Poussé au désespoir par ses essais infructueux pour comprendre l’univers, le sage Devadasa déclara finalement dans son exaspération :
TOUTES LES PROPOSITIONS QUI CONTIENNENT LE MOT DIEU SONT FAUSSES.
Instantanément, son disciple le moins aimé, Somasiri, répondit :
— La phrase que je prononce maintenant contient le mot Dieu. Je n’arrive pas à voir, ô noble Maître, comment cette simple déclaration peut être fausse.
Devadasa réfléchit à la question durant plusieurs Poyas. Puis il répliqua, cette fois avec une apparente satisfaction :
SEULES LES PROPOSITIONS QUI NE CONTIENNENT PAS LE MOT DIEU PEUVENT ÊTRE VRAIES.
Après une pause à peine suffisante pour qu’une mangouste affamée avale un grain de millet, Somasiri riposta :
— Si cette proposition s’applique à elle-même, ô Vénérable, elle ne peut pas être vraie, car elle contient le mot Dieu. Mais si elle n’est pas vraie…
À ce moment, Devadasa brisa sa sébile sur le crâne de Somasiri, et par conséquent devrait être honoré comme le véritable fondateur du Zen.
(Tiré d’un fragment du Culawamsa, pas encore découvert.)
Vers la fin de l’après-midi, lorsque l’escalier ne fut plus grillé par toute l’ardeur du soleil, le Vénérable Parakarma commença sa descente. À la nuit tombante, il aurait atteint le premier des refuges où se reposaient les pèlerins, et dans la journée suivante, il serait de retour dans le monde des hommes.
Le Maha Thero ne lui avait donné d’avis ni dans un sens ni dans l’autre et s’il était chagriné du départ de son collègue, il n’en avait montré aucun signe. Il avait simplement psalmodié : « Rien n’est permanent en ce monde », joint les mains et donné sa bénédiction.
Le Vénérable Parakarma, qui avait autrefois été le Dr Choam Goldberg, et pourrait le redevenir, n’aurait pas eu grande difficulté à expliquer ses motifs. « Faire ce qu’on doit » était facile à dire ; mais ce n’était pas facile à découvrir.
Au Maha Vihara de la Sri Kanda, il avait trouvé la paix de l’esprit – mais ce n’était pas suffisant. Avec sa formation scientifique, il ne pouvait plus se satisfaire d’accepter l’attitude ambiguë de l’Ordre vis-à-vis de Dieu ; une pareille indifférence en était venue finalement à paraître pire que la négation totale.
S’il pouvait exister une chose telle qu’un gène rabbinique, le Dr Goldberg le possédait. Comme beaucoup d’autres avant lui, Goldberg-Parakarma avait cherché Dieu à travers les mathématiques, sans être découragé par la bombe qu’avait fait exploser au début du XXe siècle Kurt Gödel, avec sa découverte des propositions « indécidables ». Il ne pouvait pas comprendre comment quiconque pouvait considérer l’asymétrie dynamique de l’équation profonde et pourtant admirablement simple d’Euler
eπi + 1 = 0
sans se demander si l’univers n’était pas la création de quelque vaste intelligence.
Après s’être d’abord fait un nom avec une nouvelle théorie cosmologique qui avait résisté près de dix ans avant d’être réfutée, Goldberg avait été acclamé comme un nouvel Einstein ou un nouveau N’goya. En une époque d’ultra-spécialisation, il avait également réussi à faire de notables progrès en aéro et hydrodynamique, depuis longtemps considérées comme des sujets enterrés, incapables d’offrir d’autres surprises.
Puis, à l’apogée de son autorité, il avait connu une conversion religieuse non sans ressemblance avec celle de Pascal, quoique sans autant de résonances morbides. Durant les dix ans suivants, il avait été content de se perdre dans l’anonymat de la robe jaune, et de concentrer son esprit brillant sur des questions de doctrine et de philosophie. Il ne regrettait pas cet entracte, et n’était même pas certain d’avoir abandonné l’Ordre ; un jour, peut-être, le grand escalier le reverrait-il. Mais les talents qu’il tenait de Dieu se réaffirmaient ; il y avait un énorme travail à faire et il avait besoin d’outils qui ne pouvaient être trouvés sur la Sri Kanda – ni même d’ailleurs, sur la Terre.
Il ressentait peu d’hostilité, à présent, envers Vannevar Morgan. Aussi involontairement que l’ingénieur eût allumé l’étincelle, à sa manière maladroite, lui aussi était un agent de Dieu. Cependant le temple devait, à tout prix, être protégé. Que la Roue du Destin lui ramène jamais sa tranquillité, ou non, Parakarma était implacablement décidé à cela.
Et donc, tel un nouveau Moïse, apportant du sommet de la montagne des lois qui changeraient la destinée des hommes, le Vénérable Parakarma descendait vers le monde auquel il avait naguère renoncé. Il restait aveugle aux beautés de la terre et du ciel qui l’entouraient, car elles étaient totalement insignifiantes comparées à celles que lui seul pouvait voir, dans les armées d’équations qui défilaient dans son esprit.
— Vos ennuis, Dr Morgan, dit l’homme dans le fauteuil roulant, viennent de ce que vous êtes sur la mauvaise planète.
— Je ne peux m’empêcher de penser, rétorqua Morgan en regardant ouvertement le système de survie de son visiteur, qu’on pourrait dire la même chose de vous.
Le vice-président (Département Investissements) de Narodny Mars émit un petit rire d’appréciation.
— Au moins, ne suis-je ici que pour une semaine seulement – ensuite je retrouverai Mars et une pesanteur civilisée. Oh, je pourrais marcher si j’en avais réellement besoin, mais je préfère faire autrement.
— Si je puis vous le demander, pourquoi alors venez-vous sur la Terre ?
— Je le fais aussi peu que possible, mais parfois il faut être sur place. Contrairement à ce qu’on croit en général, on ne peut pas tout faire par commande à distance. Je suis certain que vous le savez bien.
Morgan inclina la tête ; c’était tout à fait vrai. Il songea à toutes les occasions où la texture d’une matière quelconque, le contact du roc ou de la terre sous les pieds, l’odeur de la jungle, la morsure des embruns sur son visage, avaient joué un rôle capital dans l’un de ses projets. Un jour, peut-être, même ses sensations pourraient être transmises électroniquement – en fait, cela avait déjà été fait très grossièrement, à un niveau expérimental, et à un coût énorme. Mais il n’existait rien qui puisse remplacer la réalité, il fallait se méfier des imitations.
— Si vous êtes venu sur la Terre spécialement pour me rencontrer, répondit Morgan, je suis très sensible à cet honneur. Mais si vous m’offrez un travail sur Mars, vous perdez votre temps. Je profite de ma retraite pour retrouver des amis et des parents que je n’avais pas vus depuis des années et je n’ai aucune intention d’entamer une nouvelle carrière.
— Je trouve cela surprenant ; après tout vous n’avez que cinquante-deux ans. Comment vous proposez-vous d’occuper votre temps ?
— C’est facile. Je pourrais passer le reste de ma vie sur n’importe lequel d’une douzaine de projets. Les ingénieurs de l’antiquité – les Romains, les Grecs, les Incas – m’ont toujours fasciné et je n’ai jamais eu le temps de les étudier. Il m’a été demandé d’écrire et de faire un cours à l’université du Globe, sur la science des projets de grands travaux. On m’a également commandé un manuel sur les ouvrages d’art avancés. Je voudrais développer certaines idées sur l’usage d’éléments actifs pour corriger des charges dynamiques, vents, séismes et ainsi de suite. Je suis toujours expert-conseil pour la Générale de Tectonique. Et je prépare un rapport sur l’administration de la CTC.
— À la demande de qui ? Pas, je suppose, du sénateur Collins ?
— Non, dit Morgan avec un sourire sardonique. J’ai pensé que ce serait… utile. Et cela aide à me soulager de mes sentiments.
— J’en suis certain. Cependant toutes ces activités ne sont pas vraiment créatives. Tôt ou tard, elles deviendront insipides – comme ce merveilleux paysage norvégien. Vous vous fatiguerez de regarder des lacs et des sapins, de même que vous vous fatiguerez d’écrire et de parler. Vous êtes le genre d’homme qui ne sera jamais vraiment heureux, Dr Morgan, à moins que vous ne refassiez notre univers.
Morgan ne répondit pas. Le pronostic était trop exact pour son confort.
— J’ai idée que vous êtes d’accord avec moi. Que diriez-vous si je vous apprenais que ma banque est sérieusement intéressée par votre projet de transporteur spatial ?
— Je serais sceptique. Quand je l’ai contactée, il m’a été répondu que c’était une excellente idée, mais qu’elle ne pouvait pas mettre d’argent dans ce projet en l’état de choses actuel. Elle avait besoin de tous ses fonds disponibles pour le développement de Mars. C’est la vieille histoire – nous serons heureux de vous aider quand vous n’aurez besoin d’aucune aide.
— Cela, c’était il y a un an ; à présent, après plus ample réflexion, nous aimerions que vous construisiez le transporteur spatial… mais pas sur la Terre. Sur Mars. Êtes-vous intéressé ?
— Je pourrais l’être. Continuez.
— Considérez les avantages. Un tiers de la pesanteur seulement, de sorte que les forces impliquées sont réduites en conséquence. L’orbite synchrone est également plus proche – moins de la moitié de l’altitude qu’il faut ici. Donc, dès le départ même, les problèmes de construction sont énormément amoindris. Nos gens estiment que le système martien coûterait moins du dixième du système terrien.
— C’est tout à fait possible, quoiqu’il faudrait que je vérifie.
— Et ce n’est que le commencement. Nous avons de violentes tempêtes sur Mars, en dépit de notre atmosphère ténue – mais aussi des montagnes qui s’élèvent complètement au-dessus d’elles. Votre Sri Kanda n’a que cinq mille mètres de haut. Nous avons le mont Pavonis – vingt et un mille mètres, et exactement sur l’équateur. Mieux encore, il n’y a pas de moines martiens installés au sommet avec des baux à long terme… Et il y a une autre raison pour laquelle Mars semble avoir été créé à l’intention d’un transporteur spatial : Deimos n’est qu’à trois mille kilomètres au-dessus de l’orbite stationnaire. Nous avons donc déjà deux millions de mégatonnes placés exactement au bon endroit pour l’ancrage.
— Cela présentera quelques problèmes intéressants de synchronisation, mais je vois ce que vous voulez dire. J’aimerais rencontrer les gens qui ont calculé tout cela.
— Vous ne le pouvez pas, en temps réel. Ils sont tous sur Mars. Il vous faudra y aller.
— Je suis tenté, mais j’ai encore quelques autres questions.
— Allez-y !
— La Terre doit absolument avoir ce transporteur, pour toutes les raisons que vous connaissez sans doute. Mais il me semble que Mars pourrait s’en passer. Vous n’avez qu’une part réduite de notre trafic spatial et un taux projeté de croissance beaucoup plus petit. Franchement, cela ne paraît pas avoir beaucoup de sens pour moi.
— Je me demandais quand vous poseriez la question.
— Bien, je la pose.
— Avez-vous entendu parler du projet Eos ?
— Je ne crois pas.
— Eos – en grec « aurore » – le plan de régénérescence de Mars.
— Oh, bien sûr, je suis au courant ! Il nécessiterait la fonte des calottes polaires, n’est-ce pas ?
— Exactement. Si nous pouvions faire fondre toute cette glace et toute cette neige carbonique, plusieurs choses se produiraient. La densité atmosphérique augmenterait au point que les hommes pourraient travailler à l’extérieur sans combinaison spatiale ; et à un stade ultérieur, l’air pourrait même être rendu respirable. Il y aurait des eaux courantes, de petites mers – et par-dessus tout, de la végétation, le début d’une flore et d’une faune soigneusement planifiées. En deux siècles, Mars pourrait être un autre Jardin d’Éden. C’est la seule planète du système solaire que nous pouvons transformer au moyen de la technologie connue. Vénus pourrait bien toujours rester trop chaude.
— Et où se place le transporteur dans tout cela ?
— Il nous faut mettre plusieurs millions de tonnes d’équipement sur orbite. Des miroirs solaires de centaines de kilomètres de diamètre sont le seul moyen pratique de réchauffer Mars. Et nous en aurons besoin en permanence – d’abord pour fondre les calottes glaciaires et ensuite pour maintenir une température confortable.
— Ne pourriez-vous pas tirer tous les matériaux de construction de vos mines des astéroïdes ?
— Une partie, bien entendu. Mais les meilleurs miroirs pour cet usage sont faits en sodium, et celui-ci est rare dans l’espace. Nous devrons l’obtenir des gisements salins de Tharsis – presque au pied du Pavonis, heureusement.
— Et combien de temps tout cela prendra ?
— S’il ne se présente pas de problèmes, le premier stade pourrait être atteint en cinquante ans. Peut-être pour votre centième anniversaire ; ce que les actuaires disent que vous avez trente-neuf pour cent de chances d’atteindre.
Morgan se mit à rire.
— J’admire les gens qui font du travail de recherche aussi approfondi.
— Nous ne survivrions pas sur Mars si nous ne faisions pas attention aux détails.
— Bien, je suis très favorablement impressionné, quoique je garde encore pas mal de réserves. Le financement par exemple…
— Ça c’est mon affaire, Dr Morgan. Je suis le banquier. Vous êtes l’ingénieur.
— Exact, mais vous paraissez connaître pas mal de choses sur les questions techniques et j’ai dû apprendre beaucoup sur les questions économiques – souvent à mes dépens. Avant même que j’envisage de m’engager dans un tel projet, je désirerais avoir un budget détaillé article par article…
— Qui peut vous être fourni…
— … et ce ne serait que le début. Vous ne vous rendez peut-être pas compte qu’il reste encore une énorme quantité de recherches à faire dans une demi-douzaine de domaines… production en masse de matière première pour l’hyperfilament, problèmes de stabilité et de contrôle… je pourrais continuer toute la nuit.
— Ce ne sera pas nécessaire ; nos ingénieurs ont lu tous vos rapports. Ce qu’ils proposent, c’est une expérience à petite échelle qui réglera beaucoup de problèmes techniques et prouvera que le principe est bon…
— Il n’y a pas de doute là-dessus.
— Je suis d’accord, mais c’est stupéfiant, la différence qu’une petite démonstration pratique peut faire. Alors c’est ce que nous voudrions que vous fassiez. Prévoyez le plus petit système possible – juste un fil avec une charge utile de quelques kilogrammes. Faites-le descendre de l’orbite synchrone jusqu’à la Terre. Ensuite utilisez-le pour faire monter quelque chose, simplement pour montrer que les fusées sont dépassées. L’expérience sera relativement peu coûteuse ; elle procurera des renseignements essentiels et un apprentissage fondamental – et de notre point de vue, elle épargnera des années de discussion. Nous pourrons aller trouver le gouvernement de la Terre, la Caisse solaire, les autres banques interplanétaires… et nous n’aurons qu’à leur faire voir la démonstration.
— Vous avez vraiment tout calculé. Quand aimeriez-vous avoir ma réponse ?
— Pour être honnête, dans, disons, cinq secondes. Mais, de toute évidence, l’affaire n’a rien d’urgent. Prenez le temps qui vous semble raisonnable.
— Très bien. Donnez-moi vos avant-projets d’étude, vos analyses de coût et tous les autres renseignements dont vous disposez. Une fois que je les aurai examinés, je vous ferai savoir ma décision dans… oh ! une semaine au plus.
— Merci. Voilà mon numéro. Vous pouvez m’appeler à n’importe quel moment.
Morgan glissa la carte d’identification du banquier dans la fente mémoire de son communicateur et vérifia ENTRÉE CONFIRMÉE sur l’affichage visuel. Avant qu’il n’ait rendu la carte, il avait déjà pris sa décision.
À moins qu’il n’y eût une faille fondamentale dans l’analyse martienne – et il était prêt à parier une grosse somme qu’elle était correcte – sa retraite était terminée. Il avait souvent noté, avec quelque amusement, que s’il réfléchissait fréquemment longtemps et profondément sur des décisions relativement sans importance, il n’avait jamais hésité un instant aux tournants décisifs de sa carrière. Il avait toujours su ce qu’il fallait faire, et s’était rarement trompé.
Et pourtant à ce stade de la partie engagée, il valait mieux ne pas mettre trop de capital émotionnel dans un projet qui pouvait encore s’effondrer. Après que le banquier fut parti pour la première étape de son voyage de retour à Port-Tranquillité, via Oslo et Gagarine, Morgan se découvrit dans l’impossibilité de se livrer à aucune des activités qu’il avait projetées pour la longue soirée nordique ; son esprit était en ébullition, explorant tout l’éventail de futurs soudainement changés.
Au bout de quelques minutes d’allées et venues énervées, il s’assit à son bureau et se mit à établir une liste de priorités dans une sorte d’ordre inverse, commençant par les engagements dont il pouvait le plus facilement se dégager. Avant longtemps, cependant, il constata qu’il ne lui était pas possible de se concentrer sur des questions aussi banales. Loin dans le tréfonds de son esprit, quelque chose le harcelait, essayant d’attirer son attention. Lorsqu’il s’efforçait de saisir quoi, cela lui échappait immédiatement, comme un mot familier mais momentanément oublié.
Avec un soupir de frustration, Morgan quitta son bureau et s’en alla sur la véranda qui courait le long de la façade ouest de l’hôtel. Bien qu’il fît très froid, l’air était tout à fait calme et la température au-dessous de zéro était plus stimulante que désagréable. Le ciel étincelait d’étoiles et un croissant de lune jaunâtre descendait lentement vers son reflet dans le fjord, dont la surface était si sombre et si immobile qu’elle aurait pu être une plaque d’ébène poli.
Trente ans plus tôt, il s’était trouvé presque au même endroit, avec une jolie fille dont il ne pouvait plus se rappeler nettement l’apparence. Ils venaient tous deux de célébrer leurs premiers diplômes et c’était, en fait, tout ce qu’ils avaient en commun. Ça n’avait pas été une affaire sérieuse ; ils étaient jeunes et avaient passé d’agréables moments en compagnie l’un de l’autre – et ç’avait été suffisant. Pourtant, sans qu’il sache pourquoi, ce souvenir qui s’effaçait l’avait ramené au Trollshaven Fjord à ce moment capital de sa vie. Qu’aurait pensé le jeune étudiant de vingt-deux ans, s’il avait pu savoir que ses pas le ramèneraient en ce lieu de plaisirs resté dans sa mémoire, trente ans après ?
Il y avait à peine une trace de nostalgie ou de mélancolie dans la rêverie de Morgan – seulement une sorte d’amusement songeur. Il n’avait jamais regretté un instant le fait qu’Ingrid et lui se fussent séparés à l’amiable sans même envisager le contrat d’essai habituel d’un an. Elle avait continué par la suite en rendant trois autres hommes modérément malheureux avant de se trouver une situation à la Commission lunaire, et Morgan avait perdu sa trace. Peut-être était-elle en ce moment même là-haut, sur ce croissant brillant, dont la couleur était presque assortie à celle de ses cheveux dorés.
C’était fini pour le passé. Morgan tourna ses pensées vers l’avenir ; où était Mars ? Il fut honteux d’avouer qu’il ne savait même pas s’il était visible ce soir-là. En parcourant du regard le cercle de l’écliptique depuis la Lune jusqu’à l’éblouissant repère de Vénus et plus loin encore, il ne vit rien dans toute cette profusion de joyaux étincelants qu’il pût identifier avec certitude comme étant la planète rouge. C’était excitant de penser que, dans un futur pas très éloigné, il pourrait – lui qui n’avait même jamais voyagé au delà de l’orbite lunaire ! – contempler de ses propres yeux ces magnifiques paysages pourpres et voir les minuscules lunes passer rapidement par toutes leurs phases.
À ce moment, le rêve s’effondra. Morgan resta un instant paralysé, puis rentra brusquement dans l’hôtel, oubliant la splendeur de la nuit.
Il n’y avait pas de console tous usages dans sa chambre : il dut donc descendre dans le hall pour obtenir le renseignement dont il avait besoin. La chance voulut que la cabine fût occupée par une vieille dame qui mit si longtemps à trouver ce qu’elle voulait que Morgan en frappa presque à grands coups sur la porte. Mais finalement, elle s’en alla en marmottant des excuses, et Morgan se trouva en face de tout l’art et le savoir accumulés de l’humanité.
Au temps où il était étudiant, il avait gagné plusieurs championnats de récupération de l’information, en recherchant, contre la montre, d’obscurs renseignements d’après des questionnaires préparés par des juges d’un ingénieux sadisme. (« Quelle fut la hauteur pluviométrique dans la capitale du plus petit État du monde, le jour où le second plus grand nombre de buts fut marqué dans la Coupe mondiale de football ? » était l’une des questions dont il se souvenait avec une affection particulière.) Son habileté s’était encore améliorée avec les années et sa question était parfaitement directe. L’affichage vint en trente secondes, avec beaucoup plus de détails qu’il n’en avait réellement besoin.
Morgan considéra l’écran durant une minute puis secoua la tête avec une stupéfaction déconcertée.
— Ce n’est pas possible que cela leur ait échappé ! murmura-t-il. Mais que peuvent-ils y faire ?
Morgan appuya sur le bouton COPIE IMPRIMÉE et emporta la mince feuille de papier dans sa chambre pour une étude plus approfondie. Le problème était d’une évidence si étourdissante, si consternante, qu’il se demanda si lui-même n’aurait pas laissé échapper une solution tout aussi évidente et se rendrait ridicule en soulevant la question. Cependant il n’y avait aucun moyen possible de faire autrement…
Il regarda sa montre : il était déjà plus de minuit. Mais c’était une chose qu’il devait régler tout de suite.
Au grand soulagement de Morgan, le banquier n’avait pas appuyé sur son bouton NE PAS DÉRANGER. Il répondit immédiatement, la voix un peu surprise.
— J’espère que je ne vous ai pas réveillé, dit Morgan pas très sincère.
— Non… nous sommes sur le point d’atterrir à Gagarine. Quel est le problème ?
— Il s’agit d’environ dix tératonnes{Tératonne (du grec teratos, « monstre ») = un million de millions de tonnes. (N.d.T.)} se déplaçant à deux kilomètres à la seconde. La lune intérieure, Phobos, c’est un bulldozer cosmique qui passerait près du transporteur spatial toutes les onze heures. Je n’ai pas fait le calcul exact des probabilités mais la collision est inévitable tous les quelques jours.
Il y eut un long silence à l’autre bout de la communication. Puis le banquier dit :
— J’aurais pu penser à cela. C’est tellement évident que quelqu’un doit avoir la solution. Peut-être devrons-nous déplacer Phobos.
— Impossible : la masse est beaucoup trop grande.
— Il faut que j’appelle Mars. Le délai de réponse est de douze minutes en ce moment. Je devrais en avoir une d’ici une heure.
« Je l’espère, se dit Morgan. Et il vaudrait mieux qu’elle soit bonne… si toutefois je veux vraiment me lancer dans cette entreprise. »
Le Dendrobium macarthiae fleurissait habituellement à la venue de la mousson du sud-ouest mais, cette année, il était en avance. Tandis que Johan Rajasinghe, dans sa serre à orchidées, en admirait les fleurs compliquées d’un rose violacé, il se souvint que, la saison dernière, il avait été bloqué dans la serre par une averse torrentielle alors qu’il examinait les premières floraisons.
Il regarda le ciel avec inquiétude ; non, il y avait peu de risque de pluie. Il faisait une journée superbe, avec de minces traînées de nuages, très haut, modérant le soleil féroce. Mais ça, c’était bizarre…
Rajasinghe n’avait jamais rien vu de semblable auparavant. Presque verticalement au-dessus de lui, les bandes nuageuses étaient interrompues par une perturbation circulaire. Elle paraissait être une minuscule tempête cyclonique de quelques kilomètres de diamètre seulement, mais elle rappelait à Rajasinghe quelque chose de complètement différent – le trou provenant d’un nœud dans le bois d’une planche parfaitement aplanie. Il abandonna ses chères orchidées et sortit de la serre pour mieux observer le phénomène. À présent, il pouvait voir que le petit tourbillon se déplaçait lentement à travers le ciel, la trace de son passage nettement marquée par la déformation des traînées nuageuses.
On pouvait facilement imaginer que le doigt de Dieu, descendant du ciel, traçait un sillon dans les nuages. Même Rajasinghe, qui connaissait bien les principes de base du contrôle météorologique, n’avait aucune idée qu’une telle précision fût à présent possible ; mais il pouvait tirer un léger orgueil du fait que, voilà presque quarante ans, il avait joué son rôle dans sa réalisation.
Il n’avait pas été facile de décider les superpuissances restantes à se dessaisir de leurs forteresses orbitales et les remettre à l’Autorité Météorologique mondiale, geste qui était – si la métaphore pouvait être poussée jusque-là – le dernier et le plus spectaculaire exemple de forger des socs de charrue avec des épées. Maintenant les lasers qui avaient autrefois menacé l’humanité dirigeaient leurs rayons sur des parties soigneusement choisies de l’atmosphère ou sur des zones-cibles absorbant la chaleur dans des régions écartées du globe. L’énergie qu’ils contenaient était négligeable comparée à celle de la plus petite tempête ; mais il en est de même pour l’énergie de la pierre qui roule et déclenche une avalanche, ou de l’unique neutron qui provoque une réaction en chaîne.
Au delà de cela, Rajasinghe ne savait rien des détails techniques sinon qu’ils comprenaient des réseaux de satellites de surveillance et des ordinateurs qui contenaient dans leurs cerveaux électroniques un modèle complet de l’atmosphère terrestre, des continents et des mers. Il se sentait plutôt comme un sauvage frappé d’une terreur mystérieuse, bouche bée devant les merveilles d’une technologie avancée, en regardant le petit cyclone se déplacer résolument vers l’ouest, jusqu’à ce qu’il disparaisse au-dessous du gracieux alignement de palmiers, juste à l’intérieur des remparts des Jardins de Plaisir.
Puis il leva le regard vers les invisibles ingénieurs et savants qui tournaient autour du monde dans leurs lunes de fabrication humaine.
— Très impressionnant, dit-il. Mais j’espère que vous savez exactement ce que vous faites.
— J’aurais dû deviner, dit le banquier lugubrement, que cela devait se trouver dans l’une de ces annexes techniques que je n’ai jamais regardées. Et à présent que vous avez vu tout le rapport, j’aimerais connaître la réponse. Vous m’avez donné bien du souci depuis que vous avez soulevé le problème.
— Elle est d’une évidence éclatante, répondit Morgan, et j’aurais dû y penser moi-même.
« Et je l’aurais fait – finalement – » se dit-il, avec un large degré de confiance. Avec l’œil de l’esprit, il revit ces simulations sur ordinateur de toute l’immense structure, résonnant comme une corde de violon cosmique, tandis que les vibrations durant des heures couraient de la Terre à l’orbite et revenaient, réfléchies, à leur point de départ. Et en superposition, il revoyait de mémoire, pour la centième fois, le film rayé du pont qui dansait. Là se trouvaient tous les indices dont il avait besoin.
— Phobos croise la Tour toutes les onze heures dix minutes, mais heureusement il ne se déplace pas exactement dans le même plan – sinon on aurait une collision chaque fois qu’il passerait. Il la rate à la plupart de ses révolutions et les moments dangereux sont exactement prévisibles – au millième de seconde près, si on le désire. Or le transporteur, comme toute construction, n’est pas une structure complètement rigide. Il a une période naturelle de vibration qui peut être calculée avec presque autant de précision que les orbites planétaires. Donc ce que vos ingénieurs proposent de faire, c’est d’accorder le transporteur de telle façon que ses oscillations normales – qui ne peuvent, de toute façon, être évitées – le maintiennent toujours à l’écart de Phobos. Chaque fois que le satellite croisera la Tour, elle ne sera pas là – elle aura esquivé la zone dangereuse de quelques kilomètres.
Il y eut une longue pause à l’autre bout de la communication.
— Je ne devrais pas dire cela, dit enfin le Martien, mais j’en ai les cheveux qui se dressent sur la tête.
— Présenté aussi brutalement, certes, cela ressemble à… comment l’appelait-on… la « roulette russe ». Mais, souvenez-vous, nous avons affaire à des mouvements exactement prévisibles. Nous savons toujours où sera Phobos et nous pouvons contrôler le déplacement de la Tour, simplement par la manière dont nous réglerons la circulation sur elle.
« Simplement », se dit Morgan, c’était difficilement le mot juste, mais n’importe qui pouvait voir que c’était possible. Et alors une analogie lui vint brusquement à l’esprit, qui n’était pas parfaite mais si incongrue qu’il en éclata presque de rire. Non… ce ne serait pas une bonne idée de l’utiliser pour le banquier.
De nouveau, il se retrouvait au pont de la passe de Tacoma, mais cette fois dans un monde de fantaisie. Un navire devait passer dessous, selon un horaire parfaitement régulier. Malheureusement, le mât avait un mètre de trop.
Pas de problème. Juste avant l’heure à laquelle il devait arriver, on enverrait quelques camions de gros tonnage traverser le pont à des intervalles soigneusement calculés pour correspondre à sa fréquence de résonance. Une lente ondulation se propagerait le long du tablier d’un pylône à l’autre, dont la crête serait réglée pour coïncider avec l’arrivée du navire. Et la tête du mât glisserait en dessous, avec des centimètres entiers de plus qu’il n’en fallait… À une échelle des milliers de fois plus grande, ce serait ainsi que Phobos ne rencontrerait pas la structure qui s’élèverait dans l’espace à partir du mont Pavonis.
— Je suis heureux d’en avoir votre assurance, dit le banquier, mais je pense que je me livrerai à quelques vérifications personnelles sur la position de Phobos avant d’embarquer pour un voyage.
— Alors vous serez surpris d’apprendre que certains de vos brillants jeunes ingénieurs – ils sont certainement brillants et je présume qu’ils sont jeunes à cause de leur pure effronterie technique – veulent utiliser les périodes critiques comme attraction touristique. Ils estiment qu’ils pourraient demander une grosse majoration de tarif pour la vue de Phobos passant presque à portée de la main, à quelque deux mille kilomètres à l’heure. Ce serait vraiment un remarquable spectacle, ne pensez-vous pas ?
— Je préfère me contenter de l’imaginer mais ils pourraient bien avoir raison. En tout cas, je suis soulagé de savoir qu’il y a une solution. Je suis également très heureux de noter que vous reconnaissez la valeur de nos ingénieurs. Est-ce que cela signifie que nous pourrons bientôt avoir votre décision ?
— Vous pouvez l’avoir tout de suite, dit Morgan. Quand pouvons-nous commencer ?
C’était encore, après vingt-cinq siècles, le jour le plus vénéré du calendrier taprobanien. Selon la légende, le Bouddha était né, avait atteint l’illumination, et il était mort à la pleine lune de mai. Quoique, pour la plupart des gens, Vesak ne signifiât pas plus maintenant que l’autre grande fête annuelle de Noël, cela restait encore un jour de méditation et de tranquillité.
Depuis de nombreuses années, le Contrôle Mousson garantissait qu’il n’y aurait pas de pluie la nuit de la veille ni la nuit du jour de Vesak. Et depuis presque aussi longtemps, Rajasinghe s’était rendu tous les ans à la Cité royale deux jours avant la pleine lune, pour un pèlerinage qui lui reposait l’esprit. Il évitait le jour de Vesak lui-même ; Ranapura était alors trop encombrée de visiteurs, dont certains ne manqueraient sûrement pas de le reconnaître et de troubler sa solitude.
Seul l’œil le plus aigu aurait pu remarquer que l’énorme Lune jaune qui se levait au-dessus des dômes en cloche des antiques dagobas, n’était pas encore un cercle parfait. La lumière qu’elle émettait était si intense que seulement quelques-uns des plus brillants satellites et quelques-unes des plus brillantes étoiles étaient visibles dans le ciel sans nuages. Et il n’y avait pas un souffle de vent.
Deux fois, disait-on, Kalidasa s’était arrêté sur cette route, lorsqu’il avait quitté Ranapura pour toujours. La première halte avait été au tombeau d’Hanuman, le petit compagnon chéri de son enfance ; et la seconde au sanctuaire du Bouddha mourant. Rajasinghe s’était souvent demandé quelle consolation le roi en avait tirée – peut-être à cet endroit même, car c’était le meilleur d’où l’on pouvait contempler l’immense statue taillée en pleine roche. La forme étendue était si parfaitement proportionnée qu’il fallait en approcher tout près avant de pouvoir en apprécier la dimension réelle. À distance, il était impossible de se rendre compte que l’oreiller sur lequel reposait la tête du Bouddha était plus haut qu’un homme.
Bien que Rajasinghe eût vu beaucoup de choses dans le monde, il ne connaissait aucun autre endroit aussi empli de paix. Parfois, il avait la sensation qu’il pourrait rester éternellement assis là, sous la Lune resplendissante, complètement indifférent à tous les soucis et tous les tumultes de la vie. Il n’avait jamais essayé de trop chercher à approfondir la magie de ce lieu sacré, par crainte de la détruire, mais certains de ses éléments étaient assez évidents. La pose même de l’Illuminé, reposant enfin les yeux fermés après une longue et noble vie, rayonnait de sérénité. Les lignes larges et souples de sa robe étaient extraordinairement apaisantes, délassantes à contempler ; elles semblaient s’écouler de la roche pour former des ondes de pierre figées. Et comme les vagues de la mer, le rythme naturel de leur courbe séduisait des instincts dont l’esprit rationnel ne connaissait rien.
Dans des moments d’éternité comme celui-là, seul avec le Bouddha et la Lune presque pleine, Rajasinghe avait le sentiment de pouvoir comprendre enfin la signification du Nirvâna – cet état qui ne peut être défini que par des négatives. Des émotions telles que la colère, le désir, l’avidité n’avaient plus aucun pouvoir ; en fait, elles étaient à peine concevables. Même le sens d’une identité personnelle semblait sur le point de disparaître comme une brume légère au soleil matinal.
Cela ne pouvait durer, naturellement. Bientôt, il reprit conscience du bourdonnement des insectes, de l’aboiement lointain des chiens, de la dureté froide de la pierre sur laquelle il était assis. La tranquillité n’était pas un état d’esprit qui pût être maintenu longtemps. Avec un soupir, Rajasinghe se remit sur ses pieds et retourna vers sa voiture, parquée à une centaine de mètres à l’extérieur des terrains du temple.
Il entrait dans le véhicule lorsqu’il remarqua la petite tache blanche, si nettement dessinée qu’elle aurait pu être peinte sur le ciel, qui s’élevait au-dessus des arbres à l’ouest. C’était le nuage le plus singulier que Rajasinghe eût jamais vu – un ellipsoïde parfaitement symétrique, aux bords si francs qu’il en semblait presque solide. Il se demanda si quelqu’un volait dans un aéronef à travers le ciel de Taprobane ; mais il ne voyait pas de gouvernes et l’on n’entendait pas de moteurs.
Puis, durant un instant fugitif, il eut une idée encore plus fantastique : les habitants de l’Étoile-île étaient enfin arrivés…
Mais c’était, bien entendu, absurde. S’ils avaient trouvé moyen d’aller plus vite que leurs propres signaux radio, ils auraient difficilement pu traverser tout le système solaire – et descendre dans le ciel de la Terre – sans alerter tous les radars de surveillance existants. La nouvelle aurait éclaté depuis des heures.
Plutôt à sa surprise, Rajasinghe ressentit une légère impression de désappointement. Et à présent que la tache se rapprochait, il put voir que c’était, sans aucun doute possible, un nuage parce que ses bords s’effilochaient un peu. Sa vitesse était impressionnante ; il semblait être poussé par un vent très fort qui lui était réservé, et dont il n’y avait pas encore trace au niveau du sol.
Ainsi, c’étaient encore les savants du Contrôle Mousson qui expérimentaient leur maîtrise des vents. À quoi donc, se demanda Rajasinghe, penseraient-ils ensuite ?
Comme l’île semblait minuscule vue de cette altitude ! Trente-six kilomètres en dessous, à cheval sur l’équateur, Taprobane ne semblait pas beaucoup plus grosse que le disque de la Lune. Le pays tout entier paraissait être une cible trop petite pour être atteinte ; pourtant, Morgan visait un endroit en plein centre, à peu près de la dimension d’un court de tennis.
Même à présent, il n’était pas complètement certain de ses motifs. Pour les besoins de cette démonstration, il aurait pu tout aussi bien opérer de la station Kinte et viser le Kilimandjaro ou le mont Kenya. Le fait que Kinte était à l’un des points les plus instables de toute l’orbite stationnaire et manœuvrait constamment pour rester au-dessus de l’Afrique centrale, n’aurait pas eu d’importance pour les quelques jours que devait durer l’expérience. Pendant un moment, il avait été tenté de viser le Chimborazo ; les Américains avaient même offert de déplacer, à très grands frais, la station Columbus à sa latitude exacte. Cependant, finalement, en dépit de cette incitation, il était revenu à son objectif originel – Sri Kanda.
Il était heureux pour Morgan qu’en cette ère de décisions avec l’assistance d’ordinateurs, même un arrêt de la Cour Mondiale pouvait être obtenu en quelques semaines. Le vihara avait, bien entendu, protesté. Morgan avait soutenu qu’une brève expérience scientifique, conduite hors des terrains du temple et ne causant ni bruit, ni pollution, ni aucune autre forme de perturbation, ne pouvait constituer un préjudice. Si on l’empêchait de la faire, tous ses travaux antérieurs seraient compromis, il n’aurait aucun moyen de vérifier ses calculs, et un projet capital pour la République de Mars serait gravement retardé.
C’était un argument plausible et Morgan lui-même en avait cru la plus grande partie. Les juges aussi, à cinq contre deux. Bien qu’ils ne fussent pas censés être influencés par de telles questions, la mention des Martiens procéduriers était une manœuvre habile. La République de Mars avait déjà trois affaires compliquées en cours et la Cour était un peu fatiguée d’établir des précédents dans le droit interplanétaire.
Cependant, Morgan savait, dans la partie froidement analytique de son cerveau, que son action n’était pas dictée par la logique seulement. Il n’était pas homme à accepter un échec de bonne grâce ; son geste de défi lui procurait une certaine satisfaction. Et pourtant – à un niveau encore plus profond – il rejetait cette motivation mesquine ; un tel geste de collégien n’était pas digne de lui. En réalité, il ne faisait que renforcer sa confiance en lui-même et réaffirmer sa foi dans le succès final. Bien qu’il ne sût pas comment, ni quand, il proclamait à la face du monde – et à ces moines entêtés derrière leurs antiques murailles : « Je reviendrai. »
La station Ashoka contrôlait virtuellement toutes les communications, la météorologie, la surveillance de l’environnement et la circulation spatiale dans la région de l’Inde et de Cathay. Si elle cessait jamais de fonctionner, un milliard de vies seraient menacées de désastre, et, si ses services n’étaient pas rapidement rétablis, de mort. Pas étonnant qu’Ashoka eût deux satellites auxiliaires complètement indépendants, Bhaba et Sarabhai, à cent kilomètres de distance. Même si une catastrophe inimaginable détruisait les trois stations, Kinte et Imhotep à l’ouest ou Confucius à l’est pourraient les remplacer dans ce cas d’urgence. L’espèce humaine avait appris, de cruelle expérience, à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
Il n’y avait pas de touristes, de gens en vacances, ni de passagers en transit ici, si loin de la Terre, ils n’allaient pas au delà de quelques milliers de kilomètres dans l’espace et laissaient l’orbite géosynchrone trop éloignée aux savants et aux ingénieurs – dont pas un seul n’était jamais allé sur Ashoka pour une mission aussi insolite ni avec un équipement aussi singulier.
L’instrument essentiel de l’opération Fil d’Araignée flottait à présent dans l’un des sas d’amarrage de moyenne dimension de la station, attendant une dernière vérification avant d’être lancé. Il n’avait rien de très spectaculaire et son apparence ne donnait aucune idée de l’énorme quantité de travail et d’argent qu’avait nécessitée sa réalisation.
Ce cône gris terne, de quatre mètres de long et de deux mètres de diamètre à la base, paraissait être fait de métal plein ; il fallait l’examiner de très près pour découvrir le filament étroitement enroulé qui en recouvrait la surface tout entière. En fait, en dehors d’une broche centrale et des bandes de plastique intercalées qui en séparaient les centaines de couches, le cône n’était fait que d’hyperfilament bobiné en pointe – et de quarante mille kilomètres de long.
Deux technologies désuètes et totalement différentes avaient été reprises pour la construction de ce cône gris peu impressionnant. Trois cents ans auparavant, lorsque les télégraphes sous-marins avaient commencé de fonctionner à travers le fond des océans, des hommes avaient perdu des fortunes avant de maîtriser l’art d’enrouler des milliers de kilomètres de câble et de les dévider d’une façon régulière et continue d’un continent à un autre, en dépit des tempêtes et de tous les autres aléas de la mer. Puis, juste un siècle plus tard, certaines des premières armes téléguidées avaient été commandées par de minces fils métalliques qui se déroulaient tandis qu’elles volaient vers leur cible, à quelques centaines de kilomètres à l’heure. Morgan tentait une portée mille fois plus grande que celle de ces reliques du Musée de la Guerre, avec une vitesse cinquante fois supérieure. Cependant, il avait quelques avantages. Son missile filerait dans un vide parfait sauf pour les derniers cent kilomètres et son objectif n’était pas susceptible de faire une manœuvre d’évitement.
La directrice des opérations, projet Fil d’Araignée, attira l’attention de Morgan d’une toux légèrement embarrassée.
— Nous avons encore un petit problème, docteur, dit-elle, nous sommes tout à fait confiants pour la descente – tous les essais et toutes les simulations sur ordinateur sont convaincants, comme vous l’avez vu. C’est le rembobinage du filament qui inquiète le service Sécurité de la station.
Morgan battit vivement des paupières ; il n’avait pas beaucoup réfléchi à la question. Il semblait évident que le problème de réenrouler le filament était insignifiant comparé à celui de le faire descendre. Sûrement, il suffisait pour cela d’un simple treuil à moteur, avec les modifications spéciales nécessaires pour manier une matière aussi fine, à épaisseur variable. Mais il savait que, dans l’espace, on ne devait jamais rien considérer comme chose établie, et que l’intuition – spécialement celle d’un ingénieur placé sur la Terre – pouvait être un guide plein de traîtrise.
Voyons… lorsque l’expérience sera terminée, on coupera l’extrémité terrestre et Ashoka se mettra à réenrouler le filament. Naturellement quand on tire – aussi fort que ce soit – sur un bout d’un fil de quarante mille kilomètres de long, rien ne se passe pendant des heures. Il faudrait une demi-journée pour que la traction parvienne à l’autre bout et que le système commence à se mouvoir dans son ensemble. On maintient donc la tension… Oh !…
— Quelqu’un a fait quelques calculs, reprit l’ingénieur, et s’est aperçu que, lorsqu’on en arrive finalement à la vitesse, on a plusieurs tonnes qui se dirigent vers la station à mille kilomètres à l’heure. Le service Sécurité n’a pas aimé cela du tout.
— Très compréhensible. Que veulent-ils que nous fassions ?
— Programmer un réenroulement plus lent, avec un moment de force vive contrôlé. Si l’on met les choses au pire, ils peuvent nous contraindre à quitter la station pour effectuer ce réenroulement.
— Est-ce que cela retardera l’opération ?
— Non, nous avons établi à toute éventualité un plan pour sortir toute l’installation hors du sas de la station en cinq minutes, si nous le devons.
— Et vous pourrez facilement récupérer le filament ?
— Bien sûr.
— J’espère que vous avez raison. Cette petite ligne de pêche coûte un tas d’argent – et je veux m’en resservir.
Mais où ? se demanda Morgan en lui-même, en regardant le croissant qui grossissait lentement de la Terre. Peut-être vaudrait-il mieux terminer le projet Mars d’abord, même si cela signifiait plusieurs années d’exil. Une fois que Pavonis serait pleinement opérationnel, la Terre serait obligée de suivre, et il ne doutait pas que, d’une manière ou d’une autre, les derniers obstacles seraient surmontés.
Alors, le vide énorme à travers lequel il regardait à présent serait enjambé et la gloire que Gustave Eiffel avait conquise, voilà trois siècles, serait définitivement éclipsée.
Il n’y aurait rien à voir avant au moins une vingtaine de minutes. Néanmoins, tous ceux dont la présence n’était pas nécessaire dans la cabane de commande étaient déjà dehors, les yeux fixés sur le ciel au-dessus d’eux. Même Morgan éprouvait quelques difficultés à résister à cette impulsion et se rapprochait tout doucement de la porte.
Le plus récent partenaire de Maxine Duval, un solide garçon de moins de trente ans, ne s’écartait que rarement de plus de quelques mètres de lui. Sur ses épaules étaient montés les instruments habituels de son travail – des caméras jumelées dans l’arrangement classique « à droite, en avant, à gauche, en arrière » et, au-dessus de celles-ci, une petite sphère à peine plus grosse qu’un pamplemousse. L’antenne à l’intérieur de cette sphère exécutait des manœuvres très adroites, plusieurs milliers de fois par seconde, de telle façon qu’elle était toujours fixée sur le satellite de communication le plus proche en dépit de tous les mouvements possibles de son porteur. Et à l’autre bout de ce circuit, Maxine, assise confortablement dans son bureau du studio, regardait par les yeux de son lointain alter ego et écoutait par ses oreilles – mais sans fatiguer ses poumons dans l’air glacial. Cette fois-ci, elle avait la meilleure part de l’affaire ; ce n’était pas toujours le cas.
Morgan n’avait consenti à cet arrangement qu’avec quelque répugnance. Il savait que c’était une occasion historique et avait accepté l’assurance de Maxine que son représentant « ne se fourrerait dans les jambes de personne ». Mais il était aussi profondément conscient de tout ce qui pouvait tourner mal dans une expérience aussi nouvelle – spécialement au cours des cent derniers kilomètres de pénétration dans l’atmosphère. Et de plus, il savait également qu’on pouvait compter sur Maxine pour traiter aussi bien l’échec que le succès sans rechercher le sensationnel.
Comme tous les grands reporters, Maxine Duval n’était pas détachée émotionnellement des événements qu’elle observait. Elle pouvait donner tous les points de vue, sans déformer ni omettre aucun des faits qu’elle considérait essentiels. Cependant, elle ne cherchait jamais à cacher ses propres sentiments, bien qu’elle ne les laissât pas devenir importuns. Elle admirait énormément Morgan, avec le respect – envieux – de quelqu’un à qui manque toute réelle capacité créatrice. Depuis la construction du pont de Gibraltar, elle avait toujours attendu de voir ce que l’ingénieur ferait ensuite et elle n’avait pas été déçue. Mais bien qu’elle souhaitât bonne chance à Morgan, elle ne l’aimait pas réellement. À son opinion, l’intensité forcenée de son ambition le rendait à la fois plus grand que nature et moins qu’humain. Elle ne pouvait s’empêcher de le comparer à son second, Warren Kingsley. Alors lui, c’était un homme tout à fait sympathique et aimable (« et un meilleur ingénieur que moi », lui avait un jour dit Morgan, plus qu’à demi sérieusement). Mais personne n’entendrait jamais parler de Warren ; il resterait toujours un terne et fidèle satellite de son éblouissant soleil. Ce qu’en fait il était parfaitement satisfait d’être.
C’était Warren qui lui avait patiemment expliqué le mécanisme étonnamment complexe de la descente. À première vue, il paraissait assez simple de faire tomber quelque chose tout droit sur l’équateur, d’un satellite stationnant immobile exactement au-dessus. Mais l’astrodynamique était pleine de paradoxes ; si l’on essayait de ralentir, on allait plus vite. Si l’on prenait le plus court chemin, on brûlait le plus de combustible. Si l’on visait une certaine direction, on voyageait dans une autre… Et encore cela ne tenait-il compte que des champs gravitationnels. Cette fois, la situation était beaucoup plus compliquée. Personne n’avait jamais auparavant tenté de diriger une sonde spatiale traînant quarante mille kilomètres de fil. Néanmoins, le programme Ashoka s’était parfaitement déroulé, tout au long de la descente jusqu’à la lisière de l’atmosphère. Dans quelques minutes, le contrôleur là-bas sur Sri Kanda prendrait la suite pour la descente finale. Pas étonnant que Morgan parût tellement tendu.
— Van, dit Maxine d’une voix douce mais ferme sur son circuit privé, arrêtez de sucer votre pouce, ça vous donne l’air d’un bébé.
Morgan manifesta de l’indignation, ensuite de la surprise – puis se détendit finalement avec un rire légèrement embarrassé.
— Merci de l’avertissement, dit-il. Cela m’ennuierait de gâter mon image publique.
Il regarda avec un amusement mélancolique la phalangette manquante, se demandant quand les gens soi-disant spirituels cesseraient de ricaner. « Ah, ah ! L’ingénieur victime de sa propre invention ! » Après avoir mis tant de fois les autres en garde, il était devenu négligent et s’était arrangé pour s’amputer le bout du pouce en démontrant les propriétés de l’hyperfilament. Il n’en avait pratiquement pas ressenti de douleur et étonnamment peu de gêne. Un jour, il s’en occuperait mais il ne pouvait tout simplement pas perdre toute une semaine, attaché à un régénérateur d’organes, simplement pour deux centimètres de pouce.
— Altitude deux cinq zéro, dit une voix calme, impersonnelle, du fond de la cabane de commande. Vitesse sonde un un six zéro mètres par seconde. Tension filament quatre-vingt-dix pour cent maxi théorique. Le parachute se déploiera dans deux minutes.
Après sa détente momentanée, Morgan était de nouveau tendu, vigilant – comme un boxeur, ne put s’empêcher de penser Maxine Duval, observant son adversaire inconnu mais dangereux.
— Quel est l’état du vent ? jeta-t-il.
Une autre voix répondit, cette fois loin d’être impersonnelle.
— Je n’arrive pas à y croire, disait-elle d’un ton inquiet. Mais le Contrôle Mousson vient de lancer un avis de tempête.
— Ce n’est pas le moment de plaisanter.
— Ils ne plaisantent pas ; je viens de vérifier.
— Mais ils ont garanti qu’il n’y aurait pas de coups de vent de plus de trente kilomètres à l’heure…
— Ils viennent d’élever cette prévision à soixante… correction, à quatre-vingts kilomètres à l’heure. Quelque chose a terriblement mal tourné…
— C’est le moins qu’on puisse dire ! murmura Maxine pour elle-même. (Puis elle ordonna à ses yeux et ses oreilles au loin :) Disparais dans le décor… ils ne voudront pas de toi autour d’eux… mais ne perds rien.
Et s’en remettant à son partenaire pour se débrouiller avec ces ordres quelque peu contradictoires, elle se brancha sur son excellent service de renseignement. Il lui fallut moins de trente secondes pour découvrir quelle station était responsable du temps dans la zone de Taprobane. Et elle se sentit frustrée, mais pas surprise d’apprendre que cette station n’acceptait pas d’appels venant du public en général.
Laissant à son personnel compétent le soin de surmonter cet obstacle, elle se rebrancha sur la montagne. Et elle fut stupéfaite de voir combien, même dans ce bref intervalle, les conditions avaient empiré.
Le ciel était devenu plus sombre ; les microphones captaient le faible grondement lointain de la tempête qui approchait. Maxine Duval avait connu de tels changements brusques du temps en mer, et plus d’une fois en avait profité dans ses courses océaniques. Mais c’était une mauvaise chance incroyable ; elle sympathisait avec Morgan dont peut-être les rêves et les espoirs allaient être balayés par ce coup de vent imprévu – impossible.
— Altitude deux zéro zéro. Vitesse sonde un un cinq mètres par seconde. Tension quatre-vingt-quinze pour cent maxi.
Ainsi la tension augmentait – de plus d’une manière. L’expérience ne pouvait plus être interrompue à ce stade extrême ; Morgan devrait simplement continuer et espérer que tout s’arrangerait pour le mieux ; Maxine aurait aimé pouvoir lui parler mais elle se garda bien de le déranger à ce moment décisif.
— Altitude un neuf zéro. Vitesse un un zéro zéro. Tension cent cinq pour cent. Déploiement du premier parachute… MAINTENANT !
Ça y était… la sonde était engagée, elle était captive de l’atmosphère terrestre. À présent, le peu de combustible qui lui restait devait être utilisé pour la diriger dans le filet qui était tendu sur la paroi de la montagne. Ses câbles de maintien vibraient déjà au souffle du vent furieux qui passait à travers le filet.
Brusquement, Morgan sortit de la cabane de commande et leva les yeux vers le ciel. Puis il se tourna et regarda directement la caméra.
— Quoi qu’il arrive, Maxine, dit-il lentement, posément, l’expérience est déjà réussie à quatre-vingt-quinze pour cent. Non… à quatre-vingt-dix-neuf pour cent. Nous l’avons menée sur trente-six mille kilomètres, il ne nous en reste plus que deux cents à faire.
Maxine Duval ne répondit pas. Elle savait que ces paroles ne s’adressaient pas à elle mais à celui qui était dans le fauteuil roulant compliqué devant la porte de la cabane. Le véhicule dénonçait son occupant, seul un visiteur venu d’ailleurs que de Terre pouvait avoir besoin d’un tel appareil. Les médecins pouvaient à présent remédier virtuellement à toutes les déficiences musculaires – mais les physiciens ne pouvaient pas remédier à la pesanteur.
Que de puissances et d’intérêts étaient à présent concentrés sur ce sommet de montagne ! Les forces mêmes de la nature – la banque de Narodny Mars, la République Autonome Nord-Africaine, Vannevar Morgan (qui n’était pas une mince force de la nature, lui-même) – et ces moines doucement implacables dans leur nid d’aigle balayé par les vents.
Maxine donna tout bas des instructions à son patient partenaire, et la caméra se braqua lentement vers le haut. Là où était le sommet, couronné par les murailles d’une blancheur éblouissante du temple. Çà et là le long de ses parapets, elle put apercevoir des robes orange flottant dans le vent. Comme elle s’y était attendue, les moines observaient les événements avec attention.
Elle augmenta le grossissement, à l’aide du zoom, se rapprochant assez pour voir leurs visages. Bien qu’elle n’eût jamais rencontré le Maha Thero (une interview lui avait été poliment refusée), elle était certaine de pouvoir le reconnaître. Mais il n’y avait pas signe du supérieur de la communauté ; peut-être était-il dans le sanctuaire, concentrant sa formidable volonté sur quelque exercice spirituel.
Maxine Duval n’était pas sûre que le principal adversaire de Morgan s’adonnait à quelque chose d’aussi naïf que la prière. Mais s’il avait vraiment prié pour cette miraculeuse tempête, ses vœux étaient sur le point d’être exaucés. Les dieux de la Montagne se réveillaient de leur sommeil.
À une technologie croissante correspond une vulnérabilité croissante ; plus l’homme conquiert (sic) la nature, plus il s’expose à des catastrophes artificielles. L’histoire récente en donne suffisamment de preuves – par exemple, l’engloutissement de Marina City (2127), l’effondrement du dôme de Tycho B (2098), l’iceberg arabe partant à la dérive après avoir rompu ses câbles de remorque (2062) et la fusion du réacteur Thor (2009). On peut être certain que cette liste recevra des additions encore plus impressionnantes dans l’avenir. Peut-être les perspectives les plus terrifiantes sont-elles celles qui comporteraient, des facteurs psychologiques, pas seulement technologiques. Dans le passé, un poseur de bombes ou un tireur fou ne pouvait tuer qu’une poignée de personnes ; aujourd’hui, il ne serait pas difficile à un ingénieur déséquilibré d’assassiner une ville entière. Le fait que la colonie spatiale O’Neil II ait échappé de peu à un tel désastre en 2047 a été bien établi. De tels incidents, en théorie du moins, pouvaient être évités par un filtrage minutieux des personnes et par des procédures de sécurité « infaillibles », quoique trop souvent celles-ci ne répondissent pas à tout ce qu’on en espérait.
Il y a aussi le genre très intéressant, mais heureusement très rare, d’événements où la personne concernée est dans une position si éminente, ou a des pouvoirs si exceptionnels que nul ne se rend compte de ce qu’elle fait jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Les ravages causés par de tels génies déments (il ne semble pas y avoir d’autre terme qui puisse les désigner) peuvent être mondiaux, comme dans le cas d’Adolf Hitler (1889–1945). Dans un nombre surprenant d’occasions, on ne sait rien de leurs activités, par suite d’une conspiration du silence parmi leurs pairs embarrassés.
Un exemple typique vient récemment de se découvrir avec la publication des Mémoires de Dame Maxine Duval, si impatiemment attendus et si longtemps retardés. Même, à présent, certains aspects de la question ne sont pas encore entièrement clairs.
(La Civilisation et ses mécontents, J. K. Golitsyn, Prague, 2175.)
— Altitude un cinq zéro, vitesse quatre-vingt-quinze – je répète quatre-vingt-quinze. Bouclier thermique largué.
La sonde était donc entrée sans dommage dans l’atmosphère et avait freiné son excès de vitesse. Mais il était encore beaucoup trop tôt pour se mettre à applaudir. Non seulement il restait encore cent cinquante kilomètres à faire à la verticale, mais aussi trois cents à l’horizontale – avec une tempête furieuse pour compliquer les choses. Quoique la sonde contînt encore une petite quantité de propergol, sa liberté de manœuvre était très limitée. Si l’opérateur manquait la montagne à la première approche, il ne pourrait pas effectuer un virage et recommencer.
— Altitude un deux zéro. Pas encore d’effets atmosphériques.
La petite sonde descendait en tournoyant sur elle-même du haut du ciel, comme une araignée au bout de son fil de soie. « J’espère, se dit Maxine en elle-même, qu’ils ont assez de filament ; il y aurait de quoi rendre furieux, s’ils en manquaient, à quelques kilomètres seulement de l’objectif ! » Des drames semblables s’étaient produits pour certains des premiers câbles sous-marins, voilà trois cents ans.
— Altitude huit zéro. Approche normale. Tension cent pour cent. Légère résistance de l’air.
L’atmosphère supérieure commençait donc à se faire sentir, quoique ce ne fût encore qu’aux instruments ultra-sensibles à bord du minuscule engin.
Un petit télescope, commandé à distance, avait été installé près du camion de contrôle et, à présent, suivait automatiquement la sonde toujours invisible. Morgan se dirigea vers l’instrument, le partenaire de Maxine Duval derrière lui comme une ombre.
— Rien en vue ? chuchota-t-elle doucement au bout de quelques secondes.
Morgan secoua la tête avec impatience et continua de regarder attentivement dans l’oculaire.
— Altitude six zéro. Déviation vers la gauche – tension cent cinq… correction cent dix.
Toujours bien dans les limites, pensa Maxine… mais des choses commençaient à se passer là-haut dans la stratosphère. Sûrement Morgan devait avoir la sonde en vue à présent…
— Altitude cinq cinq – donnons deux secondes d’impulsion pour correction.
— Je l’ai ! s’exclama Morgan. Je peux voir le jet des gaz !
— Altitude cinq zéro. Tension cent cinq pour cent. Difficile de garder la trajectoire… sonde un peu secouée par le vent.
Il était inimaginable que la petite sonde, qui n’avait plus que cinquante kilomètres à faire, ne termine pas son voyage de trente-six mille kilomètres. Pourtant combien d’avions – et d’astronefs – avaient eu un accident dans les derniers quelques mètres ?
— Altitude quatre cinq. Vent violent par le travers. La sonde s’écarte de nouveau de la trajectoire. Trois secondes d’impulsion pour correction.
— Je l’ai perdue, dit Morgan furieux. Des nuages me bouchent la vue.
— Altitude quatre zéro. Fortement secouée. Tension monte jusqu’à un cinquante – je répète un cinquante pour cent.
Ça, c’était mauvais ; Maxine Duval savait que la tension de rupture se situait à deux cents pour cent. Une mauvaise secousse et l’expérience serait terminée.
— Altitude trois cinq. Vent devient pire. Une seconde d’impulsion. Réserve de propergol presque épuisée. Tension monte toujours… jusqu’à cent soixante-dix.
Encore trente pour cent de plus, se dit Maxine, et même cet incroyable filament se briserait, comme n’importe quel autre matériau lorsque sa résistance à la tension est dépassée.
— Distance trois zéro. Turbulence empire. Dérive fortement sur la gauche. Impossible calculer correction – mouvements trop désordonnés.
— Je l’ai retrouvée ! s’écria Morgan. Elle a traversé les nuages !
— Distance deux cinq. Plus assez de propergol pour la remettre sur sa trajectoire. Estimons que nous manquerons l’objectif de trois kilomètres.
— Ça n’a pas d’importance ! cria Morgan. Tombez où vous pourrez !
— D’accord, dès que nous pourrons. Distance deux zéro. Force du vent augmente. Perdons stabilité. Sonde commence à tournoyer.
— Lâchez le frein… laissez le filament se dévider !
— Déjà fait, dit la voix exaspérément calme.
Maxine Duval aurait pu croire que c’était une machine qui parlait, si elle n’avait pas su que Morgan avait emprunté l’un des meilleurs contrôleurs de trafic d’une station spatiale pour assurer cette tâche.
— Mauvais fonctionnement du dévidoir. La sonde tournoie maintenant à cinq révolutions par seconde. Filament probablement emmêlé. Tension un huit zéro pour cent. Un neuf zéro. Deux zéro zéro. Distance un cinq. Tension deux un zéro. Deux deux zéro. Deux trois zéro.
Cela ne peut pas durer beaucoup plus longtemps, se dit Maxine Duval. Plus qu’une douzaine de kilomètres et il a fallu que ce damné filament s’emmêle dans la sonde qui tournoie.
— Tension zéro… je répète zéro.
Ça y était ; le filament s’était cassé et devait être en train de se tordre lentement comme un serpent vers les étoiles. Sans doute les techniciens sur Ashoka le réenrouleraient-ils, mais Maxine avait à présent saisi suffisamment de la théorie pour se rendre compte que ce serait une tâche longue et compliquée. Et la petite sonde s’écraserait quelque part sur le sol dans les champs et les jungles de Taprobane. Cependant, comme Morgan l’avait dit, l’expérience avait réussi à plus de quatre-vingt-quinze pour cent. La prochaine fois, quand il n’y aurait pas de vent…
— La voilà ! cria quelqu’un.
Une brillante étoile s’était allumée, entre deux des gros nuages qui voguaient à travers le ciel ; on aurait dit une météorite en plein jour qui tombait sur la Terre. Ironiquement, comme pour se moquer de ses constructeurs, la fusée éclairante montée sur la sonde pour aider son guidage terminal s’était automatiquement enflammée.
Eh bien, elle servirait à quelque chose d’utile. Elle aiderait à repérer l’épave.
Le partenaire de Maxine Duval pivota lentement pour qu’elle puisse voir l’éblouissante étoile diurne dépasser la montagne et disparaître vers l’est ; Maxine estima que la sonde toucherait le sol à moins de cinq kilomètres d’écart. Puis elle dit :
— Ramenez-moi au Dr Morgan, j’aimerais lui parler.
Elle avait eu l’intention d’émettre quelques remarques encourageantes, assez haut pour que le banquier martien les entende – exprimant sa confiance que, la prochaine fois, la descente serait un succès total. Maxine était encore en train de composer son petit discours rassurant lorsqu’il fut chassé de son esprit. Elle devait revisionner les événements des trente secondes suivantes jusqu’à ce qu’elle les connaisse par cœur. Mais elle ne fut jamais tout à fait sûre de les comprendre complètement.
Vannevar Morgan était habitué aux revers de fortune – et même aux désastres – et celui-là n’était, espérait-il, que mineur. Son véritable souci, en regardant la fusée éclairante disparaître par-dessus les contreforts de la montagne, était que la Narodny Mars considère son argent comme perdu. L’observateur à l’œil glacial dans son fauteuil roulant compliqué avait été extrêmement peu communicatif. La pesanteur terrestre semblait lui avoir paralysé la langue aussi effectivement que les membres. Mais cette fois, il parla à Morgan avant que celui-ci pût le faire.
— Juste une question, Dr Morgan. Je sais que cette tempête était sans précédent – et pourtant elle s’est produite. Elle pourrait donc se produire de nouveau. Que se passerait-il si cela arrivait – lorsque la Tour serait construite ?
Morgan réfléchit rapidement. Il était impossible de donner une réponse précise, aussi instantanément, et il n’arrivait encore qu’à peine à croire ce qui était arrivé.
— Au pire de tout, nous devrions peut-être suspendre brièvement les opérations ; il pourrait y avoir une certaine distorsion de la ligne. Aucune force de vent qui se produise jamais à cette altitude ne pourrait mettre la structure même de la Tour en danger. Même ce filament expérimental aurait été de toute sécurité si nous avions réussi à l’ancrer.
Il espérait que c’était une analyse assez juste ; dans quelques minutes, Warren Kingsley lui ferait savoir si elle était vraie ou non. À son grand soulagement, le Martien lui répondit avec une apparente satisfaction :
— Merci, c’est tout ce que je voulais savoir.
Morgan, néanmoins, était décidé à aller jusqu’au bout de la question.
— Et sur le mont Pavonis, bien entendu, un tel problème ne peut pas survenir. La densité de l’atmosphère y est de moins d’un centième…
Depuis des dizaines d’années, il n’avait pas entendu le son qui retentit alors dans ses oreilles, mais c’était un son qu’aucun homme pût jamais oublier. Son appel impérieux, dominant le rugissement de la tempête, transporta Morgan à moitié chemin du tour du monde. Il n’était plus debout sur le versant d’une montagne balayée par le vent, il était sous la coupole de Sainte-Sophie, les yeux levés avec respect et admiration vers l’œuvre grandiose d’hommes qui étaient morts depuis seize siècles. Et dans ses oreilles résonnait le tintement de l’énorme cloche qui autrefois appelait les fidèles à la prière.
Le souvenir d’Istanbul s’effaça ; il fut de nouveau sur la montagne, plus déconcerté, plus confondu que jamais.
Qu’était-ce donc que le moine lui avait dit… que le malencontreux cadeau de Kalidasa était resté silencieux durant des siècles et n’avait la permission de faire retentir sa voix qu’en temps de désastre ? Il n’y avait pas de désastre ici ; en fait, pour ce qui concernait le monastère, c’était précisément le contraire. Juste un instant survint dans l’esprit de Morgan la possibilité embarrassante que la sonde se soit écrasée dans l’enceinte du temple. Non, c’était hors de question ; elle avait manqué le sommet de la montagne avec des kilomètres d’écart. En tout cas, c’était un objet beaucoup trop petit pour avoir fait de sérieux dégâts en moitié descendant, moitié tombant du ciel.
Il leva le regard vers le monastère d’où la voix de la grosse cloche défiait toujours la tempête. Les robes orange avaient toutes disparu des parapets ; il n’y avait pas un moine visible.
Quelque chose effleura délicatement la joue de Morgan et il la rejeta automatiquement de côté. Il était difficile même de penser pendant que ce bourdonnement douloureux emplissait l’air et martelait son cerveau. Il se dit qu’il ferait mieux de monter jusqu’au temple et de demander poliment au Maha Thero ce qui était arrivé.
De nouveau, il sentit ce contact soyeux contre son visage, et cette fois, il aperçut un peu de jaune du coin de l’œil. Ses réactions avaient toujours été rapides ; il fit un geste brusque et ne manqua pas son coup.
À demi écrasé dans sa main, l’insecte achevait sa vie éphémère lorsque Morgan regarda – et l’univers qu’il avait toujours connu sembla trembler et se dissoudre autour de lui. Son invraisemblable défaite avait été transformée en une victoire encore plus inexplicable, pourtant il n’éprouvait aucun sentiment de triomphe – seulement confusion et étonnement.
Car il se souvenait, à présent, de la légende des papillons dorés. Poussés par la tempête, par centaines et par milliers, ils s’étaient lancés contre la montagne pour aller mourir sur son sommet. Les légions de Kalidasa avaient enfin atteint leur objectif – et pris leur revanche.
— Qu’est-il arrivé ? demanda le Sheik Abdullah.
« C’est une question à laquelle je ne pourrai jamais répondre », se dit Morgan en lui-même. Mais il répondit :
— La montagne est à nous, monsieur le Président ; les moines ont déjà commencé à s’en aller. C’est incroyable… Comment une légende vieille de deux mille ans a-t-elle pu… ?
Il secoua la tête, complètement déconcerté.
— Si suffisamment d’hommes croient à une légende, elle devient vraie.
— Je le suppose. Mais il y a beaucoup plus que simplement cela – tout l’enchaînement des événements n’en semble pas moins impossible.
— C’est un mot qu’il est toujours risqué d’employer. Permettez-moi de vous conter une petite histoire. Un ami très cher, un grand savant, maintenant mort, avait l’habitude de me taquiner en disant que puisque la politique est l’art du possible, elle n’intéresse que des esprits de second ordre. Car, affirmait-il, les esprits de premier ordre ne sont intéressés que par l’impossible. Et savez-vous ce que je répondais ?
— Non, dit Morgan, poliment, et comme on pouvait le prévoir.
— C’est une chance que nous soyons si nombreux – parce qu’il faut bien que quelqu’un dirige le monde… En tout cas, si l’impossible s’est produit, vous devriez l’accepter avec gratitude.
« Je l’accepte, pensa Morgan – à contrecœur. » Il y a quelque chose de très étrange dans un univers où quelques papillons, à présent morts, peuvent peser autant qu’une tour d’un milliard de tonnes.
Et il y avait le rôle ironique du Vénérable Parakarma, qui devait sûrement sentir maintenant qu’il avait été le jouet de quelque dieu malicieux. L’administrateur du Contrôle Mousson avait été extrêmement contrit et Morgan avait accepté ses excuses avec une bonne grâce inhabituelle. Il pouvait très bien croire que le brillant Dr Choam Goldberg avait révolutionné la micrométéorologie, que personne n’avait réellement compris tout ce qu’il faisait, et qu’il avait finalement subi une sorte de dépression nerveuse alors qu’il conduisait ses expériences. Morgan avait exprimé ses vœux – tout à fait sincères – pour le rétablissement du savant, et avait conservé assez de ses instincts bureaucratiques pour qu’ils lui laissent entendre qu’il pourrait, le moment venu, compter sur de futurs égards de la part du Contrôle Mousson. L’administrateur l’avait quitté avec des remerciements emplis de gratitude, s’étonnant sans doute de la magnanimité surprenante de Morgan.
— Peut-on savoir, demanda le Sheik, où vont les moines ? Je pourrais leur offrir l’hospitalité ici. Notre culture a toujours fait bon accueil à d’autres croyances.
— Je ne sais pas, ni l’ambassadeur Rajasinghe non plus. Cependant lorsque je le lui ai demandé, il m’a dit : « Ils s’en tireront très bien. Un ordre qui a vécu frugalement depuis trois mille ans, n’est pas exactement dénué de moyens. »
— Hum ! Peut-être aurions-nous l’emploi d’une partie de leur richesse. Votre petit projet devient de plus en plus coûteux à chaque fois que vous me voyez.
— Pas vraiment, monsieur le Président. La dernière estimation ne comporte qu’un chiffrage purement comptable pour les opérations dans l’espace que la Narodny Mars a maintenant accepté de financer. Mes Martiens se chargent de découvrir un astéroïde contenant du carbone et de l’amener sur orbite terrestre. Ils ont beaucoup plus d’expérience dans ce genre de travail, et cela résout l’un de nos principaux problèmes.
— Et le carbone pour leur propre tour ?
— Ils en ont des quantités illimitées sur Deimos – exactement là où ils en ont besoin. La Narodny a déjà mis en route la prospection de sites convenables pour l’extraction, quoique le traitement lui-même ne doive pas se faire sur le satellite mais dans l’espace.
— Oserais-je demander pourquoi ?
— À cause de la gravité. Même sur Deimos, elle est de quelques centimètres par seconde au carré. L’hyperfilament ne peut être fabriqué que dans des conditions où la force de la pesanteur est totalement nulle. Il n’y a aucun autre moyen de garantir une parfaite structure cristalline avec une organisation à suffisamment long terme.
— Merci, Van. Puis-je me risquer à demander pourquoi vous avez changé le projet de base ? J’aimais le groupe original de quatre tubes, deux montant et deux descendant. Un système simple de métro, c’était quelque chose que je pouvais comprendre – même s’il était dressé debout à quatre-vingt-dix degrés.
Ce n’était pas la première fois, et sans doute ne serait-ce pas la dernière, que Morgan était déconcerté par la mémoire du vieux Sheik et sa compréhension des détails. Il n’était jamais prudent avec lui de considérer quelque chose comme admis, quoique ses questions fussent parfois inspirées par la pure curiosité – souvent la curiosité malicieuse d’un homme si sûr de sa position qu’il n’avait nul besoin de maintenir sa dignité – il ne laissait rien échapper qui fût de la moindre importance.
— Je crains bien que nos premières idées étaient trop orientées dans un sens terrestre. Nous étions un peu comme les premiers constructeurs d’automobiles qui continuaient de produire des voitures sans chevaux. Donc, à présent, notre projet est devenu une tour creuse carrée avec une voie sur chaque face. Imaginez-la comme quatre voies de chemin de fer verticales. Lorsqu’elle part de l’orbite, elle a quarante mètres de côté et elle s’amincit à vingt mètres quand elle atteint la Terre.
— Comme une stalag… stalac…
— Stalactite. Oui, on hésite toujours ! Du point de vue construction, on aurait maintenant une bonne analogie avec la vieille tour Eiffel – tournée la tête en bas et cent mille fois allongée.
— Tant que cela ?
— À peu près.
— Bon, je suppose qu’il n’y a pas de loi qui dise qu’une tour ne puisse pas pendre vers le bas.
— Nous en aurons aussi une autre qui se dressera vers le haut, souvenez-vous – de l’orbite synchrone à partir de la masse d’ancrage qui garde la structure tout entière sous tension.
— Et la station intermédiaire ? J’espère que vous n’avez pas changé cela.
— Non, elle reste à la même place – à vingt-cinq mille kilomètres.
— Bien, je sais que je n’irai jamais là, mais j’aime bien y penser… (Il marmotta quelque chose en arabe.) Il y a une autre légende, vous savez – le cercueil de Mahomet, suspendu entre le ciel et la Terre. Exactement comme la station intermédiaire.
— Nous y organiserons un banquet en votre honneur, monsieur le Président, quand nous inaugurerons le service.
— Même si vous tenez votre programme – et j’admets que vous n’avez perdu qu’un an dans la construction du Pont – j’aurai alors quatre-vingt-dix-huit ans. Non, je doute que j’y aille jamais.
« Mais moi, j’irai, se dit Vannevar Morgan. Car à présent, je sais que les dieux sont avec moi ; quels que soient les dieux qui puissent exister. »