VII

— Ce Oop, dit Carol, je n’arrive pas à le comprendre. Cette drôle de maison qu’il habite, au bout du monde !

— Il serait vexé s’il vous entendait, dit Maxwell. C’est une cabane, pas une maison et il en est fier. Le passage d’une caverne à une maison aurait été un trop grand bond. Il ne se serait pas senti à l’aise.

— Une caverne ? Il a vraiment vécu dans une caverne ?

— Je dois vous confier quelque chose. Notre vieil ami Oop est un affreux menteur. Il ne faut pas croire tout ce qu’il dit. Par exemple, son histoire de cannibales.

— Je me sens mieux. Pensez, des gens qui s’entre-dévorent !

— Oh ! Bien sûr que le cannibalisme existait. Mais que Oop l’ait pratiqué est une autre affaire. Pour ce qui est des renseignements d’ordre général, on peut lui faire confiance. C’est seulement quand il se lance dans ses expériences personnelles qu’il faut se méfier.

— C’est drôle, dit Carol. Je l’avais vu plusieurs fois et je me posais des questions à son sujet mais je ne pensais pas le rencontrer un jour. D’ailleurs, je n’en avais pas tellement envie. Il y a certaines personnes sur lesquelles je fais une croix. Il en était. Je l’imaginais grossier.

— Mais il l’est ! répondit Maxwell.

— Oui. Mais à côté de cela, il est charmant.

Les étoiles d’automne brillaient d’un éclat froid dans le ciel obscur. La chaussée roulante, à peu près vide, courait au pied de la falaise. Dans le lointain, scintillaient les lumières du campus. Le vent qui balayait la falaise portait avec lui un léger parfum de feuilles brûlées.

— Le feu était merveilleux, dit Carol. Pourquoi donc, Peter, n’avons-nous jamais de feu ? Cela ne serait pas si compliqué de construire des cheminées.

— Il était une époque, il y a plusieurs centaines d’années, où chaque maison possédait au moins une cheminée, parfois plusieurs. Bien entendu cela n’était qu’un souvenir du passé, du temps où le feu était à la fois une protection contre les dangers et une source de chaleur. Mais finalement, nous avons dépassé tout cela.

— Je ne crois pas, dit-elle. Je crois que nous nous en sommes détachés. Nous avons renié toute une partie de notre passé. Nous avons encore besoin de feu, peut-être est-ce psychologique. C’est ce que j’ai découvert ce soir. C’était tellement agréable et on se sentait si bien ! Peut-être est-ce aussi un peu primitif, mais nous devons encore avoir en nous un côté primitif.

— Oop ne pourrait vivre sans feu. Lorsque le Temps l’a transplanté à notre époque, c’était l’absence de feu qui l’inquiétait le plus. Bien entendu, tout au début, il était sinon enfermé, tout au moins surveillé de très près. Mais, dès qu’il devint son propre maître, il se procura un petit terrain au bout du campus et il y construisit sa cabane, rustique, comme il la voulait. Et, bien sûr avec un jardin et une cheminée. Il faudrait que vous voyiez ce jardin ! Il n’avait jamais vu qu’on puisse faire pousser de la nourriture. À son époque, personne n’y avait pensé. Tout était nouveau pour lui, un clou, un marteau, une scie, même une planche. Tout ce qui sert à construire une maison ! Mais sa faculté d’adaptation était énorme. Il adopta ces nouveaux outils et toutes les nouvelles idées sans sourciller, rien ne l’étonnait. Mais je crois que c’est le jardin qui l’émerveillait, pouvoir cultiver sa propre nourriture au lieu d’être toujours à la chercher. Je suppose que vous avez remarqué, maintenant encore, il est impressionné par l’abondance de la nourriture et la facilité avec lequel on se la procure.

— C’est la même chose pour l’alcool, dit Carol.

Maxwell se mit à rire :

— C’est une autre idée à laquelle il s’est habitué. C’est devenu pour lui un dada. Il a un alambic derrière le hangar à bois et il y fabrique une gnôle épouvantable, la pire que vous ayez jamais bue.

— Mais, il n’en donne pas à ses invités, remarqua Carol. C’est du whisky que nous avons bu ce soir.

— Il faut être de ses amis avant qu’il ne vous en offre. Dans ces jarres qu’il a sorties…

— Je me demandais ce qu’elles contenaient. Elles paraissaient vides.

— Elles contenaient de l’alcool pur. Un vrai tord-boyaux.

— Vous avez dit qu’il avait été captif. Quels sont maintenant les liens qui l’unissent au Temps ?

— Il est leur protégé. Il n’est pas du tout tenu mais il est un des partisans les plus fidèles du Temps. Plus fidèle que vous.

— Et Fantôme ? Il vit aux Surnaturels ? Il est sous leur tutelle ?

— À peine. C’est un vagabond. Il va où il veut. Il a des amis partout sur la planète. Si j’ai bien compris, c’est un des grands pontes du Collège des Religions Comparées du campus de l’Himalaya. Mais il s’arrange pour revenir ici assez régulièrement. Lui et Oop sont très amis depuis que les Surnaturels ont réussi à entrer en contact avec Fantôme.

— Pete, vous l’appeliez Fantôme. Qu’est-il en fait ?

— Mais, voyons, un fantôme.

— Qu’est-ce qu’un fantôme ?

— Je ne sais pas et je crois que personne ne le sait.

— Mais vous travaillez aux Surnaturels.

— Oui, mais tout mon travail s’est porté sur les Petits Hommes. Surtout les Lutins, même si tous m’intéressent. Même les Banshees alors qu’il n’y a pas plus mauvais ni plus insensé.

— Mais que disent les spécialistes des fantômes ?

— Ils doivent avoir une opinion. Il existe des tonnes de livres sur les fantômes, mais je n’ai jamais eu le temps de m’y plonger. Je sais qu’il y a longtemps, on croyait qu’à sa mort, n’importe qui se transformait en fantôme. Cette idée a été complètement abandonnée. Il y a certaines circonstances spéciales qui amènent la transformation d’un homme en fantôme mais je ne les connais pas.

— Et ce visage ! Peut-être un peu spectral, mais tellement captivant ! J’avais du mal à ne pas le dévisager. Sa figure n’est qu’un creux un peu sombre dans son drap. D’ailleurs, je ne pense pas que ce soit vraiment un drap. Et de temps en temps, on aperçoit comme une ébauche d’yeux, deux petites lumières qui ressemblent à des yeux. À moins que ce ne soit mon imagination ?

— Non, moi aussi j’ai pensé la même chose.

— Pourriez-vous, demanda Carol, m’attraper cet imbécile de chat et le tirer vers vous ? Il est en train de glisser vers la ceinture la plus rapide. Il n’a aucun bon sens. Il dort n’importe quand, n’importe où. Il ne pense qu’à manger et dormir.

Maxwell remit Sylvester dans la bonne position. Celui-ci grogna dans son sommeil.

Maxwell se redressa et se pencha en arrière contre le dossier pour contempler le ciel.

— Regardez les étoiles, dit-il. Rien ne vaut le ciel de la Terre. Je suis content d’être rentré.

— Et maintenant que vous êtes de retour ?

— Je vous raccompagne, je reprends mon bagage et je retourne chez Oop. Il aura ouvert une de ses jarres et nous bavarderons tout en buvant jusqu’à l’aube. Je dormirai dans le lit destiné à ses invités et lui se mettra sur son tas de feuilles.

— Je me demandais ce que c’était. Je les ai vues dans un coin, mais je n’ai pas posé de questions.

— Il y dort tout le temps. Il n’est pas à son aise dans un lit. Après tout, pendant longtemps un tas de feuilles était le comble du luxe…

— Vous vous moquez encore de moi, protesta Carol.

— Mais pas du tout. Je vous dis la vérité.

— Je ne vous demandais pas ce que vous alliez faire ce soir. Je voulais savoir ce que vous alliez faire. Vous n’avez pas oublié que vous étiez mort ?

— Je m’expliquerai. Je ne ferai que cela. Partout où j’irai, on voudra savoir ce qui s’est passé. On ouvrira même peut-être une enquête. J’espère que non.

— Je suis désolée, mais en même temps je suis heureuse. Quelle chance qu’il y ait eu deux vous.

— Si les Transports découvrent la vérité, ils auront peut-être quelque chose à vendre. Chacun d’entre nous pourrait avoir un double qu’il garderait pour s’il en avait besoin.

— Mais cela ne marcherait pas. Pas pour soi-même. L’autre Peter Maxwell était une autre personne et – oh, je ne sais plus. Il est trop tard pour y penser mais je suis certaine que cela ne marcherait pas.

— Vous avez raison. L’idée était mauvaise.

— J’ai passé une très agréable soirée et je vous en remercie. Je me suis beaucoup amusée.

— Et, ajouta Maxwell, Sylvester a bien dîné.

— Oui. Il ne vous oubliera pas. Il adore les gens qui lui donnent des steaks. C’est un glouton.

— Il y a une chose que vous ne m’avez pas dite. Qui a fait cette proposition pour l’Artifact ?

— Je ne sais pas. Je sais simplement qu’une proposition a été faite. Assez bonne, je suppose, pour que le Temps la prenne en considération. J’ai simplement saisi une bribe de conversation et je n’aurais pas dû. Cela a-t-il de l’importance ?

— Cela se pourrait, dit Maxwell.

— Il y a un nom qui me revient maintenant. Pas celui de l’acheteur, du moins je ne le crois pas. Celui de quelqu’un impliqué dans l’affaire. Je l’avais complètement oublié. Churchill, cela vous dit-il quelque chose ?

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