3. LE PARLEMENT HUMAIN MONDIAL

On propose toujours aux touristes férus d’histoire politique de la Terre le même circuit : après une visite des ruines de l’Acropole d’Athènes et du Colisée de Rome, leurs guides les emmènent à Genève, orgueilleux siège du Parlement Humain Mondial.

La visite compte invariablement deux étapes, sur deux jours.

Le premier, un dimanche, les amène au grand édifice dont ils parcourent les immenses salles vides. Ils peuvent ainsi apprécier les marbres fins – qu’on rencontre uniquement sur Terre– du sol et des colonnes, les gigantesques holo-écrans, et les pupitres ergonomiques avec leurs terminaux sophistiqués pour les votes. Les visiteurs peuvent également admirer les fresques qui ornent les murs, réalisées par de grands artistes terriens contemporains, et qui représentent des allégories de la Vérité, de la Justice, de la Vertu et autres thèmes éternels de toute démocratie.

Le jour suivant, un lundi, les xénoïdes reviennent avec leurs guides pour voir les députés et parlementaires en pleine session. Ils assistent à leurs discussions animées, écoutent leurs argumentations enflammées, regardent avec intérêt leurs votes, prenant de très longues holo-vidéos du déchaînement dépassions humaines qu’est tout organe de gouvernement.

Les guides leur expliquent ensuite d’une voix lasse le principe de la démocratie représentative, suivant lequel chaque ville envoie ses meilleurs fils au Parlement pour que là, d’un commun accord, ils décident de ce qui est le plus opportun pour la planète.

Cette explication suffit habituellement à quatre-vingt-dix pour cent des touristes. Les dix pour cent restants, plus curieux, demandent comment le Parlement vérifie si la Sécurité Planétaire exécute ses dispositions, comment ceux qui les ont élus peuvent révoquer leurs mandats s’ils ne répondent pas aux attentes, ainsi qu’une quantité d’autres questions de fond. Les guides les emmènent à l’extérieur du gigantesque édifice et leur montrent un simple kiosque à souvenirs de l’Agence Touristique Planétaire, autour duquel le reste des touristes s’affairent, achetant des souvenirs de leur séjour sur Terre.

Et avec un sourire triste et désinvolte, les guides expliquent que le montant des profits journaliers de ce simple kiosque est égal au budget mensuel du Parlement Humain Mondial.

Les touristes curieux ne posent alors plus aucune question. Ils ont compris qui gouverne réellement la planète. Et ils s’en retournent, satisfaits, enregistrer leurs holo-vidéos.

L’ÉQUIPE CHAMPIONNE

Nous sommes l’équipe championne.

La meilleure de la Terre.

Les défenseurs de l’honneur humain sur les terrains de sport.

Les gens le savent. Ils ont confiance en nous.

Leurs acclamations montent jusqu’au fuselage de notre aérobus, lorsqu’ils nous voient passer, là-haut. Notre véhicule aux couleurs terriennes descend à vitesse maximale pour se glisser dans l’immense avenue menant au stade, à quelques mètres à peine au-dessus de la populace excitée.

Ils nous adorent. Nous sommes leurs idoles. Et si nous gagnons aujourd’hui, nous le serons encore davantage. Nous deviendrons presque leurs dieux.

— Quelle foule ! Ce pilote va nous tuer, grogne Gopal, notre entraîneur, en regardant vers le bas par un hublot.

Ces entrées théâtrales, avant chaque partie, le rendent toujours nerveux. Mais, le reste de l’équipe et moi, nous les adorons. C’est une belle tradition. Et que deviendrait la Terre, si nous renoncions aussi à ses traditions ?

Notre pilote est habitué et conduit avec adresse son aérobus au-dessus de la mer humaine. Il ne regarde même pas vers le bas. Moi, oui. La vue de milliers de visages avides d’espoir, de milliers de mains qui me saluent du V de la victoire me galvanisent avant chaque match.

Aujourd’hui, j’en ai besoin plus que jamais. Je vais jouer la partie de Voxl la plus difficile de ma vie. Mon tremplin vers la gloire, si je me débrouille bien. Ou mon éjection vers l’oubli et le néant, si j’échoue.

Je vais foncer et donner le tout pour le tout.

Le reste de l’équipe connaît également l’importance de ce jour. Chacun l’appréhende à sa façon. Ils se concentrent tous sur une seule idée : gagner. Aucun ne veut penser à la honte de la défaite, à la fin de nos carrières si plus aucune équipe de Voxl ne veut nous engager… Rien que d’y songer, j’ai peur d’attirer le mauvais sort.

Mais non. La victoire sera nôtre. Il le faut. Aujourd’hui, nous sommes les meilleurs voxleurs de la Terre. Les meilleurs depuis bien longtemps. Nous sommes l’équipe championne et c’est notre année. Jamais, auparavant, une équipe de Voxl n’a réuni six joueurs humains.

Mvamba, grand et mince comme un joueur de basket-ball, est agenouillé devant un autel pliant. Dans son dialecte bantou sonore, il prie un fétiche tribal taillé dans un bois aussi sombre que sa peau.

Il semble que, parfois, cela aide de croire en un petit dieu personnel et intime qui veille sur nous, de prier un esprit protecteur ou un ange gardien. Il y a moins de deux ans, Mvamba conduisait un simple aérobus brinquebalant à Sidney. Il était l’un de ces nombreux Africains apatrides depuis que les xénoïdes avaient volatilisé leur continent entier au moment du Contact. Un chasseur de talents de l’équipe locale, les Mains Noires, l’avait vu jeter une pierre contre un voleur pour se défendre et avait décidé de lui faire passer un test. Sa carrière avait alors été fulgurante : avant-centre des Mains Noires, attaquant des Cavaliers de Melbourne… et, à présent, la grande opportunité. Celle que seul un joueur sur dix mille peut décrocher : défenseur des couleurs de la Terre. C’est exceptionnel pour un petit nouveau comme lui. Une chance qu’il doit probablement à son fétiche.

Un homme observe la prière de Mvamba, l’air sarcastique : Arno Korvaldsen, le défenseur danois. La Brute blonde. Un athée convaincu. Le plus corpulent de l’équipe avec ses 187 kilos et ses 2,05 m. Le plus expérimenté, également. Il jouait déjà avec les Bersekers de Copenhague lorsque j’en étais encore à voler des cartes de crédit dans l’anneau extérieur de l’astroport de La Havane. Cela fait un moment que les journalistes sportifs spéculent sur la date de sa retraite. Mais le grand Danois continue de jouer, et il est à présent le meilleur défenseur de la planète, bien que le sort de la Terre lui importe peu. Arno est un individu pragmatique, un mercenaire qui réagit uniquement à l’odeur de l’argent. Gopal n’est parvenu à lui faire intégrer l’équipe qu’en lui promettant une somme énorme, que nous gagnions ou que nous perdions. Avec de pareilles motivations, on pourrait douter de la qualité de jeu de n’importe quel gars, mais la Brute blonde est un homme de parole. Il se donnera à fond comme toujours.

Yukio Kawabata, lui, est là sans être là. Bien que son corps soit présent, la transe bouddhique dans laquelle il s’est plongé depuis presque une heure a probablement fait régresser son esprit à l’Edo impérial de ses ancêtres samouraïs. D’après sa façon de jouer, il est évident que, pour lui, le Voxl n’est qu’un équivalent moderne du bushido. Yukio est un idéaliste et sa richesse lui permet de s’offrir ce luxe. Sa famille détenant un bon paquet d’actions de l’Agence Touristique Planétaire, il se fiche de son salaire, ou même de savoir s’il gagne ou s’il perd. Jouer bien, mieux que personne, demeure son obsession. Et il est un centre droit formidable, avec des réflexes et une vitesse de course que de nombreux professionnels de la Ligue aimeraient posséder.

La Ligue…

Pour tout voxleur, la Ligue représente la Mecque et le Valhalla réunis. C’est au sein de la Ligue que s’affrontent les équipes de toutes les espèces. Les insectoïdes gordiens, blindés et très agiles, face aux polypes d’Aldébaran, lents à se mouvoir sur leur unique pied, large et musculeux, mais aux centaines de tentacules véloces pour compenser. Les Colossiens, rougeâtres et cuirassés, contre les Cétiens, sveltes et ultra-rapides.

La Ligue est synonyme de salaires astronomiques, de primes inimaginables, de voyages sans restrictions dans toute la galaxie. Une cour d’annonceurs se battent pour qu’on utilise leurs équipements coûteux et sophistiqués. En somme, un joueur de la Ligue est considéré comme un dieu.

La Ligue représente le rêve de tout joueur humain. Là, peuvent se côtoyer dans la même équipe un Colossien, un humain et un polype, sans différences ni racisme – du moins, en théorie.

Jonathan, notre vétéran, nous l’a raconté mille fois. Il a déjà atteint le sommet avant de chuter. Il ne nous a jamais dit comment ni pourquoi, et nous ne le lui avons jamais demandé non plus. Première règle de la vie en groupe : respecter les secrets des autres si on veut garder une vie privée. C’est l’unique moyen pour que l’équipe mange, voyage, dorme et joue, ensemble tout le temps, sans en venir aux mains. Si cette règle est respectée, les psychologues et les conseillers sont une dépense superflue. Si on n’y parvient pas… ils sont une dépense inutile qui n’arrêtera ni ne freinera l’inévitable explosion de violence.

Jonathan, comme avant chaque partie, s’affaire devant son moniteur médical. Obsessionnel, il contrôle sa pression artérielle, son pouls, son érythrogramme, sa température et ses niveaux hormonaux sanguins. Je crois comprendre ce qui lui arrive. Son expulsion de la Ligue a dû briser un rouage dans le mécanisme complexe de son esprit. Peu importe, tant qu’il continue de jouer comme il le fait. Et son obsession de la forme physique a réalisé le miracle auquel lui-même ne croyait peut-être plus. À une quarantaine d’années, il s’est créé une deuxième opportunité. Après huit ans, dont trois durant lesquelles aucune équipe de Voxl ne voulait l’engager, il y est parvenu. Il est le seul humain à jouer pour la deuxième fois dans l’équipe Terre. S’il ne gagne pas aujourd’hui, je ne sais pas ce qu’il adviendra de lui. Mais je ne veux pas être présent à ce moment-là.

Le cas des jumeaux Slovsky est très différent. Ils n’ont que dix-huit ans et ont appris à jouer avant de marcher. Fils de Konrad Slovsky, le célèbre entraîneur, Jan et Lev étaient déjà connus avant même de toucher un voxl. C’est leur première année en tant que professionnels et ils ont l’air fébrile. Ces deux paquets de nerfs et de muscles sont entraînés à la perfection et ils jouent en duo avec une coordination parfaite comme on n’en a vu que dans les équipes cloniques cétiennes, sur les holo-vidéos.

Ils sont penchés sur leur simulateur holographique. Parfois, ils me font de la peine. Ils ne parlent ni de femmes, ni d’holo-films, ni même de drogues. D’aucun des sujets que j’affectionnais à leur âge. C’est peut-être la faute de leur père : il les a presque changés en robots, en mécanismes hyperspécialisés, dédiés au Voxl. Si on les empêchait de jouer, ce serait comme les priver de respirer. Leur vie est consacrée à donner le meilleur et, pour eux, aucun entraînement n’est assez dur. Si, un jour, Gopal se levait avec l’idée improbable d’être tendre avec l’équipe, Jan et Lev protesteraient probablement et l’accuseraient de traîtrise envers la Terre ou de quelque chose du genre.

La monomanie semble être une condition indispensable pour être un bon voxleur. Surtout si l’on est humain.

Parfois, je me demande si je suis encore moi-même, si je ne suis pas devenu fou en sacrifiant toute ma vie à ce sport… D’autres fois, je me demande pourquoi je suis là.

Mais, bien plus souvent, je m’étonne de mon parcours. Comment je suis allé si loin en partant de si bas. En cinq ans, de voleur de rue à sportif de haut niveau. De l’échec au triomphe. De l’anonymat à la célébrité.

Si ma mère pouvait me voir… Elle qui m’a tant répété que j’étais un inutile, de la graine de voyou, seulement bon au reconditionnement corporel. Et mon père… Je me souviens à peine de lui. Il s’est perdu dans l’espace avec le vaisseau qu’il a fabriqué lui-même, dans une futile tentative de sortie illégale pour fuir la misère. Je n’avais que deux ans…

Ou Maria Elena, la première fille avec laquelle j’ai fait l’amour. J’avais dix-sept ans, et encore plus peur qu’elle, du haut de ses onze ans. Elle sortait en douce de l’internat pour me retrouver. Où est-elle, à présent ? Probablement tombée dans le bourbier du travail social. Pour une orpheline, il existe peu d’options. Au moins, son physique a dû l’aider : elle a toujours été jolie et on devinait qu’elle aurait un beau corps. À onze ans, c’était déjà une petite femme : grande, svelte, des cheveux noirs et une peau cannelle, avec des yeux de jais.

Ma mère, qui m’avait tant prophétisé un futur en reconditionnement corporel, y a fini ses jours pour une dispute avec ses voisines. Elle a toujours eu mauvais caractère et, les derniers temps, l’abus du rhum frelaté n’a pas arrangé les choses. Elle est morte le deuxième mois : un Auyari l’avait choisie comme « cheval ». Grâce à la petite prime que m’a versée l’Agence Touristique Planétaire, j’ai pu m’acheter mon premier équipement de Voxl. D’occasion, mais en bon état. Et j’ai commencé à m’entraîner.

Pour un orphelin, il y a peu d’options et j’ai risqué le tout pour le tout, comme je l’ai toujours fait.

Et j’ai eu de la chance. Maintenant, il faut qu’elle dure.

Je baise ma médaille de la Vierge de la Charité des Opulents, bénie par le cardinal Manuel Castro lui-même. Lorsqu’il me l’a donnée, il y a une semaine, il m’a dit que j’étais la fierté de son diocèse et l’espoir de mes semblables.

Protège-moi, petite Vierge. Fais que mes rebonds soient adroits et mes tirs assurés. Épargne-moi toute blessure. Et donne la victoire à ton fils, Daniel Menendez. Toi, qui peux tout…

Le pilote conduit lentement l’aérobus et nous passons, en les frôlant, entre deux murailles d’hologrammes publicitaires flottants. Nous pourrions les traverser sans danger, mais cela susciterait une pluie de réclamations des annonceurs. Et même nous, les héros de la Terre, ne sommes pas au-dessus des lois de la propagande.

Derrière les titanesques holo-affiches, le voilà. Tout à nous.

Le Méta-Colisée de la Nouvelle Rome contient trois quarts de million de spectateurs. Sur six niveaux. Avec soixante holo-écrans géants, des équipements de conditionnement d’air qui suffiraient pour une ville orbitale moyenne et des voies d’accès par lesquelles on pourrait faire passer de petits astéroïdes. Aujourd’hui, il est plein à craquer. Les billets pour cette partie se sont vendus presque un an à l’avance.

Nous flottons sur la voie principale, au-dessus de la mer de spectateurs parsemée, ici et là, de bulles argentées, les champs de force des loges personnelles des xénoïdes les plus riches et les plus paranoïaques. D’autres extraterrestres, plus confiants dans leur immunité touristique, préfèrent risquer le vol de leurs cartes de crédit pour profiter de l’ambiance euphorique du rassemblement humain. De l’authentique couleur locale. De l’incomparable émotion d’être au milieu du public assistant à la partie de Voxl de l’année… Le sport des galaxies, comme disent les commentateurs et la publicité.

Nous descendons vers l’une des deux tours creuses qui conduisent directement au terrain. Nous contemplons tous l’autre tour et pensons la même chose : qui seront nos adversaires ?

En simulation, nous avons affronté toutes les espèces. Nous connaissons les points forts et les faiblesses de chacune, leurs trucs et leurs manies… Mais la meilleure holographie n’est jamais qu’un pâle reflet de la réalité.

Aussitôt que le train d’atterrissage de l’aérobus touche le sol, la demi-sphère du champ de force se referme au-dessus de nous, nous dissimulant au public. Gopal est le premier à sauter à terre et, trente secondes plus tard, toute l’équipe s’aligne devant lui.

Notre vieil entraîneur se promène devant nous en fronçant les sourcils, les mains croisées dans le dos. Il ressemble plus que jamais à un vieux général. Enfin, il s’arrête et soupire. C’est le moment du discours. Je pense avec une sorte de soulagement cynique que ce sera peut-être le dernier.

« Joueurs ! » harangue-t-il avec une voix de stentor.

À présent, il a l’air d’un sergent d’infanterie, parce qu’aucun général ne hurlerait ainsi. Sa voix paraît même trop forte pour son grand corps décharné.

« Je ne vais pas vous dire ce que vous savez déjà. Je ne vais pas vous rappeler les enjeux de la victoire, aujourd’hui et ici. Je veux juste que vous pensiez à une seule chose : nous sommes des humains. Des fils de la Terre…

— ET FIERS DE L’ÊTRE ! » crions-nous comme on nous l’a appris.

Son sourire emplit notre cœur d’un sentiment ineffable.

« Bien. Savez-vous que vous représentez l’orgueil de la Terre ? On se fout qu’il y a six mois encore, vous jouiez dans des équipes adverses en Championnat mondial. Ou que les pays dans lesquels vous êtes nés se haïssaient avant le Contact. À présent, nous sommes une seule race : des humains. Et eux, ce sont des xénoïdes. L’ennemi. C’est nous contre eux. C’est eux ou nous. Rien d’autre ne compte. »

Il prend une longue inspiration.

« Le reste, j’espère que vous le savez après ces six mois d’entraînement intensif. Et si vous ne l’avez pas appris, qu’Allah nous aide. »

Nous sourions tous à sa plaisanterie, destinée à soulager les tensions.

Jonathan me regarde et me fait un clin d’œil qui signifie : Le vieux dit la même chose tous les ans. C’est probablement vrai, mais je ne peux me mettre à rire. En tant que capitaine de l’équipe, je dois donner l’exemple.

« Il ne s’agit pas de défendre, conclue Gopal, l’air fatigué. Nous jouons pour gagner. Durant la partie, je vous donnerai des instructions. Mais les derniers mots, c’est vous qui allez les dire, parce que…

— NOUS SOMMES L’ÉQUIPE CHAMPIONNE ! »

Le hurlement nous emplit de foi et Gopal sourit comme une vieille gargouille.

« Oui… Même si j’allais dire que vous étiez la plus lamentable bande de singes jamais vue sur un terrain de Voxl. »

Il nous fait un clin d’œil et, durant une fraction de seconde, il redevient Mohamed Gopal, la Merveille de Delhi, le premier humain à avoir joué dans la Ligue.

« Aujourd’hui, vous allez pouvoir me prouver que je me trompe… »

Joyeux, confiants, nous nous mettons à courir en riant vers les vestiaires. Chacun possède le sien, avec son nom marqué sur la porte. Comme toujours, Mvamba est le dernier. Il ne sait pas lire et il attend que nous entrions pour savoir quel est le sien, par élimination. Mais certaines compétences ne sont pas indispensables à un voxleur.

Dans le monde d’aujourd’hui, il n’est pas non plus nécessaire de lire. Les ordinateurs parlent, les cartes de crédit aussi… Et pourtant, l’analphabétisme de l’Africain est un secret entre Jonathan, lui et moi. Nous lui avons promis, par-dessus tout, qu’Arno Korvaldsen ne l’apprendrait jamais. La Brute blonde s’est moquée si impitoyablement des jumeaux Slovsky parce qu’ils ignoraient qui était Jules César que, s’il le savait, Mvamba serait la cible de ses moqueries pendant des mois. Et il y a peu de choses que l’ex-conducteur d’aérobus craigne plus que le ridicule. Il est tellement timide…

Il n’est pas facile de vivre et de jouer en équipe. Cela ne l’est pour personne, et pour le capitaine encore moins. Mon poste comporte beaucoup de responsabilités et peu de reconnaissance. Les autres pâtissent tous de mes oublis et de mes erreurs, depuis l’entraîneur jusqu’au remplaçant. En échange, mon unique trophée est la victoire. Les dix-huit points sur notre tableau d’affichage. Ce n’est qu’alors, sans que nul ne me le dise, que je considère que j’ai bien travaillé. Même la perfection n’existe pas dans le Voxl.

Au moment où je passe la porte, le champ antigrav me soulève jusqu’à mon alcôve. On dit que les stades de la Ligue ont des cabines internes de télé-transport et qu’aucun spectateur n’est mis en présence des joueurs en chair et en os parce qu’ils préfèrent l’holo-vision.

Bah, on dit tant de choses sur la Ligue… Ici, sur Terre, les matchs sont également transmis par holo-réseau. On peut apprécier les détails, la même action de jeu peut être vue sous plusieurs angles, au ralenti ou en vision infrarouge… Mais cela n’a rien à voir avec le fait de se trouver au milieu du Méta-Colisée, rugissant à chaque mouvement des équipes. Si ce n’était pas le cas, pourquoi tant de xénoïdes se donneraient-ils la peine de venir, au lieu de regarder la partie confortablement installés dans leurs chambres d’hôtel ?

Je commence à m’habiller. La cérémonie est aussi ancienne que le Voxl lui-même. Elle remonte à deux mille ans, à l’époque où les Centauriens ont commencé à pratiquer ce sport, là-bas, sur leur monde froid, bien avant d’entrer en contact avec d’autres espèces intelligentes.

Gopal m’aide à placer chaque élément de la tenue, comme le font des servomécanismes dans les cabines du reste de l’équipe. Vêtir le capitaine est un antique privilège de l’entraîneur… et le dernier moment pour échanger des idées. Il murmure :

« Attention à la jambe de Mvamba, qui est encore fragile après le dernier traitement réducteur de fracture. »

Puis il remonte sur ma peau nue le justaucorps de monitoring médical et de rétro-alimentation. Il s’agit d’un artefact complexe qui va superviser, seconde après seconde, mon état physique. Mon degré de stress métabolique, mes fractures, luxations ou entorses seront surveillés par le système. Et, au passage, celui-ci s’assurera que mon cœur tienne le coup en m’administrant les quantités nécessaires d’hormones et de stimulants pour que je supporte les efforts et la tension de la partie.

Je l’interroge, évoquant une vieille discussion :

« Tu crois que les jumeaux tiendront le coup jusqu’à la fin de la partie ? À mon avis, malgré leur indéniable condition physique, il leur manque encore de la témérité. »

Gopal acquiesce, l’air confiant. Mais il sifflote une ritournelle indienne entêtante que je l’ai déjà entendu ressasser à d’autres occasions, lorsqu’il est nerveux mais ne veut pas qu’on le remarque. Il n’est pas sûr non plus qu’ils y arrivent. J’en tiendrai compte.

Par-dessus le justaucorps, il place la combinaison amortissante qui me protégera contre l’effet du champ de force, la couche la plus externe de mon armure.

« Surveille Arno, me conseille encore Gopal en installant les générateurs de champ. Il a tendance à oublier qu’il est défenseur et veut gagner la partie à lui tout seul… »

Je hoche la tête. Je surveillerai Arno.

Lorsque je connecte la combinaison, je suis enveloppé par un champ de force impénétrable. Un effet de diffraction bien calculé fait briller le bleu et rose glorieux de l’équipe Terre. Et le chiffre 01 qui m’identifie comme capitaine, sous le logotype triangulaire des Transports Planétaires INC, notre sponsor officiel. Que la Vierge le bénisse mille fois.

L’équipement d’un voxleur de première catégorie est extrêmement coûteux. La stricte quarantaine techno-scientifique à laquelle est soumise la Terre impose d’acheter chaque partie de la combinaison à la Corporation centaurienne – qui détient les droits quasi exclusifs de leur fabrication dans toute la galaxie – et les appareils d’entraînement, les régimes spéciaux et tout le reste multiplient encore par dix ce coût. Les dirigeants des Transports Planétaires sont d’authentiques patriotes qui parient gros. Et qui sont capables de nous griller vivants si nous ne justifions pas leur investissement par une bonne actualité qui leur sert de propagande.

Avec le quart de ce qu’ils ont investi à me nourrir, à me surveiller médicalement, à m’entretenir et à me vêtir, mon père aurait pu s’acheter un passage en première classe pour quitter cette planète en toute sécurité.

Je vais te dédier cette partie, Papa… Où que tu sois. Si un astéroïde ne t’a pas transformé en poussière ou si tu n’as pas été recyclé par les chasseurs d’ordures nomades, tu erres peut-être là-haut, congelé pour l’éternité. Il est sûr que tu n’es jamais arrivé nulle part. Quelques années de plus, et je t’aurais emmené en voyage avec moi. Évidemment, tu ne pouvais pas le savoir, et tu n’avais pas la patience d’attendre un tel miracle…

Et toi, Maman, pardonne-moi… Je te répondais toujours que c’était ta mauvaise langue et ton sale caractère qui te mèneraient, toi, au reconditionnement corporel. Mais cela ne m’a pas plu du tout d’avoir raison.

Le reconditionnement corporel. Pfff !

Dans les interviews, il y a toujours un reporter stupide ou simplement mal informé pour poser la question classique, comme si c’était une évidence : pourquoi n’utilisons-nous pas les corps de « chevaux », spécialement dédiés au Voxl, au lieu de mettre les nôtres en danger ? Au début, je me lançais dans de longues explications. Maintenant, je me contente de les regarder en souriant. Les imbéciles.

Les épuisantes sessions d’entraînement et les doses impressionnantes d’hormones synthétiques et de drogues auxquelles nous nous soumettons ne sont pas agréables, c’est certain. Mais il n’existe pas d’autre solution.

Totalement équipé, ma combinaison inactive et mon casque déconnecté, je me mets debout et je me regarde longuement dans le miroir. 1,90 m, 105 kilos de purs muscles. Pas uniformément répartis, comme ceux de n’importe quel culturiste, mais concentrés à presque soixante pour cent dans les jambes. Chacune de mes cuisses est plus grosse que ma taille. Mes mollets sont aussi volumineux que ma tête. En gravité normale, je peux sauter 1,80 m en l’air presque sans plier les jambes. Mes réflexes sont meilleurs que ceux d’un chat sauvage. Je peux laisser tomber une pièce de monnaie et me tendre, la bouche en avant, pour l’attraper avec mes lèvres avant qu’elle ne touche le sol. Le corps d’un voxleur est son équipement le plus précieux… et le plus difficile à développer.

Une telle anatomie se cultive soigneusement, durant des années. Des années à entretenir chaque réflexe, chaque muscle, jusqu’à atteindre la perfection. Je n’échangerais pas le corps le plus fort sorti d’une cabine de reconditionnement corporel contre le mien. Même si c’était le corps d’un Colossien de trois mètres cinquante de haut. Je ne saurais pas le manipuler comme celui-ci.

Seul un homme sur dix mille détient dans ses gènes la potentialité de devenir une star du Voxl. Seul un sur cinq millions possède celle d’intégrer, un jour, l’équipe Terre, l’équipe championne.

Une puissance musculaire aussi concentrée dans les jambes est parfois gênante, dans la vie quotidienne. Mais nous sommes des voxleurs, entre autres raisons, parce que nous ne sommes pas multimillionnaires. Si nous pouvions utiliser un corps pour nous entraîner et pratiquer notre sport, et un autre le reste du temps, nous n’aurions simplement pas besoin de jouer. Et nous ne le ferions pas. Excepté Yukio, peut-être. Mais, pour le moment, même lui n’a pas assez de crédits pour se permettre le luxe d’utiliser un autre corps que le sien.

Il est certain que, comme toute pièce possède deux faces, certains joueurs peu fortunés – et pas très bons – louent à assez bon prix leurs corps au reconditionnement corporel. Leurs principaux clients sont d’ex-joueurs xénoïdes, curieux de savoir comment réagit l’organisme d’une autre espèce. Pour eux, c’est relativement bon marché. Mais ces corps de mauvais sportifs, en comparaison des nôtres, sont aussi performants qu’un hélicoptère du vingtième siècle comparé à un aérobus actuel…

Rompant le fil de mes pensées, je m’observe, satisfait, dans le miroir. Gopal me place entre les dents le vocodeur de capitaine. Comme celui des autres joueurs, c’est à la fois une protection dentaire et un laryngophone. Il permet de communiquer avec le reste de l’équipe et d’activer ou de désactiver l’armure-champ de force avec la langue, à l’aide d’un interrupteur.

Mon vocodeur possède deux autres contrôles, également activés par la langue : l’un pour communiquer avec Gopal sans que le reste de l’équipe n’entende notre conversation, et l’autre, le plus important, pour arrêter le chronomètre de jeu à chaque fois que l’un des miens est blessé ou que nous voulons redéfinir notre stratégie.

Au moment où je finis de m’équiper, une sonnerie retentit : c’est l’heure de sortir sur le terrain. En dehors de la surface de jeu, chaque pas que je fais me donne la grâce pesante d’un tyrannosaure. Je monte sur le champ antigrav qui me conduit directement vers le lieu où se déroulera le défi. Je ne sais toujours pas qui nous allons affronter.

Dans le Championnat mondial et dans les parties de la Ligue, on connaît son opposant à l’avance : ses tactiques favorites, et jusqu’au profil clinique et psychologique de chaque joueur. Et sur la base de toute cette information, on définit une stratégie.

Mais pas pour cette compétition-ci.

L’équipe de la Ligue qui jouera contre nous aujourd’hui ne le sait pas non plus beaucoup à l’avance. C’est peut-être seulement maintenant, au moment où leur vaisseau entame sa trajectoire suborbitale dans la troposphère terrestre, que leur entraîneur leur annonce l’irrévocable choix de la Ligue : ce sont eux qui testeront le niveau de l’équipe terrienne, cette année…


Nous entrons sur le terrain.

Le Voxl se pratique à l’intérieur d’une salle rectangulaire, un orthoèdre de 7,63 m de hauteur sur 15,26 m de largeur et 50,52 m de longueur. Un par deux par trois arns, mesure standard centaurienne.

Les parois du terrain de jeu sont encore transparentes des deux côtés, et nous pouvons voir le public excité, dehors. Nombre d’entre eux ont le visage peint, une moitié bleue et une moitié rose, et agitent de grandes banderoles arborant la silhouette de la Terre sur fond d’étoiles. On distingue le mouvement paroxystique de leurs bouches et de leurs cous tendus par les acclamations. Mais nous ne les entendons pas. L’isolation sonore, sur le terrain, est totale. Et lorsque la partie commence, les parois polarisées deviennent opaques à l’intérieur. Rien ne doit distraire les compétiteurs du sport des galaxies.

La voix de Jonathan résonne dans nos audiophones pour nous tenir au courant :

« Ils crient : “Ohé, ohé, la terre va gagner !” et “Les Terriens vaincront, les xénoïdes perdront !” »

Il sait lire sur les lèvres. Il a travaillé trois ans comme professeur pour des sourds-muets, lorsqu’ils l’ont éjecté de la Ligue. Un emploi sous-payé, mais lui évitant de mourir de faim ou de tomber dans le travail social masculin.

Il ne cesse de bavarder. Il a l’air nerveux. D’ordinaire, il est muet comme une tombe avant de jouer. Je vais l’avoir à l’œil. Il ne faut pas qu’il s’effondre. Pas maintenant…

Soudain, Jonathan regarde vers le haut, et Mvamba l’imite. Ils n’ont pas besoin de parler. De façon quasi télépathique, nous captons le silence qui vient de tomber sur le stade.

Ceux de la Ligue arrivent.

Leur vaisseau est noir. Plus que noir. Si obscur qu’il luit sous le soleil du crépuscule comme un scarabée immense et terrible. Il se pose sur la tour libre, celle de l’équipe des visiteurs, et la coupole du champ de force nous le dissimule immédiatement.

Nous avons pourtant eu le temps de réaliser que le vaisseau est au moins dix fois plus grand que notre aérobus. À l’intérieur, ils ont des vestiaires ; l’équipe de la Ligue débarque toujours prête à jouer.

J’observe mes hommes une dernière fois avant le moment décisif. Mvamba. Arno. Yukio. Jonathan. Les Slovsky. Et moi. Tous humains. Pour les xénoïdes, nous sommes des déchets, des membres de l’espèce la plus attardée, dépréciée, soumise et humiliée de la galaxie. Écrasés sans rémission dans notre état primitif et grossier par des technologies si supérieures que, pour nous, elles ressemblent à de la magie. Par des pouvoirs économiques si démesurés qu’ils pourraient payer sans aucun effort le poids de chaque Terrien en or, voire celui de la planète toute entière. Par des puissances destructives si terrifiantes qu’elles pourraient effacer pour toujours de la galaxie l’intégralité du Système solaire.

Des humains comme nous. Comme quatre-vingt-dix-neuf pour cent du public.

Pour nous, c’est la seule opportunité de nous venger. L’unique occasion où, une fois par an, nous pouvons affronter, presque à armes égales, ces orgueilleux dominateurs xénoïdes. Peu importe qu’aucune équipe humaine ne soit parvenue à vaincre une équipe de la Ligue.

Nous représentons leur espoir, leur revendication, leurs meilleurs fils, leur soif de vengeance. Nous devons gagner.

Nous allons gagner. Parce que nous sommes l’équipe championne.

Parce que nous avons la rage, à défaut de la force.

C’est pourquoi, s’il y a une justice dans cet univers, la victoire sera nôtre.

Nous ressentons tous cela. Même si nous ne l’exprimons pas…

Nous voyons les bouches du public se tendre en un cri silencieux de haine infinie. Avant même de nous retourner, nous savons déjà que, derrière nous, l’équipe de la Ligue entre sur le terrain. Nous pivotons à l’unisson pour leur faire face. Pour les voir, les jauger, les connaître.

Mes yeux et ceux de l’équipe les détaillent, avides. Captant des détails, imaginant des stratégies, soupesant les forces probables et les faiblesses théoriques. Et ils en font de même avec nous.

Au Voxl, les équipes sont équivalentes par le poids, pas par le nombre de joueurs. 573 kilos, exactement 6 packs centauriens, ou moins.

Nous pesons exactement ce chiffre. Nous serons six sur le terrain, et nous n’avons pas laissé un gramme d’avantage à nos adversaires.

Ils ne sont que quatre. Ils ont opté pour la force.

Le défenseur est un Colossien qui a subi l’ablation chirurgicale des plaques osseuses de son blindage naturel. Sous sa combinaison encore déconnectée et transparente, il est d’un étrange rose pâle, au lieu de l’habituelle couleur rougeâtre. Un vrai géant, même pour son espèce, qui avoisine les 300 kilos. Une idée intelligente, cette amputation : sur le terrain, où nous portons tous des armures équivalentes, la grosse carapace de ce natif de Colossa ne représenterait qu’un poids mort. Ainsi, tout en gagnant de la mobilité, il lui reste trois quintaux de muscles, avec l’avantage supplémentaire d’une queue très robuste.

Il me semble voir un sourire dans les petits yeux renfoncés du Colossien. Même la Brute blonde n’est pas de taille à l’affronter avec ses 187 kilos. Le scélérat se sent sûr de lui. Il sait que la plus grande partie du temps nous allons nous borner à l’éviter.

Avant que le découragement ne sape le moral de mon équipe, je déclare dans mon vocodeur :

« Pas question de fuir devant le Colossien. On va le contrôler. Par paires… Je ne veux pas d’actes héroïques. Tu m’entends, Copenhague ? De toute façon, il n’a pas de jambes… Au rebond, on le bat. Mvamba, tu aideras la Masse à contenir ce mollusque sans coquille. Et s’il te paraît grand, regarde-le d’un seul œil : il aura l’air plus petit. »

L’éclat de rire qui s’ensuit me prouve que tout va bien. Un bon capitaine doit savoir sortir une blague au bon moment, pour entretenir le moral.

À côté du Colossien, se tiennent les Cétiens. Deux beaux spécimens, se ressemblant comme deux gouttes d’eau, comme des clones. De dignes adversaires pour les jumeaux de Varsovie. Si Jan et Lev parviennent à les contenir, ils pourront dire qu’ils sont devenus des hommes.

Les Slovsky sont plus robustes que le couple de sveltes humanoïdes qui atteignent à peine les 90 kilos. En coordination, ils les valent probablement. Mais en vitesse, c’est autre chose. Les natifs de Tau Ceti ne sont pas seulement beaux comme des dieux, ils sont également aussi agiles et glissants que des anguilles. Bien plus que tout autre humanoïde. Ils égalent presque les insectoïdes gordiens, les êtres les plus rapides de la galaxie malgré le blindage de leur exosquelette chitineux.

Au moins ils n’en comptent pas dans leurs rangs. Ceux-là, pour leur enlever le poids de leur carapace, il n’y a pas d’autre moyen que de les tuer…

Mais celui qui me préoccupe vraiment, c’est le quatrième joueur. Le visage de Gopal arbore une moue de dégoût. Les jumeaux ont la bouche ouverte de stupéfaction. D’un geste péremptoire, je leur ordonne d’être plus discrets. Aucun autre joueur ne semble l’avoir reconnu.

C’est Tamon Kowalsky, l’ex-capitaine des Hussards de Varsovie qui leur a fait gagner le championnat trois années de suite. Le capitaine de l’équipe Terre il y a cinq ans. Jan et Lev ont grandi à l’ombre de sa légende : il a été entraîné par leur père…

À présent, c’est un traître. Un spahi vendu à la Ligue qui joue contre son espèce, contre sa planète. Il porte un tatouage de crédit à la tempe droite, montrant le statut économique privilégié qu’il a atteint. Mais, socialement, ce doit être un paria, un solitaire déclassé.

Bien que son compte bancaire lui permette probablement d’acheter tout le Méta-Colisée et peut-être la moitié de la Nouvelle Rome, l’argent ne semble pas l’avoir rendu heureux. Derrière sa fière moustache, son visage a la même expression revêche que d’habitude… voire pire.

Il est en superforme. Il pèse près de 110 kilos, un peu plus que moi. Ferai-je le poids devant lui ? Je l’ai vu jouer avec les Hussards. À l’époque, il était rapide et n’avait aucun rival au rebond. Et depuis qu’il est dans la Ligue, il a dû beaucoup s’améliorer. Je vais avoir besoin de Yukio pour le neutraliser.

Mon équipe regarde Kowalsky avec curiosité. Il est dangereux. Il vaut mieux que je leur dise de qui il s’agit.

« C’est Tamon Kowalsky, des Hussards. Samouraï, ce renégat est à nous. À toi et moi. Banzai ? »

Le Japonais me regarde, et ses yeux flamboient. Le bushido ne pardonne pas la trahison.

« Banzai. Domo arigato, Daniel-San », répond-il, plaisantant à moitié.

Nous étudions le japonais ensemble mais, évidemment, il le parle bien mieux que moi. Une prédisposition génétique, sans doute. Depuis que le planétaire est devenu la langue commune sur Terre, l’apprentissage des idiomes historiques n’est qu’un passe-temps pour quelques nostalgiques.

Lorsque la sonnerie retentit, nous nous approchons de nos adversaires pour les saluer à la façon centaurienne : à peine un léger contact de la pointe des doigts, les bras très tendus. En pareil moment, je me dis toujours que les Centauriens sont une espèce paranoïaque.

Lorsque nous nous séparons, nous allumons nos combinaisons et les parois transparentes se polarisent pour nous cacher le public. Gopal se retire dans son stand, et nous attendons, vigilants, les membres contractés, que le voxl se matérialise. Ces quelques secondes nous paraissent aussi longues que des siècles.

Le voxl n’est pas une pelote, mais une concentration sphérique de champs de force. Il possède une masse, même faible, et rebondit contre les parois… Mais c’est là que s’arrête l’éventuelle ressemblance avec tout type de ballon.

Son interaction avec les champs de force des six surfaces du terrain a deux caractéristiques spéciales. La première est qu’à chaque rebond, il gagne de la vélocité au lieu d’être freiné, comme si les murs avaient un coefficient d’élasticité supérieur à 1. Au bout de cinq ou six rebonds, le mouvement du voxl est si rapide que même nos réflexes hyper entraînés ne peuvent plus le suivre avec précision.

La seconde particularité est que, comme tout champ de force, il est extrêmement glissant. Son angle de rebond est presque impossible à prévoir. Même s’il frappe perpendiculairement un mur, le plafond ou le sol, on peut être sûr que le voxl repartira avec au moins cinq à dix degrés de déviation… et à toute vitesse.

La seule chose qui ralentisse le voxl – et encore, pas beaucoup –, ce sont les champs de force de nos armures, de polarité opposée. Mais comme il glisse, tenter de l’agripper directement n’a aucun sens. Il est impossible de le tenir. On ne parviendrait qu’à le laisser s’échapper lentement avec une destination aléatoire.

Le frapper produit deux effets similaires. C’est comme l’offrir à l’équipe adverse : il repart par à-coups dans n’importe quel sens, et aussi lentement que l’impact aura été fort.

La façon la plus sûre de contrôler cet objet capricieux se fait par de doux frôlements, presque caressants, pour en changer la trajectoire et la vélocité. Avec beaucoup de pratique et pas moins de chance, un bon joueur peut presque parvenir à l’envoyer dans la direction souhaitée.

Comme si le contrôle du voxl n’était déjà pas assez compliqué, nos combinaisons rebondissent à vitesse croissante contre le sol, les parois et le plafond. Mais moins vite que l’insaisissable voxl. Surtout parce que, lorsque la partie commence, la gravité sur le terrain est réduite à 0,67 g, comme sur Colossa. Et ceci ralentit un peu les actions.

Un jour, un journaliste a déclaré qu’une partie de Voxl, surtout jouée par des novices, ressemble beaucoup à l’idée qu’un fou pourrait se faire du mouvement des planètes du Système solaire.

Le comptage des points ne semble pas non plus sensé, à première vue. Le jeu se termine lorsqu’une des équipes atteint un score de 18 points. Mais ils ne s’accumulent pas un par un. Cela aurait été trop facile et très ennuyeux pour les sadiques Centauriens.

Le premier essai marqué vaut six points. Le deuxième et le troisième, cinq points. Le quatrième, le cinquième et le sixième, quatre points. Du septième au dixième, trois points. Du onzième au quinzième, deux points. Et si aucune des équipes n’a encore gagné, les essais suivants valent un point chacun.

Il est rare qu’on en arrive à compter les points individuels. Le système est conçu pour que l’équipe la plus forte, qui parvient à imposer sa supériorité dès le début et marque les quatre premiers essais, batte l’autre en un minimum de temps.

Et ce n’est pas non plus si simple à compter. Si les mayas pensaient que dans leur tachli, qui se jouait avec les genoux, les hanches et les coudes, il était quasiment impossible de faire passer la boule de toile cirée dans le haut anneau de pierre à peine plus large que son diamètre, ils considéreraient cela comme un jeu d’enfant en voyant le Voxl.

Les règles sont peu nombreuses. Il est permis d’effleurer le voxl avec n’importe quelle partie du corps, mais il n’y a rien qui ressemble à des anneaux ou des buts. On considère comme un essai le triple rebond de la balle entre deux parois opposées – y compris le sol et le plafond –, sans intervention de l’équipe adverse après qu’un joueur l’a touché.

D’où la difficulté de marquer.

Si, en outre, on prend en compte que le concept de « faute » ou de « jeu rude » n’a aucun sens dans le Voxl, on comprendra mieux la véritable utilité des combinaisons-armures de champs de force. Avant tout, elles permettent d’éviter que la colonne vertébrale de chaque joueur se brise en mille morceaux dès la trentième seconde de match. Les combinaisons possèdent l’intéressante et très utile propriété d’avoir un grand moment inertiel, en plus d’avoir tendance à se comporter comme une masse compacte en cas d’impact externe. En gros, si un Colossien de trois quintaux vous tombe dessus à cent kilomètres heure, vous ne serez pas irrémédiablement aplati, mais vous glisserez « à peine » en sens contraire…

Et pourtant, les blessures sont très fréquentes. C’est là qu’entre le suppléant, pour remplacer l’infortuné joueur pendant que le moniteur médical traite son entorse, sa luxation ou sa fracture avec une machine orthopédique et le remet sur pied avec une bonne dose de drogues et d’hormones synthétiques régénératives.

La sonnerie retentit de nouveau. Il arrive. C’est imminent…


LE VOILÀ !

De la taille d’une tête humaine et d’un vert vif, le voxl se matérialise contre le blanc immaculé du terrain. Les combinaisons de l’équipe de la Ligue forment des taches couleur magenta qui se précipitent pour en prendre le contrôle. Nous autres, des éclairs bleu et rose pour les en empêcher. Des explosions de couleur qui mettent à l’épreuve les capacités visuelles des spectateurs qui tentent de déchiffrer l’écheveau de nos mouvements quasi supersoniques.

Mvamba prend de la vitesse en rebondissant contre le ventre du grand Danois. Kowalsky et les deux Cétiens utilisent les immenses épaules du Colossien dans le même but. Les Slovsky débordent vers les parois. Yukio rebondit contre moi et je glisse en tournant sur le sol presque sans frottement, formant un obstacle à ceux qui voudraient couper la route au voxl.

Le Colossien heurte Mvamba. Il le renverse et poursuit sa course. Écarté comme une plume, Mvamba prend une trajectoire erratique. Arno se jette à la rencontre du monstre de Colossa mais ne parvient pas à le contenir. Mauvais. Ah, mieux, les Slovsky tombent sur les clones cétiens et les dominent. Yukio contrôle le voxl et le premier rebond est pour nous…

Mais Kowalsky saute, évitant ma barrière. Il cherche Yukio, le heurte, profite de l’impulsion pour s’élever. Très mauvais. Il atteint le voxl après le deuxième rebond et le dévie sur le côté. Un rebond, deux… Nul ne peut distinguer lequel des Slovsky intercepte et s’impose. Nous reprenons le contrôle. Un rebond, deux… Le Colossien se précipite. Arno tente de l’arrêter mais il est neutralisé par une manœuvre de demi-tour et il manque le troisième rebond. Il est très fort, ce petit gars de Colossa.

À présent, il a le contrôle. Un, deux… Je vais l’intercepter… Mais Tamon Kowalsky accourt entre Yukio et moi et nous sépare. Très habile… Trois.

PREMIER ESSAI DE LA LIGUE ! SIX À ZÉRO !


Ils sont bons, ces maudits joueurs. Les meilleurs que j’ai affrontés. Je demande un temps mort pour donner des instructions à mon équipe.

Je leur parle via le système audio :

« Maintenant, ils ont le service. C’est dangereux. Arno, tu te surestimes devant le Colossien. Tu ne peux pas te mesurer en force pure avec lui, à un contre un. Yukio et Mvamba, occupez-vous de ce monstre. Battez-le à la vitesse. Et toi, grand Danois, neutralise ce renégat. Comme si ta vie était en jeu, Korvaldsen. Vous, les jumeaux, bon jeu…

Continuez comme ça, mais ne prenez pas trop confiance. Ces clones sont trompeurs. »

Le voxl apparaît dans le camp de l’équipe des visiteurs. Il touche le sol et repart. L’un des Cétiens le lance, un des Slovsky intercepte. Mais il ne le contrôle pas et il s’échappe. Le Colossien est maîtrisé par Yukio et Mvamba. Arno bloque Kowalsky contre le plafond. C’est ma chance.

Je saute et capture le voxl. Je le contrôle et prends les rebonds : un, deux… Mais mes coéquipiers ont négligé la queue du Colossien. Elle me dévie d’un habile revers et je manque l’essai.

À présent, un Cétien contrôle le voxl. Kowalsky me le dissimule, mais les Skovsky accourent. Un rebond… les jumeaux sont rapides, ils le reprennent avant le deuxième.

Ils ricochent contre le dos du Colossien et le passent à Yukio, qui s’échappe seul. C’est notre joueur le plus léger, le plus rapide. Un, deux, tr… Kowalsky le bloque à la dernière seconde, l’entoure, fait une passe discrète et le transmet au Colossien. Il est très lent. Il va devoir l’envoyer à quelqu’un d’autre. Où est Arno ?

La Brute blonde arrive à temps. Il oppose son poids et son impulsion à ceux du titan xénoïde, bloquant la passe. Le voxl est hors de contrôle. Jan Slovsky l’attrape à basse vitesse et l’envoie rebondir contre le plafond. Magnifique. Comment a-t-il réussi à le contrôler ?

J’arrête un Cétien. Tout va bien. Les Slovsky maîtrisent : un, deux, tr… Kowalsky intervient de nouveau ! Les jumeaux utilisent les schémas de jeu que leur père a créés pour ce renégat lorsqu’il était leader des Hussards. Ils n’y peuvent rien.

Le voxl rebondit, échappe à Mvamba. Ce Tamon est un empêcheur de tourner en rond. Lev Slovsky accourt, son frère venant derrière, en protection. Cette fois, le renégat ne pourra pas leur échapper. Ils sont comme un seul esprit dans deux corps… Merde, il les a feintés ! Il ne cherchait pas l’essai. Il passe à un Cétien, resté seul. Je tente d’intervenir, mais… Le voxl touche le sol, le plafond… Oui, j’ai peut-être le temps…

Zut ! Le Colossien lance Mvamba sur moi et il me coupe la route. Le voxl touche le sol de nouveau : trois. Enfer et damnation.

DEUXIÈME ESSAI DE LA LIGUE ! ONZE À ZÉRO !


Je demande un nouveau temps mort.

La voix de Gopal retentit dans l’audiophone, glaciale :

« Capitaine, je vous suggère de changer de tactique. »

Il ne m’appelle « capitaine » et ne me vouvoie que lorsqu’il désapprouve ma façon de mener l’équipe. Mais que veut-il de plus ?

« Sois créatif, poursuit-il. Ils s’attendent à ce que tu envoies les jumeaux contre leurs clones et que tu cherches l’essai. Kowalsky est le plus dangereux. Demande aux Slovsky de l’arrêter, et laisse les clones à l’Africain et au samouraï. Utilise ta ruse contre la force brute du Colossien et Arno est libre pour chercher le triple rebond. Il sait le faire. »

Je lui réponds, un peu sceptique :

« Nous allons voir. C’est une formation risquée, mais ça peut marcher. Je ne suis pas sûr de pouvoir me débrouiller contre le Colossien. Il fait presque trois fois mon poids, et avec cette queue… Mais qui ne tente rien n’a rien. Fin du temps mort. »

Et revoilà le voxl, dans leur camp. Ils ont l’intention de poursuivre la stratégie qui vient de leur donner onze points. Ils marquent un instant d’hésitation en voyant les changements de notre côté. À quoi vous vous attendiez, fils d’aliens ? L’homme est l’unique animal qui trébuche deux fois sur la même pierre… mais jamais trois.

Les jumeaux évincent totalement Kowalsky au deuxième rebond. C’est bon pour leur moral : ils constatent qu’ils peuvent dominer leur idole. Mvamba et Yukio attaquent les clones ensemble. Le voxl se retrouve seul et le Colossien hésite entre le Danois et moi… Il opte pour celui qui pèse le plus lourd. Parfait.

Arno ne tente même pas de retenir le voxl ; il me le passe et le monstre se tourne, venant vers moi. Je ne lui en laisserai pas le temps. Kowalsky tente désespérément de se dégager, mais les Slovsky ont bien appris leurs leçons. Ils ne lui laissent aucun passage.

Aïe, ce Colossien se déplace vraiment très vite, compte tenu de son poids. Il se rue dans ma direction. Maintenant, la surprise : avant que la masse magenta ne m’atteigne, je passe le voxl à Arno, qui est totalement libre. Le Colossien est sur moi… Je me recroqueville pour me protéger tandis que, du coin de l’œil, je vois Arno contrôler aisément le voxl. Le choc va être rude.

Un, deux… J’ai mal. L’impact me tord l’épaule. Quelque chose semble se briser. Je crie. Tout devient obscur. Et, de loin, dans mon casque, j’entends le cri de victoire de mon équipe.

Tout est noir. Et chaud.

ESSAI DE LA TERRE ! ! ! CINQ À ONZE !

TEMPS MORT.

DANIEL MENENDEZ, CAPITAINE DE L’ÉQUIPE TERRE, SORT SUR BLESSURE.

ENTRÉE DU REMPLAÇANT, JONATHAN HENDERSON.


La voix de Gopal traverse le néant :

« C’était une tactique vaillante. Presque suicidaire, devrais-je dire. Comme essayer d’arrêter un bison en pleine charge. Tu t’en tires bien. »

Il est fier de moi, ce vieux fou…

J’émerge de l’inconscience lorsqu’on me palpe l’épaule. Les électrodes du moniteur médical me donnent des frissons. Je ne sens plus mes jambes, mais ce n’est pas une sensation nouvelle. J’ébauche un sourire et pose une question :

« Quatre, cette fois ? »

J’ai la bouche pâteuse.

« Non, pas autant. Seulement trois vertèbres brisées. Je te le dis, tu as eu beaucoup de chance. Quelques minutes dans le réducteur de fractures et tu retournes sur le terrain. Tu possèdes encore un bon coefficient de régénération induite. Si c’était Arno, il mettrait le double de temps à récupérer… Il a beaucoup tiré sur son organisme.

— Je me suis ménagé », dis-je avec un soupir de soulagement.

Je tente de me redresser pour voir les holo-images du jeu qui monopolisent l’attention de l’ex-Merveille de Delhi. Mais je n’y parviens pas. J’ai trop mal.

« Où en sont-ils ?

— Arno les dirige, me répond Gopal, distrait. Ils essaient la manœuvre du trident. »

De l’extérieur, il n’est pas facile de capter le déroulement du jeu.

« Arrête de gesticuler. On t’administre cent milligrammes de Régédrine. Daniel, ce coup a été gagnant, mais on ne peut pas le retenter. Tu vas devoir faire attention. »

Il détourne le regard de l’holo-écran et me sourit.

« Tu es le meilleur capitaine que je connaisse. Nul ne se serait sacrifié ainsi pour un essai. Affronter seul ce Colossien était une folie. »

Je souris à mon tour.

« Mais ça a marché. Si ça te pèse sur la conscience, parce que tu m’as suggéré la tactique… Je te rappelle que c’est moi qui ai décidé de la tester. Ce n’est pas ta faute.

— Tu es aussi têtu qu’une bourrique. Dès que je t’ai vu, j’ai su que tu étais de ceux qui ne s’arrêtent pas avant d’avoir atteint le sommet. Ah, Daniel, si le reste de l’équipe avait autant de cœur que toi… »

Il contemple l’holo-image et émet un claquement de langue dégoûté.

« Regarde, les visiteurs les ont fait tomber dans le vieux piège de la coquille… Mvamba a encore beaucoup à apprendre. Ils vont se prendre un autre essai de la Ligue, si ça continue. »

Il me dévisage et soupire.

« Tu es prêt, champion ?

— Allons-y. »

Je suis prêt. Je sens de nouveau mes doigts de pied.

Il m’aide à remettre mon équipement.

« Maintenant, essaie de laisser ce Colossien tranquille… Si on lui bloque toutes les passes, sa force ne lui servira à rien. »

Il me congédie avec une grande claque sur l’épaule.

« Bonne chance, champion ! »

Je retourne sur le terrain avec l’annonce officielle :

LA LIGUE MARQUE LE QUATRIÈME ESSAI DE LA PARTIE.

SCORE : QUINZE À CINQ.

RETOUR DU CAPITAINE DE L’ÉQUIPE TERRE. SORTIE DU REMPLAÇANT.


Oui, Gopal avait raison : en les laissant former la coquille, le quatrième essai était inévitable.

Je rassemble l’équipe autour de moi :

« Bon, on arrête de se lamenter. On peut jouer mieux que ça, non ? Gopal propose de laisser tranquille le gros décoquillé. »

J’entends des sifflements sceptiques.

« Eh oui, c’est de la folie. C’est pourquoi nous allons seulement faire semblant de lui foutre la paix. »

Mes compagnons claquent des doigts avec enthousiasme.

« À l’heure de vérité, les jumeaux contre le Colossien, Mvamba et Arno contre les Cétiens, et je contiens Kowalsky. Yukia est libre pour marquer. Et attention : mon petit doigt me dit que s’ils ont réussi la coquille, il est probable qu’ils tentent la croix. Souvenez-vous, les Hussards le faisaient toujours. »

Ils éclatent de rire, confiants.

C’est mon équipe.

Comme je l’ai deviné, ils tentent de nous feinter en commençant un trident – quel manque d’originalité ! – mais ils exécutent une croix. Kowalsky sur un côté, un clone cétien devant, le deuxième de l’autre côté, le Colossien derrière.

Mvamba et Arno s’occupent des Cétiens, les jumeaux simulent la confusion et laissent le Colossien derrière, tout seul. Kowalsky prend une impulsion et le voilà, manipulant le voxl. Il va le passer, il ne pourra pas résister à la tentation. Maintenant !

On change. Les Slovsky arrêtent brusquement la masse magenta. Décidément, ces gamins sont très habiles. Arno aplatit l’ex-capitaine des Hussards contre un angle – je vais devoir l’embrasser pour cette manœuvre de rouleau compresseur. Je contrôle un clone, Mvamba s’enroule autour de l’autre. Et Yukio prend le voxl.

Mon samouraï feinte derrière le dos du Colossien, deux humains de 90 kilos ne pouvant retenir bien longtemps 300 kilos de xénoïde, et obtient un rebond… Mvamba et les jumeaux sont en mêlée sur le mastodonte, je fais obstacle aux clones avec de grands gestes. Kowalsky se libère d’Arno, trop lent et trop pesant pour le contenir, et accourt. Mais Yukio hurle « Banzai ! » et se love dans la position du serpent. Le voxl se déplace seul, par inertie. Deux… le troisième rebond intervient sous le nez du natif de Colossa. Calculé à la fraction de seconde. Je donnerais un demi-million de crédits, si je les avais, pour que son casque soit transparent et voir sa tête. Est-il étonné ? Furieux ? Ou les deux ?

Qu’est-ce que tu penses de ça, Gopal ? Pour ça oui, on l’a laissé tranquille, ton Colossien !

LA TERRE MARQUE LE CINQUIÈME ESSAI DE LA PARTIE !

NEUF À QUINZE !


Nous hurlons comme des fous et nous nous étreignons frénétiquement. Les magentas nous contemplent, immobiles. Ils doivent écumer de rage.

Kowalsky s’approche de moi et déconnecte son casque. Ses impressionnantes moustaches, pleines de sueur, collent à ses joues. Il sourit. Sans colère, professionnel.

« Eh, les enfants, calmez-vous… Ce n’est qu’un jeu. »

Il s’approche davantage et me murmure :

« Mais fais attention, métis, me crache-t-il l’insulte dans l’oreille. Qu’on gagne ou qu’on perde, je vais toucher en un mois ce que tu gagnes en un an. Je suis de la Ligue, tu comprends ? Une chose dont tu ne pourras jamais rêver. Ne l’oublie pas : j’ai déjà atteint le sommet. »

Je ne lui réponds pas et il reconnecte son casque.

C’est un truc psychologique absurde, ces insultes. Oui, je suis métis… Ma peau est couleur café-au-lait, je ne peux le nier. En toute logique, me vexer pour de tels propos serait stupide. Mais il y avait tant de mépris dans ses paroles…

Quelque chose brûle en moi.

« Renégat, on va te renvoyer le voxl… mille fois plus rapide. On va voir si ceux de la Ligue savent perdre. »

J’appelle mes troupes :

« Bien, ils l’ont cherché. On va les rendre dingues avec le tunnel. On commence par faire semblant de perdre le contrôle à la remise en jeu, pour qu’ils se relâchent. Et on va effacer ces six points de différence. »

Je hurle ma dernière question :

« Parce que nous sommes quoi ?

— L’ÉQUIPE CHAMPIONNE ! » répondent-ils en chœur.

À présent, plus rien ne peut nous arrêter.

Je fais mine de m’enrouler autour du voxl et de le laisser échapper vers un coin en gagnant de la vitesse. Ils tombent dans mon piège comme des imbéciles, en fonçant tous pour le chercher.

C’est ainsi que Yukio parvient facilement à l’autre bout du terrain. Et lorsqu’un Cétien cherche le rebond, le terrain se trouve partagé en deux. Arno surprend le clone, et la passe destinée à Kowalsky lui échappe. Lev Slovsky prend le contrôle du voxl, et on obtient l’effet tunnel : Slovsky – Mamba – Moi. Et Yukio, protégé derrière la muraille de corps, libre pour l’essai. Un, deux… Les Cétiens viennent heurter Jan Slovsky et moi. Kowalsky s’emmêle autour de Mvamba, et… Que font-ils ? Mais Arno n’intervient pas dans le jeu ! Le Colossien fonce à toute allure sur lui ! Merde, non… !

« ARRGGHH ! »

Le cri de douleur de la Brute blonde résonne dans les écouteurs. Il n’est pas parvenu à déconnecter son vocodeur…

SIXIÈME ESSAI POUR LA TERRE ! TREIZE À QUINZE !

LE DÉFENSEUR ARNO KORVALDSEN EST BLESSÉ.

LE REMPLAÇANT JONATHAN HENDERSON PREND SA PLACE.

LES DEUX ÉQUIPES AYANT ATTEINT DIX POINTS, C’EST LA MI-TEMPS.


Les infirmiers emportent Arno Korvaldsen, totalement inconscient, l’épaule terriblement tordue en un impossible nœud, les membres convulsés. Le docteur me regarde et secoue la tête. Il ne va rien pouvoir faire.

Les fils de pute ! Ils nous ont accordé l’essai pour éliminer notre défenseur. C’est une stratégie diabolique. Jonathan manque de poids pour remplacer efficacement la Brute blonde. Nous allons devoir restructurer toute l’équipe.

Les Slovsky, dont le casque est déconnecté, regardent d’un air hébété le Danois qu’on emporte. À l’évidence, ils le croyaient indestructible et sont catastrophés… Moi aussi. Au Voxl, les blessures sont aussi courantes que la sueur. Mais il est rare qu’elles soient si graves.

La silhouette magenta mais caractéristique de Kowalsky s’approche de moi. Il déconnecte son casque, arborant un sourire sarcastique.

« Pauvre vieux Danois. Il a bobo à son épaule… On ne devrait pas laisser les ancêtres, même les costauds comme lui, jouer avec nous, les meilleurs de la Ligue. Parfois, il arrive de regrettables accidents… C’est ça, le Voxl, métis. On va voir comment tu joues sans ta défense, latino… »

Il reconnecte son casque et s’éloigne.

Je ne le regarde pas. Je ne lui réponds pas. Je ne lui casse pas la figure comme j’ai tant envie de le faire. Il joue pour la Ligue, et quand le chronomètre ne tourne pas, il est aussi intouchable qu’un dieu. Comme tout xénoïde.

La dernière fois qu’un joueur de Voxl humain a répondu aux insultes d’un Centaurien et lui a flanqué quatre coups de couteau dans les côtes, les xénoïdes ont grillé tout l’Astrodôme de Melbourne à coup de gaz fongiques. Sur le moment, il n’y a eu que cinq mille tués, écrasés dans la panique, mais deux cent mille humains ont été condamnés à une mort lente et douloureuse en voyant pourrir leurs poumons pendant dix ans. Il existe des choses plus terribles que simplement mourir…

Et le pire est que le Centaurien n’est même pas mort de ses blessures. Il n’y a pas de justice en ce bas monde.

Gopal s’approche de moi avec une expression indéchiffrable et me murmure :

« Ça ne vaut pas la peine de sauver ce corps. Il a des traumatismes crâniens multiples, huit vertèbres réduites en bouillie, six côtes cassées. Pire, il est en état de mort cérébrale. Il faut l’auto-cloner. Son assurance couvrira les dépenses. De quand date sa dernière sauvegarde de conscience ? »

Je soupire.

« Juste avant la partie. Arno était un type prévoyant. Ça prendra combien de temps ? »

Gopal hausse les épaules.

« Une heure, je crois… Les matrices mécaniques sont de plus en plus rapides. Ça fait longtemps que je n’avais pas vu une blessure pareille… »

Oui… Quand on joue au Voxl, on sait que ça peut arriver à tout moment. Au début, on est terrifié. Puis on s’habitue à l’idée. En fin de compte, si l’assurance prend tout en charge, ça ne doit pas être si terrible… Et puis, soudain, quelqu’un décède devant soi. Et on comprend qu’on ne perdra jamais sa peur de mourir. Parce que c’est horrible. Cela le sera toujours, bien que l’obscurité ne soit que temporaire. Parce que la résurrection est garantie.

Arno ne verra pas la fin de cette partie.

J’appelle l’équipe. Je vois à leur visage qu’ils ont compris. Je les informe néanmoins.

« Il en a pour une heure. »

Ils savent déjà ce qui va se passer. Arno se réveillera avec beaucoup de kilos en moins. Il va devoir préparer sa nouvelle enveloppe corporelle, à coup d’hormones, d’entrainement, de régimes… Le corps d’un joueur de Voxl ne dépend pas seulement de ses gènes.

« Il lui faudra au moins six mois pour pouvoir rejouer. Et c’est pourquoi je voudrais, comme cadeau lorsqu’il se réveillera, que nous puissions lui dire : “Arno, nous avons gagné. Pour toi, grand Danois”. Qu’en pensez-vous ? »

Nous crions.

Nous sommes l’équipe championne.

Bien sûr que nous allons gagner !

Rassérénés, nous courons vers le bassin d’hydro-massage.

Nous sommes déjà parvenus là où aucune équipe humaine de Voxl n’était arrivée depuis des années, face aux joueurs de la Ligue. Treize à quinze. La dernière fois qu’une équipe Terre a dépassé la dizaine face aux xénoïdes, c’était il y a vingt-six ans. Elle était conduite par la Merveille de Delhi… Notre Mohamed Gopal.

Les cadres des Transports Planétaires INC doivent se féliciter de nous avoir sponsorisés. En échange de leur énorme investissement et du risque qu’ils ont pris, ils ont maintenant l’exclusivité de cinq minutes de publicité durant la mi-temps de la partie du millénaire. Une exclusivité qui rapporte des millions.

Comme chaque partie annuelle de Voxl entre humains et xénoïdes, celle-ci est retransmise par holo-vision sur les quatre continents de la Terre, sur tous les mondes qui ont intégré la Ligue, et jusqu’aux colonies possédant leurs propres hyper-antennes orbitales. À ce moment précis, plus des quatre cinquième de la population humaine doivent être devant leurs holo-écrans, priant leurs dieux pour que nous gagnions. Et, probablement, un bon cinquième de la galaxie doit être attentif au score de la partie. Avec, évidement, plus de curiosité que de ferveur.

Nous allons leur montrer que la Terre n’est pas qu’une simple destination touristique.

Quoique, sans Arno, nous allons devoir la jouer fine.

Je fais part de mes idées à l’équipe pendant que les vibrations de l’eau massent nos muscles surchauffés.

« Vous vous souvenez de la boîte chinoise ? Ça fait longtemps que nous ne l’avons pas utilisée… Peut-être qu’ils ne l’ont pas prise en compte dans leur préparation. »

Jonathan émet des doutes :

« Ça revient à jouer toute la partie à pile ou face. Trop risqué. »

Il a les mains qui tremblent. Lui, il joue effectivement le tout pour le tout.

« Je ne sais pas… Si nous marquons, ça ne fera que seize points. Mais s’ils éventent notre manœuvre, contre-attaquent et marquent, nous perdons tout. Nous devrions nous montrer prudents…

— Au diable la prudence ! » s’écrie Mvamba en se levant dans le bassin, éclaboussant tout le monde.

Ses yeux brillent de la détermination de la jeunesse. Son corps d’ébène, comme une belle statue, continue de vibrer d’exaltation.

« Moi je dis, on fait la boîte chinoise ! insiste-t-il.

— On la fait, déclarent en chœur les jumeaux. Pour la Brute blonde. »

Yukio, les lèvres pincées, acquiesce.

Jonathan lève les mains en signe de reddition.

C’est mon équipe.

Je les regarde avec fierté. Ils sont autant à moi qu’à Gopal. Des êtres humains de première. Des visages d’acier, exprimant la détermination à l’état pur. Des visages comme ceux des agents qui apparaissent sur les holo-affiches de recrutement pour la Sécurité Planétaire. Les soldats de la Terre. Des visages comme celui de l’ouvrier aux mâchoires de pierre dont l’immense hologramme flotte à présent au-dessus du Méta-Colisée, transmettant son message : Pour vos envois ; rien de tel que les Transports Planétaires INC. Pour qu’ils arrivent complets, pour qu’ils arrivent dans les délais. Et il le dit en étreignant la blonde très pulpeuse qui sourit à ses côtés, en un débordement subliminal de virilité et de patriotisme.

Mais cet ouvrier, comme ces agents de la Sécurité Planétaire, ne sont que des images générées par ordinateur. Mon équipe, elle, est réelle.

Ce qui fait toute la différence.

Ceux de la Ligue doivent penser qu’en nous privant d’Arno, ils nous démoraliseront. Qu’à présent, nous jouerons sur la défensive. Et c’est ce que nous devrions faire, en toute logique.

Ils ne peuvent pas s’attendre à ce que nous attaquions. Et encore moins avec une manœuvre aussi suicidaire et élémentaire que la boîte chinoise.

Cela peut fonctionner. Peut-être que cela les surprendra.

Et toutes ces années à ingurgiter des stéroïdes synthétiques au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner, des substances qui ont complètement bouleversé mon métabolisme, à consommer des antistress et des neurostimulants qui m’ont amené au bord de la folie, n’auront pas été vaines.

Et toutes les douleurs des jours pluvieux, souvenir des cent fractures que j’ai accumulées et des auto-clonages que je préférerais oublier, n’auront pas été vaines.

Et tout le temps que j’ai passé sans une seule érection qui ne soit induite par électronique, sans sortir avec une fille normale, sans famille ni amis que cette équipe de Voxl, n’aura pas été vain.

Peut-être que tout se passera bien. Et alors, tout cela n’aura été qu’un investissement. Dangereux, mais intelligent, en fin de compte. Une sorte de dépôt à long terme pour ensuite disposer d’un capital pour une vieillesse sûre et sans privations. Pour ne pas aller, comme tant de gens, grossir les rangs des ex-voxleurs ruinés, tirant les restes usés et inutiles de mes muscles démesurés entre deux gémissements de douleur. Pour ne pas pleurer pour un toit et un repas, obligé de me louer pour une misère au reconditionnement corporel. Pour ne pas tomber dans le réseau clandestin du travail social masculin afin de survivre quelques jours de plus.

Je regarde Jonathan du coin de l’œil. Il continue de trembler, et avec raison. Il est presque vieux et ne sait rien faire d’autre que jouer au Voxl. S’il ne réussit pas aujourd’hui, il n’aura pas d’autre chance. Son déclin en tant que compétiteur est déjà proche… Terriblement proche.

Aujourd’hui, il sera héros ou plus rien. L’échec honteux ou le triomphe total. Il va jouer dans la position la plus difficile pour un poids léger comme lui : défenseur remplaçant. Je sais qu’il donnera jusqu’à la dernière goutte de sueur, jusqu’à l’ultime gramme d’énergie.

Je regarde Mvamba. Il est tranquille. À son âge, alors qu’il commence à peine sa carrière sportive et a déjà intégré l’équipe Terre qui a atteint la dizaine de points face aux joueurs de la Ligue, il va être couvert de propositions de contrats. Pour lui, la vieillesse n’est encore qu’un lointain épouvantail. Et comparé à la ville de Sidney où il a grandi, enfer de violence et de saleté, chaque jour de sa vie actuelle est un paradis. Quoi qu’il se passe, il a déjà gagné et il le sait.

Le fait que, malgré tout, il accepte de jouer le tout pour le tout avec la boîte chinoise, risquant une blessure, est tout à l’honneur de l’adorateur de fétiche. Il a grand cœur, cet Africain ex-conducteur d’aérobus. Mais peut-être que, au dernier moment, l’instinct de conservation le conduira à s’économiser… Je lui ferai seulement confiance à quatre-vingt-dix pour cent.

Yukio est insondable, comme toujours. Il ne se mélange jamais. Lorsque nous sortons nous divertir en groupe, il préfère partir de son côté. Je ne le sens pas totalement mien. S’il n’était pas si bon, je n’aurais pas confiance en lui. Que fait un riche petit actionnaire de l’Agence Touristique Planétaire à suer sang et eau, risquant sa vie avec la lie du peuple terrien que nous sommes ? Jouer pour l’amour du jeu… Pour l’honneur ? Quel honneur nous reste-t-il, à nous autres, humains ? Que reste-t-il, sinon la survie à tout prix d’une race vaincue et humiliée sur tous les fronts ?

Les samouraïs et leur gloire guerrière remontent à très longtemps. Il y a eu le Contact et tout a changé. À présent, Yukio Kawabata, pathétique descendant des âmes féodales du Japon, essaie d’habiller sa nudité et sa frustration des haillons de ce tissu qui protège si peu : la dignité.

Laissez-moi rire ! Un voxleur humain digne ? C’est comme un Centaurien passionné ou un Gordien mystique. Absurde. Et si Yukio y croit, c’est un idéaliste stupide.

Malgré tout, cela le regarde. Stupide ou non, quelque chose me dit que je peux avoir totalement confiance en lui. Il est fait du même bois que les pilotes kamikazes de la Seconde Guerre mondiale. Même en sachant que l’Empire japonais avait perdu, ils volaient vers la mort sur l’artillerie yankee, criant Banzai ! dans leurs avions chargés d’explosifs. S’il avait vécu à l’époque, Yukio aurait été l’un d’entre eux. Il ne me laissera pas tomber.

Et les Slovsky ? J’étudie leurs visages qui s’éclairent tandis qu’ils discutent de leurs manœuvres de jeu. Jan et Lev, presque impossibles à distinguer. Leurs joues sont encore couvertes d’un duvet de pêche, sans l’ombre d’une barbe. Ce sont des gosses. Et en même temps, ils ressemblent à des ancêtres de milliers d’années qui ont déjà tout vu et se désintéressent de tout. Des robots uniquement programmés pour le Voxl. C’est ce qu’ils ont choisi de paraître. Mais je me demande ce qui se cache derrière.

Haïssaient-ils leur père, entraîneur tyrannique qui les a fait entrer sur le terrain avant même qu’ils sachent parler ? Me haïssent-ils pour les avoir contraints à affronter leur idole Tamon Kowalsky ? Ou m’adorent-ils pour leur avoir donné l’opportunité de partager, même dans des équipes opposées, une partie avec leur capitaine adoré des Hussards de Varsovie ?

Au-delà du jeu, que sont-ils ? Peut-être ce qu’ils paraissent, justement. Ils ont l’air heureux, parlant perpétuellement de Voxl. Mangeant Voxl. Respirant Voxl. Baignant dans la merde du Voxl, et aimant le Voxl comme personne.

Que disait cette phrase que ma mère me répétait, quand j’étais petit ? À celui qui meurt à son aise, la mort est délicieuse. Des mensonges. Délicieuse ? Tu parles ! Pour les Slovsky comme pour nous, la mort et l’échec seront merdiques.

Je peux aussi compter sur eux jusqu’au bout. Au fond, leur désintérêt supposé pour tout ce qui n’est pas le jeu n’est qu’un masque pour dissimuler une infinie timidité et une maladresse en dehors de l’univers du Voxl. Leur honte de se savoir humains. Ils ne sont pas si différents.

Nous sommes l’équipe championne.

Les meilleurs des meilleurs.

Le sel de la Terre.

Nous allons laver l’affront du Contact. Venger l’humiliation xénoïde dans l’unique domaine où nous sommes égaux.

Mais cette équipe de la Ligue dispose de moniteurs médicaux mille fois supérieurs aux nôtres, de simulateurs et d’assistants d’entraînement que nous ne pouvons pas même imaginer. L’égalité sportive est une chimère. Pourquoi, durant ces matchs, aucune équipe terrienne n’a-t-elle jamais gagné ?

Jusqu’à aujourd’hui.

Aujourd’hui, c’est différent. Je le sens dans l’air. Aujourd’hui… qui sait ?

Parce que nous sommes l’équipe championne.

La meilleure équipe humaine à avoir jamais foulé un terrain de Voxl.

Le grand espoir des Terriens.

L’arme secrète de la vengeance… plus proche que jamais.

FIN DE LA PAUSE PUBLICITAIRE.

LES ÉQUIPES REGAGNENT LE TERRAIN.


Les bleus et roses et les magentas reviennent sur la lice.

« On va voir comment tu évolues, à présent, latino », murmure Kowalski, en guise de salut, avant de connecter son casque.

Oui, renégat. On va voir comment toi tu te débrouilles. Voir si l’astuce de ton cerveau humain égale celle des six nôtres. Ce n’est pas par goût que toute équipe de la Ligue veut avoir au moins un homo sapiens dans ses rangs. Les Centauriens ont inventé le jeu… mais nous sommes les plus créatifs. Et toute la galaxie le sait… C’est pourquoi ils enregistrent les parties de notre Championnat mondial et les étudient pour nous voler nos stratégies.

Oui, Kowalsky. Tu vas voir comment je bouge, à présent. On va voir si cinq ans au sein de la Ligue t’ont appris des tactiques nouvelles… Ou si ça t’a seulement fait oublier une bonne partie de ce que tu savais.

L’engagement est pour nous. Dans le vocodeur, je rappelle la consigne à mes coéquipiers :

« La boîte chinoise, n’oubliez pas. »

Voilà le voxl, qui est à présent rouge, pour la deuxième mi-temps. En vertu de quoi ? Serait-ce parce qu’aucune équipe humaine ne parvient à distinguer un voxl de cette couleur lorsqu’il passe devant les combinaisons magenta de la Ligue ?

Sainte Vierge, ne m’oublie pas en cette heure décisive.

Yukio dévie le voxl sans le laisser toucher le sol. Un geste bien contrôlé. Les clones cétiens s’élancent pour le chercher.

Jonathan amorce un coup de toutes ses forces et arrête brusquement le voxl avant qu’il n’atteigne les Cétiens. Nous attendons. Kowalsky hésite et finit par nous envoyer le Colossien.

Maintenant.

Je rebondis contre Mvamba et je m’enroule autour du voxl. Je ne peux le saisir, mais il ne peut pas non plus sortir de la prison que forment mes membres, ma tête et mon corps. Je suis sans défense. Maintenant, tout dépend de mon équipe.

Le Colossien m’atteint et je me tends… Mais les Slovsky l’écartent avant qu’il ait pu me causer du mal. OK. Pour l’instant, tout va bien. Le contact doux me fait flotter lentement vers le haut et je m’arque subitement, poussant le voxl contre le plafond.

Premier rebond.

Comme au ralenti, Jonathan l’atteint et s’enroule autour de lui. Je me joins aux Slovsky : il faut immobiliser 300 kilos de Colossien ! Mvamba arrête un des Cétiens et un Yukio glissant comme une anguille parvient à faire s’emmêler Kowalsky et l’autre Cétien. Jonathan arrive au sol, entourant toujours le voxl, et le libère presque avec amour.

Deuxième rebond.

Jonathan a risqué le tout pour le tout en serrant désespérément le voxl jusqu’à la paroi. À présent, celui-ci repart… Par chance, dans la bonne direction. Vers le plafond. Dieu existe. Il est avec nous et guide notre voxl. Grâce à toi, bonne Vierge.

Le Colossien fournit un effort suprême pour l’atteindre et fait barrage aux jumeaux, mais je coince sa queue entre mon épaule et le mur. Une seconde, puis deux… Elle glisse. Il est trop fort. Et il y a peu de friction entre les champs de force de nos combinaisons. La masse magenta tend sa main tridactyle et…

Trop tard !

Troisième rebond !

C’est pour toi, Arno…

SEPTIÈME ESSAI MARQUÉ PAR LA TERRE ! ! !

ILS MÈNENT AU SCORE ! SEIZE À QUINZE !

TERRE, TERRE, TERRE !


Tu as vu, renégat, comment j’évolue ?

Je sens presque vibrer le terrain. Au dehors, le Méta-Colisée de la Nouvelle Rome a dû éclater de joie. C’est l’hystérie collective.

À l’intérieur, nous sommes l’équipe championne et nous allons gagner. Nous allons venger l’humiliation de la Terre, pour toujours. Nous allons gagner notre place au panthéon de la gloire. Le prochain essai sera décisif.

La remise en jeu est dans notre camp.

Nous nous saluons à la manière centaurienne, du bout des doigts, les bras tendus. Et nous passons à l’attaque.

Pour la première fois en un quart de siècle, la Terre vole vers la victoire.

Mvamba-Yukio. Les Slovsky entament un rebond hyper rapide sur la poitrine du Colossien démoralisé et parviennent à le contrôler. Le terrain est à nous.

Kowalsky tente d’attraper le voxl et échoue, mais les Cétiens agissent en coordination et volent le rebond que préparait Jonathan…

Il n’y pas d’échappatoire. Mvamba le leur dérobe et me le passe. Je le contrôle. Un, deux… Le Colossien écarte les Slovsky et perturbe notre stratégie. Il domine. Les jumeaux se replacent en défense mais Kowalsky a pris le voxl. Les clones me font obstruction, têtus.

J’esquive les Cétiens et je coupe la route de Tamon Kowalsky. Les jumeaux contrôlent le Colossien.

Le terrain s’emplit de tension. Nous luttons tous pour l’essai décisif.

Nos muscles s’épuisent. L’adrénaline sature notre sang.

Vierge de la Charité des Opulents, accorde-nous cet essai…

Les Cétiens sortent Yukio de la circulation en le projetant contre Mvamba. Peu importe, il a l’air de se reprendre. J’évite la charge de rhinocéros du Colossien et je fais une longue passe à Jonathan. Il la reçoit entre les jambes et cherche le rebond. Un, deux…

Un Cétien libre l’intercepte et prend impulsion contre son double. Kowalsky me bloque avec raideur. Un rebond, deux…

Petite Vierge, ne m’abandonne pas maintenant !

Yukio est étourdi. Mvamba vient à son aide, mais sa trajectoire est erratique. Il ne s’est pas repris du tout… Mon esprit se glace lorsque je comprends qu’il n’aura pas le temps.

Quelque chose brûle en moi. Cela ne peut pas finir ainsi !

Je hurle dans le vocodeur :

« Vengeance ! Tous sur Kowalsky ! »

… et trois.

HUITIÈME ET DERNIER ESSAI DE LA LIGUE.

DIX-HUIT À SEIZE.

VICTOIRE DE LA LIGUE.

LE CAPITAINE DE LA LIGUE, TAMON KOWALSKY, EST BLESSÉ.


Et nous avons perdu.

Mais l’ancien capitaine des Hussards de Varsovie a eu son compte, avec, sur lui, Jonathan, Mvamba, les Slovsky et moi.

Lorsqu’ils déconnectent le terrain et que la gravité remonte de 0,67 g à l’habituelle gravité terrestre de 1 g, Tamon Kowalsky git sur le sol du terrain, les quatre fers en l’air, ressemblant à une poupée cassée. Les infirmiers l’emmènent sans même déconnecter sa combinaison. Ils lui enlèvent seulement son casque, qui roule sur le sol, jusqu’à nous.

« C’est ça, le Voxl, Polonais ! marmonne Jonathan, lui flanquant un coup de pied vengeur, des larmes de rage dans les yeux. Et ça, c’était pour Arno. Et ça, pour que tu n’insultes plus aucun joueur humain. »

Je le regarde, surpris. Comment sait-il… ?

Il hausse les épaules, l’air désolé, et me montre son vocodeur. Celui-ci n’a rien du modèle officiel… Il a subi bien plus que de « légères adaptations ».

« Je regrette, Daniel, murmure-t-il. L’électronique est une autre de mes passions. J’ai pensé que, si je savais ce que vous vous racontiez, Gopal et toi, je jouerais mieux. J’ai posé un micro dans ton casque…

— Oublie-ça, dis-je en lui donnant une tape dans le dos. Cela n’a plus la moindre importance. »

J’essaie d’avoir l’air dégagé, lorsque je lui demande :

« Attends… Et toi ? Tu vas faire quoi, maintenant ? »

Il sourit et hausse les épaules.

« Eh bien, je vais me débrouiller. Je peux toujours retourner faire la classe aux sourds-muets. On se reverra un jour, j’espère. Prends soin de toi, capitaine. »

Et il s’en va. Un chic type, ce Jonathan. Quel dommage.

Pensif, je ramasse le casque cabossé de Kowalsky. Déconnecté, il est aussi transparent que le mien. Presque identique. Il n’y a ni magenta ni bleu et rose.

Peut-être n’aurais-je pas dû donner ce dernier ordre… Au fond, en dehors du fait que nous sommes humains, nous sommes pareils.

Je relativise la portée de mon acte. Dans une demi-heure, il aura récupéré, célébrant sa victoire avec le Colossien et les Cétiens.

Je me demande si, en dehors du terrain, il continue d’être le capitaine… Dans la Ligue, ils doivent avoir d’autres règles. En matière de salaire et de privilèges, il est probablement le dernier singe de cette troupe magenta.

Les mercenaires paient toujours un prix. Il a fait son choix. Il vaut mieux être la queue d’un lion que la tête d’un rat.

Je lève les yeux. Les parois sont de nouveau transparentes. Je vois le public quitter le stade titanesque. Silencieux. Muet. Comme chaque année. Mais dans douze mois, ils reviendront. Ce seront les mêmes. Et ils attendront de nouveau un miracle.

Pourquoi m’as-tu abandonné, douce Vierge ?

Nous avons perdu.

Je n’arrive pas à me faire à cette idée. Je me sens si vide que je n’arrive même pas à déprimer. Ni à pleurer ni à crier.

Peut-être que l’an prochain je pourrai jouer dans une autre équipe Terre. Pas comme capitaine, évidemment, mais ce serait toujours ça… En fin de compte, avec moi à leur tête, l’équipe a presque vaincu la Ligue.

« Ne pense plus à ça, me dit Gopal tandis que sa main se posant sur mon épaule me fait sursauter. Dans toute partie, il y a un perdant. C’est dur lorsque c’est toi, bien sûr… Mais, parfois, il y a des compensations.

— L’expérience ? » lui dis-je avec cynisme.

Et, au même moment, je le regrette. Je ne veux pas le blesser.

« Non. L’expérience est ce que nous gagnons lorsque nous obtenons ce que nous souhaitons. Je parle… d’un autre type de gain. »

Sa voix se met à trembler légèrement.

« Daniel, je veux te présenter un personnage important. Il est très impatient de te connaître. Par ici… »

Je me retourne avec méfiance. Je ne suis pas d’humeur à parler à des fans puissants et bourrés de fric, désireux de me consoler et de me dire que la prochaine fois nous aurons plus de chance…

Surprise. Il est plein aux as et très probablement fan de Voxl, mais il n’est pas humain. Il a huit pattes. Des yeux à facettes, froids. C’est un Gordien.

« Modigliani est chasseur de talents pour la Ligue », m’explique Gopal.

Il a parlé d’un ton léger derrière lequel je crois discerner autre chose. De la peine ? De l’envie ?

Je contemple l’insectoïde, la bouche ouverte. Je ne parviens pas à y croire… C’est trop beau pour que ça m’arrive à moi… Je ne peux que balbutier en tendant la main :

« Monsieur Modigliani, je… »

Je couvrirais volontiers de baisers sa carapace grisâtre et chitineuse. Merci, douce Vierge, d’avoir entendu mes prières.

Le xénoïde ignore ma main tendue.

« Pas “Monsieur”, déclare une voix électronique sortant d’un traducteur-synthétiseur sur la poitrine du xénoïde. Seulement “Modigliani”. Sais-tu, Danny, que tu possèdes un sens tactique que j’ai rarement vu chez un voxleur ?

— Euh… Merci, Mons… Modigliani…

— Bon, comme vous avez fait connaissance et que vous semblez vous entendre, je vais vous laisser, déclare Gopal en m’étreignant l’épaule. Je suis heureux que tu aies un beau futur devant toi. »

Il se penche et me murmure à l’oreille :

« Ne te brade pas. N’accepte pas sa première offre. »

Puis il déclare, de nouveau à voix haute :

« Nous nous reverrons, Danny. »

Je sens un fond de moquerie dans la façon dont il me le dit. Il ne m’a jamais appelé autrement que Daniel, ou « capitaine ».

Je l’observe. Il s’éloigne en sifflotant. Vers l’oubli. Il n’a plus de futur. Après dix ans comme joueur et quinze comme entraîneur d’équipes Terre toujours perdantes, son heure de gloire est passée. Mohamed Gopal, la Merveille de Delhi, prend définitivement sa retraite.

Je me demande de quoi il va vivre. Pour lui, comme pour les Slovsky, le Voxl représente tout.

Un jour, je l’appellerai… Mais pour l’instant j’ai des affaires plus urgentes à traiter. Je reporte mon attention sur le Gordien.

« Modigliani… Vous avez choisi un joli nom. Savez-vous qui était… ?

— Non, et je m’en fiche. Nous n’aimons que les noms terriens de quatre syllabes. Ils ont une certaine musicalité. »

Le Gordien agite, catégorique, deux de ses membres chitineux et m’en pose quatre sur une épaule, m’obligeant à marcher à son côté. Il est aussi grand que moi et plus maigre, mais beaucoup plus fort.

« Eh bien, Danny, j’aime aller droit au but. J’ai suivi la partie avec attention. Arno Korvaldsen et toi m’intéressez. Nous lui ferons également une offre lorsqu’il aura terminé son auto-clonage. Mais il n’est plus tout jeune, et avec un peu de chance il tiendra une saison. Quant à toi… »

Il fait une pause.

J’ai le cœur au bord des lèvres.

Qu’il ne m’offre pas une misère, douce Vierge. Tu sais que je vais devoir accepter de toute façon…

« Trois saisons chez les Draks de Bételgeuse… »

Dis-moi combien, bestiole dégoûtantePeu importe si tu captes mes pensées avec ta télépathie. Après, je te demanderai tous les pardons que tu voudras, mais dis-moi combien, maintenant…

« Un demi-million de crédits par saison. Frais médicaux et d’entraînement inclus, ainsi que l’assurance contre la mort accidentelle. Qu’en penses-tu ? »

Ce que j’en pense ? Que c’est une escroquerie. Voilà ce que j’en pense. Peut-être capte-t-il cette idée dans mon cerveau. Le Colossien et les clones cétiens qui ont joué contre nous aujourd’hui doivent gagner dix fois cette somme. Il serait intéressant de savoir combien touche Kowalsky, leur capitaine. Peut-être moins que moi…

Peu importe ce que j’en pense, Modigliani, parce que ça doit forcément me paraître bien. Je n’ai pas d’autre option. Je vais accepter. Tu sais que je vais dire oui. Je sais que tu sais que je sais. Alors, pas la peine de faire semblant. Après tout, je peux me considérer comme heureux.

« Parfait, finis-je par lâcher, avec l’impression d’avoir la bouche pleine de terre. Je commence quand ?

— Dès que tu auras récupéré tes bagages. Mon vaisseau quitte l’astroport de la Nouvelle Rome dans deux heures. Cherche-le. C’est le Velours. Je t’attendrai à bord. »

Modigliani s’éloigne de moi et se retourne :

« Je vais voir Korvaldsen… »

J’ose lui poser une dernière question, avant qu’il ne soit trop loin.

« Et les autres ?

— Ah oui… les autres. Ils ne m’intéressent pas. L’un est trop vieux. Les autres, trop jeunes. Bien que ces jumeaux… Peut-être l’an prochain. »

Un cri sauvage retentit derrière moi. Je me retourne. Je capte un reflet d’acier bruni et taché de rouge, à l’autre bout du terrain. Des infirmiers courent précipitamment. Je n’ai pas besoin de regarder. Je sais parfaitement ce qui vient de se passer.

Seppuku…

Yukio, aussi théâtral que d’habitude… Il a juré de se faire hara-kiri si nous perdions. Une dignité d’opérette, un honneur de pacotille. Comme s’il ne savait pas que, dans le pire des cas, sa famille l’auto-clonerait. Ces samouraïs et leur culte du sang…

Je m’inquiète davantage pour Jonathan. Et Gopal. Ils sont parfaitement capables de sortir d’ici en marchant très calmement et ensuite, bien plus loin, de se jeter dans un réservoir d’acide. Pour ne laisser aucune molécule.

Pauvres types…

Je suis désolé pour eux, mais la vie continue. Certains s’élèvent, d’autres tombent. À chacun ses problèmes. Je ne suis plus le capitaine de l’équipe Terre.

Douce vierge, je te mettrai un cierge au moins aussi gros que ma cuisse. Pour tout ce que tu as fait et feras encore pour moi.

Et quand Arno s’éveillera, nous allons nous acheter trois caisses de bière chacun. Et chercher un joli couple de travailleuses sociales, peu importe le prix. Nous nous devons bien ça.

Ce n’est pas tous les jours qu’on a autant de chance : décrocher un contrat avec la Ligue. Maintenant, à moi les voyages dans toutes les galaxies. Je vais vivre.

Dorénavant, je vais jouer pour de vrai.

Arno sera sûrement d’accord avec moi. Il est si pragmatique.

La fierté de la Terre, l’espoir des humains, la vengeance des humiliés…

De la foutaise.

Maintenant, oui, nous allons faire partie de l’équipe championne.

De celle qui paie le mieux.

De la seule qui vaille vraiment la peine.

Ma mère serait fière de son fils… J’en suis sûr.

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