Prologue

Le maître ordinateur de la planète Harmonie n’était pas programmé pour s’immiscer aussi directement dans les affaires humaines. Le fait d’avoir récemment poussé le jeune Nafai à tuer Gaballufix le perturbait profondément. Mais comment regagner la Terre sans l’Index ? Et comment Nafai aurait-il obtenu l’Index sans assassiner Gaballufix ? Non, c’était la seule solution.

Vraiment ?

Je suis vieux, se dit le maître ordinateur. Je suis une machine âgée de quarante millions d’années qui n’a jamais été conçue pour durer si longtemps. Comment savoir si mon jugement est sain ? Pourtant, j’ai décidé la mort d’un homme et c’est à cause de moi que le jeune Nafai affronte sa culpabilité. Tout cela pour rapporter l’Index à Zvezdakroog, afin que je puisse reprendre le chemin de la Terre.

Si seulement je pouvais en contacter le Gardien et lui demander que faire ! Alors, je pourrais agir avec assurance. Alors, je ne douterais plus de chacun de mes actes, je ne me demanderais plus si tout ce que je fais n’est pas simplement le résultat de ma décrépitude.

Le maître ordinateur avait un besoin vital de s’entretenir avec le Gardien de la Terre ; mais ce n’était possible qu’en y retournant : désespérant cercle vicieux ! Il ne pouvait agir sagement sans l’aide du Gardien ; mais il devait agir sagement pour le rejoindre.

Alors ? Que faire ? J’ai besoin de conseils avisés, mais qui me les prodiguera ? Je dispose d’un savoir plus vaste qu’aucun homme n’en possédera jamais, pourtant je n’ai que l’esprit des hommes pour me conseiller.

Se pouvait-il que ce fût suffisant ? Jamais un ordinateur ne serait aussi génialement mal organisé qu’un cerveau humain. Les hommes prenaient les décisions les plus stupéfiantes à partir de simples fragments de données parce que leur cerveau les recombinait par des voies étranges qui aboutissaient à la vérité. On pouvait sûrement en tirer quelque sagesse exploitable.

Là encore, rien n’était moins sûr. Mais cela valait la peine d’essayer, non ?

Le maître ordinateur, à l’aide de ses satellites, infusa des images dans le cerveau des humains les plus réceptifs. Elles se frayèrent un chemin dans les mémoires, forcèrent les esprits à s’intéresser à elles, à les articuler entre elles, à les comprendre. À les changer en ces bizarres et somptueuses histoires qu’ils nommaient des songes. Dans les jours ou les semaines à venir, peut-être de ces rêves se dégagerait-il un processus alchimique, un sens dont le maître ordinateur pourrait se servir pour arracher à la planète Harmonie les meilleurs de ces êtres et retourner vers la Terre.

Durant tout ce temps, j’ai été leur professeur, leur guide, je les ai façonnés, protégés. Aujourd’hui que j’atteins le terme de mon existence, sont-ils prêts à leur tour à m’enseigner, à me guider, à me façonner et à me protéger ? C’est bien improbable. Bien improbable. Il me faudra sans doute prendre mes décisions tout seul. Et alors, je me tromperai certainement. Peut-être devrais-je m’abstenir de rien faire… Peut-être m’abstenir de rien faire… M’abstenir de rien faire… Non. Je dois agir.

Il faut attendre.

Attendre.

Attendre encore…

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