RAYCH. — … D’après Hari Seldon, la rencontre initiale avec Raych aurait été purement accidentelle. Ce n’était à l’époque qu’un gosse des rues auquel il aurait demandé sa route. Mais sa vie, par la suite, continua d’être étroitement mêlée à celle du grand mathématicien jusqu’au jour où…
Le lendemain matin, torse nu, lavé et rasé, Seldon frappa à la porte de la chambre mitoyenne en disant à mi-voix : « Ouvrez-moi, Dors. »
Ce qu’elle fit. Les courtes boucles auburn de ses cheveux étaient encore humides et elle aussi était torse nu.
Seldon recula d’un pas, honteux et confus. Dors baissa les yeux, considéra d’un œil indifférent le galbe de son buste puis se noua une serviette autour des cheveux. « Qu’y a-t-il ? » demanda-t-elle.
Détournant les yeux vers la droite, Seldon répondit : « Je venais vous poser des questions sur Kan.
— Quand ça, quoi ? s’étonna Dors avec un naturel parfait. Et pour l’amour du ciel, Hari, ne m’obligez pas à m’adresser à votre profil. Vous n’êtes quand même pas puceau !
— J’essayais simplement d’être poli ! répondit Seldon d’un ton blessé. Si vous n’y pensez pas, il est certain que j’y pense. Et il ne s’agit pas de quand ou quoi. Je veux vous parler du secteur de Kan.
— Pour quelle raison, au juste ? Ou si vous préférez : pourquoi Kan ?
— Écoutez, Dors, je suis sérieux. Régulièrement, j’entends parler du secteur de Kan – plus précisément, de son Maire. Hummin l’a évoqué, vous l’avez fait, Davan aussi. Or je ne sais rien de ce secteur ou de son Maire.
— Je ne suis pas plus que vous native de Trantor, Hari. Mes connaissances sont fort limitées mais je suis volontiers prête à les partager avec vous. Kan est situé près du pôle sud – c’est un secteur vaste, très peuplé…
— Très peuplé au pôle sud ?
— Nous ne sommes pas sur Hélicon, Hari. Ni sur Cinna. Nous sommes sur Trantor. Ici, tout est souterrain et il n’y a guère de différence entre le pôle et l’équateur. Bien sûr, j’imagine qu’ils entretiennent un cycle jour/nuit d’amplitude tout à fait excessive – avec de longues journées l’été, de longues nuits en hiver –, presque comme s’ils vivaient à l’air libre. Ce contraste est une simple affectation ; ils sont fiers d’être polaires.
— Mais en surface, la Couverture doit être glaciale, non ?
— Oh oui. La Couverture de Kan est entièrement recouverte de neige et de glace mais la couche n’est pas aussi épaisse que vous pourriez l’imaginer. Sinon, elle écraserait le dôme, mais ce n’est pas le cas ; et c’est la raison fondamentale de la puissance de Kan. »
Elle se tourna vers le miroir, ôta la serviette pour envelopper ses cheveux du filet-séchoir qui, en l’espace de cinq secondes, leur donna un agréable brillant. « Vous ne pouvez pas savoir à quel point j’apprécie de ne pas avoir à porter de bonnet de peau », remarqua-t-elle en enfilant, enfin, le haut de sa tenue.
« Quel rapport entre la couche de glace et la puissance de Kan ?
— Réfléchissez un peu : quarante milliards d’individus utilisent une énorme quantité d’énergie et chaque calorie utilisée dégénère en chaleur et doit finalement être évacuée. Cette chaleur résiduelle est canalisée vers les pôles, en particulier le pôle sud, qui est le plus développé des deux, pour être finalement rejetée dans l’espace. L’opération fait fondre en cours de route une bonne partie de la glace et je suis certaine que ça explique le temps couvert et pluvieux qui règne sur Trantor, même si les caïds de la météo prétendent que les choses sont plus compliquées.
— Kan n’exploite-t-il pas cette énergie avant de l’évacuer ?
— C’est bien possible, pour ce que j’en sais. A propos, je n’ai pas la moindre idée des techniques utilisées pour évacuer la chaleur, mais je faisais allusion à la puissance politique. Si Dahl cessait de produire une énergie exploitable, ça gênerait certainement Trantor, mais d’autres secteurs produisent de l’énergie et pourraient accroître leur production, et bien entendu, il existe de l’énergie stockée sous diverses formes. Au bout du compte, il faudrait régler le problème de Dahl mais enfin, il n’y aurait pas urgence. Kan, en revanche…
— Oui ?
— Eh bien, Kan évacue au moins quatre-vingt-dix pour cent de toute la chaleur engendrée sur Trantor et il n’existe aucune solution de rechange. Si Kan devait interrompre son émission de chaleur, la température commencerait à monter sur toute la planète.
— A Kan aussi.
— Certes, mais comme Kan est située au pôle sud, elle peut disposer d’une source d’air froid. Ce ne serait qu’une solution à court terme, mais enfin Kan tiendrait plus longtemps que le reste de Trantor. Bref, Kan constitue pour l’Empereur un problème particulièrement épineux et le Maire de Kan est – ou pourrait être – extrêmement puissant.
— Et quel genre d’individu est l’actuel Maire de Kan ?
— Ça, je n’en sais rien. Pour ce que j’en ai entendu, il serait très âgé et vivrait quasiment en reclus, mais il serait dur comme une coque d’hypernef et encore parfaitement capable de manœuvrer habilement pour s’assurer le pouvoir.
— Pourquoi ? je me demande. S’il est si vieux, il ne pourra en profiter longtemps.
— Qui sait, Hari ? L’obsession de toute une vie, je suppose… A moins que ce soit un jeu, le goût de manœuvrer pour le pouvoir, sans vraiment chercher le pouvoir pour lui-même. Sans doute, s’il obtenait le pouvoir et prenait la place de Demerzel, ou s’il montait sur le trône impérial, serait-il déçu car la partie serait terminée. Bien sûr, s’il survivait, il pourrait toujours, par la suite, se lancer dans un nouveau jeu, celui de garder le pouvoir, qui pourrait se révéler tout aussi difficile et donc aussi gratifiant. »
Seldon hocha la tête. « Je suis toujours étonné qu’on veuille devenir Empereur.
— Aucun individu sensé ne le voudrait mais la “ pulsion impériale ”, comme on l’appelle souvent, est analogue à une maladie faisant perdre la raison à ses victimes. Et plus on monte en grade, plus on risque de l’attraper. A chaque nouvelle promotion…
— Le mal progresse, termina Seldon. Oui, je vois. Mais il me semble également que Trantor est un monde si gigantesque, aux exigences si complexes, aux ambitions si conflictuelles, que cela explique en grande partie l’incapacité de l’Empereur à gouverner. Pourquoi ne quitte-t-il pas cette planète pour aller s’installer sur un monde plus simple ? »
La remarque fit rire Dors. « Vous ne poseriez pas la question si vous connaissiez votre histoire. Trantor est l’Empire, au terme d’une tradition millénaire. Un Empereur qui ne serait pas au Palais impérial ne serait pas l’Empereur. L’Empereur est un lieu avant même d’être une personne. »
Seldon resta silencieux, le visage figé, et au bout de quelques instants, Dors demanda : « Qu’y a-t-il, Hari ?
— Je réfléchis, dit-il d’une voix étouffée. Depuis que vous m’avez conté l’anecdote de la main sur la cuisse, j’ai des pensées fugitives qui… et maintenant, cette idée que l’Empereur serait un lieu plus qu’une personne a peut-être fait vibrer une corde sensible…
— Comment cela ? »
Seldon hocha la tête. « Je me le demande. Je me trompe peut-être complètement. » Son regard cessa d’être vague et il fixa Dors. « Quoi qu’il en soit, nous devrions descendre prendre notre petit déjeuner. Nous sommes déjà en retard et je ne crois pas que Maîtresse Tisalver soit d’humeur à nous le monter.
— Optimiste, va ! M’est avis qu’elle n’est même pas d’humeur à nous voir rester – petit déjeuner ou pas. Elle doit être pressée de nous jeter dehors.
— C’est bien possible, mais enfin nous la payons.
— Oui, mais je la soupçonne de nous haïr assez à présent pour mépriser nos crédits.
— Peut-être son mari éprouvera-t-il un peu plus d’affection à l’égard du loyer.
— S’il a un mot à dire, Hari, une seule personne sera plus surprise de l’entendre que moi : Maîtresse Tisalver… Bon, très bien, je suis prête. »
Et lorsqu’ils descendirent l’escalier pour rejoindre la partie de l’appartement qu’habitaient les Tisalver, la dame en question les attendait sans le moindre petit déjeuner – mais avec quelque chose de bien plus indigeste.
Droite comme un i, Casilia Tisalver les attendait, un sourire crispé sur son visage rond et une lueur mauvaise dans ses yeux noirs. Son mari était appuyé, maussade, contre le mur. Au centre de la pièce, deux hommes se tenaient, très raides, comme s’ils n’avaient remarqué les coussins par terre que pour mieux les dédaigner.
L’un et l’autre avaient les cheveux bruns crépus et l’épaisse moustache traditionnelle des Dahlites. Ils étaient minces et vêtus de costumes noirs assez semblables pour être des uniformes. Une fine ganse blanche longeait leur veste jusqu’à l’épaule et descendait sur le côté de la jambe de pantalon. Chacun portait, sur le côté droit de la poitrine, une plaque discrète : l’emblème au Soleil et à l’Astronef, symbole de l’Empire sur tous les mondes habités de la Galaxie, avec, dans ce cas précis, un « D » noir au centre du soleil.
Seldon comprit aussitôt qu’il s’agissait de deux membres des forces de sécurité dahlites.
« Qu’est-ce qui se passe ici ? » demanda Seldon, sévère.
L’un des hommes s’avança. « Je suis l’agent de secteur Lanel Russ. Et voici mon collègue, Gebore Astinwald. »
L’un et l’autre présentèrent une holo-plaque d’identité rutilante. Seldon ne se fatigua pas à les examiner. « Que voulez-vous ?
— Êtes-vous Hari Seldon d’Hélicon ? demanda tranquillement Russ.
— Oui.
— Et vous, Maîtresse, êtes-vous Dors Venabili de Cinna ?
— Oui, répondit l’intéressée.
— Je suis ici pour enquêter sur une plainte contre un certain Hari Seldon qui aurait déclenché une émeute, dans la journée d’hier.
— C’est absolument faux.
— D’après nos informations, précisa Russ en consultant l’écran d’un petit calepin électronique, vous auriez accusé un reporter d’être un agent de l’Empire, déclenchant par là même une émeute contre lui. »
Dors s’interposa : « C’est moi qui ai dit que c’était un agent de l’Empire, monsieur. J’avais toute raison de le penser. Ce n’est certainement pas un crime d’exprimer son opinion. L’Empire garantit la liberté d’expression.
— Cela n’inclut pas les opinions émises dans l’intention délibérée de provoquer une émeute.
— Comment pouvez-vous avancer une chose pareille, monsieur l’agent ? »
A cet instant, Maîtresse Tisalver intervint, d’une voix stridente : « Je peux l’avancer, moi, monsieur l’agent. Elle a vu qu’un attroupement s’était formé, un tas de voyous qui cherchaient visiblement la bagarre. Délibérément, elle leur a dit que c’était un agent de l’Empire alors qu’elle n’en savait strictement rien, et elle leur a crié ça pour les exciter. Il est évident qu’elle savait ce qu’elle faisait.
— Casilia », implora son mari, mais un seul regard de son épouse le fit taire.
Russ se tourna vers Maîtresse Tisalver. « Est-ce de vous qu’émane la plainte, Maîtresse ?
— Oui. Ces deux-là habitent ici depuis quelques jours et ils n’ont pas cessé de provoquer des troubles. Ils ont invité dans mon appartement des gens de réputation douteuse, nuisant à mon standing vis-à-vis de mes voisins.
— Est-il illégal, demanda Seldon, d’inviter dans ses appartements d’honnêtes et tranquilles citoyens de Dahl ? Les deux chambres de l’étage sont les nôtres. Nous les avons louées et le loyer est réglé. Est-ce un crime à Dahl que de parler à des Dahlites, monsieur ?
— Non, pas du tout, admit Russ. La plainte ne porte pas là-dessus. Qu’est-ce qui vous a donné motif, Maîtresse Venabili, à supposer que l’individu que vous accusiez était bel et bien un agent de l’Empire ?
— Il avait une petite moustache châtain, d’où j’ai conclu qu’il n’était pas dahlite. J’ai présumé que c’était un agent de l’Empire.
— Vous avez présumé ? Votre associé, Maître Seldon, ne porte pas du tout de moustache. Cela vous fait-il présumer qu’il est, lui aussi, agent de l’Empire ?
— En tout cas, s’empressa d’intervenir Seldon, il n’y a jamais eu d’émeute. Nous avons demandé à la foule de ne rien faire contre ce prétendu journaliste et je suis certain que ces gens ont obéi.
— Vous en êtes certain, Maître Seldon ? dit Russ. D’après nos informations, vous avez quitté les lieux aussitôt après avoir porté votre accusation. Comment pouvez-vous témoigner de ce qui s’est passé après votre départ ?
— Je ne peux pas, reconnut Seldon, mais permettez-moi de vous demander quelque chose : l’homme est-il mort ? A-t-il été blessé ?
— Cet homme a été interrogé. Il nie être un agent de l’Empire et rien ne nous indique qu’il le soit. Il prétend également avoir été malmené.
— Il peut fort bien mentir sur l’un et l’autre point, dit Seldon. Je vous suggérerais le passage à la sonde psychique.
— L’usage de la sonde est interdit sur la victime d’un délit, indiqua Russ. Le gouvernement du secteur est très ferme là-dessus. En revanche, rien n’empêche de vous y soumettre l’un et l’autre, en tant qu’auteurs du délit, en l’occurrence. Vous êtes d’accord ? »
Seldon et Dors échangèrent un regard et Seldon répondit : « Non, bien sûr que non.
— Bien sûr que non, répéta Russ avec juste un soupçon de sarcasme dans la voix, mais vous êtes tout à fait prêts à en suggérer l’emploi sur un tiers. »
Astinwald, l’autre policier, qui jusque-là n’avait pas ouvert la bouche, sourit à cette remarque.
Russ poursuivit : « Nous avons également une information selon laquelle, il y a deux jours, à Billibotton, vous avez été impliqués dans une bagarre au couteau au cours de laquelle vous avez sérieusement blessé un citoyen dahlite du nom de… » Il frappa une touche de son calepin électronique et consulta une nouvelle page sur l’écran. « Elgin Marron.
— Votre information précise-t-elle comment la bagarre a commencé ? remarqua Dors.
— Là n’est pas la question, Maîtresse. Niez-vous que la bagarre ait eu lieu ?
— Bien sûr que non, protesta Seldon vivement, mais nous nions en avoir été les instigateurs. On nous a attaqués. Ce Marron s’est emparé de Maîtresse Venabili dans l’intention manifeste de la violer. Ce qui s’est produit par la suite relève tout simplement de la légitime défense. Ou bien Dahl ferme-t-elle les yeux sur le viol ? »
Russ demanda, sur le ton le plus neutre possible : « Vous dites avoir été attaqués ? Par combien d’individus ?
— Dix hommes.
— Et vous seul – avec une femme – vous êtes défendu contre dix assaillants ?
— Maîtresse Venabili et moi nous sommes défendus, oui.
— Comment se fait-il, dans ce cas, que ni l’un ni l’autre ne présentiez la moindre blessure ? Porteriez-vous une quelconque coupure ou ecchymose qui ne serait pas directement visible ?
— Pas du tout, monsieur l’agent.
— Comment se fait-il alors que, dans ce combat à un – plus une femme – contre dix, vous n’ayez pas reçu le moindre coup, quand le plaignant, Elgin Marron, a dû être hospitalisé avec des blessures qui nécessiteront une greffe de peau à la lèvre supérieure ?
— Nous nous sommes bien défendus, répondit Seldon sur un ton agressif.
— Incroyablement bien. Que diriez-vous si je vous annonçais que trois hommes ont attesté que vous et votre amie avez attaqué Marron sans aucune provocation de sa part ?
— Je dirais que ça dépasse l’entendement. Je suis sûr que ce Marron est déjà connu de vos services comme spécialiste du tapage et du couteau. Je vous affirme qu’il y avait dix hommes. Manifestement, six d’entre eux ont refusé de couvrir un mensonge. Les trois autres ont-ils expliqué pourquoi ils n’ont pas secouru leur ami s’ils ont été témoins d’une attaque délibérée susceptible de mettre sa vie en danger ? Vous devez bien vous rendre compte qu’ils mentent.
— Suggérez-vous pour eux aussi le recours à une sonde psychique ?
— Oui. Et pour vous épargner la question, je persiste à en refuser l’emploi sur nous.
— Nous avons également été informés qu’hier, après avoir quitté les lieux de l’émeute, vous avez consulté un certain Davan, rebelle notoire recherché par les services de sécurité. Est-ce vrai ?
— Il vous faudra le prouver sans notre aide, répondit Seldon. Nous ne répondrons plus à aucune question. »
Russ déposa son calepin. « J’ai peur d’être obligé de vous demander de nous suivre au quartier général pour un complément d’enquête.
— Je ne crois pas que ce soit nécessaire, monsieur l’agent, dit Seldon. Nous sommes des Exos et n’avons commis aucun crime. Nous avons essayé d’éviter un reporter qui nous importunait sans raison, nous nous sommes défendus contre un viol et une menace d’assassinat dans une partie du secteur connue pour sa criminalité, et nous avons parlé avec divers Dahlites. Nous ne voyons rien qui justifie la poursuite de cet interrogatoire. Cela relèverait du harcèlement.
— C’est nous qui prenons les décisions, rétorqua Russ. Pas vous. Voulez-vous bien nous suivre ?
— Non. Absolument pas, répliqua Dors.
— Attention ! s’écria Maîtresse Tisalver. Elle a deux couteaux. »
L’agent Russ soupira et dit : « Merci, Maîtresse, mais je le sais. » Il se tourna vers Dors. « Savez-vous que le port du couteau sans permis, dans ce secteur, est un crime grave ? Avez-vous un port d’arme ?
— Non, monsieur l’agent. Je n’en ai pas.
— C’est donc sans aucun doute avec une arme illégale que vous avez assailli le sieur Marron ? Vous rendez-vous compte que ça accroît sérieusement la gravité de votre crime ?
— Ce n’était pas un crime, monsieur l’agent, insista Dors. Comprenez-le bien. Marron avait lui aussi un couteau et pas plus de permis que moi, j’en suis certaine.
— Rien ne nous le prouve et, tandis que Marron présente des blessures au couteau, aucun de vous deux n’en porte.
— Évidemment qu’il avait un couteau, monsieur l’agent. Si vous ne savez pas que tout le monde à Billibotton et la majorité des gens dans le reste de Dahl portent des couteaux pour lesquels ils ne détiennent aucun permis, alors vous êtes le seul à l’ignorer. On trouve ici à tous les coins de rue des boutiques qui vendent au grand jour des armes blanches. Vous le savez ?
— Peu importe ce que je sais ou ne sais pas en l’occurrence. Peu importe que des tiers enfreignent la loi, et combien ils sont à le faire. L’important, pour l’heure, c’est que Maîtresse Venabili est en infraction. Je dois vous demander de me remettre ces couteaux sur-le-champ, Maîtresse, et de m’accompagner, l’un et l’autre, au quartier général.
— En ce cas, venez les chercher vous-même », lança Dors.
Soupir de Russ. « N’allez pas vous imaginer, Maîtresse, que ce soit la seule arme connue à Dahl ou que je sois obligé de vous affronter en duel au couteau. Mon collègue et moi portons des fulgurants capables de vous détruire à l’instant, avant même que vous ayez pu porter la main à votre ceinture, si rapide soyez-vous. Nous n’en ferons pas usage, bien sûr, parce que nous ne sommes pas ici pour vous tuer. Toutefois, l’un comme l’autre, nous portons un fouet neuronique dont nous pouvons user librement. J’espère que vous n’aurez pas besoin d’une démonstration. Ça ne tue pas, ça ne cause aucun dommage irréversible, ça ne laisse pas la moindre trace, mais la douleur est atroce. Mon collègue tient en ce moment même un fouet neuronique braqué sur vous. Et voici le mien. Maintenant, vous allez nous donner vos couteaux, Maîtresse Venabili. »
Il y eut un temps d’arrêt puis Seldon reconnut : « A quoi bon, Dors. Donnez-les-lui. »
A cet instant précis, la porte fut ébranlée par une série de coups frénétiques et l’on entendit une voix haut perchée qui poussait des cris stridents.
Après les avoir raccompagnés jusqu’à l’appartement, Raych n’avait pas entièrement quitté le secteur.
Il s’était solidement restauré en attendant la fin de l’entrevue avec Davan ; plus tard, il avait dormi un peu après avoir trouvé des toilettes plus ou moins en état. Maintenant que c’était fait, il n’avait pas vraiment d’endroit où aller. Il avait bien un vague point de chute et une mère qui n’était pas du genre à s’inquiéter de ses absences prolongées. Elle ne s’inquiétait jamais.
Il ne connaissait pas son père et se demandait parfois s’il en avait bien un. On lui avait confirmé que oui et on lui en avait crûment fourni les raisons. Parfois, il se demandait s’il devait croire une histoire aussi tordue, mais il trouvait les détails excitants.
Ce qui le fit songer à la princesse. C’était une vieille, bien sûr, mais elle était jolie et savait se battre comme un homme – mieux qu’un homme. Tout cela l’emplissait d’idées vagues.
De plus, elle lui avait proposé de prendre un bain. Il allait parfois nager à la piscine de Billibotton, quand il avait quelques crédits à dépenser ou qu’il pouvait s’y glisser en douce. C’étaient les seuls moments où il se mouillait entièrement, mais c’était glacé et il lui fallait attendre pour sécher.
Prendre un bain, c’était différent. Il y aurait de l’eau brûlante, du savon, des serviettes, de l’air chaud. Il n’était pas certain de l’effet que ça ferait sauf que ce serait chouette si jamais elle était là.
Il était assez déluré pour connaître des passages isolés où il pourrait se planquer discrètement, près d’une salle de bains et encore assez près de l’endroit où elle était, et où il ne serait sans doute pas découvert et contraint à fuir.
Il passa la nuit à ruminer d’étranges pensées. Et s’il apprenait à lire et écrire ? Pourrait-il en faire quelque chose ? Il n’en était pas sûr mais peut-être qu’elle, elle saurait le lui dire. Il caressait la vague idée de recevoir de l’argent pour faire des choses qu’il ne savait pas encore faire, et d’ailleurs il n’aurait su dire en quoi elles consistaient. Il faudrait qu’on lui explique, mais comment se le faire expliquer ?
S’il restait avec l’homme et la dame, ils pourraient l’aider. Mais pourquoi voudraient-ils qu’il reste avec eux ?
Il s’assoupit, puis reprit bientôt ses esprits non pas à cause de la lumière, mais parce que son oreille fine avait décelé des bruits accrus venant de la galerie, signalant le début de l’activité diurne.
Il avait appris à identifier quasiment toutes les sortes de sons, car, dans le dédale souterrain de Billibotton, si vous vouliez survivre, même avec un minimum de confort, vous aviez intérêt à détecter les choses avant même de les avoir vues. Et ce bruit de véhicule à moteur qu’il entendait à présent ne lui disait rien qui vaille. C’était un bruit officiel, un bruit hostile…
Il secoua la tête pour s’éclaircir les idées, puis il se coula tranquillement vers le passage. Il n’eut pas besoin de noter l’emblème au Soleil et à l’Astronef peint sur la voiture. La ligne du véhicule en disait assez. Il sut qu’ils étaient venus chercher l’homme et la dame parce qu’ils étaient allés voir Davan. Il ne s’attarda pas à discuter ses idées ou à les analyser. Déjà, il avait détalé au pas de course, se frayant un passage au milieu de l’activité croissante de la journée.
Il était de retour en moins d’un quart d’heure. Le véhicule était toujours là, entouré d’une foule de curieux, prudemment postés à distance respectueuse. Leur nombre grossissait sans cesse. Il gravit l’escalier quatre à quatre, cherchant à se souvenir à quelle porte frapper. Pas le temps d’attendre l’ascenseur.
Il trouva la bonne porte – du moins, croyait-il – et martela le battant tout en couinant d’une voix étranglée : « Princesse ! Princesse ! »
Il était trop agité pour se rappeler son nom mais celui de l’homme lui revint en partie : « Hari ! cria-t-il. Ouvrez-moi ! »
La porte s’ouvrit et il se rua à l’intérieur – tenta de se ruer à l’intérieur. La rude patte d’un policier lui empoigna le bras. « Doucement, gamin. Où crois-tu aller ?
— Lâchez-moi ! J’ai rien fait ! » Il regarda autour de lui. « Eh là, princesse, qu’est-ce qu’y font ?
— Ils nous arrêtent, fit Dors, lugubre.
— Pourquoi ? » Raych haletait, se débattait. « Eh, lâchez-moi, ’spèces de Galactos. Allez pas avec lui, princesse. Z’avez pas à le suivre.
— Toi, tu sors, dit Russ en le secouant avec véhémence.
— Non, ch’sors pas. Et vous non plus, l’Galactos. Y a toute ma bande qui s’radine. Vous sortirez pas tant qu’eux, vous les aurez pas laissés sortir.
— Quelle bande ? » Russ fronça les sourcils.
« Y sont juste à la porte, maintenant. Sans doute en train de mettre votre voiture en pièces. Et vous aussi, y vont vous mettre en pièces. »
Russ se tourna vers son collègue. « Appelle le Q.G. Qu’ils nous envoient deux camions de Macros.
— Non ! glapit Raych, qui se libéra pour se ruer sur Astinwald. Appelez pas ! »
Russ brandit son fouet neuronique et tira.
Raych poussa un cri, s’agrippa l’épaule droite et tomba en se tortillant comme un forcené.
Russ eut à peine le temps de se retourner vers Seldon… déjà celui-ci, l’agrippant au poignet, écartait le fouet neuronique et, d’une clé, lui rabattait le bras, tout en lui écrasant les pieds pour le maintenir dans une relative immobilité. Hari sentit l’épaule se déboîter, à l’instant même où Russ poussait un hurlement étranglé.
Astinwald leva aussitôt son fulgurant mais le bras gauche de Dors lui bloqua l’épaule tandis que, de la main droite, elle lui plaquait sa lame contre la gorge.
« Ne bouge pas ! le prévint-elle. Tu bouges d’une fraction de millimètre, et je te tranche la gorge jusqu’à la colonne vertébrale. Lâche ton arme. Lâche-la ! Et le fouet neuronique. »
Seldon releva Raych, toujours gémissant, et le maintint fermement. Il se tourna vers Tisalver et l’avertit : « Il y a des gens, dehors. Des gens en colère. Je vais les faire entrer ici et ils vont casser tout ce qui leur tombera sous la main. Ils vont défoncer les murs. Si vous ne voulez pas que ça se produise, ramassez ces armes et jetez-les dans la pièce voisine. Prenez aussi celles de l’agent de sécurité qui est à terre et faites de même. Vite ! Votre femme n’a qu’à vous aider. Elle y repensera à deux fois, la prochaine fois qu’elle voudra porter plainte contre des innocents. Dors, celui qui est par terre est hors jeu pour un bout de temps. Neutralisez l’autre également, mais ne le tuez pas.
— D’accord », dit Dors. Retournant son couteau, elle assomma l’autre policier avec le manche. L’homme tomba à genoux. Elle fit la grimace : « J’ai hor-reur de faire ça.
— Ils ont tiré sur Raych », remarqua Seldon pour tenter de dissimuler son propre malaise.
Ils quittèrent l’appartement en hâte et, lorsqu’ils débouchèrent dans la galerie, la trouvèrent pleine à craquer de gens, essentiellement des hommes qui poussèrent des vivats dès qu’ils les virent apparaître. Ils furent rapidement entourés et bientôt submergés par une odeur de corps mal lavés.
Quelqu’un s’écria : « Où sont les Galactos ?
— A l’intérieur, lança Dors d’une voix perçante. Laissez-les tranquilles. Ils sont hors jeu pour un moment mais ils vont avoir des renforts, alors tirez-vous en vitesse.
— Et vous, alors ? » Le cri avait jailli d’une douzaine de poitrines.
« Nous partons, nous aussi. Nous ne reviendrons pas.
— Je vais m’occuper d’eux », piailla Raych, en se dégageant des bras de Seldon pour se tenir debout seul. Il se massait frénétiquement l’épaule. « J’peux marcher. Laissez-moi passer. »
La foule s’ouvrit devant lui et il lança : « M’sieur, princesse, v’nez avec moi… vite ! »
Ils furent accompagnés jusqu’au bout de la galerie par plusieurs douzaines d’hommes, puis Raych désigna soudain une ouverture et murmura : « Par là, les potes. J’vous conduis dans une planque où on risque pas d’vous trouver. Même Davan la connaît pas. Le seul problème, c’est qu’y va falloir passer par les égouts. Personne viendra nous y chercher mais ça schlinguerait plutôt… voyez c’que j’veux dire ?
— J’imagine qu’on y survivra », répondit Seldon. Ainsi descendaient-ils une étroite rampe en spirale ; ainsi, pour les accueillir, s’élevaient à mesure des odeurs méphitiques.
Raych leur avait trouvé une planque. Il avait fallu escalader les barreaux d’une échelle métallique qui les avait conduits à une espèce de vaste entrepôt dont Seldon ne put pas deviner la destination. Il était bourré d’appareillages, massifs et silencieux, dont la fonction demeurait un mystère. La salle était raisonnablement propre et dépoussiérée ; d’ailleurs le courant d’air régulier qui la balayait empêchait tout dépôt de poussière et – plus important – semblait atténuer l’odeur.
Raych semblait ravi. « C’est-y pas chouette ? » Il se massait encore l’épaule de temps à autre et grimaçait quand il frottait trop fort.
« Ça pourrait être pire, admit Seldon. Sais-tu à quoi sert cet endroit, Raych ? »
Raych haussa les épaules ou du moins esquissa le geste et gémit. « Sais pas. » Puis il ajouta, provocant : « Qu’est-ce ça peut foutre ? »
Dors, qui s’était assise par terre après avoir essuyé le sol de la main puis examiné sa paume avec méfiance, répondit : « Si vous voulez mon avis, je crois que ça fait partie d’un complexe de neutralisation et de filtrage des déchets. Le tout doit certainement finir comme engrais.
— Alors, observa Seldon, lugubre, ceux qui font marcher ce complexe doivent y descendre périodiquement et peuvent débarquer d’un instant à l’autre, pour ce que nous en savons.
— J’suis déjà v’nu, intervint Raych. Jamais vu un pèlerin.
— Je suppose que Trantor est fortement automatisée chaque fois que c’est possible, et si une opération demande à l’être, c’est bien le traitement des déchets, observa Dors. On a une chance d’être tranquilles… pour un temps.
— Pas longtemps. Nous allons avoir faim et soif, Dors.
— J’peux vous trouver à boire et à manger, dit Raych. Faut bien savoir s’démerder quand on vit dans la rue.
— Merci, Raych, dit Seldon l’air absent, mais pour l’heure je n’ai pas faim. » Il renifla. « Je n’aurai peut-être plus jamais faim…
— Mais si, répondit Dors. Et même si vous perdez pour un temps l’appétit, la soif se fera sentir. Au moins, l’élimination ne posera pas de problème : nous sommes quasiment logés au-dessus d’un égout grand ouvert. »
Ils restèrent silencieux plusieurs minutes. La pénombre régnait à ce niveau et Seldon se demanda pourquoi les Trantoriens maintenaient un minimum d’éclairage. Il n’avait jamais rencontré l’obscurité complète dans aucun lieu public. C’était sans doute l’habitude d’une société qui ne connaissait pas de pénurie d’énergie. Étrange qu’un monde de quarante milliards d’âmes eût de l’énergie à revendre, mais, en exploitant la chaleur interne de la planète, sans parler de l’énergie solaire et des usines de fusion nucléaire en orbite, c’était le cas. En fait, tout bien considéré, aucune planète de l’Empire ne connaissait de pénurie d’énergie. Avait-il existé une époque à la technologie si primitive qu’une telle chose était possible ?
Il s’appuya contre une batterie de canalisations sans doute parcourues par des eaux usées. Bientôt, il s’écarta des tuyauteries pour aller s’asseoir près de Dors.
« A-t-on un moyen quelconque de contacter Chetter Hummin ?
— Pour tout dire, je lui ai envoyé un message, répondit Dors. Malgré mes réticences.
— Vos réticences ?
— J’ai mission de vous protéger. Chaque fois que j’entre en contact avec lui, ça veut dire que j’ai échoué. »
Seldon la fixa, les paupières plissées. « Devez-vous être stricte à ce point, Dors ? Vous ne pouvez quand même pas me protéger contre les forces de sécurité de tout un secteur.
— Je suppose que non. Nous pouvons en neutraliser quelques-uns…
— Je sais. On l’a fait. Mais ils vont envoyer des renforts… avec blindés… canons neuroniques… brouillard anesthésiant… Je ne sais pas au juste ce dont ils disposent, mais ils vont nous balancer tout leur arsenal. J’en suis certain.
— Vous avez sans doute raison. » Dors crispa les lèvres.
« Y vous trouveront jamais, princesse », dit soudain Raych. Durant la conversation, ses yeux vifs étaient passés sans cesse de l’un à l’autre. « Z’ont jamais pu trouver Davan. »
Dors eut un sourire sans joie et ébouriffa les cheveux du garçon, puis examina sa propre paume avec consternation. « Je ne sais pas si tu fais bien de rester avec nous, Raych. Je n’ai pas envie qu’ils te trouvent, toi.
— Y me trouveront pas et si j’vous laisse, qui c’est qui vous apportera à boire et à manger, qui c’est qui vous trouvera une nouvelle planque où que les Galactos auront jamais l’idée de vous dénicher ?
— Non. Raych, ils finiront par nous trouver… Ils ne font pas vraiment d’efforts pour chercher Davan. Il les embête mais j’ai dans l’idée qu’ils ne le prennent pas au sérieux. Tu vois ce que je veux dire ?
— Vous voulez dire qu’il les fait simplement ch… suer et qu’il ne vaut pas une bonne chasse à l’homme ?
— Tout juste. Mais, vois-tu, nous, nous avons sérieusement malmené deux officiers de police, et ça, ils ne vont certainement pas nous le pardonner. Même s’il leur faut employer tout leur arsenal, même s’ils doivent ratisser jusqu’au dernier couloir abandonné du secteur, ils finiront par nous trouver.
— Ça me donne quand même l’impression d’être… le dernier des nuls. Si je m’étais pas pointé le bec enfariné, vous auriez jamais amoché ces deux bourres, et vous auriez pas tous ces ennuis.
— Non, tôt ou tard nous aurions dû les… amocher. Qui sait ? On aurait peut-être même dû en amocher davantage.
— En tout cas, vous vous êtes débrouillés comme des dieux, commenta Raych. Si j’avais pas eu mal partout, j’aurais mieux profité du spectacle.
— Ça ne nous avancera pas de nous battre contre toutes leurs forces de sécurité, observa Seldon. La question est : que vont-ils nous faire une fois Qu’ils nous auront capturés ? Sûrement nous condamner à la prison.
— Oh non. Si nécessaire, nous n’aurons qu’à en appeler à l’Empereur, remarqua Dors.
— L’Empereur ? » Raych écarquilla les yeux. « Vous connaissez l’Empereur ? »
Seldon écarta la remarque d’un signe de main. « N’importe quel citoyen de la Galaxie peut en appeler à l’Empereur. Ça me paraît une mauvaise idée. Dors. Depuis le premier instant où, avec Hummin, j’ai quitté le secteur impérial, nous n’avons cessé de fuir l’Empereur.
— Pas au point de nous laisser jeter dans une prison dahlite. Le recours impérial nous tiendra lieu de sursis, tout au moins de diversion, et peut-être pourrons-nous en profiter pour chercher une autre solution.
— Il y a toujours Hummin…
— Oui, effectivement, admit Dors, gênée, mais ce n’est pas non plus la panacée. D’abord, même si mon message lui est parvenu, et à supposer qu’il ait pu se rendre à Dahl toutes affaires cessantes, comment pourrait-il nous trouver ici ? Et même alors, que pourrait-il faire contre l’ensemble des forces de sécurité de Dahl ?
— En ce cas, rétorqua Seldon, il va nous falloir réfléchir à une solution avant qu’ils nous retrouvent.
— Si vous m’suivez, intervint Raych, j’peux vous garder un poil d’avance sur eux. J’connais toutes les planques du coin…
— Tu peux préserver notre avance devant un poursuivant, pas devant toute une troupe ratissant autant de coursives qu’elle voudra. Nous n’échapperons à un groupe que pour tomber sur un autre. »
S’ensuivit un long silence gêné, chacun ruminant ce qui paraissait une solution sans espoir. Puis Dors Venabili s’agita et murmura, tendue : « Les voilà. Je les entends. »
Tous trois prêtèrent l’oreille durant un moment, puis Raych se leva d’un bond et siffla : « Ils viennent de cette direction. Faut qu’on s’tire de ce côté-ci. »
Confus, Seldon n’entendait toujours rien ; il aurait été ravi de se fier à l’ouïe supérieure des deux autres mais, alors même que Raych commençait à s’éloigner en hâte et sans bruit, une voix résonna contre les murs des égouts. « Ne bougez pas ! Ne bougez pas ! »
Et Raych s’étonna : « C’est Davan. Comment il a su qu’on était ici ?
— Davan ? demanda Seldon. Tu es sûr ?
— Sûr et certain. Il va nous aider. »
« Que s’est-il passé ? » s’enquit Davan.
Seldon ne se sentait guère soulagé. Il doutait que ce renfort imprévu modifiât le rapport de force entre eux et les autorités du secteur de Dahl mais, d’un autre côté, l’homme était à la tête d’effectifs propres à créer pas mal de confusion…
« Vous devriez le savoir, Davan, observa-t-il. Je soupçonne la foule assemblée devant chez les Tisalver, ce matin, d’avoir été composée en grande partie de vos partisans.
— Oui, il y en avait. On raconte déjà que vous avez été arrêtés et que vous auriez maîtrisé une escouade de Galactos. Mais pourquoi donc vous ont-ils interpellés ?
— Deux, rectifia Seldon en levant deux doigts. Deux Galactos. Ça suffit amplement. Et cette interpellation était liée à la visite que nous venions de vous rendre.
— Ce n’est pas suffisant. Les Galactos ne se préoccupent pas de moi outre mesure. » Et il ajouta amèrement : « Ils me sous-estiment.
— Peut-être, mais la femme qui nous louait les chambres nous a dénoncés pour avoir déclenché une émeute… à cause du journaliste sur lequel nous sommes tombés en allant vous voir. Vous êtes au courant. Avec l’intervention de vos partisans hier et à nouveau ce matin, et avec deux agents blessés, ils pourraient bien décider de nettoyer ces corridors – ce qui veut dire que vous aussi, vous allez en pâtir. Je suis vraiment désolé. Je n’avais vraiment pas l’intention d’être la cause de tout ceci. »
Mais Davan hocha la tête. « Non, vous ne connaissez pas les Galactos. Ce n’est pas un prétexte suffisant. Ils n’ont pas l’intention de nous éliminer. Le secteur serait obligé de réagir s’ils le faisaient. Ils sont bien trop heureux de nous laisser pourrir à Billibotton et dans nos taudis. Non, c’est après vous qu’ils en ont – et vous seuls. Qu’avez-vous fait ?
— Nous n’avons rien fait, intervint Dors impatientée, et de toute manière quelle importance ? S’ils n’en ont pas après vous mais après nous, ils vont débarquer pour nous déloger d’ici. Et si vous êtes sur leur passage, vous risquez de graves ennuis.
— Oh non, pas moi. J’ai des amis – des amis puissants, répondit Davan. Je vous l’ai dit hier soir. Et ils peuvent vous aider aussi bien que moi. Quand vous avez refusé de nous aider ouvertement, je les ai contactés. Ils vous connaissent, docteur Seldon. Vous êtes un homme célèbre. Ils sont en position de parler au Maire de Dahl et de veiller à ce qu’on vous laisse tranquilles, quoi que vous ayez pu faire. Mais avant, il vous faudra partir – quitter Dahl. »
Seldon sourit. Une vague de soulagement le submergea. « Vous connaissez quelqu’un d’influent, vous, Davan ? Quelqu’un qui vous réponde aussitôt, qui puisse dissuader le gouvernement dahlite de prendre des mesures radicales, qui puisse nous faire quitter le secteur ? A la bonne heure ! Je ne suis pas surpris. » Souriant, il se tourna vers Dors. « C’est comme à Mycogène. Comment Hummin fait-il son compte ? »
Mais Dors hocha la tête. « Trop rapide… je ne comprends pas.
— Je crois bien qu’il peut tout faire.
— Je le connais mieux – et depuis plus longtemps – que vous, et moi je n’en crois rien. »
Sourire de Seldon. « Ne le sous-estimez pas. » Et puis, comme anxieux de ne pas s’éterniser sur le sujet, il se tourna vers Davan : « Mais vous, comment avez-vous fait pour nous trouver ? Raych prétendait que vous ignoriez tout de cet endroit.
— C’est vrai, s’indigna Raych d’une voix perçante. Cette planque est à moi. C’est moi qui l’ai trouvée !
— C’est la première fois que je descends ici, reconnut Davan en parcourant du regard les lieux. Un coin intéressant. Raych est une créature des corridors, parfaitement à l’aise dans ce labyrinthe.
— Oui, Davan, nous nous en étions aperçus. Mais vous, comment l’avez-vous découverte ?
— Avec un détecteur de chaleur. Un capteur d’infrarouges réglé sur le profil thermique spécifique émis à la température de trente-sept degrés Celsius. Il réagit à la présence d’êtres humains à l’exclusion de toute autre source de chaleur. Il a réagi à votre présence à tous trois. »
Dors fronça les sourcils. « A quoi peut-il servir sur Trantor, où les gens grouillent partout ? Ils en ont sur les autres planètes mais…
— Mais pas sur Trantor, acheva Davan. Je sais. Sauf qu’ils sont bien utiles dans les bas-fonds, dans les couloirs et les passages abandonnés.
— Et où l’avez-vous déniché ? demanda Seldon.
— Le principal, c’est de l’avoir… Mais d’abord, il faut vous sortir d’ici, Maître Seldon. Trop de gens veulent vous récupérer et j’aimerais mieux que mon ami influent ait la préférence.
— Et où se trouve-t-il, cet ami influent ?
— Il approche. Du moins, je détecte une nouvelle source à trente-sept degrés et je ne vois pas de qui d’autre il pourrait s’agir. »
A la porte apparut un nouveau venu mais l’exclamation de surprise ravie de Seldon mourut sur ses lèvres. Ce n’était pas Chetter Hummin.