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Espace : Il y a deux variétés d’espace : a) un endroit où il n’y a rien et b) un endroit où il y a tout. C’est ce qui reste quand on n’a plus rien d’autre. Il n’y a pas d’air ni de gravité, la chose qui retient les gens contre les choses. S’il n’y avait pas d’espace, tout se retrouverait au même endroit. On l’a conçu pour y placer les Satellites, les Navettes, les Planètes et le Vaisseau.

Encyclopédie scientifique pour l’édification des jeunes gnomes curieux,

par Angalo de Konfection


Au bout d’un certain temps, quand le sol eut fini de frémir, les gnomes se relevèrent et se contemplèrent d’un air hagard.

— ! déclara Gurder.

— Comment ? demanda Masklinn.

Sa propre voix lui paraissait très lointaine, et étouffée.

— ? demanda Gurder.

— ? s’enquit Angalo.

— ?

— Quoi ? Je ne vous entends pas ? Vous m’entendez, vous ?

— ?

Masklinn vit bouger les lèvres de Gurder. Il indiqua ses propres lèvres du doigt et secoua la tête.

— Nous sommes devenus sourds !

— ?

— ?

— Sourds, j’ai dit.

Masklinn leva la tête.

Au-dessus, de la fumée bouillonnait et, s’élevant à vive allure, même pour les sens très développés d’un gnome, jaillissait un long nuage à la pointe de feu qui grandissait sans cesse. Le bruit diminua pour ne plus être que très bruyant et puis, assez rapidement, il s’effaça.

Masklinn s’enfonça un doigt dans l’oreille et le secoua avec fermeté.

L’absence de bruit fut remplacée par le crissement terrible du silence.

— Quelqu’un m’écoute ? risqua-t-il. Quelqu’un m’entend ?

— Ça, déclara Angalo dont la voix semblait trouble et possédée d’un calme surnaturel, c’était plutôt fort, comme bruit. Ça m’étonnerait qu’il puisse exister beaucoup de bruits plus forts.

Masklinn hocha la tête. Il avait l’impression d’avoir été percuté violemment par une cause inconnue.

— Tu as des connaissances sur ces machins, Angalo, fit-il d’une petite voix. Les humains voyagent dedans, non ?

— Oh ! oui. Tout en haut.

— Et personne ne les y force ?

— Euh !… Je ne crois pas. Je crois que le livre disait qu’il y en a beaucoup qui voudraient y monter.

— Ils voudraient y monter ?

Angalo eut un haussement d’épaules.

— C’est ce que racontait le livre.

On ne voyait plus qu’un point lointain, au bout d’une longue colonne de fumée qui allait en s’élargissant.

Masklinn la contempla.

Il faut être fou, se dit-il. On est tout petit, le monde est immense, et on ne prend jamais le temps d’en apprendre suffisamment sur un endroit avant d’aller dans un autre. Au moins, au temps où je vivais dans un terrier, je savais tout ce qu’il y avait à savoir sur la vie dans un terrier. Et maintenant, un an après, me voilà dans un endroit qui est si loin que je ne sais même pas à quelle distance exacte il se trouve, en train de regarder un objet que je ne comprends pas partir pour un endroit qui est tellement haut que le bas n’existe plus. Et je ne peux pas faire marche arrière. Il faut que j’aille jusqu’au bout de tout ça, parce que tout retour en arrière est impossible. Je ne peux même plus tout arrêter.

Alors, voilà donc ce que Grimma voulait dire avec son histoire de grenouilles. Une fois qu’on apprend des choses, on n’est plus le même. On n’y peut rien.

Il ramena son regard au niveau du sol. Il manquait quelque chose.

Le Truc…

Il refit à toute allure le chemin qu’ils avaient parcouru.

La petite boîte noire se trouvait à l’endroit où il l’avait laissée. Les antennes étaient rentrées, et aucun voyant ne brillait.

— Truc ? demanda-t-il d’une voix hésitante.

Une lumière rouge s’alluma faiblement. Masklinn eut soudain un frisson, malgré la chaleur qui l’enveloppait.

— Tu vas bien ? demanda-t-il.

La lueur du voyant tremblota.

— Trop vite. Utilisé trop de puiss…, dit-il.

— De puiss ? demanda Masklinn.

Il essaya désespérément de ne pas se demander pourquoi le mot n’avait pas été plus fort qu’un grognement.

La lueur pâlit.

— Truc ? Truc ?

Il tapota doucement le boîtier.

— Ça a marché ? Le Vaisseau ? Il arrive ? Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? Réveille-toi ? Truc ?

La lueur s’éteignit.

Masklinn ramassa le Truc, le tourna et le retourna entre ses mains.

— Truc ?

Angalo et Gurder arrivèrent en toute hâte, Pionn sur leurs talons.

— Ça a marché ? s’enquit Angalo. Je ne vois pas encore le Vaisseau.

Masklinn se tourna vers eux.

— Le Truc s’est arrêté.

— Arrêté ?

— Toutes les lumières se sont éteintes.

— Mais alors, qu’est-ce que ça veut dire ?

Une expression de panique commençait à poindre chez Angalo.

— Je n’en sais rien !

— Il est mort ? demanda Gurder.

— Il ne peut pas mourir ! Il existe depuis des milliers d’années !

Gurder secoua la tête.

— Ça me semble une bonne raison de mourir.

— Mais, c’est… c’est un truc.

Angalo s’assit et serra ses genoux dans ses bras.

— Il a dit s’il avait tout arrangé ? Le Vaisseau arrive quand ?

— Mais écoute donc ! Ça ne te fait rien ? Il a utilisé sa réserve de puiss !

— De puiss ?

— Ça doit être un autre mot pour l’électricité. Il la puise dans les fils électriques et les machins comme ça, plus ou moins. Je crois qu’il est aussi capable de l’emmagasiner un moment. Et maintenant, il a dû arriver au bout de ses réserves.

Ils contemplèrent la boîte noire. Elle était passée de main en main pendant des millénaires, d’un gnome à l’autre, sans jamais prononcer un mot ni allumer un voyant. Elle ne s’était réveillée que lorsqu’on l’avait introduite dans le Grand Magasin, à proximité de l’électricité.

— Ça fiche la trouille de le voir comme ça, immobile sans rien faire, commenta Angalo.

— On ne peut pas trouver d’électricité ? demanda Gurder.

— Par ici ? Mais y en a pas ! rétorqua Angalo. On est au milieu de nulle part !

Masklinn se remit debout et regarda à la ronde. On distinguait tout juste des bâtiments au loin. Il y avait quelques mouvements de véhicules autour d’eux.

— Et le Vaisseau, alors ? Il arrive ou pas ? insista Angalo.

— J’en sais rien !

— Comment il va faire pour nous trouver ?

— J’en sais rien !

— Qui c’est qui le conduit ?

— J’en sais… (Masklinn s’interrompit, horrifié.) Personne ! Je veux dire… qui veux-tu qui le conduise ? Il n’y a eu personne à bord depuis des milliers d’années !

— Mais alors, qui devait l’amener jusqu’ici ?

— J’en sais rien ! Le Truc, peut-être ?

— Tu veux dire qu’il est en route et que personne ne le conduit ?

— Oui ! Non ! J’en sais rien ! !

Angalo regarda le bleu du ciel en plissant des yeux.

— Oh ! mince ! conclut-il sur un ton sinistre.

— Il faut trouver de l’électricité pour le Truc, décida Masklinn. Même s’il a réussi à appeler le Vaisseau, il faut expliquer au Vaisseau où nous nous trouvons.

— S’il a bel et bien appelé le Vaisseau, fit remarquer Gurder. Il a peut-être épuisé sa réserve de puiss avant d’en avoir eu le temps.

— On ne peut être sûr de rien, fit Masklinn. Et puis de toute façon, il faut aider le Truc. J’aime pas le voir dans cet état.

Pionn, qui avait disparu dans la végétation, revint en traînant un lézard derrière lui.

— Ah ! constata Gurder sans le moindre enthousiasme, voilà le repas de midi.

— Si le Truc parlait, on pourrait expliquer à Pionn qu’au bout d’un certain temps, le lézard, on s’en lasse, ajouta Angalo.

— Au bout de deux secondes, environ, précisa Gurder.

— Venez, conclut Masklinn sur un ton las. Allons nous mettre à l’ombre pour dresser un nouveau plan.

— Oh ! un plan, dit Gurder comme si c’était encore pire que du lézard. J’adore les plans.

Ils mangèrent – pas très bien – et se couchèrent en regardant le ciel. Leur bref repos en chemin n’avait pas suffi. Il était facile de céder à la torpeur.

— Je dois avouer que les Floridiens ont la belle vie, remarqua Gurder d’une voix paresseuse. À la maison, il fait froid et, ici, le chauffage central est réglé juste comme il faut.

— Je te répète que ce n’est pas le chauffage central, répliqua Angalo, les yeux concentrés sur le moindre signe d’un Vaisseau en phase de descente. Tout comme le vent n’est pas de la climatisation, non plus. C’est le soleil qui nous réchauffe.

— Je croyais que ça ne servait que pour l’éclairage, objecta Gurder.

— Et c’est de là que vient toute la chaleur, aussi. J’ai lu ça dans un livre. C’est une grosse boule de feu, plus grosse que le monde.

Gurder jeta au soleil un coup d’œil chargé de noirs soupçons.

— Ah bon ? Et qu’est-ce qui la fait tenir en l’air ?

— Rien. Elle est là, c’est tout.

Gurder regarda de nouveau le soleil.

— C’est un fait connu de tout le monde ?

— Je suppose, oui. C’était marqué dans le livre.

— Et tout le monde peut lire ça ? Moi, je trouve ça irresponsable. C’est le genre de chose qui peut vraiment paniquer les gens.

— Il y a des milliers de soleils, là-haut, dit Masklinn.

Gurder renifla.

— Oui, il m’a raconté ça. Ça s’appelle la galaxie, je crois. Pour ma part, je suis contre.

Angalo eut un petit rire.

— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle, fit Gurder d’une voix glaciale.

— Dis-lui, Masklinn.

— C’est peut-être bien joli pour toi, marmonna Gurder. Tu ne penses qu’à une chose, conduire des engins à toute allure. Mais moi, je veux en connaître le sens. D’accord, il existe peut-être des milliers de soleils, mais pourquoi ?

— Je ne vois pas quelle importance ça peut avoir, répondit Angalo d’une voix nonchalante.

— C’est la seule chose qui compte vraiment. Dis-lui, Masklinn.

Tous deux se tournèrent vers Masklinn.

Du moins, vers l’endroit où Masklinn avait été assis.

Il n’était plus là.

Au-dessus du ciel, se trouvait l’endroit que le Truc avait appelé l’Univers. S’il fallait en croire le Truc, il contenait tout et rien. Et il y avait très peu de tout et bien plus de rien qu’il n’était possible à quiconque de l’imaginer.

Par exemple, on disait souvent que le ciel était rempli d’étoiles. C’était faux. Le ciel était plein de ciel. Il y avait des quantités infinies de ciel et, par comparaison, vraiment très peu d’étoiles.

C’était étonnant, par conséquent, qu’elles fassent une telle impression…

Des milliers d’entre elles contemplaient un objet rond et luisant qui dérivait autour de la Terre.

On avait peint Arnsat-1 sur son flanc, ce qui était vraiment un gaspillage de peinture, parce que les étoiles ne savent pas lire.

Il déploya un plateau argenté.

À ce moment-là, il aurait dû pivoter pour s’orienter vers la planète au-dessous de lui, paré à envoyer de vieux films et des nouvelles neuves.

Il ne le fit pas. Il suivait de nouvelles instructions.

De petites bouffées de gaz jaillirent tandis qu’il pivotait en explorant le ciel à la recherche de sa cible.

Le temps qu’il la localise, pas mal de gens dans l’industrie des vieux films et des nouvelles neuves échangeaient des invectives furieuses par téléphone, et quelques-uns tentaient dans la fièvre de lui transmettre de nouvelles instructions.

Mais ça n’avait aucune importance : il n’écoutait plus.


Masklinn galopait à travers les fourrés. Ils vont discutailler et se disputer, songeait-il. Il faut agir vite. Je ne crois pas que nous disposions de beaucoup de temps.

C’est la première fois qu’il était vraiment seul depuis le temps où il vivait dans un terrier et devait sortir chasser seul parce que personne d’autre n’en était capable.

Est-ce que ç’avait été une époque meilleure ? Plus simple, en tout cas. Il suffisait juste de manger sans se faire manger. Passer la journée était déjà un triomphe. Tout avait été horrible mais, au moins, c’était une horreur compréhensible, à l’échelle d’un gnome.

En ce temps-là, le monde était borné par la voie rapide d’un côté, et par les bois derrière les champs, de l’autre. Désormais, il n’y avait plus la moindre limite, et les problèmes étaient si nombreux qu’il ne savait plus comment les aborder.

Mais au moins, il savait où trouver de l’électricité. Il y en avait près des bâtiments qui abritaient des humains.

Devant Masklinn, les fourrés s’ouvrirent sur une sorte de piste. Il s’y engagea en forçant l’allure. Suivez n’importe quelle piste, vous finirez toujours par rencontrer des humains quelque part…

Derrière lui, il entendit des pas. Il se retourna et vit Pionn. Le jeune Floridien lui adressa un sourire inquiet.

— Va-t’en, lui dit Masklinn. Allez ! Va ! Repars ! Pourquoi est-ce que tu me suis ? Va-t’en !

Pionn parut blessé. Il indiqua la piste et dit quelques mots.

— Je ne comprends pas ! s’écria Masklinn.

Pionn leva la main au-dessus de sa tête, paume vers le bas.

— Les humains ? devina Masklinn. Oui, je sais. Je sais ce que je fais. Repars !

Pionn ajouta autre chose.

Masklinn leva le Truc.

— Boîte qui parle pas marcher, dit-il, à court d’arguments. Miséricorde ! pourquoi est-ce que je parle comme ça ? Tu es au moins aussi intelligent que moi. Allez, va-t’en. Va retrouver les autres.

Il se retourna et partit en courant. Il jeta un bref coup d’œil derrière lui et vit Pionn qui le regardait.

Combien de temps me reste-t-il ? se demanda-t-il. Le Truc m’a dit un jour que le Vaisseau volait très vite. Peut-être qu’il pourrait être ici d’une minute à l’autre. Peut-être qu’il ne viendra pas…

Il vit des silhouettes se dresser au-dessus des broussailles. C’est sûr, suivez n’importe quel chemin et vous finirez tôt ou tard par rencontrer des humains. Ils sont partout.

Ou peut-être que le Vaisseau ne viendra pas.

S’il ne vient pas, je vais probablement commettre la plus monstrueuse bêtise qu’un gnome ait jamais commise dans toute l’Histoire de la gnomitude.

Il s’avança dans un cercle de gravier. Un petit camion y était garé, et le nom du dieu floridien, NASA, était peint sur ses côtés. À proximité, deux humains étaient penchés au-dessus d’une sorte de machine placée sur un trépied.

Ils n’avaient pas remarqué la présence de Masklinn. Il s’approcha encore, le cœur battant.

Il posa le Truc par terre.

Il plaça ses mains en porte-voix autour de sa bouche.

Il essaya de crier, aussi intelligiblement et aussi lentement que possible.

— Hé ! ho ! Vous, là-bas ! Les huu-mains !

— Il a fait quoi ? s’exclama Angalo.

Pionn reprit sa pantomime et ses gestes depuis le début.

— Il a parlé à des humains ? fit Angalo. Il a grimpé dans un machin à roues ?

— Il m’avait bien semblé entendre un bruit de moteur, fit Gurder.

Angalo claqua du poing contre sa paume.

— Il avait peur pour le Truc, conclut-il. Il cherchait de l’électricité !

— Mais on doit se trouver à des kilomètres du bâtiment le plus proche ! gémit Gurder.

— Pas de la façon dont Masklinn se déplace ! rugit Angalo.

— Je le savais ! Je savais qu’on en arriverait là ! Nous montrer à des humains ! On ne faisait jamais de telles choses dans le Grand Magasin ! Mais qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire ?


Jusqu’ici, tout ne va pas trop mal, songea Masklinn.

Les humains ne savaient visiblement pas trop quoi faire de lui. Ils avaient même reculé ! Et ensuite, l’un d’eux s’était précipité vers le camion et il avait parlé à une machine attachée par un fil. Sans doute une espèce de téléphone, se dit Masklinn, en connaisseur.

Constatant qu’il ne bougeait pas, un des humains était allé chercher une boîte à l’arrière du camion et il était revenu à pas de loup vers le gnome, comme s’il avait peur que Masklinn n’explose. En fait, quand ce dernier lui avait adressé un salut de la main, l’humain avait bondi maladroitement en arrière.

L’autre humain avait dit quelque chose, et le premier avait placé la boîte avec précaution sur le gravier, à quelque distance de Masklinn.

Ensuite, les deux humains l’avaient observé en guettant sa réaction.

Il avait continué de sourire, pour les rassurer, et avait grimpé dans la boîte. Puis il leur avait fait un nouveau petit signe.

Un des humains s’était penché avec une infinie prudence et avait ramassé la boîte, la soulevant comme si Masklinn était un objet très rare et très fragile. On l’avait transporté jusqu’au camion. L’humain monta à bord et, tenant toujours la boîte avec un soin exagéré, la plaça sur ses genoux. Une radio crépitait de graves voix humaines.

Bon, plus possible de faire marche arrière, maintenant. En se disant cela, Masklinn se sentit presque détendu. Peut-être valait-il mieux considérer tout cela comme une nouvelle quête du meilleur moment de la journée.

Ils continuaient à le contempler, comme s’ils n’en croyaient pas leurs yeux.

Le camion démarra avec une secousse. Au bout d’un moment, il s’engagea sur une route en ciment, où l’attendait un autre camion. Un humain en descendit, s’entretint avec le chauffeur du camion de Masklinn, rit à la lente façon des humains, baissa les yeux vers Masklinn et arrêta très brutalement de rire.

Il courut presque à son propre véhicule et commença à parler dans un autre téléphone.

Je me doutais que ça se passerait comme ça, se dit Masklinn. Ils ne savent pas quoi faire d’un véritable gnome. C’est étonnant.

Mais du moment qu’ils m’emmènent quelque part où on trouve le genre d’électricité dont j’ai besoin…

Dorcas, le bricoleur, avait un jour tenté d’expliquer l’électricité à Masklinn, sans grand succès, parce que Dorcas lui-même n’avait pas des notions très précises sur le sujet. Apparemment, il en existait deux sortes, la droite et la zigzagante. La variété droite n’était pas très intéressante et elle restait sans bouger dans les piles. On trouvait le genre zigzagant dans les fils électriques des murs et les trucs comme ça, et semblait-il, le Truc était capable d’en voler quand il se trouvait à proximité. Dorcas employait pour évoquer l’électricité zigzagante le même ton de voix que Gurder quand l’Abbé parlait d’Arnold Frères (fond. 1905). Dorcas avait essayé de l’étudier, au temps du Grand Magasin. Si on l’enfermait dans un réfrigérateur, elle rendait les choses froides, mais si la même électricité allait dans un four, elle les rendait chaudes. Comment savait-elle faire la différence ?

— Dorcas employait, répéta Masklinn. J’ai dit « employait ». J’espère qu’il emploie toujours.

Le gnome avait la tête qui tournait un peu et il ressentait un optimisme incongru. Une partie de lui disait : c’est parce que si tu réfléchis sérieusement une seconde à la situation dans laquelle tu te trouves, tu vas paniquer.

Continue de sourire.

Le camion remontait la route en ronronnant, suivi par le second véhicule. Masklinn en vit un troisième surgir bruyamment d’une route de traverse et se joindre au cortège. Il était bondé d’humains, et la plupart contemplaient le ciel.

Ils ne s’arrêtèrent pas au premier bâtiment, continuant vers une construction plus importante autour de laquelle étaient parqués de nombreux véhicules. Des humains, encore d’autres, les attendaient.

L’un d’eux ouvrit la portière du camion, avec beaucoup de lenteur, même pour un humain.

L’humain qui transportait Masklinn sortit du véhicule.

Masklinn leva les yeux pour voir des dizaines de visages qui le contemplaient. Il en voyait chaque œil, chaque narine. Ils avaient tous l’air inquiets. Enfin, tous les yeux avaient l’air inquiets. Les narines avaient l’air de narines ordinaires.

Et c’était lui qui les mettait mal à l’aise.

Continue de sourire.

Il leur rendit leurs regards ; la panique qu’il essayait de réprimer faillit le faire pouffer. Il demanda :

— Messieurs, que puis-je faire pour vous ?

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