Jared crut d’abord qu’il recevait des impressions tactiles et sonores venant de Leah. Il entendait de nombreuses voix, rendues indistinctes par l’éloignement, et il était certain qu’elles lui parvenaient par l’intermédiaire de la conscience de Leah. Les impulsions vocales, passant par la « fenêtre », venaient s’éteindre à l’intérieur après avoir rebondi contre des parois carrées.
C’était, sans aucun doute, l’impression d’ensemble de la cabane dans laquelle on retenait Leah prisonnière. Mais, cette fois, les sensations étaient bien plus nettes. Il sentait presque les courroies qui liaient les bras de Leah au « lit » entrer dans sa chair en dessous des coudes.
— Leah ? demanda-t-il en lui-même.
Mais il n’y eut pas de réponse.
Puis il réalisa que ses perceptions n’étaient pas de seconde main. C’était lui qui était emprisonné dans la cabane ! Il ne s’en était pas rendu compte plus tôt, sans doute parce qu’il était encore sous l’effet du zip-hss qui l’avait privé de l’usage de ses sens.
Il écouta attentivement et parvint à la conclusion qu’il n’y avait personne d’autre – homme ou monstre – avec lui. Prudemment, il tendit l’oreille vers la fenêtre et entendit le froissement du lourd rideau qui la fermait. Un léger vent l’entrouvrait parfois, et les voix devenaient plus fortes, bien qu’incompréhensibles.
Un courant d’air souleva le rideau, démasquant partiellement l’ouverture, et il reçut l’impression sonore d’une paroi rocheuse qui s’élevait à des hauteurs incalculables. Il était certain de l’avoir déjà entendue et fouilla dans sa mémoire pour retrouver l’association exacte.
Bien sûr ! C’était le mur au pied duquel Mogan et lui étaient entrés dans la Radiation. Avant que le rideau ne retombe, il entendit aussi la cavité béante qui indiquait l’entrée du passage.
Il n’y avait plus aucun doute. Il se trouvait quelque part dans la terrifiante étendue de la Radiation. Il ouvrit les yeux et tressaillit devant l’assaut des impressions. Pourtant, la sensation était moins violente qu’il ne s’y attendait. Il supposa que sa relative douceur était due aux murs de la cabane qui empêchaient la plus grande partie de la lumière de pénétrer.
Il tourna la tête vers la fenêtre, mais la détourna aussitôt. Pendant la fraction de battement de cœur où il avait tenu les yeux ouverts, il avait reçu une impression terrifiante. C’était comme si une parcelle d’Hydrogène s’était introduite par une fente du rideau et s’était jetée sur la relative Obscurité du plancher, formant une ligne longue et étroite !
Plusieurs battements de cœur plus tard, il se força à ouvrir les yeux et essaya de se débarrasser de ses liens. Ses avant-bras, pourtant libres, s’agitaient en vain. Il était impuissant contre les effets secondaires du zip-hss.
Peu après, il étouffa un cri de peur et referma ses paupières tremblantes. Il venait de recevoir une impression horrible, menaçante, à quelques doigts de son visage ! C’était un objet bulbeux, muni de cinq protubérances courbes, qui lui rappela vaguement l’impression sonore d’une…
Mais non, ce n’était pas possible ! Et pourtant…
Il ouvrit les yeux et, à titre d’expérience, remua l’index de sa main gauche. L’une des protubérances de l’objet bulbeux bougea aussi. Rassuré, il baissa la main. Son étonnement était sans bornes ; les légendes disaient que la Lumière créerait des impressions incroyablement précises de toutes les choses, mais aucune des croyances n’avait jamais fait la moindre allusion au fait qu’un survivant pourrait recevoir de telles impressions de son propre corps !
Il leva de nouveau la main là où il pouvait la voir et étudia les impressions. Elles étaient d’une perfection incroyable ! Il reconnut toutes les lignes de la paume et le moindre poil sur le dos de sa main !
Il se refusa énergiquement à croire ce qu’il vit ensuite : sa main s’était soudain divisée en deux, comme si la main originelle avait donné naissance à une autre main toute semblable ! Les deux mains se réunirent, pour se séparer de nouveau, plus distinctes que jamais !
Il ressentait une pression inégale sur les muscles qui faisaient mouvoir ses yeux – une tension qui s’exerçait également sur les ailes de son nez chaque fois que la main se divisait, et qui s’atténuait lorsque les deux parties se rejoignaient. Il découvrit qu’il pouvait éviter, au prix d’une grande attention, l’impression troublante et certainement fausse de posséder deux mains gauches, alors que tous ses autres sens lui affirmaient qu’il n’en avait qu’une.
Des voix toutes proches de la cabane mirent Jared en alerte, il eut le temps de feindre le sommeil avant que la porte ne s’ouvre. Il entendit deux de ses geôliers entrer ; il se garda bien de tout mouvement lorsqu’il les sentit approcher du lit. Il percevait aussi que leurs voix étaient tamisées par des masques de tissu.
— C’est le nouveau ?
— Le dernier, oui. Au fait, pour autant que nous sachions, c’est lui qui a boxé Hawkins pour enlever cette jeune fille sensible à l’infrarouge.
— Ah ! Celui-là ! Fenton… Jared Fenton. Il y a longtemps que son vieux père attend ce jour !
— Tu veux que j’aille dire à Evan qu’il est ici ?
— Impossible ; il a été transféré pour un cours de reconditionnement avancé.
Jared espéra qu’ils n’avaient pas remarqué son mouvement involontaire lorsqu’ils avaient parlé de son père. Son seul espoir d’échapper à la torture, au moins pour un moment, était de leur faire croire qu’il était endormi.
— Alors, Thorndyke, dit le plus proche des deux, on y va ?
Jared tressaillit de nouveau en apprenant que Thorndyke en personne était là.
— Il a eu les premières injections ? demanda ce dernier.
— Toutes.
— Bon, nous devrions pouvoir enlever ça sans risquer une nouvelle épidémie de grippe.
Jared les entendit retirer leurs masques. Puis, inattendue, une main toucha son épaule.
— Bien, Fenton, dit Thorndyke, je vais vous frapper entre les yeux avec une substance à laquelle vous ne comprendrez rien… au début. Peu à peu, vous vous habituerez.
Devant le silence de Jared, l’autre demanda :
— Croyez-vous qu’il est toujours inconscient ?
— Certainement pas. Tous ceux qui ne s’agitent pas en hurlant font semblant de dormir. Allons, Fenton ! D’après ce que je sais, vous avez une plus grande expérience de la lumière que nul autre. Vous devriez progresser à pas de géant !
Peut-être était-ce la douceur calculée de la voix, ou bien Jared, sans bien s’en rendre compte, en avait-il assez de tenir les yeux fermés. En tout cas, au battement de cœur suivant, la lumière entrait à flots dans sa conscience, liée à toute une série d’impressions.
— C’est mieux ! dit Thorndyke avec un soupir de soulagement. Maintenant, nous avançons !
Mais Jared referma les paupières pour écarter les sensations troublantes. Il préféra les comparer dans sa mémoire avec les impulsions sonores qu’il recevait.
Thorndyke était un homme – il hésita un instant à lui donner ce titre plutôt que celui de monstre – de haute taille, avec un visage dont l’ossature solide suggérait vigueur et détermination. Ses traits contrastaient fortement avec un menton complètement lisse, d’aspect féminin.
Un tissu lâche formait tout autour de son corps des plis qui bougeaient à chaque mouvement, rendant la perception de l’ensemble assez confuse. Mais, se dit Jared, pour des êtres qui vivaient dans la vaste étendue et dans la chaleur de cet infini, des vêtements collant au corps seraient à la fois désagréables et peu pratiques.
— Allez ouvrir ce rideau, Caseman, dit Thorndyke, et donnez-nous un peu plus de lumière !
— Êtes-vous sûr qu’il est prêt pour ça ? demanda Caseman tout en se dirigeant vers la fenêtre.
— Je le pense. Il se comporte presque aussi bien qu’un Ziveur. Il a sans doute eu plus de contacts avec la lumière que nous ne le supposons.
La vague de peur submergea Jared lorsqu’il entendit s’ouvrir le rideau et perçut le violent assaut de la lumière contre ses paupières fermées.
Thorndyke posa la main sur son épaule.
— Du calme, Fenton. Rien ne vous fera de mal.
Ce n’étaient, bien sûr, que des paroles trompeuses destinées à adoucir sa méfiance. Ils voulaient lui donner un faux sentiment de sécurité puis, lorsque la torture anéantirait son espoir, leur amusement serait complet.
Il ouvrit les yeux ; il put à peine faire face à la lumière furieuse qui se déversait à flots par la fenêtre. Il les referma non seulement parce qu’il avait peur de la lumière, mais parce qu’il avait vu deux Thorndyke l’un à côté de l’autre ! Il en tremblait.
Thorndyke se mit à rire.
— Le manque de coordination entre les deux yeux rend les choses plutôt confuses, n’est-ce pas ? Vous apprendrez peu à peu les petits secrets de la focalisation.
Il prit un petit banc cloisonné et vint s’asseoir à côté du lit.
— Une petite mise au point, maintenant. Une partie de ce que je vais vous dire vous passera complètement par-dessus la tête ; le reste vous paraîtra illogique. Essayez d’y croire si vous le pouvez ; peu à peu, cela s’éclaircira. Primo : ceci n’est pas la Radiation. Nous ne sommes pas des démons. Vous n’êtes pas mort et sur le chemin du Paradis. Dans le ciel, dehors, il y a le soleil. C’est très impressionnant, mais ce n’est pas Hydrogène en personne !
— Ni Lumière Toute-Puissante, d’ailleurs, ajouta Caseman.
— Non, Fenton, affirma Thorndyke, contrairement à ce que vous croyez maintenant, vous penserez peut-être un jour à ce monde extérieur comme si c’était le Paradis.
— D’ailleurs, dit Caseman, vous apprendrez à avoir une nouvelle conception du Paradis : toujours inaccessible dans ce monde matériel, toujours dans l’au-delà, dans l’infini, mais dans un autre infini. Ce qui nous mène au fait qu’il faudra que vous échangiez vos anciennes croyances contre des nouvelles.
Il y eut un moment de silence pendant lequel Jared faillit perdre patience. Puis Thorndyke lui demanda :
— Vous êtes toujours avec nous ? Vous voulez dire quelque chose ?
— Je veux retourner au Niveau Inférieur, répondit-il sans ouvrir les yeux.
— Vous voyez ! dit Caseman en riant. Il parle !
— C’est bien ce que je pensais, fit Thorndyke avec lassitude. Mais c’est impossible. Dites-moi, que penseriez-vous de cette proposition : aimeriez-vous… hum… entendre… comment s’appelle la fille déjà ?
— Della, précisa Caseman.
Jared essaya de se lever malgré ses liens.
— Que lui faites-vous ? Est-ce que je peux la… voir ?
— Dites donc ! Celui-là sait même ce qu’il fait avec ses yeux ! Caseman, comment va cette jeune fille ? Comment se débrouille-t-elle ?
— Elle progresse vite, comme la plupart des Ziveurs, puisqu’ils n’ignorent pas totalement ce que c’est que de voir. Bien sûr, elle ne sait pas très bien de quoi il retourne, mais elle prend les choses comme elles viennent avec sagesse.
Thorndyke se tapa sur la cuisse.
— D’accord, Fenton ; vous verrez la fille demain… à la prochaine période.
C’était sans doute cela, le début de la torture. On lui faisait espérer quelque chose, puis on le soumettait au supplice de Tantale en le maintenant toujours hors de portée.
— Voilà pour le préambule, reprit enfin Thorndyke. Maintenant, nous allons vous donner une quantité de faits que vous pourrez retourner dans votre esprit en attendant qu’ils commencent à avoir un sens pour vous :
« Les deux Niveaux, ainsi que le groupe des Ziveurs, sont des descendants du Complexe de Survie U. S. n° 11. Imaginez un monde entier – pas de l’espèce que vous connaissez, mais un monde beaucoup, beaucoup plus grand – dans lequel vivent à l’étroit des milliards – vous savez ce que c’est, un milliard ? – de gens. Ils sont divisés en deux camps, prêts à se jeter les uns sur les autres avec des armes meurtrières au-delà de toute imagination. Le simple fait de les utiliser peut… hum… empoisonner l’air pendant des générations.
Thorndyke fit une pause et Jared eut l’impression qu’il avait dû raconter cette histoire des centaines de fois.
— Cette guerre est déclenchée, continua-t-il, mais heureusement, pas avant que les préparatifs pour la survie de quelques groupes – dix-sept, pour être exact – ne soient achevés. On a installé des… sanctuaires souterrains, fermés hermétiquement pour échapper à l’atmosphère empoisonnée.
— D’ailleurs, ajouta Caseman, c’était déjà une réussite remarquable que de pouvoir assurer la survie de quelques poignées d’hommes. Cela aurait été impossible sans l’usage de la force nucléaire et la découverte d’un type de vie végétale pouvant fonctionner par thermosynthèse au lieu de photo…
Le flot des paroles de Caseman s’arrêta net, comme s’il avait senti que son auditeur était incapable de le suivre.
— Vos « plants de manne », expliqua sèchement Thorndyke. En tout état de cause, ces complexes de survie étaient prêts ; la guerre fut déclenchée, et les quelques élus quittèrent leur… Paradis, si l’on peut dire. Tout l’équipement fonctionna comme prévu ; les connaissances et les institutions furent préservées, et la vie continua pour des gens qui savaient où ils étaient et pourquoi ils y étaient. Des générations plus tard, lorsque l’air extérieur se fut assaini, les descendants des survivants primitifs jugèrent qu’ils pouvaient regagner le monde extérieur sans danger.
— Sauf dans le Complexe n° 11, corrigea Caseman. Là, les choses se passèrent moins simplement.
— En effet ! admit Thorndyke. Mais revenons à nos moutons. D’après ce que j’ai entendu dire, Fenton, vous êtes un non-croyant. Vous n’avez jamais accepté que la lumière soit Dieu. Vous devez d’ailleurs avoir maintenant une idée à peu près correcte de ce qu’elle est, bien que vous soyez têtu comme un âne dès qu’il s’agit d’ouvrir les yeux.
« En tout cas, voici les faits : la lumière est une chose aussi naturelle que, disons, le bruit d’une chute d’eau. Dans sa forme première, elle provient en abondance de ce que vous jurez être « Hydrogène lui-même ». Comme vous avez dû le remarquer, nous savons aussi la produire artificiellement. Chaque complexe de survie avait un ensemble autonome pour produire de la lumière artificielle, et ils ont fonctionné jusqu’au moment où les survivants ont pu regagner l’extérieur.
Se penchant au-dessus du lit, Caseman interrompit Thorndyke.
— Sauf dans le vôtre. Au bout de quelques générations, vous avez oublié comment faire fonctionner ces ensembles, au cas où il arriverait quelque chose. Et quelque chose est arrivé…
— Il y avait un vice de construction mineur, résuma Thorndyke, et, ma foi, les lumières s’éteignirent. En même temps, la plupart des conduites d’eau surchauffées qui alimentaient votre centrale explosèrent. Les habitants durent émigrer plus avant dans le complexe, pour aller occuper d’autres salles qui étaient partiellement préparées pour recevoir un éventuel surcroît de population.
Jared commençait vaguement à se représenter de façon plus ou moins cohérente ce qu’ils voulaient lui faire croire. Le peu qu’il parvenait à comprendre était si incroyable que sa logique se révoltait. Par exemple, quel sens attribuer à un infini entièrement peuplé de milliards d’individus hostiles ? Leurs voix semblaient pourtant exemptes de toute menace. En fait, leurs mots, quoique pour la plupart dénués de sens, avaient une vertu apaisante.
Non ! C’était justement la réaction qu’ils espéraient de lui ! Ils essayaient de gagner sa confiance avec leurs stratagèmes. Mais quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils disent, il était décidé à ne pas abandonner sa résolution de s’évader, de trouver Della et de fuir la Radiation avec elle.
Il ouvrit les yeux, mais ne s’attarda qu’un instant sur l’impression de Thorndyke. À côté de cette impression centrale, il pouvait voir la fenêtre, dont les rideaux étaient tirés sur le côté. Au-delà s’élevait l’immense mur de pierre avec le trou obscur qui indiquait l’entrée du passage.
Son intérêt s’accrut lorsque les impressions de la lumière atteignirent une netteté encore plus grande. Au loin, il y avait des dizaines de silhouettes qui bougeaient – des silhouettes qui, il en était sûr, étaient ou des survivants ou des monstres ; mais ils n’étaient pas plus grands que son petit doigt ! Et il remarquait aussi, maintenant, que l’ouverture du passage qui menait à son monde était de la taille d’un de ses ongles !
Caseman dut percevoir une impression de son visage tordu par l’épouvante, car il s’exclama :
— Thorndyke ! Qu’est-ce qu’il a ?
L’autre se contenta de rire.
— Ses premières expériences avec les perceptions visuelles. N’ayez pas peur, Fenton. Vous vous habituerez à voir les objets rapetisser quand ils s’éloignent. Après tout, les voix proches sont plus fortes que celles qui viennent de loin, n’est-ce pas ?
— Il voit rudement bien pour un débutant, remarqua Caseman.
— Je dirais qu’il a pas mal d’avance sur les autres. Ce n’est sans doute pas la première fois qu’il met le nez dehors. N’est-ce pas, Fenton ?
Mais Jared ne répondit pas. Les yeux clos, il se lamentait, car les horreurs de l’infini étaient encore bien pires que tout ce à quoi il s’était attendu. Il devait regagner ses mondes !
Thorndyke interrompit ses pensées angoissées.
— À propos du Complexe n° 11… quand ses habitants quittèrent leur camp de base, ils y abandonnèrent toutes leurs connaissances ainsi que leur raison. Nous nous en sommes aperçus dès notre première incursion dans vos « passages ». Au fait, nous sommes les membres d’une expédition du Complexe de Survie n° 7, nous avons quitté nos abris il y a presque une génération. Comme je le disais, nous sommes tombés dans un de vos couloirs sur un survivant isolé. Après nous être cassé la tête jusqu’à en devenir à moitié cinglés, nous avons fini par deviner ce qui se passait.
— C’était un habitant du Niveau Supérieur, dit Caseman. Il a bien fallu deux semaines pour faire pénétrer un peu de raison dans son crâne. Nous nous sommes alors rendu compte que, pour vous faire sortir au soleil, il ne suffisait pas d’arriver en disant : « Bonjour, nous voilà ! Ça, c’est la lumière. Allons, venez avec nous. »
— En effet ! confirma Thorndyke. Il a fallu procéder lentement jusqu’à ce que nous ayons étudié la situation à fond. Nous avons mis la main sur des survivants isolés, en attendant d’avoir une idée du tableau d’ensemble. Nous ne pouvions pas pénétrer en masse avant de connaître tous les recoins et fissures où vous seriez allés vous cacher si nous vous avions chassés de vos habitations.
Comme ce récit ne semblait pas entièrement dénué de sens, Jared se força à s’allonger et à écouter.
Thorndyke se leva et eut un rire bref.
— Nous avions l’intention d’éduquer quelques survivants ; nous voulions vous les envoyer, sans lumière, pour qu’ils vous fassent part des nouvelles en douceur.
— Mais cela n’a pas marché, révéla Caseman. Dès qu’un de vos amis a appris à se servir de ses yeux, il découvre qu’il ne peut plus aller dans l’obscurité sans lumière. La plupart ont même peur de retourner en bas !
Thorndyke se frotta les mains.
— Je crois que cela suffit pour aujourd’hui, Fenton. Pensez à ce que nous avons dit. Je suppose que vous aurez des questions à nous poser la prochaine fois. Pour aider à y répondre, nous amènerons plusieurs personnes que vous connaissez et en qui vous avez confiance.
Jared ouvrit les yeux juste à temps pour les voir sortir. Il remarqua avec consternation que, du moins en ce qui concernait cette histoire de perspective, ils avaient dit vrai : plus ils s’éloignaient, plus ils devenaient petits.
Après s’être débattu en vain contre ses liens, il se détendit pour reprendre des forces et tourna la tête de l’autre côté. Instantanément, un flot de lumière intense pénétra dans ses yeux et lui arracha un cri de douleur et d’épouvante. Rugissant dans sa direction d’un des coins de la fenêtre, il y avait un bord de ce grand disque qui, selon Thorndyke, n’était pas Hydrogène ! Se dirigeait-il vers la cabane, essayait-il de l’atteindre ?
Avec la force du désespoir, il essaya encore une fois de se libérer. Les lanières cédèrent, juste au moment où la chaleur de ce… « soleil », avait dit Thorndyke, devenait de plus en plus vive sur son dos.
Il courut vers la porte et s’escrima sans résultat contre le rideau solide jusqu’à se briser les ongles. Après une courte hésitation, il traversa la pièce en courant et sauta par la fenêtre.
Il atterrit sur ses pieds et vit que le soleil n’était pas aussi près qu’il l’avait craint. Mais il y avait d’autres complications. Les impressions qui pénétraient ses yeux lui indiquèrent que sa cabane faisait partie d’une rangée d’habitations toutes semblables. Seulement, chacune était un peu plus petite que la précédente, jusqu’à la dernière qui n’était pas plus grande que sa main !
De plus, tous ces gens qu’il avait vus et entendus au loin s’étaient mis à crier et couraient vers lui. Et, bien qu’ils fussent plus petits que son index, ils grandissaient en approchant !
Déconcerté, il se mit à gravir en courant le grand remblai de terre qui entourait l’entrée du passage.
— Un survivant en fuite ! Un survivant en fuite ! criait-on derrière lui.
Il culbuta sur un obstacle qu’il n’avait pas entendu et se releva avec peine, complètement étourdi. La chaleur de la grande chose nommée « soleil » tapait sans pitié sur ses épaules et sur son dos nus pendant qu’il gravissait la pente. Il s’approchait de plus en plus de l’ouverture du passage.
Le trou obscur et béant se divisa en deux parties qui s’écartèrent de plus en plus ; à force d’attention il finit par contrôler les muscles de son visage ; les deux ouvertures se réunirent de nouveau. Hors d’haleine, il l’atteignit enfin.
Mais il ne pouvait pas y entrer !
L’obscurité était trop épaisse, trop menaçante.
Peut-être une fauve-souris l’attendait-elle au premier tournant ? Ou pouvait-il tomber dans un puits insondable qu’il ne pourrait ni voir ni entendre ?
Ses poursuivants étaient maintenant tout près de lui. Impulsivement, il se mit à courir le long de l’immense paroi rocheuse. Il tomba à plusieurs reprises et, à un moment, il dévala une pente assez raide ; il se retrouva au milieu d’une épaisse végétation de plantes de petite taille, rêches au toucher.
Il se fraya un chemin à travers les plantes et continua, courant la moitié du temps les yeux fermés, se heurtant contre les larges troncs des plantes du Paradis qui se trouvaient sur son chemin. Heureusement, les voix de ceux qui le poursuivaient devenaient de plus en plus lointaines, et la chaleur d’Hydrogène était de moins en moins forte sur ses bras et sur sa poitrine.
Il courut, puis s’arrêta pour reprendre son souffle et courut, encore et encore, jusqu’à ce qu’il s’écroule à terre et se mette à rouler à travers d’autres plantes incroyablement fines qui couvraient entièrement le sol. Il se releva et s’enfonça encore plus dans l’épaisse végétation puis s’allongea, épuisé, le visage contre la terre humide.