Huit

Les vaisseaux obscurs se retournaient pour engager de nouveau le combat, mais Geary fit virer ses formations pendant leur dernier mouvement, ne stabilisant leurs vecteurs que lorsque les cuirassés ennemis se trouvèrent derrière ses propres vaisseaux, lesquels visaient une interception des croiseurs de combat obscurs qui désormais les précédaient. Ceux-ci freinaient à un rythme qui aurait déchiqueté des bâtiments de la Première Flotte. Quand ils atteindraient la position où les unités de Geary en découdraient avec les cuirassés, ils fileraient assez lentement (si du moins la vélocité de 0,1 c vaut d’être qualifiée de lente) pour engager à leur tour le combat avec les forces de l’Alliance.

« Qu’est-ce qu’on fabrique ? demanda Desjani.

— On change la donne, répondit Geary. Nous avons sous-estimé leurs IA. Sortons d’abord du piège où elles ont cherché à nous enfermer. Ensuite… »

Une alerte sonna sur son écran.

« Le Téméraire vient de perdre une autre unité de propulsion », rapporta le lieutenant Castries.

Geary écrasa ses touches de com. « Téméraire, pouvez-vous encore tenir le rythme de votre formation ? »

L’image du capitaine Ulrickson lui rendit son regard. « On mourra s’il le faut en essayant. Les réparations sont en cours. »

Détermination et vœux pieux étaient sans doute admirables, mais, en consultant ses données, Geary prit conscience que ni l’une ni les autres n’étaient des substituts convenables à une unité de propulsion principale endommagée. Si le Téméraire ne pouvait pas suivre, il faudrait l’abandonner ou sacrifier la flotte pour le protéger.

Desjani fixait son écran ; son visage ne trahissait aucune émotion.

« Il nous reste une demi-heure avant que d’autres manœuvres ne soient indiquées, déclara Geary au capitaine Ulrickson. Je tiens à ce que le Téméraire soit capable de suivre à ce moment.

— Entendu, amiral.

— Il nous reste une chance, affirma Geary à Desjani une fois la communication terminée. Les croiseurs de combat obscurs cherchent à nous rejoindre là où nous serons aux prises avec leurs cuirassés.

— Autant dire qu’ils fileront trop vite quand nous les atteindrons puisque nous nous dirigeons tout droit sur une interception de leurs croiseurs de combat, conclut-elle. Mesdames et messieurs, lança-t-elle à ses observateurs d’une voix plus forte, quelle est la règle numéro un de la manœuvre au combat ?

— Ne jamais pousser son vaisseau jusqu’aux dernières limites de ses capacités, répondirent en chœur les lieutenants Yuon et Castries.

— Parce que ?

— Parce qu’une fois qu’on l’a poussé jusqu’à ses dernières limites il n’a plus rien à vous offrir.

— Exactement. » Desjani désigna son écran d’un geste dédaigneux. « Ces croiseurs de combat obscurs ont basé leur approche sur la décélération maximale qu’ils peuvent endurer, ce qui signifie qu’ils ne peuvent plus ralentir assez vite maintenant que nous nous en rapprochons. » Elle baissa la voix pour s’adresser au seul Geary. « Malheureusement, nous ne pourrons pas non plus les frapper quand ils nous dépasseront.

— Non. » Il jaugeait la situation. Les cuirassés obscurs arrivaient derrière ses formations, mais ils accéléraient à un rythme supérieur à celui que ses propres cuirassés pouvaient soutenir, d’autant que le Téméraire claudiquait. La succession de passes de tir avortées avait maintenu les unités de Geary dans une proximité relative de l’adversaire, du moins en termes de distances spatiales, de sorte que les cuirassés ennemis n’étaient plus très éloignés et se rapprochaient encore. Même si le Téméraire réussissait à remettre en état une seule au moins de ses unités de propulsion principale, Geary ne pourrait pas les éviter très longtemps.

Les croiseurs de combat obscurs passeraient près de la formation de l’Alliance à une vitesse de rapprochement combinée de 0,25 c, soit trop vite pour espérer porter de nombreux coups au but. Cela étant, comme l’avait constaté Desjani, les vaisseaux de Geary ne pourraient pas non plus les frapper. Dès lors, tant les cuirassés que les croiseurs de combat ennemis se retrouveraient juste derrière la Première Flotte.

« Si nous cherchons à freiner pour engager le combat avec les croiseurs de combat obscurs, ils se borneront à nous esquiver, tandis que notre vélocité réduite permettra aux cuirassés obscurs de nous rattraper plus vite », marmonna Geary, les mâchoires crispées de frustration.

Desjani secoua la tête avec contrition. « Je n’ai rien à vous proposer, amiral.

— Nous avons une petite chance, articula-t-il lentement pour permettre à ses pensées de se former. Pour l’instant, nous filons plus lentement qu’eux. Nous pouvons donc nous retourner sous leur nez ou au moins leur tirer la bourre puisqu’ils peuvent manœuvrer plus serré que nous dans les mêmes conditions.

— Ils disposent d’une supériorité numérique suffisante pour nous laminer dans n’importe quel engagement, fit remarquer Desjani.

— À condition de nous trouver à portée de tir. »

L’anxiété de Desjani vira à l’étonnement. « Parce que c’est nous, maintenant, qui allons éviter de nous approcher ?

— Oui. Je n’ai jamais recouru à cette tactique, elle va donc les prendre au dépourvu. » Elle surprendrait sans doute les vaisseaux obscurs la première fois, et peut-être aussi la deuxième. Mais, après…

Les croiseurs de combat obscurs passèrent à cinq secondes-lumière des formations de l’Alliance, bien trop loin pour engager le combat même si la vélocité relative n’avait pas été si élevée. Sur l’écran de Geary, la projection de leur trajectoire les montrait en train de freiner sec jusqu’au moment où ils eurent dépassé leurs propres cuirassés. Toutefois, Geary ne s’était pas attendu à cette manœuvre.

« La formation de croiseurs de combat obscurs se retourne », rapporta Yuon.

Leur trajectoire projetée, comme celles des destroyers et des croiseurs lourds qui les accompagnaient, s’infléchissait en effet vers le bas, tandis que leur propulsion principale s’activait toujours à plein régime. Sur l’écran de Geary, elle s’incurva de plus en plus pour dessiner un très large virage qui les ramènerait vers les formations de la Première Flotte.

Il n’ignorait pas que tout le monde attendait fébrilement sa réaction, de sorte qu’il enfonça ses touches de com. « Première Flotte, l’ennemi s’imagine que toutes nos options sont forcloses et que nous ne pouvons plus éviter de l’affronter à son avantage. J’ai l’intention de déjouer ses plans et de le contraindre à une série de manœuvres diverses jusqu’à ce que nous puissions prendre la haute main sur lui et le frapper. Que chacun fasse de son mieux ! En l’honneur de nos ancêtres, Geary, terminé. »

La tension qui régnait sur la passerelle s’allégea spectaculairement. La même chose devait se produire sur tous les vaisseaux de l’Alliance, imagina-t-il. Les spatiaux de la flotte se fiaient à lui, lui faisaient confiance, l’avaient vu triompher de l’adversité à de multiples reprises. Ils ne doutaient pas une seconde qu’il pût recommencer.

Ce même doute l’agitait, pourtant il refusait de l’admettre, refusait d’y céder, ne pouvait pas lui permettre de le distraire de ses efforts pour renverser l’issue de la bataille.

Nouvel appel, celui-ci adressé à un seul bâtiment. « Capitaine Ulrickson, où en sont vos réparations ? »

Le commandant du Téméraire semblait avoir pris plusieurs années depuis leur dernière conversation. « Nous serons bientôt prêts à manœuvrer avec la flotte, affirma-t-il.

— Très bien. » Nul besoin d’expliquer à Ulrickson ce qu’il adviendrait si son vaisseau n’était pas prêt à suivre. Il en connaissait déjà les conséquences. Ni son équipage ni lui n’avaient besoin d’être davantage motivés.

L’Incroyable avait réussi à dépanner sa propulsion principale, mais d’autres bâtiments s’efforçaient encore de procéder à temps aux réparations de leurs avaries.

Les vaisseaux obscurs se rapprochaient des formations de Geary : les cuirassés arrivaient juste derrière elles et les croiseurs de combat remontaient sur elles au terme d’une longue boucle.

« Je dois manœuvrer dans cinq minutes, souffla-t-il à Desjani.

— Le Téméraire sait ce qui va se passer, répondit-elle dans un murmure. Nous avons tous vécu souvent cette situation. Ceux qui y ont survécu, je veux dire.

— Ça ne me rend pas le travail plus facile.

— Il n’est pas censé l’être. Félicitez-vous de n’être pas sur le Téméraire.

— Une minute ! » Il avait trois formations. Les vaisseaux obscurs regardaient l’Indomptable comme leur cible prioritaire. Les pousser de nouveau à dédaigner les autres menaces ne serait sans doute pas une tâche aisée, mais, jusque-là, ils avaient pris le pli de concentrer leurs tirs sur les cibles qu’ils élisaient. « Je peux essayer quelque chose. »

Ses mains volèrent sur son écran pour simuler des options et les exclure tour à tour. « Je dois faire croire aux vaisseaux obscurs que je me suis planté et que je leur laisse une ouverture. »

Il transmit des instructions. Tango Trois, la formation du Téméraire, pivota pour pointer vers le bas et présenter la proue de ses vaisseaux à l’ennemi en approche, et entreprit de modérer leur vélocité. Le Téméraire fut en mesure de la suivre tandis qu’elle se glissait sous la trajectoire des cuirassés obscurs.

Tango Deux, l’autre formation de cuirassés de la Première Flotte, pointa la proue de ses bâtiments en surplomb des cuirassés obscurs en approche et commença à freiner légèrement tout en s’élevant au-dessus de la trajectoire projetée de l’ennemi.

Simultanément, Tango Un, la formation de l’Indomptable et des autres croiseurs de combat, se lança vers le haut dans une longue boucle qui la ramènerait derrière les cuirassés obscurs sur leur trajectoire projetée.

« Amiral… ! » Castries avait l’air horrifiée.

Desjani la coupa d’un geste. « Je crois que l’amiral Geary sait très exactement ce qui vous chiffonne.

— C’est exact, confirma l’amiral. Je l’ai fait sciemment. »

La situation qui avait poussé un lieutenant à vouloir expliquer à son amiral qu’il s’était fourvoyé crevait les yeux. Les mouvements des deux formations, en faisant remonter Tango Deux au-dessus de sa trajectoire préalable et en faisant encore grimper plus vite Tango Un au-dessus et par-delà Tango Deux, les alignaient sur le même arc de cercle.

« Je veux que les vaisseaux obscurs constatent mon “erreur”, expliqua Geary à Castries. L’occasion leur semblera idéale pour adopter une trajectoire parabolique vers le haut qui leur permettra de frapper d’abord les cuirassés de Tango Deux puis de poursuivre leur route pour pilonner les croiseurs de combat de Tango Un.

— Vous leur agitez un appât sous le nez, dit Castries, qui commençait à comprendre. Pour qu’ils ne s’en prennent pas à Tango Trois et au Téméraire.

— Allons-nous chercher à les frapper ? demanda Desjani, que ça démangeait manifestement.

— Non. Le rapport de forces serait épouvantable. Nous allons leur faire goûter leur propre médecine. Un traitement qu’ils ne pourront pas anticiper parce que, contrairement aux soupçons du commandant de son propre vaisseau pavillon, l’amiral Geary n’a jamais cherché à éviter totalement le contact avec l’ennemi lors d’une passe de tir.

— Ouch ! tiqua Desjani. Je l’ai bien mérité. Mais nous ne pouvons pas l’emporter en nous contentant de les esquiver.

— Je sais. Il nous faudra attendre qu’eux-mêmes fassent une erreur. »

Les cuirassés obscurs se ruant vers Tango Deux, Geary tint compte du bref délai nécessaire à son message pour parvenir à ses vaisseaux puis transmit ses instructions : « À toutes les unités de Tango Deux, passez la propulsion à plein régime à T treize. »

Le capitaine Jane Geary rappela aussitôt. « Amiral, si nous procédons à cette manœuvre, nous raterons très certainement l’engagement avec les vaisseaux obscurs à leur passage.

— C’est bien mon intention, commandant. Nous ne pouvons pas les affronter dans des conditions nous garantissant pratiquement des pertes supérieures aux leurs. Nous tenterons de nouvelles passes de tir où ils seront sérieusement désavantagés. »

Jane Geary n’était pas contente, et la Jane Geary qui s’était quelque peu rebellée pendant la mission dans l’espace Énigma aurait sans doute contrevenu aux ordres, mais elle se rendit au raisonnement de l’amiral.

Prévoyant une autre tentative de la Première Flotte pour leur porter un coup cinglant, les vaisseaux obscurs y pallièrent par un petit crochet dans leur trajectoire qui les amènerait là où ils s’attendaient à trouver la formation de Geary. Au lieu de cela, dans la mesure où Tango Deux avait brusquement freiné sa vélocité à pleine puissance, ils manquèrent leur cible assez largement pour éradiquer toute possibilité d’un affrontement.

Geary ordonna à Tango Deux de couper de nouveau la propulsion de ses bâtiments puis d’attendre que les vaisseaux obscurs fussent remontés vers une interception de ses croiseurs de combat. Des cuirassés normaux, tels que ceux de Geary, auraient été bien en peine de réussir une interception de croiseurs de combat plus agiles. Mais les cuirassés obscurs étaient assez lestes pour avoir une chance d’y parvenir.

Du moins si Geary avait tenu à affronter douze cuirassés avec neuf croiseurs de combat, ce qui n’était nullement le cas.

Juste avant le contact, il fit pivoter sa formation de croiseurs pour réorienter leur proue vers le bas et l’arrière puis entreprit d’accélérer en décrivant à l’envers sa boucle précédente.

Les cuirassés obscurs, qui filaient à 0,15 c, avaient acquis un tel élan sur leur lancée qu’ils n’avaient aucune chance de réagir assez vite pour les rattraper. Ils les dépassèrent en trombe, non sans chercher, leur propulsion principale rugissant de nouveau à plein régime, à infléchir leur trajectoire pour négocier un virage plus serré.

Geary ramena ses croiseurs de combat vers le bas, tandis que la formation de cuirassés Tango Deux continuait de décrire sa parabole puis plongeait à son tour, et que Tango Trois, son autre formation de cuirassés, modifiait aussi sa trajectoire pour remonter.

Les croiseurs de combat obscurs se rendraient-ils compte à temps que Geary cherchait à les prendre en tenaille avec ses trois formations ? Ils grimpaient toujours vers l’ancienne trajectoire des vaisseaux de l’Alliance.

« Fichtre ! » marmonna Desjani en les voyant virer largement sur tribord pour viser les croiseurs de combat de Geary tout en esquivant ses cuirassés.

Les vaisseaux obscurs avaient de nouveau acquis une haute vélocité et beaucoup d’élan. Geary fit pivoter sa formation pour lui faire survoler la leur, mais à si grande distance qu’aucun engagement n’était possible.

L’image du capitaine Ulrickson réapparut. « Le Téméraire a rétabli une de ses unités de propulsion principale endommagées. Nous pouvons désormais tenir le rythme. Puissent les vivantes étoiles vous bénir pour nous avoir donné le temps de réparer, amiral !

— Remerciez plutôt les vivantes étoiles d’avoir permis aux vaisseaux obscurs de tomber dans le panneau de cette diversion. »

Il lui fallait maintenant se concentrer de nouveau soigneusement sur son écran pour observer les trajectoires paraboliques de l’ennemi, dont les vaisseaux revenaient sur eux en négociant les virages les plus serrés que pouvait supporter leur coque. Leur principale formation de cuirassés se réalignait en plein virage pour fusionner avec les deux petites sous-formations de flanc, puis se redisposait en deux formations abritant chacune six cuirassés, neuf croiseurs lourds, dix-neuf légers et une quarantaine de destroyers. Dans la mesure où les vaisseaux obscurs étaient dotés de plus de pièces d’artillerie que les vaisseaux normaux de l’Alliance, et où ceux de Geary avaient accumulé des dommages durant des mois de campagne et ne disposaient que de peu de moyens de les réparer, chaque nouvelle formation de cuirassés obscurs surpassait de très loin son homologue de la Première Flotte. En outre, leur contingent de croiseurs de combat était également plus fort que celui de Geary, avec près du double de sa puissance de feu.

« Ils n’ont pas besoin de nous frapper d’un coup avec plusieurs formations, déclara Desjani. Je crois qu’ils vont plutôt chercher à enfermer une des nôtres dans une des leurs pour la pilonner.

— Vous avez sans doute raison, mais nous n’allons pas les laisser faire, répliqua Geary, qui travaillait déjà sur de nouvelles instructions destinées à contrarier les manœuvres des vaisseaux obscurs. À un moment donné, il faudra bien qu’ils commettent une erreur. »

Il réussit d’un cheveu à arracher Tango Trois à une nouvelle tentative de l’ennemi pour la rattraper, chercha à se servir de la vitesse acquise des croiseurs de combat obscurs lors de cette dernière manœuvre pour les piéger et y échoua, contraint qu’il était d’éviter une autre série de manœuvres de leurs cuirassés, esquiva une triple attaque de l’Indomptable et des autres croiseurs de combat de l’Alliance, attaque qui tentait de les forcer à opérer le contact avec une des formations adverses, voire plusieurs en même temps, extirpa Tango Deux d’un traquenard en puissance, entreprit de régler une nouvelle attaque, dut en écarter ses croiseurs de combat, déplaça Tango Trois au tout dernier moment pour lui éviter l’assaut des trois formations de vaisseaux obscurs…

Il finit par perdre le compte du temps, absorbé tout entier dans le ballet ininterrompu de ses trois formations et des trois formations ennemies. Il fit quelques erreurs, trop infimes pour se solder par un désastre. Mais les vaisseaux obscurs, eux, n’en faisaient aucune et ne lui laissaient aucune ouverture.

Ses commandants, non moins conscients que lui de frôler de peu l’anéantissement, n’élevèrent pour une fois aucune protestation en dépit de la cruelle absence d’échange de tirs lors de passes où, même quand les vaisseaux obscurs avaient l’avantage, ils évitaient toujours de se trouver à une proximité suffisante pour engager le combat. Et, compte tenu de leur plus grande maniabilité et de leur puissance de feu supérieure, ceux-ci semblaient toujours avoir l’avantage.

Geary ne s’arracha à l’écran sur lequel il se concentrait férocement que pour prendre conscience de la présence du docteur Nasr qui, planté devant lui, lui tendait un petit patch médical.

« Vous en avez besoin, amiral.

— D’un stimulant ? » Geary cligna des paupières en essayant de se rappeler quand l’engagement avait commencé. « Depuis quand menons-nous ces passes de tir contre les vaisseaux obscurs ?

— Vous avez entrepris ces séries de manœuvres il y a seize heures, répondit Nasr d’une voix égale mais résolue. Vous êtes tenu d’appliquer ce patch si vous voulez rester lucide et vigilant. Mes assistants veillent à en administrer à tout l’équipage. De même sur les autres vaisseaux.

— Combien de temps font-ils effet ?

— Il faut les renouveler toutes les huit heures. Si besoin, compte tenu de la situation, vous pouvez en poser alternativement six d’affilée, mais au-delà de ce chiffre vous prenez le risque d’une détérioration de votre équilibre mental.

— J’en ai déjà pris six de suite, intervint Desjani en s’en plaquant elle-même un au bras. Je ne vous le recommande pas. La descente est infernale. »

Seize heures ! Geary s’appliqua son patch puis se concentra de nouveau sur la situation. Les batailles spatiales pouvaient sans doute durer très longtemps mais elles exigeaient rarement de très longues périodes d’action ininterrompue. Le large rayon des manœuvres, entre autres, permettait de s’accorder le temps d’un somme roboratif entre deux passes de tir.

Mais, contre les vaisseaux obscurs, ce moment de repos avait été consacré à une interminable succession d’attaques, de contre-attaques, de feintes et de manœuvres évasives. Des successions de manœuvres rapides sans interruption, qui épuisaient impitoyablement vaisseaux et équipages.

Pris d’une subite inquiétude, Geary afficha les données sur le niveau des cellules d’énergie de ses vaisseaux. « La plupart des destroyers ne sont plus qu’à trente pour cent de leurs réserves, apprit-il à Desjani.

— Rien d’étonnant, grommela-t-elle. Nous n’arrêtons pas de promener la flotte dans tous les sens. »

Cela étant, les vaisseaux obscurs s’étaient démenés encore plus durement.

Geary, qui, à un moment donné, s’était résolu à ne plus lutter que pour s’éviter une débâcle trop amère, entraperçut brusquement une faible lueur d’espoir. Les vaisseaux obscurs avaient décidément été programmés pour certaines tactiques. Les siennes, plus précisément. Et le lieutenant Castries avait fait la remarque qu’ils avaient l’air de se conformer au profil Priorité au combat dans leurs solutions de manœuvre.

Leur avait-on aussi inculqué des inquiétudes d’ordre logistique ?

Ils avaient frappé Indras puis épuisé sur Atalia toutes leurs réserves de projectiles cinétiques, sans rien en conserver en cas d’urgence. C’était le signe flagrant d’un manque de vigilance quant à l’aspect purement logistique du réapprovisionnement en munitions. N’auraient-ils pas aussi négligé d’autres aspects de la logistique ?

Et, quand le docteur Nasr évoquait les conséquences qu’aurait probablement sur leurs IA le fait de se heurter à des contraintes strictes qu’elles n’auraient pas préalablement contournées en les rationalisant, n’avait-il pas raison ?

Geary réussirait-il à esquiver un combat décisif assez longtemps pour le découvrir ?

Il se remit lugubrement à l’ouvrage, esquivant chaque nouvelle charge des vaisseaux obscurs et lançant contre eux des assauts qui faisaient toujours chou blanc. Une passe de tir… Une autre… Six formations comprenant des centaines de vaisseaux de guerre se tortillant et tournoyant les unes autour des autres dans l’immensité de l’espace, chacune cherchant à exploiter l’ouverture d’une fraction de seconde qui lui donnerait l’avantage et lui permettrait d’infliger des dommages critiques à l’ennemi.

Ses commandants et ses matelots continuaient de se plier à ses ordres, de se persuader qu’il finirait par trouver un moyen de s’en tirer, alors que Geary priait pour que ses vaisseaux et lui-même tinssent le coup assez longtemps.

Le moment qu’il redoutait finit par arriver au terme de près de vingt heures de manœuvres agressives ininterrompues.

Tango Deux avait été contrainte de réduire presque entièrement sa vélocité pour esquiver la passe de tir d’une formation ennemie. Ses vaisseaux pointaient à présent vers le haut, leur propulsion principale réactivée à plein régime pour tenter de reprendre de la vitesse, tandis que Geary s’efforçait de rameuter les deux autres formations de la Première Flotte à son secours.

Mais les croiseurs de combat obscurs, comme leur formation de cuirassés, avaient pris conscience de l’aubaine et eux aussi poussaient à présent leur propulsion principale au maximum ; or Tango Deux ne disposait tout bonnement pas d’assez d’élan pour esquiver leur charge, et elle n’avait pas non plus le temps de gagner de la vélocité.

Le capitaine Jane Geary appela de l’Intrépide, l’air d’affronter sa dernière heure. « Nous le leur ferons payer cher, amiral. Vengez-nous.

— Promis. » Il avait probablement déjà perdu Michael, son petit-neveu, et maintenant Jane allait mourir aussi. Les deux petits-enfants de son défunt frère auraient péri à cause des décisions qu’il avait prises. Parce qu’ils étaient des Geary, contraints de marcher sur les brisées de Black Jack.

« Les croiseurs de combat obscurs continuent de se retourner, rapporta le lieutenant Castries, perplexe.

— Vérifiez, ordonna Desjani.

— Ils ont dépassé la position à laquelle ils auraient dû coller à leur vecteur pour frapper Tango Deux, commandant. »

Geary et Desjani se redressèrent brusquement, le regard braqué sur leur écran et les icônes des croiseurs de combat obscurs.

« Que fabriquent-ils donc ? s’interrogea Desjani, incrédule.

— Ils divergent encore, commandant, reprit Castries, non moins déroutée que son commandant. Tout comme leurs cuirassés. Eux aussi ont quitté leur trajectoire vers Tango Deux.

— Leur troisième formation également, ajouta Geary. Regardez !

— Où vont-ils ? demanda Desjani. Dites-moi où ils vont ! »

Ses lieutenants échangèrent des regards désarmés.

« Ils se stabilisent finalement, déclara Geary. Où est ce… Où ce vecteur mène-t-il ?

— Loin de nos formations, affirma Desjani. Pourquoi passeraient-ils vingt heures à tenter de nous éliminer pour ensuite déguerpir brusquement ? L’amiral Bloch aurait-il repris en partie leur contrôle ? Une sous-routine de leur logiciel se serait-elle activée pour leur ordonner de cesser de nous combattre ?

— C’est une question logicielle, je crois, dit Geary. Quelque chose qu’ils n’avaient pas vu venir.

— Les trois formations de vaisseaux obscurs se stabilisent sur des vecteurs les menant au point de saut pour Montan, commandant, rapporta Castries.

— Montan. » Desjani fixait son écran comme si elle pouvait y trouver une explication à l’inexplicable. « Qu’iraient-ils chercher à Montan ?

— C’est le point de saut le plus proche de notre position dans ce système, fit remarquer Castries. Outre cela, commandant, le principal attrait de Montan est son portail de l’hypernet. Montan était un système de repli au cas où Varandal serait tombé aux mains des Syndics, de sorte qu’on y a installé un portail permettant la prompte relève de ses forces défensives.

— Un portail de l’hypernet ? » Desjani tourna vers Geary un regard perplexe. « Ils regagnent leur base ? Ou bien fuient-ils ?

— Ça y ressemble », laissa tomber l’amiral. Il luttait contre une immense lassitude, se refusant à admettre que ses espoirs s’étaient vraiment concrétisés.

« Si vous voulez bien me permettre, amiral, pour quelqu’un qui prétend n’avoir aucun lien de connivence avec les vivantes étoiles, c’est fichtrement miraculeux.

— Il n’y a rien de miraculeux là-dedans. La programmation des vaisseaux obscurs est d’ordre tactique, pas logistique. Vous avez tous été témoins de la brutalité de leurs manœuvres. Elles ont consommé leurs cellules d’énergie à un rythme accéléré. Regardez le niveau des nôtres. De celles de nos destroyers. »

Desjani consulta ses données. « Il est au plus bas. Quinze pour cent en moyenne. Rien d’étonnant après toutes ces pirouettes à poussée maximale pendant vingt heures. Selon vous, ils rompraient le combat parce qu’ils sont à sec ?

— J’en ai la certitude, triompha-t-il, incapable, à la vue des vaisseaux obscurs continuant de piquer vers le point de saut pour Montan, d’empêcher son soulagement de percer dans sa voix. Certains de leurs bâtiments, probablement tous leurs destroyers, ne disposent plus que de dix pour cent de leurs réserves de cellules d’énergie. Que dit le règlement de la flotte à cet égard ?

— Toute formation de vaisseaux militaires dont le niveau des réserves de cellules d’énergie sera descendu au-dessous du seuil de dix pour cent devra rompre le combat et rentrer s’approvisionner, cita le lieutenant Yuon, qui venait sans doute d’étudier ces articles du règlement dans le cadre de sa promotion au sein de la flotte.

— Sans exception, n’est-ce pas ?

— Sans exception.

— Pourquoi diable prêteraient-ils attention à ce règlement ? objecta Desjani. Ils ont éliminé toute navigation spatiale dans ce système, ils ont agressé Ambaru, bombardé Atalia et nous ont attaqués. Pourquoi se plieraient-ils au règlement de la flotte relatif au niveau des cellules d’énergie ?

— Le docteur Nasr prétend que les vaisseaux obscurs fonctionnent sur deux modes logiques. Un premier ensemble d’instructions très strictes, qui leur inculquent ce qu’ils doivent faire et ne pas faire, et une programmation plus souple conçue pour leur faire singer le raisonnement humain. Cette dernière flexibilité pourrait fort bien les avoir autorisés à outrepasser, par la rationalisation, les limitations auxquelles ils se heurtaient par le passé. Mais le docteur Nasr affirme aussi que, s’il leur arrivait de tomber sur une nouvelle interdiction comminatoire, elle leur poserait un problème puisqu’ils n’auraient pas encore trouvé le moyen de justifier leur insubordination. Il leur faudrait alors se plier à cette instruction stricte jusqu’à ce qu’ils aient appris à la contourner.

— Nos ancêtres nous gardent ! s’exclama Desjani. Ils nous ont peut-être d’ailleurs sauvés, j’imagine !

— Ce sont eux qui me l’ont appris, éructa Geary, trop fatigué et excité pour dissimuler davantage. Avec la flamme d’une chandelle. Esquive toujours. Ne te laisse pas prendre.

— Je ne cesse de vous exhorter à les écouter. Ainsi, vous aviez compris que les vaisseaux obscurs brûlaient leur carburant beaucoup plus vite que nous et vous espériez qu’ils seraient les premiers à sec et que le docteur Nasr ne se trompait pas ?

— Plus ou moins, ouais. »

Elle le fixa sans mot dire puis éclata de rire. « Nous devons donc ce miracle au règlement de la flotte. Je n’arriverai jamais à surmonter ça.

— Il faut bien que le règlement de la flotte serve à quelque chose. Je suis prêt à accepter tous les miracles, quelle que soit la forme qu’ils revêtent. » Geary contempla longuement son écran. Il avait encore du mal à se pénétrer de l’idée que sa flotte ne serait pas détruite à Bhavan. « Dépêcher quelques vaisseaux à leurs trousses pour les filer jusqu’à leur base serait assez tentant.

— Mais ?

— Mais les vaisseaux obscurs s’en rendraient compte. Il ne leur serait que trop facile de nous tendre une embuscade à Montan. Je ne peux pas prendre ce risque.

— Demandez des volontaires…

— Non, la coupa-t-il. Si disposés qu’ils soient à remplir cette mission, je n’enverrai pas des gens à leur mort. D’ailleurs, tous nos vaisseaux commencent eux aussi à manquer de carburant. » Geary ferma les yeux en soupirant, permettant enfin à la réalité de s’imposer à lui et à ses nerfs de se détendre. « Nous avons sauvé Bhavan. Nous suivrons les vaisseaux obscurs de loin jusqu’à ce qu’ils aient sauté pour Montan, puis nous rentrerons à Varandal.

— Et s’ils réussissaient à contourner le règlement relatif aux cellules d’énergie avant de sauter ? demanda Desjani.

— En ce cas, nous serions beaucoup mieux positionnés pour engager de nouveau le combat, d’autant que le niveau de leurs réserves continuera de baisser. S’ils se retournent pour nous combattre avec un carburant pratiquement épuisé, ce sera sans doute pour nous l’issue la plus heureuse.

— Espérons-le. Si leurs réacteurs s’éteignaient, les vaisseaux obscurs eux-mêmes se retrouveraient impuissants. »

Mais ceux-ci échouèrent manifestement à surmonter à temps leur obéissance aveugle au règlement de la flotte puisqu’ils sautèrent pour Montan une demi-journée plus tard. Geary ramena à Varandal sa flotte malmenée, sans se donner la peine de répondre aux questions qui affluaient à présent de Bhavan, lui demandaient si la menace était passée et à quoi il fallait s’attendre désormais. Il n’avait pas la réponse.

« On dirait que ç’a tourné à l’aigre à Bhavan. » L’amiral Timbal se fendit d’une grimace maussade. « Nous avons vu ces croiseurs de combat obscurs surgir du portail de l’hypernet et piquer vers le point de saut pour Bhavan, mais nous ne disposions que de quelques destroyers et d’un seul croiseur assez proches d’eux pour les intercepter. Peu enclin à sacrifier d’autres bâtiments dans un combat perdu d’avance, je leur ai ordonné d’éviter le contact. Votre capitaine Duellos était très contrarié, mais lui-même, avec deux de ses croiseurs de combat toujours à quai, ne pouvait guère se lancer à leurs trousses.

— Nous avons survécu », répondit Geary, laconique. Il se trouvait dans sa cabine à bord de l’Indomptable, où il passait en revue les dommages infligés à ses vaisseaux pendant la longue bataille de Bhavan, tout en se demandant si le capitaine Smyth saurait trouver les fonds nécessaires à l’acquisition de si nombreuses cellules d’énergie. « Ce qui, comparé à ce qui aurait pu se produire, est déjà une victoire en soi, poursuivit-il sans rien chercher à cacher.

— Eh bien, nul ne peut vaincre Black Jack, n’est-ce pas ? avança l’image de son homologue.

— Il a bien failli se faire battre à Bhavan, répondit Geary. On a visiblement construit ces vaisseaux obscurs pour triompher de moi, et, pour une fois, on n’a que trop bien réussi à trouver l’arme fatale.

— Vous trouverez un moyen, affirma Timbal. Les vivantes étoiles ne vous auraient pas placé devant un tel défi si elles ne vous avaient pas cru capable de le surmonter.

— Si c’est vrai, j’aimerais assez que les vivantes étoiles aient un peu moins confiance en moi. » Tout le monde dit à peu près la même chose : Black Jack trouvera sûrement un moyen de vaincre les vaisseaux obscurs. Mais Black Jack ne trouve strictement rien. Ce qui est sûr et certain, c’est que je ne pourrai pas les battre en combat loyal avec ce que j’ai sous la main.

Timbal sourit, l’air de se demander si Geary blaguait, puis afficha une mine résignée. « À propos du gouvernement, je tenais à vous prévenir. L’ordre de réaffectation du Tsunami, du Typhon et du Haboob est arrivé.

— Et pourquoi pas aussi le Mistral ? Pourquoi ne me laisser qu’un seul transport d’assaut ? » Non pas, d’ailleurs, que les transports d’assaut fussent bien utiles contre les vaisseaux obscurs, mais ces derniers transferts lui faisaient l’effet d’ajouter l’insulte à l’affront.

« Aucune idée », répondit Timbal.

Geary marqua une pause pour vérifier le statut du Mistral dans la base de données de la flotte. Il n’était pas en aussi bon état que ses autres transports d’assaut. Il semblait n’y avoir aucune raison à ce qu’on le laissât à Varandal quand toute sa division était réaffectée à une autre mission. « Savez-vous où partent les trois autres ?

— Vers Unité.

— Unité ? » Geary dévisagea Timbal. « Pour y faire quoi ?

— Force d’évacuation en cas d’urgence éventuelle, expliqua Timbal. C’est ce que disent les ordres.

— D’évac… ? » Geary secoua la tête et s’efforça de répondre calmement. « Ils commencent à prendre les vaisseaux obscurs au sérieux ? C’est le signe manifeste que le gouvernement en a perdu le contrôle et qu’il redoute une agression prochaine. Le QG de la flotte a dû faire savoir au gouvernement que tous les transports d’assaut de la flotte réunis ne suffiraient pas à embarquer l’ensemble de la population d’Unité.

— On ne peut rien présumer de la part du QG, mais ces trois transports d’assaut ont une capacité suffisante pour prendre à leur bord les notables, j’imagine, et c’est d’eux que s’inquiète probablement le gouvernement, déclara Timbal. Oh ! Et ils sont aussi censés embarquer la plupart de vos fusiliers.

— La plupart de mes fusiliers ? Pour quoi faire ? Retenir les foules qui chercheraient à se faire une place à bord ?

— Je n’en sais rien, amiral. » Timbal écarta les bras. « Ces ordres sont limpides. Soit vous les exécutez, soit vous les enfreignez. Pas moyen de les contourner. »

Geary opina pesamment. « Je vois. Parfait. Tsunami, Typhon et Haboob partent pour Unité avec… combien de fusiliers exactement ?

— Deux brigades sur trois plus leurs éléments de soutien. Deux mille cent au total. Le général Carabali doit les accompagner.

— Suis-je au moins habilité à choisir les brigades qui partiront et celle qui restera ? »

Timbal plissa les yeux comme pour accommoder. « Hmmm… non ! La première et la deuxième brigades partent avec les transports d’assaut. Vous gardez la troisième. Vous sentez à quel point on vous apprécie ?

— Pas pour le moment. » Mais, quand Timbal eut raccroché, Geary resta un moment assis dans sa cabine, renfrogné, à se demander d’où venaient vraiment ces ordres. Le gouvernement dispose de beaucoup plus de transports d’assaut que moi. Et de bien plus de fusiliers. Pourquoi tient-il tant à renvoyer les miens à Unité ?

Il appela Carabali. « Êtes-vous informée des ordres concernant les transports d’assaut et les deux tiers de nos fusiliers ?

— Oui, amiral. À l’instant même.

— Savez-vous pourquoi ils affectent vos première et deuxième brigades à Unité tandis que la troisième reste à Varandal ?

— Oui, amiral, répondit Carabali, l’air un tantinet penaude. Pendant que vous étiez en mission, j’ai reçu une requête m’exhortant à désigner celles de mes brigades les plus efficaces dans un assaut. En me fondant sur leur expérience respective et le nom de leur commandant, j’ai répondu que la troisième me semblait la mieux qualifiée. C’est sans doute pour cette raison qu’on l’a choisie pour rester à Varandal. Je vous ai envoyé un mémo à cet égard, mais, avec tout ce qui s’est passé, vous n’y avez peut-être pas prêté attention.

— Merci de me faire comprendre avec autant de tact que je suis passé à côté. On me laisse donc la meilleure brigade ?

— C’est un terme relatif, amiral, répondit Carabali non sans quelque raideur. Toutes le sont.

— Je vois. Et j’en conviens. J’aurais dû mieux choisir mes mots. Avez-vous une idée de ce que sera votre mission à Unité ?

— Non, amiral.

— Merci, général. Faites-moi savoir si vous avez besoin d’assistance pour les préparatifs de ce transfert. »

Il se radossa à la fin de la communication. Les questions qui l’agitaient étaient encore plus nombreuses qu’avant sa conversation avec Carabali. Je m’étais dit que j’aurais besoin de quelques-uns de mes fusiliers quand j’aurais localisé la base des vaisseaux obscurs. De gens qui sauraient s’emparer de leurs installations et les désactiver sans les détruire. Je tiens à disposer de cette preuve au cas où l’on prétendrait que les vaisseaux obscurs ne sont qu’une chimère, qu’ils n’avaient aucune existence officielle ou autre absurdité du même tonneau.

Si j’avais besoin des fusiliers pour mener cette mission à bien, je choisirais sans doute la troisième brigade, me semble-t-il. Et c’est précisément cette unité qu’on me laisse. Mais pourquoi le faire sans m’en parler ?

Et, quoi qu’il en soit, tant que je ne connais pas la localisation précise de la base des vaisseaux obscurs, tout cela ne rime à rien.

Ô mes ancêtres, cette fois, j’ai vraiment besoin d’un coup de pouce !

L’alarme de son écoutille annonça une visite.

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