VIII

Lorsque Maxwell revint avec son sac, Oop était assis devant la cheminée en train de se couper les ongles des orteils avec un grand couteau.

— Balance-le là, lui dit Oop en lui indiquant le lit avec la pointe de son couteau. Et viens t’asseoir. Je viens de remettre des bûches. J’ai une jarre à moitié pleine et il m’en reste encore deux dans la trappe.

— Où est Fantôme ? demanda Maxwell.

— Oh, il a disparu. Je ne sais pas où il est parti. Il ne le dit jamais. Mais il va revenir. Il n’est jamais parti très longtemps.

Maxwell posa son sac sur le lit et s’assit devant le feu, adossé aux pierres brutes.

— Ton numéro a été plutôt meilleur que d’habitude, dit-il. Qu’est-ce qui t’a pris ?

— Ce sont ses grands yeux, dit Oop en souriant, ils n’attendaient qu’une chose, qu’on veuille bien les choquer. Je suis désolé, Pete, je ne pouvais pas m’en empêcher.

— Tous ces discours sur les cannibales et sur le vomi, c’était vraiment moche.

— Je me suis laissé entraîner. J’ai fait ce qu’on attend d’un homme de Néanderthal.

— La fille n’est pas idiote, dit Maxwell. Elle a placé son histoire d’Artifact d’une façon magistrale.

— Placé ?

— Bien sûr. Tu ne l’as pas crue quand elle a dit que cela lui avait échappé ?

— Je n’y avais pas pensé. Mais pourquoi l’aurait-elle fait ?

— Je suppose qu’elle ne veut pas que la vente se fasse. Elle a pensé qu’en en parlant à un grand bavard de ton genre, tout le campus serait au courant avant demain midi. Elle a supposé que les bavardages empêcheraient l’affaire de se réaliser.

— Mais, Pete, tu sais bien que je ne suis pas bavard !

— Je le sais. Mais ce soir, tu as agi comme si tu l’étais.

Oop referma son couteau et le glissa dans sa poche. Il tendit la jarre à moitié vide à Maxwell. Celui-ci la porta à la bouche et il but. Le liquide brûlant descendit comme un trait de feu le long de sa gorge et il s’étouffa. Il aurait aimé pouvoir en boire une fois seulement sans s’étouffer. Il reposa la jarre et légèrement tremblant, il essaya de reprendre son souffle.

— C’est fort, dit Oop. C’est ma meilleure production depuis un moment. Tu as vu cette pureté ?

Maxwell, incapable de parler, hocha la tête.

Oop allongea le bras vers la jarre. Il la souleva et il en but au moins deux doigts. Il la baissa et la serra avec amour contre sa poitrine velue. Il relâcha sa respiration d’un coup et son souffle fit danser les flammes dans la cheminée. Il tapota la jarre de la main :

— Qualité supérieure, dit-il.

Il s’essuya la bouche du dos de la main et resta à contempler le feu.

— Évidemment, toi, elle ne risquait pas de te prendre pour un bavard. J’ai remarqué que tu as fait des prouesses ce soir. Toutes autour de la vérité.

— Peut-être parce que je ne la connais pas tout à fait moi-même. Es-tu prêt à m’écouter ?

— Quand tu veux, dit Oop. Tu n’es pas obligé de me raconter. Si c’est au nom de notre amitié, tu sais que même si tu ne me dis rien, nous serons toujours amis. Nous n’avons même pas besoin d’en parler. Nous pouvons parler de bien d’autres choses.

Maxwell secoua la tête :

— Il faut que je te raconte, Oop. Je dois me confier à quelqu’un et tu es le seul à qui je puisse le faire. C’est trop lourd pour moi tout seul.

Oop lui tendit la jarre :

— Prends-en encore une lampée et vas-y. Ce que je ne puis croire, c’est que ce soit une erreur des Transports. Il y a autre chose.

— Tu as raison. Il y a quelque part là-haut une planète. Assez proche, je crois. Elle est autonome, elle n’est attachée à aucun soleil mais je suis sûr que si elle le voulait, elle pourrait s’insérer dans n’importe quel système solaire.

— Ce serait quelque chose ! s’exclama Oop. Cela chamboulerait les orbites de toutes les autres planètes.

— Pas forcément. Son orbite pourrait être à un autre niveau que les autres. Ceci supprimerait toutes les conséquences de son insertion.

Il souleva la jarre, ferma les yeux et but une grande gorgée. Le haut de son crâne éclata et son estomac se révulsa. Il la baissa et s’appuya contre la pierre rugueuse. Le vent soufflait dans la cheminée, son mélancolique que les murs de planches maintenaient au-dehors.

Une bûche tomba dans le foyer et une gerbe d’étincelles vola. Les flammes dansaient haut et des ombres mouvantes se poursuivaient autour de la pièce.

Oop prit la jarre des mains de Maxwell mais il attendit pour boire. Il la garda, blottie sur ses genoux.

— Alors, demanda-t-il, cette planète a capté ta fréquence et l’a copiée ? Et il y a eu deux toi ?

— Comment le sais-tu ?

— Simple déduction. C’est le système le plus logique. Je sais qu’il y a eu deux Peter Maxwell. J’ai parlé à l’autre, celui qui est revenu avant toi. Il était toi, autant que tu l’es. Il était revenu en avance parce qu’il n’y avait pas de dragon, que toute cette histoire de Coonskin avait été un attrape-nigaud.

— C’est cela. Je me demandais pourquoi il était revenu si tôt.

— Je ne sais pas si je dois me réjouir ou me lamenter. Peut-être moitié-moitié, et m’émerveiller aussi un peu des méandres de la nature humaine. L’autre type, c’était toi. Maintenant il est mort et j’ai perdu un ami, car c’était un homme, avec une personnalité et tout cela a été emporté dans la mort. Mais maintenant tu es là et j’ai retrouvé mon ami, car tu es autant Peter Maxwell qu’il l’était.

— On m’a parlé d’un accident.

— Je ne sais pas, dit Oop. J’y ai beaucoup pensé. Depuis que tu es revenu, je ne sais plus. Il descendait de la chaussée roulante, il a trébuché, il est tombé et a heurté de la tête…

— On ne trébuche pas en descendant de la chaussée. À moins d’être ivre, infirme ou anormal. La ceinture extérieure avance à peine à la vitesse d’un escargot.

— Je sais, dit Oop. La police a pensé la même chose mais il n’y avait pas d’autre explication possible et tu sais que la police a besoin d’une explication pour fermer un dossier. L’endroit était isolé, à mi-chemin entre ici et la réserve des Lutins. Personne n’a rien vu. Cela a dû se produire à une heure où il n’y avait à peu près aucun voyageur. On a découvert le corps vers dix heures du matin, il y avait des voyageurs depuis six heures mais ils étaient sûrement sur les ceintures rapides. Ils ne pouvaient pas voir grand-chose. Le corps aurait pu rester longtemps sans être découvert.

— Tu crois que ce n’était pas un accident ? Crois-tu que cela pourrait être un meurtre ?

— Je ne sais pas. J’y ai songé. Il y a quelque chose de bizarre, qui n’a pu être expliqué ; il flottait autour du cadavre et dans le voisinage une drôle d’odeur, qui ne ressemblait à rien de connu. Peut-être que quelqu’un avait découvert qu’il y avait deux toi et que pour une raison ou une autre cela ne lui convenait pas.

— Mais qui pouvait le savoir ?

— Les habitants de l’autre planète, s’il y en avait.

— Il y en avait, dit Maxwell. C’était un endroit vraiment bizarre…

Tout lui revint à l’esprit, presque comme s’il y était.

Une grande étendue de cristal. Du moins, c’est ainsi qu’il l’avait vue de prime abord. Une immense plaine de cristal qui s’étendait à perte de vue, et puis un ciel de cristal, soutenu semblait-il par des piliers de cristal eux aussi. Une étendue vide qui faisait penser à une salle de bal désertée, polie et astiquée pour le bal, attendant toujours danseurs et musiciens qui ne viendraient jamais. Une salle vide pour l’éternité, luisante, propre et gracieuse.

Une salle de bal, sans murs, sans horizon, limitée par la réunion du ciel de verre laiteux et du sol de cristal.

Il était resté abasourdi devant cette immensité. Pourtant le ciel n’était pas illimité, loin de là, et les distances n’étaient pas grandes. C’était une immensité mesurée à la façon d’une pièce dans la maison d’un géant, d’où on chercherait à sortir, sans pouvoir trouver la porte. C’était un endroit sans rien de caractéristique ; chaque pilier identique au voisin, chaque kilomètre, chaque centimètre semblable au précédent, sans aucun nuage dans le ciel (s’il s’agissait de ciel). Le sol était recouvert d’un dallage de cristal, quelle que soit la direction dans laquelle il regardât.

Il aurait voulu crier, appeler, mais il avait peur, peut-être – et ceci, il ne le réalisa que plus tard – qu’un seul son anéantisse toute cette splendeur glaciale. Tout était silencieux, sans le moindre chuchotement, le moindre frémissement. Splendeur nacrée et muette, perdue dans sa solitude.

Lentement, avec précaution, de peur que son pas ne transformât tout en poussière, il se retourna et il saisit non pas un mouvement mais une impression de mouvement, comme si quelqu’un s’était échappé si vite que son regard n’avait pu l’attraper. Il s’arrêta, et il sentit ses cheveux se hérisser. Plutôt qu’un réel danger, il pressentait quelque chose d’étrange, tellement étranger à l’homme que rien qu’à le regarder, on pourrait perdre la raison.

Rien. De nouveau il bougea, il pivota précautionneusement, centimètre par centimètre et il s’aperçut qu’il avait jusque-là tourné le dos à un instrument, une sorte de machine.

Et tout à coup, il comprit. Il comprit que c’était cette machine qui l’avait attiré sur la planète, qu’elle était, dans ce monde étrange l’équivalent d’un ¿émetteur-récepteur.

Mais il n’était pas dans le système Coonskin. Il était sur une planète dont il n’avait jamais entendu parler. Nulle part dans l’univers exploré, n’existait un endroit comme celui-ci. Quelque chose s’était produit qui l’avait précipité, non vers la planète Coonskin mais en un recoin de l’Univers où l’homme ne pénétrerait peut-être pas avant un million d’années, si éloigné de la Terre qu’il était impossible d’imaginer la distance.

De nouveau, il saisit des mouvements furtifs. On aurait dit des ombres vivantes qui se déplaçaient. Pendant qu’il regardait avec attention, ces mouvements prirent forme et il put voir des formes mobiles, bien individualisées et qui, malgré leur fragilité semblaient posséder chacune une personnalité. Comme si elles avaient eu un jour une existence propre, un peu, pensa-t-il avec horreur, comme des fantômes extra-terrestres.

— Ces ombres, je les ai acceptées, dit-il à Oop. Je les ai acceptées sans doute parce que j’y ai cru. Ou bien je les acceptais, ou bien je les rejetais et je me retrouvais seul sur cette étendue de cristal. Il y a cent ans, on les aurait rejetées, on aurait cru à une invention de l’esprit. Mais moi, j’avais passé trop de temps avec Fantôme pour que cela me fasse rire. J’avais travaillé trop longtemps aux Phénomènes Surnaturels pour être frappé par des circonstances et des créatures échappant aux données habituelles.

Et le plus étrange et en même temps réconfortant c’est qu’elles ont senti que je les acceptais.

Oop demanda :

— Tu veux dire que c’est une planète entièrement peuplée de fantômes ?

Maxwell acquiesça :

— C’est une façon de voir les choses. Mais laisse-moi te poser une question. Qu’est-ce qu’un fantôme ?

— Un spectre, un esprit.

— Mais qu’entends-tu par spectre ? Donne-moi la définition d’un esprit.

— Tu as raison, admit Oop avec regret. J’ai voulu plaisanter et je n’ai pas d’excuse. On ne sait pas ce qu’est un fantôme, même Fantôme ne le sait pas exactement. Il sait seulement qu’il existe. Il s’est souvent creusé la tête, il a parlé avec des copains fantômes. Et il n’a rien découvert. On retombe dans le surnaturel…

— Auquel on ne comprend rien.

— Il s’agit peut-être d’une sorte de mutation.

— C’est ce que pensait Collins, dit Maxwell, mais il était le seul. Je n’étais pas d’accord avec lui, mais c’était avant d’avoir été sur la planète de cristal, maintenant, je ne sais plus. Que se passe-t-il lorsqu’une race arrive à sa fin ? Lorsqu’elle a vécu son enfance, son adolescence et qu’elle a atteint l’âge mûr ? Que devient-elle ? Bien sûr, on s’attend à ce qu’elle disparaisse mais, supposons que, pour une raison quelconque, elle ne puisse le faire ? Supposons qu’une raison majeure la force à survivre ?

— S’il s’agit vraiment d’une mutation, dit Oop, si on était sûr et si on savait la contrôler…

Il s’interrompit et regarda Maxwell :

— Tu crois que c’est cela ?

— C’est possible, dit Maxwell. Je commence vraiment à le croire.

Oop saisit la jarre :

— Bois un peu, cela te fera du bien. Après, passe-la moi.

Maxwell prit la jarre et la garda entre les mains. Oop alla au tas de bois, où il prit une bûche qu’il jeta dans le feu. Une gerbe d’étincelles jaillit dans la cheminée. Dehors, le vent geignait contre le toit.

Maxwell souleva la jarre et il but. Il sentit une coulée de lave lui descendre dans la gorge. Il s’étrangla. Si seulement il pouvait boire de cet alcool une seule fois sans s’étrangler ! Il tendit la jarre à Oop qui la souleva et la reposa sans avoir bu. Il regarda Maxwell bien en face :

— Tu as parlé d’une raison majeure qui les empêcherait de mourir, les obligerait à rester en vie par tous les moyens…

— Oui, dit Maxwell. La science. Une planète pleine de science. Une masse considérable de science. Tout le savoir humain ne correspond pas même à un dixième de cette richesse. Tout le reste est entièrement nouveau, inconnu. Des connaissances dont nous n’avons jamais rêvé. Une science que nous mettrions au moins un million d’années à découvrir, si jamais nous y parvenions. Ce savoir est emmagasiné – électroniquement, je suppose – dans des atomes, de telle façon que chaque atome garde un peu de connaissances. Cela se présente sous forme de feuilles de métal, à la manière des pages d’un livre. Elles sont rangées en hautes piles et chaque couche d’atomes – oui, les atomes sont en couches – contient des renseignements indépendants. On lit la première couche, puis la seconde, toujours comme un livre. Ne me demande pas combien de couches d’atomes il y a dans chaque feuille de métal, je n’en ai pas la moindre idée. Sans doute des centaines de milliers.

Oop leva précipitamment la jarre. Il avala une énorme lampée et renversa une partie du liquide sur sa poitrine velue. Il relâcha sa respiration en un rot vigoureux.

— Ils ne peuvent abandonner toute cette science, continua Maxwell. Il leur faut la transmettre à quelqu’un capable de l’utiliser. Jusque-là, ils doivent rester en vie par tous les moyens. Et c’est là que j’entre en jeu. Je suis chargé de la leur vendre.

— Leur vendre ! Des fantômes qui tiennent à peine debout ! Quel serait leur prix ?

Maxwell s’essuya le front du revers de la main. Il était subitement couvert de sueur.

— Je ne sais pas, dit-il.

— Tu ne sais pas ? Comment peux-tu vendre quelque chose dont tu ne connais pas le prix ?

— Ils m’ont demandé de trouver quelqu’un que cela intéresse et ils me feront alors connaître leur prix.

— Voilà une drôle de façon de traiter une affaire, dit Oop d’un air dégoûté.

— Oui, je sais.

— Tu n’as vraiment aucune idée ?

— Pas la moindre. J’ai essayé de leur expliquer mais il n’y a pas eu moyen de leur faire comprendre. Ou bien, ils refusaient de comprendre. Depuis, je n’arrête pas de retourner le problème et il n’y a aucun moyen qui puisse me permettre de connaître le prix. Cela dépend entièrement de ce qu’une équipe comme celle-ci peut désirer. Je n’en ai vraiment aucune idée.

— Et bien, dit Oop, ils ont bien choisi leur point de vente. Comment comptes-tu mener l’affaire ?

— Je vais aller voir Arnold.

— Tu ne t’en fais pas.

— Écoute, je dois parler à Arnold et à personne d’autre. Il ne doit pas y avoir de fuites. Je ne peux pas suivre la filière normale. À première vue, cela a l’air idiot. Si le média des communications ou les rapporteurs de potins en avaient écho, l’Université n’oserait pas se lancer. Si l’affaire était ébruitée, que l’Université s’y intéresse et que l’affaire tombe à l’eau – et tu peux me croire, il y a beaucoup de chances pour que cela se produise – on entendrait un énorme éclat de rire d’ici jusqu’au Rebord. Ma tête et celle d’Arnold…

Oop le coupa :

— Pete, Arnold n’est qu’un prétentieux. Tu le sais aussi bien que moi. C’est un administrateur. Il s’occupe de la gestion de l’Université. Qu’il ait le titre de Président ou non, m’importe peu, il n’est jamais qu’un patron. Il ne s’intéresse pas à l’enseignement. Il ne lèverait pas le petit doigt sur trois planètes remplies de science.

— Il faut que le Président d’une Université soit un administrateur…

— Si cela avait pu se passer à n’importe quel autre moment, soupira Oop, tu avais peut-être une chance. Mais en ce moment, Arnold est dans ses petits souliers. Vouloir muter l’administration depuis New York à ce campus remuant…

— Un campus, ajouta Maxwell, dont les traditions libérales…

— La politique universitaire, déclara Oop, ne tient pas compte des traditions libérales, ni d’aucune autre sorte de tradition.

— Tu as sans doute raison, dit Maxwell, mais c’est Arnold que je dois voir. Je préférerais que ce soit quelqu’un d’autre. Je n’ai aucune admiration pour lui mais c’est avec lui que je dois traiter.

— Tu aurais pu refuser.

— Cette mission d’intermédiaire ? Non, Oop, je ne le pouvais pas. Personne n’aurait pu refuser. Il leur aurait fallu trouver quelqu’un d’autre et peut-être que celui sur lequel ils seraient tombés aurait tout gâché. Moi-même, je ne sais pas ce que j’arriverai à faire, mais au moins je vais essayer. Et pas seulement pour nous mais aussi pour eux.

— Tu t’es pris d’amitié pour ces gens ?

— Je ne sais pas dans quelle mesure. J’éprouve pour eux de l’admiration et aussi de la pitié. Ils font leur possible. Ils cherchent depuis si longtemps à qui transmettre leur science.

— La transmettre ? Tu avais parlé de la vendre.

— C’est simplement parce qu’il y a quelque chose qu’ils désirent, dont ils ont besoin. J’aimerais savoir quoi, tout serait plus facile pour tout le monde.

— Une petite question. Tu leur as parlé ; mais comment ?

— Les tablettes, je t’en ai parlé. Ce sont ces feuilles de métal couvertes de renseignements. Ils me parlaient par leur intermédiaire et je leur répondais de la même façon.

— Mais, comment pouvais-tu les déchiffrer ?

— Ils m’avaient donné une espèce d’appareil, comme de très grosses lunettes, quelque chose d’assez volumineux. Je suppose que c’était une mécanique savante. Il me suffisait de les mettre pour pouvoir lire les tablettes. Elles ne comportaient pas d’inscriptions, rien que des petits signes dans le métal. C’est difficile à expliquer mais en regardant les signes avec les lunettes, je les comprenais. J’ai découvert plus tard qu’elles étaient réglables pour pouvoir lire les différentes couches d’atomes. Mais, au début, ils ne faisaient que m’écrire des messages – je ne sais pas si le mot écrire convient très bien – comme des enfants qui s’amusent avec une ardoise. Je leur répondais en pensant dans une autre machine accrochée aux lunettes.

— Un transposeur ?

— Je pense que c’est cela. Un transposeur à double sens.

— Nous avons essayé d’en fabriquer un. Par nous, j’entends non seulement la Terre mais ce que nous appelons Galaxie explorée, ce qui est plutôt comique.

— Je suis au courant, dit Maxwell.

— Et ces types-là, tes fantômes, ils en ont un !

— Et encore beaucoup plus. Je ne sais pas exactement ce qu’ils possèdent. Je n’ai fait que me documenter au hasard pour vérifier qu’ils possédaient bien ce qu’ils disaient.

— Une chose encore me préoccupe. Tu as parlé d’une planète. Mais son étoile ?

— La planète était recouverte d’un dôme. Je pense qu’il y avait une étoile mais depuis la surface de la planète, elle était invisible. En fait, l’existence de cette étoile n’est pas obligatoire et c’est cela qui est important. Tu connais le concept de l’Univers oscillant.

— L’Univers yo-yo ? Celui qui va et vient ?

— Oui. Eh bien maintenant, c’est une chose certaine. La planète de cristal provient de l’Univers qui existait avant celui-ci. Vois-tu, les habitants de la planète avaient tout imaginé. Ils savaient que le temps viendrait où toute énergie aurait disparu de l’Univers et où la matière morte se retirerait lentement pour former un autre œuf cosmique dont l’explosion donnerait naissance à un nouvel Univers. Ils savaient que la fin de leur univers approchait et, qu’à moins d’agir, ce serait aussi leur fin à eux. Aussi décidèrent-ils d’un projet planétaire. Ils stockèrent de l’énergie, je ne sais comment, ni où ils la trouvèrent. Ils la gardèrent grâce à un système quelconque dans la matière même de leur planète pour que le jour où tout le reste de l’Univers mourrait, ils ne soient pas privés d’énergie. Ils recouvrirent la planète d’un dôme et la transformèrent ainsi en maison. Ils trouvèrent un moyen de propulsion pour pouvoir mouvoir la planète d’une façon autonome dans l’espace. Ils abandonnèrent leur étoile, cendre morte et brûlée, avant que l’attraction interne de l’Univers mort n’intervienne et ils se lancèrent, seuls dans l’espace. Et c’est ainsi qu’ils vivent, habitants en survie d’un vaisseau planétaire. Ils ont été les témoins de la disparition de l’Univers précédent, et ils se sont retrouvés seuls dans un espace mort, sans la moindre étincelle de lumière, le moindre frémissement d’énergie. Peut-être ont-ils vu la formation du nouvel œuf cosmique, je n’en sais rien. Ils auraient pu y assister de très loin. Et s’ils l’ont vu, ils ont aussi été les témoins de l’explosion qui a marqué le début de notre Univers, de l’éclair fulgurant qui a rendu de l’énergie à l’espace. Ils ont connu la première lueur rouge des nouvelles étoiles, la formation des galaxies, qui, une fois achevées, sont allées rejoindre le nouvel Univers. Ils avaient la possibilité de choisir leur galaxie, de fixer leur orbite autour de n’importe quelle étoile, de se déplacer à leur gré. Ils sont les vagabonds de l’espace, mais leur fin approche. La planète, elle, pourrait continuer à voguer éternellement car leur système énergétique est toujours en activité. Même l’existence d’une planète doit avoir une limite dans le temps mais ils en sont encore loin, c’est leur race qui se meurt. Et ils possèdent une science amassée par deux univers.

— Le fruit de cinquante billions d’années ! dit Oop.

— Au moins. Il est possible que cela soit encore davantage.

Ils demeurèrent silencieux, pensant à ces cinquante billions d’années. Le feu ronflait dans la cheminée. Dans le lointain, résonnait le carillon du Hall de la Musique qui égrenait les heures.

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