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Il y eut une époque, entre sa quinzième et sa vingtième années, où Crab griffonnait chaque soir un petit mot expliquant pourquoi il prenait la décision d'en finir et de s'anéantir dans le sommeil, qu'il plaçait bien en évidence sur sa table de chevet avant d'éteindre, et déchirait à son réveil. Les bonnes raisons ne manquaient pas, la journée écoulée lui fournissait toujours abondance de mobiles, toujours différents de ceux de la veille, et rien pour le raccrocher à la vie.

Crab cependant éprouvait une sensation étrange, plutôt agréable, en composant ces tristes billets, et peu à peu, presque à son insu, il commença à en soigner la forme et le style. Alors les choses changèrent, impossible désormais de fermer l'œil, sans cesse il rallumait sa lampe pour remplacer ou supprimer un mot maladroit, il restait éveillé la nuit entière, écrivant avec une jubilation croissante, et le petit billet initial devenait une longue lettre d'adieu éloquente, mieux argumentée et plus convaincante, mais finalement démentie par l'exaltation dont elle témoignait, par cette écriture allègre qui, en somme, trahissait son propos – ainsi croit-on que le violon se lamente uniquement parce que ses éblouissants souliers vernis sont trop étroits.

Crab renonça dès lors à chercher l'oubli dans le sommeil. La nuit, il écrivait. Sa fatigue ivre de caféine ne l'importunait pas longtemps. Il la rejoignait à l'aube dans son lit, pour quelques heures seulement. Puis se levait, sortait, marchait résolument au-devant des ennuis. Il était vite servi. L'hiver, l'inconfort, les méchants coups de poing dans la mâchoire, le rire franc des femmes sur son passage – et quand ce n'était pas la pluie, alors c'était le vent qui s'acharnait sur lui. Au crépuscule, lorsqu'il se décidait enfin à rentrer chez lui, humilié, battu, grelottant, Crab avait de quoi écrire pour toute la nuit.


*

Crab avale une cerise avec son noyau. C'était une tentative de suicide, mais personne ne veut le croire.

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