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Planqué derrière mon rocher, les jambes flageolantes, je ne peux rien faire qu’assister au massacre…

« Tu as vu ça, Jasp ?! »

Sous mes yeux, deux loups-garous se font cribler de balles à forte teneur en argent (à en croire les spasmes qui les secouent) par les gardes du corps de notre chère secrétaire.

« Elle bouge plus vite qu’un vampire ! »

Mademoiselle Croft (ou Lara Rose, je ne sais plus) décapite un lycan avec son sabre étincelant.

On peut effectivement parler de massacre…

Mais les victimes ne sont pas celles que je croyais !

« On reconnaît bien le style coupant de mademoiselle Rose…

— Ah ah ! C’est pas le moment de faire de l’humour, Jasper. Les autres, ce sont des Agents ?

— Des mercenaires. Du genre de ceux qui pourchassaient Otchi et qui s’en sont pris à ma porte, ce matin. »

Ce qui me ramène à des considérations beaucoup moins admiratives.

Quoi qu’il en soit – et malgré le comportement récemment hostile de mademoiselle Rose envers moi – je ne peux empêcher mon cœur de prendre son parti.

Pendant que je bavarde silencieusement avec Ombe et avec moi-même, Siyah, Séverin et Trulez s’éclipsent discrètement.

— Les rats quittent le navire, je murmure entre mes dents.

Un cri.

Mon regard revient sur la bataille qui se livre à l’autre bout de la caverne. Un lycan monstrueux vient de planter ses crocs dans l’épaule de mademoiselle Rose.


Mon âme chavire.

Je suis là, je regarde, sans bouger, sans participer à l’action qui met en présence l’Association et ses ennemis.

Combien de fois ai-je rêvé d’un moment pareil, d’une bataille où mademoiselle Rose, Walter, le Sphinx et moi combattrions ensemble ! Une bataille qui aurait scellé mon appartenance au camp de la lumière.

Alors pourquoi est-ce que je me cache ? Si ce n’est pas l’envie qui me manque, c’est… c’est la peur qui me tétanise.

J’ai peur de me montrer, de sentir sur moi une fois encore les yeux d’Otchi.

Son regard me transperce et me brûle.

Comme la première fois, dans le métro, mais puissance dix.

Il me retire toute force.


Un hurlement.

Je me contracte, rentre la tête dans les épaules.

Les larmes jaillissent de mes yeux…

« Waouh ! Jasper, je révise mon opinion sur le Moyen Âge ! »

Je m’oblige à regarder.

C’est le loup-garou qui hurle de douleur, la mâchoire pleine de sang !

Je ne sais pas de quoi est constituée la cotte de mailles de notre chère Lara Rose, mais l’imbécile vient d’y laisser quelques dents.

Un immense soulagement m’envahit.

— Ça y est, tu as fini de jouer ? lance mademoiselle Rose d’une voix forte et pleine d’ironie. Alors à la niche, maintenant !

Elle fait virevolter le lourd bâton qui n’a pas quitté sa main gauche et assène au lycan édenté un coup puissant qui lui fend le crâne.

« C’est pas juste, elle me vole mes répliques !

— C’est le genre de trucs qu’on dit spontanément à un garou… enfin, à un garou qui cherche à mordre. Désolé, Ombe.

— C’est pas grave, Jasp. Les garous sympas ne sont pas représentatifs de l’espèce. »

Mademoiselle Rose est hors de danger.

Dark Walter, lui, n’a rien suivi du combat. Il est également resté indifférent à la fuite de ses petits (faux) camarades.

Tétanisé, il accorde toute son attention à Otchi, qui semble lui faire le même effet qu’à moi…

Le chamane sautille énergiquement autour de Walter en agitant son tambour, accomplissant une sorte de cercle ressemblant fort à un pentacle…

« Ça doit faire hyper mal !

— De tracer un pentacle ?

— Non, idiot. De se faire arracher un bras. »

À quelques pas de notre supersecrétaire, un mercenaire du groupe des Guns n’Rose passe un sale moment.

Deux garous surexcités sont en train de le dévorer vivant (beurk).

Mademoiselle Rose se rue sur les monstres.

Elle en frappe un au visage avec son gantelet métallique, cueille l’autre à l’estomac avec un coup de pied fouetté et, sortant un flingue gigantesque de sa ceinture, vide un chargeur entier sur les garous.

Puis elle se penche sur ce qui reste du soldat et secoue la tête.

« À toi, jasper !

— À moi ? Mais… qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Il se passe au moins trois trucs dingues en même temps !

— Va aider mademoiselle Rose ! Libère Walter ! Poursuis les fuyards ! N’importe quoi, mais bouge ! »

Les invectives d’Ombe font mouche. J’essaye de m’extirper de ma torpeur.

Sans y parvenir.

J’ai les jambes comme de la guimauve.

Et une voix, en moi, me crie de ne pas faire l’imbécile, de rester planqué loin du chamane.

Comment expliquer tout ça à Ombe ?

« Mademoiselle Rose n’a pas besoin de mon aide. Elle a déjà rétamé quatre lycans, et autant pour les Robocop qui l’accompagnent…

— Sur ce point, Jasp, tu n’as pas tort. Quelle leçon ! Je me doutais bien que mademoiselle Rose dissimulait sa vraie nature. Mais de là à imaginer…

— Tu as vu son bâton ? Ma main au feu que c’est un bâton de pouvoir. Capable de concentrer une grande quantité d’énergie pour la projeter sur un obstacle. Aucun doute, Ombe : mademoiselle Rose est une magicienne puissante.

— Mais Walter ? Seul avec cet horrible sorcier !

— Il n’est pas horrible, tu exagères. C’est vrai qu’il n’est pas très beau, mais il ne faut pas juger les gens sur leur apparence. Regarde, moi par exemple, je…

— Je te l’ai déjà dit, Jasper, c’est pas le moment de plaisanter.

— Excuse-moi. Pour Walter, j’ai bien peur que ce soit trop tard. L’horrible sorcier, comme tu dis, a édifié un horrible cercle qui les isole de l’horrible extérieur. Et je mets mon autre main à couper que sa protection est plus solide que du béton armé.

— Il reste le mage, le vampire et Trulez – que les mites lui bouffent les poils !

— Pour tout t’avouer, Ombe, c’est sûrement le contrecoup de la bagarre contre Lakej, mais je me sens totalement incapable de me lancer à la poursuite de qui que ce soit…

— Tu me déçois, Jasp.

— J’en suis désolé, Ombe, crois-moi. »


Un cri étonné résonne dans la caverne.

C’est Walter qui l’a poussé.

En constatant, peut-être, qu’il est devenu prisonnier d’un cercle mystique. Ou en sentant sur lui s’intensifier le regard d’Otchi.

L’effet de ce cri – bien plus que le hurlement du lycan édenté – est immédiat. Je redouble de tremblements et mes dents s’entrechoquent.

La panique s’empare également des monstres survivants qui rompent le combat et détalent dans les couloirs.

D’un geste, mademoiselle Rose retient ses hommes prêts à s’élancer derrière les fuyards. Elle n’a d’yeux que pour la scène qui se déroule devant elle.

Une scène avec, dans les rôles principaux, un sorcier venu pour des raisons obscures de sa lointaine Sibérie et le chef de l’Association, Walter himself (ou presque : sans cravate affreuse, Walter est-il vraiment Walter ?)…

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