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— Ce n’est pas trop tôt, dit Rhes. Encore deux jours comme ça et nous vous aurions enterré, même si vous aviez encore respiré.

Jason cligna des yeux en le regardant, essayant d’identifier le visage qui se penchait vers lui. Il le reconnut enfin et voulut parler. Mais cela ne provoqua qu’une quinte de toux qui le secoua tout entier. Quelqu’un porta une tasse à ses lèvres et un liquide doux coula dans sa gorge. Il se reposa un instant et essaya de nouveau.

— Depuis combien de temps suis-je ici ? (Sa voix était faible et semblait très éloignée.)

— Huit jours, répondit Rhes. Pourquoi ne m’avez-vous pas écouté ? Vous auriez dû rester près de l’engin lorsque vous êtes tombé. Vous ne vous êtes pas souvenu de ce que je vous avais dit au sujet d’un atterrissage sur un point quelconque de ce continent. La prochaine fois, écoutez ce que je dis. Nos gens se sont dépêchés et ont atteint le lieu de l’accident avant la nuit. L’un des chiens a trouvé votre trace, puis l’a perdue dans un marais. Le lendemain après-midi, ils allaient abandonner les recherches lorsqu’ils vous ont entendu tirer. Ils sont arrivés juste à temps d’après ce qu’on m’a dit. Heureusement que l’un d’entre eux était un parleur et a pu éloigner les chiens sauvages.

— Merci de m’avoir sauvé la vie. Que s’est-il passé ensuite ? Je croyais que c’était fini, je me souviens de ça. J’avais tous les symptômes de la pneumonie. On dirait que vous vous trompiez en disant que vos remèdes étaient inutiles.

Rhes et Naxa, qui était là aussi, hochèrent la tête tristement en signe de dénégation.

— Qu’y a-t-il ? demanda Jason en ressentant un sentiment de gêne. Si vos remèdes n’ont pas été efficaces – mon médikit étant vide – que s’est-il passé ?

— Vous étiez en train de mourir, dit Rhes lentement. Nous ne pouvions pas vous soigner. Seul un médikit pouvait vous sauver. Nous avons pris celui du conducteur du camion.

— Comment ? Il ne vous l’aurait certainement pas donné, c’était interdit. À moins que…

Rhes approuva de la tête et termina la phrase.

— Il est mort. Je l’ai tué moi-même avec un très grand plaisir.

Cela fut un coup dur pour Jason. Il se laissa retomber contre les oreillers et pensa à tous ceux qui étaient morts depuis son arrivée sur Pyrrus. Cela s’arrêterait-il avec la mort de Krannon – ou les gens de la ville allaient-ils essayer de venger ce cadavre ?

— Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie ? La mort de Krannon va lancer toute la cité contre vous. Vous n’aurez plus d’approvisionnements. Ils vous attaqueront dès qu’ils le pourront, ils tueront votre peuple…

— Bien sûr, nous savons cela ! (Rhes se pencha en avant, la voix rauque.) Cette décision n’a pas été facile à prendre. Mais vous êtes notre seul et dernier lien avec les autres planètes, notre unique espoir d’entrer en contact avec elles.

Il s’arrêta de parler, puis, lisant une interrogation muette sur le visage de Jason, reprit :

— La cité subissait une attaque et nous avons vu s’effondrer une partie de leurs murs. En même temps, le vaisseau survolait l’océan, lâchant des bombes – l’éclair nous a été signalé. Le vaisseau est reparti et vous l’avez quitté à bord d’un petit engin.

Ils vous ont tiré dessus mais ne vous ont pas tué. L’engin n’est pas détruit non plus, nous sommes en train de le récupérer. Quelle était la signification de tout cela ? Nous savions que c’était d’une importance vitale. Vous alliez mourir avant de pouvoir parler. Nous ne pouvions pas vous laisser partir, même si cela signifiait une guerre totale contre la cité.

» Dites-nous maintenant : qu’est-ce que tout cela signifie ? Quel est votre projet ?

Les Pyrrusiens se penchèrent en avant, attendant ses paroles. Jason ferma les yeux afin de ne pas voir leurs visages. Le remords l’envahissait. Que pouvait-il leur dire ? Il ne connaissait toujours aucun moyen de mettre fin à cette guerre planétaire. Il avait tous les éléments, mais il fallait encore les mettre en ordre. S’il n’eût pas été aussi fatigué, il aurait trouvé la solution qu’il sentait toute proche, cachée dans un coin de son esprit.

Il fut le seul à entendre le bruit soudain d’une lourde galopade et les cris étouffés d’un homme. Les autres étaient suspendus à ses lèvres. Le bruit de la porte ouverte à la volée déchira le silence de la pièce. Un homme trapu apparut dans l’encadrement de la porte, le visage rouge de colère.

— Vous êtes tous sourds ? Râla-t-il. Je chevauche toute la nuit, je m’épuise à crier et vous restez assis là comme des oiseaux en train de pondre. Sauvez-vous ! Tremblement de terre ! Un grand tremblement de terre arrive !

Ils étaient tous debout maintenant, posant des questions. La voix de Rhes domina.

— Il nous reste combien de temps ?

— Du temps ? Qu’en savons-nous ? Sortez ou vous êtes morts, c’est tout ce que je sais.

Plus personne ne discuta. En moins d’une minute, Jason se retrouva sur le dos d’un dorym.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il à l’homme qui fixait sa civière.

— Un séisme se prépare, répondit-il en s’activant. Hananas sait toujours lorsqu’un tremblement de terre doit se produire. Nous nous enfuyons dès qu’il nous prévient. Il sent toujours ces choses-là à l’avance.

La nuit tomba lorsqu’ils se mirent en route, et un grondement sourd secoua le sol sous leurs pieds, encore lointain. Les doryms adoptèrent une sorte de galop sans y être invités. Lorsque le ciel explosa quelque temps plus tard vers le sud, Jason devina pourquoi. Des flammes illuminèrent la scène et de gros morceaux de rocher firent jaillir de la vapeur en retombant dans les marais.

Une grande forme sombre se faufila le long de leur caravane et lorsqu’ils traversèrent une clairière, Jason regarda attentivement.

— Rhes…, dit-il d’une voix étranglée, en pointant un doigt.

Rhes regarda la grosse bête au corps velu et aux cornes tordues, puis détourna son regard. Il ne semblait pas effrayé.

Jason regarda autour de lui et comprit. Aucun des animaux en fuite ne faisait de bruit mais, de part et d’autre de leur colonne, des formes couraient parmi les arbres. Des volatiles géants les survolaient. Toutes les autres batailles étaient oubliées sous la grande menace du volcan. La vie respectait la vie. De petits animaux s’accrochaient de temps en temps sur le dos des plus gros afin de se reposer avant de sauter de nouveau à terre.

Secoué sans pitié dans sa litière, Jason s’assoupit. Mais, les yeux ouverts ou fermés, il voyait toujours la même cavalcade sans fin d’animaux sauvages.

Tout cela devait avoir une signification et il luttait pour la découvrir. Soudain il se releva sur sa couche, pleinement éveillé et le regard lucide.

— Qu’y a-t-il ? demanda Rhes en s’approchant de son dorym.

— Continuons, répondit Jason. Mettons-nous à l’abri. Je sais comment votre peuple peut obtenir ce qu’il veut et comment mettre un terme à cette guerre. Il y a un moyen et je le connais maintenant.

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