26


Sharko était sorti discrètement, sans réveiller Lucie. Juste un rapide passage par la salle de bains, un mot griffonné sur un morceau de papier, c’était tout. Pas de café, de radio, de bruit. Un regard glissant sur la jeune femme, une envie douloureuse de la serrer contre lui, un départ qui lui arrachait le cœur. Autant espérait-il ne plus jamais la revoir, autant souhaitait-il qu’elle serait là, ce soir, quand il rentrerait. Peut-être pourrait-il lui apporter un peu de chaleur ? Peut-être pourrait-il l’aider à ouvrir les yeux sur l’avenir ? Ou alors, était-ce elle qui l’aiderait, plutôt ?

Trajet morne, bouchons, des bruits, des interrogations plein la tête. Manque de sommeil, cerveau déjà en ébullition. Le commissaire gara le véhicule sur le parking de la Maison d’accueil spécialisé Félicité. Il alla saluer son collègue, qui venait d’arriver lui aussi. Levallois grillait une cigarette, appuyé sur la tôle de sa voiture. Ses yeux avaient gonflé.

— Alors l’autopsie ? demanda le commissaire en lui serrant la main.

— Victime torturée au moins deux heures, brûlée à la cigarette à coup de motifs chromosomiques, puis vidée de son sang. La victime n’est pas morte sur le coup, mais elle n’a pas survécu plus de quelques secondes. Le reste, c’est du détail médico-légal qui ne nous apporte pas grand-chose. J’ai passé une nuit d’enfer. Vive la police !

Le jeune semblait accuser le coup. Sharko lui posa une main sur l’épaule et le secoua un peu. Les deux hommes se tenaient devant le bâtiment aux allures haussmaniennes, isolé de la rue par de petites grilles et des jardins agréablement fleuris. Le XIVe arrondissement était celui des institutions psychiatriques, avec, en tête de file, le fameux hôpital Sainte Anne.

— Et pour le bouquin de Terney, des nouvelles ?

— Plusieurs biologistes ont bossé dessus cette nuit, ils connaissaient déjà ce bouquin. Hormis des statistiques, des mathématiques et des propos eugénistes, ils n’ont rien noté de particulier pour le moment. Mais il y a presque deux cents pages, il va falloir du temps, je crois. Ils ne savent pas quoi chercher.

— Des propos eugénistes, tu dis ? Au milieu de données mathématiques ?

— Le responsable du labo a dit de passer le voir si on voulait plus d’infos. Il était d’assez mauvaise humeur.

— Si on voulait plus d’infos ? Terney a eu le réflexe de désigner ce bouquin avant de mourir, évidemment qu’on veut plus d’infos !

L’homme qui reçut Sharko et Levallois s’appelait Vincent Audebert. Il était le directeur du centre, qui accueillait quatorze autistes adultes de haut niveau, tous incapables d’autonomie. Vu son état mental, Daniel Mullier avait été ramené dans son environnement quelques heures plus tôt. Chose certaine, il n’était pas coupable : d’après le directeur, les quatorze malades revenaient d’une semaine de vacances dans un centre spécialisé de Bretagne, et ils n’étaient de retour que depuis deux jours, donc après la mort de Stéphane Terney.

Vincent Audebert désigna du menton l’une des fenêtres du rez-de-chaussée.

— La chambre de Daniel donne sur la cour. Il lui est déjà arrivé de fuguer, mais ça remonte à deux ou trois ans.

— Qu’est-ce qui a provoqué sa fuite ?

— Stéphane Terney avait promis de venir le chercher hier, pour l’emmener à une conférence sur l’ADN. Ils se connaissent depuis des années. Daniel et Terney se voyaient une ou deux fois par mois. Le médecin a toujours tenu ses promesses, Daniel comptait énormément sur ces rendez-vous. Mais cette fois…

Il marqua un silence.

— … Alors, pour signifier sa colère, Daniel s’est mis à compter le nombre de grains d’un paquet d’un kilo de riz. Quand c’est ainsi, il s’enferme dans sa chambre et nous le laissons aller au bout de son rituel, qui lui prend en moyenne quatre heures. Il n’y a aucune autre solution.

— Vous ne vous êtes pas aperçu de sa disparition, cette nuit ?

Il fit tinter un lourd jeu de clés, les mains dans les poches, puis soupira.

— Nous ne sommes pas une prison, il n’y a pas de rondes de nuit ou d’incursion inopinée dans les chambres, sauf nécessité. Daniel est sorti par sa fenêtre, il a escaladé la barrière puis a disparu dans la ville. Il s’était déjà rendu chez Stéphane Terney, il connaissait la route.

— A-t-on une chance que Daniel nous parle ou nous explique ce qu’il aurait pu voir ou entendre ? Pourra-t-il nous expliquer sa relation avec Terney ?

— Absolument aucune chance. Il ne parle pas, n’écrit rien d’autre que des successions de lettres, de nombres et de calculs. C’est son seul et unique langage. Il ne comprend pas ses propres émotions, et encore moins celles des autres. C’est pour cela qu’il est si difficile de pénétrer dans la sphère que les autistes bâtissent autour d’eux. Mais Terney, lui, avait réussi. Il était parvenu à établir une forme de communication avec Daniel. Et elle passait par les mathématiques.

— De quelle forme d’autisme souffre Daniel exactement ?

— De l’une des formes les plus graves. Je vais éviter d’entrer dans les détails mais globalement, il présente une totale incapacité à communiquer de façon orale, des troubles du développement social, et souffre d’un profond repli sur soi. Paradoxalement, malgré tous ces handicaps lourds, il est atteint par ce que l’on appelle communément le syndrome du savant. En plus d’avoir une mémoire prodigieuse, il développe des capacités exceptionnelles en ce qui concerne les statistiques et l’analyse des chiffres ou des lettres. Ça va au-delà de tout ce que vous pouvez imaginer. Je vais vous montrer la pièce que nous avons aménagée spécialement pour lui, les images valent plus que les longues explications.

Ils avancèrent à l’intérieur du bâtiment, qui avait des allures d’établissement scolaire. Rangées de portemanteaux, dessins accrochés au mur, des salles vides, avec des chaises autour de tables rondes. Une incroyable impression d’ordre et de propreté y régnait. Les adultes devaient encore se trouver dans leurs chambres, certainement situées dans l’aile perpendiculaire. Le calme se répandait dans les couloirs, telle une soyeuse couverture de folie.

— Comment Stéphane Terney et Daniel se sont-ils connus ? demanda Sharko.

— Ça remonte à 2004. Le chercheur est venu ici. Il connaissait les capacités de Daniel pour l’analyse des grands ensembles de lettres et de chiffres. Il voulait le rencontrer parce qu’il avait l’idée d’écrire un livre sur l’ADN. Un livre où il serait question de chiffres, de statistiques. Il pensait que Daniel serait peut-être capable de détecter des choses dans la molécule, et ainsi, de l’aider.

— Quel genre de choses ?

— Des équilibres mathématiques, des lois immuables auxquelles obéirait cette interminable succession de A, G, C et T. Terney cherchait de l’ordre dans le chaos.

Le directeur ouvrit la porte d’une vaste pièce circulaire toute blanche, aux plafonds très hauts. Sharko et Levallois se figèrent, stupéfaits. Des centaines, des milliers d’ouvrages, tous identiques, étaient rangés les uns à côté des autres, sur plusieurs étages, et tout autour d’eux. La bibliothèque de Terney paraissait ridicule par rapport à celle-ci. Sur les tranches étaient inscrits des numéros, par ordre croissant… 1, 2, 3, 4…

— Des livres semblables à celui que Daniel tenait chez Terney, murmura Levallois.

Au centre de cette pièce, Daniel était assis devant un bureau, un livre ouvert devant lui, un stylo à la main. Face à lui, il y avait une boîte avec des dizaines de stylos, tous identiques, ainsi qu’un ordinateur allumé. Daniel ne leur lança pas un regard. Il était courbé, concentré sur sa tâche. Il écrivait, sans s’arrêter, avec de petits gestes rapides. Sharko roula des yeux ; il avait remarqué un morceau de tissu rouge, qui pendait entre les volumes 341 et 343, sur la gauche. Il se rappela que Daniel avait été découvert chez Terney avec le volume 342.

Le directeur désigna les ouvrages d’un grand geste, parlant à voix basse :

— Il y a exactement cinq mille livres, comportant trois cents pages chacun. Pas une de plus, pas une de moins. C’est Terney qui les a fait fabriquer pour Daniel. Ceux qui sont situés après le petit morceau de tissu sont encore à remplir. Autant dire, la quasi-totalité.

Levallois écarquilla les yeux.

— À remplir ? Par… Daniel, vous voulez dire ? Mais… Que note-t-il ?

Le directeur du centre s’empara du premier ouvrage, le numéro 1, et l’ouvrit.

— Il note le génome complet de l’homme moderne… L’ensemble des trois milliards de lettres A, C, T et G qui composent l’ADN de nos quarante-six chromosomes mis bout à bout. La grande encyclopédie de la vie. Le plus puissant des manuels, qui contient, de manière cryptée, la construction de nos organes, le périple de nos ancêtres, un ensemble d’instructions que les petits Champollion présents dans notre organisme lisent depuis des centaines de milliers d’années, de manière à fabriquer ces protéines qui nous font vivre.

Levallois feuilleta les pages, troublé, halluciné même. Des milliers et des milliers de lettres, écrites en minuscule les unes derrière les autres – AAGTTTACC… – sur chaque page, de chaque livre, de chaque étage.

— Vous tenez là le tout début de la séquence du chromosome 1, expliqua le directeur. Cela fait six années que Daniel a commencé, à raison de dix heures par jour pendant lesquelles il écrit cent mille lettres environ. Ça fait cinquante pages quotidiennes.

Sharko observa la succession infinie de papier, la quantité improbable de travail à accomplir.

— Bon Dieu…

— Vous pouvez le dire. C’est une quête sans fin. À ce rythme-là, malgré sa vitesse incroyable d’écriture, et en travaillant trois cent soixante-cinq jours par an, il lui faudrait plus de cent ans. On sait déjà qu’il va passer le restant de ses jours à faire cela… Noter, noter, noter…

Les deux flics se regardèrent, bouleversés.

— Mais… Pourquoi ? demanda Sharko.

— Pourquoi ? Parce que c’est son monde, la matérialisation de son bouillonnement intérieur. Il n’a aucun autre moyen d’expression, aucune autre possibilité d’expulser la formidable quantité d’énergie qui brûle dans son cerveau. Toutes les capacités qui lui manquent, toute cette lumière qu’il ne voit pas autour de lui, se concentrent dans cette unique tâche. Elle est insensée pour nous, mais tellement significative pour lui. Daniel a… trouvé sa voie.

Dans un soupir, il hocha le menton vers l’ordinateur.

— Daniel a affiché deux génomes différents de l’homme moderne à l’écran, que l’on peut récupérer sur le site du Génoscope. Je vous passe les détails, mais regardez comment Daniel procède : il visualise le contenu du premier génome en haut de l’écran, le mémorise et le recopie sur ses pages, avant de poursuivre en appuyant sur les flèches « Suivant ». Car le génome s’étale sur des millions d’écrans successifs !

— Pourquoi afficher deux génomes à l’écran, s’il n’en recopie qu’un seul ?

Le directeur désigna des lettres soulignées dans le livre. Il y en avait tout au plus une ou deux par page.

— Il ne se contente pas de recopier le génome. Il souligne aussi certaines lettres, chaque fois qu’il y a une différence entre son génome de référence et l’autre génome présent à l’écran.

— Vous êtes en train de me dire qu’il y a aussi peu de différences génétiques entre deux génomes différents, et donc deux individus distincts ?

— Exactement… Vous avez plus de 99,9 % d’ADN commun avec l’aborigène au fin fond de l’Australie, avec le Noir, le Chinois, le Mongol. Vous êtes plus proche génétiquement de ces personnes, que ne le sont deux chimpanzés pris au hasard dans la même jungle. C’est pour cela que l’on parle DU génome de l’homme et non DES génomes, et qu’il n’y a pas autant de génomes sur Internet qu’il y a d’humains. En fait, il n’y en a que deux de disponibles, car à l’époque, deux projets avaient été menés en parallèle. Les génomes de l’humanité sont globalement tous pareils, aux petites « erreurs » près qui, pour schématiser, changent par exemple la couleur des yeux. Parmi les trois milliards de bases A, T, C, G présentes dans l’ADN de chacune de nos cellules, seules trois ou quatre millions d’entre elles sont à des emplacements différents, présentent des enchaînements inédits d’un être humain à l’autre. Votre propre encyclopédie de la vie, commissaire, sera quasiment identique à celle de Daniel ou à la mienne, à ces quelques lettres soulignées près.

Sharko était bluffé, mais d’un autre côté, il éprouvait une grande pitié pour cet homme, qui avait encore toute la vie devant lui et qui passerait son existence à recopier ce qu’un ordinateur restituait en quelques secondes à peine.

— De quoi parle précisément le livre de Terney ? Pourquoi Daniel a-t-il été impliqué ?

— Au départ, l’ouvrage devait traiter uniquement de statistiques. Stéphane Terney s’est amusé en utilisant ces fameux A, T, C, et G, à faire un tas de calculs selon leur emplacement, leur répétition, leur quantité dans la longue chaîne de l’ADN. Diviser, par exemple, le nombre total de séquences ATA par celui de CCC – on appelle des successions de trois lettres des codons –, et obtenir des nombres remarquables, entiers, comme 13, ou 7, alors qu’on devrait trouver des nombres à virgule complètement aléatoires. Daniel l’y a aidé… Terney parle même de nombre d’or, de suites mathématiques remarquables… Bref, il annonce clairement que toute la magie de la nature s’exprime à travers l’ADN par ces codes cachés.

— D’où le dessin de l’homme de Vitruve sur la couverture. La perfection de l’humain, cachée dans l’ADN.

— Exactement. Mais moi, je suis très sceptique face à ces « trouvailles ». Quand on cherche quelque chose dans une telle quantité de lettres et de chiffres, on finit toujours par le trouver…

Il grimaça.

— Ce livre n’aurait pu être qu’un vulgaire Da Vinci Code de l’ADN, mais je crois qu’il n’était qu’un prétexte. Terney s’en est servi pour distiller de nombreuses idées eugénistes : plaidoyer pour l’euthanasie, avortement systématique en cas de problème fœtal, rejet des populations vieillissantes, qu’il considère comme un virus de la planète. Terney est… enfin, était pour la pureté et la jeunesse de l’humain. Pour lui, certaines « races », certaines maladies génétiques, cassaient les équilibres mathématiques parfaits qu’il avait réussi à trouver dans le génome humain à l’aide de Daniel… Les « intrus », comme il disait, n’étaient pas dignes de figurer dans le patrimoine génétique à léguer à nos successeurs. Il a utilisé Daniel pour… porter préjudice à des gens comme Daniel, justement. J’ai trouvé cette démarche monstrueuse.

Sharko songea aux individus les plus faibles dans les bancs de poissons. Terney avait voulu faire passer le même genre de message, mais d’un point de vue génétique.

— Pourtant, vous l’avez laissé continuer à voir Daniel, fit-il.

— J’ai essayé d’interrompre leur relation, au début. Mais Daniel était malheureux, ses crises empiraient. Terney lui apportait réellement quelque chose dans cette communication par les chiffres et les lettres. Je pense qu’au fond, il l’aimait vraiment beaucoup. L’ADN était la clé du cadenas qui emprisonnait Daniel, Terney lui a amené cette clé. Alors, j’ai laissé couler mais croyez-moi, je ne portais pas Terney dans mon cœur. Maintenant qu’il n’est plus là, je suis tout de même attristé, car j’ignore comment va évoluer Daniel…

Sharko fixa le jeune autiste, qui se leva, alla poser son stylo dans un coin pour en reprendre un neuf dans la boîte. Il détailla ces rangées, ces étages de livres vides, dont la plupart ne seraient jamais remplis. Dans cette spirale illogique, il eut soudain une intuition.

— Est-ce que Daniel a lu La Clé et le Cadenas ?

— C’est pour ainsi dire son livre de chevet. Il le parcourt presque tous les soirs, inlassablement…

Sharko et Levallois échangèrent un bref regard, tandis que le directeur poursuivait :

— … Mais lire n’est pas le terme exact, vous l’aurez compris. Il ne comprend pas, évidemment, les propos eugénistes, ni les énoncés. Il serait très difficile de vous expliquer rapidement comment il fonctionne mais… disons qu’il parcourt tous les livres qui lui tombent sous la main en termes de « succession de lettres ». Pour schématiser, on va dire que des connexions s’allument dans sa tête, que des ensembles se colorent immédiatement sous ses yeux face à du texte. Il pourra d’un coup d’œil vous faire comprendre ou vous écrire qu’une page comporte cinquante fois la lettre e, sans être capable de vous dire de quoi parle le texte qui la compose.

Sharko serra discrètement les poings.

— J’aimerais beaucoup voir cet exemplaire.

Le directeur acquiesça.

— Il est méticuleusement rangé dans sa chambre, toujours à la même place. Je reviens.

Il disparut dans le couloir.

— C’est effroyable… murmura Levallois. Et nous, qui nous plaignons sans cesse. Ce môme n’a même pas vingt ans et il va passer sa vie ici, dans cette pièce.

— La maladie mentale est un lent poison.

Sharko s’approcha de Daniel. Le jeune homme voûta un peu plus les épaules lorsqu’il sentit la présence derrière lui, comme l’aurait fait un chat sur la défensive, mais il ne cessait de noter. Son pouce et son index droits étaient déformés, osseux. Il tenait son stylo comme on tient le manche d’un tournevis. Le commissaire aurait aimé rassurer ce môme, poser sa main sur son épaule, lui donner un peu de chaleur, mais il n’en fit rien.

Audebert était de retour. Sharko récupéra La Clé et le Cadenas et le feuilleta attentivement. Des pages complètes, vides de sens, représentaient des séquences ADN, d’où Terney tirait des statistiques, traçait des graphiques, dressait des conclusions. Il n’y avait aucune note de la part de Daniel, mais Sharko remarqua des pages cornées, plus abîmées que d’autres. Par exemple, la page 57 du livre. En haut de celle-ci, était indiqué : « Considérons, par exemple, la séquence ADN suivante. » Dessous, plusieurs centaines de A, T, C et G se succédaient, pour former une séquence. Ce qui choqua le commissaire n’était pas cette suite vide de sens. Mais le fait que toutes les lettres, sans exception, avaient été soulignées par Daniel de la même façon que dans le volume numéro 1 de l’encyclopédie de la vie. Il montra la page à Vincent Audebert.

— Vous savez pourquoi il a fait ça ?

Audebert plissa les yeux.

— Je n’avais jamais fait attention… Mais… Il souligne tout ce qui est différent du génome de référence. Avec l’ordinateur, il sait faire des recherches dans le génome… Peut-être a-t-il recherché cette séquence sur le site du Génoscope, sans la trouver ? De ce fait, il aurait tout souligné ?

Sharko tourna encore les pages. Ça recommençait. Pages 141, 158, 198, 206, 235, puis 301… Toujours la même phrase de début : « Considérons, par exemple, la séquence ADN suivante », et toujours les lettres soulignées. Daniel s’était acharné.

Levallois se dirigea vers le livre numéro 2, l’ouvrit, feuilleta quelques pages, haussa les épaules…

— Je ne comprends pas… On voit bien qu’il n’y a qu’une différence de temps en temps entre deux individus. Une différence toutes les mille ou deux mille lettres. Comment Daniel a-t-il pu souligner de si nombreuses différences successives ?

— Stéphane Terney a peut-être écrit des séquences complètement au hasard, juste à titre d’exemple ? Ou alors…

Le directeur paraissait perturbé. Il réfléchit quelques secondes, puis claqua soudain des doigts.

— … ou alors, j’ai peut-être une autre explication.

Il récupéra le livre, ausculta attentivement les pages.

— À cause de Daniel et Stéphane Terney, j’ai dû beaucoup étudier l’ADN, pour comprendre. Je sais à quels endroits de la molécule correspondent des changements aussi rapides, regroupés et importants de séquences. Ils sont ce qu’on appelle des microsatellites.

Il hocha le menton vers l’encyclopédie de la vie.

— Un jour, Daniel écrira des pages où des centaines, des milliers de lettres successives seront soulignées comme ici, avant que tout retombe dans la normalité… Ce seront alors des microsatellites. Vos techniciens de la police scientifique les utilisent tous les jours pour leurs analyses ADN, parce qu’ils sont comme les empreintes digitales. Ils sont uniques pour chaque individu, et toujours situés à la même place dans le génome.

Sharko et Levallois se regardèrent à nouveau, bluffés.

— Ces microsatellites serviraient donc pour les empreintes génétiques ? demanda le commissaire.

Le directeur acquiesça avec conviction.

— Exactement. Messieurs, je crois que sept empreintes génétiques différentes sont noyées dans ce livre, au milieu d’autres données anodines. Sept code-barres de sept individus qui existent peut-être sur cette planète.

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