XIX

Arraché à son sommeil, Sciavoni avala un verre de lait sur un comprimé de benzédrine puis enfila ses vêtements à la hâte avant de sortir d’un pas hésitant de la pièce, accompagné de l’homme de la police militaire qui l’avait éveillé.

Silverson l’attendait au rez-de-chaussée.

« Avant que vous ne parliez à l’étranger, je vous informe que Franklin a dû organiser une expédition de secours pour chercher Zwingler et ses Indiens. »

Sciavoni qui, quelques minutes encore auparavant, était plongé dans les effusions de sauce tomate d’un western italien, trouva cette information vaguement dépourvue de sens. Il se contenta de dodeliner de la tête, espérant que l’effet de la pilule ne tarderait pas à se manifester.

Tandis qu’ils se dirigeaient vers la sortie, Silverson lui murmura :

« Le fait important, c’est que là-bas, les actions terroristes se font plus dures. Nous venons d’apprendre que ces salauds ont fait sauter le quartier général du projet à Santarém. Apparemment, l’appréciation que faisaient les autorités brésiliennes de la situation étaient en deçà de la réalité. En un sens, ça nous excuse presque d’avoir fait sauter ce barrage. Disons que ça brouille les cartes. Mais nous ne savons toujours pas où sont Zwingler et l’autre type, Sole, ni même s’ils sont encore vivants…

— Je dois donc faire poireauter Ph’theri ?

— Oui, et ça ne va pas être de la tarte, soupira Silverson d’un ton compatissant. Mais ce n’est pas tout. Je crains que nos amis ne se soient un peu trop appliqués à faire sauter le barrage. L’élément le plus inquiétant est dans les renseignements qu’on m’a donnés sur le volume d’eau qui se déverse dans cette rivière. Nous craignons maintenant que le prochain barrage en aval ne soit submergé. Dans ce cas, c’est le poids des deux lacs de réserve qui va se reporter sur le barrage principal en amont de Santarém. Enfin, voilà… Disons que je n’aimerais pas être à Santarém en ce moment. »

Sciavoni passa une main agitée dans les circonvolutions tortueuses de ses cheveux. La NASA dépensait des milliards de dollars pour assurer la vie sauve à un trio d’humains à trois cent mille kilomètres de la terre. Suite à cette inflation, l’idée de protéger des vies s’était dévaluée.

« Il n’en reste pas moins, dit Silverson qui, après l’étrille, passait l’onguent, que j’ai appris que les terroristes ont fait sauter une pleine péniche de gélinite dans un bassin d’écluse à Santarém. Donc, si l’ouvrage flanche, on pourra toujours les incriminer. Et ça fera paraître plus plausible qu’ils aient aussi saboté le barrage supérieur.

— Ça va mal, ça va mal. Écoutez, Silverson. Pour l’instant, je suis incapable de me concentrer sur le problème. La seule chose que je veuille savoir, c’est où en sont Sole, Zwingler et leurs sacrés Indiens.

— Je vous ai dit ce que je savais. Franklin essaye de les repérer. Ils ont déjà une idée approximative de l’endroit. »

Cependant, sous ces étoiles qui étaient encore les siennes à lui tout seul, Ph’theri n’entendait pas attendre.

« Quarante-huit heures, dit sèchement l’étranger en levant la main. L’échéance approche.

— C’est à cause du terrain, Ph’theri. C’est terriblement difficile, dans une forêt aussi dense…

— Avez-vous la preuve formelle que le Cerveau qui s’Enchâsse existe ? Ce n’est pas la première fois que nous négocions avec une espèce qui se croit maligne.

— Vous m’offensez, Ph’theri. Nous nous donnons beaucoup de mal pour vous procurer ce cerveau.

— Et où sont les unités cervicales ordinaires ?

— Tout est là, monsieur Sciavoni, répondit Silverson avec empressement. Les Soviétiques ont livré les leurs il y a une demi-heure. Je pense que c’est l’atterrissage de leur SST qui a alerté Ph’theri.

— Bien, dit Ph’theri. Occupons-nous au moins de transborder ceux-là. Nous avons disséqué le premier corps. Nous devons encore procéder à l’excision d’un ensemble qui comprendra le cerveau, les yeux et certains éléments de la moelle épinière. Les essais et les tests qui suivront nous prendront encore vingt-quatre heures, ce qui vous donnera le temps de vous assurer de l’intelligibilité des données que nous vous communiquons. Si, entre-temps, vous n’avez toujours pas de nouvelles du Cerveau qui s’Enchâsse, nous attendrons encore vingt-quatre heures, puis nous partirons…»

Deux autres Sp’thra, ceux sans doute qui instrumentaient leurs conversations, apparurent dans l’entrée de la navette. Ils portèrent au bas de l’échelle de coupée un écran de démonstration équipé d’une petite console de contrôle et le déposèrent devant Sciavoni sur le béton.

« Les informations qui font l’objet de notre marché y sont programmées. Maintenant, à vous de nous donner les cerveaux », dit Ph’theri avec insistance.

À contrecœur, Sciavoni donna ses instructions. Peu après, les portes de verre laissèrent passer le premier des six brancards roulants chargés chacun d’une forme humaine inconsciente.

Cela fait, Sciavoni se jeta sur l’écran pour l’examiner.

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