11

Silver s’aperçut trop tard qu’elle avait eu tort de laisser Ti se charger de l’accostage au superjumper : l’impact du premier froissement métallique se répercutait dans le cargo-pousseur. Zara, qui surveillait la manœuvre, émit un gémissement. Ti lui lança un regard agacé par-dessus son épaule et reporta son attention sur le tableau de bord.

Oui, tort de laisser ce grav, cet homme, chapeauter sa propre volonté. Elle savait pourtant qu’il n’était pas qualifié pour piloter ces cargos-pousseurs, il l’avait dit lui-même. Il ne ferait autorité qu’une fois dans le superjumper. Pas avant.

Non, se reprit-elle. Même pas à ce moment-là.

— Zara, ordonna-t-elle, prends les commandes !

— Merde ! jura Ti. Si tu me donnes seulement…

— On a besoin de toi sur les canaux comm, Ti, l’interrompit-elle, espérant ainsi ménager son amour-propre.

De mauvaise grâce, il laissa Zara prendre sa place.

L’anneau de fixation du tube flexible refusait de s’emboîter correctement. La seconde manœuvre, comme la première, fut vouée à l’échec. Silver sentait ses paumes devenir moites. Le soudeur glissait entre ses mains.

— Tu vois, triompha Ti, tu ne fais pas mieux que moi.

Zara lui jeta un regard furieux.

— Tu as tordu un des anneaux, empoiré. Il vaudrait mieux pour nous que ce soit le leur et pas le nôtre.

— Enfoiré, rectifia Jon sans cesser de s’activer près de l’écoutille pour tenter de la rendre hermétique. Si tu tiens à utiliser le vocabulaire des gravs, autant le faire bien.

— Cargo-pousseur R-26 appelle superjumper GalacTech D-620, annonça Ti d’une voix mal assurée dans le com. Jon, on va être obligés de se détacher et d’accoster l’autre côté. On a un problème, ici.

— Vas-y, Ti, répondit le pilote. Ça va pas ? T’as pas l’air en forme. Comme accostage, on a vu mieux, franchement… Et c’est quoi, cette urgence, à propos ?

— Je t’expliquerai une fois à bord.

Ti releva les yeux pour rencontrer ceux de Zara qui confirma d’un hochement de tête.

Ils eurent plus de chance à tribord. Non, se reprit une fois de plus Silver. C’est nous qui créons notre propre chance. Et c’est à moi de faire en sorte qu’elle ne tourne pas.

Ti s’engagea le premier dans le tube flexible. L’ingénieur du superjumper l’attendait de l’autre côté. Son accueil n’avait rien de chaleureux.

— Gulik, espèce d’abruti, tu as cassé notre anneau de fixation ! Vous vous croyez les plus forts, avec vos implants, mais dès que vous êtes en manuel, y a plus personne. J’ai jamais vu…

Il s’interrompit net alors que Silver apparaissait derrière Ti pour pointer son soudeur sur son torse. Les yeux écarquillés, la mâchoire pendante, il vit Jon et Siggy surgir à leur tour derrière elle.

— Conduis-nous au pilote, Ti, dit Silver sur un ton agressif pour cacher la peur qui la tenaillait.

Ses forces semblaient l’abandonner. Se ressaisissant, elle affermit l’arme dans ses mains.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? dit l’ingénieur dont la voix avait grimpé d’une octave. D’où sortez-vous, tous les trois ? Gulik, ils sont avec toi ?

Ti haussa les épaules et répondit d’un sourire misérable. Silver n’aurait su dire s’il était dû à ses talents d’acteur ou non.

— Pas tout à fait. Disons plutôt que… ils m’ont amené avec eux.

Siggy, du coup, menaça Ti de son arme. Silver, en approuvant ce plan, avait ravalé alors ses craintes. Que Ti ne fût pas armé et agît apparemment sous la menace des quaddies le couvrait en cas de fiasco et de poursuites légales. Mais cette mise en scène pouvait également se retourner contre eux. Au dernier moment, le pilote avait tout loisir de passer dans le camp de ses semblables. Compliqué… Tous les leaders devaient-ils réfléchir ainsi à de multiples niveaux ? Ça lui faisait tourner la tête.

Dans la salle de Nav & Com, ils trouvèrent le pilote assis dans son fauteuil, couronné de son énorme casque de contrôle. Sa combinaison violette était décorée de galons proclamant son rang et sa spécialisation. Les yeux fermés, il fredonnait au rythme du biofeedback de son vaisseau.

Il couina de surprise quand son casque fut soudain débranché et soupira en reconnaissant Ti.

— Bon sang, Ti, ne fais pas des trucs pareils… Tu es bien placé pour savoir que… Hé ! s’exclama-t-il. Mais que…

Il se tut en rencontrant le regard de Silver. Il sourit bêtement, puis après une rapide inspection de son anatomie, s’appliqua à fixer les yeux sur son visage. Elle agita le soudeur, au cas où il ne l’aurait pas remarqué.

— Levez-vous ! ordonna-t-elle.

Il se laissa retomber dans son fauteuil.

— Ecoutez, je… euh… mais c’est quoi, d’abord, cet engin ?

— Un fusil laser. Levez-vous, répéta-t-elle.

Il la jaugea en silence, se tourna vers Ti, puis vers son ingénieur. Ses mains, lentement, se posèrent sur les sangles qui le retenaient sur son siège. On le sentait tendu à l’extrême.

— Levez-vous sans brusquerie, dit Silver.

— Pourquoi ?

Il cherche à gagner du temps, songea-t-elle.

— Ces gens veulent emprunter ton vaisseau, expliqua Ti.

— Des pirates ! s’écria l’ingénieur à voix basse.

Il recula vers les portes hermétiques, mais s’immobilisa devant les armes que Jon et Siggy pointaient sur lui.

— Des mutants… marmonna-t-il encore.

— Sortez de ce fauteuil ! ordonna de nouveau Silver, haussant la voix.

Le pilote afficha une expression songeuse. Il posa les mains sur ses genoux enfin, avec une fausse décontraction.

— Et si je ne veux pas ? la défia-t-il.

Silver eut la sensation que le contrôle de la situation lui échappait, troublée par le sang-froid, réel ou feint, qu’il manifestait. Elle jeta un bref coup d’œil vers Ti, mais il se retranchait derrière son rôle d’otage. Très profil bas, comme disaient les gravs.

Une seconde s’écoula. Puis une autre. Le pilote commença à se détendre pour de bon, une petite lueur de triomphe arrogant dans le regard. Il l’avait percée à jour : elle n’oserait pas tirer. Ses mains remontèrent jusqu’à la boucle de sa ceinture ; il replia les jambes, cherchant un appui pour s’élancer.

Elle avait tant de fois répété ce scénario dans sa tête que la réalité semblait avoir perdu toute consistance. Elle s’observait, comme depuis un autre lieu, ou un autre temps. Cette scène, elle l’avait ressassée des dizaines, des centaines de fois, sans jamais en voir le dénouement. Elle dirigea le bout de son soudeur sur un point juste sous les genoux du pilote afin que le tableau de bord ne se trouvât pas sur la trajectoire du faisceau.

Presser le bouton fut, contre toute attente, facile. Un simple muscle en mouvement dans le pouce supérieur droit. Le faisceau était d’un bleu terne ; une petite flamme jaune jaillit de la combinaison ignifugée du pilote puis s’éteignit. Elle plissa le nez en sentant l’odeur de chair brûlée. Puis le pilote se plia en deux en hurlant.

— Mais qu’est-ce qui t’a pris, Silver ? explosa Ti, ébahi. Il était encore attaché sur son siège, bon Dieu !

L’ingénieur eut un sursaut de peur convulsif, puis se recroquevilla en boule, ses yeux passant d’un quaddie à l’autre. Siggy regardait fixement le pilote, bouche bée ; le visage de Jon était un masque de bois.

Les cris du pilote affolèrent Silver ; elle les ressentait comme autant de coups de poignard dans le ventre.

— Taisez-vous ! ordonna-t-elle, l’arme pointée sur lui de nouveau.

Il s’arrêta aussitôt. La respiration laborieuse, il releva les yeux pour l’observer à travers ses paupières à demi fermées par la douleur. Le centre noirâtre de la brûlure, sur sa jambe, semblait cautérisé. Silver était partagée entre la révulsion et le désir étrange d’aller voir de plus près la conséquence de son geste. Les lèvres de la brûlure, gonflées, devenaient rouges et suintantes. La blessure, toutefois, ne paraissait pas mettre la vie du pilote en danger.

— Siggy, détache-le et sors-le de ce fauteuil, dit-elle, impérieuse.

Pour une fois, Siggy obéit sans rechigner. Pas même une suggestion tirée d’un de ses holovids préférés.

En fait, ce qu’elle venait de faire produisait un effet très bénéfique sur tous les acteurs de la scène. Chacun semblait prendre son rôle plus au sérieux. C’était ça, le pouvoir ? Elle comprenait qu’on pût trouver du plaisir à ce petit jeu… Plus de jérémiades, plus de protestations.

Enfin, presque plus…

— C’était indispensable, tu crois ? demanda Ti alors que Siggy et Jon poussaient les prisonniers dans le corridor. Il détachait sa ceinture, comme tu le lui avais ordonné, ni plus ni moins.

— Il s’apprêtait à me sauter dessus pour me désarmer.

— Qu’en sais-tu ?

— Je n’étais pas certaine de pouvoir l’atteindre si j’attendais d’en avoir la confirmation.

— Tu avais le choix, quand même…

Elle planta son regard dans le sien.

— Si on ne réussit pas à s’emparer de ce vaisseau, ce sont mille quaddies qui seront condamnés à mort. Oui, j’avais le choix. J’ai choisi. Et je choisirai de nouveau si j’y suis obligée. C’est clair ?

Le sort de tous est entre tes mains, Silver… lui répéta la voix de Leo.

Ti hocha la tête, capitulant.

— Oui, chef…

Oui, chef ? Silver fronça les sourcils et passa devant lui pour cacher sa confusion. Ses mains tremblaient : le contrecoup, sans doute. Elle pénétra dans la nacelle de sauvetage en premier, pour arracher comme prévu le matériel de communication – à l’exception du bip directionnel d’urgence – et s’assurer que la boîte de secours était bien en place ; mais surtout pour se ménager un instant de solitude, à l’abri du regard de ses compagnons.

Était-ce ce qu’éprouvait Van Atta quand chacun filait doux devant lui ? Le plaisir excitant du pouvoir ? L’impact de son geste sur le pilote était évident. Mais, qu’y avait-il de changé, en elle, depuis qu’elle avait appuyé sur le bouton ? Pour toute action, une réaction. Cette vérité était ancrée dans l’esprit des quaddies depuis leur naissance, claire et démontrable à chaque instant.

Elle sortit de la nacelle. Le pilote gémit en se cognant la jambe contre le montant de l’écoutille, alors que Siggy et Jon le faisaient entrer à son tour, ainsi que l’ingénieur. Ils fermèrent ensuite les portes et détachèrent la nacelle du vaisseau.

À l’agitation de Silver succéda une calme détermination, même si ses mains tremblaient encore, même si elle souffrait d’avoir infligé une blessure au pilote. Les quaddies n’étaient pas différents des gravs, en définitive : tout aussi capables qu’eux de répandre la mort et la souffrance autour d’eux. Si tel était leur choix.


Voilà. En plaçant les végétubes sous cet angle, avec une rotation de six heures, ils pourraient supporter une intensité lumineuse quatre fois moindre dans le module d’hydroponique et cependant recevoir encore assez de lumière pour générer une floraison en quatorze jours. Claire entra les données sur sa console portable. Cette nouvelle configuration réduisait en outre les besoins énergétiques de douze pour cent par rapport à sa première estimation. Parfait. Car jusqu’à ce que l’Habitat arrive à destination et que l’on puisse de nouveau déployer les fragiles accumulateurs solaires, l’énergie serait une denrée précieuse qu’il leur faudrait économiser au maximum.

Elle éteignit sa console et soupira. À partir de maintenant, elle était désœuvrée. Du moins tant qu’elle serait enfermée ici, dans le club. C’était une cachette idéale, mais bien trop calme. L’inactivité lui devenait de plus en plus insupportable au fil des secondes. Pour tromper son ennui, elle ouvrit un placard et sortit un sachet de raisins secs qu’elle mangea, un par un. Quand elle eut terminé, le silence lui colla de nouveau à la peau.

Une fois de plus, elle imagina Andy, ses petites mains chaudes accrochées à elle, sa peau douce contre sa joue, et pria pour que Silver se dépêche d’envoyer le signal. Mais aussitôt, elle se représenta Tony, prisonnier de son lit d’hôpital, sur Rodeo, et espéra de tout cœur que Silver arriverait le plus tard possible afin qu’ils aient encore le temps d’aller le chercher. Elle ne savait plus s’il fallait se réjouir ou pleurer de voir le temps s’écouler inexorablement.

Les portes s’ouvrirent ; elle sursauta. C’étaient les trois quaddies – Emma, Patty et Kara – qui travaillaient à l’infirmerie.

— C’est le moment ? demanda Claire.

Kara secoua la tête.

— Pas encore.

— Mais pourquoi est-ce si long ? Pourquoi Silver…

Claire se tut ; elle concevait sans peine de multiples raisons dramatiques en réponse à sa question.

— Il vaudrait mieux qu’elle se dépêche, dit Kara. Ils fouillent l’Habitat de fond en comble pour te retrouver. M. Wyzak, tu sais, le chef de la maintenance, a enfin eu l’idée de regarder derrière les murs. Ils sont dans le secteur de la baie de déchargement, en ce moment. C’est drôle, ajouta-t-elle avec un petit sourire ironique, son équipe est d’une maladresse et d’une lenteur incroyables… Mais ils finiront bien par arriver jusqu’ici tout de même.

Emma agrippa un des bras de Kara.

— Tu crois que nous devons quand même rester cachées ici ?

— Il n’y a pas d’autre solution pour l’instant. Espérons que tout se déclenchera avant que le Dr Curry ne parvienne au bout de sa liste. Sinon, on risque de se retrouver un peu tassées, ici.

— Le Dr Curry s’est réveillé, alors ? demanda Claire. Dommage qu’il ne soit pas resté plus longtemps dans les vapes.

Kara pouffa.

— On ne peut pas dire qu’il soit très lucide. Il est là, immobile, les yeux tout rouges et bouffis, et se contente de surveiller l’infirmière chargée des piqûres. Enfin, du moins s’ils trouvaient des filles à qui faire les injections.

— Les injections ?

— Oui. Un abortif, dit Kara en grimaçant.

— Oh ! Alors, ce n’est pas la même liste que la mienne.

C’était donc pour cela qu’Emma et Patty étaient blêmes. Apparemment, elles aussi l’avaient échappé belle.

Kara soupira.

— Non. De toute façon, je suppose que nous sommes toutes inscrites sur une liste ou une autre, déclara-t-elle avant de ressortir.

Claire fut ravie d’avoir la compagnie des deux autres quaddies, même si cela représentait un danger supplémentaire non seulement pour elles-mêmes mais pour le projet tout entier. Et si le complot était découvert avant terme à cause de son acte de rébellion ? Aurait-elle dû se soumettre à l’intervention de Curry, rien que pour préserver le secret un peu plus longtemps ?

— Et maintenant ? Que faisons-nous ? demanda Emma d’une petite voix.

— On attend, c’est tout, répondit Claire. À moins que tu aies apporté quelque chose à faire.

— Non, tu penses… Kara est venue me chercher à l’atelier de réparations il y a environ dix minutes. Je n’ai pas eu le temps de prendre quoi que ce soit avec moi.

Distraitement, elle se frotta le ventre de ses mains inférieures en un mouvement circulaire que Claire reconnut aussitôt.

— Je me demande où ça va nous mener, cette histoire… soupira-t-elle. Où nous serons, tous, dans sept mois.

Un chiffre précis qu’elle n’avait sans doute pas choisi au hasard…

— Loin de Rodeo, en tout cas. Ou morts.

— Si on est morts, on n’aura plus de problèmes, dit Patty. Sinon… Claire, comment c’est, l’accouchement ? Comment c’est vraiment ?

Son regard intense cherchait le réconfort qu’apporterait l’expérience de Claire, seule initiée parmi elles aux mystères de l’enfantement.

— Ce n’est pas vraiment agréable, répondit Claire en choisissant ses mots avec soin, mais ça n’a rien d’insurmontable. Le Dr Minchenko prétend que c’est beaucoup moins difficile pour nous que pour les femmes gravs. Nous avons un bassin plus flexible et plus large qu’elles, avec des structures périnéales plus élastiques, aussi, car nous n’avons pas à combattre les forces gravitationnelles. Il dit que c’est lui qui a conçu cette idée, comme celle d’éliminer l’hymen. Je ne sais pas ce que c’est, mais… quelque chose qui fait mal, en tout cas, d’après ce que j’ai compris.

— Les pauvres… dit Emma. Si ça se trouve, avec la gravité, les bébés tombent tout seuls du ventre de leur mère…

Claire eut une moue sceptique.

— Je ne l’ai jamais entendu dire. Par contre, le Dr Minchenko m’a expliqué aussi qu’elles ont des problèmes en arrivant à terme, avec le poids du bébé qui coupe la circulation et leur écrase les organes…

— Oh ! la la !… je suis contente de n’être pas née grav, dit Emma. Tu imagines la pauvre mère terrorisée à l’idée que les infirmières ou n’importe qui pourraient faire tomber leur bébé par terre… ?

— C’est horrible, en bas, confirma Claire. Ça vaut le coup de tout risquer pour ne pas y aller, crois-moi.

— Mais nous serons toutes seules, dans sept mois, dit Patty. Toi, tu avais des gens, pour t’aider. Tu avais le Dr Minchenko. Emma et moi… on n’aura personne.

— Ce n’est pas vrai, objecta Claire. Qui t’a mis cette idée en tête ? Kara sera ici. Et moi… On vous aidera.

— Leo vient avec nous aussi, ajouta Emma, essayant d’avoir l’air optimiste. C’est un grav, lui.

Claire, s’efforçant d’imaginer Leo en combinaison blanche de médic, eut un petit sourire amusé.

— Je ne suis pas sûre que ce soit tout à fait dans ses cordes. Quoi qu’il en soit, le seul problème qu’on a eu pendant la grossesse a été de rassembler toutes les données, parce que j’étais la première, et qu’il fallait tout consigner. Quant à l’accouchement lui-même, le Dr Minchenko n’a rien fait, et moi non plus… c’est mon corps qui s’est chargé de tout. Et ça s’est très bien passé. Alors il n’y a pas de raison que ce ne soit pas la même chose pour vous.

Sauf s’il y a un ennui biologique, songea-t-elle en gardant cette pensée pour elle.

Patty n’avait pas l’air rassurée pour autant.

— Peut-être, mais l’accouchement n’est que le début. On était déjà bien occupées en travaillant pour GalacTech, mais depuis qu’on prépare notre évasion, on l’est trois fois plus. Et il faudrait vraiment être borné pour ne pas se rendre compte que ça va aller de pis en pis. On n’en voit pas le bout, de cette histoire. Comment allons-nous pouvoir nous occuper des bébés, en plus ? L’idée de lutter pour cette prétendue liberté ne m’emballe pas des masses. Leo n’arrête pas de nous rebattre les oreilles avec ça, mais la liberté pour qui, d’abord ? Certainement pas pour moi. J’avais bien plus de temps libre quand je travaillais pour la compagnie.

— Tu veux aller à ton rendez-vous avec le Dr Curry ? suggéra Emma.

Patty resserra les bras sur son ventre, mal à l’aise.

— Non…

— Il ne faut pas confondre liberté et temps libre, Patty, dit Claire. Dans l’esprit de Leo, c’est plus une affaire de survie. C’est… ne pas être obligé de travailler pour des gens qui ont le droit de nous tuer si ça leur chante.

Le mauvais souvenir que ces mots évoquaient durcit sa voix et elle se reprit d’elle-même :

— Il faudra toujours travailler, bien sûr, mais au moins ce sera pour nous. Et pour nos enfants. Et la prochaine fois – si tu veux qu’il y ait une prochaine fois –, tu pourras choisir le père de ton enfant. Il n’y aura personne pour te l’imposer.

Le visage de Patty s’éclaira.

— C’est vrai, ça…

Les arguments de Claire avaient fait mouche.

Bien plus tard, les portes s’ouvrirent et Pramod passa la tête dans la petite pièce.

— On a reçu le signal de Silver, annonça-t-il.

Claire applaudit ; Patty et Emma s’étreignirent, tourbillonnant sur elles-mêmes.

Pramod leva une main pour tempérer leur enthousiasme.

— Rien n’a encore commencé. Vous devrez rester ici un petit peu encore.

— Pourquoi ? s’écria Emma.

— On attend une livraison de Rodeo. Dès que la navette accostera, ce sera le nouveau signal pour déclencher l’opération.

Le cœur de Claire se mit à battre plus fort.

— Et Tony ? Est-ce qu’ils ont pu prendre Tony à bord ?

Pramod secoua la tête, ses yeux sombres partageant sa douleur.

— Non. Uniquement du matériel. Des barres de combustible. Leo ne veut pas partir sans. Il a peur qu’on ne puisse pas propulser l’Habitat jusqu’au couloir, si on n’en a pas.

— Ah !… oui, bien sûr, acquiesça Claire, qui se replia sur elle-même.

— Restez ici, surtout ne sortez pas, et ne répondez pas aux klaxons d’alarme, déclara encore Pramod.

Il leur adressa un geste amical en signe d’encouragement, puis referma les portes derrière lui.


Bruce Van Atta pressa un doigt sur sa narine gauche et inspira fortement par la droite, avant de répéter l’opération de l’autre côté. Saleté d’apesanteur. Lui qui avait déjà des problèmes de sinus, ça n’arrangeait rien… Et s’il n’y avait que ça, encore. Ah ! il ne serait pas fâché de retourner sur Terre, c’était sûr. Et le plus tôt serait le mieux. Même Rodeo serait préférable à ce trou à rats. D’ailleurs, il pourrait peut-être invoquer un prétexte – aller inspecter les futures baraques des quaddies, par exemple. S’il jouait bien, il pourrait se payer cinq jours de vacances.

Il se laissa flotter jusqu’au bureau du Dr Yei et s’installa le dos au mur et les pieds contre le bord du plateau magnétisé couvert de documents. Yei, les lèvres serrées, pivota sur son siège de façon à lui faire face. Délibérément, il croisa les pieds en bousculant ses papiers au passage pour trouver une position plus confortable. Elle reporta son attention sur son holovid tandis qu’il continuait à semer la pagaille dans ses affaires. Encore heureux qu’ils n’aient plus que quelques semaines à travailler ensemble, songea-t-il. Il en avait sa claque, de cette emmerdeuse. Encore une pour qui il ne sortirait pas son mouchoir à l’heure des adieux…

— Alors ? dit-il enfin. Où en sommes-nous ?

— Eh bien, pour être franche, j’ignore où vous en êtes, puisque j’ignore ce que vous faites… mais en ce qui me concerne, j’ai orienté environ la moitié des employés vers leurs nouvelles fonctions.

— Certains vous ont-ils donné du fil à retordre ? Je peux jouer les redresseurs de torts, s’il le faut, proposa-t-il, et chapitrer les moins coopératifs.

— Tous sont choqués, c’est naturel, répondit-elle. Cependant, je ne pense pas que votre intervention sera nécessaire.

Van Atta arbora un sourire jovial.

— Parfait.

— Je pense en revanche qu’il aurait été préférable de le leur annoncer à tous en même temps. Les mettre au courant les uns après les autres favorise les rumeurs et la circulation d’informations erronées…

— Oui, je comprends. Enfin, il est trop tard, maintenant, surtout que…

Le ululement d’une alarme sur l’intercom l’interrompit. À l’image de l’holovid de Yei succéda celle du canal d’urgence du Système central.

— Attention, attention… annonça Graf.

D’où appelait-il ?…

—… Nous avons un problème de dépressurisation. Cela n’est pas un exercice. Tout le personnel grav de l’Habitat doit se rendre immédiatement dans le module désigné et y rester jusqu’à nouvel ordre…

Une carte informatisée apparut, sur laquelle une flèche lumineuse indiquait le module en question et le chemin pour y parvenir au plus vite depuis l’endroit de la diffusion. Un seul module ? Van Atta jura tout bas. Bon sang, la dépressurisation devait avoir gagné tout l’Habitat. Que se passait-il, nom de Dieu ?

— Attention, attention, répéta Graf. Cela n’est pas un exercice…

Yei contemplait la carte en secouant la tête.

— Comment est-ce possible ? Les portes hermétiques sont censées isoler l’espace dangereux du reste de l’Habitat.

— Je voudrais bien le savoir, dit Van Atta, furieux. Graf a chamboulé la structure de l’Habitat pour le programme de récupération… Je parie que lui, ou ses quaddies, ont bousillé quelque chose. À moins que ce ne soit ce con de Wyzak… Bon, on n’a pas de temps à perdre. Allons-y !

— Attention, attention. Cela n’est pas un exercice. Tout le personnel de l’Habitat est attendu immédiatement au…

La communication fut coupée net, ne laissant que la petite flèche lumineuse clignotant sur la carte de l’holovid.

Van Atta sortit le premier du bureau. Suivi de Yei, il remonta le corridor et franchit les portes béantes qui auraient dû être fermées. Un flot d’employés pressés d’aller se mettre à l’abri s’écoulait déjà dans le passage. Van Atta déglutit plusieurs fois, maudissant ses sinus alors qu’une oreille se débouchait mais pas l’autre. La panique ambiante lui donnait des aigreurs d’estomac.

Le module de conférences C était déjà bondé à leur arrivée. La plupart des employés étaient en combinaison de travail, mais certains avaient été surpris pendant leurs heures de repos. Une des surveillantes du service de nutrition portait un pyjama à fleurs qui aurait pu prêter à sourire en d’autres circonstances.

— Fermez la porte ! cria un chœur de voix, alors que le groupe de Van Atta et de Yei pénétrait dans le module.

Les spéculations cillaient bon train dans la salle surpeuplée.

— Que se passe-t-il ?

— Aucune idée. Demandez à Wyzak.

— Il doit être dehors, en train de régler le problème.

— S’il n’y est pas encore, il ferait mieux de se magner le train…

— Et les quaddies ? Où sont les quaddies ?

— Ils ont leur propre espace de sécurité. Il n’y aurait pas eu assez de place pour eux ici.

— Leur gym, sans doute.

— Je n’ai entendu aucune directive pour eux.

— Essayez d’appeler sur le com…

— Presque tous les canaux sont coupés.

— Vous ne pouvez même pas joindre le Système central ?

— Il se trouve que je suis le Système central.

— Vous ne pensez pas qu’on devrait se compter ? Quelqu’un sait-il combien nous sommes exactement, en ce moment, à l’Habitat ?

— Deux cent soixante-douze… mais comment peut-on savoir si les absents le sont parce qu’ils sont coincés quelque part ou parce qu’ils s’occupent du problème ?

— Si seulement ce foutu com voulait bien fonctionner…

— LA PORTE !

Cette fois, Van Atta avait mêlé sa voix aux autres. La différence de pression commençait à être plus marquée. Il se félicitait de ne pas avoir traîné pour venir ici. Si la pression continuait à baisser à ce rythme, il serait de son devoir de s’assurer que les portes soient définitivement fermées. Et tant pis pour les retardataires. Certains, en particulier, seraient bien inspirés de rester dehors… De toute façon, celui qui n’avait pas le bon sens de répondre sur-le-champ à ce genre de directive n’avait rien à faire dans une station spatiale.

Si les deux cent soixante-douze gravs n’étaient pas encore là, on n’était sans doute pas loin du compte. Van Atta s’appuya sur les épaules de ses voisins pour s’avancer vers le centre du module. Quelques-uns se tournèrent pour protester, mais ravalèrent leurs réflexions en reconnaissant leur directeur. Un tech avait démonté l’appareil de com et l’étudiait en pestant.

— Ne pourriez-vous pas au moins joindre le gym des quaddies ? demanda une jeune femme. Je veux savoir si ma classe a pu arriver jusque-là.

— Pourquoi n’êtes-vous pas allée avec eux ? rétorqua le tech, agacé. Ç’aurait été plus simple.

— Un des quaddies plus âgés les a emmenés et m’a dit de venir ici. Je n’ai pas discuté, sur le moment, avec l’alarme qui nous beuglait dans les oreilles…

— Oui, eh bien, désolé, mais ces foutus canaux ne veulent rien savoir.

Il referma le boîtier d’un claquement sec.

— Alors j’y vais. Il faut que je sache, dit-elle, déterminée.

— Pas question, intervint Van Atta. Il y a bien trop de monde ici pour qu’on prenne le risque de perdre de l’air en ouvrant la porte. On ne bouge plus de là tant qu’on ignorera ce qui se passe exactement, et combien de temps ça va durer.

Le tech martela le com de son index.

— Si cet engin persiste à rester muet, la seule façon de se tenir au courant sera d’envoyer quelqu’un avec un masque.

— On va patienter encore quelques minutes.

Mais qu’est-ce qu’il fichait, cet abruti de Graf ? Où était-il ? Quelque part en train de bricoler, sûrement. S’il était à l’origine de ce merdier, il allait avoir de ses nouvelles… dès qu’il pourrait sortir de là, bien entendu. Pour quelqu’un de si imbu de ses irréprochables états de service, c’était une sacrée pierre dans son jardin. Un peu d’humilité ne vous fera pas de mal, monsieur Graf…

Et cependant… la situation était vraiment bizarre. D’abord, il était impossible que l’Habitat en entier fût dépressurisé. Il y avait des sauvegardes un peu partout – des portes de sécurité, des zones isolantes… Tout accident d’une telle ampleur aurait dû être détecté à l’avance et neutralisé.

Et puis soudain, une illumination… Van Atta plissa le front. Et si c’était… un accident organisé ? Se pourrait-il que… ?

Graf était un génie ! L’accident parfait, celui qu’il avait lui-même espéré sans jamais oser le formuler. Une catastrophe fatale pour les quaddies, maintenant, alors qu’ils étaient encore tous rassemblés et que le problème pouvait être liquidé en un temps record…

Alors, des détails auxquels il n’avait pas voulu prêter d’importance sur le moment prirent tout leur sens. L’insistance de Graf pour se charger lui-même du programme de récupération, ses non-dits, son désir de précipiter le plan d’évacuation, ses heures supplémentaires… Tout s’expliquait, désormais.

À présent qu’il avait deviné les intentions de Graf, Van Atta ne pouvait qu’approuver. Les grands manitous de GalacTech seraient reconnaissants à l’ingénieur de les avoir débarrassés d’une très sale épine dans le pied ; mais ils ne pourraient l’en récompenser que de manière détournée. En lui offrant de meilleures missions, par exemple, des promotions rapides. Il devait trouver une façon adroite de leur rapporter l’exploit de Graf.

Quoique… tout compte fait, pourquoi partager ? Graf serait quand même mal inspiré de réclamer une quelconque rétribution pour ce genre d’initiative. Il avait été subtil, mais pas assez. Il faudrait bien trouver un responsable à sacrifier, après l’accident. Pour la forme… Il suffisait donc de se taire pour que…

Contrarié, il dut s’arracher à ses réflexions pour s’intéresser à ce qui se passait autour de lui.

— Il faut que j’aille voir où en sont mes quaddies ! insistait la jeune femme, de plus en plus affolée, en se frayant un chemin vers les portes.

— Et moi, il faut que je trouve Wyzak, déclara un tech en la suivant. Il n’est toujours pas là. À mon avis, il doit avoir besoin d’aide. Je vais avec vous…

— Non ! hurla Van Atta.

Il fut à deux doigts d’ajouter : Vous allez tout gâcher !

— Vous attendrez que tout danger soit passé. Je ne tolérerai pas que votre anxiété sème un vent de panique. Vous allez patienter, comme tout le monde. Nous ne tarderons sûrement pas à recevoir des instructions.

La femme capitula à contrecœur, mais l’homme refusa de s’en laisser conter.

— Des instructions de qui ?

— De Graf, dit Van Atta.

Afin que nul n’ignore sur les épaules de qui reposait la responsabilité de cet… « accident ». Des témoins, c’était toujours bon à prendre. Il cacha son excitation croissante sous une fausse aura de sang-froid. Sang-froid que la surprise et l’indignation entameraient sérieusement au moment où l’ampleur du désastre serait révélée.

Il attendit donc, serein. Les minutes s’étiraient, interminables. Un dernier groupe de réfugiés les rejoignit en haletant. Un des employés du service du personnel vint lui présenter une liste des gravs présents dans l’Habitat à cet instant.

Van Atta maugréa en silence contre l’initiative de cet agent recenseur trop zélé, alors même qu’il le félicitait d’un sourire. La preuve qu’ils n’étaient pas tous à l’abri pouvait le contraindre à agir et, peut-être, à contrarier ainsi les plans de Graf.

Seuls onze membres du personnel manquaient à l’appel. Un prix nécessaire à payer, se rassura Van Atta. Il serait toujours temps, plus tard, de prétendre qu’il les croyait en sécurité dans des espaces pressurisés. Leur mort pourrait être attribuée à Graf qui ne serait plus à ça près…

Un groupe, près des portes, s’apprêtait à sortir à la première occasion. Van Atta réfléchit avec promptitude à la manière de les arrêter sans trahir quoi que ce fût. Mais une des femmes poussa un cri perçant.

— Il n’y a plus d’air dans les couloirs non plus ! On ne peut plus sortir sans scaphandre pressurisé !

Van Atta, soulagé, se dirigea vers un des hublots qui offrait une vue oblique sur l’arrière de l’Habitat. Des mouvements ayant attiré son attention, il écrasa son nez sur le verre froid pour tenter de suivre ce qui se passait.

Des silhouettes argentées en scaphandre rebondissant sur la surface extérieure de l’Habitat… Une équipe de réparation ? Était-il possible que sa première hypothèse fût la bonne et qu’il s’agît d’un véritable accident, en fin de compte ? Amère déception… La seule consolation, c’est que Graf porterait le chapeau, dans un sens comme dans l’autre.

Mais il y avait aussi des quaddies, bon sang ! Des quaddies survivants. On les repérait facilement, avec leurs bras. Graf avait peut-être raté son coup en beauté. Deux quaddies en vie, pour peu qu’ils soient de sexe opposé, s’avéreraient aussi dangereux qu’un millier. Toutefois, l’équipe n’était peut-être composée que de garçons…

Ah !… il apercevait Graf lui-même, à présent. Lui et ses ouvriers transportaient toute une batterie d’outils. Il se tordit le cou, mais l’équipe disparut à sa vue. Un cargo-pousseur passa non loin, décrivant un arc de cercle au-dessus du module C. D’autres survivants ? Quaddies ou gravs ?

— Hé ! s’exclama une voix excitée dans le fond du module, l’arrachant à sa contemplation. On a de la veine ! Le placard est plein à craquer de masques à oxygène ! À vue de nez, il y en a au moins trois cents.

Van Atta se retourna pour voir le placard en question. La dernière fois qu’il était venu dans cette salle, du matériel audiovisuel y avait été stocké. Qui l’avait remplacé par des masques ? Et dans quel but ?…

Un bruit sourd retentit dans le module. Des cris de peur fusèrent. La lumière faiblit, vacilla, puis se stabilisa, mais bien moins intense. Ils fonctionnaient sur l’alimentation de secours du module !…

Hébété, Van Atta vit l’Habitat qui commençait à tourner devant son hublot. Non, en fait, ce n’était pas l’Habitat… c’était le module qui bougeait. Un « Aaaah » général s’éleva tandis que les gravs glissaient malgré eux vers un mur pour s’y entasser, sous l’effet de l’accélération imprimée en douceur de l’extérieur. Van Atta se cramponna aux poignées qui encadraient le hublot.

Trahi ! Il était trahi, comme jamais personne ne l’avait été avant lui. Une silhouette argentée adressa un salut joyeux au module depuis le trou béant dans le flanc de l’Habitat. Van Atta en tremblait de rage. Tu me revaudras ça, Graf ! Je t’aurai, espèce d’enfant de salaud ! Tu ne l’emporteras pas au paradis, ni toi, ni aucun de ces petits monstres à quatre bras…

— Calmez-vous, enfin ! dit le Dr Yei qui venait de le rejoindre près du hublot. Que se passe-t-il ?

Il se rendit compte qu’il avait marmonné ses menaces à haute voix. Enragé, il fusilla Yei du regard.

— Vous n’avez rien compris ! cracha-t-il, hors de lui. Vous étiez censée savoir tout ce que ces sales mutants tramaient dans notre dos ! Eh bien, c’est raté !

Il s’avança vers elle, avec il ne savait quelle intention au juste, rata une poignée et glissa le long du mur. Son sang battait si fort à ses tempes qu’il eut peur d’avoir une attaque. Il ferma les yeux un moment, sans bouger, la respiration courte, suffoquant sous la violence de ses émotions. Du calme, se dit-il, terrorisé à l’idée de claquer là, bêtement. Il faut que tu tiennes le coup, si tu veux renvoyer l’ascenseur à Graf. Parce que tu l’auras, lui et les autres. Tous, jusqu’au dernier…

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