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Ce jour-là Crab fut pris au sérieux pour la première fois. D'habitude, il parvenait sans peine à tromper les services de surveillance. Son air idiot jouait pour lui. Et les soupçons des vigiles se portaient sur d'autres. Il quittait les lieux sans être inquiété, d'un pas tranquille – trop de hâte eût attiré l'attention; trop de désinvolture aussi, mais il se gardait bien de siffloter -, il passait devant les vigiles, ni vu ni connu, croisait des patrouilles nerveuses qui contrôlaient tout le monde sauf lui. Aux barrages, nul ne lui demandait rien, on lui faisait signe d'avancer, de circuler plus vite que ça, il s'exécutait, intérieurement ravi, doublant de longues files de voitures immobilisées dont les occupants subissaient d'interminables interrogatoires. Assurément, Crab aurait alors franchi une frontière à chaque pas sans difficulté. Mais il ne songeait pas à fuir, on ne le suspectait pas, il pouvait aller et venir, ne risquait rien.

Or ce jour-là, il se fit pincer. Il marchait dans la rue, vêtu de son long manteau, le visage empreint d'innocence et les bras ballants, comme à l'accoutumée, lorsque soudain il fut pris au sérieux, encerclé aussitôt et rapidement maîtrisé. Il n'opposa d'ailleurs aucune résistance et plus tard, devant ses juges, ne nia rien.

Maintenant Crab voudrait comprendre, pour le repos de son esprit, savoir au juste ce qui causa sa perte. Quelque chose lui aura échappé, mais quoi, un mot, un geste? Il se sera trahi, mais quand, comment? Qu'on lui dise par pitié quelle a été son erreur.

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