À peine Bob était-il arrivé devant l’école qu’il fut entouré par la nuée de ses amis, heureux de retrouver un de leurs meilleurs copains. Sur le total de la population de l’île, une large fraction était d’âge scolaire. En effet, lorsque la station de production avait été créée dix-huit ans auparavant, seuls des couples récemment mariés avaient été engagés par la compagnie. Ce furent des cris de joie, des mains serrées avec chaleur, des grandes tapes sur l’épaule pendant que les questions et les réponses se croisaient de toute part. Mais bientôt Bob resta seul avec ses amis les plus intimes.
Parmi ceux-ci le Chasseur n’en reconnut qu’un seul, qu’il avait vu dans l’eau le jour où il avait choisi Bob comme abri. À cette époque, il ne savait pas encore très bien découvrir les éléments particuliers à chaque être humain, mais il faut reconnaître que la chevelure flamboyante de Kenny Rice passait difficilement inaperçue.
Au cours de la conversation qui suivit, le Chasseur apprit très vite qui, des jeunes garçons présents, avait été se baigner avec Bob en ce jour déjà lointain. Il s’agissait de Norman Hay et de Hugh Colby, dont Bob avait déjà parlé lorsqu’il avait fait la description de l’île. Il avait également mentionné un certain Kenneth Malmstrom qui lui aussi faisait partie du groupe. C’était un garçon blond de seize ans environ, dont la taille d’un mètre quatre-vingt-deux lui avait évidemment valu l’inévitable surnom de « Tout-Petit ». Ces quatre-là étaient de vieux amis de toujours qui avaient pris l’habitude de se réunir régulièrement depuis l’époque où leurs parents leur avaient permis de quitter les alentours de la maison. Ce n’était pas par pure coïncidence que le Chasseur les avait trouvés en train de se baigner près de l’endroit où il avait touché terre. N’importe quel habitant de l’île aurait accepté de parier qu’en débarquant en ce point, le Chasseur choisirait l’un des cinq comme hôte. Ils avaient tous au fond d’eux une vocation bien ancrée de pilleurs d’épaves et ils ne cessaient de surveiller tout ce qui se passait sur la côte. Aucun ne trouva donc curieux que Bob fît rapidement bifurquer la conversation, précisément sur ce sujet-là.
« Quelqu’un a-t-il été se promener sur les récifs dernièrement ?
— En tout cas pas l’un de nous, répliqua Rice. Hugh est passé à travers le fond du bateau il y a six semaines et nous n’avons pas pu trouver une planche pour le réparer.
— Il y a des mois que ce fond devait nous lâcher », précisa Colby, qui d’habitude n’élevait jamais la voix et conservait toujours une attitude effacée et déférente, car il était le plus jeune. Personne ne songea à discuter avec lui sur ce point.
« De toute façon, si nous y allons en bateau, ajouta Rice, nous serons obligés de faire le tour par le sud de la côte. Au mois de décembre le vent a soufflé dur par ici et au cours d’une tempête, un énorme bloc de corail s’est coincé dans le petit chenal. Papa m’a bien promis de le faire sauter à la dynamite, mais jusqu’à présent il n’a pas l’air de s’en occuper beaucoup.
— Demande-lui de te laisser faire cela à sa place, insinua Bob. Une charge serait suffisante et nous savons tous nous débrouiller avec les détonateurs.
— Tu peux toujours le lui demander. Il te répondra : « Quand vous serez plus grands », même si tu le dépasses de deux têtes.
— Et la plage, qu’est-elle devenue ? » demanda Bob. (L’île ne comptait de nombreuses plages, mais lorsqu’il était question de « la plage », chacun savait ce que cela signifiait.) « Depuis mon départ en automne dernier, je n’ai pas avalé une seule goutte d’eau salée, continua Bob. Allons nous baigner. »
Tous furent immédiatement d’accord et se précipitèrent sur leurs bicyclettes garées dans un coin de la cour. Ils déposèrent leurs livres chez eux, prirent leurs maillots de bain et ils se retrouvèrent tous devant chez Hay, dont la maison s’élevait à l’extrémité de la route pavée, à plus de cinq kilomètres de l’école. De là, ils continuèrent à pied pour faire le tour des derniers contreforts de la chaîne des collines qui formait en quelque sorte l’épine dorsale de l’île, et sur laquelle la plupart des maisons étaient construites. Pour gagner la plage ils durent emprunter sur plus de cinq cents mètres un sentier que la brousse envahissait de plus en plus. Ils traversèrent ensuite un endroit relativement dégagé où les cocotiers poussaient en rangs serrés. Pour la première fois depuis son arrivée sur la Terre, le Chasseur trouva un endroit qui lui était connu. L’immense flaque d’eau où le requin était venu s’échouer n’existait plus, la tempête et la marée avaient déplacé les bancs de sable, mais les cocotiers et la plage n’avaient pas changé d’aspect. Le Chasseur venait de reconnaître l’endroit où il avait vu Bob pour la première fois. À cette place même, les recherches pour la capture du fugitif auraient dû commencer s’il n’avait pas été le jouet d’un mauvais sort extraordinaire. Mais il était inutile d’épiloguer sur ce point. On ne pouvait pas aller plus loin pour le moment.
Les jeunes garçons ne pensaient nullement à des histoires de détectives et de criminels. Dès leur arrivée sur la plage, ils se déshabillèrent en un tour de main et Bob en tête du petit groupe courut vers les vagues. Sa peau blanche faisait contraste avec les dos bronzés de ses camarades.
Bien que recouverte en grande partie de sable fin, la plage comprenait néanmoins de nombreux petits morceaux très pointus de corail. Dans sa hâte le jeune garçon marcha sur plusieurs d’entre eux avant d’avoir pu arrêter son élan. Le Chasseur fit immédiatement son devoir et lorsque Bob inspecta la plante de ses pieds, il ne découvrit aucune trace visible. Il pensa simplement que ses pieds étaient devenus très sensibles, car il portait des chaussures depuis plusieurs mois, et reprit sa course vers la mer. Bob ne voulait à aucun prix montrer à ses camarades qu’il était devenu douillet. Le Chasseur était très ennuyé de cet état de choses. Il avait pourtant fait la leçon à Bob et espérait que celui-ci se souviendrait de son avertissement. Il agit sur les muscles qui avaient l’habitude de prévenir Bob d’un danger imminent, mais celui-ci était trop affairé pour percevoir le signal, et même l’aurait-il senti, qu’il n’en aurait pas compris le sens. Le jeune garçon entra dans l’eau jusqu’aux hanches, puis plongea la tête la première dans une grosse vague qui arrivait. Le Chasseur cessa d’attirer l’attention de Bob et se contenta de contracter son corps autour des blessures récentes afin de les tenir fermées. Le Chasseur se félicitait de la jeunesse de son hôte, car ainsi il n’aurait pas à se préoccuper de sa santé. Néanmoins, il fallait absolument prévenir Bob, afin que celui-ci fasse attention à lui, sans trop compter sur le Chasseur.
Le bain des jeunes gens fut relativement court. Comme Bob l’avait dit, cette plage était le seul endroit de l’île non protégé par les récifs, et la mer était assez grosse. Au bout d’une dizaine de minutes les baigneurs estimèrent que c’était assez et regagnèrent la plage. Après avoir noué leurs vêtements dans leurs chemises, ils se dirigèrent vers le sud en empruntant le bord du rivage. À peine avaient-ils fait quelques pas que le Chasseur profita d’un moment où Bob regardait vers la pleine mer pour lui conseiller en termes vigoureux de mettre ses chaussures. Le jeune garçon eut assez de bon sens pour passer outre la petite blessure d’amour-propre que lui causait ce geste et obéit à l’injonction du Chasseur.
Une centaine de mètres plus loin, les récifs étaient de nouveau visibles et s’éloignaient peu à peu de la plage. La quantité de coraux épars au milieu du sable diminua notablement. Les promeneurs eurent la chance extraordinaire de trouver une planche de trois mètres cinquante de long et qui semblait être en très bon état. Elle avait dû passer entre deux récifs, amenée par une vague plus forte que les autres, pour venir s’échouer sur le sable. Les garçons refusèrent d’envisager la possibilité qu’elle provînt d’un chantier de l’île et que son propriétaire pût la reconnaître. Avec une pensée émue pour leur bateau endommagé, ils tirèrent ce précieux trésor pour le mettre à l’abri de la marée.
La côte sud s’étendait en une longue ligne droite de près de cinq kilomètres de long et les jeunes explorateurs n’y trouvaient que peu d’intérêt. Parvenus au point où ils avaient décidé de faire demi-tour, ils trouvèrent un poisson mort. Bob, se souvenant de la manière dont le Chasseur avait gagné la terre ferme, examina soigneusement la tête, mais sans résultat. Sans aucun doute le poisson était là depuis un certain temps et l’odeur qui s’en dégageait n’avait rien d’agréable.
« C’est comme cela que l’on perd son temps », fit remarquer le Chasseur lorsque Bob leva les yeux sur la plage. Cette fois-ci, il avait deviné les pensées du jeune garçon et Bob acquiesça à haute voix sans même se rendre compte qu’ils n’étaient pas seuls.
Bob rentra tard chez lui ce soir-là. Les garçons avaient porté la planche jusqu’à l’embouchure de la crique où leur bateau était caché. Bob rapporta, en outre, chez lui un magnifique coup de soleil. Le Chasseur lui-même ne s’était pas aperçu à temps du danger, ou n’en avait pas compris les symptômes, car il n’avait pas prévenu le jeune garçon pour que celui-ci remît ses vêtements.
À l’encontre de Bob, le Chasseur estimait que ce violent coup de soleil était heureux. Peut-être le jeune garçon se départirait-il de la fâcheuse tendance de laisser le Chasseur prendre soin de son corps. Cette nuit-là, il ne se manifesta sous aucune forme et laissa donc le jeune garçon à ses souffrances. En effet, Bob ne dormit pas de la nuit, s’efforçant d’éviter à son corps douloureux le contact des draps. Bob s’en voulait terriblement, car il n’avait jamais montré tant d’insouciance depuis des années et la seule excuse qu’il pouvait avancer à la rigueur était que d’habitude il ne se trouvait jamais chez lui à cette époque-là. Malgré tout, cette raison ne lui paraissait pas suffisante et il était furieux.
Le Peau Rouge qui descendit pour le petit déjeuner le lendemain matin n’avait vraiment pas l’air aimable. Il était mécontent de lui et ne comprenait pas l’attitude du Chasseur. Son père l’enveloppa d’un regard rapide et eut envie de rire, mais ne sachant pas quelles seraient les réactions de son fils, préféra s’en abstenir et demanda d’un air particulièrement engageant :
« Bob, j’allais te proposer d’aller à l’école aujourd’hui pour régler les détails de ton inscription, mais j’ai l’impression que tu as besoin de te refroidir un peu. Mais, ce n’est pas urgent et l’on peut attendre lundi. »
Bob acquiesça, mais à vrai dire la continuation de ses études lui était totalement sortie de l’esprit.
« Cela vaudra sans doute mieux, répondit-il. Nous sommes déjà jeudi et de toute façon, je n’aurais pas fait grand-chose cette semaine. Et puis je ne suis pas mécontent de pouvoir jeter un petit coup d’œil sur les environs. »
Son père lui jeta un regard en biais et conseilla d’un ton léger :
« Si j’étais dans ta peau, j’y regarderais à deux fois avant de sortir.
— Il ne sortira pas, insista alors Mme Kinnaird. Mon fils n’ira pas dehors dans cet état-là. »
Le père se contenta de dire à Bob :
« En tout cas, n’oublie pas de te couvrir si tu pars en exploration. Essaie de limiter tes promenades à la forêt, là au moins, il y a de l’ombre.
— Reste à savoir si l’on préfère qu’il soit égratigné ou grillé, reprit Mme Kinnaird. Lorsqu’il est cuit, ses vêtements n’en souffrent pas, mais après une balade dans le bois sa chemise revient en lanières.
— T’en fais pas, m’man, je tâcherai de passer entre les épines », répliqua Bob en souriant.
Sitôt le petit déjeuner achevé, Bob monta dans sa chambre et enfila une vaste chemise kaki à manches longues appartenant à son père. Il aida sa mère à faire la vaisselle, puis engagea la lutte contre les plantes de la jungle qui menaçaient toujours d’envahir la maison. Au bout d’un moment il abandonna le sécateur et la poudre d’hormones qu’il répandait sur les racines, et poussa une pointe vers le sud du jardin.
Le sentier grimpait à flanc de colline en s’écartant de plus en plus de la route. À regarder Bob on aurait juré qu’il se dirigeait vers un endroit précis. Le Chasseur ne lui posa aucune question, car la demi-obscurité qui régnait ne convenait guère à leur mode de conversation. Ils franchirent un ruisseau sur un tronc d’arbre jeté en travers. Le détective devina que ce ruisseau était certainement celui que la route traversait sur un petit pont, un peu plus bas.
Mme Kinnaird n’avait pas exagéré en parlant de la jungle. Peu d’arbres étaient véritablement très élevés ; mais en revanche le sol était couvert de buissons épais, pour la plupart épineux. Bob se frayait un chemin avec une rapidité et une habileté qui dénotaient une longue pratique. Bon nombre de plantes auraient certainement surpris plus d’un botaniste. L’île comportait d’ailleurs des laboratoires de botanique et de bactériologie, où l’on s’efforçait de découvrir constamment de nouveaux procédés pour la fabrication de l’huile et surtout de nouvelles plantes pour alimenter les réservoirs. Au fond, ce que l’on désirait, c’était avoir une plante poussant extrêmement vite sans trop épuiser le sol. Certains essais ont dépassé les prévisions les plus optimistes.
Bob avait l’intention de se rendre à un endroit qui se trouvait à peine à huit cents mètres de la maison. Il fallait plus d’une demi-heure pour y arriver. D’une clairière située au sommet de la colline, ils jetèrent un coup d’œil sur la partie habitée de l’île, qui s’étalait à leurs pieds. Sur ce tertre un peu dégagé se trouvait un arbre plus grand que les autres, quoique moins gros que les palmiers bordant le rivage. Les branches basses avaient disparu, mais le tronc portait des aspérités qui en faisaient une sorte d’échelle, le long de laquelle Bob grimpa sans difficulté.
Une vague plate-forme apparaissait dans le creux des branches les plus hautes. Tout indiquait que le garçon avait l’habitude de venir souvent sur cet arbre, qui offrait d’ailleurs un magnifique observatoire d’où l’on surplombait toute la jungle environnante, et d’où l’on découvrait l’île dans son ensemble. Bob laissa son regard errer lentement de droite à gauche afin de donner la possibilité au Chasseur de voir les détails qu’il avait pu oublier de signaler sur la carte.
À une question au sujet des réservoirs existant à l’intérieur des terres dans la partie nord-est de l’île, Bob répondit que ces réservoirs contenaient des bactéries qui agissaient très rapidement à haute température, que par conséquent on les laissait en plein soleil, quitte à ce que leur activité cessât à la tombée du jour :
« On dirait qu’il y en a plus que d’habitude, ajouta Bob, mais ils sont toujours en train de construire. Ces réservoirs sont situés au pied du versant nord-est des collines, et on les voit mal d’ici. C’est d’ailleurs le seul endroit que l’on ne découvre pas du haut de cet arbre.
—… en plus de tout ce qui se trouve dans la jungle, ajouta malicieusement le Chasseur.
— Bien sûr, répliqua vivement Bob, je ne vous ai pas amené ici pour essayer de découvrir votre proie à distance. Si j’ai grimpé jusqu’à cette plate-forme, c’est dans l’unique dessein de vous montrer l’endroit où vont se dérouler nos recherches. Il va falloir profiter pleinement des trois prochains jours, car lundi je ne pourrai pas éviter l’école. Si le bateau était réparé, nous pourrions aller faire un tour sur les récifs, ajouta Bob en désignant de la tête la petite crique où ils étaient passés la veille.
— Il n’existe donc pas d’autre bateau dans toute l’île ?
— Si, et je réussirai peut-être à en emprunter un, quoiqu’il ne soit guère recommandé d’aller traîner tout seul ses rames, près des récifs. En général on y va toujours à plusieurs.
— Connaissez-vous des endroits que l’on peut atteindre à pied en partant de la plage ?
— Non. Dans la plupart des cas il faut y aller en nageant. Et je n’ai aucune envie de me baigner aujourd’hui, à moins que vous puissiez agir sur mes coups de soleil avec un peu plus de vigueur que vous ne l’avez fait jusqu’à présent », insista Bob.
Le Chasseur crut devoir ne pas répondre et Bob descendit de l’arbre. Il hésita un court instant et brusquement dévala rapidement la colline en se frayant un chemin entre les buissons et se rapprocha de plus en plus de la route. Il expliqua son agitation par ces mots :
« Ça ne vaut pas le coup de prendre mon vélo. »
Bob atteignit la route à deux cents mètres environ à l’est de l’école. En passant devant les maisons il y jeta un coup d’œil comme pour évaluer les chances de succès qu’aurait une demande d’emprunt de bateau. Il arriva bientôt au croisement de la route conduisant à l’appontement et hâta le pas vers la maison des Teroa.
Il fit le tour de la villa avec l’espoir de trouver Charles au jardin, mais ne vit que ses deux sœurs qui déclarèrent que leur frère était dans sa chambre. Au moment où Bob se dirigeait vers le perron, la porte d’entrée s’ouvrit et Charles sortit en trombe.
« Bob, ça y est, je l’ai. Toi qui étais toujours incrédule. »
Bob, un peu interloqué, jeta un coup d’œil vers les deux jeunes filles qui souriaient d’un air niais.
« Qu’est-ce que tu as ?
— Mais la place ! Nous en parlions hier justement. J’ai reçu un télégramme ce matin, et je ne savais même pas que tout était déjà décidé.
— J’étais au courant, répondit Bob en souriant vaguement. Ton père me l’avait dit.
— Et tu gardais tout cela pour toi ? »
Teroa essaya d’attraper Bob qui fit un pas rapide en arrière.
« Il m’avait affirmé que c’était préférable… que tu ne le saches pas.
— Ne parle à personne de ce qui m’arrive, insista Teroa. Tu m’entends, je ne veux pas. Je vais maintenant chez Ray reprendre deux ou trois choses qu’il m’a empruntées il y a déjà quelque temps. Tu viens avec moi ? »
Bob leva les yeux au ciel, mais le Chasseur n’exprima aucune opinion particulière et il dut se décider lui-même. Il refusa et regarda s’éloigner, parmi les hangars, la silhouette du futur marin, puis revint lentement sur la route.
« C’était la seule chance d’avoir un bateau, dit-il au Chasseur. Nous allons maintenant être obligés d’attendre que les copains sortent de l’école, et peut-être réussirons-nous à en emprunter un. De plus, en mettant les choses au pire, on ira plus vite s’il faut réparer le nôtre. Je n’ai d’ailleurs pas eu le temps de l’examiner de très près en portant la planche hier soir »
Le Chasseur, préoccupé, résuma la situation :
« Ce garçon à qui vous venez de parler va prendre un bateau. Il a déjà quitté l’île une fois depuis mon arrivée.
— Forcément. Vous avez entendu qu’il avait l’intention de se rendre chez Ray au réservoir n° 4 pour récupérer ses affaires. Le garçon dont il parle travaille sur l’une des plates qui servent à évacuer les résidus des réservoirs. Charlie veut rassembler tout ce qui lui appartient avant de quitter l’île. »
L’attention du Chasseur fut immédiatement alertée et il demanda : « Comment ? Quitter l’île ? Le type de la plate veut s’en aller ?
— Non ; Charlie, vous n’avez pas entendu ce qu’il disait ?
— Je l’ai entendu parler d’un nouveau job, c’est tout. Est-ce pour cela qu’il doit partir ?
— Bien sûr, Charlie est le fils du commandant de ce navire sur lequel il s’était caché dans l’espoir de trouver un emploi à bord. Vous ne vous souvenez donc de rien ? Son père nous a mis au courant le premier soir de notre installation à bord.
— Vous avez en effet parlé à un marin, répondit le Chasseur, mais je ne savais pas et ne sais pas encore ce que vous vous êtes dit alors, car vous parliez le pidgin des îles.
— C’est vrai, j’avais oublié », répondit Bob qui resta quelques instants à mettre de l’ordre dans ses pensées puis raconta l’histoire aussi brièvement et aussi clairement que possible. Le Chasseur réfléchit à son tour et dit : « Ce Charles Teroa a donc quitté l’île une fois depuis mon arrivée et il va s’en aller sous peu. Votre ami Norman Hay l’a quittée également. Je vous en prie, n’oubliez pas de me dire si, d’après vous, d’autres personnes sont parties entre temps.
— Il n’y en a pas d’autre. À moins que vous ne vouliez compter le père de Charlie, le commandant du bateau, mais il ne descend que très rarement à terre. Je ne vois d’ailleurs pas en quoi le voyage des deux garçons peut avoir de l’importance. Vous savez comme moi qu’ils n’ont pas mis les pieds à terre, et en admettant que votre criminel se soit trouvé avec eux il n’aurait pu se sauver qu’en pleine mer.
— Vous avez peut-être raison, mais en tout cas le garçon que vous venez de voir va s’en aller. Il faut l’examiner avant son départ ; essayons donc de trouver un moyen pour y parvenir. »
Pour la première fois depuis le début de la journée Bob oublia complètement ses coups de soleil en remontant chez lui.