Muller les voyait avancer et il ne comprenait pas pourquoi cela le laissait aussi calme. Ils avaient cessé de lui envoyer des robots, après qu’il eut détruit le premier, mais ses écrans de vision lui montraient des hommes campant dans les zones extérieures. Malheureusement, il ne pouvait distinguer clairement leurs visages. Il en comptait à peu près une douzaine, mais il ne pouvait en être sûr. Ils étaient peut-être neuf, ou quatorze, ou quinze. Certains étaient stationnés dans la zone E, et un groupe un peu plus important en F. Muller en avait vu mourir quelques-uns dans les bandes périphériques.
Il avait de nombreux moyens offensifs à sa disposition. Par exemple, s’il le voulait, il pouvait inonder la zone E en se servant de l’aqueduc. Il l’avait fait une fois par accident et il avait presque fallu une journée entière pour que la cité se remette en ordre. Il se souvenait comment, pendant l’inondation, la zone E était soudain devenue étanche, se cloisonnant et bouchant toutes ses issues pour empêcher l’eau de s’écouler. Si les envahisseurs ne se noyaient pas dans le flux à cause de leur affolement ils se précipiteraient certainement dans les pièges. Muller avait d’autres moyens à sa disposition pour leur interdire de pénétrer dans la cité intérieure.
Pourtant, il ne faisait rien. Il savait que la cause principale de sa passivité était son profond désir de rompre ses années d’isolement. Malgré sa haine, malgré sa misanthropie, malgré sa crainte de voir détruire sa solitude, Muller laissait les hommes se frayer un chemin vers lui. Une rencontre à présent devenait inévitable. Ils savaient qu’il était là. (Étaient-ils au courant de son identité ?) Ils le trouveraient et ils en souffriraient, et lui aussi. Lui apprendrait à leur contact si son long exil l’avait guéri et s’il pouvait à nouveau supporter une compagnie humaine. Mais il connaissait déjà la réponse à cette question.
Il avait passé presque une année parmi les Hydriens ; puis, constatant que rien ne s’accomplissait, il était monté dans sa capsule de débarquement et avait rejoint le vaisseau gravitant sur son orbite. Si les Hydriens avaient une mythologie, ils lui trouveraient une place.
À l’intérieur du vaisseau, Muller accomplit les opérations nécessaires à son retour sur Terre. Tout à coup, alors qu’il programmait l’ordinateur de bord, il aperçut le reflet de son visage sur la console de métal poli et il eut un mouvement de recul. Les Hydriens n’avaient pas de miroirs. Il vit d’abord quelques nouvelles rides creusant la peau, mais cela ne l’inquiéta guère. C’était une sorte d’étrangeté dans le regard qui l’effrayait quelque peu. Ce sont les muscles trop tendus, pensa-t-il. Il termina la programmation de son retour et alla dans la pièce de thérapeutique où il commanda une goutte à quarante db. pour son équilibre nerveux, un bain chaud et un massage complet. Quand il sortit, ses yeux avaient toujours cet air étrange, et de plus il avait maintenant un tic facial. Il se débarrassa facilement de son tic, mais il ne put rien faire pour son regard.
Ce sont les paupières qui donnent l’expression et non les yeux eux-mêmes, se dit-il. Les miennes sont déformées parce que j’ai vécu trop longtemps sous le casque respiratoire. Cela va s’arranger. J’ai passé des mois difficiles, mais maintenant tout ira bien.
Le vaisseau absorba de la puissance débitée par l’étoile-nourrice la plus proche et les rotors du vaisseau l’emportèrent vertigineusement sur les axes de la trame temporelle. Muller, protégé par la carapace de plastique et de métal, fut lancé sur un raccourci à travers le cosmos. Même en hyperpropulsion, une certaine quantité de temps absolu s’écoule pendant que le vaisseau glisse le long de la trame du continuum. Muller lut, dormit, écouta de la musique et brancha un cube érotique quand il en eut un trop grand désir. Il se disait que la rigidité de son expression faciale disparaîtrait et que cela ne lui ferait pas de mal de s’offrir un léger remodelage après son arrivée. Cette expédition l’avait un peu marqué physiquement.
Il n’avait aucune tâche à exécuter. Le vaisseau cosmique émergea de la trame temporelle dans les limites prescrites, à 100 000 kilomètres de la Terre, et des lumières colorées sillonnèrent le tableau de communication. C’était la plus proche station de contrôle qui lui signalait sa position. Muller se brancha en phonie.
— Mettez-vous à la même vitesse que nous, M. Muller, et nous vous enverrons un pilote à bord qui vous guidera jusqu’à la Terre, lui dit le contrôleur du trafic.
Le vaisseau obéit aux instructions. Muller aperçut bientôt le dôme cuivré de la station de contrôle. Elle flotta un instant juste au-dessus de lui, lentement, il reprit de la hauteur et s’approcha de la station pour s’accoler à elle.
— Nous avons un appel de la Terre pour vous, M. Muller, dit le contrôleur. C’est de M. Charles Boardman.
— Passez-le-moi, dit Muller.
Le visage de Boardman remplit l’écran. Il semblait rose, frais, bien reposé et en parfaite santé. Il sourit et tendit la main.
— Dick, dit-il. Mon Dieu, c’est formidable de vous voir !
Muller brancha le système tactile et posa sa main sur le poignet de Boardman, à travers l’écran :
— Salut, Charles. Une sur soixante-cinq, hein ? Eh bien, me voilà.
— Dois-je l’annoncer à Marta ?
— Marta ? répéta Muller.
Il dut fouiller sa mémoire. Ah ! oui. Celle qui avait une si belle chevelure bleue et une démarche si ondulante sur ses talons pointus :
— Oui. Dites-le à Marta. J’aimerais qu’elle soit à l’atterrissage. Les cubes érotiques ne le sont pas autant qu’elle.
Boardman eut un rire égrillard. Puis, subitement, il changea d’expression et redevint sérieux :
— Comment cela a-t-il marché ?
— Comme ci, comme ça.
— Vous avez établi un contact, non ?
— J’ai trouvé les Hydriens, oui. Et ils ne m’ont pas tué.
— Étaient-ils hostiles ?
— Ils ne m’ont pas tué.
— Oui, mais…
— Je suis vivant, Charles. (Muller sentait que son tic le reprenait.) Je n’ai pas appris leur langage. Je ne peux pas vous dire s’ils m’appréciaient. Ils semblaient très intéressés. Ils m’ont étudié de près pendant très longtemps. Ils n’ont jamais dit un mot.
— Sont-ils télépathes ?
— Je ne peux pas vous répondre, Charles. Je ne sais pas.
Boardman resta silencieux un assez long moment :
— Que vous ont-ils fait, Dick ?
— Rien.
— Ce n’est pas vrai.
— Ce que vous voyez est la fatigue du voyage, répondit Muller. Je suis en bonne forme, simplement les nerfs un peu tendus. Je veux respirer de l’air réel, boire de la vraie bière et manger de la vraie viande et avoir un peu de compagnie dans mon lit. Après, je serai parfaitement bien. Alors peut-être pourrai-je vous suggérer quelques moyens d’établir un contact avec les Hydriens.
— Dick, comment est réglé votre système de communication ?
— Hein ?
— Je vous reçois trop fort, dit Boardman.
— C’est la faute des relais. Franchement, Charles, je ne vois pas ce que notre transmission a à voir là-dedans.
— Je n’en suis pas sûr, dit Boardman. Je veux seulement comprendre pourquoi vous hurlez.
— Je ne hurle pas ! cria Muller.
Peu après ils coupèrent le contact. Muller avait été averti par la station de contrôle que le pilote était prêt à monter à bord. Il déclencha l’ouverture de la trappe d’accès et le pilote pénétra dans son vaisseau. C’était un jeune homme très blond, avec un visage pâle qui évoquait la tête d’un rapace. Il ôta son casque et se présenta :
— Je m’appelle Les Christiansen. Mr Muller, je tiens à vous dire que c’est un grand honneur et un privilège pour moi de piloter le premier homme qui ait visité une espèce autre que la nôtre. J’espère ne pas violer les règles de sécurité, mais j’aimerais tellement que vous me parliez un peu d’eux pendant notre voyage jusqu’à la Terre. Voyez-vous, je ne peux m’empêcher de penser que je vis un moment historique. Moi, le premier à vous voir en chair et en os depuis votre retour. Vous voudrez bien me… me raconter un petit peu à propos des…
— Oui, je crois qu’il m’est permis de vous dire quelques petites choses, dit Muller d’un ton affable. D’abord, avez-vous vu les cubes sur les Hydriens ? Ils devaient être montrés et…
— Vous permettez que je m’asseye, Mr Muller ?
— Naturellement. Donc vous les avez vues, ces créatures longues et maigres avec tous leurs bras…
Christiansen l’interrompit :
— Je me sens très mal. Je ne sais pas ce qui m’arrive.
Tout à coup, son visage s’était empourpré et des gouttes de sueur coulaient sur son front :
— Je crois que je vais être malade. Je… Vous savez, cela ne devrait pas arriver.
Le pilote se leva et se laissa péniblement tomber sur une couchette en mousse plastique. Frissonnant, il se roula en boule, cachant sa tête entre ses mains. Muller, rouillé par les longs mois de silence, hésitait, ne sachant pas quoi faire. Finalement, il prit le poignet du jeune homme pour le guider vers la pièce de thérapeutique. Christiansen se dégagea brutalement et bondit comme s’il avait été touché par une décharge brûlante. Ce mouvement brusque lui fit perdre son équilibre et il alla s’affaler sur le sol de la cabine. Il se redressa péniblement et rampa sur les genoux pour s’éloigner le plus possible de Muller. D’une voix étranglée, il demanda où se trouvaient les toilettes.
— Là, montra Muller.
Christiansen se précipita, ferma la porte derrière lui et la verrouilla. Muller, complètement désorienté, entendit des bruits de vomissement, suivis par ce qui semblait être des sanglots. Il allait signaler la maladie du pilote à la station de contrôle quand la porte s’ouvrit et Christiansen apparut.
— Pouvez-vous me passer mon casque, M. Muller ? demanda-t-il d’une voix enrouée.
Muller le lui tendit.
— Je vais devoir retourner à ma station, M. Muller.
— Je suis navré que vous ayez réagi ainsi. Mon Dieu, j’espère que je ne suis pas contagieux.
— Je ne suis pas malade. Je me sens simplement… comment dire… Je me dégoûte. (Christiansen ajusta son casque :) Je ne comprends pas. Mais j’ai envie de m’effondrer en pleurs. S’il vous plaît, laissez-moi partir, M. Muller. C’est… je… c’est… c’est terrible. Voilà ce que je ressens !
Il se précipita dans le sas et sortit du vaisseau. Muller, à travers les hublots, le vit traverser le vide et rejoindre la station de contrôle du trafic.
Muller appela le contrôleur :
— Il vaudrait peut-être mieux ne pas m’envoyer tout de suite un autre pilote, dit-il. À l’instant où Christiansen a ôté son casque, il s’est senti mal. Je dois être porteur de quelque chose. Vérifions cela tout de suite.
Le contrôleur, l’air troublé, agréa. Il demanda à Muller de se rendre dans la pièce de thérapeutique, de mettre en place le diagnostat et de lui transmettre le rapport de l’appareil. Quelques instants plus tard, Muller vit apparaître sur son écran le visage de l’officier médical de la station :
— C’est très étrange, M. Muller.
— Qu’est-ce qui est étrange ?
— Nous avons fait passer le rapport de votre diagnostat dans notre ordinateur. Aucun symptôme. J’ai aussi fait ausculter Christiansen sans le moindre résultat. Il prétend qu’il se sent bien à présent. Il me dit qu’il a été terrassé par une très forte dépression à l’instant où il vous a vu. Et très vite, cela a attaqué son métabolisme. C’est presque cela : il se sentait si déprimé qu’il pouvait à peine vivre.
— Est-il enclin à ce genre de dépression ?
— Jamais, répondit le médecin. J’aimerais vérifier cette histoire moi-même. Puis-je venir à votre bord ?
Le docteur ne fut pas aussi malade que Christiansen, mais il ne resta pas longtemps. Quand il quitta Muller, son visage était mouillé de larmes. Ils semblaient aussi déconcertés l’un que l’autre. Le nouveau pilote arriva vingt minutes plus tard et il garda sa tenue et son casque sur lui pour programmer le vol de retour. Assis, se tenant très droit devant son tableau de bord, il tournait délibérément le dos à Muller, ne lui parlant pas, agissant comme s’il ne l’avait pas remarqué. Suivant les conventions de vol, il amena l’appareil jusqu’à ce qu’il soit pris en charge par des tours de contrôle au sol, et aussitôt il se prépara à quitter le vaisseau. Muller vit le visage de l’homme tendu, luisant de sueur, les lèvres serrées, qui le salua rapidement et se hâta vers le sas. Il faut que je sente bien mauvais, pensa Muller, pour que cette odeur pénètre à travers une tenue spatiale.
L’atterrissage fut une simple routine.
Au spatioport, il passa rapidement les formalités d’immigration. Il ne fallut pas plus d’une demi-heure à la Terre pour décider qu’il était acceptable. Muller, qui était passé devant ces appareils de détection plus d’une centaine de fois, considéra ce court laps de temps comme un record. Il avait craint que le diagnostat géant ne détecte une maladie contagieuse qui aurait échappé à son équipement médical personnel et au docteur de la station de contrôle. Pourtant il avait observé le processus habituel, laissant la machine ausculter son cœur, son foie, ses reins et son cerveau, faisant une ponction de molécules de chaque partie de son corps. Il était arrivé à la sortie du boyau sans entendre la sonnerie d’alarme ni les lueurs d’avertissement de contagion. Il était accepté. Il répondit à l’ordinateur de la Douane. D’où venez-vous ? Les motifs de votre voyage ? Accepté. Ses papiers étaient en règle. Une cloison s’ouvrit sur un couloir qui le mena vers la sortie. Pour la première fois depuis son atterrissage il allait voir un être humain. Enfin.
Boardman était là. Marta était avec lui. Boardman était vêtu d’une tunique marron sertie d’anneaux métalliques ; il semblait harnaché comme pour une croisade préhistorique. Ses épais sourcils bruns étaient touffus comme une couche de mousse tropicale. Marta portait à présent les cheveux courts et bleu-vert. Ses yeux étaient argentés et sa gorge était couverte de paillettes d’or ; elle ressemblait à une statue précieuse. Se souvenant d’elle sortant du lac, nue et mouillée, Muller désapprouva ces changements, bien qu’il sût qu’ils n’étaient pas pour lui. Boardman avait le goût des femmes parées ; il était certain qu’ils avaient dû coucher ensemble pendant son absence. Muller aurait été surpris et même un peu déçu du contraire.
La main de Boardman enserra fermement le poignet de Muller pour le saluer. L’étreinte fut courte. Incroyablement vite, la pression des doigts se relâcha et la main se retira avant même que Muller pût rendre l’accolade.
— C’est bon de vous voir, Dick, dit Boardman, sans conviction, se reculant de quelques pas.
Ses joues, subitement, semblaient pendre comme sous l’effet d’une forte pesanteur. Marta se glissa entre eux et se pressa contre Muller. Il l’attira fermement ; ses mains caressèrent ses épaules douces et glissèrent rapidement sur ses fesses rondes. Il ne l’embrassa pas, se contentant de la regarder. Les yeux de Marta semblaient être des miroirs aveugles lui renvoyant une image anonyme de lui-même. Il vit ses narines frémir. À travers la peau satinée de la jeune femme, il sentait les muscles se raidir. Elle essayait de se libérer de son étreinte.
— Dick, chuchota-t-elle, j’ai désiré chaque nuit ton retour. Tu ne peux pas savoir comme tu m’as manqué.
Elle luttait de plus en plus. Il remonta ses mains sur ses hanches et serra si fort qu’il craignit de la blesser. Ses jambes tremblaient et il eut peur qu’elle tombe s’il la lâchait. Elle détourna la tête. Il posa tendrement sa joue contre la sienne.
— Dick, murmura-t-elle dans un souffle, je me sens bizarre… Je suis si heureuse que j’ai l’impression d’être toute remuée à l’intérieur… Allons-nous-en, Dick, j’ai presque envie de vomir…
Il dénoua ses bras :
— Oui. Oui. Naturellement.
Boardman transpirait à grosses gouttes. Il s’énervait, s’essuyait le visage, avalait une pilule sédative, dansait d’une jambe sur l’autre. Muller ne l’avait jamais vu dans cet état.
— Je vais peut-être vous laisser seuls tous les deux, hein ? proposa-t-il avec un clin d’œil, mais sa voix était une demi-octave trop haute. Je crois que ce temps ne me vaut rien. Je vous parlerai demain, Dick. Ne vous inquiétez de rien, tout est préparé pour vous.
Il tourna les talons et disparut. Maintenant, Muller sentait la panique le gagner.
— Où allons-nous ? demanda-t-il.
— Nous avons une chambre retenue à l’hôtel du spatioport. Il y a un trottoir roulant qui y mène directement. As-tu des bagages ?
— Ils sont toujours à bord, répondit-il. Ils peuvent attendre.
Marta se mordait la lèvre inférieure. Il lui prit la main et ils traversèrent le hall. Vas-y, pensa-t-il. Dis-moi que tu ne te sens pas bien. Dis-moi que mystérieusement, depuis dix minutes, il y a quelque chose qui te gêne.
— Pourquoi as-tu coupé tes cheveux ? demanda-t-il.
— C’est un droit féminin. Tu n’aimes pas ?
— Pas autant qu’avant.
Ils montèrent sur le trottoir roulant :
— Plus longs, plus bleus, ils avaient la couleur de la mer un jour d’orage.
La bande roulante les déposa dans un large vestibule. Elle se tenait assez éloignée de lui en marchant.
— Et ton maquillage ? Je te demande pardon, Marta. Je suis navré, mais je ne l’aime pas.
— Je me suis faite belle pour célébrer ton retour.
— Pourquoi fais-tu cela avec ta bouche ?
— Quoi ? Qu’est-ce que je fais ?
— Rien, dit-il. Nous y voici. La chambre est déjà réservée ?
— Oui. À ton nom.
Il s’approcha et posa sa main sur le tableau de réservation. Une lumière verte s’alluma et les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. L’hôtel commençait au cinquième sous-sol du spatioport et descendait encore sur cinquante niveaux. Leur chambre était presque au dernier sous-sol. Choisie avec soin, la suite nuptiale, peut-être. Ils pénétrèrent dans une pièce où pendaient des suspensions kaléidoscopiques et où trônait un large lit équipé de tous les accessoires. L’éclairage ambiant était délicatement tamisé. Muller se remémora ses mois passés avec seulement quelques cubes érotiques et une bouffée sauvage de désir lui brûla le ventre. Il savait qu’il n’avait rien besoin d’expliquer à Marta. Elle passa à côté de lui et entra dans la pièce personnelle. Elle y resta un assez long moment pendant lequel Muller se déshabilla.
La porte s’ouvrit et elle apparut, nue. Elle s’était débarrassée de son maquillage sophistiqué et ses cheveux étaient à nouveau bleus.
— Comme la mer, dit-elle. Je suis navrée, mais je n’ai pas pu les faire pousser. La pièce n’était pas programmée pour ce travail.
— Tu es très belle, dit-il.
Ils se tenaient à une dizaine de mètres l’un de l’autre. Il la voyait de profil et pouvait admirer les contours de ses formes frêles mais gracieuses, sa poitrine fière et ronde, ses reins cambrés et ses cuisses élancées.
Il voulut rompre le long silence qui s’était installé.
— Je ne saurais te dire si les Hydriens ont cinq sexes ou pas du tout. Cela te montre à quel point j’ai pu me renseigner sur eux. Je ne sais pas non plus comment ils font, mais j’ai l’impression que notre système est beaucoup plus amusant. Pourquoi restes-tu si loin de moi, Marta ?
Sans dire un mot elle s’approcha de lui. Il passa un bras autour de ses épaules et pressa sa main contre son sein. D’habitude, quand il caressait ainsi la tendre éminence, il sentait le petit bout se durcir et se dresser de désir contre sa paume. Pas cette fois-ci. Elle frissonna légèrement comme une jeune pouliche timide et nerveuse. Il pressa ses lèvres contre les siennes, mais elles étaient sèches, serrées et hostiles. Elle frémit quand il voulut caresser son visage. Il la tira en arrière et ils s’assirent côte à côte sur le lit. Sa petite main élégante le touchait mais avec une sorte de répugnance.
Il lut la douleur dans ses yeux.
Elle roula brusquement de l’autre côté du lit, sa tête s’enfonçant profondément dans l’oreiller. Il étudia son pauvre visage crispé par quelque étrange agonie. Puis brusquement elle lui prit les mains et l’attira vers elle. Elle ouvrit ses cuisses pour s’offrir à lui.
— Prends-moi, Dick, dit-elle, faussement passionnée. Tout de suite !
— Pourquoi tout de suite ?
Elle essaya de le forcer en elle pour qu’il la pénètre. Il refusa. Il s’échappa de l’étreinte de ses cuisses et s’assit. Son beau visage était empourpré et ruisselant de larmes. Maintenant la vérité commençait à lui apparaître dans toute son horreur, mais il voulait en savoir plus.
— Dis-moi ce qui ne va pas, Marta ? demanda-t-il.
— Je ne sais pas.
— Tu agis comme si tu étais malade.
— Je crois que je le suis.
— Depuis quand ? Quand cela a-t-il commencé ?
— Je… Oh ! Dick, pourquoi me poser toutes ces questions ? S’il te plaît, aime-moi. Viens. Viens me faire l’amour.
— Tu n’as pas envie de moi. Pas vraiment. Tu essayes seulement d’être gentille.
— J’essaye de… de te rendre heureux, Dick. Si tu savais comme je… comme j’ai mal.
— Quoi ?
Elle ne répondit pas. Elle cambra ses reins impudiquement et tenta à nouveau de l’attirer vers son ventre. Il se leva du lit.
— Dick, Dick, je t’avais averti de ne pas y aller ! Je t’avais dit que j’avais un mauvais pressentiment. Que je craignais pour toi autre chose que la mort.
— Dis-moi ce qui te fait souffrir.
— Je ne peux pas. Je… ne sais pas.
— Tu mens ! Quand as-tu ressenti les premiers symptômes de ton mal ?
— Ce matin. En me levant.
— Tu mens encore ! Tu dois me dire la vérité. Tu entends ?
— Fais-moi l’amour, Dick. Je ne peux plus attendre ! J’ai…
— Tu as quoi ?
— Je ne… je ne peux pas supporter.
— Qu’est-ce que tu ne peux pas supporter ?
— Rien. Rien.
Elle bondit du lit et vint se frotter contre lui, toute tremblante, telle une chatte en chaleur. Ses yeux brûlaient et ses muscles faciaux se tendaient spasmodiquement.
Il attrapa ses poignets et les serra de toutes ses forces.
— Dis-moi ce que tu ne peux pas supporter, Maria !
Elle hoqueta. Il resserra son étreinte. Elle se tordit convulsivement en arrière, la tête ballante, sa poitrine tendue vers le plafond. Tout son corps était couvert de sueur. Sa nudité luisante enflammait Muller et le rendait fou.
— Dis-moi ! cria-t-il. Tu ne peux pas supporter quoi… ?
— … d’être près de toi, laissa-t-elle tomber dans un souffle.