Au commencement était le verbe

Pour Burris, c’était un peu comme une nouvelle naissance. Il y avait si longtemps qu’il était resté claquemuré que sa chambre était devenue en quelque sorte un asile définitif.

Néanmoins, Aoudad fit de son mieux pour que l’accouchement fût le moins pénible possible. Ils sortirent à minuit, à l’heure où la ville dormait. Burris avait revêtu une houppelande à capuchon qui lui donnait tellement l’impression de jouer les conspirateurs qu’il ne put s’empêcher de sourire, bien qu’il jugeât ce travestissement nécessaire. Le capuchon dissimulait bien son visage et s’il prenait soin de garder la tête baissée, il était à l’abri des éventuels regards. En se dirigeant vers le tube de descente, il fit une petite prière pour que personne d’autre ne l’empruntât. Son vœu fut exaucé, mais au moment où il franchissait la porte, un lumiglobe qui passait par là l’éclaira fugitivement à l’instant précis où surgissait un autre résident. L’homme s’immobilisa et regarda sous la capuche. L’expression de Burris demeura inchangée. L’autre cilla devant le spectacle inattendu qui s’offrait à ses yeux.

Ce masque ravagé, déformé, ce regard glacé… il poursuivit son chemin. Cette nuit, il aurait des cauchemars. Mais mieux valait le cauchemar d’une nuit, se dit Minner, qu’un cauchemar comme le sien, imbriqué à la trame même de sa vie.

Un véhicule attendait devant l’immeuble.

— Chalk n’a pas l’habitude de recevoir des visites à cette heure-ci, dit Aoudad. Mais il s’agit de quelque chose de tout à fait particulier, comprenez-le bien. Il entend vous manifester toute sa considération.

— C’est merveilleux, répondit sombrement Burris.

Ils prirent place dans la voiture. C’était comme s’il quittait une matrice pour s’engouffrer dans une autre, plus exiguë mais, aussi, plus confortable. Burris s’assit sur une banquette assez large pour que plusieurs personnes puissent y tenir à l’aise mais manifestement dessinée pour s’emboîter à une unique mais colossale paire de fesses. Aoudad s’installa à côté de lui sur un siège plus normal et la voiture démarra dans un soyeux vrombissement de turbines. Ses capteurs intégrèrent les signaux de l’autoroute la plus proche. Bientôt, ils quittèrent les rues de la ville et s’élancèrent sur une route privée.

Les glaces, et c’était une bonne chose, était opacifiées et Burris rabattit son capuchon. Il s’habituait ainsi par petites étapes à se montrer aux autres. Aoudad, qui semblait indifférent à ses mutilations, était un excellent sujet pour s’entraîner.

— Avez-vous envie de quelque chose ? lui demanda-t-il. Une boisson, de quoi fumer ou un quelconque stimulant ?

— Non, merci.

— Est-ce que vous pouvez boire ou fumer dans l’état où vous êtes ?

Burris eut un sourire lugubre.

— Essentiellement, mon métabolisme est toujours le même que le vôtre. C’est la tuyauterie qui est différente. Je mange et je bois les mêmes choses que vous, mais pour l’instant, je ne veux rien.

— Je vous demandais cela par simple curiosité. Excusez-moi.

— Vous êtes tout excusé.

— Et en ce qui concerne les fonctions corporelles…

— Ils ont amélioré le système excréteur. Pour ce qui est de la fonction de reproduction, j’ignore ce qu’ils ont fait. Mes organes sont toujours à leur place. Mais quant à savoir s’ils fonctionnent… je n’ai pas eu la tentation de faire l’expérience.

Un tic spasmodique fit tressaillir la joue gauche d’Aoudad et Burris enregistra sa réaction. Pourquoi s’intéresse-t-il tellement à ma vie sexuelle ? Lubricité naturelle ? Ou autre chose ?

— Excusez ma curiosité, répéta Aoudad.

— C’est déjà fait.

Quand il se laissa aller contre le dossier de son siège, celui-ci eut un comportement bizarre. Peut-être le massait-il. Burris était indubitablement en état de tension et le malheureux fauteuil faisait de son mieux pour le conforter. Malheureusement, il était programmé pour quelqu’un de plus corpulent et il bourdonnait comme s’il était en surcharge. Était-ce la différence de taille qui le désorientait ? se demanda Minner. Ou sa nouvelle anatomie qui lui faisait perdre son latin ?

Quand il mentionna la chose à Aoudad, ce dernier coupa le courant et Burris sourit en se félicitant de sa maîtrise de soi. Il n’avait pas dit un mot plus haut que l’autre depuis l’arrivée d’Aoudad. Il était calme comme l’œil de la tempête. Parfait, parfait ! Il était resté trop longtemps replié sur lui-même et, dans sa solitude, il avait laissé sa détresse le débiliter. Cet imbécile d’Aoudad était un ange de miséricorde venu le libérer de lui-même. Je lui dois une fière chandelle, songea Burris avec amusement.

— Nous y sommes. Le bureau de Chalk est là.

Le bâtiment était relativement bas. Il ne comportait pas plus de deux ou trois étages mais il était mis en valeur par les tours qui le flanquaient. Sa longueur contrebalançait son manque de hauteur. À gauche et à droite, l’édifice se développait en une succession d’angles obtus. Burris, utilisant la vision périphérique dont on l’avait doté, l’examina avec attention et conclut qu’il était octogonal. La façade était une surface de métal mat d’une facture parfaitement soignée, artistiquement guillochée. Aucune lumière ne brillait à l’intérieur mais il est vrai qu’il n’y avait pas de fenêtres.

Une ouverture cachée béa soudain sans le moindre bruit. La voiture s’y engouffra et s’immobilisa une fois à l’intérieur. Son panneau coulissa. Burris se rendit compte qu’un homme de petite taille scrutait le véhicule, ses yeux brillants braqués sur lui.

Il tressaillit car il ne s’attendait pas à se trouver nez à nez avec un inconnu, mais, se dominant, il inversa ses sensations et croisa le regard de l’homme. Il faut dire que ce dernier, un personnage courtaud, valait le spectacle, lui aussi. Bien qu’il ne fût pas passé par les mains de chirurgiens maléfiques, il était d’une laideur repoussante : un cou pratiquement inexistant, d’épais cheveux noirs en bataille qui flottaient sur son col, un nez à l’arête étroite, des lèvres incroyablement étirées et minces, pour le moment pincées en une répugnante moue de fascination. Non, ce n’était pas un Adonis.

Aoudad fit les présentations :

— Minner Burris… Leontes d’Amore, l’un des collaborateurs de Chalk.

— Il est réveillé et il vous attend.

La voix d’Amore elle-même était désagréable.

Et pourtant, songea Burris, il brave le monde extérieur tous les jours.

Il rabattit son capuchon et se laissa aspirer par tout un réseau de tubes pneumatiques. Finalement, il émergea dans une pièce titanesque qui devait normalement grouiller d’activité. Mais à cette heure, les bureaux étaient déserts et les écrans éteints. Elle était éclairée par des champignons thermoluminescents dégageant une lueur douce. Burris repéra une série de barreaux de cristal qu’il suivit des yeux jusqu’à ce que son regard se posât sur un obèse assis comme sur un trône presque à la hauteur du plafond. Ce ne pouvait être que Chalk.

Hypnotisé par la vue de ce poussah, Minner en oublia un moment les lancinements sans nombre qui étaient ses compagnons de tous les instants. Quel gabarit ! Quel amas de chair ! Pour avoir cet embonpoint, ce gros lard avait dû dévorer des troupeaux entiers !

Aoudad invita Burris à avancer sans oser poser tout à fait la main sur le bras de l’astronaute.

— Approchez que je vous voie, fit Chalk. Montez, Burris.

Sa voix était aimable.

Et ce fut le face à face.

Burris se débarrassa de son capuchon et de sa cape. Qu’il me regarde ! Devant cette montagne de lard, pourquoi aurais-je honte ?

L’expression placide de Chalk ne changea pas. Il étudiait Burris attentivement, avec un vif intérêt et sans une ombre de dégoût. Il leva sa main boudinée. Obéissant à cet ordre muet, Aoudad et d’Amore s’éclipsèrent. À présent, Burris et Chalk étaient seuls dans l’immense salle que baignait une lumière tamisée.

— Ils vous ont drôlement arrangé. Pourquoi ? Avez-vous une idée de leurs motifs ?

— Simple curiosité, répondit Burris. Et, aussi, le désir d’apporter des améliorations au modèle original. Ils sont tout à fait humains à leur manière inhumaine.

— À quoi ressemblent-ils ?

— Ils ont une peau parcheminée et crevassée. Je préfère parler d’autre chose.

— Comme vous voudrez.

Chalk ne s’était pas levé. Burris était debout devant lui, les mains croisées. Ses petits tentacules extérieurs se nouaient et se dénouaient. Il y avait un siège à côté de lui. Il s’assit sans attendre d’y être invité.

— Vous avez toute la place qu’il vous faut, ici.

Chalk sourit sans répondre.

— C’est douloureux ?

— Quoi ?

— Votre transformation.

— C’est extrêmement pénible. Les calmants de la pharmacopée terrienne sont à peu près sans effets. Ils ont trafiqué mes circuits nerveux et personne ne sait au juste comment bloquer les sensations. Mais c’est supportable. Il paraît que les culs-de-jatte ont mal aux pieds des années après avoir été amputés. Je suppose que c’est à peu près la même chose.

— On vous a coupé des membres ?

— On me les a tous enlevés. Et on me les a remis. Mais d’une autre façon. Les toubibs qui m’ont examiné ont vivement apprécié mes articulations. Mes tendons et mes ligaments aussi. Mes mains sont celles d’origine, un peu modifiées. Mes pieds aussi. Quant au reste, je ne sais pas très bien ce qui est à moi et ce qui vient d’eux.

— Et les organes internes ?

— Complètement chamboulés. Un véritable chaos. On est en train de préparer un rapport à ce sujet. Il n’y a pas longtemps que je suis revenu sur la Terre. Les médecins m’ont examiné un certain temps. Mais je me suis rebellé.

— Pourquoi ?

— Parce que j’étais en passe de devenir un objet. Pas seulement à leurs yeux, mais également aux miens. Or, je ne suis pas une chose. Je suis un être humain qui a été restructuré. À l’intérieur, je suis toujours humain. Si vous me piquiez avec une aiguille, le sang coulerait. Que pouvez-vous faire pour moi, Chalk ?

Chalk leva une main charnue.

— Un peu de patience. Je veux en savoir davantage sur votre compte. Vous étiez officier de la spatiale ?

— Oui.

— Vous êtes sorti de l’école supérieure d’astronautique et toute la lyre ?

— Oui.

— Vous deviez être un excellent sujet pour qu’on vous ait confié une mission aussi délicate. Se poser pour la première fois sur une planète inconnue peuplée d’êtres intelligents, ce n’est pas une plaisanterie. Combien d’hommes y avait-il à bord ?

— Nous étions trois et nous sommes tous passés sur le billard. Prolisse est mort le premier. Malcondotto l’a suivi. Ils ont eu de la chance.

— Vous n’aimez pas votre corps actuel ?

— Il a des avantages. D’après les médecins, je devrais vraisemblablement vivre jusqu’à l’âge de cinq cents ans. Mais c’est douloureux. Et gênant. Je n’ai pas une vocation de monstre.

— Vous n’êtes peut-être pas aussi hideux que vous le croyez. Évidemment, les enfants s’enfuient quand ils vous voient… c’est un inconvénient. Mais les enfants sont réactionnaires. Ils ont horreur de la nouveauté. Pour ma part, je trouve votre visage très séduisant à sa manière et je suis convaincu que beaucoup de femmes ne demanderaient pas mieux que de se jeter à vos pieds.

— Je ne sais pas. Je n’ai jamais essayé.

— Le grotesque a aussi ses attraits, Burris. Je pesais plus de vingt livres à ma naissance. Mon poids ne m’a jamais été une entrave. Je considère que mon obésité est un atout.

— Vous avez eu toute votre existence pour vous habituer à votre corpulence. Vous avez mille façons de vous y adapter. Et puis, vous avez choisi d’être comme vous êtes. Moi, j’ai été victime d’un caprice incompréhensible. C’est un viol. Oui, Chalk, j’ai été violé.

— Et vous voudriez défaire ce qui a été fait ?

— Qu’est-ce que vous en pensez ?

Chalk dodelina du chef. Ses paupières se fermèrent, donnant l’impression qu’il s’était brusquement endormi. Burris attendit, déconcerté. Un bon moment s’écoula. Enfin, sans bouger, Chalk laissa tomber :

— Les chirurgiens de chez nous sont capables de transplanter avec succès les cerveaux d’un corps à un autre.

Burris sursauta et une surexcitation fébrile, un véritable accès d’épilepsie s’empara de lui. Un organe récemment implanté libéra une giclée d’hormones inconnues et il fut pris de vertige.

— Les détails techniques de l’opération vous intéresseraient-ils ? enchaîna Chalk d’une voix calme.

Les tentacules de Minner palpitaient et il était incapable de les contrôler.

Chalk poursuivit placidement :

— On isole chirurgicalement le cerveau à l’intérieur du crâne en réséquant les tissus contigus. On conserve la calotte pour assurer le maintien et la protection de l’encéphale. L’hémostase totale s’impose naturellement pendant toute la longue période d’anticoagulation. Il existe des méthodes permettant de boucher l’opercule basilaire du crâne et la partie frontale afin d’empêcher l’écoulement sanguin. Les fonctions cérébrales sont prises en charge par des électrodes et des thermosondes. On maintient la circulation en ligaturant les artères maxilaires et carotides internes. Autrement dit, on effectue des dérivations vasculaires. Je n’insisterai pas sur les méthodes grâce auxquelles le cerveau vivant est détaché du corps du sujet. L’objectif final, une fois le cordon médullaire sectionné, est de réaliser l’isolement total du cerveau qui n’est plus alimenté que par les carotides. Pendant ce temps, on a préparé le récepteur. On excise la carotide et la jugulaire. La greffe, placée en attente dans une solution antibiotique, est mise en place. Les artères carotides du cerveau isolé sont reliées au moyen d’une canule traitée aux silicones aux carotides du récepteur. Même chose pour les jugulaires. On opère sous froid poussé pour limiter au minimum d’éventuelles détériorations. Après que la circulation du cerveau greffé a été branchée à celle du receveur, on élève progressivement la température jusqu’à ce qu’elle redevienne normale. Et l’on entre alors dans la phase post-opératoire. Une période de rééducation prolongée est nécessaire avant que la greffe cervicale assume le contrôle de l’organisme récepteur.

— C’est remarquable.

— À côté de ce qu’on vous a fait subir, c’est bien peu de chose. Mais l’expérience a réussi sur des mammifères supérieurs. On l’a même tentée avec succès sur des primates.

— Et sur des êtres humains ?

— Non.

— Dans ce cas…

— On l’a tentée sur des incurables au stade terminal en utilisant le cerveau de morts récents. Mais les aléas étaient trop nombreux. Toutefois, dans certains cas, on a frôlé la victoire. Dans trois ans, Burris, on échangera les cerveaux aussi facilement qu’on échange aujourd’hui les bras et les jambes.

L’excitation qui frémissait en Minner provoquait des sensations désagréables. La température de sa peau s’était élevée et c’était pénible. Il éprouvait des trépidations dans sa gorge.

— Nous fabriquons une copie de votre corps reproduisant autant que faire se peut votre apparence originelle, continua Chalk. Un golem reconstitué à partir d’éléments fournis par la banque d’organes. Mais sans le cerveau. Et nous y transplantons le vôtre. Il y aura des différences, évidemment, mais vous recouvrerez votre intégrité fondamentale. Cela vous intéresse-t-il ?

— Cessez de me torturer, Chalk.

— Je vous donne ma parole que je suis sérieux. Nous achoppons sur deux problèmes d’ordre technologique. Il nous faut, d’une part, maîtriser la technique de l’assemblage global du receveur et, d’autre part, le maintenir en vie jusqu’au moment où la transplantation pourra être effectuée avec toutes les chances de succès. Je vous l’ai déjà dit, trois ans seront nécessaires pour surmonter le premier obstacle. Ajoutons encore deux ans pour construire le golem. Dans cinq ans, vous serez à nouveau un être pleinement humain, Burris !

— Et cela coûtera combien ?

— Peut-être cent millions d’unités, peut-être davantage.

Burris éclata d’un rire grinçant et sa langue – qui ressemblait de façon incroyable à celle d’un serpent, maintenant – jaillit de sa bouche.

— Je suis disposé à prendre à ma charge la totalité des frais de votre réhabilitation, dit Chalk.

— Vous nagez en plein délire !

— Je vous demande de faire confiance en mes ressources. Accepteriez-vous de vous séparer de votre corps actuel si j’étais en mesure de vous en fournir un autre plus proche des normes humaines ?

Jamais Burris n’avait imaginé que quelqu’un lui poserait une pareille question et son hésitation le stupéfiait. Il abhorrait ce nouveau corps et l’étendue des sévices dont il avait été victime l’accablait. Pourtant, en était-il arrivé à s’attacher à son étrangeté ?

— Plus vite je pourrai être débarrassé de cette chose, mieux cela vaudra, répondit-il après un silence.

— Parfait ! Le problème qui se pose maintenant est de vous faire traverser cette période de cinq ans. Voici ce que je vous propose : nous allons essayer tout au moins de modifier votre physionomie afin que vous puissiez avoir des contacts sociaux jusqu’au moment où le transfert sera réalisable. Qu’en pensez-vous ?

— C’est impossible. J’ai déjà étudié cette idée avec les médecins qui m’ont examiné à mon retour. Je suis bourré d’anticorps étrangers et je rejette toutes les greffes.

— Le croyez-vous vraiment ? Ne pensez-vous pas que ces médecins vous ont raconté des mensonges qui les arrangeaient ?

— Je le crois vraiment.

— Eh bien, laissez-moi vous envoyer dans une clinique. On fera des tests pour confirmer le verdict. S’il s’avère exact, nous n’en parlerons plus. Dans le cas contraire, nous tâcherons de vous rendre l’existence un peu plus facile. D’accord ?

— Pourquoi faites-vous cela ? Que voulez-vous en échange ?

Le colosse pivota sur lui-même et se pencha en avant. Ses yeux n’étaient plus qu’à quelques centimètres du visage de Burris, des lèvres dont le modelé était d’une surprenante délicatesse, un nez fin, des joues massives, des paupières adipeuses.

— Mon prix est exorbitant, dit Chalk à voix basse. Il vous fera reculer jusqu’aux tréfonds de vous-même. Et vous refuserez le marché que je vous propose.

— Quel marché ?

— Je suis entrepreneur de jeux et de divertissements publics. Je ne pourrai récupérer qu’une part infime de l’investissement que je consentirai, mais je veux quand même me rembourser au maximum.

— Quel prix exigez-vous ?

— La totalité des droits d’exploitation commerciale de votre mésaventure. Toute l’histoire. Votre capture par les extraterrestres, votre retour sur la Terre, la façon dont vous vous êtes péniblement ajusté à vos modifications et toute la période de réadaptation ultérieure. Le monde entier sait déjà que trois hommes se sont posés sur une planète appelée Manipool, que deux d’entre eux sont morts et que le troisième est revenu après avoir fait l’objet de manipulations chirurgicales. Après que la nouvelle eut été annoncée, vous avez disparu. Je veux que vous apparaissiez à nouveau au grand jour. Je veux vous montrer redécouvrant votre nature humaine, renouant le contact avec les gens. Je veux que l’on vous voie sortir de l’enfer, triompher finalement de l’expérience catastrophique qui vous a été imposée et en émerger rénové. Purgé. Cela nécessitera de nombreuses atteintes à votre vie privée et je suis convaincu que vous allez refuser. Après tout, on doit s’attendre à…

— C’est une nouvelle forme de torture, n’est-ce pas ?

— En un sens, peut-être, reconnut Chalk.

La sueur perlait à son front. Il était cramoisi, tendu comme s’il approchait d’une sorte de paroxysme émotionnel.

— Purgé, répéta Burris dans un murmure. Vous m’offrez le purgatoire.

— Si vous voulez.

— Je me cache depuis des semaines et, maintenant, il me faudra me montrer tout nu à l’univers pendant cinq ans. C’est bien cela ?

— Tous frais payés.

— Tous frais payés… Oui. Oui ! J’accepte la torture. Je suis votre jouet, Chalk. Seul un être humain serait capable de repousser votre proposition. Mais je l’accepte. Je l’accepte !

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