Chapitre 21.

La base du rayon faisait environ deux cent cinquante kilomètres de circonférence. Elles entreprirent de la parcourir en quête d’un quelconque moyen d’ascension – depuis l’échelle de corde jusqu’à l’hélicoptère à antigravité. Elles ne découvrirent que des arbres horizontaux, croissant dans une forêt verticale.

Pour pénétrer parmi les ramures extérieures et longer les troncs jusqu’aux racines sur le mur, il leur fallut grimper la pente formée par l’accumulation des branches et des feuilles mortes.

La substance même du rayon était une sorte de matériau gris et spongieux qui cédait sous la pression comme un caoutchouc souple. Lorsque Cirocco arracha de la paroi un buisson, il vint accompagné d’une longue racine filandreuse. Le mur exsuda un fluide épais et laiteux qui obtura l’étroit orifice.

Il n’y avait pas de terre et très peu de soleil ; bien qu’il leur parût d’abord lumineux en comparaison du tunnel obscur, l’éclairement ambiant restait très faible. Cirocco supposa qu’à l’instar de la plupart des plantes qui croissaient sur la surface de l’anneau, celles-ci se nourrissaient avant tout par le sous-sol.

Le mur proprement dit était humide et recouvert de mousse et de lichens mais avec fort peu de plantes de taille intermédiaire : pas d’herbe, et les rares plantes grimpantes n’étaient que des parasites accrochés au tronc des arbres. Ceux-ci étaient en majorité d’espèces analogues à celles de l’anneau mais adaptées à une croissance horizontale. Ils étaient chargés de fruits et de noix qui leur étaient familiers.

« Voilà qui résout le problème de la nourriture », remarqua Gaby.

Il ne pouvait bien sûr y avoir de cours d’eau, toutefois la paroi luisait d’humidité et loin au-dessus on pouvait distinguer des cascades dont les arcs se résolvaient en bruine bien avant d’atteindre le sol.

Gaby les observa et nota qu’elles semblaient régulièrement espacées, comme des tourniquets d’arrosage sur une pelouse.

« On ne risque pas non plus de mourir de soif. »

L’ascension ne s’avérait finalement pas aussi impossible que prévu. Mais Cirocco n’en était pas soulagée pour autant.

Si l’on excluait l’éventualité d’un escalier – impossible à découvrir, ne tarda-t-elle pas à constater, car la végétation interdisait toute exploration détaillée de la paroi – il leur restait deux possibilités de gagner le sommet.

La première exigeait de grimper dans les arbres mêmes : il devrait être possible, nota Cirocco, de passer de branche en branche au niveau où celles-ci s’entrelaçaient.

La seconde possibilité relevait purement et simplement de l’alpinisme : elles découvrirent en effet que leurs piolets pouvaient sans difficulté s’ancrer dans la paroi, en fouissant avec une légère pression.

Cirocco préférait cette dernière solution car elle aimait mieux ne pas se fier aux arbres. Gaby penchait pour une ascension par les branches, plus rapide. Elles en débattirent jusqu’au second jour où deux événements particuliers se produisirent.

Gaby remarqua le premier alors qu’elle observait le plancher gris du rayon. En clignant des yeux, elle en indiqua le centre à Cirocco.

« J’ai l’impression qu’il n’y a plus de trou. »

Cirocco écarquilla les yeux sans pouvoir le confirmer avec certitude.

« Grimpons voir d’un peu plus haut. »

Elles s’encordèrent avant d’entreprendre l’ascension par les branches.

La tâche n’était pas aussi difficile que l’avait craint Cirocco. Comme pour tout, il existait une méthode optimale qu’elles ne tardèrent pas à découvrir. Il fallait trouver un moyen terme entre les branches épaisses proches du mur – solides comme le roc mais par trop espacées – et les ramures extérieures plus flexibles qui leur offraient une multitude de points d’appui mais ployaient sous leur poids.

« Un peu plus vers l’extérieur », lança Cirocco à Gaby, chargée du rôle d’éclaireur au bout de sa corde de cinq mètres. « À mon avis, le meilleur passage est aux deux tiers du haut de l’arbre.

— Vers l’extérieur. En haut… Tu t’emmêles dans tes orientations.

— Le pied des arbres est vers la paroi, le sommet est en l’air. Quoi de plus simple ?

— Ça me va. »

Après avoir grimpé dix arbres, elles entreprirent de gagner le sommet du dernier. Lorsque les ramures sur lesquelles elles progressaient commencèrent à ployer, elles arrimèrent une corde à une branche solide. L’inclinaison des branchages jouait maintenant à leur avantage car elle leur ouvrait un passage dans cette muraille de feuillage autrement impénétrable. Elles avaient choisi un arbre qui dans une forêt horizontale aurait dominé tous les autres.

À l’intérieur du rayon, il se contentait de pointer plus loin de la paroi.

« Tu avais raison : il a disparu.

— Non, pas encore. Mais ce sera vrai d’ici une minute. »

Cirocco vit ce qu’il restait du trou : une minuscule ellipse noire au milieu du plancher gris, et qui se contractait comme un iris. La seule fois où elles avaient pu l’observer depuis la face inférieure, l’orifice était presque aussi large que le rayon lui-même. Maintenant il faisait moins de dix kilomètres d’ouverture et continuait de se rétrécir. Il ne tarderait pas à se refermer autour des câbles verticaux qui émergeaient en son centre.

« Tu as une explication ? demanda Gaby. Quel intérêt de séparer ainsi le rayon de la couronne extérieure ?

— Je n’en ai pas la moindre idée. Je suppose toutefois qu’il va se rouvrir. Les anges le traversent régulièrement, aussi… » Elle s’interrompit puis sourit. « C’est la respiration de Gaïa.

— Tu peux répéter ?

— C’est ce que les Titanides appellent le vent d’est. Océan apporte le temps froid et la Lamentation, tandis que Rhéa amène l’air chaud et les anges. D’où ce tube de trois cents kilomètres de haut muni d’une valve à chaque extrémité : tu peux l’utiliser comme une pompe, en créant des zones de haute et de basse pression afin de déplacer l’air.

— Et comment y parviendrais-tu ? demanda Gaby.

— Je vois deux moyens : une espèce de piston pour comprimer ou raréfier l’air. Je n’en vois pas et j’aime autant cela, autrement on risquerait de se faire aplatir.

— S’il en existait un, il n’aurait pas non plus arrangé les arbres.

— Exact. Donc, c’est l’autre méthode. Les parois peuvent se dilater ou se contracter. Ferme la valve inférieure, ouvre celle du dessus puis dilate le rayon et tu aspireras l’air par le haut. Ferme le haut, ouvre le fond et presse un bon coup et tu chasseras le tout sur la couronne.

— Et d’où proviendrait l’air pompé au moyeu ?

— Soit il est aspiré au travers des câbles – on a pu constater que c’était pour une part le cas – soit il provient des autres rayons : ils se raccordent tous au sommet. Et avec quelques valves supplémentaires tu peux les utiliser en alternance : en ouvrant et fermant certaines d’entre elles, l’air est aspiré au-dessus d’Océan et traverse le moyeu pour emplir ce rayon-ci. Puis encore quelques manipulations de valves et tu le chasses au-dessus de Rhéa. Maintenant, quant à savoir les raisons pour lesquelles les constructeurs ont jugé ceci nécessaire… »

Gaby parut songeuse.

« Je crois tenir la solution. C’est un problème qui me turlupinait. Pourquoi toute l’atmosphère ne s’accumule-t-elle pas au fond, au bord de la couronne ? L’air est certes plus raréfié ici mais demeure d’une densité correcte parce que la pression régnant au niveau de la couronne est supérieure à la normale terrestre. Et sous une faible gravité, la pression chute moins rapidement. Ainsi, sur Mars, l’atmosphère est des plus ténues mais elle s’étend extrêmement loin. Alors, il suffit de maintenir l’air en circulation pour qu’il n’ait pas le temps de s’accumuler.

Et conserver une pression atmosphérique correcte dans tout le volume de Gaïa. »

Cirocco opina avant de pousser un soupir.

« Parfait. Tu viens d’éliminer l’ultime objection à notre ascension : nous avons le boire et le manger – du moins c’est ce qu’il semble. Maintenant tout porte à croire que nous aurons également de quoi respirer. Que dirais-tu de continuer de monter ?

— Et l’exploration du reste du mur ?

— À quoi bon ? On pourrait fort bien être déjà passées devant ce que l’on cherche. Il est tout bonnement impossible de le savoir.

— Je crois que tu as raison. D’accord. Je te suis. »


La tâche était difficile : ennuyeuse mais requérant toutefois un maximum d’attention. Elles firent des progrès à la longue mais Cirocco savait bien que la présente ascension resterait toujours plus difficile que celle du câble. Leur unique consolation à l’issue des dix premières heures d’effort fut de constater qu’elles étaient en bonne forme. Cirocco était lasse, elle avait une ampoule dans la paume gauche, mais hormis quelques courbatures dans le dos, elle se sentait parfaitement bien. Il ferait bon dormir. Elles gagnèrent le sommet d’un arbre pour évaluer leur progression avant de dresser le camp.

« Ton système te permet-il de mesurer une telle hauteur ? »

Gaby fronça les sourcils avant de hocher la tête.

« Pas guère. » Elle tendit quand même les mains devant elle, les mit en carré et cligna de l’œil. « Je dirais… oups ! »

Cirocco la rattrapa sous un bras, tout en se retenant à la branche au-dessus de sa tête.

« Merci. Quelle chute, sinon !

— Tu avais ta corde, remarqua Cirocco.

— Ouais, mais ça ne me dit rien de me balancer au bout. » Elle reprit haleine puis regarda le sol à nouveau.

« Que veux-tu que je te dise ? Il m’a l’air sacrément plus loin qu’avant et le plafond ne s’est pas rapproché d’un mètre. Ça risque de durer comme ça un bon moment.

— À ton avis, on pourrait faire une estimation autour de trois kilomètres ?

— Ton estimation sera la mienne. »

Ce qui signifiait au bas mot cent jours d’ascension – sauf incident. Cirocco étouffa un gémissement avant de regarder encore une fois, pour tenter de se persuader que leur altitude était de cinq kilomètres tout en soupçonnant qu’elle était en réalité plus proche de deux.

Elles firent demi-tour et trouvèrent deux branches parallèles espacées de deux mètres cinquante. Elles y suspendirent leurs hamacs ; puis elles s’assirent sur l’une des branches pour manger un repas froid de fruits et de légumes crus avant de grimper dans les hamacs et de s’y attacher.

Deux heures plus tard, il se mit à pleuvoir.

La pluie sur son visage réveilla Cirocco. Elle tourna la tête pour consulter sa montre. Il faisait plus sombre qu’au moment de leur coucher. Allongée sur le côté, le visage enfoui dans la toile, Gaby ronflait tranquillement. Au matin, elle se réveillerait avec un torticolis. Cirocco hésita à l’éveiller puis se ravisa : si elle parvenait à dormir malgré l’averse, autant valait la laisser.

Avant de déplacer son hamac, Cirocco se faufila jusqu’à l’extrémité de l’arbre. Tout ce qu’elle parvint à entrevoir fut un vague rideau de brume derrière l’averse continue. La pluie semblait bien plus intense vers le centre. Là où elles campaient, elles n’écopaient que de l’eau qui dégouttait des branches après avoir été recueillie par les frondaisons extérieures.

À son retour Gaby était éveillée et le ruissellement s’était accentué. Elles décidèrent qu’il ne servirait à rien de déplacer les hamacs. Elles sortirent une tente puis après en avoir déchiré au couteau quelques coutures elles la convertirent en un dais qu’elles arrimèrent au-dessus de leurs couchages. Chaleur et humidité étaient extrêmes mais Cirocco était si épuisée qu’elle s’endormit rapidement, bercée par le tambourinement des gouttes d’eau sur la toile.


Elles s’éveillèrent à nouveau, frissonnantes, deux heures plus tard.

« Quelle nuit », grogna Gaby.

Cirocco claquait des dents tandis qu’elles déballaient manteaux et couvertures et se roulaient dedans avant de retourner dans les hamacs. Il lui fallut une demi-heure pour se réchauffer assez et parvenir à se rendormir. Le doux balancement des branches l’y aida.


Cirocco éternua, chassant un flocon de neige. C’était une neige très légère et très sèche qui s’était immiscée par tous les interstices de sa couverture. Elle s’assit et la neige s’écroula en avalanche sur son giron.

Des glaçons pendaient du rebord de la toile et sous les cordes de leurs hamacs. On entendait des craquements continuels dans les branches ballottées par le vent, auxquels s’ajoutait le cliquetis permanent des glaçons heurtant la toile gelée. L’une de ses mains était restée exposée : elle était raide et gercée lorsqu’elle se pencha pour secouer Gaby.

« Euh ? Euh ? » Gaby regarda autour d’elle avec un œil vitreux – l’autre était fermé par ses sourcils gelés. « Oh ! merde ! » Elle fut prise d’une quinte de toux.

« Tu te sens bien ?

— Hormis une oreille gelée, je crois que oui. Que fait-on ?

— On se couvre le plus possible, je suppose. Et on attend que ça se passe. »

La tâche n’était guère aisée, assises sur un hamac, mais elles y parvinrent toutefois. L’unique incident advint lorsqu’en fourrageant avec ses doigts gourds Cirocco laissa échapper un gant qui disparut rapidement dans la tourmente de neige en dessous d’elle. Elle jura pendant cinq bonnes minutes avant de se souvenir qu’elles avaient encore la paire de Gene.

Puis elles attendirent.

Impossible de dormir. Elles avaient suffisamment chaud sous leurs couches de vêtements et de couvertures mais auraient bien souhaité avoir un passe-montagne et des lunettes. Toutes les dix minutes, elles devaient s’ébrouer pour ôter la neige accumulée.

Elles essayèrent de parler mais l’intérieur du rayon était devenu assourdissant. Cirocco laissa donc s’étirer les minutes puis les heures, allongée le visage enfoui sous les couvertures en écoutant hurler le vent. Et par-dessus, encore plus effrayant, un bruit, comme des grains de maïs en train de péter : c’étaient les branches surchargées de glace qui se brisaient sous la gifle du vent.

Elles patientèrent cinq heures. Le vent devint encore plus glacial et violent. Une branche se rompit à côté d’elles et Cirocco l’entendit dégringoler avec force craquements à travers la forêt en dessous d’elle.

« Gaby, est-ce que tu m’entends ?

— Je t’entends, capitaine. Que fait-on maintenant ?

— Je suis au regret de te dire qu’il va nous falloir bouger. Je préférerais qu’on soit sur des branches plus épaisses. Je ne pense pas que celle-ci se rompe mais si l’une du dessus vient à lâcher, on la prend à tous les coups.

— J’attendais justement que tu le suggères. »

S’extraire des hamacs était un vrai cauchemar. Une fois sortie, se tenir sur la branche était encore pire. Leurs cordages avaient gelé et elles furent contraintes de les assouplir à la force des poignets pour les rendre à nouveau utilisables. Lorsqu’elles se mirent en route vers l’intérieur ce fut, au sens propre, pas à pas. Elles devaient assujettir une seconde corde de rappel avant de retourner détacher la première puis répéter le processus soit en serrant les nœuds les mains gantées, soit en ôtant les gants pour opérer rapidement à mains nues avant que les doigts ne gèlent. Elles cassaient la glace au marteau et au pic avant de poser le pied sur les branches. Malgré toutes ces précautions, Cirocco tomba deux fois et Gaby une. La seconde chute de Cirocco se traduisit pour elle par un muscle froissé dans le dos lorsque la corde de sécurité l’arrêta sans douceur.

Au bout d’une heure d’efforts, elles avaient atteint le tronc principal. Il était assez large et stable pour permettre de s’y asseoir. Mais le vent soufflait plus fort que jamais sans aucune branche pour le ralentir.

Elles plantèrent des pitons dans l’écorce, s’y arrimèrent et se préparèrent à une nouvelle attente.

« Je regrette de soulever la question, mais je ne sens plus mes orteils. »

Cirocco toussa un bon moment avant de pouvoir répondre.

« Que suggères-tu ?

— Je ne sais pas. Mais je sais pertinemment qu’on va geler à mort si on ne fait pas quelque chose. Soit on continue de marcher, soit on se cherche un abri. »

Elle avait raison, Cirocco le savait bien.

« On monte ou on descend ?

— Il y a un escalier en bas.

— Il nous a fallu une journée pour arriver à cette hauteur, sans glace pour compliquer les choses. Et encore deux jours pour regagner l’escalier. Si l’entrée n’est pas obstruée par la neige.

— J’allais y venir.

— Si nous bougeons, autant monter. D’un côté comme de l’autre on va geler si le temps ne se lève pas bientôt. Je suppose qu’en bougeant on retarderait quelque peu l’échéance.

— C’était également mon avis, dit Gaby. Mais j’aimerais d’abord essayer autre chose. Retournons tout contre la paroi. Rappelle-toi, l’autre fois, quand tu parlais de l’endroit où devaient vivre les anges tu as évoqué des grottes. Peut-être en existe-t-il là-bas. »

Cirocco savait que l’important était d’abord de rester actives pour maintenir la circulation du sang. Aussi se mirent-elles à ramper le long du tronc en brisant la glace à mesure qu’elles progressaient. En un quart d’heure elles avaient gagné la paroi.

Gaby l’étudia puis se raidit pour attaquer la glace au piolet. La substance grise apparut mais elle continua de piocher. Lorsque Cirocco vit ce qu’elle faisait elle se joignit à ses efforts.

Elles continuèrent ainsi quelque temps. Elles avaient creusé un trou de cinquante centimètres de diamètre. Le lait blanc gelait en suintant du mur et elles le cassèrent également. Gaby était un diable couvert de neige ; celle-ci formait une croûte sur ses vêtements et sur l’écharpe de laine qui lui cachait le bas du visage, transformant ses sourcils en épaisses barres blanches.

Elles atteignirent bientôt une nouvelle couche trop dure pour être entamée. Gaby essaya bien de s’y attaquer mais elle dut admettre qu’elle n’arrivait à rien. Elle laissa retomber sa main et regarda la paroi d’un œil noir.

« Eh bien, c’était une idée. » Dégoûtée, elle donna un coup de pied dans la neige qui s’était amassée autour d’elles, décrochée par les vibrations de leurs travaux de terrassement. Elle la regarda, puis, haussant le cou, scruta l’obscurité au-dessus d’elle. Elle fit un pas en arrière, agrippa le bras de Cirocco pour reprendre son équilibre après avoir glissé sur une plaque de glace.

« Il y a une tache plus sombre, par là-haut, annonça-t-elle en tendant le doigt. À dix… non quinze mètres au-dessus. Légèrement sur la droite. Tu vois ? »

Cirocco ne pouvait être sûre : elle apercevait plusieurs zones sombres mais aucune ne ressemblait à une caverne.

« Je vais monter y jeter un œil.

— Laisse-moi le faire. Tu as assez travaillé. »

Gaby fit non de la tête. « Je suis la plus légère. »

Cirocco ne discuta pas et Gaby planta un piton dans la paroi aussi haut qu’elle put. Elle y noua une corde puis grimpa pour fixer un nouveau piton le plus haut possible. Lorsque la corde y fut arrimée, elle détacha le premier et le planta un mètre au-dessus du second.

Il lui fallut une heure pour atteindre l’endroit. En dessous, Cirocco frissonnait en tapant du pied et en s’ébrouant sous l’averse de glace que lui expédiait Gaby. Puis une corniche de neige se détacha et vint se briser sur ses épaules en la jetant à terre.

« Désolée ! lui lança Gaby. Mais j’ai trouvé quelque chose. Laisse-moi le dégager et tu pourras me rejoindre. »


L’entrée était juste assez large pour que Cirocco pût s’y glisser même après que Gaby eut déblayé la plus grande partie de la glace. L’intérieur était une bulle creuse d’un diamètre d’environ un mètre cinquante, avec une hauteur légèrement inférieure. Cirocco avait dû retirer son paquetage pour le hisser derrière elle. Une fois entrées toutes les deux avec leurs deux sacs à dos, elles auraient peut-être trouvé la place de coincer en plus une boîte à chaussures et de pouvoir encore respirer mais guère plus.

« Douillet, non ? » demanda Gaby en ôtant de son cou le coude de Cirocco.

« Désolée. Oh ! désolée pour ça aussi ! Gaby, mon pied !

— Excuse-moi. Si tu te poussais juste un poil… là, c’est mieux, mais j’espère que tu ne vas pas rester comme ça.

— Où ? Oh ! par exemple ! » Elle éclata de rire brusquement. Elle était accroupie, les genoux courbés, le dos collé au plafond tandis que Gaby se tassait à l’arrière en tâchant de dégager le passage.

« Qu’y a-t-il de si drôle ?

— Ça me rappelle un vieux film : Laurel et Hardy en chemise de nuit, en train de se débattre pour gagner la couchette du haut. »

Gaby souriait mais à l’évidence ignorait de quoi elle parlait.

« La couchette du haut, tu sais, dans un train de nuit… Bref. J’étais en train de me dire qu’ils auraient dû essayer la même chose en costume polaire avec deux valises en plus. Comment veux-tu qu’on s’en tire ? »

Elles pelletèrent le reste de la neige à l’extérieur de leur minuscule abri puis entassèrent leur paquetage devant l’ouverture pour l’obturer. Une fois cela fait, le peu de lumière qui régnait avait totalement disparu mais le vent ne s’engouffrait plus : elles jugèrent donc l’opération positive. Après vingt minutes d’efforts elles parvinrent à s’installer côte à côte. Cirocco pouvait à peine bouger mais elle n’était pas d’humeur à se plaindre dans cette tiédeur bénie.

« Tu crois qu’on va parvenir à dormir, maintenant ? se demanda Gaby.

— Pour ma part, j’en suis certaine. Comment vont tes orteils ?

— Ça va. Ils picotent, mais se réchauffent.

— Les miens aussi. Bonne nuit, Gaby. » Elle n’hésita qu’un bref instant puis se pencha pour l’embrasser.

« Je t’aime, Rocky.

— Allez, dors », répondit-elle dans un sourire.

Lorsqu’elle s’éveilla, Cirocco avait le front baigné de sueur. Ses vêtements étaient trempés. Elle leva la tête, encore endormie, et s’aperçut qu’elle pouvait y voir clair.

En se demandant si le temps avait changé, elle déplaça légèrement son paquetage, puis plus vite lorsqu’elle découvrit que l’entrée de la grotte était obturée.

Elle faillit réveiller Gaby mais se ravisa juste à temps.

« D’abord, essayer de sortir », marmonna-t-elle. Il était inutile d’annoncer à Gaby qu’elle s’était une nouvelle fois fait dévorer vivante avant que la chose ne fût confirmée. Gaby ne prendrait pas bien cette nouvelle ; l’idée d’être confinée dans un espace si réduit – peu réjouissante en soi – devenait terrifiante lorsqu’elle songeait à Gaby et à sa panique contagieuse.

En fait, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter : tandis qu’elle explorait le mur à l’endroit où se trouvait l’orifice, celui-ci se mit à bouger et s’ouvrit comme un diaphragme pour regagner son diamètre originel. Derrière se trouvait une fenêtre de glace éclairée par transparence. Elle la frappa de sa main gantée et la glace se rompit. Un air glacial se rua à l’intérieur et elle se hâta de refermer le passage avec son sac.

Au bout de quelques minutes elle déplaça le sac à nouveau. Le trou s’était réduit à quelques centimètres.

Elle considéra, songeuse, le minuscule orifice en essayant de rassembler les faits. Une fois qu’elle crut avoir compris le processus, elle se décida à secouer Gaby.

« Debout, gamine, il est temps de prendre de nouvelles dispositions.

— Hmmm ? » Gaby s’éveilla rapidement. « Par tous les diables, mais c’est une vraie fournaise, là-dedans.

— C’est ce que je voulais dire. Il va falloir qu’on se déshabille un peu. Tu veux commencer ?

— Vas-y d’abord. Je vais essayer de te faire de la place.

— D’accord. À ton avis, pourquoi fait-il si chaud ici ? Tu y as réfléchi ?

— Je viens juste de me réveiller, Rocky. Essaie d’avoir un peu de cœur.

— Entendu. Je vais te le dire. Touche les murs. » Elle accomplit la tâche complexe consistant à ôter sa parka tandis que Gaby faisait la même découverte qu’elle un peu plus tôt :

« C’est chaud.

— Ouais. Au premier abord, je ne voyais pas l’utilité de ce mur. J’ai cru que les arbres n’avaient pas été prévus au début – tout comme la végétation sur le câble – mais d’après moi, ils n’auraient pas pu croître dans la paroi pour les nourrir. Alors j’ai essayé de trouver quel genre de machine pouvait au mieux s’acquitter d’une telle tâche et j’en suis arrivée à quelque dispositif biochimique naturel : un animal, ou une plante, peut-être issu d’une manipulation génétique. J’ai du mal à croire qu’une telle structure ait pu évoluer sur une période de temps raisonnable : elle est haute de trois cents kilomètres, creuse à l’intérieur et tapisse la paroi proprement dite.

— Et les arbres seraient des parasites ? » Gaby prenait mieux la chose que ne s’y était attendue Cirocco.

« Uniquement dans le sens où ils tirent leur subsistance d’un autre être vivant. Mais ce ne sont pas véritablement des parasites parce que leur présence était voulue. Les bâtisseurs ont conçu ce gigantesque animal pour qu’il serve d’habitat aux arbres ; ceux-ci à leur tour fournissent un abri à des animaux plus petits, et sans doute aussi aux anges. »

Gaby considéra tout ceci puis dévisagea Cirocco avec attention.

« Tout à fait comme les énormes créatures dont nous soupçonnons l’existence sous la surface de la couronne, dit-elle d’une voix calme.

— Oui, quelque chose comme ça. » Elle observa Gaby, guettant des signes de panique, mais ne la vit même pas haleter. « Est-ce que… euh… ça te trouble ?

— Tu veux parler de ma phobie bien connue ? »

Cirocco passa la main derrière son sac et stimula la paroi pour la faire se rouvrir puis elle déplaça le sac pour que Gaby puisse voir. L’opercule était en train de se refermer doucement.

« J’ai découvert ceci avant de te réveiller. Tu vois, il se referme mais se rouvrira pour peu que tu le titilles. Nous ne sommes pas prises au piège, et nous ne sommes pas dans un estomac ou un truc analogue… »

Gaby lui effleura la main et répondit avec un sourire timide : « J’apprécie ton inquiétude…

— Eh bien, je ne voulais pas t’embarrasser, je pensais simplement…

— Tu as fait ce qu’il convenait de faire. Si j’avais été la première à voir le phénomène, il est probable que je hurlerais encore. Mais je ne suis pas par tempérament claustrophobe. J’ai simplement développé un nouveau genre de phobie qui m’est peut-être bien particulier : la crainte d’être dévorée vivante. Mais explique-moi – et, s’il te plaît, tâche d’être très convaincante – si nous ne sommes pas dans un estomac, où sommes-nous ?

— Je ne vois aucun parallèle avec des créatures de ma connaissance. » Elle en était maintenant à sa dernière couche de vêtements et décida d’en rester là. « Il s’agit d’un refuge », poursuivit-elle en se faisant aussi petite que possible tandis que Gaby commençait à se dévêtir. « Et c’est précisément l’usage que nous en faisons : pour nous protéger des assauts du froid. Je suis prête à parier que les anges hibernent dans des cavernes identiques à celle-ci. Et peut-être d’autres animaux également. Peut-être que cette créature en tire quelque avantage. Peut-être que les excréments lui servent d’engrais.

— En parlant d’excréments…

— Ouais, j’ai le même problème. Il va falloir qu’on utilise un récipient vide ou quelque chose.

— Mon Dieu. Déjà que je pue comme un chameau. Cet endroit va devenir charmant si jamais le temps ne se lève pas bientôt.

— Ça n’a rien de terrible. Je pue encore plus.

— Comme tu es diplomate. » Gaby n’avait plus sur elle que ses sous-vêtements bariolés. « Ma chère, nous allons devoir vivre un moment dans une certaine promiscuité et la pudeur ne sert à rien. Si tu gardes ceci parce que…

— Non, ce n’était pas vraiment pour ça, répondit Cirocco avec un peu trop de hâte.

— … parce que tu as peur de m’allumer, détrompe-toi. D’ailleurs, je n’y songe plus guère. J’espère que tu ne verras aucun inconvénient à ce que j’ôte ceci pour lui donner une chance de sécher. » Elle s’exécuta sans attendre sa permission puis s’allongea auprès d’elle.

« Peut-être était-ce l’une de mes raisons, concéda Cirocco, mais l’autre, la grande raison, me fait quelque peu rougir. Mes règles ont commencé.

— J’y songeais. Mais j’ai cru plus poli de n’en rien dire.

— Comme tu es diplomate, toi aussi. » Elles rirent mais Cirocco sentit son visage s’empourprer. Elle se sentait incroyablement mal à l’aise. Elle était accoutumée aux petites habitudes de la vie aseptisée à bord d’un vaisseau. Se sentir négligée sans pouvoir rien y faire la gênait terriblement. Gaby lui suggéra d’utiliser l’un des pansements de la trousse d’urgence, au moins pour son propre confort. Cirocco se laissa convaincre, bien contente que l’idée vînt de Gaby. Elle n’aurait pu se résoudre à employer les fournitures médicales à un tel usage sans le consentement de son amie.

Elles restèrent tranquilles quelque temps. Cirocco percevait avec un certain malaise la proximité de Gaby et ne cessait de se répéter qu’il faudrait bien qu’elle s’y habitue. Elles pouvaient rester coincées là pendant des jours.

Gaby en tout cas ne semblait guère troublée et bientôt Cirocco cessa de remarquer aussi nettement sa présence. Après une heure à tenter en vain de trouver le sommeil, elle commençait à s’ennuyer ferme.

« T’es réveillée ?

— Je ronfle toujours quand je suis éveillée, soupira Gaby en s’asseyant. Bordel, il va falloir que je sois sacrément plus crevée pour arriver à roupiller avec toi si près. Tu es si chaude, et si douce… »

Cirocco ignora cette remarque.

« Connais-tu quelque jeu pour passer le temps ? »

Gaby roula sur le côté et dévisagea Cirocco.

« J’ai dans l’idée quelques distractions…

— Sais-tu jouer aux échecs ?

— Je craignais bien que tu ne me dises ça. Tu prends les blancs ou les noirs ? »

La glace se reformait à l’entrée à mesure qu’elles la dégageaient.

Elles s’étaient d’abord inquiétées pour l’air mais quelques essais leur prouvèrent que le taux d’oxygène demeurait constant même avec l’opercule entièrement refermé. La seule explication était que leur capsule de survie fonctionnait comme une plante en absorbant le gaz carbonique au travers de ses parois.

Elles découvrirent l’existence d’un mamelon sur la paroi du fond. Lorsqu’on le pressait il exsudait cette substance laiteuse qu’elles connaissaient déjà. Elles y goûtèrent mais décidèrent de s’en tenir à leurs réserves jusqu’à ce qu’elles s’épuisent. C’était le lait de Gaïa dont leur avait parlé Maître-Chanteur. Sans aucun doute nourrissait-il les anges.


Lentement les heures s’étaient muées en jours et les parties d’échecs en tournois. Gaby en remporta la plupart. Elles inventèrent de nouveaux jeux avec des chiffres et des lettres et Gaby là aussi en gagna la plupart. Compte tenu de tout ce qu’elles avaient traversé ensemble, des choses qui les rapprochaient et de celles qui les séparaient, des réserves de Cirocco et de la fierté de Gaby, ce ne fut pas avant le troisième jour qu’elles firent l’amour.

Cela se produisit pendant l’une de ces périodes où l’une et l’autre se contentaient de regarder le plafond vaguement luminescent en écoutant hurler le vent à l’extérieur. Elles s’ennuyaient, étaient débordantes d’énergie et elles avaient légèrement la bougeotte. Cirocco ne cessait de dévider dans sa tête les méandres sans fin de ses bonnes raisons : Raisons-pour-lesquelles-je-dois-me-garder-d’avoir-des-relations-intimes-avec-Gaby : Grand A)…

Impossible de se rappeler le Grand A).

Quelques jours plus tôt, cela lui semblait encore sensé. Pourquoi plus maintenant ?

Il y avait leur situation ; voilà qui nuançait certainement son jugement. Elle n’avait jamais de sa vie été aussi intime avec quiconque. Depuis trois jours elles étaient en contact physique permanent. Elle se réveillait dans les bras de Gaby, moite et excitée. Et le pire était que Gaby ne pouvait l’ignorer. Chacune pouvait sentir les changements d’humeur de l’autre.

Mais Gaby avait dit qu’elle ne voudrait d’elle que lorsque Cirocco pourrait lui rendre son amour.

Ne l’avait-elle pas dit ?

Non. En y repensant, elle se rappela que Gaby s’était contentée d’exiger d’elle une envie sincère ; elle n’accepterait jamais de ne voir l’amour physique que sous l’angle d’une thérapie destinée à soulager sa peine.

Parfait. Cirocco en avait envie. Elle ne l’avait jamais éprouvé avec une telle intensité. Elle se retenait uniquement parce qu’elle n’était pas homosexuelle ; elle était bisexuelle avec un net penchant pour le sexe masculin, et sentait qu’elle devrait se garder de toute relation avec une femme amoureuse d’elle tant qu’elle ne serait pas capable d’aller au-delà de leur premier rapport amoureux.

Ce qui avouait-elle était la chose la plus stupide qu’elle eût jamais entendue : des mots, des mots, rien que des mots idiots. Écoute plutôt ton corps et ton cœur.

Son corps n’émettait plus aucune réserve ; quant à son cœur, il ne lui en restait qu’une. Elle se tourna et chevaucha Gaby. Elles s’embrassèrent et Cirocco se mit à la caresser.

« Je ne peux pas te dire que je t’aime en toute sincérité, tout simplement parce que je ne suis pas sûre de savoir encore comment se manifeste un tel sentiment envers une femme. Je donnerais ma vie pour te défendre et ton bonheur m’importe plus que le mien propre ou celui de tout autre être humain. Je n’ai jamais eu d’amis comme toi. Si cela ne te suffit pas, j’arrête là.

— Ne t’arrête pas.

— Une fois, avec un homme que j’aimais, j’ai voulu porter ses enfants. Ce que je ressens pour toi est très proche de ce que j’ai ressenti alors, mais ce n’est pas encore ça. Je te désire… oh, je te désire tant que je ne puis l’exprimer. Mais je ne puis pas t’assurer que je t’aime. »

Gaby sourit.

« La vie est pleine de déceptions. » Elle prit dans ses bras Cirocco et l’attira vers elle.

Le vent hurla pendant cinq jours. Le sixième, le dégel commença et se poursuivit jusqu’au septième.

Sortir durant la fonte des neiges était dangereux : Des pans de glace dégringolaient de la paroi en faisant un fracas épouvantable. Lorsque cela cessa, elles émergèrent en clignant des yeux dans un univers frais, luisant d’humidité, et qui murmurait.

Elles se frayèrent un chemin jusqu’au sommet de l’arbre le plus proche et entendirent s’amplifier le murmure. Lorsque les ramures commencèrent à ployer sous leur poids, elles pénétrèrent sous une douce averse : de grosses gouttes qui ruisselaient de feuille en feuille au ralenti.

L’atmosphère au centre de la colonne était dégagée mais tout autour, et jusqu’à perte de vue, les murs étaient enveloppés d’arcs-en-ciel à mesure que la glace fondue dégringolait au travers du feuillage pour faire grossir le nouveau lac qui s’était formé sur le plancher du rayon.

« Et maintenant ? demanda Gaby.

— Demi-tour. Et direction : le haut. On a perdu plein de temps. »

Gaby opina. « Je m’en fiche, et tu le sais bien, tant que je vais là où tu vas. Mais encore une fois ; peux-tu me dire… pourquoi ? »

Cirocco s’apprêtait à lui rétorquer que c’était une question stupide lorsqu’elle prit conscience qu’elle ne l’était pas. Durant leur longue incarcération, elle avait dû admettre devant Gaby qu’elle ne croyait plus trouver quiconque aux commandes dans le moyeu. Elle ignorait elle-même à quel moment elle avait cessé d’y croire.

« J’ai fait une promesse à Maître-Chanteur, lui dit-elle. Et maintenant je n’ai plus de secret pour toi. Plus aucun. »

Gaby fronça les sourcils. « Quelle promesse ?

— Celle de voir si je peux faire quelque chose pour arrêter la guerre entre les Titanides et les anges. Je n’en avais parlé à personne. Je ne sais pas très bien pourquoi.

— Je vois. Crois-tu que tu puisses vraiment y faire quelque chose ?

— Non. » Gaby ne dit rien et continua de la regarder dans les yeux. « Mais il faut que j’essaie. Pourquoi me regardes-tu comme ça ? »

Gaby haussa les épaules. « Sans raison particulière. Je serai toutefois curieuse de connaître tes raisons pour persister à grimper après que nous aurons rencontré les anges. Car nous continuerons, n’est-ce pas ?

— Je suppose que oui. D’une certaine façon, cela me semble la bonne chose à faire. »

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