13

Tout le monde s’écarta pour laisser passer Bruce Van Atta qui, ayant jailli comme une bombe de la navette, remonta le tube flexible jusqu’au hall d’arrivée du spatioport Trois de Rodeo. Il fut contraint de s’arrêter un instant, penché, les mains appuyées sur les genoux, pour surmonter un brusque étourdissement dû à ce retour abrupt à la gravité – et à la rage qui l’avait étouffé tout au long du trajet.

Durant le voyage en orbite autour de Rodeo dans le module de conférences C, Van Atta avait été persuadé que l’intention de Graf n’était autre que de les exterminer tous, bien que les masques fussent là pour lui prouver le contraire. En temps de guerre, Graf serait assurément un piètre soldat. Le premier imbécile venu sait qu’on ne laisse pas en vie un homme qu’on vient d’humilier si horriblement. Tu regretteras de m’avoir blousé comme ça, Graf, je te le garantis ! Et encore plus de ne pas m’avoir tué quand tu en avais l’occasion…

Après d’interminables manœuvres, le module avait enfin été connecté à un vaisseau pour être ramené à la station de transfert – vingt heures de voyage pendant lesquelles il avait gardé les yeux grands ouverts, à ruminer sa vengeance. Une fois à la station – débordée par cette arrivée inopinée de près de trois cents passagers –, il avait embarqué dans la première navette disponible.

Des informations. Cela faisait bientôt vingt-quatre heures qu’ils avaient été éjectés de l’Habitat. Il fallait à tout prix qu’il obtienne des informations. Dans le tube ascensionnel, il écrasa du poing le bouton de l’étage où se trouvaient les services administratifs du spatioport. Le Dr Yei lui tournait autour, geignant à propos d’il ne savait trop quoi. À vrai dire, il s’en moquait.

Les parois en Plexiglas du tube ascensionnel lui renvoyèrent une image peu reluisante de lui-même. Hagard et échevelé. Machinalement, il redressa les épaules et rentra le ventre. Pas de laisser-aller ou de signe extérieur de faiblesse devant les autres administrateurs. Très mal vu.

À travers son reflet, il observa le spatioport en contrebas. Non loin de là, au terminal du monorail, les nacelles-cargos commençaient déjà à s’empiler. Ah ! oui… Ces saletés de quaddies étaient aussi un maillon dans cette chaîne-là. Un faible maillon, heureusement, qui serait bientôt remplacé.

Il arriva au centre de communications en même temps que l’administratrice en chef du spatioport Trois – Chalopin. Son capitaine de la sécurité la suivait comme un petit chien. Comment s’appelait-il, déjà, ce crétin ? Bannerji. C’est ça.

— Qu’est-ce que c’est que ce foutoir ? aboya Chalopin sans préambule. Un accident ? Pourquoi n’avez-vous pas demandé de l’aide ? Le trafic est arrêté. Plus rien ne passe… Un cargo chargé à bloc a été contraint de faire demi-tour à mi-chemin de la raffinerie.

— Appelez la station de transfert, dit Van Atta. Les problèmes de cargaison, ça vous regarde. C’est pas mon rayon.

— Oh, mais pardon !… Ça fait un an que le triage des cargaisons orbitales relève de l’Opération Cay.

— À titre expérimental, rétorqua-t-il. C’est peut-être mon rayon, mais sûrement pas mon principal souci dans l’immédiat. J’ai un gros, un très gros problème sur les bras. Alors soyez gentille de ne pas m’en rajouter, Chalopin, d’accord ?

Il se tourna vers l’un des contrôleurs com.

— Vous pouvez me mettre en rapport avec l’Habitat ?

— Ils ne répondent pas à nos appels. Presque toute notre télémétrie habituelle a été coupée.

— De quoi d’autre disposez-vous ? Une vue télescopique, je ne sais pas, n’importe quoi…

— Je pourrais peut-être en obtenir une par les com-sats…

Le contrôleur se tourna vers son pupitre. Quelques minutes après, son écran captait une vue de l’Habitat Cay. Il grossit l’image.

— Mais que font-ils ? s’exclama Chalopin, les yeux rivés sur l’écran.

Van Atta n’en revenait pas non plus. Que signifiait ce vandalisme démentiel ? L’Habitat ressemblait désormais à un puzzle tridimensionnel disloqué. Les modules, détachés les uns des autres, semblaient avoir été sciemment éparpillés. De petites silhouettes argentées s’affairaient autour. Les panneaux solaires, eux, avaient mystérieusement rétréci au quart de leur taille habituelle. Graf aurait-il un plan pour parer aux éventuelles contre-attaques de GalacTech ? Dans ce cas, il en serait pour ses frais, enragea Van Atta.

— Se préparent-ils à tenir un siège, ou quoi ? demanda Yei, à l’évidence branchée sur la même longueur d’onde que lui. Ils doivent pourtant bien se rendre compte que ça ne servira à rien…

— Que diable ce dingue de Graf a-t-il pu prévoir ? gronda Van Atta. Ce type a pété les plombs. On n’a que l’embarras du choix pour pulvériser cet Habitat, sans même avoir besoin de matériel militaire. On peut aussi les laisser crever de faim. Ils se sont eux-mêmes enfermés dans un piège. Il n’est pas seulement fou, mais idiot.

Yei inclina la tête, songeuse.

— Peut-être souhaitent-ils juste continuer à vivre tranquillement là-haut en orbite. Pourquoi pas ?

— Et puis quoi, encore ? Je vais les sortir de là vite fait, croyez-moi. Je ne vais pas me laisser faire par une bande de sales mutants… Un sabotage à cette échelle, c’est criminel. Sabotage, vol, terrorisme…

— Ce ne sont pas des mutants, commença Yei. Ce sont des enfants génétiquement…

— Monsieur Van Atta ? intervint un autre contrôleur com. Un message urgent pour vous… Vous pouvez le prendre ici ?

Van Atta s’assit devant l’ordinateur.

— C’est un message enregistré du chef de la station de tirage au point de saut, expliqua le tech.

Le visage vaguement familier du chef de la station s’imprima sur l’écran. Van Atta l’avait rencontré une fois, peut-être deux, à son arrivée ici. La petite station relevait du service des opérations d’Orient IV, et non de Rodeo. Ses employés étaient des gravs syndiqués sans aucun contact avec Rodeo, pas plus qu’avec les quaddies qui auraient dû un jour les remplacer.

L’homme avait l’air catastrophé. Il balbutia les codes préliminaires d’identification, puis entra aussitôt dans le vif du sujet.

— Qu’est-ce que vous foutez, là-haut ? demanda-t-il, sur un ton que l’angoisse rendait agressif. Une bande de mutants monstrueux nous est tombée dessus d’on ne sait où, ils ont kidnappé un pilote, ils en ont blessé un autre, puis piraté un superjumper de GalacTech. Mais au lieu de sauter le couloir, ils sont repartis vers Rodeo. Et quand on a prévenu la sécurité de Rodeo, ils nous ont dit que ces mutants venaient sans doute de l’Habitat. Que se passe-t-il, chez vous ? Vous en avez encore beaucoup, des comme ça ? S’ils ont rompu leur laisse, il faut leur envoyer la fourrière ! Je veux des réponses, bon sang. Et vite !

À en juger par son expression, il n’était pas loin de céder à l’affolement.

— Station point de saut terminé ! aboya-t-il avant que son image ne disparaisse.

— De quand date ce message ? demanda Van Atta, blême.

— Environ…

Le tech vérifia son moniteur.

—… douze heures, monsieur.

— Et il pense que les pirates seraient des quaddies ? Pourquoi ne m’en a-t-on pas informé plus tôt ?

Son regard tomba sur Bannerji, au garde-à-vous près de Chalopin.

— Pourquoi n’ai-je pas été immédiatement averti par la sécurité ?

— Au moment où nous avons été alertés de cet incident, répondit le capitaine sur un ton dénué d’émotion, nous ne pouvions pas vous joindre. Depuis, nous avons suivi la trajectoire du D-620 ; il continue à se diriger droit vers Rodeo. Et il refuse de répondre à nos appels.

— Quelles actions concrètes avez-vous entreprises ?

— Aucune. Nous surveillons la situation. Je n’ai pas encore reçu d’ordres pour agir.

— Et pourquoi ça ? Où est Norris ?

Norris était le directeur technique pour tout l’espace local de Rodeo. C’était à lui de prendre cette affaire en main. Encore que l’Opération Cay ne relevait pas de son autorité dans la mesure où Van Atta était sous les ordres de la direction générale.

— M. Norris assiste à un séminaire sur la Terre, dit Chalopin. Je le remplace en son absence. Le capitaine Bannerji et moi-même avons envisagé la possibilité de rattraper et d’aborder le vaisseau piraté avec la navette de la sécurité du spatioport Trois. Nous ignorons toujours qui sont ces gens et ce qu’ils veulent, mais ils semblent détenir un otage, ça nous oblige à nous montrer prudents. Ce qui explique que, pour l’instant, nous nous soyons contentés de les surveiller tout en nous efforçant d’obtenir des informations à leur sujet. Et cela, monsieur Van Atta…

Elle planta son regard dans le sien.

—… m’amène à vous poser cette question : cet incident est-il en quelque manière lié à la crise que vous traversez à l’Habitat ?

— Je ne vois pas comment… commença Van Atta qui s’interrompit net, parce que, soudain, il voyait clair comme en plein jour. Nom de Dieu… murmura-t-il.

— Doux Jésus ! renchérit le Dr Yei, qui se tourna de nouveau vers l’image de l’Habitat démantelé. Ce n’est pas possible…

— Graf est dingue. Il est dingue, je vous dis ! Ce type est un dangereux mégalo ! Il ne peut pas faire un truc pareil !

Les paramètres d’ingénierie défilaient dans l’esprit de Van Atta – masse, force, distance… Et si, pourtant. L’Habitat, bien équilibré, délesté de ses composants négligeables, pouvait très bien être tracté par un superjumper et franchir le couloir.

— Ce n’est pas seulement le superjumper, mais tout l’Habitat qu’ils piratent ! s’écria Van Atta d’une voix enrouée par la rage.

Yei se tordait les mains.

— Ils n’y arriveront jamais. Ce sont des gosses ! Il les mène à leur mort. C’est criminel !

Chalopin et le capitaine Bannerji échangèrent un regard.

— Vous pensez donc que ces deux incidents sont liés ? insista-t-elle.

Van Atta se mit à marcher de long en large.

—… saloperie de Graf !

Yei répondit pour lui :

— Oui, nous le pensons.

— Et ils ont déjà tout démonté ! On ne va même pas avoir le temps de les affamer. Il faut trouver un autre moyen de les arrêter.

— Les résidents de l’Habitat Cay ont été très choqués par la façon brutale dont a été supprimée l’opération, expliqua Yei. L’ayant, de toute évidence, appris tout d’un coup, ils auront pris peur à l’idée de devoir vivre en gravispace. Je n’ai pas eu le temps de les habituer à cette perspective. À mon avis, ils essaient de fuir, en quelque sorte.

Les yeux du capitaine Bannerji s’arrondirent. Il se pencha vers la console et observa plus attentivement le vid.

— Imaginez le lent escargot qui porte sa maison sur son dos, murmura-t-il. Les jours de pluie, il va se promener, sans jamais avoir à revenir sur ses pas…

Van Atta s’écarta soudain du capitaine, comme s’il craignait d’être contaminé par le virus de cette curieuse veine poétique.

— Des armes, dit-il. Quel genre d’armes avez-vous ici ?

— Des neutraliseurs, répondit Bannerji.

Était-ce une lueur de moquerie, dans ses yeux ? Non. Il n’oserait pas.

Van Atta eut un clappement de langue exaspéré.

— Je parle de votre navette. De quoi est-elle équipée ?

— De deux lasers à moyenne portée. La dernière fois que nous les avons utilisés, voyons… c’était pour pulvériser un tronc d’arbre qui obstruait une rivière dont les eaux menaçaient d’inonder un chantier.

— Oui, bon… en tout cas, c’est déjà plus que ce qu’ils ont, eux. On pourrait attaquer l’Habitat… ou le superjumper… ou les deux, en fait. L’essentiel, c’est de les empêcher de se rejoindre. Oui, nous allons attaquer le superjumper d’abord. Sans lui, l’Habitat est une cible idéale. Votre navette est-elle prête à partir, Bannerji ?

Le Dr Yei devint livide.

— Pas si vite ! Qui parle d’attaquer quoi que ce soit ? Nous n’avons même pas encore pris contact avec eux. Si ces pirates sont bien des quaddies, je suis certaine de pouvoir les amener à entendre raison…

— Il est trop tard pour parlementer. Il faut agir, maintenant.

L’humiliation cuisante que Van Atta avait essuyée, attisée par la peur, lui donnait des brûlures d’estomac. Quand les grands chefs de la compagnie découvriraient à quel point il s’était fait berner… Il avait tout intérêt à avoir repris les choses en main d’ici là.

— Oui, mais…

Yei s’humecta les lèvres.

—… On peut lancer des sommations, si l’on veut, mais le recours à la force est dangereux… et destructeur. Ne serait-il pas préférable d’obtenir une autorisation, d’abord ? Si les choses devaient mal tourner, vous n’aimeriez sans doute pas avoir à en assumer toute la responsabilité.

Van Atta réfléchit quelques secondes.

— Ça prendrait trop de temps, objecta-t-il. Il faut bien compter vingt-quatre heures pour contacter la direction sur Orient IV. Et s’ils préfèrent s’en laver les mains et qu’ils nous renvoient auprès d’Apmad, sur Terre, nous devrons peut-être attendre plusieurs jours pour avoir une réponse.

— Mais à eux aussi, il faudra plusieurs jours, non ? insista Yei. Même s’ils parviennent à accrocher l’Habitat au superjumper, ils ne pourront pas filer à la vitesse d’un courrier rapide. Les modules ne supporteraient pas la pression, et il leur faudrait beaucoup trop de carburant, en plus. Donc le temps joue en notre faveur, aussi. Ce qui vous permet d’obtenir l’accord de la direction. Alors, si la situation devait vraiment se gâter, vous seriez couvert.

Van Atta s’accorda un nouveau temps de réflexion. Il reconnaissait bien là l’indécision des femmes. Surtout Yei. Toujours à tergiverser… Il l’entendait d’ici – À présent, calmons-nous et essayons de discuter comme des personnes sensées… Il ne supportait pas de lui donner raison, et pourtant… elle n’avait pas tout à fait tort, il devait bien l’avouer. Couvrir ses arrières était une règle fondamentale.

— Bien sûr… Et puis non, merde ! déclara-t-il. GalacTech verrait d’un très mauvais œil que ce désastre s’ébruite. Il ne manquerait plus que toute la galaxie soit au courant de la fuite de leurs mutants domestiques. Le mieux pour nous tous, c’est que cette affaire soit réglée dans les limites de l’espace local de Rodeo.

Il se tourna vers Bannerji.

— Donc, avant tout, débrouillez-vous, vous et vos hommes, pour récupérer ce vaisseau, ou au moins faire en sorte qu’ils ne puissent pas s’en servir.

— Cela, remarqua Bannerji, serait un acte de vandalisme. De plus, ainsi qu’il l’a été mentionné plus tôt, la sécurité du spatioport Trois ne relève pas de votre autorité, monsieur Van Atta.

Il se tourna vers sa supérieure.

— C’est exact, confirma-t-elle. L’Habitat est peut-être votre problème, monsieur Van Atta, mais le détournement de ce superjumper tombe sans conteste sous ma juridiction, et ce en dépit du lien entre les deux événements. Et il reste également une navette-cargo là-haut qui m’appartient, bien que la station de transfert nous ait signalé que son équipage avait été récupéré dans une nacelle de sauvetage.

Van Atta enrageait. Saletés de bonnes femmes. Elles étaient complices, en plus, pour lui mettre des bâtons dans les roues. Parce que, il s’en apercevait maintenant, c’était à Chalopin que s’adressait Yei, tout à l’heure. Tout en subtilité, bien sûr. Sournoise comme elle l’était… Et l’autre avait reçu le message cinq sur cinq.

— D’accord, dit-il, les dents serrées. Nous en référerons à la direction générale, dans ce cas. Et nous verrons bien qui commande, ici, en fin de compte.

Le Dr Yei ferma les yeux, soulagée. Sur les instructions de Chalopin, un tech com se prépara à envoyer en urgence un message brouillé au District, qui serait relayé par radio à la vitesse de la lumière jusqu’à la station du point de saut, puis enregistré et expédié à travers le couloir par la première navette disponible.

— En attendant, que comptez-vous faire à propos de votre piratage ? railla Van Atta.

— Procéder avec prudence. Il y a tout lieu de croire qu’ils détiennent un otage.

— Nous ne savons pas non plus avec certitude si tout le personnel de GalacTech a pu être évacué de l’Habitat, dit Yei.

Van Atta leva les yeux au ciel, incapable de la contredire sur ce point. Mais s’il y avait encore des gravs là-haut, la direction répondrait sans doute plus vite. Il serait préférable d’appeler la station de transfert pour obtenir le compte définitif des gravs éjectés. Puisque tous ces imbéciles l’obligeaient à se tourner les pouces pendant plusieurs jours, il en profiterait au moins pour échafauder un plan d’enfer. Et à la minute même où on lui donnerait le feu vert, il serait prêt…

Car il l’obtiendrait, ce feu vert, tôt ou tard. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir l’horreur qu’Apmad nourrissait à l’égard des quaddies. Quand la nouvelle de ce chambard tomberait sur son bureau, elle ferait un bond de trois mètres… Et elle lui donnerait carte blanche pour régler ce problème de façon radicale… otages ou pas otages.

Les yeux de Van Atta se rétrécirent soudain.

— Hé !… jubila-t-il. Mais moi aussi, j’ai mon otage…

— Ah oui ? dit Yei, surprise.

— Et dire que j’ai failli l’oublier, celui-là, continua Van Atta. Cher Tony… Quelle bonne idée j’ai eue de vouloir le garder ici…

Le chouchou de Graf… et le préféré de cette petite garce de Claire. Elle faisait sans doute partie des leaders, celle-là. Oui, il tenait une sacrée carte dans les mains. S’il la jouait intelligemment, il avait toutes les chances de gagner la mise – même après avoir perdu la première manche…

Il pivota sur ses talons, débordant soudain d’une énergie renouvelée.

— Allez, venez, Yei ! Je vous assure que ces sales macaques vont répondre à nos appels, maintenant…


Les pilotes de saut avaient beau jurer que leurs vaisseaux étaient magnifiques, franchement, songea Leo en regardant le D-620 approcher, le superjumper ne ressemblait jamais qu’à un énorme poulpe mécanique. Une sorte de nacelle, à l’avant, contenait la salle de contrôle et les quartiers de l’équipage ; un cône magnétique invisible la protégeait des radiations et un bouclier en acier laminé des objets spatiaux pouvant la heurter durant les phases d’accélération ; il traînait derrière lui quatre bras incroyablement longs, en arc de cercle, dont deux abritaient les thrusters normaux, et les deux autres le cœur même du vaisseau, les câbles du champ électrique Necklin qui le propulsaient dans le couloir de navigation durant le saut. Entre ces quatre bras se trouvait un espace vide, d’ordinaire occupé par les nacelles-cargos. Le vaisseau aurait déjà l’air moins bizarre quand les modules de l’Habitat combleraient cet espace, pensa Leo. À ce moment-là, il serait même tout disposé lui aussi à le trouver superbe.

D’un mouvement du menton, Leo fit apparaître à l’intérieur de son casque un vid des niveaux énergétiques de son scaphandre. Il aurait tout juste le temps de voir la mise en place de la première grappe de modules, avant d’être contraint de faire une pause pour remettre ses niveaux à flot. En fait, cette pause, il y avait des heures qu’il la méritait. Ses yeux lui brûlaient ; il avait l’impression d’avoir du sable dans les paupières. Si seulement il pouvait les frotter… Il aspira une gorgée de café de son tube et lui trouva un goût d’eau de vaisselle. Il n’était pas le seul à ne plus être très frais…

Le D-620 se plaça près de l’Habitat et coupa ses moteurs. Les feux de position s’allumèrent, et une lueur vive illumina soudain l’énorme espace vide qu’embrassaient les immenses pattes de l’insecte géant.

Du coin de l’œil, Leo vit une nacelle se détacher à tribord et se diriger vers les modules de l’Habitat. Qui était à l’intérieur ? Silver ? Ti ? Il fallait qu’il parle à Ti au plus vite. Il actionna ses propulseurs et rejoignit son équipe de quaddies.

Trente minutes plus tard, la première grappe de modules se plaçait en douceur entre les bras du D-620. Dans ses cauchemars éveillés, Leo avait imaginé toutes sortes d’obstacles et des heures de réparation ou d’ajustement. Quant aux autorités, à part les messages qu’elles envoyaient régulièrement, elles n’avaient toujours pas bougé. La direction de GalacTech sur Rodeo finirait bien par réagir ; il ne pouvait strictement rien faire pour parer à une attaque éventuelle tant qu’il n’en connaissait pas la nature. L’apparente paralysie de Rodeo ne pourrait pas s’éterniser.

En attendant, il était grand temps pour lui de s’accorder une récréation. Minchenko aurait peut-être un remède miracle pour soigner son mal de tête et compenser les heures de sommeil dont il devrait une fois de plus se passer.

— Pramod ? appela-t-il sur son canal. Ramène tes gars à l’intérieur dès que vous aurez fini de fixer ces modules. Bobbi, il faut que je rentre. Je te laisse diriger les opérations. Assure-toi que la deuxième grappe est solidement liée avant de fermer toutes les écoutilles, d’accord ?

— D’accord, Leo. On s’y met tout de suite, répondit Bobbi en lui adressant un signe amical.

Alors que Leo se détournait, un des mini-pousseurs qui avait aidé à positionner les modules se mit à tourner sur lui-même, prêt à reproduire la manœuvre avec la grappe suivante déjà alignée sous le superjumper. Puis, soudain, l’un de ses verniers projeta un jet gazeux d’un bleu intense ; sous le regard effaré de Leo, le pousseur tourbillonna de plus en plus vite.

De toute évidence, le pilote en avait perdu le contrôle. Leo, paniqué, se brancha aussitôt sur le canal du pousseur. Celui-ci passa à quelques mètres seulement d’un quaddie qui l’évita de justesse. Les yeux écarquillés d’horreur, Leo le vit heurter une nacelle et rebondir sur un des bras du superjumper avant de culbuter entre les modules.

Le canal de Sako, la jeune quaddie qui pilotait le pousseur, n’émettait qu’un long hurlement strident. Leo changea de canal et appela le pilote du second pousseur.

— Vatel ! Va la chercher, vite !

Le pousseur passa devant lui ; il aperçut le mouvement de la main gantée de Vatel répondant à son ordre depuis son cockpit, et dut refréner une furieuse envie de se propulser lui-même là-bas. Mais les niveaux énergétiques de son scaphandre exigeaient qu’il rentre. Pas le choix. Il ne pouvait que s’en remettre à Vatel.

L’incident était-il dû à une erreur humaine – enfin… quaddie – ou provenait-il d’une défaillance mécanique ? Il serait rapidement en mesure de le savoir, dès que Sako lui expliquerait ce qui s’était passé. Si Sako était en état de parler… Refusant d’envisager le pire, il se précipita vers la gaine qui abritait les câbles Necklin.

Elle était cabossée en profondeur, à l’endroit où le pousseur l’avait heurtée. Leo s’efforça de se rassurer. Ce n’est qu’une gaine de protection. Son but est précisément de protéger les câbles des chocs, d’accord ? L’estomac noué, il se hissa jusqu’à l’ouverture, à l’extrémité de la gaine, et alluma la lampe de son scaphandre.

Oh, nom de Dieu !

Le miroir vortex était fêlé. Large de plus de trois mètres, conçu et poli au centième d’angstrôm près, il constituait une surface de contrôle intégral du système de saut, reflétant ou amplifiant le champ électrique Necklin généré par les câbles selon les besoins du pilote. Et il n’était pas seulement fêlé… mais brisé, étoilé et déformé.

Un faisceau lumineux rejoignit le sien. Leo regarda par-dessus son épaule.

— C’est aussi grave que ç’en a l’air ? demanda Pramod dans le canal com.

— Oui, soupira Leo.

— On ne peut pas réparer ça avec une soudure, n’est-ce pas ? Alors qu’allons-nous faire ? demanda Pramod d’un ton angoissé.

La voix lasse de Leo trahissait à la fois son épuisement et sa peur.

— Il faut absolument que je rentre, maintenant. On verra après.

Il venait tout juste d’ôter son scaphandre quand Vatel surgit. Il avait récupéré le pousseur, désormais garé dans son module, et libéré son pilote.

— Il s’est bloqué, pleurait Sako, meurtrie et effrayée. Je ne pouvais plus rien faire. Qu’est-ce que j’ai percuté ? J’ai blessé quelqu’un ? Je ne voulais pas lâcher le carburant, mais c’est le seul moyen que j’aie trouvé pour couper le moteur. Je suis désolée…

Sako ne devait guère avoir plus de quatorze ans.

— Depuis combien de temps ne t’es-tu pas reposée, Sako ? demanda Leo.

— Depuis qu’on a commencé, renifla-t-elle.

Ses quatre mains tremblaient alors qu’elle se tenait devant lui, suspendue en l’air, la tête penchée.

— Mais ça fait au moins vingt-six heures, ça ! s’exclama Leo. Tu vas aller dormir tout de suite. Et mange quelque chose avant.

Elle releva la tête, le considérant avec étonnement.

— Mais les dortoirs ont tous été regroupés avec les crèches. Je ne peux pas y accéder d’ici.

— Et c’est pourquoi… ? Écoute, les trois quarts de l’Habitat sont inaccessibles, à présent. Trouve-toi un coin dans le vestiaire ou ailleurs, n’importe où.

Il regarda ses yeux pleins de larmes, puis ajouta :

— C’est autorisé, Sako.

De toute évidence, elle voulait son sac de couchage personnel, qui l’aurait rassurée, mais Leo n’était pas en mesure de le lui procurer.

— Toute seule ? dit-elle d’une voix de petite fille.

Elle n’avait sans doute jamais dormi avec moins de sept ou huit autres gosses de son âge.

— Viens, dit-il.

Il l’emmena par la main dans le vestiaire, accrocha au mur un sac à linge vide et l’aida à s’y glisser avant de lui donner le sandwich sous vide qu’il gardait dans la poche de sa combinaison. Seule la tête de l’adolescente apparaissait ; il eut un instant l’impression bizarre d’être sur le point d’aller noyer un sac de chatons.

— Là…

Il se força à sourire.

— Ça va mieux ?

— Merci, Leo, dit-elle en ravalant ses dernières larmes. Je regrette, pour le pousseur. Et le carburant…

— On va s’en occuper, ne t’inquiète pas, la rassura-t-il avec un clin d’œil héroïque. Repose-toi, maintenant, d’accord ? Il y aura encore largement de quoi faire quand tu te réveilleras. Bon… eh bien… bonne nuit.

— Bonne nuit, répéta-t-elle.

Une fois seul dans le corridor, il se passa les mains sur le visage en soupirant. Trois quarts de l’Habitat inaccessibles ? Il était bien au-dessous du compte. Et tous les modules fonctionnaient sur l’alimentation de secours en attendant d’être raccordés au circuit central. Il était vital pour la sécurité de ceux qui restaient à l’intérieur des différentes sous-unités que l’Habitat puisse être reconfiguré et rendu opérationnel aussi vite que possible.

Sans parler des efforts que chacun devait fournir pour s’y retrouver dans ce nouveau labyrinthe qu’il avait fallu concevoir selon les exigences spécifiques des services. Les crèches, par exemple, pouvaient fort bien s’accommoder d’être à l’intérieur d’un groupe de modules ; les réfectoires, en revanche, qui servaient quelque mille repas par jour, nécessitaient un accès aisé, de même que les baies de chargement et de déchargement, une ouverture sur l’espace. Encore fallait-il espérer que les modules soient tous attachés dans le bon sens, songea Leo ; il n’était pas toujours sur place pour superviser.

Mais la question se posait désormais de savoir si l’on pouvait continuer à charger un superjumper peut-être hors d’état de fonctionner. Le miroir vortex. Bon Dieu… Pourquoi Sako n’avait-elle pas percuté une nacelle, tout simplement ?

— Leo ! l’apostropha une voix familière.

Le visage fermé, Ti Gulik s’avançait vers lui dans le corridor, suivi de près par Silver et par Pramod. S’agrippant à une poignée, il se planta devant Leo. Celui-ci lança un bref salut à Silver avant que le pilote ne le cloue au pilori.

— Qu’ont fait ces imbéciles de quaddies à mon vaisseau ? s’écria Ti. On prend des risques inouïs pour aller le chercher et le ramener ici, et vous ne trouvez rien de mieux à faire que de le bousiller ! J’avais à peine fini de couper les moteurs !

Il secoua la tête, fournissant un effort louable pour baisser le ton.

— Par pitié, dites-moi que ce petit mutant…

Sans se retourner, il indiqua Pramod derrière lui.

—… s’est trompé.

Leo s’éclaircit la gorge.

— Un des verniers du pousseur s’est, semble-t-il, bloqué et l’a propulsé dans une rotation incontrôlable. Le terme « accident imprévisible » ne figure certes pas dans mon vocabulaire, mais, en tout état de cause, ce n’était pas la faute du quaddie.

— Hmm… renifla Ti. Au moins, vous n’essayez pas de tout mettre sur le dos du pilote. Et au niveau des dégâts, quel est le bilan ?

— Le câble lui-même n’a pas été touché…

Ti exhala un long soupir de soulagement.

—… mais le miroir vortex de bâbord est brisé.

— Le miroir vortex ? s’étrangla Ti. Mais c’est aussi grave !

— Du calme, Gulick. Non, ce n’est peut-être pas aussi grave, justement. J’ai déjà réfléchi à une ou deux solutions… De toute façon, je voulais vous parler. Quand on a pris l’Habitat, il y avait une nacelle-cargo à quai.

Ti le considéra d’un air soupçonneux.

— Et alors ?

— Eh bien, il y a quelque chose dont Silver n’est pas encore au courant…

Leo rencontra le regard de la quaddie qui s’assombrit à la perspective d’une mauvaise nouvelle.

—… Nous n’avons pas pu récupérer Tony. Il est toujours à l’hôpital, sur Rodeo.

— Oh non !… gémit-elle. Est-ce qu’on va pouvoir… ?

— Peut-être. J’ignore encore si la stratégie est bonne, mais je sais en revanche que je ne pourrais plus me regarder dans la glace le matin si on ne tentait pas l’impossible pour aller le chercher. En plus, Minchenko a aussi promis de venir avec nous, mais pas sans madame Minchenko. Et elle aussi est là-bas.

— Le Dr Minchenko est resté ?

Silver applaudit des quatre mains, ravie.

— Oh, c’est formidable !

— Mais seulement si nous pouvons ramener sa femme, insista Leo. On a donc deux bonnes raisons de tenter un raid. On a une navette, on a un pilote…

— Oh non ! protesta Ti. Pas si vite…

—… et on a désespérément besoin d’un miroir vortex. Si on peut en trouver un dans l’entrepôt de Rodeo…

— Ne vous faites pas d’illusions, l’interrompit Ti. Seul le chantier naval du district orbital d’Orient IV effectue les réparations des navires de saut. Et toutes les pièces sont entreposées là. Rodeo n’a rien à voir avec les superjumpers. Rien du tout, conclut-il en croisant les bras.

— C’est bien ce que je craignais, soupira Leo. Bon, il y a encore une autre possibilité. On pourrait essayer d’en fabriquer un ici.

Ti prit l’air contrarié de quelqu’un qui vient de mordre dans un citron.

— Graf… on ne fait pas un miroir vortex avec des boîtes de conserve et des bouts de ficelle. Ils les fabriquent d’une seule pièce ; il n’y a pas une soudure, pas un joint, et ce truc fait trois mètres de large, bon sang ! La presse qui les moule pèse des tonnes. Sans parler de la précision nécessaire… il vous faudrait au moins six mois pour y arriver. Et encore… sans résultat garanti !

Leo hocha la tête, puis leva les mains, doigts écartés.

— Dix heures, dit-il. Ah ! bien sûr, je préférerais avoir six mois. Et être en gravispace, dans une fonderie. Avec une presse géante et une équipe de spécialistes… Là, je serais équipé pour fabriquer des dizaines, voire des centaines de miroirs vortex. Mais primo, je n’ai rien de tout ça, et secundo il ne m’en faut pas des centaines, mais un seul. Et il existe un moyen de le faire. C’est sûr, avec le temps imparti, on n’aura pas de seconde chance. Mais au point où nous en sommes, on a tout à gagner à tenter le coup. Le problème, c’est que je ne peux pas en même temps construire un miroir vortex ici et récupérer Tony sur Rodeo. Pas question non plus que les quaddies y aillent. Donc j’ai besoin de vous, Ti. De toute façon, je vous aurais demandé de piloter la navette. Maintenant, je vous demande un peu plus que ça…

Ti pointa l’index sur le torse de Leo.

— Écoutez-moi bien, Graf… En principe, j’allais pouvoir me tirer intact de cette histoire parce que GalacTech aurait été amené à penser que je vous avais fait franchir le couloir avec un flingue sur la tempe. Un scénario simple et tout à fait crédible. Mais là, ça complique tout. Même si j’arrive à me sortir indemne de ce genre de cascade, ils ne voudront jamais croire que je l’ai fait contraint et forcé. Qu’est-ce qui m’empêcherait d’aller trouver les autorités s’il n’y a plus personne pour me menacer ? Non, non, je ne peux pas faire ça. Ni par amour, ni pour de l’argent.

— Je sais, rétorqua Leo. On vous a déjà offert l’un et l’autre.

Ti le fusilla du regard, mais baissa la tête pour éviter de rencontrer les yeux de Silver.

Une voix juvénile retentit depuis le corridor :

— Leo ? Leo ! Où êtes-vous ? Leo ?

— Ici, répondit-il. Que se passe-t-il encore… ?

Un jeune quaddie apparut à la porte.

— Leo ! On vous cherche partout. Vite ! Un message urgent. Sur le com. De gravispace.

— On a dit qu’on ne répondait pas aux messages. Le black-out complet. Moins on leur donne d’informations, plus ça leur prendra du temps pour mettre leur attaque au point.

— Mais c’est Tony !

Leo sentit son ventre se crisper. Il se rua derrière le messager. Silver, blême, et les autres se précipitèrent à sa suite.

Tony était assis sur son lit d’hôpital, adossé aux oreillers, face au vid. Il portait son T-shirt et son short habituels, et un bandage sur le bras inférieur gauche. Des cernes marquaient son visage tourmenté et ses yeux, tels ceux d’un poney apeuré, se tournaient sans cesse vers la droite de son lit où se tenait Bruce Van Atta.

— Il vous en a fallu, du temps, pour répondre à notre appel, Graf, dit Van Atta sur un ton détestable.

Leo avait la gorge serrée.

— Salut, Tony. On ne t’a pas oublié, ici. Claire et Andy vont bien ; ils sont de nouveau ensemble et…

— Vous êtes ici pour écouter, Graf, et rien d’autre, l’interrompit Van Atta qui appuya sur un bouton. Voilà, je viens de couper votre audio, comme ça vous pouvez économiser votre salive. Bien, Tony…

Van Atta lui toucha le bras avec la pointe d’un petit câble argenté. Qu’est-ce que c’est que ça ? se demanda Leo, soudain effrayé.

—… fais-nous ton discours.

Le regard de Tony revint sur le vid, sur l’image silencieuse de Leo, et ses yeux s’agrandirent démesurément. Il se mit à parler de façon précipitée :

— Je ne sais pas ce que vous faites, Leo, mais continuez. Ne vous occupez pas de moi. Emmenez Claire et Andy loin d’ici et…

L’holovid s’éteignit soudain, bien que le canal audio restât ouvert. Leo et tous ceux qui étaient présents entendirent une sorte de grésillement, un cri, et la voix dure de Van Atta :

— Arrête de bouger, sale mutant !

Puis le son, lui aussi, fut coupé.

Leo s’aperçut qu’il serrait très fort la main de Silver dans la sienne.

— On a prévenu Claire, dit Silver. Elle doit être en route.

— Je crois que tu ferais mieux d’aller au-devant d’elle. Il ne faut pas qu’elle voie ça.

Silver hocha la tête.

— Compris.

Elle venait de ressortir quand le vid s’alluma de nouveau. Tony était maintenant recroquevillé dans le coin de son lit, le visage enfoui entre ses mains. Van Atta, l’air mauvais, se balançait sur ses talons.

— Ce gosse a l’esprit lent, de toute évidence, lança-t-il avec hargne. Je vais être clair et bref, Graf. Vous détenez peut-être des otages, mais si vous vous avisez de toucher à un seul de leurs cheveux, vous devrez en répondre devant n’importe quel tribunal de la galaxie. Moi aussi, j’ai un otage ; la différence, c’est que je peux en disposer selon mon bon plaisir. En toute légalité. Et vous auriez tort de croire que ce sont des paroles en l’air. Donc, nous allons vous envoyer une navette de la sécurité pour remettre un peu d’ordre là-haut. Et vous allez gentiment coopérer, d’accord ?

Il leva le câble argenté et actionna une manette. Des étincelles en jaillirent.

— C’est un instrument très rudimentaire, mais c’est fou ce qu’on peut faire avec. Il va de soi que je ne m’en servirai que si vous m’y forcez, Leo.

— Personne ne vous force à…

— Ah ! le coupa Van Atta. Un instant…

Il régla ses commandes holovid.

— Là… maintenant, on vous entend. Allez-y, mais j’espère que ce que vous avez à me dire sera intéressant.

— Personne ici ne vous force à faire quoi que ce soit, dit Leo. Vous êtes seul responsable de vos actes. Nous ne détenons aucun otage. Nous avons juste trois volontaires, qui ont choisi de rester pour… être en accord avec leur conscience, je suppose.

— Si Minchenko est l’un d’eux, je vous conseille de protéger vos arrières, Graf. La conscience, mon œil ! Il veut simplement garder la mainmise sur son petit empire. Vous êtes un con, Graf. Yei, venez lui parler dans sa langue. Je ne suis pas sûr qu’il comprenne la mienne…

Le Dr Yei apparut dans l’image. L’attitude très rigide, elle s’humecta les lèvres et rencontra le regard de Leo.

— Monsieur Graf, je vous en supplie, mettez un terme à cette folie. Ce que vous tentez de faire est dangereux pour vous tous et…

Van Atta illustra ses propos en agitant le câble électrique au-dessus de la tête de Yei qui se tourna vers lui, agacée.

— Rendez-vous maintenant, continua-t-elle cependant, et vous limiterez ainsi les dégâts. Je vous en prie. Pensez à tous ces enfants. Vous avez le pouvoir de tout arrêter…

Leo garda le silence un instant, puis se pencha.

— Docteur Yei, je suis à quarante-cinq mille kilomètres de vous. Vous êtes dans la même pièce que Van Atta. C’est à vous de l’arrêter, lui.

Il éteignit l’holovid et resta quelques minutes sans rien dire.

— Pourquoi avez-vous coupé ? demanda Ti, réprobateur.

Leo haussa les épaules.

— Parce que, sans public, il n’a aucun intérêt à poursuivre le spectacle.

— Jusqu’où ce type peut-il aller, à votre avis ?

— Je l’ai connu dans le passé. Et je l’ai déjà vu en colère. Il peut se montrer très belliqueux. En général, il suffit d’invoquer ses intérêts personnels pour qu’il se calme. Mais dans ce cas précis, sa carrière est déjà salement compromise. Il n’a plus grand-chose à perdre. Franchement, je ne sais pas jusqu’où il est capable d’aller. Je ne suis même pas certain qu’il le sache lui-même.

Ti fut le premier à rompre le silence qui suivit les propos de Leo :

— Vous, euh… vous avez encore besoin d’un pilote, pour la navette, Leo ?

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