Neuf

Des alarmes résonnaient à bord du croiseur lourd ; ceux des systèmes de visée qui n’avaient pas été affectés par l’émergence se verrouillèrent sur le gros vaisseau qui stationnait près du point de saut et attendirent l’autorisation d’un humain pour tirer. Au moyen de ruses apprises depuis longtemps, Iceni réussit à s’arracher à sa désorientation.

Bon, rien de bien effrayant dans les parages.

Un rire nerveux traversa toute la passerelle, chacun se remettant peu à peu suffisamment pour consulter son propre écran.

« Un cargo », marmonna Marphissa. L’énorme vaisseau marchand rectangulaire progressait juste au-dessus du point de saut, à moins d’une minute-lumière, et s’apprêtait manifestement à sortir du système avec sa cargaison. Sans doute les Mondes syndiqués s’effondraient-ils, violence et incertitude économique explosaient-elles un peu partout, mais les affaires restaient les affaires. « Faut-il l’intercepter ?

— Non, répondit Iceni. Nous devons continuer de commercer avec cette région et encourager les gens à nouer avec nous des relations d’échange. Souhaitez bon vent à son équipage et certifiez-lui que Midway veillera à la sécurité de tous ceux qui voudront traiter avec nous. »

Pendant que Marphissa s’exécutait, Iceni étudia son écran. La flottille n’avait émergé du point de saut qu’à cinq heures-lumière de l’étoile. Le diamètre du système de Kane est inférieur à celui de Midway. La planète la plus proche se trouvait à vingt minutes-lumière, assez éloignée de la chaleur du luminaire pour être glacée. Deux géantes gazeuses étaient plus proches de l’étoile, dont une à trois heures-lumière et l’autre à une heure-lumière et demie. Par-delà, assez voisines de Kane pour bénéficier de sa chaleur, on repérait encore trois planètes intérieures. L’une était trop froide pour héberger des hommes et l’autre un poil trop brûlante. Mais la troisième, à sept minutes-lumière seulement de Kane, était tout à fait hospitalière. C’était elle qui abritait, dans des villes et des cités cramponnées aux lisières de continents restés le plus souvent à l’état vierge, la majeure partie de la présence humaine dans le système.

Mais ce fut la géante gazeuse la plus proche de l’étoile qui retint l’attention d’Iceni. Elle distinguait l’installation des forces mobiles orbitant autour de la planète ainsi qu’une de ses grosses lunes, mais elle ne vit aucun signe du cuirassé. Soit il se dissimulait réellement derrière la courbure de la planète, soit cette information était erronée et sa mission prenait la tournure d’une chasse au dahu.

La population de la principale planète habitée de Kane ne verrait émerger la flottille que dans près de cinq heures, mais Iceni était consciente qu’il lui faudrait lui envoyer un message, et qu’il lui parviendrait à peu près en même temps que les images de l’irruption de ses vaisseaux. Sa teneur dépendrait de ce qu’elle aurait trouvé à son émergence.

« Il ne semble pas y avoir de combats dans ce système, fit remarquer la kommodore Marphissa. On ne détecte que des communications et un trafic pacifiques. » Elle pointa l’index. « Mais il faudra nous inquiéter d’une force d’opposition. »

À quatre heures-lumière environ de la flottille, plusieurs vaisseaux de guerre orbitaient autour de Kane à proximité de cette même géante gazeuse. « Un croiseur lourd, trois croiseurs légers et six avisos », confirma le spécialiste des opérations avec une célérité inhabituelle. Depuis qu’Iceni avait changé les désignations et transformé les opérateurs qu’ils étaient en spécialistes de leurs diverses branches, le moral de l’équipage était étonnamment remonté.

La présidente se massa le menton en s’efforçant de trouver un sens au positionnement de ces forces. « Pouvons-nous affirmer que les Mondes syndiqués contrôlent encore ce système, ou bien que d’autres y ont pris le pouvoir ? » Midway, eu égard à son portail de l’hypernet et à son importance stratégique, avait eu droit à une présence du SSI plus insistante que celle que devaient s’appuyer des systèmes stellaires moins critiques. Certains, comme Kane, qui disposait certes d’une planète habitable, mais d’aucun autre atout qui le distinguât, étaient restés des trous perdus qui, depuis la découverte de l’hypernet, n’avaient que médiocrement intéressés les Mondes syndiqués. Si son relatif isolement avait interdit à Kane de bénéficier de plus gros investissements, il avait aussi maintenu à un niveau moindre le nombre des serpents et de leurs installations. Encore récemment – du moins si ce système avait bel et bien renversé l’autorité syndic –, l’envoi par le gouvernement central de forces mobiles exigeant sa soumission inconditionnelle ou pilonnant la planète jusqu’à résipiscence n’aurait été qu’une question de temps. Solution nettement moins dispendieuse et plus efficace que l’implantation d’une forte présence du SSI dans le système.

Mais à qui les forces mobiles de Kane obéissent-elles à présent ? Se chargent-elles toujours de faire appliquer les lois syndics ? L’ignorance d’Iceni à cet égard lui compliquait la tâche : comment allait-elle se présenter ?

« Toutes les communications que nous captons trahissent des procédures syndics et s’appuient sur leur nomenclature, rapporta le spécialiste des coms.

— Cela signifie peut-être qu’ils n’ont encore rien changé », murmura Iceni. Je dois y aller au pif et mon instinct me souffle que les Mondes syndiqués ont encore la haute main ici. Peut-être les autorités de Kane ne les servent-elles plus que du bout des lèvres, mais je ne crois pas qu’elles aient officiellement renoncé à la férule syndic.

Elle modifia les paramètres de son panneau de com de manière à faire passer l’avatar d’une femme qui ne lui ressemblait pas pour l’expéditrice de son message. « Ici la CECH Janusa, agissant sur les ordres du gouvernement des Mondes syndiqués de Prime. Nous arrivons de Midway, où nous avons rétabli le contrôle des Syndics, et nous nous dirigeons vers votre installation des forces mobiles pour nous réapprovisionner et procéder à quelques réparations. Au nom du peuple, Janusa, terminé. »

La kommodore Marphissa esquissa un sourire. « Il faut croire qu’il est préférable de se servir d’un vrai CECH syndic pour en incarner un.

— D’un ex-CECH syndic, rectifia Iceni avant de lui retourner son sourire. Certains modes d’expression et attitudes finissent par devenir des tics. Ils ne disposeront ici d’aucun dossier sur une CECH Janusa, mais Kane ne reçoit guère de visites en provenance d’autres régions du territoire syndic, de sorte que les nouvelles qui lui parviennent ont toujours beaucoup de retard sur les événements qui se déroulent ailleurs. Si l’on me demande qui je suis, je me prétendrai récemment promue par le nouveau gouvernement de Prime.

— Croyez-vous qu’ils nous permettront de gagner leur installation des forces mobiles ?

— S’ils n’y voient aucune objection, cela signifiera sans doute que notre service des renseignements s’est planté, ou bien que le cuirassé est déjà parti. Mais s’ils s’y opposent et s’efforcent de retarder notre arrivée, alors on pourra tabler avec certitude sur la présence de notre proie. Nous n’allons pas attendre la réponse, kommodore. Ordonnez à la flottille d’adopter une trajectoire d’interception de l’installation des forces mobiles.

— À quelle vélocité… CECH Janusa ? »

Iceni médita un instant l’argument. « 0,1 c. Je suis une toute nouvelle et audacieuse CECH. Je n’ai pas de temps à perdre dans un système stellaire de seconde zone. J’ai à faire ailleurs et je tiens à ce que tout le monde sache que je suis quelqu’un d’important et que je m’occupe de choses sérieuses.

— Je tâcherai de garder cette importance à l’esprit, CECH Janusa, lâcha Marphissa.

— N’est-ce pas toujours ainsi que vous vous comportez avec un CECH ? demanda Iceni, dont le ton sarcastique avait cédé la place à une déplaisante suffisance. Nous sommes tous de première importance. »

Marphissa eut le front de répondre sincèrement. « Tous ne se ressemblaient pas, mais il fallait les traiter tous sur le même pied.

— SPDT, ajouta Iceni, sardonique.

— Sous peine de terminaison, traduisit Marphissa. J’ai choisi de vous soutenir, comme les commandants de tous ces vaisseaux, parce que je vous croyais foncièrement différente des autres.

— Vous m’avez soutenue parce que vous y avez vu une opportunité de carrière.

— Ce n’était pas la seule raison et, dans certains cas, elle n’intervenait même pas. » La kommodore Marphissa sourit. « Je viens tout juste de contredire effrontément une CECH.

— Vous n’en aviez assurément pas fait une habitude par le passé. » Iceni la scruta attentivement. « Que voulez-vous exactement, kommodore ? Vous et les autres ?

— Que vous vous souciiez autant de nous que de vous-même.

— Vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère, dirait-on. » Iceni reporta le regard sur son écran. « J’ai une certaine responsabilité envers ceux qui travaillent pour moi. N’allez pas croire que cela fait de moi une espèce de… d’humaniste.

— Je me garderais bien de porter une telle accusation contre vous, madame la présidente.

— Tant mieux. » Iceni posa un instant les yeux sur la planète habitée, distante de près de cinq heures-lumière. Si bien qu’elle ne recevrait pas son message avant cinq heures et que la réponse, même si on la renvoyait aussitôt, mettrait approximativement le même délai à lui parvenir. Dix heures donc à prendre patience, et elle avait assez mal dormi tant l’inquiétait ce qui risquait de la guetter à Kane. « Je vais aller me reposer. Avisez le colonel Rogero que nous ne pouvons guère nous attendre à recourir à ses forces spéciales avant une quarantaine d’heures. Et prévenez-moi de tout changement appréciable de la situation.

— À vos ordres, madame la présidente, répondit Marphissa, de nouveau tout à son affaire. Qu’en est-il de l’état de préparation des vaisseaux ? Voulez-vous qu’on les maintienne en alerte Un ?

— Non. » Iceni s’était parfois retrouvée sous les ordres de CECH exigeant de leur équipage qu’il restât sur le qui-vive pendant des jours d’affilée afin d’être toujours « prêt à tout », de sorte que, lorsqu’ils affrontaient enfin l’ennemi, les hommes étaient complètement épuisés et fort loin, donc, d’être parés à combattre. Elle n’allait pas répéter la même erreur. « Ramenez les vaisseaux au mode de croisière. Faites savoir à tous les commandants d’unité que je tiens à ce que les matelots soient frais et dispos lorsque nous approcherons de la géante gazeuse. » Ça n’avait rien non plus d’humanitaire. C’était purement rationnel.

Toujours est-il que le soulagement qui gagna les jeunes officiers et les spécialistes de la passerelle en fut presque tangible. Iceni réprima un sourire en se remémorant l’époque où elle-même se résignait à rester de faction sur la passerelle pendant une durée indéfinie alors que l’ennemi se trouvait encore à plusieurs heures-lumière. Chacun ici savait que l’objectif était un cuirassé, pourtant tous avaient l’air enjoués et confiants. Elle avait du mal à le comprendre.

En refermant la porte de sa cabine, elle éprouva cette sensation de répit que procure toujours la protection d’une barricade infranchissable. Depuis quand n’était-elle pas sortie dans la rue sans s’inquiéter de savoir si on la suivait ?

Cela dit, elle se fiait de plus en plus à Marphissa. Tout en cette fille laissait entendre qu’elle était intelligente, capable, loyale et prête à parler franchement à ses supérieurs. Cette dernière vertu aurait au mieux été regardée comme agaçante par les CECH et vice-CECH, mais Iceni, elle, en reconnaissait la valeur chez une subalterne quand elle s’assortissait de ces autres qualités. Si du moins Marphissa les possédait toutes, et en particulier la loyauté.

Ont-ils réellement décidé de m’appuyer parce qu’ils s’attendaient à ce que je me soucie de leur sort ? Je m’en inquiète certes, au point de ne pas les avoir abandonnés aux Énigmas quand la situation semblait désespérée. C’était mon devoir de CECH responsable du système de Midway. Je suis comme ça – je fais bien mon travail –, et ne pas me soucier d’eux maintenant que mon propre sort repose sur leur combativité serait la dernière des folies.

Elle s’étendit sur sa couchette et fixa le plafond en se demandant pourquoi le souvenir de la joviale assurance qui régnait dans l’équipage la comblait d’aise. L’opinion des matelots ne comptait pas. Eux-mêmes ne comptaient pas. On le lui avait ressassé toute sa carrière durant.

Pourtant elle s’était rebellée contre tout ce qu’on lui avait inculqué, non ? Pourquoi ?

Parce que ce système avait failli.

« CECH Janusa. »

L’homme qui avait envoyé le message avait l’air de l’accueillir cauteleusement. Elle ne le reconnut pas.

« Je suis le CECH Reynard. Bienvenue à Kane. Je vous félicite de votre victoire à Midway et j’apprécierais que vous me fassiez parvenir le récit du combat que vous y avez livré afin que je prenne exemple sur vous. »

Ce n’est pas un CECH. Il s’exprime comme un vice-CECH et cherche à me flatter pour me soutirer des renseignements. Intéressant.

Le « CECH Reynard » afficha une figure soucieuse. « Je dois vous informer que notre installation des forces mobiles orbitant autour de la quatrième planète du système a été récemment vidée de ses fournitures par une autre flottille syndic. Si vous décidiez de plutôt faire route vers la deuxième planète, je peux vous assurer que la vôtre recevra tout le soutien requis. Ce qui vous permettra de vous réapprovisionner aussi vite que possible avant de reprendre le cours de votre mission. Au nom du peuple, Reynard, terminé. »

Alors, « Reynard », quel est ton vrai nom et quel jeu joues-tu réellement ? Le pouvoir des Mondes syndiqués a-t-il été renversé ici ? Qu’est-il advenu du CECH Chan, qui aux dernières nouvelles était encore aux manettes ? Les serpents auraient pu l’éliminer, auquel cas tu ne serais qu’un substitut des Syndics, bombardé après que le SSI aurait massacré les CECH de Kane.

Il a aussi l’air pressé de nous voir repartir. Je peux au moins être sûre d’une chose : « Reynard » ne tient pas à ce que nous gagnions la géante gazeuse. C’est bon signe. « Maintenez le cap vers l’installation des forces mobiles », ordonna-t-elle à Marphissa.

Elle réfléchit à ce qu’elle devait faire ensuite puis activa son unité de com.

« Ici la CECH Janusa, répondant au CECH Reynard. Hélas, je n’ai pas le temps de me détourner vers votre deuxième planète. Ma flottille continuera de se diriger vers l’installation des forces mobiles, où je suis sûre de trouver de quoi me réapprovisionner. Au nom du peuple, Janusa, terminé. »

Nouveau message : « De la CECH Janusa au commandant de la flottille stationnée près de la quatrième planète du système de Kane. Je suis ici pour faire appliquer les ordres directs du gouvernement de Prime. Je désire être contactée le plus tôt possible par votre commandant. Des impératifs urgents réclament des modifications drastiques de vos attributions. » Ces impératifs étant surtout la nécessité de vous éloigner de cette installation des forces mobiles afin de me faciliter la tâche.

« La CECH Janusa met franchement le paquet, fit remarquer la kommodore Marphissa dès qu’Iceni eut envoyé son second message.

— C’est une salope impénitente, admit Iceni. Ainsi personne ne mettra en doute sa qualité de CECH. Avez-vous réussi à contacter officieusement un des commandants d’unité de cette autre flottille ?

— J’ai envoyé quelques coups de sonde par le truchement des canaux non réglementaires du système de com, mais ils sont restés lettre morte jusque-là.

— Avisez-moi dès que vous recevrez une réponse. Je préfère ajouter des vaisseaux de guerre à ma flottille que les combattre. »

Vingt-huit heures de transit les séparaient encore de l’installation des forces mobiles.

Le message suivant survint sept heures plus tard, en provenance de l’installation orbitale de la géante gazeuse plutôt que de la planète habitée. « CECH Janusa, veuillez changer de cap et vous diriger vers la deuxième planète. J’ai le regret de vous informer que nous sommes victimes ici d’une grave épidémie consécutive à la dernière visite d’une flottille à notre installation. Nous devons encore découvrir le traitement adéquat. Plus de la moitié de notre personnel est d’ores et déjà frappé d’incapacité. Au nom du peuple, ici la vice-CECH Petrov, commandante intérimaire de l’installation orbitale, terminé.

— Elle a l’air en bonne santé pour quelqu’un qui commande à une installation frappée par une épidémie, fit remarquer Iceni. Kommodore Marphissa, ordonnez au médecin de bord d’évaluer la véracité du message de cette vice-CECH Petrov, si c’est bien son nom. »

Marphissa transmit l’instruction puis se tourna vers Iceni. « S’ils souffraient réellement d’une épidémie, le règlement aurait exigé de cette installation qu’elle diffuse à notre intention un avertissement standard dès notre irruption dans le système. Au lieu de cela, ce message nous arrive au terme d’un délai suffisant pour qu’elle ait reçu entre-temps des autorités de la deuxième planète l’ordre de l’envoyer après avoir entendu votre refus d’obtempérer à leur demande.

— Surprenante coïncidence, non ? »

Marphissa prêta l’oreille à un message interne puis hocha la tête. « Compris, lâcha-t-elle. Madame la présidente, mon médecin de bord affirme que cette vice-CECH Petrov était manifestement soumise à une très forte tension quand elle a envoyé son message, mais qu’elle ne montrait aucun symptôme de maladie ni de stress durable en dehors de celui d’un CECH normal. »

Iceni observait les lents changements de position des divers objets qu’affichait son écran à mesure que sa flottille piquait régulièrement sur la géante gazeuse et que les planètes, lunes, satellites et comètes du système de Kane se déplaçaient de plus en plus paresseusement autour de leur soleil et sur leur orbite. « La flottille proche de la géante gazeuse n’a toujours pas bougé. Combien de temps peut-elle encore attendre pour s’ébranler si elle tient à nous intercepter avant que nous n’atteignions une position nous permettant de voir ce qui se trouve derrière la courbure de la planète ?

— Approximativement… (Marphissa haussa les épaules) trois heures avant que nous n’arrivions à cette géante gazeuse. Tout dépend de la position du cuirassé derrière elle. »

Quelque chose clochait et Iceni finit par mettre le doigt dessus. « Ils cherchent à nous prévenir. Nous avons ignoré leurs avertissements. Vous savez comment ça marche. Si le premier coup de semonce ou la première menace échoue, c’est l’escalade. On met la barre plus haut jusqu’à trouver enfin un moyen de pression auquel l’adversaire prêtera attention. De quoi disposent-ils qui pourrait nous intimider ? »

Marphissa ne plissa le front qu’une seconde. « D’un cuirassé.

— Oui. Et s’ils donnaient ce cuirassé et déclaraient : “Dégagez. Zone interdite”, la CECH Janusa elle-même devrait obtempérer. Mais ils ne s’y sont pas encore résolus. » Pas plus que le commandant de la flottille n’avait répondu à l’ordre direct d’Iceni lui demandant de la contacter. Étrange, cela aussi. « Toujours rien des unités de cette flottille ?

— Non, madame la présidente. Rien encore. »

Iceni fronça les sourcils. « Lorsque j’étais encore un jeune cadre, voir une vice-CECH, ç’aurait été pour le moins inhabituel. Nous contactions toujours les unités que nous rencontrions par des canaux non autorisés pour leur extorquer les dernières informations classées confidentielles afin d’anticiper sur les événements et de préparer notre personnel à se défendre contre des actions hostiles. » Mais personne dans son bon sens ne l’aurait admis en présence d’un supérieur. Iceni s’était parfois demandé ce qu’auraient accompli les Mondes syndiqués si leur encadrement n’avait pas consacré tant d’efforts à des luttes intestines. La guerre avait souvent donné l’impression d’être remisée derrière les combats politiques.

« Vraiment ? fit la kommodore Marphissa en feignant la candeur. Si cela se produisait encore, bien sûr, je ne l’affirme pas, si cela devait encore arriver, je m’y attendrais en l’occurrence. Mais nous ne recevons rien de tel.

— Quelqu’un a dû verrouiller aussi les canaux officieux, hasarda Iceni. Les serpents auraient-ils massacré l’équipage de ces vaisseaux comme ils l’ont fait sur l’A-6336 ?

— Ce serait scier leur branche en cas d’affrontement. Ils ne pourraient plus manœuvrer que les unités pilotées automatiquement. » Marphissa scruta son écran. « À moins qu’il n’y ait eu une révolution et que les matelots de ces unités refusent de se trahir, compte tenu de notre supériorité numérique.

— Tout est possible. » Iceni enfonça une touche de son panneau des communications internes. « Colonel Rogero, avez-vous pu intercepter les transmissions des forces terrestres de ce système ?

— Oui, madame la présidente. »

Au vu de son maintien et de son élocution, le professionnalisme de Rogero semblait encore plus prometteur que ne l’avait suggéré l’éloge de Drakon. Ce qui ne rendait que plus inexplicable le faux pas qu’il avait commis en s’amourachant d’un officier ennemi. Sauf, bien sûr, si cette femme était vraiment exceptionnelle. Et il serait absurde de lui poser la question puisque, s’il en est épris, il verra certainement en elle la seule femme hors du commun qui fut, est et sera jamais. L’amour a sur les esprits un impact trop négatif pour permettre aux amants d’y voir clair. « Y a-t-il quelque chose qui sorte de l’ordinaire ?

— Une seule chose. Toutes les communications semblent parfaitement routinières.

— Et ça vous paraît extraordinaire ?

— Alors que nous venons tout juste de débarquer, madame la présidente ? On aurait pu s’attendre à des réactions, des discussions, n’importe quoi qui trahirait au moins la conscience de notre présence. Il n’y a rien eu de tel.

— Pourriez-vous m’expliquer ce que cela signifie, colonel ?

— Non. C’est inattendu et anormal. C’est tout ce que je peux en dire. » Rogero s’était tourné pour discuter avec un tiers, mais il fit de nouveau face à Iceni. « Mon analyste des coms n’a capté aucun message adressé aux forces terrestres indiquant qu’elles se trouvent à bord du cuirassé proche de la géante gazeuse. Si elle cherchait à nous dissimuler leur présence à bord, la planète ne communiquerait sans doute pas avec elles, mais on tombe toujours sur des fuites dans d’autres transmissions : quelqu’un qui fait allusion à des fournitures, à un mouvement de troupes ou à un autre détail qui dévoile le pot aux roses. Là encore, on n’a rien trouvé.

— Nous n’aurons donc affaire qu’aux seuls équipages réguliers ? » C’était plutôt une bonne nouvelle.

« Madame la présidente, il me semble peu plausible que des forces terrestres soient embarquées sur cette unité mobile, mais, si des vipères ou des serpents se trouvaient à bord de ce cuirassé, nous serions dans l’incapacité de vous le dire. Le SSI est très doué pour dissimuler des informations dans des communications d’apparence routinière et anodine. »

Pas si bonne que cela, en définitive. « Merci pour cette évaluation de la situation, colonel. Nous atteindrons la géante gazeuse sous vingt heures. Combien de temps mettront vos soldats pour embarquer sur les navettes si j’ordonne l’arraisonnement du cuirassé ?

— Deux minutes. Nous serons parés et en cuirasse de combat. » Rogero hésita. « Vous êtes consciente que, si une section importante de ce bâtiment dispose d’armes opérationnelles, nos navettes ne survivront pas assez longtemps pour l’atteindre. Lors d’un assaut de cet ordre, la durée de vie d’une navette se mesure en secondes.

— Je comprends. » Iceni ne s’était pas rendu compte que la partie serait à ce point inégale pour les navettes, mais tout tiendrait sans doute à la proportion des armes du cuirassé qui seraient activées.

Quand Rogero eut raccroché, elle réfléchit à ses options. Il n’y avait plus grand-chose qu’elle pût faire pour influer sur le cours des événements, mais il restait encore une flèche dans son carquois. « Quand nous nous approcherons de la géante gazeuse, je mettrai bas le masque et je déclinerai ma véritable identité en expliquant qui nous sommes réellement, dit-elle à Marphissa. S’il s’agit de serpents, cela devrait suffire à les faire sortir de leur trou. Sinon ils sauront qu’ils peuvent éviter le combat. » Vingt heures s’écouleraient encore avant qu’ils n’atteignent l’installation, et vraisemblablement dix-sept avant que l’autre flottille ne s’ébranle.

Iceni fixait la représentation de la sienne sur son écran. Les vaisseaux qui la composaient avaient adopté la formation syndic standard des forces mobiles : un parallélépipède au centre occupé par les trois croiseurs lourds, progressant côte à côte et surplombant trois avisos, tandis que les quatre autres formaient les angles postérieurs de la boîte et les quatre croiseurs légers ses angles antérieurs. Une disposition simple, où la puissance de feu était concentrée au milieu, et dont on pouvait aisément modifier la configuration puisqu’il suffisait à tous les vaisseaux de pivoter de conserve sur leur nouveau vecteur. Elle avait opéré durant des décennies contre l’Alliance, du moins si par « opérer » on entendait une charge effrénée des flottilles des Mondes syndiqués contre les flottes adverses et vice-versa, jusqu’à ce que les survivants d’un des deux camps l’emportent.

Puis Black Jack était apparu et les flottilles massives avaient commencé à disparaître, balayées lors de combats contre la flotte dont il avait pris la tête. J’ai visionné les enregistrements que nous avons de ces batailles. Il recourait à toutes sortes de formations différentes, qu’il déployait tous azimuts pour les rassembler parfois au moment propice et pilonner les nôtres. Que ne donnerais-je pour prendre de lui des leçons sur la manière de maîtriser une flotte de vaisseaux de guerre au combat ! Mais qu’ai-je en ma possession qui pourrait bien le tenter ? L’accès à Midway ? Je ne peux pas le lui refuser. Sa flotte écraserait tout ce que je pourrais mobiliser.

Fait-il partie de ces hommes qui crèvent d’envie de conquérir toutes les femmes qu’ils rencontrent ? Alors j’aurais au moins quelque chose à lui offrir en contrepartie. Il n’a pas dû séduire beaucoup de CECH syndics. Mais ça ne cadre pas avec ce que j’ai entendu dire de lui, ni avec son comportement lors de nos entretiens, et… moi-même je n’y tiens pas non plus réellement. Si le désir était réciproque, ce serait différent, mais me donner à lui pour obtenir quelque avantage reviendrait à me vendre. En dépit de tous mes péchés, je m’y suis toujours refusée. Mes rivaux verraient peut-être mon parcours sous un autre jour, mais c’est ma conviction personnelle.

« Il y a un problème, madame la présidente ? » s’enquit Marphissa.

Prenant brusquement conscience que son trouble avait dû partiellement transparaître, Iceni afficha un masque pensif. « Je songeais à notre formation en me demandant si je ne devrais pas la modifier au cas où nous aurions à combattre.

— Cela dépendra du statut du cuirassé », avança Marphissa.

Elle avait raison et Iceni opina. « Je prendrai ma décision quand j’aurai tous les renseignements requis. »

Pour l’heure, les renseignements requis semblaient cruellement manquer à Kane.

Le « CECH Reynard » se montra cette fois moins agressif, sans doute parce que la flottille d’Iceni n’était plus qu’à cinq heures de transit de l’installation orbitale lorsque lui parvint son message. « CECH Janusa, l’accès à l’installation des forces mobiles a été restreint sur ordre des Mondes syndiqués. Détournez votre flottille de son cap actuel et dirigez-vous vers la deuxième planète, où l’on se chargera de vous réapprovisionner. Après quoi vous pourrez poursuivre votre mission hors de notre système. Tout refus de vous plier à cette instruction serait regardé comme un acte de désobéissance à une directive des Mondes syndiqués. Au nom du peuple, Reynard, terminé. »

Iceni réfléchit à la réponse qu’elle allait lui donner. La situation prenait une tournure telle que sa décision risquait de précipiter les événements et d’interdire tout retour en arrière dans le bref délai qui lui était imparti. Laquelle aurait vraisemblablement les meilleures chances de déclencher dans la population de Kane, et surtout parmi les occupants des vaisseaux de l’autre flottille, les réactions qu’elle espérait ?

« Il est plus que temps de montrer nos couleurs », annonça-t-elle à la cantonade pour le bénéfice de toute la passerelle. Elle désactiva l’avatar afin d’apparaître à tous sous son vrai visage.

« Population de Kane, ici la présidente Iceni du système stellaire indépendant de Midway. Nous avons rejeté le joug des Mondes syndiqués et nous n’obéissons plus aux CECH du gouvernement affaibli, corrompu et incompétent de Prime. Maintenant que les Mondes syndiqués s’effritent, l’heure est venue pour les systèmes stellaires de cette région de s’unir afin de se soutenir et de se protéger mutuellement, pour pouvoir enfin poursuivre une politique correspondant au mieux à nos intérêts respectifs plutôt qu’à ceux de maîtres lointains incarnant une complète faillite, qui pilleraient nos richesses et exigeraient notre obéissance servile sans rien nous apporter en contrepartie. Nous seuls sommes capables de nous défendre et d’assurer la sécurité de nos foyers.

» Le SSI de Midway a été éliminé. Nous n’avons plus à nous prosterner devant les serpents. Je vous exhorte à vous joindre à nous. Ma flottille soutiendra votre combat. Ceux qui souhaiteraient encore se plier aux oukases du pouvoir agonisant des Mondes syndiqués, je leur enjoins de ne pas chercher à entraver notre action. Nous nous battrons et nous vaincrons. Au nom du peuple, Iceni, terminé. »

Elle se tourna vers Marphissa. « Tâchez de nouveau de contacter l’autre flottille. Vous en personne. Je tiens à ce qu’un de leurs pairs des forces mobiles s’adresse directement à ces officiers.

— À vos ordres, madame la présidente. » Marphissa garda un instant le silence puis activa son unité de com. « Aux vaisseaux de la flottille de Kane. Ici la kommodore Marphissa de la flottille de Midway. Joignez-vous à nous pour défendre cette région contre l’agression, le désordre et le chaos. Pour protéger tout ce qui nous est cher. Nous nous battons désormais véritablement pour le peuple. Si vous choisissez de ne pas vous rallier aux forces du système indépendant de Midway, évitez au moins de nous combattre car vous seriez anéantis. Au nom du peuple, Marphissa, terminé. »

Les messages étaient sans doute transmis à la vitesse de la lumière, mais ils n’en mettraient pas moins un certain temps à atteindre leur destination. « Dans une demi-heure environ, quand cette adresse à l’autre flottille l’atteindra, l’enfer se déchaînera dans tout le système stellaire, prédit-elle.

— J’aimerais assez assister aux réactions que déclenchera l’autre message sur la deuxième planète, renchérit Iceni. L’essentiel en l’occurrence, c’est qu’il lui faudra une heure et demie pour l’atteindre, et encore le même délai à toute réponse des autorités de Kane pour parvenir aux vaisseaux de l’autre flottille. Ceux qu’elle abrite disposeront donc de près de trois heures pour se décider avant de recevoir les instructions de leurs chefs. »

Ne restait plus qu’à attendre et voir venir. Préférant se soustraire à toute distraction au cas où quelque chose se produirait, Iceni réprima l’envie de s’atteler à des paperasses, d’ouvrir un bouquin ou de jouer à un jeu vidéo, et elle se contenta de patienter en fixant son écran. Elle découvrit qu’en appuyant sur une touche elle pouvait afficher l’image d’une sphère en expansion contenant son message et se déployant à la vitesse de la lumière à travers le système stellaire. Sur une zone aussi étendue, la bulle s’enflait très lentement mais régulièrement, pour balayer tour à tour installations orbitales, planètes, vaisseaux de guerre et vaisseaux marchands. Chaque fois que son message touchait une de ces positions, elle se délectait.

Mais elle n’aurait une petite idée de leurs réactions que lorsque l’image lui reviendrait. Elle s’aperçut alors qu’il lui était loisible d’activer d’autres bulles réactives, affichant celles-là le délai dans lequel elle pourrait y assister, mais le bouillonnement de sphères en expansion se mua très vite en une sorte d’écume opaque où il devenait très difficile de distinguer les ondes individuelles de diffusion. Elle effaça cette option, constata qu’elle n’arrivait pas à en activer une plus simple et fixa son écran en fulminant.

Pas question de rester un de ces CECH ignares incapables de s’atteler à des fonctions simples sans l’aide d’un employé de bas échelon inexpérimenté qui leur montre comment entrer les instructions. Je vais trouver la réponse de tête. Trente minutes-lumière jusqu’à l’autre flottille. Soit trente minutes avant qu’elle reçoive notre message, durant lesquelles nous nous serons rapprochés d’elle, à 0,1 c, de trois minutes-lumière. Puis l’image de sa réaction devrait nous parvenir en… environ vingt-cinq ou vingt-six minutes à mesure que nous nous en rapprocherons. Près d’une heure donc, même si ces vaisseaux réagissent aussitôt.

L’espace est fichtrement trop vaste.

« Modification des vecteurs de l’autre flottille. »

L’annonce du spécialiste des manœuvres arracha en sursaut Iceni au léger sommeil dans lequel elle avait inconsciemment sombré. Elle s’efforça de distinguer ce mouvement sur son écran en clignant des paupières pour chasser la somnolence.

« Elle se retourne comme pour nous intercepter, affirma Marphissa. Il faudra encore voir où elle décélérera, mais je parie qu’elle arrive sur nous.

— Mais pour quoi faire ? » s’interrogea Iceni. Tout était plus simple autrefois. Si des vaisseaux de l’Alliance piquaient dans votre direction, c’était qu’ils vous cherchaient des noises. S’il s’agissait au contraire de vaisseaux syndics, ils voulaient se joindre à vous. Mais les vaisseaux de l’Alliance pouvaient désormais être amicaux et ceux des Mondes syndiqués hostiles. En outre, elle ne savait pas de qui ils prenaient leurs ordres ni même s’ils s’apprêtaient à combattre. « Kommodore Marphissa, si nous n’avons toujours rien reçu de cette flottille dans les cinq prochaines minutes, prévenez-la que nous la détruirons dès qu’elle arrivera à portée de nos armes.

— La flottille de Kane accélère à 0,1 c sur une trajectoire d’interception qui nous vise directement, déclara le spécialiste des manœuvres. Deux heures et vingt et une minutes avant le contact.

— Toujours pas de cuirassé, marmonna Iceni.

— Peut-être n’y en a-t-il pas, fit observer Marphissa.

— C’est sûrement pour cette raison qu’ils cherchent à nous éloigner de la géante gazeuse, non ? »

L’avertissement fut transmis mais resta sans réponse. Iceni regardait la distance se réduire, un peu plus irritée à chaque seconde qui passait. J’ordonne de les descendre même s’ils déclarent vouloir se joindre à nous.

« Message entrant. » Le spécialiste des coms s’interrompit. « Mais pas en provenance de la flottille.

— Affichez », ordonna Iceni.

Une fenêtre montrant un jeune officier, manifestement planté sur la passerelle d’un cuirassé, s’afficha devant elle. Si le sous-CECH des forces mobiles n’avait laissé transparaître que les signes d’une tension relativement normale, ce jeune cadre avait ostensiblement connu de plus gros déboires. Il donnait l’impression de n’avoir pas quitté son uniforme depuis plusieurs jours, voire des semaines, son visage était creusé au point d’évoquer un régime de rations très congrues, et ses yeux brillaient fiévreusement. « Ici le sous-chef Kontos, commandant intérimaire de l’unité des forces mobiles Cu-78. Je m’adresse à la… à la présidente Iceni. » Il s’interrompit le temps de se lécher les lèvres et de s’éclaircir la voix, comme s’il lui coûtait de parler distinctement.

« Un sous-chef commandant à un cuirassé ? s’étonna Marphissa. C’est déjà arrivé ?

— Au combat, quand l’équipage a été à moitié décimé », répondit Iceni.

Kontos reprit la parole : « Nous sommes barricadés dans les citadelles principales. Nous sommes les… rescapés de l’équipage de neuvage, moi et… un certain nombre d’opérateurs. Nous contrôlons la passerelle, l’ingénierie et le principal centre de contrôle des tirs. » Kontos faisait visiblement de son mieux pour réciter correctement son rapport, mais il butait parfois sur les mots. « Nous avons pu tenir jusqu’ici à cause du blindage interne et des… défenses antimutinerie.

— Contre qui ? demanda Iceni d’une voix irritée.

— Le SSI, lâcha Kontos comme pour répondre à la question. Nous ne… savons pas combien ils sont. Ils ont investi certaines positions… Le dernier ordre que j’ai reçu nous intimait de… nous enfermer hermétiquement à l’intérieur des zones de contrôle critiques et… d’attendre des renforts. Nous n’avons plus rien reçu depuis… sauf… de la part des serpents… des demandes de reddition. Les coms vers l’extérieur sont… bloquées, mais nous avons réussi à contourner le blocage à temps pour… capter votre message.

— Les serpents ont pris le pouvoir ici, affirma Marphissa d’une voix durcie.

— Ce qui explique tout le reste, n’est-ce pas ? conclut Iceni. Ils ont liquidé les officiers de ces vaisseaux et qui sait combien de matelots. Ce qui m’échappe, c’est pourquoi ils n’ont pas demandé à la CECH Janusa de les épauler.

— Peut-être vous ont-ils reconnue malgré l’avatar et ont-ils compris que vous cherchiez à les jouer. Si vous aviez accepté de gagner la deuxième planète et d’amarrer les vaisseaux à l’une de leurs installations, nous aurions été submergés par des équipes d’abordage avant d’avoir pu décamper.

— Oh, malédiction ! Vous avez sûrement raison. Ce n’est que là qu’ils auraient pu trouver assez d’effectifs pour une telle opération.

— Nous avons besoin de votre aide », supplia le sous-chef Kontos, dont la voix se fêla sur ce dernier mot. Il s’affaissa brièvement avant se redresser, de nouveau au garde-à-vous. « Nous savons qu’ils sont en train d’amener… des explosifs assez puissants pour ouvrir des brèches dans les citadelles. Réclamons votre… assistance. »

Le message commença à se répéter en boucle puis s’interrompit brusquement.

« Les serpents ont dû trouver leur solution de contournement et la bloquer aussi, lâcha Marphissa.

— Sous-CECH… Kommodore, se reprit le spécialiste des opérations, nous avons repéré un cargo qui se dirige à bonne allure vers la géante gazeuse. Il correspond au profil d’une mission de réapprovisionnement précipitée, mais il pourrait aussi bien contenir le matériel d’effraction des serpents.

— Ainsi que des renforts, sans aucun doute, affirma Marphissa. Pouvons-nous l’abattre avant qu’il n’atteigne le cuirassé ?

— Il nous devancera de dix minutes si nous maintenons notre accélération. »

Iceni hocha lentement la tête. On fonce à la vélocité maximale, on freine sec, on liquide ce cargo et on débarque nos forces terrestres sur le cuirassé. Simple comme bonjour. Et d’une exécution extrêmement compliquée.

« Ça pourrait être un piège, prévint Marphissa. Pour nous rapprocher du cuirassé si son armement est opérationnel. Nous souffririons d’assez de dommages pour que la flottille nous achève.

— Effectivement, admit Iceni. Mais ce sous-chef serait alors le meilleur comédien que j’aie jamais vu. Bien plus doué en tout cas que le “CECH Reynard” et la “vice-CECH” Petrov. Soulevez-vous là une éventualité ou bien croyez-vous sincèrement à un traquenard ? »

Marphissa observa un instant son écran avant de répondre. « Une hypothèse. S’il s’agissait d’un traquenard, nous aurions reçu depuis longtemps un message de Kontos, histoire de voir comment nous y réagirions. Selon moi, les serpents ont tenté d’affamer les survivants de l’équipage de neuvage. La méthode est moins dommageable pour le cuirassé qu’une tentative d’effraction des chambres fortes antimutinerie. Quand nous sommes apparus, les serpents ont compris qu’il leur fallait amener ces explosifs pour s’ouvrir une brèche dans la passerelle. Mais ils n’en ont pas eu le temps. Nous sommes arrivés trop vite, en piquant droit sur la géante gazeuse.

— Alors allons sauver le sous-chef Kontos et ces braves opérateurs, kommodore. »

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