Imaginez un océan vaste et scintillant vu d’une altitude très élevée. Il s’étend jusqu’à la courbure bien nette du monde, aux quatre coins de l’horizon, et le soleil y fait resplendir un milliard de minuscules vaguelettes. Et maintenant, imaginez au-dessus de cet océan un matelas nuageux uni qui, lui aussi, s’étend jusqu’à l’horizon, mais conservez le miroitement de la mer malgré l’absence de soleil. Piquetez ces nuages d’innombrables points lumineux à l’éclat dur éparpillés au bas de ce plafond couleur d’encre, tels des yeux lançant des éclairs, isolés, par paires ou par amas plus nombreux, mais toujours très, très loin des autres éléments.
Voilà le paysage que traversent les navires qui croisent librement dans l’hyperespace tels de microscopiques insectes, entre l’emprise du réseau énergétique et l’espace réel.
Les petites lumières dures qui scintillent sur la face inférieure de la couche nuageuse sont les étoiles ; les vagues de la mer sont les irrégularités du Réseau, sur lesquelles les vaisseaux naviguant dans l’hyperespace exercent une traction grâce à leurs champs-moteurs ; le scintillement proprement dit représente la source d’énergie de ces vaisseaux. Le Réseau et la plaine que constitue l’espace réel sont courbes, comme sont courbes l’océan et le matelas nuageux que nous avons imaginés à la surface d’une planète, mais dans une moindre mesure. Les trous noirs apparaissent sous forme de minces geysers chantournés reliant les nuages à la mer ; les supernovæ décrivent de longs éclairs lumineux dans le plafond nuageux. Quant aux astéroïdes, lunes, planètes, Orbitales, et même Anneaux et Sphères, ils ne sont tout simplement pas visibles…
Les deux Unités Offensives Rapides de classe Tueur fonçaient à travers l’hyperespace sous le filet de l’espace réel comme des poissons fins et luisants glissant dans une mare profonde et calme. Ils serpentaient entre les étoiles, entre les systèmes, en restant toujours bien en dessous des espaces vides, là où ils avaient le moins de chances de se faire repérer.
Leurs moteurs concentraient une quantité d’énergie dépassant presque l’imagination ; chacun accumulait dans ces vaisseaux de deux cents mètres de long une puissance plus ou moins égale à un pour cent de l’énergie produite par un soleil de petite taille, et ils les propulsaient à travers le vide quadridimensionnel à une vitesse légèrement inférieure à dix années-lumière à l’heure – en équivalent-espace réel. En ces temps-là, on trouvait cela particulièrement rapide.
Ils pressentirent devant eux la présence de la Falaise Scintillante et du Golfe Morne. Ils détournèrent leur course de manière à se réorienter tout droit vers le cœur de la zone de conflit, et plus précisément vers le système du Monde de Schar.
Dans les profondeurs de l’espace, ils détectèrent l’ensemble de trous noirs responsable de la création du Golfe. Ces tubulures d’énergie bouillonnante avaient traversé le secteur des millénaires plus tôt, laissant derrière elles une zone pleine d’étoiles consumées et engendrant un bras de galaxie artificiel à mesure qu’elles se dirigeaient, en décrivant une spirale étirée, vers le centre de cette île d’étoiles et de nébuleuses en lente révolution qu’était la galaxie.
Cet ensemble de trous noirs était communément appelé la Forêt, tant ils étaient proches les uns des autres, et les deux appareils de la Culture qui fonçaient à toute allure dans l’espace avaient pour consigne de se frayer un chemin entre ses troncs contorsionnés et mortels au cas où ils seraient repérés et pris en chasse. On considérait la Culture comme plus compétente que les Idirans en matière de gestion des champs ; elle avait donc plus de chances de passer au travers. D’autre part, tout poursuivant préférerait abandonner la partie plutôt que de se retrouver empêtré dans la Forêt. On prenait peur rien qu’à imaginer le risque encouru, mais les deux UOR étaient précieuses ; la Culture n’en avait pas construit beaucoup, et l’impossible devait être fait pour que ces appareils rentrent intacts au bercail ou, si le pire se produisait, pour qu’ils soient entièrement détruits.
Ils ne rencontrèrent aucun vaisseau ennemi. Ils longèrent en un éclair la face interne de la Barrière de la Sérénité, arrivèrent au bout et lâchèrent en deux courtes bordées toute la charge prescrite, puis virèrent de bord et s’éloignèrent à vitesse maximale, laissant derrière eux les étoiles de plus en plus espacées et la Falaise Scintillante pour s’enfoncer dans les cieux déserts du Golfe Morne.
Ils enregistrèrent le départ de navires ennemis qui, stationnés près du système du Monde de Schar, se lançaient à leur poursuite, mais ces derniers les avaient détectés trop tard ; ils n’eurent aucun mal à distancer le faisceau-sonde de leurs lasers de pistage. Leur mission accomplie, ils se dirigèrent vers l’autre bout du Golfe. On n’avait pas dit aux Mentaux de bord (ni à l’équipage humain réduit, présent plus par plaisir que par nécessité) pourquoi ils devaient faire sauter dans le vide des bombes fort coûteuses, expédier des décharges SOERC sur les drones-cibles de l’ennemi, lâcher des nuages d’EAM ou de gaz ordinaire et laisser sur place toute une série de petits vaisseaux-balises incapables de se propulser eux-mêmes, et qui n’étaient guère plus que des navettes non habitées, bourrées de matériel de transmission. Le but global de l’opération était de produire un petit nombre de déflagrations spectaculaires, ainsi qu’un éparpillement de noyaux de radiations et de signaux émis sur un large spectre avant que les Idirans ne viennent nettoyer les débris, et faire sauter ou arraisonner les vaisseaux-balises.
On leur avait demandé de risquer leur vie au cours d’une mission terroriste absurde apparemment destinée à convaincre la galerie qu’on s’était battu dans un endroit désert, alors qu’il n’en était rien. Et cette mission, ils s’en étaient acquittés.
Que mijotait donc la Culture ? Les Idirans semblaient adorer les missions suicides. On avait souvent l’impression que, pour eux, toute autre forme d’expédition prenait des allures d’insulte. Mais la Culture ? La Culture au sein de laquelle le mot « discipline » était tabou, même dans les forces armées, et dont les sujets voulaient toujours savoir pourquoi ceci et pourquoi cela ?
Dire qu’on en était arrivé là…
Les deux navires traversaient le Golfe à grande vitesse en échangeant des propos animés. À bord de chacun, des discussions échauffées opposaient les membres d’équipage.
Il fallut à la Turbulence Atmosphérique Claire vingt et un jours pour franchir la distance qui séparait Vavatch du Monde de Schar.
Wubslin les passa à réparer l’appareil de son mieux, mais ce dont il avait vraiment besoin, c’était une bonne révision complète. S’il demeurait structurellement sain, si les installations subvenant aux besoins vitaux des passagers fonctionnaient à peu près normalement, l’état général de ses circuits s’était dégradé, encore qu’on ne constatât aucune panne catastrophique. Les unités-gauchissement marchaient de façon un peu moins régulière qu’avant, les moteurs à fusion ne pouvaient plus fonctionner dans l’atmosphère – ils leur permettraient d’atterrir sur le Monde de Schar et d’en redécoller, mais il ne fallait pas compter sur eux pour se maintenir plus longtemps dans les airs –, et les capteurs avaient vu leur nombre et leur efficacité chuter à un niveau proche du minimum opérationnel.
Malgré tout, songeait Horza, on s’en est tirés à bon compte.
Une fois qu’il eut pris la TAC sous son contrôle, Horza put déconnecter les circuits d’identification de l’ordinateur de bord. Il ne fut pas non plus obligé de mentir à la Libre Compagnie : au fil des jours, il se métamorphosa afin de se rapprocher un tant soit peu de son apparence d’origine. Il le fit pour Yalson, et pour les autres aussi. En réalité, il adopta un compromis entre Kraiklyn et l’aspect qu’il présentait avant que la TAC n’atteigne Vavatch, dans une proportion deux tiers/un tiers. Quant au troisième tiers, s’il le laissa évoluer et s’épanouir sur son visage, ce n’était pas pour les passagers mais pour une Métamorphe appelée Kiérachell, dont il espérait qu’elle le reconnaîtrait lorsqu’ils se retrouveraient, une fois sur le Monde de Schar.
— Pourquoi as-tu cru qu’on t’en voudrait ? lui demanda un jour Yalson dans le hangar de la TAC.
Ils avaient installé un écran-cible à un bout de la salle et entrepris de tester leurs lasers. Le projecteur intégré à l’écran leur fournissait des images sur lesquelles ils devaient tirer. Horza regarda la jeune femme.
— C’était votre chef.
Yalson rit.
— C’était le patron ; combien de patrons peuvent se dire aimés de leur personnel ? Nous formons une entreprise, Horza, et même pas une entreprise qui marche, en plus ! Kraiklyn a réussi à nous obliger à tous prendre notre retraite prématurément. Le seul à qui il fallait mentir, c’était le vaisseau, merde !
— Je sais, répondit Horza en visant une silhouette humaine qui filait à toute allure sur l’écran.
Le point d’impact du laser demeura invisible, mais l’écran sut le détecter et s’illumina sur-le-champ. Touchée à la jambe, la silhouette trébucha sans tomber : demi-marque.
— C’est vrai, reprit Horza, il fallait que je leurre le vaisseau. Mais je ne voulais pas courir le risque que l’un d’entre vous déclare tout à coup sa loyauté envers Kraiklyn.
Le tour de Yalson était venu, mais c’était Horza qu’elle regardait, et non l’écran.
Les codes d’accès personnalisés du vaisseau avaient été contournés, et pour s’en adjuger le contrôle, on n’avait désormais plus besoin que du code numérique (que seul Horza possédait) ainsi que de la petite bague qu’il portait, celle qui avait appartenu à Kraiklyn. Il leur avait fait une promesse : en arrivant sur le Monde de Schar, et s’il n’y avait pas d’autre moyen de quitter la planète, il imposerait à l’ordinateur de bord d’outrepasser ses propres restrictions d’accès au bout d’un certain délai, pour que la Libre Compagnie ne se retrouve pas coincée s’il ne ressortait pas des tunnels du Complexe.
— Tu nous l’aurais dit, hein, Horza ? Je veux dire : tu aurais bien fini par nous dire la vérité, non ?
Horza comprit ce qu’elle sous-entendait : « Est-ce que tu me l’aurais dit à moi ? » Il posa son arme et la regarda droit dans les yeux.
— Pas avant d’être sûr, dit-il. Sûr du vaisseau et sûr de ses passagers.
C’était une réponse honnête, mais était-ce la meilleure ? Il voulait garder Yalson ; ce n’était pas seulement sa chaleur qu’il voulait, sa chaleur dans la nuit rouge du vaisseau, mais aussi sa confiance, son affection. Or, elle restait distante.
Balvéda était toujours en vie, ce qui ne serait peut-être pas arrivé si Horza n’avait cherché à conserver la considération de Yalson. Il en avait parfaitement conscience, et cette idée ne manquait pas de l’emplir d’amertume. Il se trouvait cruel, minable. Mais il aurait tout de même préféré en être sûr plutôt que se retrouver constamment confronté à cette maudite incertitude. Il n’aurait su dire si la logique dépassionnée du jeu auquel ils jouaient voulait que la femme de la Culture périsse ou bien qu’elle reste en vie, ni même si – étant donné que la première solution semblait confortablement évidente – il aurait été capable de la tuer de sang-froid. Il y avait longuement réfléchi, mais ne savait toujours pas répondre. Il espérait seulement que les deux femmes ignoraient l’une comme l’autre tout ce qui avait pu lui traverser l’esprit à ce sujet.
Kiérachell constituait pour lui un autre sujet d’inquiétude. Il était absurde de se préoccuper de questions aussi personnelles en un moment pareil, il le savait, mais il ne pouvait s’empêcher de penser à son amie Métamorphe ; plus ils approchaient du Monde de Schar, plus elle lui revenait en tête, et plus ses souvenirs s’avivaient. Il s’efforça de ne pas s’en faire un tableau trop idéalisé, de se remémorer l’ennui qui régnait dans cet avant-poste Métamorphe isolé et l’impatience qui s’était peu à peu emparée de lui, malgré la compagnie de Kiérachell ; mais il rêvait quand même de son sourire nonchalant et se rappelait sa voix grave nimbée d’une grâce fluide avec une trace de ce déchirement que ressentent les jeunes gens qui tombent amoureux pour la première fois. De temps à autre, il craignait que Yalson ne se doute de quelque chose et, dans ces moments-là, il sentait une partie de lui-même se recroqueviller sous le coup de la honte.
Yalson haussa les épaules, cala son arme contre son épaule et tira sur l’ombre quadrupède qui se profilait sur l’écran. Celle-ci s’immobilisa brusquement puis s’affala et parut se dissoudre dans la bande de terrain ombragé qui formait le bas de l’écran.
Horza organisait des tables rondes.
Cela lui donnait l’impression d’être un conférencier en tournée dans les universités, mais il n’y avait pas d’autre façon de voir les choses. Il se sentait obligé d’exposer ses motivations aux autres, les raisons pour lesquelles les Métamorphes se rangeaient du côté des Idirans, ce qui le poussait, lui, à croire en leur combat. Il appelait ces réunions « briefings » ; officiellement, elles avaient pour objet le Monde de Schar, son Complexe de Commandement, son histoire, sa géographie et ainsi de suite, mais toujours il en revenait – délibérément – à la guerre en général, ou à des aspects de celle-ci qui n’avaient aucun rapport avec la planète dont ils se rapprochaient.
Ces briefings lui fournissaient un prétexte idéal pour consigner Balvéda dans sa cabine pendant qu’il arpentait le réfectoire en haranguant les membres de la Libre Compagnie ; il ne voulait pas que ces séances tournent au pugilat.
Pérosteck Balvéda ne leur avait causé aucun ennui. On avait jeté par-dessus bord sa combinaison, quelques bijoux d’apparence inoffensive et une poignée d’objets personnels divers, le tout par l’intermédiaire d’un vactube. On l’avait examinée sous toutes les coutures grâce aux appareils dont était chichement équipée l’infirmerie de la TAC, mais on n’avait rien trouvé. Manifestement contente de se comporter en bonne prisonnière bien sage, elle était enfermée, certes, mais, en fin de compte, pas plus que les autres, claquemurés comme elle à l’intérieur de ce vaisseau ; excepté la nuit, elle n’était que rarement bouclée dans sa cabine. Par mesure de précaution, Horza ne la laissait pas approcher de la passerelle, mais de toute façon, elle ne semblait pas chercher à se familiariser avec le vaisseau comme il l’avait fait lui-même au début de son séjour à bord. Elle n’essaya même pas de rallier un ou plusieurs des mercenaires à ses vues sur la guerre et sur la Culture.
Horza se demanda dans quelle mesure elle se sentait en sécurité. Balvéda était d’une compagnie agréable et ne paraissait pas s’en faire outre mesure ; mais de temps en temps, en la regardant, il croyait fugitivement discerner en elle un soupçon de tension intérieure, peut-être même de désespoir. D’un côté, il en retirait quelque soulagement ; mais, de l’autre, il se sentait à nouveau mal à l’aise et se trouvait cruel, comme le jour où il s’était interrogé sur les raisons qui l’avaient incité à lui laisser la vie. Parfois, il avait tout simplement peur d’arriver sur le Monde de Schar mais, petit à petit, à mesure que le voyage se poursuivait, interminable, il en vint à attendre avec impatience le moment de passer enfin à l’action, la fin de cette période de réflexion.
Il appela un jour Balvéda dans sa cabine, après le repas pris en commun au mess. Elle prit place sur le siège bas qu’il avait lui-même occupé le jour où Kraiklyn l’avait convoqué peu de temps après son arrivée.
Balvéda était sereine. Elle s’assit avec grâce, et son corps élancé fut instantanément détendu, prêt pour la suite des événements. Elle tourna vers lui sa tête fine aux formes douces où brûlaient deux yeux d’un noir profond, et sa chevelure rousse – qui à présent virait au noir – se mit à luire sous l’éclairage de la cabine.
— Vous m’avez fait demander, commandant Horza ? fit-elle en croisant sur ses genoux ses mains aux longs doigts fuselés.
Elle portait une longue robe bleue, le vêtement le plus simple qu’elle ait pu trouver à bord, et qui avait jadis appartenu à Gow.
— Bonjour, Balvéda, répondit-il en se rasseyant sur le lit.
Lui-même était vêtu d’une tunique ample. Les deux premiers jours il avait gardé sa combinaison, mais si celle-ci demeurait relativement confortable, elle n’en était pas moins encombrante dans les couloirs exigus de la Turbulence ; aussi l’avait-il mise de côté jusqu’à la fin du voyage.
Il fut sur le point de lui offrir à boire mais, peut-être parce que Kraiklyn en avait fait autant avec lui, il se ravisa.
— C’est à quel sujet, Horza ? insista Balvéda.
— Je voulais simplement… savoir comment tu allais.
Il avait essayé de préparer l’entrevue, de trouver les mots qu’il fallait pour l’assurer qu’elle ne courait aucun danger, qu’il avait de l’affection pour elle et que, cette fois, il en était sûr, elle risquait tout au plus d’être internée quelque part, peut-être échangée contre quelqu’un d’autre ; mais les mots ne venaient pas.
— Je vais bien, répondit-elle en se passant la main sur le crâne et en jetant de rapides regards en tous sens. Je m’efforce de me conduire en prisonnière modèle afin de ne pas te donner de prétexte pour me balancer par-dessus bord.
Elle sourit, mais là encore il pressentit un malaise. Il se sentit toutefois soulagé.
— Aucun risque, fit-il en riant, et sa tête se renversa en arrière. Je n’ai nullement l’intention de faire une chose pareille. Tu n’as rien à craindre.
— Jusqu’à ce qu’on atteigne le Monde de Schar ? interrogea-t-elle calmement.
— Tu n’as pas non plus à redouter la suite.
Les yeux baissés, Balvéda battit lentement des paupières. Puis elle releva la tête.
— Hmm… Eh bien soit.
— Je suis sûr que tu ferais la même chose pour moi, reprit-il en haussant les épaules.
— Je… je le crois aussi, répondit-elle sans que Horza puisse déterminer si elle mentait ou non. Je regrette simplement que nous ne soyons pas dans le même camp.
— Il est regrettable que nous soyons tous dans des camps différents, Balvéda.
— Ma foi, fit-elle en joignant à nouveau les mains sur ses genoux, il existe une théorie qui prétend que le camp dans lequel nous estimons nous trouver est celui qui finira par triompher.
— De quel camp s’agit-il ? demanda Horza en souriant. Celui de la vérité, de la justice ?
— Ni l’un ni l’autre, en fait. (Elle sourit sans le regarder.) C’est tout bêtement le camp… (Un haussement d’épaules.) Le camp de la vie. Cette fameuse évolution dont tu parlais. Tu disais que la Culture s’était enlisée, qu’elle avait atteint le fond de l’impasse. Dans ce cas, peut-être allons-nous perdre, en fin de compte.
— Ça alors, mais je vais finir par te rallier à la cause des bons contre les méchants, Pérosteck, lança-t-il d’un ton un tout petit peu trop cordial.
Elle eut un mince sourire, puis ouvrit la bouche pour répondre, mais se ravisa et regarda ses mains. Horza chercha comment poursuivre la conversation.
Un soir, alors qu’il leur restait six jours de voyage – l’étoile du système brillait d’un bel éclat devant eux, même en mode normal –, Yalson vint le retrouver dans sa cabine.
Il ne s’y attendait pas, et les petits coups qu’elle frappa à sa porte le tirèrent de l’état intermédiaire entre la veille et le sommeil où il était plongé, en l’inondant d’une sueur froide qui le laissa momentanément désorienté. Puis il la vit s’afficher sur l’écran de la porte et lui ouvrit. Elle entra en toute hâte, referma la porte et vint le serrer dans ses bras, sans un mot. Lui restait planté là, cherchant à se réveiller tout à fait et à comprendre ce qui lui arrivait. Comment en étaient-ils arrivés là ? Il n’avait remarqué aucune montée de tension entre eux, pas le moindre signe, nulle allusion, rien…
Yalson avait passé la journée dans le hangar à faire des exercices, avec sur le corps toute une série de petits capteurs. Il l’avait vue peiner, transpirer, s’épuiser en examinant d’un œil critique ses cadrans et autres écrans de contrôle, comme si son corps était une machine comparable au vaisseau et qu’elle le mît à l’épreuve au risque de le détruire.
Ils passèrent la nuit ensemble. Mais, comme pour confirmer les efforts qu’elle s’était imposés pendant la journée, Yalson sombra presque aussitôt couchée ; elle s’endormit là, dans ses bras, tandis qu’il la couvrait de baisers et de câlineries, heureux de sentir à nouveau l’odeur de sa peau après une séparation dont il avait l’impression qu’elle avait duré des mois. Il resta longtemps éveillé à l’écouter respirer, à la sentir remuer très légèrement dans ses bras, à écouter les battements de son cœur se faire de plus en plus lents à mesure qu’elle s’enfonçait dans le sommeil.
Au matin ils firent l’amour, puis, en la serrant contre elle pendant que la sueur séchait sur leurs corps et que leurs cœurs ralentissaient, il lui demanda :
— Pourquoi ? Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?
Le vaisseau bourdonnait faiblement tout autour d’eux.
Elle l’étreignit encore plus fort et secoua la tête.
— Rien, répondit-elle, rien de particulier. Rien d’important. (Il sentit son haussement d’épaules ; elle détourna la tête vers la cloison vibrante de la cabine et l’enfouit au creux du bras de Horza. D’une toute petite voix elle ajouta :) Tout. Le Monde de Schar.
Il restait trois jours de voyage ; dans le hangar, Horza regardait les membres de la Libre Compagnie s’entraîner au tir sur l’écran de simulation. Neisin s’abstenait, pour la bonne raison qu’il refusait catégoriquement de se servir de lasers après ce qui s’était passé au Temple de la Lumière. À Évanauth, au cours de ses rares périodes de sobriété, il s’était reconstitué un stock de chargeurs de micro-projectiles.
Après l’entraînement au tir, Horza demanda à chacun des mercenaires de tester son harnais anti-g. Kraiklyn en avait acquis tout un lot à bon compte, en insistant pour que les membres dont la combinaison était dépourvue d’unité anti-g lui en rachètent un – à prix coûtant, selon ses dires. Horza s’était tout d’abord montré sceptique, mais les unités semblaient en bon état et s’avéreraient certainement utiles pour l’exploration des puits les plus profonds du Complexe de Commandement.
Il était à présent rassuré : s’il le fallait, les mercenaires le suivraient dans les entrailles du Complexe. Après l’inaction prolongée qui avait suivi les événements spectaculaires de Vavatch, plus la routine assommante à laquelle se résumait la vie à bord de la Turbulence Atmosphérique Claire, ils aspiraient à quelque chose de plus passionnant. Tel que le leur avait (honnêtement) décrit Horza, le Monde de Schar semblait assez prometteur. Au moins, il était peu probable qu’on ait à se battre ; personne (y compris le Mental que Horza devait chercher, et qu’ils l’aideraient peut-être à trouver) n’allait se mettre à tirer dans tous les coins. Pas avec un Dra’Azon dans les parages.
Le soleil qui régnait sur le système du Monde de Schar resplendissait devant eux, plus que tout autre objet céleste. La Falaise Scintillante n’était pas visible, car ils se trouvaient toujours à l’intérieur du bras spiral, orientés vers l’extérieur ; toutefois, on remarquait aisément que les étoiles étaient soit très éloignées, soit très proches. Entre les deux, c’était le désert.
Horza avait modifié à plusieurs reprises la trajectoire de la TAC tout en la maintenant dans une direction générale qui, sauf s’ils changeaient abruptement de cap à un moment donné, les amènerait à moins de deux années-lumière de la planète. Il s’apprêtait à virer de bord le lendemain et à amorcer la descente. Jusqu’alors, le voyage s’était déroulé sans incident. Ils avaient traversé les champs d’étoiles éparses sans rien rencontrer qui sorte de l’ordinaire : ni messages ni signaux, nulle déflagration lointaine annonçant quelque affrontement, nul sillage trahissant un vaisseau en gauchissement. Le secteur semblait calme, sans perturbation aucune, comme s’il ne se passait rien d’inhabituel : les étoiles naissaient et mouraient, la galaxie accomplissait sa révolution, les trous noirs se convulsaient, les gaz tourbillonnaient. La guerre, dans le silence qu’ils traversaient à grande vitesse et dans le rythme jour-nuit artificiel qui composait leur environnement factice, la guerre semblait être le produit de leur imagination collective, une espèce de cauchemar inexplicable que, pour une raison ou pour une autre, ils avaient partagé, ou peut-être fui.
Horza avait cependant programmé le vaisseau pour rester aux aguets et donner l’alarme au premier signe de complications. Il était peu probable qu’ils rencontrent quoi que ce soit avant d’arriver à la Barrière de la Sérénité, mais si tout y était aussi calme et paisible que le sous-entendait ce nom, il envisageait de ne pas foncer tout droit sur la planète. Dans l’idéal, il aurait voulu rejoindre les éléments de la flotte idirane censément présents dans le secteur, ce qui résoudrait la plupart de ses problèmes. Il leur remettrait Balvéda, s’assurerait que Yalson et les autres ne risquaient rien, leur donnerait la TAC et prendrait livraison du matériel spécial promis par Xoralundra.
Ce scénario lui permettrait également de rencontrer Kiérachell seul à seule, sans la gêne que pouvaient représenter les autres mercenaires. Il pourrait être lui-même, sans concession envers le Métamorphe que connaissaient Yalson et la Libre Compagnie.
Deux jours avant la fin du voyage, la sonnerie d’alarme du vaisseau retentit. Horza sommeillait dans son lit ; il sortit en courant de sa cabine et se précipita vers la passerelle.
Dans le volume d’espace qui s’étendait devant eux, on aurait dit que se déchaînait toute la fureur de l’enfer. Ils furent submergés par un flot de lumière signalant une annihilation : les radiations caractéristiques des armes qui explosaient. Elles furent analysées par les capteurs du vaisseau. Tantôt pures, tantôt mixtes, elles permettaient de repérer les missiles qui explosaient tout seuls et ceux qui sautaient en entrant en contact avec un autre objet. La substance même de l’espace tridimensionnel tressaillait sous l’impact des décharges de gauchissement et forçait le pilote automatique de la TAC à désengager ses moteurs toutes les quatre ou cinq secondes afin qu’ils ne soient pas endommagés par les ondes de choc. Horza boucla ses sangles et coupa tous les systèmes auxiliaires. Wubslin apparut dans l’encadrement de la porte menant au mess.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Une bataille, apparemment, répondit Horza en surveillant les écrans.
Le volume d’espace concerné se trouvait à peu près entre eux et le Monde de Schar ; l’itinéraire direct depuis Vavatch le traversait de part en part. La TAC se trouvait à une année-lumière et demie du théâtre des hostilités, donc trop loin pour se faire repérer (sauf par un scanner-sonde à faisceau étroit), ce qui leur garantissait une certaine sécurité ; mais en observant les lointaines bouffées de radiations et en sentant la Turbulence chevaucher les moutonnements de l’espace perturbé, Horza eut tout à coup la nausée ; il avait la sensation d’être vaincu d’avance.
— Sphère-message, annonça Wubslin en indiquant l’écran d’un mouvement de tête.
En effet, un signal se distinguait progressivement du bruit de fond des radiations ; les mots se formaient par grappes de lettres, tel un champ où petit à petit poussent et fleurissent des plantes. Après quelques hésitations, le signal – qui n’était pas seulement brouillé par le bruit de fond de la bataille, mais volontairement crypté – fut suffisamment complet pour que le message devienne lisible.
APPAREIL TURBULENCE ATMOSPHÉRIQUE CLAIRE. JONCTION AVEC UNITÉS QUATRE-VINGT-TREIZIÈME FLOTTE.
DESTINATION/S. 591134.45 MID. AUCUN DANGER.
— Zut, souffla Horza.
— Ça veut dire quoi ? interrogea Wubslin, qui se mit à entrer les chiffres fournis par l’écran dans l’ordinateur de navigation. Oh ! fit-il en se rasseyant. Ce sont les coordonnées d’une étoile voisine. Je suppose qu’ils veulent qu’on se rejoigne à mi-chemin entre elle et…
Il reporta son regard sur l’écran principal.
— C’est ça, fit Horza en contemplant le signal d’un œil attristé.
Ce devait être un faux. Rien ne prouvait que ce message émanât bien des Idirans : ni chiffre, ni code de classe, ni vaisseau-source, ni signataire ; rien qui vînt l’authentifier.
— C’est les types à trois pattes qui nous envoient ça ? demanda encore Wubslin. (Il appela un affichage holo sur un autre écran, où apparurent des étoiles entourées par un fin réseau de cercles concentriques de couleur verte.) Hé ! Mais on n’en est plus très loin !
— Ah bon ? s’enquit Horza, qui ne quittait pas des yeux les incessantes explosions de lumière engendrées par la bataille.
Il entra quelques chiffres dans le système de pilotage de la TAC, qui détourna aussitôt son nez pour serrer de plus près la direction du Monde de Schar. Wubslin regarda le Métamorphe.
— Tu crois que ça ne vient pas vraiment d’eux ?
— Non. (Les radiations s’affaiblissaient. L’affrontement semblait toucher à sa fin ou tout au moins marquer une pause.) M’est avis que si on se pointe au rendez-vous, on va se retrouver nez à nez avec une UCG… ou un nuage d’EAM.
— D’EAM ? Tu veux dire le truc avec lequel ils ont réduit Vavatch en poussière ? (Wubslin eut un sifflement admiratif.) Eh bien, non merci.
Horza éteignit l’écran où s’affichait le message.
Moins d’une heure plus tard, tout recommença : sphères de radiations, perturbations résultant de gauchissements, et cette fois-ci il y eut deux messages, l’un demandant à la TAC de ne pas tenir compte du premier, l’autre fixant un nouveau point de rendez-vous. Tous deux semblaient authentiques, tous deux comportaient le mot « Xoralundra ». Mâchant toujours la bouchée qu’il s’apprêtait à avaler au moment où l’alarme avait été donnée pour la deuxième fois, Horza poussa un juron. Un troisième message apparut ; personnellement adressé au Métamorphe, il l’enjoignait de ne pas tenir compte des deux précédents signaux et indiquait à la TAC les coordonnées d’un nouveau point de rendez-vous.
Horza lança un cri de rage et des bribes de nourriture mâchonnée atterrirent sur l’écran de contrôle. Puis il éteignit le communicateur à large spectre et retourna au mess.
— Quand est-ce qu’on arrive à la Barrière de la Sérénité ?
— Dans quelques heures. Une demi-journée au plus.
— Tu es inquiet ?
— Mais non. J’y suis déjà allé. Et toi ?
— Si tu dis que tout ira bien, je te crois.
— Tout devrait bien se passer.
— Tu connais encore des gens là-bas ?
— Je n’en suis pas certain. Il y a de cela plusieurs années. On ne renouvelle pas très souvent le personnel, mais il y a des gens qui s’en vont d’eux-mêmes. Non, vraiment, je ne sais pas. On verra bien.
— Il y a bien longtemps que tu n’as pas vu de membres de ton espèce, n’est-ce pas ?
— C’est vrai. Depuis que je suis parti de là-bas.
— Tu n’es pas impatient de retrouver les tiens ?
— Peut-être.
— Horza… Écoute, je sais bien qu’on ne doit pas poser de questions à l’autre… sur tout ce qui a précédé notre rencontre à bord de la TAC, toi et moi ; c’est moi-même qui te l’avais demandé. Mais ça, c’était avant… Beaucoup de choses ont changé depuis, et…
— C’était pourtant entendu comme ça, non ?
— Tu veux dire que tu ne veux toujours pas en parler ?
— Possible. Je ne sais pas. Tu veux me poser des questions sur… ?
— Non. (Elle lui posa la main sur les lèvres. Il en sentit le contact dans l’obscurité.) Non, ce n’est pas la peine. Je m’en moque, ça n’a pas d’importance.
Il prit place dans le siège central. Wubslin occupait celui du mécanicien de bord, à sa droite, Yalson étant assise à sa gauche. Les autres s’entassaient derrière. Horza avait autorisé Balvéda à se joindre à eux : il ne voyait pas vraiment comment elle aurait pu agir sur les événements qui les attendaient maintenant. Quant au drone, il flottait au plafond.
La Barrière de la Sérénité se rapprochait. Elle leur présentait droit devant un champ-miroir d’une journée-lumière de diamètre environ, brusquement apparu sur l’écran alors qu’ils se trouvaient à une heure de la barrière proprement dite. Wubslin craignait qu’il ne dévoilât leur position, mais Horza, lui, savait que le champ-miroir n’existait que pour les capteurs de la TAC. Ces derniers étaient les seuls capables de percevoir quoi que ce fût à cet endroit-là.
À cinq minutes de distance, tous les écrans devinrent noirs. Horza avait averti les autres, mais ne s’en sentit pas moins anxieux et comme frappé de cécité lorsque cela se produisit.
— Tu es sûr que c’est normal ? demanda Aviger.
— C’est le contraire qui m’inquiéterait, lui dit Horza.
Quelque part derrière lui, le vieil homme remua.
— Je trouve ça incroyable, dit Dorolow. Cette créature est quasiment un dieu. Je suis sûre qu’elle sait percevoir notre état d’esprit, nos pensées. Je le sens déjà.
— En réalité, il s’agit simplement d’un ensemble d’éléments autoréférentiels qui…
— Balvéda ! coupa Horza en se retournant vers la femme de la Culture.
Celle-ci s’interrompit et plaqua une main sur sa bouche. Ses yeux lançaient des éclairs. Horza revint à l’écran vide.
— Quand est-ce que ce truc va…, commença Yalson.
À APPAREIL NON IDENTIFIÉ, afficha l’écran en toutes sortes de langues.
— Ça y est, dit Neisin, que Dorolow fit instantanément taire.
— Présent ! fit Horza en marain dans le communicateur à faisceau étroit.
Les autres langues disparurent de l’écran.
VOUS APPROCHEZ DE LA PLANÈTE APPELÉE MONDE DE SCHAR, PLANÈTE DES MORTS DES DRA’AZON. ACCÈS LIMITÉ AU-DELÀ DE CE POINT.
— Je sais. Mon nom est Bora Horza Gobuchul. Je désire revenir sur le Monde de Schar pour une courte période. J’en dépose respectueusement la requête.
— Beau parleur ! jeta Balvéda.
Horza lui décocha un bref regard. Le communicateur ne transmettait que ses propres paroles, mais la jeune femme ne devait pas oublier son statut de prisonnière.
VOUS ÊTES DÉJÀ VENU.
Horza ne réussit pas à déterminer s’il s’agissait ou non d’une question qui lui était posée.
— Je suis déjà venu sur le Monde de Schar, confirma-t-il. Je faisais partie des sentinelles Métamorphes.
Il lui parut inutile d’apporter une précision de nature temporelle ; pour les Dra’Azon, tout était « maintenant », encore que leur langue comportât des temps grammaticaux. L’écran devint vierge, puis répéta :
VOUS ÊTES DÉJÀ VENU.
Horza fronça les sourcils et se demanda ce qu’il fallait répondre. Balvéda marmotta :
— Manifestement sénile, irrécupérable.
— Je suis déjà venu, reprit Horza.
Le Dra’Azon sous-entendait-il que, puisqu’il était déjà venu, il n’avait plus droit de cité sur le Monde de Schar ?
— Je sens la créature, je sens sa présence, chuchota Dorolow.
IL Y A D’AUTRES HUMAINS AVEC VOUS.
— Merci beaucoup, commenta le drone Unaha-Closp, quelque part au plafond.
— Vous voyez ? dit Dorolow d’une voix presque larmoyante.
Horza entendit Balvéda émettre un reniflement de mépris. Dorolow oscilla légèrement ; Aviger et Neisin durent la retenir et l’empêcher de tomber.
— Je n’ai pas pu les déposer en chemin, déclara Horza. Je sollicite votre indulgence. Si nécessaire, ils demeureront à bord de ce navire.
CE NE SONT PAS DES SENTINELLES. ILS APPARTIENNENT À UNE AUTRE ESPÈCE HUMANOÏDE.
— Moi seul dois atterrir sur le Monde de Schar.
L’ACCÈS EST LIMITÉ.
Horza soupira.
— Je demande pour moi seul la permission d’atterrir.
POURQUOI VENEZ-VOUS SUR LE MONDE DE SCHAR ?
Horza hésita. Il entendit Balvéda renifler à nouveau, puis répondit :
— Je suis à la recherche d’un être qui s’y trouve.
QUE RECHERCHENT LES AUTRES ?
— Ils ne cherchent rien. Ils m’accompagnent.
ILS SONT LÀ.
— Ils… (Horza s’humecta les lèvres. Ce qu’il avait préparé en vue de ce moment, ses réflexions préliminaires, tout se révélait vain.) Ils ne sont pas là de leur plein gré. Mais je n’avais pas le choix. Il fallait que je les emmène avec moi. Si vous le désirez, ils resteront à bord de cet appareil, en orbite autour du Monde de Schar, ou plus loin encore dans la zone de la Barrière de la Sérénité. J’ai une combinaison, je peux donc…
ILS SONT ICI CONTRE LEUR VOLONTÉ.
Horza n’avait encore jamais vu de Dra’Azon couper la parole à son interlocuteur. Ce n’était peut-être pas de bon augure.
— Les… circonstances sont… complexes. Certaines espèces de la galaxie sont en guerre. Les possibilités se font rares. On fait des choses qu’on n’envisagerait même pas en temps normal.
LA MORT EST ICI.
Horza fixa les mots inscrits sur l’écran. Il avait l’impression qu’ils le clouaient sur place. Le silence régna quelques instants sur la passerelle. Puis il entendit deux ou trois de ses compagnons remuer gauchement derrière lui.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? s’enquit le drone Unaha-Closp.
— Euh… Ah bon ? fit Horza.
La phrase, rédigée en marain, se maintint sur l’écran. Wubslin pianota sur son côté du tableau de bord, actionnant des boutons qui, en temps normal, auraient dû contrôler l’affichage de ses écrans ; or, ceux-ci répétaient tous le message de l’écran principal. Le mécanicien était crispé sur son siège. Horza s’éclaircit la voix et dit :
— On s’est battu non loin d’ici. Il y a eu un affrontement. Juste avant notre arrivée. Il dure peut-être encore. La mort s’y trouve peut-être.
LA MORT EST ICI.
— Ooh…, fit Dorolow avant de s’affaisser dans les bras de Neisin et Aviger.
— On devrait la transporter au mess, fit Aviger en regardant Neisin. Il faut l’allonger.
— Bon, très bien, répondit ce dernier en examinant rapidement le visage de la jeune femme.
Dorolow paraissait inconsciente.
— Je suis peut-être en mesure de…, commença Horza. (Puis il expira profondément.) Si la mort est là, je peux peut-être l’arrêter. Je peux peut-être empêcher qu’elle progresse.
BORA HORZA GOBUCHUL.
— Oui ? s’étrangla Horza.
Aviger et Neisin transportèrent le corps inerte de Dorolow dans la coursive menant au mess. L’écran se modifia :
VOUS ÊTES À LA RECHERCHE DE LA MACHINE RÉFUGIÉE.
— Ha-ha ! fit Balvéda en se détournant et en cachant son sourire derrière sa main.
— Merde ! fit Yalson.
— Notre dieu n’est pas si bête que ça, finalement, observa Unaha-Closp.
— Oui, déclara sèchement Horza. (À quoi bon jouer la comédie maintenant ?) En effet, c’est vrai. Mais je crois…
VOUS POUVEZ APPROCHER.
— Comment ! s’exclama le drone.
— Youpi ! fit Yalson en croisant les bras et en s’adossant à la cloison.
Neisin revint et s’immobilisa en apercevant l’écran.
— Ça a été rapide, constata-t-il en s’adressant à la jeune femme. Qu’est-ce qu’il a dit pour obtenir ce résultat ?
Yalson se contenta de secouer la tête. Horza se sentit infiniment soulagé. Il examinait tour à tour chacun des mots inscrits sur l’écran comme s’il craignait que ce message laconique ne contienne quelque part une négation cachée. Puis il sourit et dit :
— Merci. Dois-je atterrir seul ?
VOUS POUVEZ APPROCHER.
LA MORT EST ICI.
CECI EST UN AVERTISSEMENT.
— Quel genre de mort ? s’enquit Horza. (La sensation de soulagement s’évanouit ; les déclarations du Dra’Azon à propos de la mort lui faisaient froid dans le dos.) Où est-elle ? Qui frappe-t-elle ?
L’écran se modifia à nouveau : les deux premières lignes disparurent. On lisait à présent, tout simplement :
CECI EST UN AVERTISSEMENT.
— Personnellement, déclara lentement Unaha-Closp, je n’aime pas beaucoup ça.
Sur quoi les écrans revinrent à la normale. Wubslin soupira et se décontracta. Le soleil du système auquel appartenait le Monde de Schar étincelait devant eux, à moins d’une année-lumière standard de distance. Horza chercha les chiffres exacts sur l’ordinateur de navigation, dont le moniteur venait de reprendre vie en même temps que les autres pour afficher ses séries de nombres, ses graphiques et ses hologrammes. Puis le Métamorphe s’enfonça dans son siège.
— On est passés, fit-il. On est bel et bien de l’autre côté de la Barrière de la Sérénité.
— Alors rien ne peut plus nous atteindre, c’est ça ? demanda Neisin.
Horza contempla sur l’écran l’unique naine jaune, qui se manifestait en son centre sous la forme d’un point lumineux à l’éclat stable et vif ; quant aux planètes, elles étaient encore invisibles. Il acquiesça.
— Non, rien. En tout cas, rien qui se trouve à l’extérieur.
— Formidable. Je crois que je vais fêter ça en buvant quelque chose.
Neisin adressa un hochement de tête à Yalson, puis pivota afin d’engager sa silhouette longiligne dans l’encadrement de la porte.
— Qu’est-ce que ça voulait dire, d’après toi ? Que tu es le seul à pouvoir atterrir ou qu’on peut tous y aller avec toi ? interrogea Yalson.
Sans quitter l’écran des yeux, Horza secoua la tête.
— Je l’ignore. On va se placer en orbite, puis contacter la base Métamorphe juste avant d’entrer dans l’atmosphère. Si ça ne plaît pas à M. Maître-à-bord, il nous le fera bien savoir.
— Tu as donc décrété qu’il était de sexe mâle, remarqua Balvéda juste au moment où Yalson demandait :
— Pourquoi ne pas les contacter maintenant ?
— Cette histoire de mort ne me dit rien qui vaille.
Il se tourna vers la jeune femme. Balvéda se tenait à ses côtés ; quant au drone, il s’était légèrement abaissé pour rester suspendu à hauteur d’yeux.
— Simple précaution. Je ne veux rien révéler prématurément. (Il reporta son regard sur la femme de la Culture.) Aux dernières nouvelles, la transmission périodique en provenance du Monde de Schar était prévue pour arriver il y a quelques jours. Tu ne saurais pas par hasard si quelqu’un l’a captée ?
Il sourit à Balvéda, l’air de ne pas vraiment attendre de réponse, ou tout au moins de réponse fiable. Elle garda les yeux fixés au plancher ; puis elle regarda Horza, qui crut la voir hausser les épaules.
— Si, répondit-elle. Je sais. Elle n’a pas eu lieu.
Horza continua de la regarder fixement. L’autre ne baissa pas les yeux. Yalson les observait tour à tour. Au bout d’un moment, le drone Unaha-Closp annonça :
— Franchement, tout ceci ne m’inspire guère confiance. À mon avis, nous devrions… (Il surprit le regard noir que lui lança Horza et s’interrompit.) Hmm… bref, peu importe pour l’instant, reprit-il avant de s’éloigner latéralement en direction de la porte, par laquelle il disparut.
— On dirait que tout va bien, déclara Wubslin, qui ne semblait s’adresser à personne en particulier. Oui, tout est normal à bord, maintenant.
Il se retourna et sourit aux trois autres.
Ils étaient venus le chercher. Il se trouvait dans un gymnase, en train de jouer au flotteballe. Il se croyait en sécurité, entouré d’amis de toutes parts (l’espace d’une seconde, ceux-ci parurent voleter devant lui tel un nuage d’insectes, puis il repoussa cette vision en éclatant de rire, attrapa le ballon, le lança et marqua un point). Mais c’était là qu’ils étaient venus le chercher. Il les avait vus arriver ; ils étaient deux. Ils avaient surgi dans le gymnase sphérique aux parois nervurées, sur le seuil d’une ouverture donnant sur un étroit conduit d’aération. Ils portaient des capes d’une couleur indéfinissable et étaient venus tout droit vers lui. Il avait voulu s’envoler, mais son harnais moteur ne répondait plus. Il était bloqué dans les airs, incapable de se déplacer dans quelque direction que ce fût. Il tenta de battre des bras et de se dégager de son harnais pour pouvoir le leur lancer au visage – peut-être dans l’espoir de les atteindre, mais surtout pour se propulser dans la direction opposée… Mais, à ce moment-là, ils s’emparèrent de lui.
Autour de lui, personne ne semblait avoir rien remarqué ; alors il se rendit brusquement compte que ces gens n’étaient pas ses amis, qu’en fait il n’en connaissait pas un seul. Ils le prirent par les bras et, en un clin d’œil, sans rien longer ni traverser mais en lui faisant tout de même sentir qu’il avait emprunté un passage invisible tournant à angle droit et qui était toujours là, encore qu’invisible, ils se retrouvèrent dans une zone de ténèbres. Il détourna les yeux, et leurs capes sans couleur définie apparurent dans l’obscurité. Il était impuissant, comme prisonnier de la pierre, mais il pouvait voir et respirer.
— Au secours !
— Nous ne sommes pas ici pour te porter secours.
— Qui êtes-vous ?
— Tu le sais très bien.
— Mais pas du tout !
— Alors, nous ne pouvons pas te le dire.
— Qu’est-ce que vous me voulez ?
— C’est toi que nous voulons.
— Pourquoi ?
— Pourquoi pas ?
— Mais pourquoi moi ?
— Tu n’as personne.
— Quoi ?
— Tu n’as personne.
— Que voulez-vous dire ?
— Pas de famille, pas d’amis…
— … ni religion ni croyances…
— Ce n’est pas vrai !
— Comment peux-tu le savoir ?
— Je crois en…
— En quoi ?
— En moi !
— Cela ne suffit pas.
— De toute façon, tu ne le trouveras jamais.
— Hein ? Trouver quoi ?
— Assez. Procédons.
— Qu’allez-vous me faire ?
— Te prendre ton nom.
— Je…
Alors ils vinrent tous deux fouiller dans son crâne, et ils lui prirent son nom.
Il hurla.
— Horza !
Yalson lui secoua la tête, qui alla cogner contre la cloison jouxtant l’étroite couchette. Il se réveilla tout bredouillant ; un gémissement mourait sur ses lèvres. Il sentit un instant son corps se contracter tout entier, puis se détendre.
Il tendit les mains et effleura la peau duveteuse de sa compagne. Celle-ci lui enserra la nuque et le plaqua contre sa poitrine. Il ne dit mot, mais son cœur ralentit petit à petit pour adopter le rythme de celui de Yalson. Elle le berça doucement, puis repoussa légèrement sa tête, se pencha et l’embrassa sur la bouche.
— Ça va maintenant, lui dit-il. Ce n’était qu’un cauchemar.
— Qu’est-ce qu’il t’arrivait ?
— Oh, rien.
Il reposa la tête sur la poitrine de la jeune femme et la nicha entre ses seins, tel un gros œuf fragile.
Horza avait enfilé sa combinaison. Wubslin occupait son siège habituel. Yalson avait pris celui du copilote. Tous étaient en combinaison. Le Monde de Schar emplissait l’écran en face d’eux : les capteurs ventraux de la TAC visaient directement sa sphère blanc et gris et leur en transmettaient un grossissement.
— Encore, ordonna Horza.
Wubslin transmit pour la troisième fois le message enregistré.
— Peut-être que le code a changé, fit Yalson en surveillant l’écran.
Elle avait coupé très court ses cheveux, qui formaient à présent une toison d’un centimètre d’épaisseur, donc à peine plus épaisse que son duvet corporel. En plus de ses sourcils proéminents, cela lui donnait un air menaçant qui contrastait violemment avec la petitesse de sa tête dans le grand col ouvert de sa combinaison.
— C’est la tradition, rétorqua Horza. Il s’agit davantage d’un rituel que d’un code. S’ils l’entendent, ils le reconnaîtront.
— Et tu es sûr qu’on émet dans la bonne direction ?
— Mais oui, fit-il en s’efforçant de conserver son calme.
Il y avait moins d’une demi-heure qu’ils étaient en orbite stationnaire au-dessus du continent renfermant les tunnels souterrains du Complexe de Commandement. La quasi-totalité de la planète était recouverte de neige. La péninsule longue de mille kilomètres où le réseau de tunnels s’avançait loin dans la mer était prise dans les glaces. Le Monde de Schar était entré sept mille ans plus tôt dans une de ses ères glaciaires périodiques, et l’océan n’apparaissait à l’air libre que sur une bande relativement mince autour de l’équateur, entre les tropiques légèrement instables de la planète. Il y formait une ceinture gris acier qu’on apercevait de temps à autre entre les tourbillons de nuages orageux.
Ils se trouvaient à vingt-cinq mille kilomètres d’altitude au-dessus de la surface enneigée, et leur communicateur dirigeait son faisceau sur une zone circulaire de quelques dizaines de kilomètres de diamètre, en un point situé à mi-chemin entre les deux bras de mer gelés ceignant la péninsule. Là s’ouvrait l’entrée des tunnels ; là vivaient les Métamorphes. Horza savait pertinemment qu’il ne pouvait pas se tromper ; pourtant, ils ne recevaient aucune réponse.
La mort est ici, ne cessait-il de se répéter. L’atmosphère glacée de la planète semblait s’infiltrer jusque dans ses os.
— Toujours rien, constata Wubslin.
— Bon, trancha Horza en enserrant les contrôles manuels dans ses mains gantées. On y va.
La Turbulence Atmosphérique Claire démêla ses champs gauchisseurs, qui épousèrent la courbure légère du puits de gravité de la planète, et se laissa tout doucement glisser vers le bas de la déclivité. Horza coupa les moteurs et les laissa se remettre en mode auxiliaire d’urgence. Ils n’en auraient sans doute plus besoin, et de toute façon, le gradient de gravité augmentait : ils ne seraient bientôt plus en mesure de s’en servir.
La TAC tombait vers la planète à une vitesse grandissante ; les moteurs à fusion étaient prêts à entrer en action. Horza surveilla les écrans jusqu’à acquérir la certitude qu’ils suivaient bien la trajectoire prévue ; puis, alors que la planète lui semblait pivoter légèrement au-dessous de l’appareil, il défit ses sangles et retourna au mess.
Toujours en combinaison, Aviger, Neisin et Dorolow étaient dûment attachés dans leurs sièges. Sanglée elle aussi, Pérosteck Balvéda arborait une veste épaisse et un pantalon assorti. Sa tête émergeait sans protection aucune de la collerette souple d’une chemise blanche. Elle portait également des bottes fourrées, et une paire de gants en peau reposait sur la table devant elle. Sa veste était même pourvue d’une petite capuche, qui pour l’heure pendait dans son dos. Horza se demanda si elle avait choisi un vêtement singeant les combinaisons spatiales pour lui faire passer le message ou bien, inconsciente de cette analogie, parce qu’elle avait peur et cherchait à se rassurer.
Unaha-Closp était niché dans un fauteuil ; attaché au dossier, il tournait sa face avant vers le plafond.
— J’espère, dit-il, que nous n’aurons pas droit au même cirque que la dernière fois que vous avez piloté ce tas de ruines.
Horza fit comme s’il n’avait rien entendu.
— Puisque M. Maître-à-bord ne nous a plus donné de ses nouvelles, il faut sans doute en déduire que nous sommes tous autorisés à atterrir. Une fois sur place, j’entrerai seul. À mon retour, nous déciderons de la marche à suivre.
— Vous voulez dire que vous déciderez…, commença le drone.
— Et si tu ne reviens pas ? s’enquit Aviger.
Le drone émit une espèce de chuintement, mais ne poursuivit pas sa phrase. Horza contempla le vieil homme, à qui sa combinaison donnait des allures de mannequin-jouet.
— Ne t’en fais pas pour ça, Aviger. Je reviendrai. Je suis sûr que tous les habitants de la base seront sains et saufs. Je leur demanderai de nous réchauffer de quoi manger. (Il sourit, mais se rendit bien compte que ses paroles n’étaient pas très convaincantes.) De toute façon, poursuivit-il, au cas très peu probable où quelque chose tournerait mal, je reviendrai immédiatement.
— Ce vaisseau représente notre seul moyen de quitter la planète, ne l’oublie pas, Horza, répliqua Aviger.
On lisait de l’effroi dans ses yeux. Dorolow effleura le bras de sa combinaison.
— Aie confiance en Dieu, dit-elle. On s’en sortira. N’est-ce pas, Horza ? ajouta-t-elle en se tournant vers lui.
— Mais oui, fit ce dernier en hochant la tête. On s’en sortira même très bien.
Sur ces mots, il fit demi-tour et repartit vers la passerelle.
Ils étaient entourés de neiges éternelles et regardaient le soleil d’été se noyer dans une mer d’air et de nuages rougeoyants. Le vent froid chassa quelques mèches de cheveux auburn sur le visage de sa compagne et, sans réfléchir, il leva une main pour les repousser. Elle lui fit face, le menton niché au creux de sa main à lui, un demi-sourire aux lèvres.
— Tu parles d’une journée d’été…, fit-elle.
Il avait fait beau, mais la température était restée bien au-dessous de zéro, ce qui ne les avait pas empêchés d’ôter leurs gants et de rejeter en arrière leurs capuches. Il sentait sa nuque chaude sous sa paume et sa lourde chevelure lustrée sur le dos de sa main, tandis qu’elle relevait vers lui son visage blanc comme neige, blanc comme l’os.
— Tu as de nouveau ce fameux air, constata-t-elle avec douceur.
— Quel air ? riposta-t-il, aussitôt sur la défensive, bien qu’il sût fort bien de quoi elle voulait parler.
— Ton air distant, répondit-elle en portant une de ses mains à ses lèvres avant de l’embrasser puis de la caresser comme s’il s’agissait d’un petit animal sans défense.
— Mais c’est toi qui l’appelles comme cela.
Elle détourna le regard et le reporta sur la boule flamboyante du soleil qui sombrait derrière une lointaine chaîne de montagnes.
— C’est ce que je vois, rétorqua-t-elle. Je connais bien tes expressions maintenant. Je les connais toutes, et je sais toutes les interpréter.
Il ressentit une pointe de colère à l’idée d’être à ce point transparent, mais, au fond, il savait qu’elle avait raison, tout au moins en partie. Ce qu’elle ignorait de lui, c’était seulement ce qu’il ignorait lui-même (et ce n’est pas négligeable, songea-t-il). Peut-être le connaissait-elle même mieux qu’il ne se connaissait.
— Je ne suis pas responsable de mon visage, dit-il au bout d’un moment dans l’intention de plaisanter. Moi aussi il me surprend, parfois.
— Tes actes aussi ? (Les lueurs du crépuscule teintaient de couleurs artificielles la pâleur de sa peau.) Te surprendras-tu toi-même lorsque tu t’en iras d’ici ?
— Pourquoi pars-tu toujours du principe que je vais m’en aller ? s’irrita-t-il en fourrant ses mains dans les poches de son épais blouson et en regardant obstinément disparaître l’étoile, dont on ne voyait déjà plus qu’un hémisphère. Je n’arrête pas de te dire que je suis heureux ici.
— C’est vrai, fit-elle. Tu n’arrêtes pas de me le dire.
— Pourquoi aurais-je le désir de partir ?
Elle haussa les épaules, glissa son bras sous celui de son compagnon et posa la tête sur son épaule.
— La foule, les lumières, les moments passionnants… Pour voir d’autres gens, aussi…
— Je suis bien ici avec toi, répliqua-t-il en lui passant un bras autour des épaules.
Malgré le volumineux rembourrage de son blouson, elle paraissait très fine, presque frêle. Elle resta quelques instants silencieuse, puis reprit :
— Encore heureux ! (Elle se tourna vers lui, souriante.) Et maintenant, embrasse-moi.
Il obtempéra et la serra dans ses bras. Baissant les yeux derrière le dos de la jeune femme, il vit une petite tache rouge avancer sur la neige piétinée.
— Regarde ! fit-il en se détachant, puis en se penchant vers le sol.
Elle s’accroupit à ses côtés, et tous deux observèrent un minuscule insecte en forme de brindille qui rampait lentement, laborieusement sur la croûte de neige : une créature vivante et mouvante de plus sur la face vierge du monde.
— C’est la première fois que je vois un insecte ici, lui dit-il.
Elle secoua la tête en souriant.
— C’est que tu ne regardes pas assez attentivement, voilà tout, railla-t-elle.
Il recueillit la petite bête au creux de sa paume avant qu’elle n’ait eu le temps d’intervenir.
— Oh, Horza…, fit-elle.
Son souffle se bloqua dans sa gorge, comme arrêté par un petit nœud de désespoir. Il contempla sans comprendre son expression atterrée, tandis que la toute petite créature des neiges mourait, victime de la chaleur de sa main.
La Turbulence Atmosphérique Claire tombait vers la planète, tournait autour de ses couches atmosphériques radieuses comme la glace, passait du jour à la nuit pour revenir au jour, basculait au-dessus de l’équateur et des tropiques tout en continuant de décrire la spirale qui la rapprochait du sol.
Peu à peu, elle pénétra dans l’atmosphère : ions, gaz, ozone, air… Elle s’enfonça dans cette fine strate protectrice en poussant des rugissements de flamme, et traversa rapidement le ciel nocturne telle une grosse météorite à la trajectoire immuable ; puis elle franchit en un éclair la ligne de démarcation entre le jour et la nuit et survola des mers gris acier, des icebergs tabulaires, des banquises ou des glaces flottantes, des kilomètres de littoral pris dans les glaces, des glaciers, des chaînes montagneuses, des toundras de pergélisol. Alors revint la banquise et, finalement, comme le navire s’abaissait horizontalement sur ses piliers de flamme, ce fut à nouveau la terre : une péninsule d’un millier de kilomètres pointant dans une mer gelée pareille à quelque monstrueux membre fracturé immobilisé dans le plâtre.
— Il est là, déclara Wubslin en surveillant le détecteur de masse.
Un point lumineux clignotant se mouvait lentement d’un bord à l’autre de l’écran. Horza lui jeta un coup d’œil.
— Le Mental ? s’enquit-il.
Wubslin acquiesça.
— La densité correspond. Il est à cinq kilomètres de profondeur… (L’ingénieur enfonça quelques boutons et déchiffra en plissant les yeux les séries de chiffres qui se déroulaient sur l’écran.) À l’autre bout du complexe par rapport à l’entrée… et en mouvement. (Il opéra quelques réglages, puis se radossa en secouant la tête.) Le détecteur a besoin d’une bonne révision ; sa portée est réduite au minimum. (Il se gratta la tête et soupira.) Désolé aussi pour les moteurs, Horza.
Le Métamorphe haussa les épaules. Si les moteurs avaient fonctionné correctement, ou si le détecteur de masse avait conservé une portée suffisante, quelqu’un aurait pu rester à bord de la TAC, la piloter en cas de besoin et relayer la position du Mental aux autres lorsque ceux-ci seraient descendus dans les tunnels. Wubslin se sentait manifestement coupable : aucune des réparations qu’il avait tenté d’effectuer n’avait sensiblement amélioré les performances des appareils endommagés, qu’il s’agisse des moteurs ou des détecteurs.
— Peu importe, répondit Horza en contemplant les étendues de glace et de neige qui se succédaient sous l’appareil. Au moins on sait que le Mental est là.
Le vaisseau les emporta de lui-même vers leur but, bien que Horza reconnût l’endroit pour l’avoir survolé à l’époque où il pilotait l’unique petit aéro de la base. D’ailleurs, il chercha celui-ci des yeux lorsqu’ils approchèrent du sol, au cas où l’appareil serait en vol.
C’était une plaine tapissée de neige et entourée de montagnes ; la Turbulence franchit prestement un défilé niché entre deux pics, fracassant le silence et arrachant une neige poudreuse aux crêtes et failles dentelées qui, de part et d’autre, se découpaient dans la roche stérile. Puis le navire ralentit encore et se redressa sur le trépied de feu engendré par la fusion. La neige de la plaine commença par s’envoler et s’agiter en tous sens comme prise de malaise. Puis, à mesure que l’appareil descendait, elle fut soufflée d’un coup puis arrachée au sol gelé et propulsée pour former de vastes cylindres d’air chaud qui mêlaient la neige et l’eau, la vapeur et les particules de plasma en un blizzard hurlant et tourbillonnant qui balayait la plaine en s’amplifiant à mesure que le navire approchait du sol.
Horza était passé en pilotage manuel. L’œil rivé à l’écran, il aperçut la bourrasque artificielle et, au-delà, l’entrée du Complexe de Commandement.
C’était une ouverture d’un noir d’encre creusée dans un promontoire rocheux très accidenté qui saillait des flancs de la montagne tel un pan d’éboulis solidifié. La tempête de neige bouillonnait autour de l’entrée et semblait l’encadrer de volutes de brume. La tourmente prenait des teintes marron à mesure que la flamme-fusion chauffait le sol gelé de la plaine, qui fondait et jaillissait tel un geyser de terre.
Après un très léger choc suivi d’une faible sensation d’enfoncement au moment où les pieds de la TAC pénétraient la surface maintenant spongieuse de la plaine mise à nu, ils se posèrent sur le Monde de Schar.
Horza contempla, droit devant lui, l’entrée du tunnel. On aurait dit un œil noir et profond qui lui rendait son regard.
Le vacarme des moteurs s’éteignit ; la vapeur se dissipa. La neige chassée du sol retomba, et de nouveaux flocons se formèrent tandis que l’eau en suspension dans l’air se transformait à nouveau en glace. La TAC se mit à cliqueter et craquer de toutes parts à mesure qu’elle perdait la chaleur produite aussi bien par le frottement, pendant son entrée dans l’atmosphère, que par ses propres propulseurs à plasma. L’eau gargouillait en se muant en boue sur le sol décapé de la plaine.
Horza bascula le laser de proue en position « attente ». On ne décelait ni mouvement ni signe d’aucune sorte au niveau du tunnel d’entrée. La vue était à présent parfaitement dégagée ; l’air ne contenait plus ni neige ni vapeur. C’était une belle journée, ensoleillée et sans vent.
— Eh bien, nous y voilà, fit Horza qui se sentit aussitôt un peu bête.
Yalson hocha la tête sans quitter l’écran des yeux.
— Eh oui ! acquiesça Wubslin en faisant le tour de ses écrans. Les pieds se sont enfoncés d’environ un demi-mètre. Il ne faudra pas oublier de faire tourner un petit moment les moteurs avant de redécoller, quand on voudra partir. D’ici une demi-heure, ils seront complètement gelés.
— Hmm…, fit Horza.
Sur l’écran, rien ne bougeait. Pas de nuages dans le ciel bleu clair, pas de vent pour chasser la neige. Le soleil n’était pas assez chaud pour faire fondre la glace et la neige, si bien qu’il n’y avait pas d’eau vive, pas même une avalanche dans les lointaines montagnes.
À l’exception des mers (qui renfermaient encore des poissons, mais où les mammifères n’étaient désormais plus représentés), les seuls objets mouvants du Monde de Schar étaient ses minuscules insectes – répartis en plusieurs centaines d’espèces différentes –, les lichens à propagation lente qu’on trouvait sur les rochers, à proximité de l’équateur, et, pour finir, les glaciers. La guerre entre humanoïdes ou la nouvelle ère glaciaire avaient éradiqué tout le reste.
Horza tenta encore une fois d’émettre son message codé. Toujours pas de réponse.
— Bon, fit-il en se levant de son siège. Je vais faire un tour dehors, histoire de jeter un coup d’œil. (Wubslin opina. Horza se tourna vers Yalson.) Je te trouve bien silencieuse.
Elle ne se retourna pas. Elle contemplait sur l’écran l’œil sans paupière qu’évoquait l’entrée du tunnel.
— Fais attention, dit-elle en le regardant enfin. Fais très attention, d’accord ?
Il lui sourit, ramassa par terre le fusil-laser de Kraiklyn, puis partit en direction du mess.
— On est posés, fit-il au moment de franchir le seuil.
— Tu vois ? dit Dorolow à Aviger.
Neisin porta sa fiasque à ses lèvres et but. Balvéda adressa un sourire sans joie au Métamorphe comme celui-ci passait d’une porte à l’autre. Unaha-Closp résista à la tentation de dire quelque chose et se dégagea en se tortillant des sangles qui le retenaient contre le siège.
Horza descendit dans le hangar. Il se sentait léger : ils étaient passés en gravité ambiante au moment de franchir les montagnes, et le Monde de Schar exerçait une attraction inférieure au g standard en vigueur à bord de la TAC. Horza emprunta la plate-forme mobile du hangar et atterrit sur le marécage en cours de refroidissement qui entourait l’appareil ; il sentit sur ses joues une brise piquante toute fraîche et toute propre.
— J’espère que ça va bien se passer, dit Wubslin à Yalson.
Tous deux regardaient la petite silhouette de Horza se diriger en pataugeant dans la neige vers le promontoire rocheux qui se profilait devant eux. La jeune femme ne répondit pas et continua à fixer l’écran sans ciller. La silhouette s’immobilisa, effleura son poignet, puis s’éleva dans les airs et se mit à survoler lentement la neige.
— Ah oui ! lança Wubslin avec un petit rire. J’avais oublié qu’ici on peut se servir des anti-g. On est restés trop longtemps sur cette fichue Orb’.
— Ça ne servira pas à grand-chose dans ces maudits tunnels, marmonna Yalson.
Horza se posa juste à côté de l’entrée. Grâce aux mesures prises pendant qu’il était encore dans les airs, il savait que le champ de fermeture du tunnel était désactivé. En temps normal, il protégeait ce dernier contre la neige et les vents glacés. Mais ce jour-là, pas de champ. Horza vit qu’une petite congère déployée en éventail s’était formée à l’intérieur du tunnel. Il y régnait un froid inhabituel et cet œil insondable et noir lui faisait plutôt l’effet d’une gueule énorme, maintenant qu’il se trouvait tout près.
Il se retourna pour regarder la TAC, dressée à quelque deux cents mètres de là comme une anomalie métallique et brillante surgissant d’une déchirure brune dans un paysage par ailleurs uniformément blanc.
— Je me prépare à entrer, énonça-t-il à l’intention des occupants du vaisseau en pointant sur eux un faisceau étroit au lieu d’émettre normalement.
— O.K., répondit la voix de Wubslin à son oreille.
— Tu ne veux pas que quelqu’un vienne te couvrir ? demanda Yalson.
— Non.
Il pénétra dans le tunnel en se collant à la paroi. Dans le premier entrepôt qu’il rencontra se trouvaient des traîneaux, du matériel de sauvetage, d’observation et de signalisation. Le tout correspondait très bien à son souvenir.
Le deuxième hangar, qui aurait dû contenir l’aéro, était vide. Il poussa jusqu’au suivant : encore du matériel. Il avait parcouru une quarantaine de mètres à l’intérieur du tunnel ; il lui en restait une dizaine à couvrir avant le virage à angle droit qui conduisait à la galerie, plus vaste et divisée en segments, d’où partaient les quartiers d’habitation de la base.
En se retournant, il retrouva l’orée du tunnel qui, cette fois, lui apparut sous la forme d’un trou blanc. Il régla le faisceau étroit sur son aperture maximale.
— Toujours rien. Je vais aller jeter un coup d’œil aux quartiers d’habitation. Envoyez un bip pour toute réponse.
Un bip résonna dans son casque.
Avant de tourner à l’angle du tunnel, il détacha du côté de son casque le télécapteur de sa combinaison et en passa la petite lentille au coin du pan de mur sculpté. Sur un écran intégré, il vit s’afficher une image représentant un court tunnel, l’aéro posé sur le sol et, quelques mètres derrière l’appareil, la cloison revêtue de plastique qui barrait le tunnel d’un bord à l’autre et marquait le commencement des quartiers d’habitation de la base Métamorphe.
À côté du petit aéro gisaient quatre corps.
Quatre corps inertes.
Horza sentit sa gorge se serrer. Il déglutit avec peine, puis replaça le télécapteur sur sa tempe et s’avança sur le sol de lave en direction des cadavres.
Deux d’entre eux portaient des combinaisons légères, sans blindage d’aucune sorte. Méconnaissables. Le premier avait été lasérisé : sa combinaison s’était ouverte sous l’impact brûlant du rayon ; le plastique et le métal fondus s’étaient mélangés à sa chair et à ses entrailles. Le trou avait cinquante centimètres de diamètre. L’autre n’avait plus de tête. Ses bras se tendaient avec raideur devant lui, comme pour enlacer quelque chose.
Le troisième portait des vêtements légers et amples. Son crâne avait été défoncé par l’arrière, et l’un de ses bras au moins était fracturé. Il gisait sur le flanc, tout aussi raide de froid et tout aussi mort que les autres. Horza connaissait son nom, mais n’arrivait pas à se le rappeler pour l’instant.
Kiérachell avait dû être surprise dans son sommeil. Son corps élancé était couché bien droit dans sa chemise de nuit bleue ; ses paupières étaient closes, son expression paisible.
Elle avait la nuque brisée.
Horza la contempla un moment, puis enleva un de ses gants et se courba. Il y avait du givre sur les cils de la jeune femme. Il sentit sur sa propre peau, à hauteur d’avant-bras, la morsure du cerclage sur la face interne de sa combinaison, puis celle de l’air glacé entrant brusquement en contact avec sa main.
La peau de Kiérachell était durcie, mais sa chevelure avait conservé toute sa souplesse ; il la fit couler entre ses doigts. Elle était plus rousse que dans son souvenir, mais ce n’était peut-être qu’une illusion due à sa visière, qui avait tendance à intensifier la médiocre lumière régnant dans le tunnel. Peut-être fallait-il qu’il enlève son casque, afin de mieux la voir, et aussi qu’il allume ses lampes…
Mais il secoua la tête et se détourna.
Puis il ouvrit la porte donnant sur les quartiers d’habitation, mais avec prudence et seulement après avoir prêté l’oreille pour essayer de surprendre un bruit de l’autre côté de la cloison.
Dans la vaste salle voûtée où les Métamorphes entreposaient naguère leurs vêtements de plein air, leurs combinaisons et leur petit matériel, rien ou presque ne trahissait l’attaque. Mais en s’enfonçant plus loin dans la zone résidentielle, Horza trouva des traces de lutte : du sang séché, des brûlures-laser… Dans la salle de contrôle, d’où l’on commandait toutes les installations de la base, s’était produite une déflagration. Apparemment, une grenade de faible puissance avait explosé sous le panneau de commandes. Ce qui expliquait l’absence de chauffage, ainsi que l’éclairage auxiliaire. On aurait dit que quelqu’un s’était efforcé de réparer les dégâts, à en juger par les outils, les pièces détachées et les fils électriques qui traînaient un peu partout.
Dans deux des cabines, il trouva des signes d’occupation par les Idirans. Les chambres avaient été dépouillées de tout leur mobilier, tous leurs ornements ; des symboles religieux y étaient inscrits au lance-flammes sur les murs. Dans une autre pièce, le sol avait été tapissé d’une espèce de gélatine épaisse et sèche portant six longues marques ; il y planait une odeur de medjel. Dans la chambre de Kiérachell, seul le lit montrait des signes de désordre. Le reste était intact.
En sortant, il se dirigea vers le fond de l’unité habitation, où une nouvelle cloison en lamelles de plastique signalait la limite des tunnels.
Il ouvrit précautionneusement la porte.
Un medjel mort gisait juste derrière ; son long corps gisant dans l’alignement du tunnel semblait pointer dans la direction des puits de descente. Horza le contempla un moment, laissa ses instruments analyser le cadavre (oui, il était bien mort, et complètement gelé), puis le poussa plusieurs fois du pied et finit par lui expédier une décharge dans la tête, pour être certain de ne pas se tromper.
Le corps arborait l’uniforme standard des troupes aériennes et terrestres, et sa blessure – spectaculaire – n’était pas récente. La créature avait manifestement souffert du froid avant que sa blessure n’ait finalement raison d’elle ; puis son cadavre s’était congelé. C’était un mâle grisonnant. L’âge avait conféré l’aspect du cuir à sa peau brun-verdâtre ; son long museau et ses mains délicates étaient creusés de profonds sillons.
Horza releva les yeux et regarda dans le tunnel.
Sol lisse de roc fondu, murs arrondis également lisses, il s’enfonçait dans le flanc de la montagne. Des portes à l’épreuve du souffle nucléaire en nervuraient les parois ; leurs rails et logements étaient comme incrustés dans le sol et le plafond. Il repéra au loin les portes des puits d’ascenseur, ainsi que les points d’accès aux capsules de servitube. Il se mit en marche, longea les séries de portes antisouffle puis atteignit enfin les puits. Les ascenseurs étaient tous en bas et le transtube verrouillé. Aucune source d’énergie ne semblait alimenter les installations présentes. Il fit demi-tour et revint vers les quartiers d’habitation, qu’il retraversa en sens inverse ; il dépassa les cadavres et l’aéro sans leur accorder un regard et déboucha enfin au grand air.
Il s’assit dans la neige à l’entrée du tunnel, le dos calé contre le roc. Les autres l’aperçurent depuis la TAC ; Yalson s’écria :
— Horza ! Ça va ?
— Non, fit-il en éteignant son fusil-laser. Non, ça ne va pas très bien.
— Pourquoi ? fit promptement Yalson.
Horza ôta son casque et le posa par terre à côté de lui, dans la neige. L’air glacé chassa toute chaleur de son visage, et il dut respirer à fond pour tirer le maximum de l’atmosphère raréfiée de la planète.
— La mort est ici, lança-t-il au ciel sans nuages.