CHAPITRE 3

À Bodgaru, le terminus de la Voie Royale avait été soigneusement aménagé à l’occasion de la venue du prince impérial. À l’exception d’un escorteur naval, arrivé quelques minutes plus tôt, la paisible surface du lac était déserte. Au bord de l’eau, la première glace de la saison avait été brisée et la berge nettoyée. Quelques semaines auparavant, le préfet avait importé un jardin de jade ornemental, qu’il avait « planté » le long des quais. Les arbres et les buissons en pierre, de taille réelle, s’ornaient de centaines de fleurs sculptées dans des topazes bleues ou jaunes. Ce matin-là, les habitants avaient ôté jusqu’à la moindre plaque de neige dans le jardin de jade, qui rutilait de propreté.

Les citadins s’étaient rassemblés sur les quais. Tous les hommes, les femmes et les enfants composant cette foule tenaient à la main de minuscules répliques des couleurs impériales, qui leur avaient été distribuées par les hommes du préfet. Leur conversation semblait libre et joyeuse. Bien que leur présence fût obligatoire, la plupart d’entre eux étaient venus d’eux-mêmes : la visite d’un membre de la famille royale-impériale constituait un événement rarissime. Nul d’ailleurs n’en avait une conscience plus aiguë que le préfet lui-même. Parapfu Moragha se tenait au garde-à-vous entre la fanfare de la garnison et le jardin de jade.

Bien que le soleil fût à son zénith dans le ciel d’un bleu intense, le vent soufflant au-dessus du lac était glacial et les collines enneigées et couvertes de pins qui surplombaient la nappe d’eau donnaient à celle-ci l’aspect d’une minuscule flaque bleue et froide, frissonnant à l’approche de l’hiver.

Cette tranquillité fut brusquement rompue et le plan d’eau cessa d’être vide. Le yacht royal se matérialisa à la surface, la proue orientée vers l’est. Sa fine coque blanche disparaissait presque entièrement sous l’eau, pour reparaître aussitôt en faisant entendre des craquements dans sa membrure. Des vagues d’un demi-mètre de hauteur ridaient toute l’étendue du lac et projetaient des embruns glacés contre le quai. Sans attendre que le roulis du yacht eût cessé, l’équipage envoya les couleurs impériales : un soleil jaune inscrit dans un ciel bleu surmontant une bande verte. Sur la rive, la fanfare attaqua un joyeux morceau en signe de bienvenue, tandis que le bateau approchait de la berge.

Sur le pont particulier du yacht, Pelio-nge-Shozheru, prince impérial du Royaume de l’Été, défit son harnais de sécurité et se dirigea vers la lisse. Bien qu’il fût plus grand que la moyenne des Azhiris, Pelio n’était encore qu’un adolescent. Il portaitun kilt vert et bleu orné des insignes de son rang tissés autour de la taille ; mais, eût-il été dépourvu de ce costume, son nez épaté et ses yeux verts eussent suffi pour attester son appartenance à la noblesse. Nul n’aurait pu imaginer que le prince était un Profane, à ce point privé de Talent que c’était à peine si sonkenging parvenait à tuer un acarien des sables.

Une chaude brise estivale, transportée depuis l’hémisphère sud — d’un point situé à la même distance de l’équateur que Bodgaru au nord — soufflait doucement sur le pont afin de réchauffer le dos de Pelio et protéger celui-ci du froid régnant dans la région. Les serviteurs chargés de cette ventilation restaient assis dans l’entrepont, en compagnie des seigneurs et des dames de la suite du prince. Ce dernier était seul, ou plutôt aussi seul que le lui permettait sa condition : ses gardes du corps et son ours domestique constituaient l’unique société dont il s’entourait sur le pont. S’il jouissait d’une protection beaucoup plus étroite que la plupart des nobles, il le devait à son état de Profane, car le moindre paysan eût réussi à lui désorganiser les viscères.

Pelio dirigea ses regards vers le bord de l’eau, où l’attendaient une foule enthousiaste et la fanfare militaire. Je me demande s’ils rient intérieurement, songea-t-il, pendant que leurs bouches crient des vivats. Qu’un Profane fût destiné à devenir plus tard roi-impérial, voilà qui était effectivement comique. Beaucoup de ces rustres qui composaient la foule devaient posséder en toute propriété quelques-uns de ces malheureux pourtant dotés de plus de Talent que lui-même. Car tel était le sort ordinaire des Profanes. Ils se trouvaient à la merci de la moindre fantaisie télékinésique des gens normaux. Un Profane se voyait traiter comme un bien meuble — à moins naturellement qu’il ne fût de naissance royale et ne dût un jour hériter d’un empire. Les yeux de Pelio lui cuisaient au rappel de cette antique honte, tandis qu’il observait la populace agitant ses petits drapeaux. Comme sa naissance avait dû réjouir le Royaume de l’Été ! Pendant des années, son père avait en vain espéré un enfant, et l’avenir de la dynastie avait paru un instant menacé — quand enfin, au moment où son père parvenait à l’orée de la vieillesse, une épouse féconde lui avait été trouvée. Pelio imaginait souvent quelle douleur avait dû éprouver son père en constatant que son fils, loin d’être un enfant en avance, ou encore normal, ou même arriéré, était tout bonnement dépourvu de la moindre parcelle de Talent. Et, comme si un drame ne suffisait pas, il avait fallu qu’un outrage s’y ajoutât —, exactement un an plus tard, la mère de Pelio, la reine consorte Virizhiana, avait donné naissance à Aleru. Sans cette question de dates, le prince Aleru eût été le premier dans l’ordre de succession — car Aleru était parfaitement normal et doté d’un Talent supérieur à la moyenne.

La situation de Pelio à la Cour royale constituait naturellement une source d’embarras. Le roi Shozheru manquait de la force de caractère nécessaire pour faire exécuter son premier-né — or la mise à mort était la seule méthode admise pour dégager la voie devant le cadet. Ce n’était pas un hasard si les seuls amis que Pelio possédât à la Cour étaient d’obséquieux intrigants qui lui mentaient en le flattant, et si le seul sentiment honnête qu’il inspirât était-la haine que lui vouaient sincèrement sa mère et son frère.

Le protocole exigeait qu’une saison sur deux Pelio embarquât sur son yacht afin d’aller visiter quelque coin reculé du royaume. Ces tournées l’exposaient souvent à des railleries bien moins habilement voilées que celles qu’il devait subir au Palais de l’Été, mais du moins voyait-il de nouveaux visages. D’ailleurs, le Royaume de l’Été était un pays si vaste et si beau qu’il en oubliait presque ses déficiences et jusqu’à sa propre personne. Parfois ces voyages n’étaient pas aussi anodins que l’eussent souhaité les conseillers royaux. Peut-être ce voyage-ci lui réserverait-il aussi de l’imprévu. L’étrange message qu’il avait reçu le matin même, pour être anonyme, n’en était pas moins explicite un accrochage avec des monstres ou des gens du Pays des Neiges venait d’avoir lieu à Bodgaru…

Les soldats postés sur la rive saisirent les filins et remorquèrent le bateau jusqu’à l’appontement. Le préfet et la fanfare se trouvaient à présent placés presque directement au-dessous de lui. Il sourit discrètement en voyant Moragha tressaillir. Le préfet avait dû sentir le vent chaud soufflant du yacht.

Le bateau heurta légèrement le tablier et les soldats l’amarrèrent. Pelio salua la foule avant de se détourner de la rambarde. « Ici, Samadhom », dit-il d’une voix douce à son ours domestique. L’animal au pelage fauve trotta jusqu’à lui sur ses courtes pattes et se mit à lui lécher la main. Le prince avait davantage confiance en son ours qu’en aucun de ses gardes — car, en cas d’attaque kinésique, cette bête velue constituait un moyen de défense passive probablement aussi efficace que n’importe quel Azhiri, exception faite des membres de la Guilde. Pelio flatta Samadhom avant de descendre, en compagnie de ses gardes muets, l’escalier menant au premier pont. Les seigneurs et les dames qui le rejoignirent en arrivant sur le second pont étaient moins silencieux, mais Pelio ne répondit pas à leurs sempiternelles ovations parfaitement factices. Talonné par sa suite, il traversa la passerelle de fer forgé qui conduisait au quai et se dirigea vers l’endroit où l’attendait Parapfu Moragha, raide comme un piquet.

« Repos, mon cher Parapfu ! »

Moragha se détendit avec un soulagement visible et fit signe à la fanfare de sonner le « repos ». La foule massée sur le quai rompit aussitôt le silence qu’elle observait depuis que le prince avait mis pied à terre.

« En souhaitant la bienvenue à Votre Altesse, la population de ma préfecture et moi-même tenons à l’assurer de notre respectueuse affection. » Moragha s’inclina avec un empressement démonstratif. Le préfet se retourna ensuite, tout en faisant signe à Pelio de gravir l’escalier de pierre orné de mosaïque qui conduisait au palais préfectoral. « Nous avons tant de choses à montrer à Votre Altesse royale-impériale. » Moragha se plaça délibérément derrière Pelio, le séparant ainsi de sa suite. « Bodgaru a beau occuper les confins les plus septentrionaux du Royaume de l’Été, nous n’en maintenons pas moins dans nos cœurs l’esprit du verdoiement. »

Il désigna d’un geste le jardin de jade qui s’étendait de part et d’autre de leur chemin. Pelio suivit son mouvement du regard, mais s’abstint de tout commentaire. Il aperçut des pierres vertes et jaunes savamment sculptées et discerna vaguement que la densité de ces ouvrages en pierre se rapprochait de celle d’authentiques plantes. Il n’y en avait pas moins une certaine absurdité à vouloir imiter la vie avec de la pierre ou de la neige. Le comble de cette attitude lui paraissant représenté par le Roi des Neiges et son palais de cristal dressé aux bornes du monde. Ne recevant pas de réponse, Moragha se hâta d’ajouter : « Et il n’y a pas de mines plus vastes que celles de Bodgaru. Les sujets du Royaume de l’Été en extraient le minerai de cuivre depuis plus d’un siècle… »

À l’arrière du groupe princier, les serviteurs continuaient à faire venir par téléportation une brise tiède née dans l’hémisphère sud. Aux côtés de Pelio, le préfet commençait à transpirer dans son surtout de cuir repoussé, mais la cause en était moins la chaleur de l’air que le silence prolongé du prince. Peu de courtisans pouvaient se flatter de n’avoir pas subi son silence glacial et son regard sans expression. À la cour, ce mutisme passait pour un signe de grossièreté et de stupidité mais, à vrai dire, les manières de Pelio n’étaient pas dénuées d’arrogance, bien qu’en réalité un sentiment de méfiance et d’isolement l’emportât chez lui sur tout le reste.

Une fois achevé le discours qu’avait préparé Moragha, ils marchèrent un long moment en silence. Enfin Pelio, regardant son accompagnateur, lui dit : « Parle-moi de l’escarmouche d’hier soir, mon cher Parapfu.

— Comment avez-vous… » commença le préfet, qui se hâta de ravaler sa surprise. « Il n’y a pas grand-chose à dire, Votre Altesse. L’affaire demeure mystérieuse. Mes agents ont repéré des intrus dans les collines du Nord. J’y ai envoyé des soldats de la garnison. Ils ont dû affronter une énorme créature volante qu’ils ont réussi à détruire.

— Et les intrus ? » insista le jeune homme.

Le préfet fit un geste dédaigneux de la main.

« Des Prof… des personnes sans importance, Votre Altesse. »


Des profanes ! Ainsi son informateur anonyme lui avait dit la vérité. Qui eût jamais pensé que des Profanes fussent capables d’offrir une résistance aux gens normaux ? « Des Hommes des Neiges ? » demanda négligemment Pelio en s’efforçant de dissimuler son trouble.

« Non, Votre Altesse. Du moins je n’ai jamais vu d’Hommes des Neiges qui leur ressemblent.

— Je veux les interroger.

— Mais le général baron Ngatheru dispose d’interrogateurs expérimentés à Atsobi… »

Tu te contredis, pauvre sot ! pensa Pelio. Tu es donc effectivement tombé sur une chose intéressante.

« Les étrangers ont-ils été conduits à la garnison ?

— Euh, non, Votre Altesse ; ils se trouvent dans un des cachots de mon palais. Le général baron pensait…

— Fort bien, Parapfu. Je vais donc interroger immédiatement ces étranges prisonniers. »

Le préfet était assez sage pour ne pas s’opposer à un caprice royal, fût-ce celui de Pelio. « Certainement, Votre Altesse. Il sera plus pratique d’utiliser le bassin de transit de mon palais. »

Ils avaient à présent atteint la terrasse de quartz rose entourant la demeure du préfet. Si le palais ne se dressait qu’à cent cinquante mètres du lac, il était néanmoins perché à une quinzaine de mètres de hauteur, sur le flanc de la crête protégeant le terminus de la Voie Royale contre les activités des espions du Nord. Il était naturel que Moragha n’eût pas proposé de gagner le palais en s’y téléportant : l’usage par une telle température d’un bassin de transit risquait en effet d’être un exercice désagréable.

Comme la plupart des édifices construits dans les régions hivernales, le palais disposait d’une entrée pratiquée dans la muraille. Pelio appréciait les ouvertures de cette sorte, car elles lui rendaient en partie cette mobilité que les autres possédaient naturellement. Il y avait trop peu de place à l’intérieur du palais pour que les souffleurs de vent de Pelio pussent remplir leur office, et les salles à l’atmosphère confinée restaient glaciales. La pâle lumière filtrant à travers les épaisses vitres était loin d’apporter le même réconfort que celle qu’il avait l’habitude de voir dans les salles de bal à ciel ouvert du Palais de l’Été. Les esclaves de Moragha circulaient au milieu de l’assistance avec du vin et des sucreries. Le préfet avait même réussi à faire venir un petit groupe de chanteurs du sud d’Atsobi. En somme… une vraie fête.

Parapfu conduisit le prince et ses gardes du corps à l’écart de la foule et, après avoir traversé un jardin intérieur aux plantes flétries ils parvinrent au bassin de transit du palais, au bord duquel les serviteurs leur tendirent des combinaisons étanches.

« Le cachot se trouvant à près de cinq cents mètres au-dessous du sol, je pense, Votre Altesse, que le bassin de transit constitue l’accès le plus pratique. »

Pelio acquiesça et enfila sa tenue. Si Moragha possédait suffisamment d’habileté, ils pouvaient sauter de l’endroit même où ils se tenaient. Mais cinq cents mètres représentaient une longue descente. Un jour, il avait été téléporté jusqu’à six cents mètres de profondeur — directement, sans s’immerger au préalable dans un bassin de transit. Mais l’échauffement qui en avait résulté lui avait donné des maux de tête pendant une nouvenne.

L’eau du bassin étant froide et huileuse, Pelio appréciait sa combinaison imperméable, tout encombrante qu’elle fût (il n’en était pas moins conforté dans son idée que les tropiques restaient le seul endroit où il fût raisonnable de vivre, car l’hiver n’y existait pas). Au moment où Moragha se préparait au saut, Pelio discerna dans l’eau qui l’environnait une tension qui lui était familière. Une seconde s’écoula. La tension s’accentua et il sentit qu’une conversion s’opérait, le bassin d’arrivée se substituant à l’autre.

Ils refirent surface et les gardes prirent immédiatement position autour du bassin. Pelio et Moragha se hissèrent hors de l’eau. Une odeur infecte régnait dans l’air et la végétation croissant sur la paroi rocheuse qui formait les murs de la salle émettait une lueur d’un vert vif : l’air n’avait pas dû être renouvelé depuis plusieurs heures. Le cachot glauque paraissait vaste et assez bien chauffé, bien qu’il se réduisît en fait à un simple espace vide ménagé dans un terrain pélagique. Sans la surveillance incessante des gardiens, qui en connaissaient la localisation, la cellule serait vite devenue un tombeau pour les prisonniers.

« Allons, debout », dit Moragha de sa voix aiguë. Son homme commença à distribuer des coups de pied aux formes sombres gisant sur le sol. Pelio réprima un sursaut en voyant le premier étranger se lever. L’homme — la créature ? — était incroyablement grand : sa taille devait dépasser un mètre quatre-vingts. Mais rien n’était plus grotesque que la maigreur extrême de ses membres que ne parvenaient pas à dissimuler les étranges vêtements qu’il portait. L’individu donnait l’impression de devoir tomber en morceaux au moindre faux pas.

« J’ai dit : debout ! Au garde-à-vous. Vous ne méritez pas l’honneur qui vous est fait. Debout ! » Moragha s’apprêtait à décocher un coup de pied à la seconde créature, quand celle-ci se releva agilement, comme si elle fût restée sur le qui-vive pendant tout ce temps.

Aux yeux de Pelio, le reste de l’univers perdit tout intérêt. Il n’entendit pas plus le cri étouffé des gardes qu’il ne remarqua le silence qui s’était établi.

Elle étaitbelle, La femme était grande — autant que Pelio — et pourtant mince comme une daine courant dans les bois. En dépit de la trouble lumière verte, l’étrange perfection de ses formes transparaissait sous ses vêtements. Quant à la beauté de son visage — elle n’était tout simplement pas de ce monde. La femme avait les traits anguleux, le nez et le menton presque pointus. On eût dit que la face sombre et grotesque de son compagnon avait subi une métamorphose entre les mains d’un artiste plus indulgent. Alors que les Hommes des Neiges possédaient une peau d’une blancheur de craie et que celle de Pelio avait une teinte grisâtre, la sienne paraissait presque noire à la lueur de la végétation phosphorescente. Son doux visage aurait pu être sculpté dans de l’ébène tendre. Tous les elfes et toutes les dryades des contes de fées de son enfance lui revinrent à la mémoire : cette femme était l’étoffe dont sont faits les rêves.

Pelio resta longtemps abîmé dans la profondeur de ces yeux noirs, dont le regard donnait une expression méfiante à ce merveilleux visage. Mais le charme finit par se dissiper et il demanda faiblement : « Et elle… Ce sont des Profanes, Parapfu ?

— Ainsi que je l’ai dit à Votre Altesse, répondit le préfet en regardant Pelio d’un air bizarre.

— Connaissent-ils l’azhiri ?

— Un peu. »

Pelio se tourna vers la femme et lui parla lentement. « Quel est ton nom ? dit-il.

— Yoninne. » Elle avait répondu d’une voix claire, où perçaient néanmoins des accents inquiets.

« Ionina ? Quel nom étrange. D’où viens-tu, Ionina ?

— De… » Sa réponse fut interrompue par un ordre brusque et inintelligible lancé par le géant efflanqué. La femme lui répliqua dans le même langage, avant de se retourner vers Pelio. « Non, moi ne rien dire. » Elle s’écarta d’eux et son attitude reflétait autant de bravoure que de méfiance… Dire que c’est une Profane, songea Pelio.

Il prit alors une décision, évitant de penser à ce qui risquait d’arriver quand son père l’apprendrait. « Préfet, tu as parfaitement agi en capturant ces intrus que tu as découverts et je t’en félicite. Ils paraissent fort intéressants. Je les emmènerai avec moi en rentrant au Palais de l’Été.

— Votre Altesse ! Ces individus sont dangereux. Les monstres qui les accompagnaient faisaient tant de bruit qu’on les entendait même de Bodgaru. »

Pelio se retourna vers le préfet avec un sourire vindicatif. « Dangereux, dis-tu, mon cher Parapfu ? Et ce sont des Profanes ? Comment pourraient-ils donc être dangereux ? Ont-ils blessé les hommes de Ngatheru ?

— Non, Votre Altesse », admit Moragha avec dans la voix une nuance maussade. « D’ailleurs, s’ils avaient tenté d’attaquer nos hommes, ils seraient probablement morts à l’heure qu’il est. Mais, monseigneur, ce ne sont pas leurs personnes qui représentent un danger. Le général baron Ngatheru est persuadé qu’ils pourront nous éclairer sur la nature du monstre dont il n’est resté que des débris après la bataille.

— Parfait. Je vais emporter tous les fragments que tu as trouvés. Ne m’interromps pas. Si la situation préoccupe toujours mon cousin Ngatheru, qu’il en réfère à moi ou à mon père », dit-il, non sans insister pour que Ngatheru accepte de laisser tomber l’affaire. Après tout, le général baron n’occupait que le cinquième rang derrière Pelio dans la hiérarchie nobiliaire.

Le préfet capitula. « Oui, Votre Altesse », répondit-il en se mettant brièvement au garde-à-vous.

Pelio plongea une dernière fois son regard au fond des mystérieux yeux noirs de la dryade, puis se détourna pour se glisser dans le bassin de transit. C’est la plus belle de toutes les créatures…

… Et, comme moi, une Profane.

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