommes à la poursuite des assaillants, et une si grande peur les précédait que les envahisseurs du Wold furent eux aussi mis en déroute, et les Cavaliers les pourchassèrent à travers les plaines du Calenardhon. »

Cette région s’était fort dépeuplée durant la Peste, et la plupart des survivants avaient été massacrés par les sauvages Orientais. Alors Cirion, en récompense du secours offert, concéda à Eorl et à son peuple les plaines du Calenardhon, entre l’Anduin et l’Isen ; et ils envoyèrent quérir au nord leurs épouses et enfants et tous leurs biens, et s’établirent dans ce pays. Ils lui donnèrent un nouveau nom, la Marche des Cavaliers, et se nommèrent eux-mêmes les Eorlingas ; mais au Gondor, leur pays s’appelait le Rohan, et son peuple, les Rohirrim (c’est-à-dire les Seigneurs des Chevaux). Eorl devint ainsi le premier Roi de la Marche, et il élut domicile sur une éminence verte au pied des Montagnes Blanches qui bordaient son pays au sud. Les Rohirrim y vécurent dès lors en hommes libres, sous leurs propres rois, et suivant leurs propres lois, bien qu’en éternelle alliance avec le Gondor.

« Maints seigneurs et guerriers, et maintes belles et vaillantes femmes figurent dans les chansons qui se rappellent encore le Nord. Frumgar, dit-on, était le nom du chef qui mena son peuple en Éothéod. De son fils Fram, on dit qu’il fut le pourfendeur de Scatha, le grand dragon des Ered Mithrin, et les longs-serpents ne devaient plus troubler la paix de ce pays par la suite. Fram s’attira par là une grande richesse, en même temps que l’hostilité des Nains, car ceux-ci revendiquaient le trésor de Scatha. Fram ne voulut pas leur céder un sou, mais il leur envoya plutôt les dents de Scatha montées en collier, disant : “Vous ne trouverez pas semblables perles dans vos trésors, car ce sont de rares objets.” D’aucuns disent que Fram paya de sa vie cet outrage. Il n’y avait guère d’amitié entre l’Éothéod et les Nains.

« Léod était le nom du père d’Eorl. C’était un dresseur de chevaux sauvages ; car ils étaient nombreux à cette époque dans le pays. Il captura un poulain blanc qui donna très rapidement un beau cheval, fort et fier. Nul ne pouvait l’apprivoiser. Quand Léod se décida enfin à le monter, il fut emporté, et bientôt jeté bas, et sa tête heurta un rocher et il mourut ainsi. Il n’avait alors que quarante et deux ans, et son fils encore garçon en avait seize.

« Eorl jura qu’il vengerait la mort de son père. Il rechercha longtemps la bête et finit par l’apercevoir ; et ses compagnons croyaient qu’il s’avancerait à portée de tir dans l’espoir de le tuer. Mais lorsqu’ils approchèrent, Eorl se dressa sur ses étriers et appela d’une voix forte : “Viens ici, Fléau d’Homme, et reçois un nouveau nom !” À leur grand étonnement, le cheval se tourna vers Eorl, et il s’approcha et se tint devant lui, puis Eorl dit : “Je te nomme Felaróf. Tu chérissais ta liberté, et je ne t’en fais pas grief. Mais tu me dois une lourde compensation pour prix de l’homme que tu as tué, et tu me céderas ta liberté jusqu’à la fin de tes jours.”

« Sur ce, Eorl le monta, et Felaróf se soumit. Sans mors ni bride, il ramena son cavalier jusque chez lui, et Eorl devait toujours l’enfourcher ainsi par la suite. Le cheval comprenait tout ce que les hommes disaient, bien qu’il ne permît à quiconque de le monter, sauf Eorl. C’est sur le dos de Felaróf qu’Eorl descendit au Champ de la Celebrant ; car ce cheval se révéla doté d’une longévité comparable à l’Homme, ce qui fut aussi le cas de ses descendants. C’étaient les mearas, qui ne voulurent jamais porter quiconque, hormis le Roi de la Marche ou ses fils, jusqu’au temps de Scadufax. Chez les Hommes, on disait d’eux que Béma (Oromë pour les Eldar) avait dû apporter leur ancêtre de l’Ouest-outre-Mer.

« Des Rois de la Marche qui vinrent entre Eorl et Théoden, Helm Mainmarteau est certainement le plus fameux. C’était un homme sévère et d’une grande vigueur. Il fut un temps où vivait un homme du nom de Freca, et il se réclamait de la lignée du roi Fréawine, encore qu’il eût beaucoup de sang dunlandais, disait-on, et du reste ses cheveux étaient sombres. Il devint riche et puissant, possédant de vastes domaines de chaque côté de l’Adorn33. Non loin de sa source, il se construisit une forteresse et ne prêtait guère attention au roi. Helm s’en méfiait, mais l’invitait tout de même en conseil ; et lui, venait quand bon lui semblait.

« À l’un de ces conseils, Freca se présenta avec bon nombre d’hommes, et il demanda à Helm la main de sa fille pour son propre fils, Wulf. Mais Helm dit : “Tu as pris de l’envergure depuis la dernière fois qu’on t’a vu ici ; mais c’est surtout de la graisse, je suppose” ; et cela fit rire, car Freca était de forte taille.

« Alors Freca entra dans une rage folle et honnit le roi, et il acheva en disant : “Un vieux roi qui refuse le bâton qu’on lui tend peut se retrouver à genoux.” Ce à quoi Helm répondit : “Allons ! Le mariage de ton fils est une bagatelle. Helm et Freca en discuteront plus tard. Entre-temps, le roi et son conseil doivent s’occuper des affaires de poids.”

« Le conseil terminé, Helm se leva et posa sa grande main sur l’épaule de Freca, disant : “Le roi ne tolère pas la bagarre entre ses murs, mais les hommes sont plus libres dehors” ; et il obligea Freca de marcher devant lui et le mena hors d’Edoras jusque dans la prairie. Aux hommes de Freca qui se proposaient de les suivre, il dit : “Allez-vous-en ! Nous n’avons pas besoin d’auditeurs. Nous allons discuter entre nous d’une affaire privée. Allez vous entretenir avec mes gens !” Et, se tournant de ce côté, ils virent que les hommes et l’entourage du roi étaient beaucoup plus nombreux, et ils s’écartèrent.

« “Eh bien, Dunlandais, tu n’as plus que Helm devant toi, seul et non armé. Mais tu en as déjà beaucoup parlé, et c’est à mon tour. Freca, ta folie a grandi en proportion de ta bedaine. Tu parlais d’un bâton. Si Helm voit un bâton crochu qui le harcèle, il le casse ! Comme suit !” Et ce disant, il assena à Freca un si grand coup de poing que celui-ci tomba assommé, et mourut sur ces entrefaites.

« Helm nomma alors le fils de Freca et ses proches parents et les déclara les ennemis du roi ; et ils prirent la fuite, car Helm dépêcha aussitôt de nombreux cavaliers sur les marches de l’Ouest. »

Quatre ans plus tard (2758), le Rohan connut de grands troubles, et le Gondor ne put envoyer aucune aide, car trois flottes de Corsaires l’assaillaient, et la guerre était sur toutes ses côtes. Au même moment, le Rohan était de nouveau envahi à l’est, et les Dunlandais, sautant sur l’occasion, franchirent l’Isen, descendant d’Isengard. L’on apprit bientôt que Wulf était leur chef. Leur force était nombreuse, car ils furent rejoints par des ennemis du Gondor, débarqués aux bouches du Lefnui et de l’Isen.

Les Rohirrim furent vaincus et leur pays occupé ; et ceux qui échappèrent à la mort ou à l’esclavage se réfugièrent dans les vallées montagneuses. Helm fut repoussé des Passages de l’Isen avec de lourdes pertes, et il se retrancha dans la Ferté-au-Cor et le ravin situé derrière (que l’on nomma dès lors la Gorge de Helm), où il fut bientôt assiégé. Wulf prit Edoras, s’installa à Meduseld et se proclama roi. Là tomba Haleth fils de Helm, le dernier de tous, dans la défense des portes.

« Le Long Hiver débuta peu après, et le Rohan demeura sous la neige pendant près de cinq mois (novembre à mars 2758-2759). Les Rohirrim et leurs adversaires pâtirent tous deux du froid, mais aussi de la disette qui dura encore plus longtemps. À la Gorge de Helm, une grande famine s’abattit après Yule ; et dans son désespoir, malgré les admonitions du roi, Háma, son fils cadet, prit la tête d’un petit groupe afin de tenter une sortie et une razzia ; mais ils moururent perdus dans la neige. Poussé à bout par la famine et le deuil, Háma devint hâve et redoutable ; et la peur qu’il inspirait valait bien des hommes à elle seule dans la défense de la Ferté. Il avait coutume de s’envelopper de blanc et de sortir en solitaire, rôdant comme un troll des neiges dans les camps ennemis, et tuant quantité d’hommes à mains nues. On croyait que s’il ne portait aucune arme, aucune ne pourrait le toucher. Et les Dunlandais racontaient que, s’il ne trouvait pas de quoi manger, il dévorait des hommes. Cette fable eut la vie dure en Dunlande. Helm avait un grand cor, et l’on ne tarda pas à constater qu’avant de s’aventurer au-dehors il lançait une sonnerie qui faisait retentir la Gorge ; et une si grande terreur s’emparait alors de ses ennemis qu’au lieu de se rallier pour le prendre ou le tuer, ils se sauvaient en bas de la Combe.

« Une nuit, l’on entendit cette sonnerie, mais Helm ne se remontra pas. Au matin, il y eut une lueur de soleil, la première depuis bien des jours, et ils virent une forme blanche debout derrière le Fossé, seule, car aucun Dunlandais n’osa s’approcher. Là se tenait Helm, roide comme une pierre ; mort, mais ses genoux ne ployaient pas. Mais l’on dit que le cor retentissait encore parfois dans la Gorge ; et le spectre de Helm allait parmi les rangs des ennemis du Rohan, et les hommes en mouraient d’épouvante.

« L’hiver se retira peu après. Alors Fréaláf, fils de Hild, sœur de Helm, descendit de Dunhart, où bien des gens s’étaient réfugiés ; et avec une maigre compagnie de désespérés, il surprit Wulf à Meduseld, le tua, et reprit Edoras. La fonte des neiges amena des inondations, et la vallée de l’Entévière devint un grand marécage. Les envahisseurs de l’Est périrent ou s’en allèrent ; et le Gondor envoya enfin de l’aide par les routes, à l’est et à l’ouest des montagnes. Avant la fin de l’année (2759), les Dunlandais furent expulsés, et même chassés d’Isengard ; alors, Fréaláf devint roi.

« On emporta le corps de Helm de la Ferté-au-Cor, après quoi on l’ensevelit sous le neuvième tertre. Dès lors, les simbelmynë blancs y poussèrent plus densément que partout ailleurs, si bien que le tertre parut couvert de neige. À la mort de Fréaláf, l’on commença une nouvelle rangée de tertres. »

Les Rohirrim avaient été décimés par la guerre, la famine, et la perte de bétail et de chevaux ; et il est heureux qu’aucune menace sérieuse ne se soit présentée à eux pendant de longues années, car ce ne fut pas avant l’époque du roi Folcwine qu’ils retrouvèrent leur force d’antan.

Au couronnement de Fréaláf, Saruman parut pour la première fois, apportant des présents, et faisant grand éloge de la valeur des Rohirrim. Tous se félicitaient de sa venue. Peu de temps après, il élut domicile à Isengard. Ce fut Beren, l’Intendant du Gondor, qui le lui permit, car le Gondor considérait toujours Isengard comme une forteresse du royaume, et non une possession du Rohan. Beren confia du même coup à Saruman la garde des clefs d’Orthanc. Aucun ennemi n’avait réussi à entrer dans cette tour ni à lui porter atteinte.

Saruman commença alors à se comporter comme un seigneur des Hommes ; car dans un premier temps, il s’installa à Isengard en tant que lieutenant de l’Intendant et gardien de la tour. Mais Fréaláf se réjouit tout autant que Beren de cette situation, content de savoir qu’Isengard était entre les mains d’un solide allié. Il parut longtemps un allié, et peut-être en était-il réellement un, au début ; encore que, bien plus tard, il n’y en eût guère pour douter que Saruman se fût établi à Isengard dans l’espoir d’y trouver la Pierre encore à sa place, et dans l’intention de se donner un pouvoir à lui. Ce qui est certain, c’est qu’après le dernier Conseil Blanc (2953), ses desseins envers le Rohan, bien qu’il les cachât, étaient devenus mauvais. Il prit alors possession d’Isengard et en fit progressivement une place forte et un lieu d’épouvante, comme pour rivaliser avec la Barad-dûr. Il recruta dès lors ses alliés et ses serviteurs parmi tous ceux qui haïssaient le Gondor et le Rohan, Hommes ou autres créatures plus malfaisantes.












Les Rois de la Marche






Première Lignée

Années34

2485-2545 1. Eorl le Jeune. Surnommé tel parce qu’il succéda à son père dans sa jeunesse et demeura blond et rougeaud jusqu’à la fin de ses jours, écourtés par une nouvelle attaque des Orientais. Eorl tomba en combattant sur le Wold, et le premier tertre fut alors levé. Felaróf y fut également enseveli.

2512-2570 2. Brego. Il chassa l’ennemi du Wold, et le Rohan ne fut plus assailli durant de longues années. En 2569, il acheva la construction de la grand-salle de Meduseld. Au festin qui marqua l’événement, son fils Baldor fit vœu de passer « les Chemins des Morts », mais n’en revint jamais35. Brego mourut de chagrin l’année suivante.

2544-2645 3. Aldor l’Ancien. Deuxième fils de Brego. Il fut surnommé l’Ancien, car il vécut à un âge avancé et fut roi pendant soixante-quinze ans. Sous son règne, les Rohirrim se multiplièrent, et ils chassèrent ou soumirent les derniers vestiges du peuple dunlandais qui demeuraient à l’est de l’Isen. Le Val de Hart de même que d’autres vallées montagneuses furent colonisés. Il est dit peu de chose des trois prochains rois, car le Rohan connut la paix et prospéra sous leur règne.

2570-2659 4. Fréa. Fils aîné, mais quatrième enfant d’Aldor ; il était déjà vieux lorsqu’il ceignit la couronne.

2594-2680 5. Fréawine.

2619-2699 6. Goldwine.

2644-2718 7. Déor. Sous son règne, les Dunlandais firent souvent incursion par-delà l’Isen. En 2710, ils occupèrent l’anneau déserté d’Isengard et ne purent en être délogés.

2668-2741 8. Gram.

2691-2759 9. Helm Mainmarteau. À la fin de son règne, le Rohan essuya de lourdes pertes lors d’invasions, suivies du Long Hiver. Helm et ses fils Haleth et Háma périrent. Fréaláf, fils de sœur de Helm, lui succéda.






Deuxième Lignée

2726-2798 10. Fréaláf Hildeson. Sous son règne, Saruman s’établit à Isengard, dont les Dunlandais avaient entre-temps été chassés. Les Rohirrim profitèrent un temps de son amitié, lors des jours de disette et de faiblesse qui s’ensuivirent.

2752-2842 11. Brytta. Son peuple le surnomma Léofa, car il était aimé de tous ; il avait le cœur sur la main et venait en aide à tous les nécessiteux. Son règne fut marqué par la guerre faite aux Orques qui, chassés du Nord, s’étaient réfugiés dans les Montagnes Blanches36. À sa mort, on crut qu’ils avaient tous été débusqués ; mais il n’en était rien.

2780-2851 12. Walda. Son règne ne dura que neuf ans. Il fut tué avec tous ses compagnons, pris en embuscade par des Orques dans les chemins de montagne partant de Dunhart.

2804-2864 13. Folca. C’était un grand chasseur, mais il fit vœu de ne chasser aucune bête sauvage tant qu’il resterait un seul Orque au Rohan. Une fois le dernier repaire orque trouvé et détruit, il alla chasser le grand sanglier d’Eoferholt dans le Bois de Firien. Il tua la bête, mais mourut des blessures infligées par ses défenses.

2830-2903 14. Folcwine. Lorsqu’il ceignit la couronne, les Rohirrim avaient recouvré leurs forces. Il reconquit la marche de l’ouest (entre l’Adorn et l’Isen) que les Dunlandais avaient occupée. Le Gondor avait été d’un grand secours au Rohan lors des jours funestes. Aussi, lorsqu’il apprit que les Haradrim avaient assailli le Gondor en force, il envoya de nombreux hommes au secours de l’Intendant. Il souhaitait chevaucher à leur tête, mais on l’en dissuada ; et ses deux fils Folcred et Fastred (nés en 2858) partirent à sa place. Ils tombèrent côte à côte dans la bataille qu’ils livrèrent en Ithilien (2885). Pour prix de la mort de ses fils, Túrin II du Gondor envoya à Folcwine une riche compensation en or.

2870-2953 15. Fengel. Troisième fils et quatrième enfant de Folcwine. Son souvenir est peu honoré. Il était avare de nourriture et d’or, et en conflit avec ses maréchaux et avec ses enfants. Thengel, son troisième enfant et son unique fils, quitta le Rohan au seuil de l’âge d’homme et vécut longtemps au Gondor, s’illustrant au service de Turgon.

2905-2980 16. Thengel. Il mit longtemps à prendre femme, mais en 2943, il épousa Morwen du Lossarnach au Gondor, bien qu’elle fût de dix-sept ans sa cadette. Elle lui donna trois enfants au Gondor, dont Théoden, le deuxième, son unique fils. À la mort de Fengel, les Rohirrim le rappelèrent à eux et il rentra à contrecœur. Mais il se révéla un roi sage et bon ; encore que le parler du Gondor fût en usage dans sa maison, et tous ne voyaient pas cela d’un bon œil. Morwen lui donna deux autres filles au Rohan ; Théodwyn, la dernière, était la plus belle, bien que tardivement née (2963), l’enfant de son vieil âge. Son frère l’aimait tendrement.

Ce fut peu après le retour de Thengel que Saruman se proclama Seigneur d’Isengard et se mit à causer des ennuis au Rohan, empiétant sur ses frontières et soutenant ses ennemis.

2948-3019 17. Théoden. Surnommé Théoden Ednew dans la tradition du Rohan, car il tomba en déclin sous les sortilèges de Saruman, mais fut ensuite guéri par Gandalf ; et dans la dernière année de sa vie, il se leva et mena ses hommes à la victoire à la Ferté-au-Cor, et peu après sur les Champs du Pelennor, la plus grande bataille de cet Âge. Il tomba devant les Portes de Mundburg. Il reposa un temps dans sa terre natale, parmi les Rois défunts du Gondor, mais fut bientôt ramené à Edoras et, là, enseveli sous le huitième tertre de sa lignée. Une nouvelle commença alors.






Troisième Lignée

En 2989, Théodwyn épousa Éomund de l’Estfolde, premier Maréchal de la Marche. Son fils Éomer naquit en 2991, et sa fille Éowyn en 2995. À cette époque, Sauron avait fait résurgence, et l’ombre du Mordor s’étendit jusqu’au Rohan. Des Orques se mirent à faire incursion dans les régions orientales, tuant ou volant des chevaux. D’autres descendirent également des Montagnes de Brume, souvent de grands uruks au service de Saruman, bien qu’on mît du temps à le soupçonner. Éomund avait principalement la charge des marches de l’est ; et c’était un grand amoureux des chevaux et un ennemi juré des Orques. Lorsqu’il avait vent d’une incursion, il entrait dans une bouillante colère et chevauchait souvent à leur encontre, peu entouré et sans grande prudence. Ainsi donc, il périt en l’an 3002 ; car il pourchassa une faible bande jusqu’à la lisière des Emyn Muil, où il fut surpris par une grande force embusquée parmi les rochers.

Peu de temps après, Théodwyn tomba malade et mourut, au grand chagrin du roi. Il prit les enfants de sa sœur dans sa maison, qui devinrent pour lui fils et fille. Il n’eut lui-même qu’un enfant, son fils Théodred, alors âgé de vingt-quatre ans ; car la reine Elfhild était morte en couches, et Théoden ne se remaria jamais. Éomer et Éowyn grandirent à Edoras et virent l’ombre s’allonger sur les salles de Théoden. Éomer était à l’image de ses pères ; mais Éowyn, grande et mince, avait un port gracieux et fier qui lui venait du Sud, de Morwen du Lossarnach, que les Rohirrim avaient surnommée Lustre-d’Acier.

2991-63 Q.A. (3084) Éomer Éadig. Il devint jeune encore un Maréchal de la Marche (3017) et hérita de la charge de son père sur les marches de l’est. Lors de la Guerre de l’Anneau, Théodred périt dans la lutte contre Saruman aux Passages de l’Isen. Ainsi, avant de mourir sur les Champs du Pelennor, Théoden fit d’Éomer son héritier et le déclara roi. Ce même jour, Éowyn s’attira elle aussi gloire et renom, car elle prit part à cette bataille déguisée en cavalier ; et dès lors, elle fut connue dans la Marche comme la Dame-du-Bras-de-l’Écu37.

Éomer devint un grand roi, et, comme il succéda à Théoden en pleine jeunesse, il régna pendant soixante-cinq ans, plus longtemps qu’aucun de ses prédécesseurs hormis Aldor l’Ancien. Au cours de la Guerre de l’Anneau, il se lia d’amitié avec le roi Elessar et avec Imrahil de Dol Amroth ; et il chevauchait souvent au Gondor. Dans la dernière année du Troisième Âge, il épousa Lothíriel, fille d’Imrahil. Leur fils Elfwine le Beau régna après lui.

Dans la Marche, au temps d’Éomer, ceux qui le souhaitaient connurent la paix, et les gens se multiplièrent dans les vallées comme dans les plaines, et leurs chevaux proliférèrent. Le roi Elessar régnait à présent au Gondor, de même qu’en Arnor. Il était roi de toutes les terres de ces royaumes d’autrefois, hormis celles du Rohan ; car il renouvela à ce peuple le don de Cirion, et Éomer réitéra le Serment d’Eorl, qu’il accomplit à de nombreuses reprises. Car bien que Sauron eût péri, les antagonismes et les maux qu’il avait semés n’étaient pas morts avec lui, et le Roi de l’Ouest dut soumettre bon nombre d’ennemis avant que l’Arbre Blanc pût croître dans la paix. Et partout où le roi Elessar allait en guerre, le roi Éomer était à ses côtés ; et au-delà de la Mer du Rhûn et sur les lointaines prairies du Sud, l’on entendit tonner la cavalerie de la Marche, et le Cheval Blanc sur Vert flotta aux vents de tous bords jusqu’à ce qu’Éomer se fît vieux.

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