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Il faisait alors grand jour. Se sentant tout à coup affamé, Ramarren se dirigea vers la porte dérobée, et, parlant à voix haute en galactique, demanda de la nourriture. Il ne reçut pas de réponse, mais un homme-outil ne tarda pas à lui apporter et à lui servir à manger ; comme il terminait son repas, un signal discret se fit entendre derrière la porte. « Entrez, » dit Ramarren en kelshak. Har Orry apparut, puis le grand Shing Abundibot, et deux autres que Ramarren n’avait jamais vus mais dont il connaissait les noms : Ken Kenyek et Kradgy. Présentations, échange de politesses. Ramarren constata qu’il se tenait assez bien en main ; l’obligation où il était de cacher et de refouler Falk totalement était en fait une commodité : il pouvait ainsi, sans entrave, agir et parler en toute spontanéité. Il sentait que le psychotechnicien Ken Kenyek s’efforçait de sonder son esprit avec autant de puissance que d’habileté, mais il n’en avait cure. Si ses barrières mentales avaient tenu bon même sous le masque parahypnotique, elles n’allaient pas flancher maintenant.

Aucun des Shing ne s’adressa à lui en esprit. Ils restaient plantés, avec leur curieuse raideur, comme s’ils craignaient d’être touchés, et ils ne parlaient qu’à voix basse. Ramarren s’arrangea pour poser certaines des questions qu’on pouvait attendre d’un Ramarren concernant la Terre, l’humanité, les Shing, et écouta leurs réponses d’un air grave. Il fit une tentative pour se mettre en phase avec le jeune Orry, sans succès. Orry ne lui opposait pas de véritable défense, mais peut-être avait-il subi un traitement mental qui neutralisait ses capacités réceptrices en la matière, capacités certainement limitées vu son stade d’éducation ; d’autre part, il était sous l’emprise de la drogue qu’il prenait régulièrement. Au moment même où Ramarren émettait à son intention le signal discret et familier de leurs rapports dans l’ordre du prechnoye, Orry commençait à sucer un tube de pariitha. Dans cet univers imagé, décentré, semi-hallucinatoire où la drogue le plongeait, ses perceptions étaient émoussées et il ne recevait aucun message.

— « Vous n’avez encore rien vu de la Terre à l’exception de cette seule pièce, » dit en un rauque murmure le Shing habillé en femme, Kradgy. Ramarren se méfiait d’eux, mais ce que Kradgy éveillait en lui, c’était une crainte, une aversion instinctive ; il y avait quelque chose de cauchemardesque dans ce gros corps caché par des robes flottantes, ces cheveux noirs à reflets pourpres, la rudesse de cette voix basse et distincte.

— « Je serais heureux d’en voir davantage. »

— « Nous sommes à votre entière disposition. C’est un honneur pour la Terre que de recevoir votre visite. »

— « Je ne me rappelle pas avoir vu la Terre de L’Autreterre lorsque nous sommes entrés dans son orbite, » dit Ramarren en un galactique guindé et avec un fort accent werélien. « Et je ne me rappelle pas non plus l’attaque subie par notre vaisseau. Pouvez-vous m’en donner l’explication ? »

Question risquée, peut-être, mais Ramarren était vraiment curieux de connaître la réponse ; c’était la seule lacune qui subsistât en sa double mémoire.

— « Vous étiez dans l’état connu sous le nom d’achronie, » répondit Ken Kenyek. « Vous avez cessé d’un seul coup de vous déplacer à vitesse photique en atteignant la Barrière puisque votre vaisseau n’était pas équipé d’un tempostabilisateur. À ce moment, et pour une durée de quelques minutes ou de quelques heures, vous étiez soit inconscient, soit en état d’aliénation mentale. »

— « Nous ne nous étions pas heurtés à ce problème lors de nos brefs essais de propulsion photique. »

— « Plus le voyage est long, plus forte est la Barrière. »

— « C’était un exploit valeureux, » dit Abundibot de sa petite voix grinçante et dans le style fleuri qui lui était habituel, « que ce voyage de cent vingt-cinq années-lumière dans un vaisseau lancé à travers l’espace sans presque avoir été mis à l’épreuve ! »

Ramarren accepta le compliment sans corriger l’erreur numérique.

— « Venez, mes Seigneurs, faisons visiter à notre hôte la Cité de la Terre. » En même temps qu’Abundibot prononçait ces paroles, Ramarren sentit passer un échange paraverbal entre Ken Kenyek et Abundibot absorbé par le souci de ne pas relâcher sa propre défense pour capter un message télépathique ou même pour recevoir un minimum d’impressions empathiques.

— « Naturellement, » dit Ken Kenyek, « le vaisseau dans lequel vous regagnerez Werel sera équipé d’un tempostabilisateur, et vous n’éprouverez aucun trouble lors de votre rentrée dans l’espace planétaire. »

Ramarren s’était levé – gauchement, car si Falk était accoutumé aux chaises ce n’était pas le cas pour Ramarren, et il lui semblait fort inconfortable d’être ainsi perché au-dessus du sol – et, cloué sur place, il demanda au bout d’un moment : « Le vaisseau dans lequel nous regagnerons ?… »

Orry leva les yeux, des yeux embrumés où perçait l’espérance. Kradgy bâilla en découvrant de fortes dents jaunes… Abundibot parla : « Lorsque vous aurez satisfait votre curiosité sur la Terre, vu et appris tout ce que vous désirez, nous mettrons à votre disposition un vaisseau photique pour regagner Werel – vous, Seigneur Agad, et Har Orry. Nous-mêmes ne voyageons guère. Il n’y a plus de guerres et nous n’éprouvons nul besoin de commercer avec d’autres mondes, nul désir non plus d’acculer une fois de plus cette pauvre Terre à la faillite pour le seul plaisir de satisfaire notre curiosité en dépensant des fortunes pour des vaisseaux photiques. Nous autres, habitants de la Terre, sommes d’une très, très vieille race ; nous restons chez nous à cultiver notre jardin plutôt que de nous mêler des affaires d’autrui et d’entreprendre de lointaines explorations. Le Nouvel Autreterre vous attend à notre spatioport, et Werel attend votre retour. Il est bien dommage que votre civilisation n’ait pas redécouvert le principe de l’ansible, car, sinon, nous pourrions communiquer avec votre planète. Et même si les Weréliens ont maintenant le transmetteur instantané, ce qui peut très bien être le cas, nous ne pouvons leur envoyer de signal faute de connaître leurs coordonnées. »

— « Effectivement, » dit Ramarren poliment.

Il y eut une pause, brève et tendue.

— « Excusez-moi, » ajouta-t-il, « mais je ne crois pas vous comprendre. »

— « L’ansible…»

— « J’en comprends l’usage sans en connaître le fonctionnement. Lorsque j’ai quitté Werel, nous n’avions pas encore, comme vous le dites pertinemment, Monsieur, redécouvert les principes de la transmission instantanée. Mais je ne comprends pas ce qui vous empêche de tenter de lancer un signal à Werel. »

Terrain dangereux. Ramarren devait maintenant faire preuve d’une extrême vigilance, jouer et manœuvrer de façon à n’être pas joué et manœuvré ; et il sentait ses trois adversaires tendus, électrisés, derrière leurs masques rigides.

— « Prech Ramarren, » dit Abundibot, « Har Orry était trop jeune pour connaître avec précision la distance qui sépare nos deux soleils, et, de ce fait, nous n’avons pas l’honneur de savoir où est exactement située Werel, bien que nous puissions nous en faire une idée. Comme il avait à peine commencé à apprendre le galactique, Har Orry ne pouvait nous dire quel est en cette langue le nom du soleil de Werel, ce qui, naturellement, nous renseignerait puisque nous partageons avec vous la connaissance de ce langage, notre héritage commun des temps anciens de la Ligue. C’est pourquoi nous avons dû attendre que vous soyez en état de nous assister avant de pouvoir tenter de prendre contact avec Werel par ansible, ou de préparer les coordonnées du vaisseau que nous mettons à votre disposition. »

— « Vous ne connaissez pas le nom de l’étoile dont Werel est un satellite ? »

— « Tel est le cas, malheureusement. Si vous vouliez bien nous dire…»

— « Je ne puis vous le dire. »

Les Shing étaient inaccessibles à la surprise ; ils étaient trop absorbés par leurs propres soucis, trop égocentriques. Abundibot et Ken Kenyek restèrent parfaitement impassibles. Kradgy dit de sa voix basse, distincte, étrange, sinistre : « Vous voulez dire que vous aussi l’ignorez ? »

— « Je ne puis vous dire le véritable nom de notre soleil, » dit Ramarren en toute sérénité.

Cette fois, il put capter, rapide et bref, ce message paraverbal de Ken Kenyek à Abundibot : Je vous l’avais dit.

— « Veuillez excuser, prech Ramarren, l’ignorance qui m’a conduit à vous interroger sur un sujet tabou. Me le pardonnez-vous ? Nous ne connaissons pas vos coutumes, et, bien que cette ignorance soit une piètre excuse, c’est la seule que je puisse invoquer. » Abundibot poursuivait son grinçant discours lorsque le jeune Orry l’interrompit tout à coup, enfin réveillé par une peur panique.

— « Prech Ramarren, vous… vous allez pouvoir régler les coordonnées du vaisseau ? Vous vous rappelez ce que… ce que vous saviez en tant que navigateur ? »

Ramarren se tourna vers lui et lui demanda calmement : « Tu veux rentrer chez nous, vesprechna ? »

— « Oui ! »

— « Dans vingt ou trente jours, s’il plaît aux Seigneurs qui nous font cette offre magnanime, nous repartirons pour Werel dans leur vaisseau. Je regrette, » poursuivit-il en se tournant vers les Shing, « que mes lèvres et mon esprit ne puissent répondre à votre question. Mon silence récompense bien mal votre généreuse franchise. » S’ils avaient employé le langage télépathique, pensait-il, leur échange eût été notablement moins courtois car, à la différence des Shing, il était incapable de mentir en esprit, il était donc probable qu’il n’aurait pu énoncer un seul mot de tout son beau discours.

— « Peu importe, Seigneur Agad ! Ce qui compte, c’est que vous puissiez rentrer chez vous sain et sauf, non pas que vous puissiez répondre à nos questions. Si vous êtes en mesure de programmer le vaisseau – et toutes nos archives, tous nos ordinateurs sont, pour ce faire, à votre disposition – alors il sera permis de dire que vous avez répondu à notre question. » Effectivement ; car s’ils voulaient savoir où était Werel, ils n’auraient qu’à examiner le trajet à effectuer selon les données du programme de l’ordinateur. Après quoi, s’ils n’avaient toujours pas confiance en lui, ils pourraient une fois de plus tout effacer de son esprit, quitte à raconter à Orry que la restauration de sa mémoire avait eu finalement pour effet de faire sombrer sa raison. Ils expédieraient alors Orry vers Werel, et il se chargerait de délivrer leur message. Et Ramarren sentait bien qu’ils se méfiaient de lui parce qu’ils le savaient capable de dépister leurs mensonges télépathiques. Il était donc pris au piège et ne voyait pour lors aucun moyen d’en sortir.

Ils traversèrent tous ensemble des salles nébuleuses, descendirent par des rampes et des ascenseurs, et sortirent du palais pour se trouver dehors en plein soleil. L’élément Falk était maintenant presque entièrement refoulé dans la double personnalité du Werélien, et c’est en toute liberté que Ramarren se déplaçait, pensait, parlait en tant que tel. Il percevait l’extrême et constante tension mentale avec laquelle les Shing, notamment Ken Kenyek, étaient à l’affût de la moindre faille par laquelle ils pourraient pénétrer dans son esprit, du moindre faux pas qu’il pourrait faire. La pression qu’il en éprouvait le faisait redoubler de vigilance. Ce fut donc Ramarren qui, tel un nouveau débarqué, leva les yeux vers le ciel, en cette fin de matinée, et vit le soleil jaune de la Terre.

Il resta figé, envahi d’une joie soudaine. Car c’était une sensation propre à lui faire oublier un moment le passé et l’avenir ; oui, c’était quelque chose que d’avoir vu dans sa vie la lumière de deux soleils. L’or rouge du soleil de Werel, l’or jaune du soleil de la Terre : il pouvait en quelque sorte les tenir côte à côte comme on tient deux joyaux, pour comparer leur beauté, l’éclat de chacun d’eux s’en trouvant rehaussé.

Orry était à ses côtés ; et Ramarren murmura tout haut le salut qu’on apprend aux petits Kelshak, dès le berceau, à adresser au soleil lorsqu’on le voit surgir à l’aurore ou après les tempêtes de l’interminable hiver : « Sois le bienvenu, étoile de la vie, centre de l’année…» Orry reconnut la formule et la termina avec Ramarren, d’une seule voix. C’était la première fois qu’il s’établissait entre eux une harmonie, et Ramarren en était heureux car il aurait besoin d’Orry avant que la partie ne fût terminée.

Les Shing firent venir un aérocar, et l’on visita la cité. Ramarren posait les questions qu’on attendait de lui, et les Shing y répondaient à leur convenance. Abundibot fit un exposé minutieux sur la façon dont Es Toch, avec ses tours, ses ponts, ses rues et ses palais, avait été bâtie en une seule nuit, mille ans plus tôt, sur une île fluviale située aux antipodes, et comment, de siècle en siècle, les Seigneurs de la Terre, au gré de leur fantaisie, mobilisaient leur prodigieuse machinerie pour transporter toute la ville à un nouveau site comme par enchantement. C’était un joli conte ; Orry était trop abruti par la drogue et la suggestion pour refuser créance à quoi que ce fût, et, quant à Ramarren, peu importait qu’il fût crédule ou sceptique. Il était évident qu’Abundibot mentait pour le plaisir. Peut-être était-ce le seul plaisir qu’il connût. Le Shing fit aussi une description fouillée de la manière dont la Terre était gouvernée ; la plupart des Shing, dit-il, passaient leur existence parmi les hommes du commun, déguisés en simples « indigènes » mais œuvrant pour le maître plan élaboré à Es Toch ; leurs administrés étaient pour la plupart libres de soucis et satisfaits de leur sort, car ils savaient que les Shing étaient là pour maintenir la paix et porter tous les fardeaux ; les arts et le savoir étaient encouragés sous la bienveillante tutelle des Shing, attentive aussi à réprimer les éléments rebelles et destructeurs. Tout était humble sur la Terre, ses habitants, ses maisons de campagne, ses tribus paisibles, ses bourgades ; ni guerres, ni meurtres, ni surpopulation ; les grandes ambitions et réalisations d’antan étaient oubliées ; les Terriens étaient presque des enfants, guidés par la main ferme et bienfaisante des Shing, protégés par la force technologique invulnérable de cette caste supérieure…

Et ainsi de suite. Toujours la même histoire, avec les mêmes variations apaisantes et rassurantes. Orry, pauvre épave, avalait tout cela, et comment s’en étonner ? Ramarren s’y serait presque entièrement laissé prendre s’il n’avait pas bénéficie des souvenirs que Falk avait gardés de la Forêt et de la Plaine, souvenirs qui montraient la fausseté, totale bien qu’assez subtile, de toutes ces belles fables. Falk n’avait pas vécu sur la Terre parmi des enfants, mais parmi des hommes, des hommes brutalisés, malheureux, exaltés.

Ramarren visita ce jour-là toute la ville d’Es Toch. Pour lui qui avait vécu dans les vieilles rues de Wegest et les grandes maisons d’hiver de Kaspool, c’était une ville truquée, insipide et artificielle, que seul son site fantastique rendait impressionnante. Puis ce furent des excursions d’une journée, par aérocar ou engin planétaire, pour montrer toute la planète à Ramarren et à Orry sous la conduite d’Abundibot ou de Ken Kenyek. Tout y passa : chacun des continents, et même la lune désolée, depuis longtemps abandonnée. Les jours coulaient et les Shing continuaient à jouer la même comédie au profit d’Orry, tout en courtisant Ramarren dans l’espoir de lui arracher ce qu’ils voulaient savoir. Bien qu’il fût à chaque instant observé, directement ou électroniquement, visuellement et télépathiquement, il ne se sentait aucunement bridé ; manifestement, les Shing avaient l’impression qu’ils n’avaient plus rien à craindre de lui.

Allaient-ils lui permettre de retourner sur Werel avec Orry ? Peut-être le jugeaient-ils assez inoffensif, dans son ignorance, pour recevoir l’autorisation de quitter la Terre sans qu’on eût touché à son esprit réajusté. Mais ils y mettraient ce prix : Ramarren devrait leur livrer le renseignement dont ils avaient besoin, leur dire où Werel était située. Il ne l’avait pas fait jusque-là, et ils n’avaient pas insisté.

Après tout, serait-ce un si grand mal si les Shing connaissaient la position de Werel ?

Mais attention ! Peut-être n’avaient-ils pas l’intention d’attaquer cet ennemi virtuel dans l’immédiat, mais ils avaient très bien pu former le projet de lancer aux trousses du Nouvel Autreterre un informateur robot qui, ayant un transmetteur ansible à son bord, serait chargé de leur annoncer instantanément tous préparatifs de vol interstellaire sur Werel. L’ansible leur donnerait sur les Weréliens une avance de cent quarante ans, et ils pourraient tuer dans l’œuf toute tentative d’expédition vers la Terre. Le seul avantage tactique que Werel possédât sur les Shing était l’ignorance où ils se trouvaient de la position de cette planète, qu’ils pourraient mettre des siècles à localiser. Si Ramarren pouvait monnayer son évasion, c’était au prix d’un péril certain pour le monde envers lequel il se sentait responsable.

Il cherchait donc à gagner du temps, essayant d’imaginer un moyen de sortir de ce dilemme tandis qu’il survolait en tous sens, avec Orry et l’un des Shing, la Terre, ce bel et immense jardin tombé en friche. De toute son intelligence puissamment exercée, il cherchait par quel biais il pourrait retourner la situation de manière à dominer à son tour ceux dont il subissait la domination : c’est à cette équation que sa mentalité kelshak réduisait le problème. À bien prendre les choses, toute situation, même chaotique ou apparemment désespérée, devait se clarifier et mener d’elle-même à sa seule issue convenable ; car, au bout du compte, ce n’est pas l’harmonie qui fait défaut mais la compréhension, et il n’y a qu’ignorance là où l’on est tenté de voir chance ou malchance. Tel était le sentiment de Ramarren tandis que son double, Falk, s’abstenait et de prendre position sur la question et de perdre du temps à se faire à cet égard une opinion personnelle. Car Falk avait vu, quant à lui, les perles ternes ou brillantes glisser sur les fils du chresmodrome, il avait vécu avec des hommes sur leur territoire en ruine, avait partagé l’exil de rois sur leur propre domaine, la Terre, et il avait le sentiment que nul ne pouvait faire ou défaire le destin et que la chance n’était qu’un joyau éclatant à saisir au passage tandis qu’elle glissait sur le fil du temps. L’harmonie existe, mais échappe à toute compréhension ; nul ne peut suivre la Voie. Ainsi, tandis que Ramarren se mettait l’esprit à la torture, Falk se tenait coi et attendait son heure. Et, lorsque vint la chance, il la saisit.

Ou plutôt il fut, en l’occurrence, saisi par la chance.

La situation n’avait rien d’exceptionnel. Les Weréliens étaient avec Ken Kenyek dans un rapide petit aérocar à pilotage automatique, un de ces engins astucieux, séduisants, grâce auxquels les Shing pouvaient si efficacement tenir le monde sous leur coupe et en assurer la police. Ils s’en retournaient vers Es Toch au bout d’une longue journée consacrée à survoler les îles de l’Océan Occidental, avec une escale de quelques heures sur l’une d’entre elles. Les indigènes qui l’habitaient étaient beaux, contents de leur sort, entièrement absorbés par la navigation, la natation et la sexualité. La mer d’azur était pour eux comme un milieu amniotique, et l’on n’eût pu montrer rien de mieux aux Weréliens en fait de paradis pour spécimens arriérés d’humanité. Rien à craindre et aucun souci.

Orry somnolait, un tube de pariitha entre les doigts. Ken Kenyek avait mis l’engin en pilotage automatique. Tout en évitant de s’approcher de moins d’un mètre de Ramarren, ce qui paraissait être pour les Shing une règle absolue, il regardait avec lui, par la verrière de l’aérocar, le vaste cercle de ciel et de mer azurés qui les entourait. Ramarren était las, et il s’accordait une brève relaxation, une trêve bienvenue, là-haut dans une bulle de verre au centre d’une vaste sphère d’or et de saphir.

— « C’est une bien belle planète, » dit le Shing.

— « En effet. »

— « Le joyau de l’univers… Werel est-elle aussi belle ? »

— « Non. C’est un monde plus âpre. »

— « Oui, c’est un effet de vos longues années. Chacune d’elles ne vaut-elle pas soixante années terrestres ? »

— « Oui. »

— « Vous êtes né en automne, avez-vous dit. C’est dire que vous n’aviez jamais vu votre monde en été lorsque vous l’avez quitté. »

— « Si, une fois, lorsque je suis allé sur l’hémisphère Sud par voie aérienne. Mais, là-bas, les étés sont plus frais et les hivers plus doux qu’en Kelshie. Je n’ai jamais vu le grand été boréal. »

— « Vous pouvez encore le voir. Si vous repartez d’ici dans quelques mois, en quelle saison se trouveront alors les Weréliens du Nord ? »

Ramarren fit un bref calcul et répondit : « En fin d’été ; oui, je dirai que l’été en sera approximativement à sa vingtième phase lunaire. »

— « J’aurais dit en automne – combien de temps prend le voyage ? »

— « Cent quarante-deux années terriennes, » dit Ramarren, et, comme il prononçait ces mots, une légère bouffée de panique souffla en son être intime et se dissipa. Il sentit l’esprit du Shing s’insinuer dans son propre esprit ; au cours de la conversation, Ken Kenyek, ayant projeté en lui ses antennes mentales et constaté le relâchement de ses défenses, s’était rendu maître de la place par une mise en phase intégrale avec son esprit. Rien à dire. Le Shing ne devait ce succès qu’à une patience et une maîtrise télépathique proprement incroyables. Ramarren avait redouté pareille éventualité, mais, maintenant qu’elle s’était produite, tout était en ordre.

Ken Kenyek lui parlait à présent en esprit, et il y avait loin du murmure grinçant de son parler oral à ce langage télépathique clair et aisé : « Très bien, très bien, c’est parfait. C’est bien agréable, n’est-ce-pas, d’être enfin, vous et moi, sur la même longueur d’onde ? »

— « Très agréable, » reconnut Ramarren.

— « Assurément. Nous pouvons maintenant rester ainsi accordés, et ce sera la fin de tous nos soucis. Voyons donc – cent quarante-deux années-lumière… cela signifie que votre soleil ne peut être que celui de la constellation du Dragon. Comment l’appelle-t-on en galactique ? Mais non, c’est vrai, vous ne pouvez le dire ni en parole ni en esprit. Eltanin – c’est bien là, n’est-il pas vrai, le nom de votre soleil ? »

Ramarren resta absolument sans réaction.

— « Eltanin, l’Œil Dragon, oui, c’est bien ça. Parfait. Les autres astres auxquels il était permis de penser sont notablement plus proches. Voilà qui va nous faire gagner un temps précieux. Nous songions presque à…»

Le flot paraverbal rapide, moqueur, apaisant fut coupé brusquement et Ken Kenyek eut un sursaut convulsif, partagé au même instant par Ramarren. Le Shing se tourna d’un mouvement saccadé vers les commandes de l’aérocar, puis s’en détourna. Il se pencha bizarrement, se pencha exagérément, comme une marionnette dont on manierait les fils sans aucune précaution, puis se laissa glisser en tas sur le plancher du véhicule et y resta étalé, son beau visage blanc et rigide tourné vers le plafond.

Orry, secoué de sa somnolence euphorique, écarquillait les yeux. « Qu’y a-t-il ? Qu’est-il arrivé ? »

Pas de réponse, Ramarren, debout, avait la même rigidité que le Shing étendu à terre, et ses yeux étaient rivés sur ceux de son ennemi, qui le fixait avec le même regard aveugle. Lorsque Ramarren sortit enfin de son immobilité, il parla en un langage qu’Orry ne connaissait pas. Puis il s’exprima en un galactique laborieux.

— « Mets le vaisseau en vol stationnaire, » dit-il.

Le garçon en était bouche bée. « Qu’est-il arrivé au Seigneur Ken Kenyek, prech Ramarren ? »

— « Lève-toi ! Mets l’engin en vol stationnaire ! »

Il parlait maintenant galactique non pas avec son accent werélien mais sous la forme corrompue propre aux indigènes de la Terre. Cependant, si son langage était défectueux, il était par ailleurs vigoureux, pressant, impérieux. Orry lui obéit. La petite bulle de verre flotta, immobile, au-dessus du centre de la cuvette océanique, à l’est du soleil.

— « Prechna, est-ce que…»

— « Tais-toi ! »

Silence. Ken Kenyek gisait sans mouvement. Lentement et progressivement, Ramarren laissa se relâcher l’extrême tension qui l’habitait visiblement.

Que s’était-il passé sur le plan psychique entre lui et Ken Kenyek ? C’était une histoire de voleur volé, pris à son propre piège. En surprenant Ramarren, le Shing croyait ne capturer qu’un seul homme, et il avait été surpris à son tour par un second homme, Falk, dont l’esprit était en embuscade. Et Falk n’avait pu s’imposer que pendant l’espace d’une seconde et par surprise, mais ce court instant avait suffi à Ramarren pour se déphaser du Shing. Aussitôt libéré et pendant que l’esprit de Ken Kenyek était encore en phase avec le sien, donc vulnérable, Ramarren s’était rendu maître de la situation. Il lui fallut toute sa force et son habileté mentales, pour maintenir l’esprit de Ken Kenyek soumis au sien, aussi impuissant et consentant qu’il l’avait été lui-même un moment auparavant. Mais il gardait l’avantage car il pouvait encore jouer de ses deux moi : tandis que Ramarren maintenait le Shing dans l’impuissance, Falk était libre de penser et d’agir.

Agir ! C’était le moment ou jamais.

Falk demanda à voix haute : « où y a-t-il un vaisseau photique prêt à partir ? »

Ken Kenyek répondit de sa voix basse, et il était curieux de penser que pour une fois le Shing ne mentait pas – on pouvait en être absolument certain. « Dans le désert, au nord d’Es Toch. »

— « Gardé ? »

— « Oui. »

— « Par des hommes ou par des robots ? »

— « Par des robots. »

— « Vous allez nous y conduire. »

— « Je vais vous y conduire. »

— « Dirige-nous où il te dira, Orry. »

— « Je ne comprends pas, prech Ramarren ; allons-nous…»

— « Nous allons quitter la Terre. Maintenant. Prends les commandes. »

— « Prends les commandes, » répéta Ken Kenyek avec douceur.

Orry obéit. Il pilota l’aérocar suivant les instructions du Shing. L’appareil fila vers l’est à toute allure, et pourtant paraissait encore suspendu au-dessus du centre de la sphère océanique, vers le bord de laquelle le soleil, derrière eux, plongeait visiblement. Surgirent alors les Iles Occidentales ; elles semblèrent franchir l’étincelant pourtour ridé de la mer pour venir flotter vers les voyageurs ; puis, derrière elles, ce furent les pics escarpés et enneigés de la chaîne côtière qui apparurent, se rapprochèrent et passèrent sous l’aérocar. L’appareil survola ensuite un désert brun foncé rompu par d’arides formations striées qui projetaient vers l’est leurs ombres étirées. Suivant toujours les instructions murmurées par Ken Kenyek, Orry ralentit le vaisseau, décrivit un cercle autour d’un de ces chaînons, régla les commandes de façon à livrer l’engin au système d’atterrissage automatique commandé par un radiophare, et les hautes montagnes sans vie s’élevèrent, dressèrent leurs murailles alentour tandis que l’appareil se posait sur une plaine terne et sans couleur.

Pas de spatioport ou d’aéroport en vue, pas de routes, pas de bâtiments, mais certaines formes vagues, immenses, tremblotantes comme un mirage sur le sable et l’armoise au pied des montagnes aux sombres versants. Falk écarquilla les yeux, incapable de distinguer ces formes, et ce fut Orry qui annonça, avec un hoquet de surprise : « Les vaisseaux interstellaires ! »

C’étaient bien les vaisseaux cosmiques des Shing, c’était leur flotte ou une partie de cette flotte, camouflée par des filets antiphotoniques. Falk n’avait vu d’abord que les plus petits ; il y en avait d’autres, qu’il avait pris pour des collines…

L’aérocar s’était posé en douceur à côté d’une petite cabane délabrée, sans toit, aux planches décolorées et fendillées par le vent du désert.

— « Qu’est-ce que c’est que cette cabane ? »

— « Un de ses côtés recèle l’entrée des souterrains. »

— « Est-ce qu’on y trouve des ordinateurs au sol ? »

— « Oui. »

— « Y a-t-il de petits vaisseaux prêts à partir ? »

— « Ils sont tous prêts à partir. Ce sont pour la plupart des engins de défense servis par des robots. »

— « Y en a-t-il un à commandes manuelles ? »

— « Oui. Celui qui est destiné à Har Orry. »

Ramarren ne relâcha pas sa prise télépathique sur l’esprit du Shing tandis que Falk lui ordonnait de les conduire au vaisseau et de lui montrer les ordinateurs de bord. Ken Kenyek lui obéit aussitôt. Falk-Ramarren n’y comptait pas absolument ; une emprise mentale de cette nature a ses limites, exactement comme une vulgaire suggestion hypnotique. L’instinct de conservation résiste souvent, même à la prise la plus forte ; il peut, si l’on y touche, provoquer un déphasage immédiat. Mais apparemment Ken Kenyek n’était aucunement poussé à une résistance instinctive par la trahison qu’il était contraint de commettre ; il conduisit les Weréliens au vaisseau stellaire, répondit en petit garçon obéissant à toutes les questions de Falk-Ramarren, les ramena à la cabane décrépite, commanda par signaux matériels et mentaux l’ouverture de la trappe affleurant le sol de sable près de la porte. Un tunnel ; les trois hommes y pénétrèrent. À chacune des portes, chacune des barrières protectrices, chacun des boucliers qu’ils rencontraient dans ces galeries, Ken Kenyek émettait le signal ou la réponse convenable, tant et si bien qu’ils arrivèrent enfin aux profonds souterrains qui, à l’épreuve de toute attaque, catastrophe ou tentative de vol, abritaient les guides de pilotage automatique et les ordinateurs pour vols interstellaires.

Plus d’une heure s’était écoulée depuis le moment où tout avait commencé dans l’aérocar. Ken Kenyek était planté là, inoffensif, docile, consentant – par moments, il rappelait à Falk la pauvre Estrel. – Inoffensif ? Oui, mais à condition que Ramarren maintînt sur son cerveau son emprise intégrale. Qu’il la relâche le moindrement, et Ken Kenyek enverrait à Es Toch un appel télépathique s’il en avait le pouvoir, ou bien déclencherait un signal d’alarme, et les autres Shing seraient là en quelques minutes avec leurs hommes-outils. Pourtant, Ramarren dut relâcher son emprise parce qu’il avait besoin de son esprit pour penser. Falk était incapable de programmer un ordinateur pour un vol photique jusqu’à Werel, satellite de l’étoile Eltanin. Seul Ramarren en était capable.

Mais, de son côté, Falk n’était pas sans ressources. « Donne-moi ton arme, » dit-il.

Aussitôt Ken Kenyek lui remit une sorte de pistolet dissimulé sous les robes dont il était affublé. À cette vue, Orry ouvrit des yeux horrifiés. Falk ne fit rien pour adoucir le choc ; mieux, il remua le fer dans la plaie. « Le respect de la vie ? » questionna-t-il d’un ton froid en examinant l’arme. En fait, comme il s’y attendait, ce n’était pas un pistolet ou un laser mais une arme paralysante à faible puissance. Il la braqua sur Ken Kenyek, pitoyable loque humaine sans la moindre velléité de résistance, et tira. Orry poussa alors un cri perçant et se jeta en avant, et Falk tira sur lui. Puis, les mains tremblantes, il tourna le dos aux deux corps inconscients étalés par terre. À Ramarren d’agir, Falk avait pour le moment suffisamment payé de sa personne.

Ramarren n’avait pas de temps à perdre en scrupules ou en inquiétudes. Il alla droit aux ordinateurs et se mit au travail. Son examen des commandes de bord lui avait déjà révélé que les mathématiques servant de base à des opérations relatives au vaisseau n’étaient pas les mathématiques cétiennes qui lui étaient familières, celles qu’utilisaient encore les Terriens et d’où étaient issues celles de Werel par l’intermédiaire de ses anciens colons. Certaines des opérations qui servaient aux Shing à programmer leurs ordinateurs étaient totalement étrangères aux méthodes mathématiques cétiennes, à la logique cétienne ; et c’était pour Ramarren la preuve la plus flagrante que les Shing étaient des extra-terrestres et qu’ils étaient même étrangers à tous les anciens mondes de la Ligue, que c’étaient des conquérants venus de très loin dans l’univers. Il n’avait jamais été parfaitement sûr de la véracité des annales et des légendes terriennes à cet égard, mais elles lui paraissaient maintenant irrécusables. Après tout, Ramarren était essentiellement mathématicien.

Heureusement. Sinon certaines opérations à effectuer l’auraient arrêté net dans son effort pour calculer les coordonnées du vol pour Werel sur les ordinateurs des Shing. Il lui fallut en tout cas cinq heures pour en venir à bout. Et pendant tout ce temps il devait, littéralement, surveiller Ken Kenyek et Orry avec la moitié de son cerveau. Il était plus simple de maintenir Orry inconscient que de lui expliquer tout et de s’en faire obéir ; il était absolument vital que Ken Kenyek restât, quant à lui, complètement inconscient. Falk disposait heureusement pour cela d’une petite arme très efficace, et une fois qu’il eut découvert comment la régler, rien ne lui interdisait d’y recourir une seconde fois. Après quoi, il fut, si l’on peut dire, libre de coexister tandis que Ramarren bûchait ferme.

Falk ne regardait pas Ramarren travailler : il était aux écoutes et n’oubliait pas un instant les deux êtres immobiles, inanimés, étalés près de lui. Et il pensait ; il pensait à Estrel, se demandant ce qu’elle était devenue. L’avait-on rééduquée, décervelée, tuée ? Non, les Shing ne tuaient pas. Ils avaient peur de tuer et peur de mourir, et ils appelaient cette peur respect de la vie. Les Shing, l’Ennemi, les Menteurs… Mentaient-ils à proprement parler ? Ce n’était peut-être pas tout à fait ça. Plutôt que de mensonges, ne s’agissait-il pas essentiellement d’un manque de compréhension ? Ils ne pouvaient entrer en symbiose avec les hommes. Alors ils avaient eu recours au mensonge télépathique, avaient exploité ses possibilités, en avaient fait une arme puissante : mais n’en étaient-ils pas pour leurs frais ? Douze siècles de mensonge depuis qu’ils étaient arrivés sur la Terre, ces exilés, pirates ou bâtisseurs d’empires, résolus à asservir des races dont le psychisme était pour eux si déroutant et la chair à jamais stérile. Ils étaient seuls, coupés de tout, et c’étaient des sourds-muets qui régnaient sur des sourds-muets dans un monde d’illusions. Ô désolation…

Ramarren en avait terminé. Ayant travaillé cinq heures d’arrache-pied et laissé l’ordinateur faire son propre travail en huit secondes, il avait en main la petite fiche d’iridium qui allait servir à programmer le trajet du vaisseau.

Il se tourna vers Orry et Ken Kenyek et les fixa d’un regard embrumé. Qu’en faire ? Les emmener, sans aucune hésitation. Efface des ordinateurs les opérations effectuées, dit une voix à l’intérieur de son esprit, une voix familière, sa propre voix – celle de Falk. Ramarren était tellement épuisé que la tête lui tournait, mais il comprit lentement le bien-fondé de cette requête, et il s’exécuta. Que faire ensuite ? Ramarren n’avait plus la force de penser, alors, pour la première fois, il s’abandonna, renonça à tout effort pour dominer, se laissa fondre… en lui-même.

Falk-Ramarren se mit aussitôt à l’ouvrage. Traînant péniblement Ken Kenyek, il sortit des souterrains, franchit un coin de sable à la lueur des étoiles et gagna le vaisseau qui tremblotait, à moitié invisible, avec des reflets d’opale dans la nuit du désert. Il chargea le corps inerte sur une couchette spatiale, lui administra une petite décharge supplémentaire, puis alla retrouver Orry.

Orry commençait à reprendre vie, et il eut juste la force de se hisser dans le vaisseau. « Prech Ramarren, » dit-il d’une voix rauque en s’agrippant au bras de Falk-Ramarren, « où allons-nous ? »

— « À Werel. »

— « Lui aussi – Ken Kenyek ? »

— « Oui. Il pourra donner sur la Terre son point de vue, toi le tien, et moi le mien… Il y a toujours plus d’une voie vers la vérité. Attache-toi. Parfait ! »

Falk-Ramarren glissa la petite fiche d’iridium dans le contrôleur de vol. Elle fut acceptée et mit le vaisseau en marche en moins de trois minutes. Après avoir jeté un dernier coup d’œil au désert et aux étoiles, il ferma les hublots et, tremblant de fatigue et de tension nerveuse, regagna précipitamment la cabine pour s’y sangler à côté d’Orry et du Shing.

Le départ fut assuré par un mécanisme à fusion ; il fallait attendre la sortie de l’espace terrestre pour l’entrée en action de la propulsion photique. Le vaisseau décolla très doucement et sortit de l’atmosphère en quelques secondes. Les écrans visuels s’ouvrirent automatiquement et Falk-Ramarren vit la Terre s’éloigner, vaste courbe d’un bleu sombre avec un bord étincelant. Puis il plongea dans le feu continu du soleil.

Ramarren vit sur l’écran l’aube poindre sur l’Océan Oriental, et ce fut pendant un moment comme un croissant doré sur le poudroiement des étoiles, comme un joyau sur un immense chresmodrome. Puis tout se fracassa, la Barrière fut franchie, le petit vaisseau se libéra brusquement du temps et emporta les trois hommes dans la nuit.


FIN
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