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Satellites : On les trouve dans l’espace, et ils y restent parce qu’ils vont si vite qu’ils ne sont jamais assez longtemps à un seul endroit pour tomber. On fait rebondir les télévisions contre eux. Ils font partie de la science.

Encyclopédie scientifique pour l’édification des jeunes gnomes curieux,

par Angalo de Konfection


Ce ne fut pas le Truc qui réveilla Masklinn, mais Gurder.

Masklinn resta étendu, les yeux mi-clos, et prêta l’oreille. Gurder s’entretenait à voix basse avec le Truc.

— J’ai cru au Grand Magasin, disait-il, et en fin de compte ce n’était qu’une… qu’une espèce de bidule construit par les humains. Et j’ai cru que le Petit-Fils Richard était quelqu’un de spécial, mais ce n’était finalement qu’un simple humain qui chante quand il se pleut dessus…

— … quand il prend une douche…

— … et maintenant, voilà qu’il y a des milliers de gnomes de par le monde ! Des milliers ! Qui croient à toutes sortes de choses ! Cet idiot de Queue-de-Cheval croit que les Navettes qui décollent tout droit fabriquent le ciel. Tu sais ce que je me suis dit quand j’ai entendu ça ? Je me suis dit que si c’était lui qui était arrivé dans mon monde et pas l’inverse, il m’aurait aussi pris pour un idiot ! Et c’est vrai que je suis aussi idiot que lui ! Truc ?

— J’observais un silence respectueux.

— Angalo croit en des machines ridicules et Masklinn croit… Oh ! je ne sais pas à quoi il croit… à l’Espace. Ou à ne pas croire aux choses. Et tout ça, pour eux, ça marche. Moi, j’essaie de croire en des choses importantes et ça ne dure jamais plus de cinq minutes. Y a pas de justice !

— Seul un nouveau silence respectueux et compréhensif peut convenir, en cet instant.

— Je voulais simplement donner un sens à la vie.

— Louable initiative.

— Enfin, je veux dire, où est la vérité de tout ?

Il y eut un instant de silence. Puis le Truc déclara :

— Je me souviens de ta conversation avec Masklinn sur l’origine des gnomes. Tu voulais me poser la question. Désormais je peux répondre. J’ai été fabriqué. Je sais que c’est la vérité. Je sais que je suis un truc fait de métal et de plastique, mais également que je suis quelque chose qui vit à l’intérieur de ce métal et de ce plastique. Il est impossible pour moi de ne pas en être absolument certain. Ça me procure un immense réconfort. Quant aux gnomes, je possède des données qui indiquent que leurs origines se trouvent sur un autre monde et qu’ils sont venus ici il y a des milliers d’années. C’est peut-être la vérité. Peut-être pas. Je ne suis pas en position de juger.

— Je savais où j’en étais, dans le Grand Magasin, poursuivit Gurder qui parlait à moitié pour lui-même. Et même dans la carrière, les choses ne se passaient pas trop mal. J’avais un bon travail, j’étais important aux yeux des gens. Comment puis-je rentrer, maintenant, en sachant que tout ce que je croyais sur le Grand Magasin et Arnold Frères et Richard Quadragénaire n’était que… qu’une opinion ?

— Je ne peux pas te conseiller sur ce point, désolé.

Masklinn jugea diplomatique de se réveiller à cet instant.

Il poussa un grognement pour s’assurer que Gurder l’entendait.

Le visage de l’Abbé était tout rouge.

— Je n’arrivais pas à dormir, déclara-t-il sur un ton précipité.

Masklinn se remit debout.

— Truc, combien de temps ?

— Vingt-sept minutes.

— Pourquoi ne m’as-tu pas réveillé ?

— Je voulais que vous soyez frais et dispos.

— Mais il y a encore une longue route à parcourir ! Nous n’arriverons jamais à te faire arriver à temps. Allez, toi, réveille-toi ! (Masklinn poussa Angalo du bout du pied.) Allons, il va falloir courir. Où est passé Pionn ? Oh ! tu es là ? Allez, viens, Gurder.

Ils trottèrent à travers les broussailles. Au loin, on entendait le lugubre beuglement des sirènes.

— Ça va vraiment être tout juste, Masklinn, fit remarquer Angalo.

— Plus vite ! Courez plus vite !

Maintenant qu’ils étaient plus près, Masklinn pouvait voir la Navette. Elle se dressait très haut. Il ne semblait rien y avoir de très utile au niveau du sol.

— J’espère que tu as un bon plan, Truc, haleta-t-il tandis que le quatuor zigzaguait entre les fourrés, parce qu’on ne pourra jamais te placer tout au sommet.

— Ne t’inquiète pas. Nous sommes presque arrivés à bonne distance.

— Comment ça ? On est encore très loin !

— C’est suffisant pour que je puisse monter à bord.

— Qu’est-ce qu’il va faire ? Sauter jusqu’en haut ? s’étonna Angalo.

— Posez-moi par terre.

Docilement, Masklinn posa la boîte noire sur le sol. Elle déploya quelques détecteurs, qui tournèrent lentement pendant quelques instants avant de s’orienter vers le jet vertical.

— À quoi tu joues ? s’inquiéta Masklinn. Tu perds du temps !

Gurder éclata de rire, mais pas d’un rire très joyeux.

— Je sais ce qu’il fait, dit-il. Il s’envoie dans la Navette. C’est bien ça, Truc ?

— Je transmets un programme secondaire à l’ordinateur du satellite de communication, annonça le Truc.

Les gnomes ne répondirent rien.

— Ou, pour exprimer cela autrement… oui, je transforme l’ordinateur du satellite en une extension de moi-même. Mais pas très intelligente.

— Et tu es vraiment capable de faire ça ? insista Angalo.

— Mais bien sûr.

— Mince. Et le morceau que tu envoies ne te manquera pas ?

— Non, parce qu’il ne me quittera pas.

— Tu l’envoies là-bas et tu le gardes en même temps ?

— Oui.

Angalo se tourna vers Masklinn.

— Tu y comprends quelque chose ? demanda-t-il.

— Moi oui, fit Gurder. Le Truc est en train d’expliquer qu’il n’est pas vraiment une machine, mais une espèce de collection de… de collection de pensées électriques qui vivent dans une machine, je crois.

Les lumières dansèrent en cercle au sommet du Truc.

— Et ça va prendre longtemps ? s’enquit Masklinn.

— Oui. Merci de ne pas monopoliser une puissance de communication qui est cruciale en ce moment.

— Je crois qu’il veut nous dire de ne pas lui parler, traduisit Gurder. Il se concentre.

— Il ne se concentre pas, c’est une machine, répliqua Angalo. Et il nous a fait galoper jusqu’ici pour qu’on puisse se dépêcher d’attendre.

— Il fallait probablement qu’il soit tout près pour faire… ce qu’il est en train de faire, supputa Masklinn.

— Ça va prendre longtemps ? s’inquiéta Angalo. J’ai l’impression que ça fait une éternité qu’il ne restait plus que vingt-sept minutes.

— Au moins vingt-sept minutes, répondit Gurder.

— Ouais. Peut-être même plus.

Pionn tira Masklinn par le bras, indiqua de sa main libre la silhouette blanche dressée, et baragouina une longue phrase en floridien ou, s’il fallait en croire le Truc, presque en gnome des origines.

— Je ne comprends pas ce que tu dis, sans le Truc, fit Masklinn. Désolé.

— Moi pas parler oie-oie, compléta Angalo.

Une expression de panique se répandit sur les traits du jeune garçon. Il cria, cette fois, et lui tira le bras avec plus d’insistance.

— J’ai l’impression qu’il ne tient pas à se trouver aux environs du jet à décollage vertical au moment du démarrage, jugea Angalo. Il a probablement peur du bruit que ça fait. Tu… n’aimes… pas… le… bruit… hein ?

Pionn secoua furieusement la tête.

— Ce n’était pourtant pas si terrible, près de l’aéroport, fit Angalo. Un grondement. Mais ça peut sans doute faire peur à des gens un peu frustes.

— Je ne pense pas que le peuple de Pionn soit tellement fruste, répondit Masklinn d’un air songeur.

Il leva les yeux vers la tour blanche. Elle semblait être très loin mais, par certains côtés, elle avait l’air très proche.

Vraiment très proche.

— Tu crois qu’on est tellement en sécurité, ici ? dit-il. Quand elle montera, je veux dire.

— Oh ! allons donc, répondit Angalo. Le Truc ne nous aurait pas fait venir si près si ce n’était pas parfaitement sûr pour des gnomes.

— Évidemment, évidemment. Bien sûr. Tu as raison. C’est idiot de s’inquiéter de ça, en fait.

Pionn tourna les talons et se mit à courir.

Les trois autres regardèrent la Navette. Des lumières dansaient en une chorégraphie compliquée à la surface du Truc.

Quelque part, une nouvelle sirène retentit. Il y avait dans l’air une sensation de puissance, comme si on remontait le plus puissant ressort du monde.

Quand Masklinn parla, les deux autres eurent l’impression qu’il exprimait leurs propres pensées.

— À votre avis, quelle capacité a le Truc, exactement, pour juger à quelle distance d’une navette qui décolle des gnomes peuvent rester sans courir de risques ? Je veux dire, il a quelle expérience en ce domaine, à votre idée ?

Ils échangèrent un regard.

— On devrait peut-être reculer un brin… ? proposa Gurder.

Ils tournèrent les talons et s’éloignèrent d’un pas serein.

Puis chacun ne put s’empêcher de remarquer que les autres semblaient adopter une allure sans cesse plus rapide.

De plus en plus rapide.

Puis, comme un seul gnome, ils abandonnèrent tout simulacre et prirent leurs jambes à leur cou, se frayant un passage dans les fourrés et les herbes, dérapant sur les cailloux, leurs coudes se déplaçant comme des pistons. Gurder qui, d’ordinaire, était essoufflé dès qu’il dépassait une allure de marche normale, rebondissait sur le chemin comme une balle.

— Quel… qu’un… a… la… moindre… idée… du… temps… qu’il… reste ? ahana Angalo.

Derrière eux, le son démarra par un chuintement, comme si le monde entier prenait son souffle. Puis il se changea en…

… Non, pas du bruit, mais plutôt en un marteau invisible qui leur percuta les deux tympans simultanément.

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