Des oiseaux dans le ciel


La veille de ma première mission, consacrée à Fabio le vampire braqueur de bijouterie, on était ensemble, Jean-Lu, Romu et moi, pour la répétition hebdomadaire de notre groupe de musique.

J’ai l’impression que ça fait un siècle.

C’est l’intimité stimulante de la chambre de Jean-Lu qui nous avait accueillis (ma mère avouant volontiers son aversion pour les décibels, les grands-parents de Romu considérant Charles Trenet comme l’aboutissement de la musique moderne et les parents de Jean-Lu étant absents pour la soirée).

Ça a beau faire un siècle, je me rappelle cette soirée comme si c’était hier.

On a commencé par brancher le matos : baffles sur la bibliothèque et l’armoire, table de mixage sur le bureau. On s’est mis en chaussettes pour grimper sur le lit puisque c’est le seul endroit où il restait de la place. Et puis ça donnait l’impression d’être sur une scène !

Jean-Lu a fait dzoing avec sa guitare, Romu a lancé un baong sur sa basse et j’ai écrasé tout le monde avec le ouin de ma cornemuse (c’est le principal problème de cet instrument : il a tendance à couvrir tous les autres, sauf la bombarde). Et puis Jean-Lu a empoigné le micro (c’est lui qui chante ; moi, je souffle dans ma peau de chèvre et Romu se cache derrière ses cheveux). Il a lancé le couplet d’une compo, soutenu par les notes sèches et répétitives de la basse et la plainte enivrante de la cornemuse.

On a juste eu le temps de terminer le morceau. Parce qu’une coalition de voisins s’est pointée et a tambouriné contre la porte en hurlant des insultes.

Quand on pense aux difficultés auxquelles on se heurte dès qu’on essaye de s’élever au-dessus de la grisaille d’un quotidien déserté par la musique, on s’étonne qu’il y ait encore des oiseaux dans le ciel !


Des épisodes comme celui-là défilent dans ma tête depuis quelque temps. J’ai la désagréable impression que plus rien ne sera jamais pareil après les événements de ces derniers jours.

Comme si le monde était sur le point de basculer.

Les images de ces moments heureux, dans le lointain reflet qu’elles me laissent, sont encore plus puissantes. Elles hantent mon cœur, se transforment en mirages qui me font frissonner.

Elles engendrent un sentiment désagréable : et si je n’en avais pas assez profité ?

Il faut hélas avoir perdu quelque chose pour s’apercevoir qu’on y tenait…

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