Le matin, Serpent recueillit le venin modifié de Sable dans un flacon à sérum. Elle ne pouvait utiliser le serpent pour administrer ce venin, car chacun ne devait en recevoir qu’une dose minime. Une injection faite par Sable serait trop importante et trop profonde. Serpent employait pour ses vaccinations un inoculateur, instrument comportant un cercle de courtes pointes aiguës comme des aiguilles, qui faisaient entrer le vaccin juste sous la peau. Elle remit le crotale dans son logement et sortit.
Les familles qui campaient dans l’oasis, adultes et enfants appartenant à trois ou quatre générations, avaient commencé à s’assembler. Grum était à leur tête, entourée de tous ses petits-enfants ; ils étaient sept en tout, la plus âgée étant Pauli, la plus jeune une fillette de six ans, celle que Serpent avait vue astiquer le harnais de Vive. Ce n’étaient pas tous des descendants directs de Grum, l’organisation du clan reposant sur une notion élargie de la famille. La vieille femme se tenait pour l’aïeule d’enfants qui étaient en fait ses neveux, nièces, petits-enfants, petites-nièces, même par alliance. Seuls l’accompagnaient ceux qui faisaient avec elle leur apprentissage du métier de caravanier. Quant au partenaire de Grum, il était mort depuis longtemps.
— À qui l’honneur ? demanda gaiement Serpent.
— À moi, dit Grum. J’ai dit moi, et c’est moi. Regarde bien, Ao, ajouta-t-elle, se tournant vers les récupérateurs, qui se tenaient sur un côté formant une grappe humaine colorée. Tu verras que je n’en mourrai pas.
— Toi, la vieille, tu es increvable ; du vrai cuir brut. J’attendrai d’avoir vu ce qui arrivera aux autres.
— Si je suis une vieille en cuir brut, toi tu n’es qu’un vieux sac à chiffons.
— N’en parlons plus, dit Serpent, après quoi elle éleva légèrement la voix. J’ai deux choses à vous dire à tous. D’abord certaines personnes sont sensibles au sérum. Si la marque de la piqûre devient rouge vif, si vous ressentez une vive douleur et si la peau vous brûle, revenez me voir. Je serai là jusqu’au soir. S’il arrive quoi que ce soit, ce sera avant mon départ. Compris ? J’ai les moyens d’empêcher les personnes sensibles de tomber malades. Il faut absolument que vous veniez me voir si vous éprouvez autre chose qu’une douleur sourde. Dans ce cas ne faites pas les malins.
La voix d’Ao s’éleva de nouveau au milieu des murmures d’acquiescement.
— Ça veut dire que tu peux nous tuer ?
— Serais-tu assez fou pour ne rien faire contre une jambe cassée ?
Ao répondit par un reniflement de mépris.
— Alors tu ne serais pas assez fou pour ne rien faire et te laisser mourir en cas de réaction anormale.
Serpent ôta sa robe de désert et releva la manche courte de sa tunique.
— La seconde chose, la voici. La vaccination laisse une petite cicatrice comme celle-ci.
La guérisseuse alla d’un groupe à l’autre pour montrer à tous la marque de sa première immunisation contre le venin.
— Alors si quelqu’un désire que la cicatrice se trouve à un endroit moins visible, qu’on me le dise.
La vue de cette petite marque insignifiante tranquillisa tout le monde, même Ao, qui se contenta de marmonner sans conviction que les guérisseurs pouvaient supporter n’importe quel poison.
Grum se présenta et Serpent fut frappée par sa pâleur.
— Grum, qu’est-ce qui ne va pas ?
— C’est à cause du sang. Ce doit être ça. Je crains la vue du sang.
— Tu n’en verras pas, ou si peu ! Tu n’as qu’à bien te détendre.
Tout en parlant à Grum d’une voix apaisante, Serpent nettoya le bras de la vieille femme avec de la teinture d’iode. La pharmacie portative logée dans la sacoche aux serpents ne contenait plus qu’un flacon de désinfectant, mais ce serait suffisant. Elle en rachèterait à La Montagne. Serpent fit tomber une goutte de sérum sur le haut du bras de Grum et la fit pénétrer dans sa peau au moyen de l’inoculateur.
Grum tressaillit lorsqu’elle sentit pénétrer les pointes, mais sans changer de visage. Serpent mit l’inoculateur dans l’alcool et nettoya le bras de Grum une fois de plus.
— Et voilà !
Souriante, Grum se tourna vers Ao.
— Tu vois bien, vieille cloche, ce n’est rien.
— Nous attendons, dit Ao.
La matinée s’écoula sans heurts. Quelques enfants pleurèrent, mais c’était l’alcool qui leur faisait mal plus que les piqûres superficielles de l’inoculateur. Pauli, en aide bénévole, distrayait les petits par des histoires et des plaisanteries pendant que Serpent faisait son travail. Et une fois vaccinés, la plupart des enfants et bon nombre d’adultes restèrent là pour écouter Pauli.
Apparemment Ao et les autres récupérateurs étaient pleinement rassurés quand vint leur tour : le vaccin était sans danger car personne, jusque-là, n’était tombé raide mort après l’opération. Les caravaniers supportaient stoïquement les piqûres d’aiguille et la douleur cuisante provoquée par l’alcool.
— Plus de tétanos ? répéta Ao.
— Le vaccin vous protégera pendant une dizaine d’années. Ensuite il sera prudent de vous faire revacciner.
Serpent pressa l’inoculateur sur le bras d’Ao, puis essuya sa peau. Après un instant d’hésitation, le visage d’Ao perdit son expression lugubre pour s’épanouir, enfin, en un large sourire.
— Nous craignons le tétanos. Sale maladie. Lente. Douloureuse.
— Oui. Sais-tu quelle en est la cause ?
Ao mit un doigt sur la paume d’une main et fit le geste de percer cette main.
— Nous sommes prudents mais…
Serpent acquiesça. Elle n’était pas étonnée que les ramasseurs fussent exposés plus que quiconque à se blesser par perforation, étant donné leur travail. Mais Ao savait qu’il y avait entre la blessure et la maladie un lien de cause à effet ; c’eût été le rabaisser que de lui faire un cours sur ce sujet.
— Nous n’avons encore jamais vu de guérisseurs. Pas de ce côté du désert. Les gens qui nous viennent du Levant nous en ont parlé.
— Eh bien nous, nous sommes de la montagne, dit Serpent. Nous ne savons pas grand-chose sur le désert, c’est pourquoi nous sommes peu nombreux à venir par ici.
Ce n’était là qu’une partie de la vérité, mais qui la dispensait de longues explications.
— Personne avant toi ? Tu es la première ?
— C’est possible.
— Pourquoi es-tu venue ?
— J’étais curieuse. Je pensais pouvoir me rendre utile.
— Dis aux autres de venir aussi. C’est sans danger pour eux.
Mais soudain le visage raviné d’Ao s’assombrit.
— Oui, il y a des fous par ici. Mais pas plus qu’à la montagne. Il y a des fous partout.
— Je sais.
— Nous le trouverons un jour.
— Veux-tu faire quelque chose pour moi, Ao ?
— Tout ce que tu voudras.
— Le fou m’a pris mes cartes et mon journal. Je suppose qu’il gardera les cartes s’il est assez sain d’esprit pour s’en servir. Mais le journal n’a de valeur que pour moi. Il se peut qu’il le jette et que vous le trouviez, vous les ramasseurs.
— Nous te le garderons.
— C’est ce que j’espérais.
Elle décrivit son journal.
— Avant mon départ, dit-elle, je te donnerai une lettre pour le centre des guérisseurs dans les montagnes du Nord. Si une personne se rendant là-bas remettait le journal et la lettre à l’adresse indiquée, elle serait sûrement payée pour ce service.
— Nous ramassons beaucoup de choses, mais rarement des livres.
— Je n’ai guère d’espoir de retrouver mon journal, je ne me fais pas d’illusion. Le fou l’aura peut-être brûlé lorsqu’il se sera rendu compte que ça n’a pas de valeur.
L’idée de brûler ainsi du papier en parfait état fit grimacer le récupérateur.
— Nous chercherons bien.
— Merci.
Ao s’éloigna pour retrouver ses congénères.
Tandis que Pauli terminait l’histoire du crapaud et des trois rainettes, Serpent examina les enfants et fut heureuse de ne détecter aucune enflure ni rougeur annonçant une réaction allergique.
— Et c’est ainsi que le crapaud renonça pour toujours à grimper aux arbres, dit Pauli. L’histoire est terminée. Rentrez chez vous maintenant. Vous avez tous été très sages.
Ils partirent comme une volée de moineaux avec des hurlements et des coassements de grenouilles. Pauli soupira et se détendit.
— J’espère que les vraies grenouilles ne vont pas s’imaginer que le temps des amours est venu, car ce n’est pas la saison. Nous serions envahis, on les verrait sautiller partout.
— C’est à de tels risques qu’on s’expose lorsqu’on est artiste, dit Serpent.
— Artiste !
Pauli éclata de rire et commença à relever sa manche.
— Tu as un joli talent de ménestrel.
— De conteuse, peut-être. Pas de ménestrel.
— Pourquoi ?
— Je n’ai pas d’oreille, je ne sais pas chanter.
— La plupart des ménestrels que j’ai rencontrés ne savent pas composer une histoire. Tu as un don pour cela.
Serpent prépara son inoculateur et le plaça sur la peau veloutée de Pauli. Les minuscules aiguilles brillaient sur la goutte de vaccin à injecter.
— Es-tu sûre de ne pas regretter d’avoir une cicatrice à cet endroit ? dit soudain Serpent.
— Pourquoi pas ?
— Ta peau est si belle qu’il m’en coûte d’y faire une marque. Je crois que je t’envie un peu, dit la guérisseuse en montrant sa main couturée de cicatrices.
Pauli tapota la main de Serpent, et ce geste lui rappela celui de Grum : une caresse aussi douce, mais faite d’une main plus sûre et dont on sentait la force cachée.
— Ce sont des cicatrices dont tu peux être fière. Et je serai fière de celle que tu vas me faire. Quiconque la verra saura que j’ai rencontré une guérisseuse.
Non sans regrets, Serpent pressa les aiguilles sur le bras de Pauli.
Serpent passa l’après-midi à se reposer, comme faisait tout le monde en ces heures chaudes. Elle n’avait plus rien à faire après avoir écrit la lettre qu’elle devait remettre à Ao, pas de bagages à préparer. Il ne lui restait rien. Ecureuil n’aurait que sa selle à porter ; l’armature en était intacte et le cuir réparable. À part cela et les vêtements qu’elle portait, elle n’avait que la sacoche aux serpents contenant Brume, Sabre et la hideuse vipère des sables à la place que Sève aurait dû occuper.
Malgré la chaleur, Serpent baissa les rabats de la tente et libéra ses deux serpents. Brume se laissa couler hors de la sacoche tel un filet d’eau, la tête levée et le capuchon ouvert, projetant vivement sa langue pour goûter à l’odeur nouvelle de la tente. Sable, à son habitude, sortit sans se presser. En les regardant glisser dans la pénombre chaude, éclairés seulement par la faible lueur bleue de la lanterne bioluminescente qui luisait sur leurs écailles, Serpent se demanda ce qui serait arrivé si le fou avait saccagé son camp en sa présence. Si les serpents avaient été dans leurs logements, il aurait pu s’introduire dans la tente sans qu’elle s’en aperçût, car elle dormait lourdement, n’étant pas encore remise des effets de la piqûre de vipère. Le fou aurait pu l’assommer et faire tranquillement son travail. Vandalisme ou fouille méthodique ? Serpent continuait à trouver incompréhensible qu’une destruction aussi complète et systématique ne fût pas en fait une fouille en règle, incompréhensible, par conséquent, que ce fût l’œuvre d’un fou. Rien ne distinguait ses cartes de celles que possédaient la plupart des habitants du désert. Elle n’aurait pas demandé mieux que de les prêter à quiconque aurait voulu en faire des copies. C’était une chose essentielle mais qu’on pouvait aisément se procurer. Mais le journal ? Il n’avait de valeur que pour Serpent. Pour un peu elle aurait regretté que le fou n’ait pas saccagé son camp en sa présence ; sans doute aurait-il éventré la sacoche aux serpents, et ces derniers auraient mis le point final à sa carrière de vandale. Serpent se reprochait d’envisager pareille éventualité avec un certain plaisir, et pourtant tel était bien son sentiment.
Sable glissa sur ses genoux et s’enroula autour de son poignet, l’ornant d’un épais bracelet. Cette position lui allait mieux plusieurs années auparavant, lorsqu’il était petit. Quelques minutes plus tard, Brume s’enroula autour de la taille de Serpent d’où elle gagna ses épaules. En des temps meilleurs Sève aurait formé sur sa gorge un doux et vivant collier d’émeraudes.
— Ma petite Serpent, ce n’est pas dangereux ?
C’est à peine si Grum avait osé écarter les rabats d’entrée de la tente suffisamment pour y jeter un regard furtif.
— Ce n’est pas dangereux si tu n’as pas peur. Veux-tu que je les enferme ?
— Euh… non.
Elle entra de côté, soulevant les rabats de son épaule. Elle avait les mains pleines. Tandis que ses yeux s’habituaient à l’obscurité, elle restait figée.
— Ne t’inquiète pas, dit Serpent. Ils sont tous deux ici avec moi.
Clignant des paupières, Grum s’avança. Elle posa près de la selle une couverture, un porte-carte, une outre à eau, une petite marmite.
— Pauli est en train de réunir des provisions. Rien de tout cela ne compensera ce que tu as perdu, mais…
— Grum, je ne t’ai même pas encore payée pour la pension d’Ecureuil.
— Et tu ne me paieras pas, dit Grum en souriant. Je t’ai expliqué pourquoi.
— Ce n’est pas juste : tu me paies ce qui ne m’a rien coûté.
— Ne t’inquiète pas. Viens nous voir au printemps et tu admireras les petits poulains zébrés que ton poney aura engendrés. J’en ai comme qui dirait l’intuition.
— Alors je vais te payer ce matériel neuf.
— Non. Nous en avons discuté ensemble, et nous avons décidé de t’en faire cadeau. Pour te remercier.
En disant ces mots elle souleva son épaule gauche, qui devait lui faire mal sous l’effet du vaccin.
— Je ne voudrais pas paraître ingrate, dit Serpent, mais les guérisseurs vaccinent toujours gratuitement ; c’est un principe. Je n’ai rien fait pour personne puisque personne n’était malade.
— C’est vrai, mais si quelqu’un avait été malade, tu l’aurais soigné. C’est exact ?
— Oui, bien sûr, mais…
— Tu soignerais des personnes qui ne peuvent payer. Faut-il que nous soyons moins généreux ? Nous n’allons pas te laisser partir sans rien dans le désert.
— Mais je peux payer.
Elle transportait dans son sac des pièces d’or et d’argent.
— Serpent ! cria Grum qui, soudain renfrognée, oubliait son répertoire de petits mots affectueux. Les gens du désert ne volent pas, et ils n’acceptent pas qu’on vole leurs amis. Nous avons des torts envers toi. Laisse-nous notre honneur.
Serpent se rendit compte que Grum ne voulait absolument pas se faire payer et n’y avait jamais songé. Il était important pour elle que la guérisseuse accepte ses présents.
— Pardonne-moi, Grum. Merci.
Les chevaux étaient sellés, prêts pour le départ. Afin de ménager Ecureuil, Vive avait été chargée de la plus grande partie du matériel. En dépit de ses décorations et de sa ciselure raffinée, la selle de la jument était fonctionnelle. Elle était si bien adaptée à l’animal, si confortable et de si belle qualité que Serpent commença à se sentir moins gênée par sa magnificence.
Grum et Pauli étaient venues lui faire leurs adieux. Personne n’avait mal réagi au vaccin, elle pouvait donc partir la conscience tranquille. Elle serra tendrement les deux femmes dans ses bras. Grum, de ses lèvres douces, tièdes et parcheminées, l’embrassa sur la joue.
— Au revoir, murmura Grum tandis que Serpent montait sur la jument. Au revoir ! cria-t-elle plus fort.
— Au revoir.
— En cas de tempête, cria Grum, réfugie-toi dans une grotte. Ne perds pas de vue les jalons, ils abrégeront ton voyage jusqu’à La Montagne.
Souriante, Serpent chevauchait la jument sous les arbres d’été sans cesser d’entendre les ultimes conseils et avertissements de Grum sur les oasis, l’eau, l’orientation des dunes, la direction du vent, les différents procédés des caravaniers pour s’orienter dans le désert ; et sur les pistes, les routes et les auberges que Serpent rencontrerait dans les montagnes Centrales, cette haute chaîne séparant les parties ouest et est du désert. Ecureuil trottait aux côtés de Serpent sans souffrir de son sabot déferré.
La jument, bien reposée, bien nourrie, aurait volontiers galopé si Serpent ne lui avait imposé un petit trot tranquille. La route allait être longue.
Vive renâcla et Serpent, brusquement réveillée, faillit se heurter la tête sur le roc en surplomb. Il était midi ; dans son sommeil elle s’était reculée pour se blottir dans le seul coin encore à l’ombre.
— Qui est là ?
Personne ne répondit. D’ailleurs, qui aurait pu se trouver là pour répondre ? Entre l’oasis qu’elle venait de quitter et la seule autre oasis avant les montagnes, il y avait deux nuits de marche. Serpent devait donc passer la journée en plein désert, dans un endroit sans végétation, sans nourriture et sans eau.
— Je suis guérisseuse, cria-t-elle, non sans se sentir ridicule. Attention, mes serpents sont en liberté. Parle ou montre-toi ou fais un signal si tu veux que je les enferme.
Pas de réponse.
« Il n’y a personne par ici, pensa Serpent. Pour l’amour de Dieu, cesse d’imaginer qu’on te suit. Les fous ne vous suivent pas. Ils sont… fous, c’est tout. »
Elle se recoucha et essaya de se rendormir, mais elle se réveillait chaque fois qu’elle sentait sur elle les grains de sable chassés par le vent. Son malaise persista jusqu’au crépuscule, et c’est alors qu’elle se remit en route vers l’est.
Les chevaux avaient ralenti l’allure et Ecureuil recommençait à souffrir du pied parce qu’ils gravissaient une piste pierreuse de montagne. Serpent boitait légèrement car le changement d’altitude et de température affectait son genou droit. Mais elle était presque en vue de la vallée où s’abritait La Montagne : encore une heure de marche. Au début la piste avait été raide, mais ils approchaient du col et allaient bientôt franchir la crête de la chaîne orientale des montagnes Centrales. Serpent mit pied à terre pour laisser reposer Vive.
Tout en grattant Ecureuil sur le front tandis qu’il lui mordillait les poches, Serpent se retourna pour contempler le désert. L’horizon était obscurci par une légère brume de poussière, mais plus près d’elle les dunes noires renvoyaient la lueur rougeoyante du soleil en un moutonnement iridescent. Des vagues de chaleur produisaient une illusion de mouvement. Serpent se rappelait la description qu’un de ses professeurs lui avait faite de l’océan ; et c’est ainsi qu’elle se l’imaginait.
Elle était heureuse d’avoir quitté le désert. L’air était déjà plus frais ; herbes et buissons s’accrochaient obstinément au roc dans des crevasses pleines de riches cendres volcaniques. Plus bas le vent balayait les versants de la montagne, faisant voler sable, terre et cendre. À cette hauteur, des plantes résistantes poussaient dans les endroits abrités, mais sans beaucoup d’eau pour les y aider.
Serpent tourna le dos au désert et continua à monter à pied, accompagnée de ses deux chevaux. Ses bottes glissaient sur la pierre polie par les vents. Sa robe de désert étant devenue encombrante, elle l’ôta pour l’attacher derrière la selle. Son pantalon flottant et sa tunique à manches courtes battaient contre son torse et ses jambes. Le vent soufflait plus fort à l’approche du col, car cette entaille étroite dans le roc agissait comme une cheminée qui produisait un appel d’air sur la moindre brise. Dans quelques heures il ferait froid. Froid !… Ô volupté à peine imaginable.
Lorsqu’elle atteignit la crête, Serpent découvrit un autre monde. Elle voyait une verte vallée et il lui semblait avoir laissé derrière elle tous les malheurs du désert. Ecureuil et Vive levèrent tous deux la tête, reniflèrent, s’ébrouèrent ; ils flairaient de frais pâturages, des eaux vives, d’autres animaux.
La ville elle-même s’étendait de chaque côté de la voie principale, ses maisons de pierre groupées en terrasses creusées, noir sur noir, dans le flanc de la montagne.
Au-delà de la vallée s’élevait des pentes plus hautes que le col où se trouvait Serpent, versants sauvages tapissés de forêts et dominés par une chaîne altière de pics dépouillés.
Serpent aspira profondément l’air pur des sommets, puis se mit à descendre vers la ville.
Les gens de La Montagne, renommés pour leur beauté, avaient déjà rencontré des guérisseuses ou guérisseurs. La déférence qu’ils leur inspiraient se teintait d’admiration et de quelque méfiance ; mais ce n’était plus la peur que Serpent avait rencontrée dans le désert. La méfiance, ce n’était pas nouveau, ni après tout déraisonnable, car Brume et Sable pouvaient être dangereux pour toute autre personne que leur maîtresse. Tenant ses chevaux par la bride, Serpent suivait la rue de cailloutis, répondant par un sourire aux salutations respectueuses des Montagnards.
C’était l’heure de la fermeture des boutiques et de l’ouverture des tavernes. Dès le lendemain on ferait appel à la guérisseuse mais elle espérait pouvoir jouir cette nuit-là, après un bon dîner arrosé de vin, d’un repos confortable dans une chambre d’auberge. Le désert l’avait rompue. Si quelqu’un la demandait à cette heure tardive, ce serait pour un cas grave. Serpent espérait qu’aucun Montagnard ne choisirait cette nuit-là pour être mourant.
Elle laissa ses chevaux devant une boutique encore ouverte pour y acheter une chemise et un pantalon neufs ; trop fatiguée pour les essayer, elle s’en remit à l’avis de la marchande pour le choix, fût-il approximatif, de la bonne taille.
— Ne vous inquiétez pas, dit la boutiquière, je pourrai faire des retouches si nécessaire, ou même vous échanger la marchandise ; je ferai ça pour une guérisseuse.
— Ça ira très bien, merci.
Serpent vit ensuite une pharmacie au coin d’une rue. Sa propriétaire était en train de fermer.
La pharmacienne se retourna avec un sourire empreint de résignation, qui tourna à la surprise lorsqu’elle vit Serpent et sa sacoche à serpents.
— Une guérisseuse ! Entrez donc. Que désirez-vous ?
— De l’aspirine et de la teinture d’iode, dit Serpent.
— Certainement. Je fabrique l’aspirine moi-même. Quant à l’iode, je prends soin de la purifier après livraison. Mes produits sont de bonne qualité. Voilà longtemps que nous n’avons pas vu de guérisseuse à La Montagne, dit la pharmacienne tout en servant Serpent.
— Les habitants de cette ville sont renommés pour leur santé et leur beauté, dit Serpent, persuadée que ce n’était pas un vain compliment. Et vous êtes bien approvisionnée, ajouta-t-elle en jetant autour d’elle un regard rapide. Je suppose que vous pouvez satisfaire presque tous les besoins.
Sur certaines étagères, Serpent voyait de ces antalgiques puissants qui terrassent le malade, affaiblissent l’organisme au lieu de le fortifier. Comme elle aurait eu honte d’en acheter parce que cela lui rappelait cette mort de Sève qu’elle voulait oublier, elle détourna les yeux. Et pourtant il faudrait qu’elle ait recours à ces drogues si l’état critique d’un habitant de La Montagne l’exigeait.
— Nous nous en tirons assez bien, dit la pharmacienne. Où comptez-vous loger ? Puis-je vous envoyer des gens ?
— Bien sûr.
Serpent indiqua l’auberge que Grum lui avait recommandée, paya et quitta la boutique avec la pharmacienne, qui prit une autre direction. Restée seule, la guérisseuse descendit la rue.
Soudain elle devina du coin de l’œil, une forme au long vêtement flottant. Pivotant sur elle-même, elle se tapit, prête à la riposte. Vive renâcla et fit un écart. La forme inquiétante s’immobilisa.
Serpent, embarrassée, se redressa. La personne s’avançait vers elle, enveloppée d’un manteau dont le capuchon lui cachait le visage. Ce n’était pas la robe qu’on porte dans le désert, et cet homme n’était pas un fou.
— Puis-je vous parler un moment, guérisseuse ? dit une voix hésitante.
— Bien sûr.
Puisqu’il n’avait pas fait de remarque sur la réaction inhabituelle de la guérisseuse, elle pouvait de son côté se dispenser de s’en expliquer.
— Je m’appelle Gabriel. Mon père est maire de cette ville. Je suis chargé de vous offrir l’hospitalité dans sa résidence.
— C’est très aimable à vous. Je pensais descendre à l’auberge.
— C’est une excellente auberge et ce serait un honneur pour l’aubergiste que de vous y accueillir. Mais nous pensons, mon père et moi-même, que ce serait déshonorer La Montagne que de ne pas vous offrir ce que cette ville a de meilleur.
— Merci.
Serpent n’en demandait pas tant, mais devant la générosité et l’hospitalité que lui valait sa condition de guérisseuse, elle se sentait gagnée par un sentiment de reconnaissance.
— J’accepte votre invitation. Mais il faudrait que je laisse un message à l’auberge. La pharmacienne m’a dit qu’elle pourrait bien y envoyer des gens pour moi.
Gabriel jeta un regard sur la jeune femme. Bien que son visage fût masqué par son capuchon, elle crut deviner qu’il souriait.
— Avant minuit toute la vallée saura où vous trouver.
Sous la conduite de Gabriel, la guérisseuse suivait des rues qui épousaient les contours de la montagne ; les maisons d’un étage étaient construites en pierre noire du pays. Sabots et bottes résonnaient bruyamment sur la chaussée de cailloutis et les deux versants de la vallée s’en renvoyaient l’écho. La rue cessa d’être bordée de maisons et elle s’élargit en une route pavée que seul un épais mur d’un mètre de haut séparait d’un à-pic plongeant vers le fond de la vallée.
— En temps normal, c’est mon père lui-même qui vous aurait accueillie.
Ce regret s’exprimait sur un ton hésitant. Gabriel semblait tâtonner pour dire une chose qu’il ne savait comment formuler.
— Je ne suis pas habituée à être accueillie par des dignitaires.
— Je tiens à ce que vous sachiez que nous vous aurions invitée sous notre toit de toute façon, même si…
— Je comprends. Votre père est malade.
— Oui.
— Je ne vois pas pourquoi on hésiterait à faire appel à moi. Après tout c’est mon métier. Et si je suis logée gratuitement, c’est un avantage inattendu.
Serpent ne voyait toujours pas le visage de Gabriel, mais sa voix avait cessé d’être tendue.
— Je voulais que vous sachiez que nous ne sommes pas de ces gens qui ne donnent qu’à la condition d’être payés de retour.
Ils poursuivirent leur marche en silence. La route s’incurvait autour d’un affleurement rocheux qui leur avait bouché la vue jusqu’alors et Serpent découvrit la résidence du maire. C’était un haut édifice à large façade, bâti sur un escarpement. La pierre noire du pays était égayée par d’étroites bandes blanches juste au-dessous du toit, qui était muni d’une batterie de brillants panneaux solaires vers l’est et le midi. Les fenêtres des pièces supérieures étaient de formidables baies curvilignes aménagées dans les tours rondes qui flanquaient le corps du bâtiment. Eclairées de l’intérieur, elles étaient sans faille apparente. En dépit de la magnificence de ses fenêtres et de ses hautes portes de bois sculptées, cette résidence tenait de la forteresse autant que du château pittoresque. Pas de fenêtres au premier, des portes d’aspect solide et lourd. Un second affleurement protégeait l’autre extrémité de l’édifice. L’escarpement sur lequel il était construit était moins raide et moins haut que l’endroit où se tenait Serpent ; le tout était précédé d’une cour pavée et d’un sentier éclairé conduisant aux écuries et à un petit herbage.
— Très imposant, dit Serpent.
— La propriété appartient à la ville, mais mon père l’habitait dès avant ma naissance.
Ils repartirent sur la route empierrée.
— Parlez-moi de la maladie de votre père.
Ce ne pouvait pas être bien grave, sinon Gabriel eût paru beaucoup plus soucieux.
— Un accident de chasse. Un de ses amis lui a percé la jambe de sa lance. Il ne veut même pas admettre que la plaie s’est infectée. Il craint qu’on ne l’ampute.
— Comment est la plaie ?
— Je l’ignore. Il ne veut pas me la montrer. Il refuse même de me voir depuis hier.
Il parlait avec une tristesse résignée.
Serpent jeta sur lui un regard. Elle était inquiète car si le malade était têtu et paniqué au point de préférer souffrir le martyre, l’infection pouvait très bien être assez importante pour avoir détruit les tissus.
— Je déteste les amputations, dit la guérisseuse en toute sincérité. Vous auriez peine à me croire si je vous disais ce qu’il m’est arrivé de faire pour les éviter.
À l’entrée de la résidence, Gabriel lança un appel et les lourds vantaux de la porte s’ouvrirent. Il dit un mot aimable au domestique qui les accueillit et lui demanda de conduire à l’écurie les chevaux de la guérisseuse.
Le hall d’entrée était une pièce de pierre noire polie qui reflétait les silhouettes mouvantes en images floues. Il y faisait assez sombre faute de fenêtres, mais un second domestique s’empressa d’allumer les lampes à gaz. Gabriel posa le sac de couchage de Serpent sur le sol, rejeta son capuchon en arrière et laissa son manteau glisser de ses épaules. Les murs brillants renvoyaient de son visage une image déformée.
— Vous pouvez laisser vos bagages ici, quelqu’un vous les montera.
Le mot « bagages » pour désigner son sac de couchage parut comique à la jeune femme ; il aurait plutôt convenu à une riche marchande sur le point de partir en voyage pour renouveler ses stocks.
Gabriel se tourna vers elle. Voyant son visage pour la première fois, elle en fut saisie. Les Montagnards étaient très conscients de leur beauté, si bien qu’en voyant ce jeune homme tout emmitouflé, Serpent s’était demandé s’il ne voulait pas cacher un physique ingrat, une cicatrice ou une difformité. Elle s’attendait à cela. Mais en fait Gabriel était l’être le plus beau qu’elle eût jamais vu. Il était solidement bâti et bien proportionné. Son visage était assez carré, sans être taillé à coups de serpe comme celui d’Arevin ; il paraissait plus vulnérable, plus transparent. Il s’approcha et elle vit que ses yeux étaient d’un bleu éclatant, un bleu extraordinaire. Le hâle de sa peau imitait le ton de sa chevelure blond foncé. Serpent n’aurait su dire pourquoi il était si beau. Symétrie des traits, harmonie du visage, perfection de la peau, qualités moins aisément définissables, tout cela réuni et davantage encore ? C’était une beauté à vous couper le souffle.
Serpent lut dans son regard interrogateur qu’il pensait qu’elle allait aussi se séparer de sa sacoche de cuir. Il ne paraissait pas remarquer l’effet qu’il produisait sur elle.
— Ce sac contient mes serpents, dit-elle. Je les garde avec moi.
— Oh, dit-il, je regrette, et il se mit à rougir, le sang lui montant de la gorge pour empourprer ses joues. J’aurais dû m’en douter…
— Aucune importance. Je pense qu’il est urgent que j’examine votre père.
— Naturellement.
Ils montèrent un escalier à vaste spirale, dont les massives marches de pierre étaient arrondies aux angles par le temps et l’usure.
Serpent n’avait encore jamais rencontré une personne d’une telle beauté qui fût si sensible aux critiques, surtout involontaires. Les êtres à la séduction irrésistible dégagent une aura de confiance en soi et d’assurance qui confine parfois à l’arrogance. D’autre part Gabriel paraissait extrêmement vulnérable. Serpent se demandait ce qui avait pu motiver ce comportement.
Grâce à l’épaisseur de leurs murs, les bâtiments des villes de montagne assuraient à leurs occupants une température relativement égale. Après un si long séjour dans le désert, Serpent appréciait la fraîcheur de ce lieu. Elle savait que son étape à cheval l’avait imprégnée de sueur et de poussière, mais elle ne sentait pas la fatigue. La sacoche de cuir ne lui semblait pas trop lourde. Elle espérait que ce serait un cas banal d’infection. Hormis l’éventualité d’une amputation rendue nécessaire par la gravité de la blessure, il n’y avait guère de complications à craindre et les risques de mort étaient infimes. Elle était heureuse de penser qu’elle n’aurait probablement pas à affronter, déjà, la perte d’un nouveau patient.
À la suite de Gabriel, elle monta l’escalier en spirale. Le jeune homme ne ralentit même pas en haut des marches, mais Serpent s’arrêta pour promener son regard subjugué autour de l’immense pièce où ils se trouvaient. Sa haute baie gris fumé s’incurvant au sommet de la tour offrait une vue spectaculaire sur la vallée entière éclairée par le crépuscule. Cette vue était la raison d’être de cette salle et l’on avait pris soin d’en exclure tout mobilier qui aurait pu en gâcher l’effet ; seuls l’ornaient quelques larges poufs de couleur neutre. La pièce était à deux niveaux ; un demi-cercle supérieur contre le mur, auquel menait l’escalier, et un autre plus vaste, en bas, au niveau de la fenêtre.
Serpent entendit un hurlement furieux, qui fut suivi de l’irruption d’un vieil homme. Se cognant contre Gabriel il faillit le faire tomber. Les deux hommes s’accrochèrent l’un à l’autre pour s’empêcher mutuellement de perdre l’équilibre, puis se regardèrent gravement sans paraître apprécier l’humour de la situation.
— Comment va-t-il ? demanda Gabriel.
— Plus mal. Est-ce… ? dit le vieil homme après avoir jeté un regard sur Serpent.
— Oui, j’ai ramené la guérisseuse. Brian est l’intendant de mon père, ajouta-t-il en manière de présentation. Il est seul à pouvoir approcher mon père.
— Non, dit Brian, écartant de son front une mèche d’épais cheveux blancs. Il refuse de me montrer sa jambe. Il en souffre à tel point qu’il a mis un oreiller sous les couvertures pour les écarter de son pied. Votre père est un homme têtu, monsieur.
— À qui le dites-vous !
— Cessez ce chahut là-bas, cria le malade. Est-ce que vous ne respectez rien ? Sortez de mes appartements !
Gabriel se redressa et regarda Brian.
— Entrons, dit-il.
— Pas moi, monsieur. Il m’a ordonné de sortir. Il m’a dit de ne pas revenir avant qu’il m’appelle… s’il m’appelle.
Le vieil homme avait l’air découragé.
— Ça ne fait rien. Il ne dit pas ça sérieusement. Il ne te ferait pas de mal.
— Vous le croyez vraiment, monsieur ? Qu’il ne veut pas faire de mal ?
— Pas à toi. Tu lui es indispensable. Moi non.
— Gabriel… dit le vieillard, cessant d’affecter une attitude servile.
— Ne t’éloigne pas, dit le jeune homme d’un ton léger. Il ne va probablement pas tarder à te demander.
Gabriel entra dans la chambre de son père.
Serpent le suivit. Ses yeux s’habituèrent lentement à l’obscurité de cette vaste pièce aux rideaux fermés, sans aucun éclairage.
— Bonjour, père.
— Sors d’ici. Je t’ai dit de ne pas m’importuner.
— J’ai amené une guérisseuse.
Comme tous ses concitoyens le père de Gabriel était beau. Serpent devait l’admettre, en dépit des rides qui, sous l’effet de l’anxiété, sillonnaient son puissant visage. Il avait le teint pâle, les yeux noirs, des cheveux noirs ébouriffés par son séjour au lit. S’il avait été en bonne santé, c’eût été un personnage imposant, avec toutes les apparences du parfait meneur d’hommes. Sa beauté était tout à fait différente de celle de son fils, et c’était une beauté pour laquelle Serpent n’éprouvait aucune attirance.
— Je n’ai pas besoin de guérisseuse. Sors d’ici. Appelle Brian.
— Tu lui as fait peur et tu l’as blessé, père.
— Appelle-le.
— Il viendrait si je l’appelais, mais ne peut rien pour toi. La guérisseuse, oui. Je t’en prie…
La voix de Gabriel prenait une note de désespoir.
— Gabriel, veuillez allumer les lampes, dit Serpent.
Elle s’avança pour se placer au chevet du malade, qui détourna les yeux de la lumière. Ses paupières étaient enflées, ses yeux injectés de sang. Il remuait seulement la tête.
— Votre état va s’aggraver, dit la jeune femme avec douceur. Vous finirez par ne plus oser faire le moindre mouvement. Et finalement vous en serez incapable parce que trop affaibli par votre blessure. Ce sera comme un poison et vous en mourrez.
— Cela vous va bien de parler de poison !
— Je m’appelle Serpent. Je suis guérisseuse. Je ne fais pas commerce de poisons.
Le maire ne réagit pas en entendant ce nom symbolique. Au contraire, son fils se tourna vers la guérisseuse avec un respect accru, presque religieux.
— Les serpents ! lança le malade avec hargne.
Serpent n’était pas d’humeur à gaspiller son énergie en discussions pour tenter de le convaincre. Se plaçant au pied du lit elle écarta les couvertures pour examiner la jambe du patient. Il voulut s’asseoir, protesta, puis se recoucha brusquement, respirant péniblement, le visage livide et luisant de sueur.
Gabriel s’approcha.
— Vous feriez mieux de rester avec lui, dit la guérisseuse.
L’infection dégageait une odeur écœurante.
C’était une vilaine blessure, qui avait commencé à se gangrener. Les chairs étaient enflées, striées de lignes rouges jusqu’aux cuisses sous l’effet de l’inflammation. Encore quelques jours et les tissus détruits tourneraient au noir ; il ne resterait plus alors qu’à amputer la jambe.
L’odeur était devenue nauséabonde. Gabriel paraissait plus pâle que son père.
— Vous n’êtes pas forcé de rester, dit Serpent.
— Je…
Le jeune homme avala sa salive, et dit enfin :
— Je peux rester, ça va.
Serpent remit les couvertures en place, prenant soin d’éviter toute pression sur le pied enflé. Le problème n’était pas de guérir le maire, mais de mater son agressivité défensive.
— Pouvez-vous faire quelque chose ? demanda Gabriel.
— Mêle-toi de tes affaires, dit le maire.
Gabriel baissa les yeux. Serpent crut lire dans son regard un sentiment difficilement déchiffrable auquel son père parut indifférent, mélange de résignation, de chagrin et d’absence totale de colère. Il alla s’occuper de régler les lampes à gaz.
Assise au bord du lit, Serpent tâta le front du malade. Comme prévu, il avait une forte température. Il se détourna.
— Ne me regardez pas, dit-il.
— Vous pouvez feindre de m’ignorer, et même m’ordonner de partir. Mais votre infection ne disparaîtra pas pour autant même si vous lui en donnez l’ordre.
— Vous n’allez pas me couper la jambe, dit le maire, détachant les mots, d’une voix neutre.
— Je n’en ai pas l’intention. Ce n’est pas nécessaire.
— Je n’ai besoin que de Brian pour la nettoyer.
— Il ne va pas supprimer votre gangrène.
Serpent commençait à s’irriter d’un tel enfantillage. S’il avait déraisonné sous l’effet de la fièvre, elle aurait fait preuve d’une patience infinie ; s’il avait été condamné, elle aurait compris qu’il répugnât à accepter l’inévitable. Mais ce n’était pas le cas. Habitué à voir tout plier à sa volonté, sans doute était-il incapable d’accepter les revers de fortune.
— Père, écoute-la, je t’en prie.
— Pas d’hypocrisie. Tu serais bien content que je meure.
Pâle comme un linge, Gabriel resta figé quelques secondes puis, lentement, fit demi-tour et sortit.
Serpent se dressa.
— C’est odieux ! dit-elle. Comment avez-vous pu lui dire une chose pareille ? Il veut que vous viviez, cela saute aux yeux. Il vous aime.
— Je n’ai que faire de son amour ni de votre pharmacopée.
Serrant les poings. Serpent sortit à son tour.
Elle trouva Gabriel assis dans la tour face à la fenêtre. Elle prit place à côté de lui.
— Il n’a pas dit ça sérieusement, dit Gabriel, la voix tendue par l’humiliation. En réalité…
Il s’inclina, se cachant le visage dans les mains, et éclata en sanglots. Serpent l’entoura de ses bras et essaya de le consoler, le serrant contre elle, tapotant ses puissantes épaules, caressant sa douce chevelure. Quelle que fût la source de l’animosité du maire à son égard, Serpent était persuadée qu’elle ne provenait pas d’un sentiment de haine ou de jalousie chez le jeune homme.
Il s’essuya le visage sur sa manche.
— Merci, dit-il. Je suis désolé. Lorsqu’il se conduit ainsi avec moi…
— Gabriel, ton père a-t-il des antécédents d’instabilité ?
Le jeune homme parut un instant intrigué. Puis il éclata d’un rire changé d’amertume.
— Vous voulez parler de son état mental. Non, il est tout à fait sain d’esprit. C’est une affaire personnelle entre nous. Je suppose… Il doit parfois désirer ma mort afin de pouvoir adopter un fils aîné plus présentable ou en engendrer un lui-même. Mais il se refuse à prendre une nouvelle partenaire. Il n’a peut-être pas tort. Peut-être m’arrive-t-il aussi de souhaiter sa mort.
— Tu le crois vraiment ?
— Je ne veux pas le croire.
— Et moi je n’en crois rien.
Il regarda la jeune femme et ébaucha ce qu’elle s’attendait à voir s’épanouir en un sourire éclatant, mais il reprit son air grave.
— Qu’arrivera-t-il si l’on ne fait rien ?
— Dans un jour ou deux il sera sans connaissance. Il faudra alors soit lui couper la jambe contre son gré, soit le laisser mourir.
— Ne pouvez-vous le soigner dès maintenant sans son consentement ?
Serpent eût préféré pouvoir lui donner une réponse plus conforme à ses désirs.
— Gabriel, il m’en coûte de te répondre non : si ton père tombait dans le coma sans avoir cessé de refuser mes soins, il me faudrait le laisser mourir. Tu dis toi-même qu’il est sain d’esprit. Je n’ai pas le droit d’aller à rencontre de ses désirs, même s’ils ont pour conséquence la perte stupide d’une vie humaine.
— Mais vous pourriez lui sauver la vie ?
— Oui, mais cette vie lui appartient.
Gabriel se frotta les yeux du revers de la main, en un geste d’extrême lassitude.
— Je vais lui parler.
Serpent le suivit, mais elle accepta de rester derrière la porte du malade. Le jeune homme avait du courage. Quelles que pussent être les faiblesses que son père lui reprochait – et qu’il reconnaissait, semblait-il – on ne pouvait nier qu’il fût courageux. Et pourtant il faisait montre, sur un autre plan, d’une certaine lâcheté, sinon pourquoi se serait-il laissé insulter ainsi sans réagir ? Serpent n’aurait jamais supporté, pensait-elle, pareille situation ; c’était inimaginable. Les liens l’unissant à ses camarades guérisseurs qui lui tenaient lieu de famille lui avaient semblé aussi puissants que pouvaient l’être les liens du sang, mais pourtant ces derniers étaient peut-être plus contraignants.
Serpent n’eut aucun scrupule à écouter les deux hommes.
— Je te demande de te laisser soigner, père.
— Personne ne peut plus rien pour moi. C’est trop tard.
— Tu n’as que quarante-neuf ans. Tu peux encore rencontrer une femme que tu aimerais comme tu as aimé ma mère.
— Aie le tact de ne pas parler de ta mère.
— Si, je veux en parler maintenant. Je ne l’ai pas connue mais je suis pour une moitié la chair de sa chair. Je regrette de t’avoir déçu. J’ai décidé de partir. Au bout de quelques mois tu pourras dire… non, dans quelques mois un messager viendra t’annoncer ma mort, et jamais tu ne sauras si c’est une fausse nouvelle.
Le maire ne répondit pas.
— Que veux-tu que je dise de plus ? Que je regrette de n’être pas parti plus tôt ? Eh bien, je le regrette.
— Voilà une chose que tu m’avais épargnée jusqu’ici. Tu es têtu, tu es insolent, mais jamais encore tu ne m’avais menti.
Il se fit un long silence. Serpent allait entrer lorsque Gabriel prit la parole.
— J’espérais pouvoir me racheter. Je pensais que si je pouvais me rendre assez utile…
— Je dois penser à la famille. Et à la ville. Quoi qu’il arrive tu seras toujours mon fils aîné, même si tu n’es plus mon fils unique. Je ne pourrais pas te renier sans t’infliger une humiliation publique.
Serpent fut surprise de déceler une note de pitié dans la rude voix du père.
— Je sais. Je comprends maintenant. Mais ta mort n’arrangerait rien.
— Vas-tu mettre tes projets à exécution ?
— Je le jure.
— Très bien. Fais entrer la guérisseuse.
Si Serpent n’avait pas fait le serment de soigner les blessés ou les malades, peut-être eût-elle quitté le château sur-le-champ. Jamais elle n’avait vu deux êtres, un père et un fils en l’occurrence, se rejeter ainsi mutuellement par une décision de froide raison. Gabriel la fit entrer et elle s’avança en silence vers le malade.
— J’ai changé d’avis, dit-il. Si vous consentez toujours à me soigner, ajouta-t-il, comme conscient de l’arrogance de son accueil.
— J’accepte, dit Serpent, et elle quitta la pièce.
Gabriel, inquiet, la suivit.
— Quelque-chose ne va pas ? dit-il. Vous n’avez pas changé d’avis ?
Gabriel paraissait calme, nullement affligé. Serpent s’arrêta.
— J’ai promis de le soigner, et je le soignerai. Il me faut une chambre et un délai de quelques heures avant de pouvoir le traiter.
— Nous vous donnerons tout ce qu’il vous faudra.
Il lui fit traverser toute la largeur du château jusqu’à sa tour sud. Au lieu de ne contenir qu’une seule grande salle imposante, elle était divisée en plusieurs petites pièces, moins impressionnantes et plus intimes que les appartements du maire. La chambre de Serpent occupait une section de la circonférence de la tour. Derrière les chambres d’hôte se trouvait une salle de bains commune entourée par le vestibule circulaire.
— C’est bientôt l’heure du souper, dit Gabriel en lui montrant sa chambre. Voulez-vous partager ce repas avec moi ?
— Non, merci. Une autre fois.
— Voulez-vous que je vous fasse monter quelque-chose ?
— Non. Revenez dans trois heures, c’est tout.
Ce n’était pas le moment de s’inquiéter des problèmes de ce garçon, Serpent devant se concentrer sur le traitement qu’elle allait faire subir à son père. Distraitement, elle lui donna quelques instructions sur ce qu’il faudrait préparer dans la chambre du malade. En raison de la gravité de l’infection il fallait s’attendre à un travail peu ragoûtant. Mais Gabriel ne partait pas.
— Il souffre terriblement, dit-il. N’avez-vous rien pour calmer la douleur ?
— Non. Mais ça ne lui ferait pas de mal de le soûler.
— Le soûler ? Bien, je vais essayer. Mais je pense que ça ne servira à rien. Je ne l’ai jamais vu terrassé par la boisson.
— La vertu analgésique de l’alcool est secondaire. Il favorise la circulation.
— Oh !
Lorsque Gabriel fut parti, Serpent administra à Sable un médicament destiné à l’élaboration d’une antitoxine contre la gangrène. Le venin modifié contiendrait son propre anesthésique local, mais il n’agirait guère qu’une fois la plaie assainie et la circulation désentravée. Ce n’était pas de gaieté de cœur qu’elle allait lui faire du mal ; pourtant elle le regretterait moins que dans le cas d’autres malades qu’elle avait dû faire souffrir.
Elle enleva ses bottes et ses vêtements souillés par la poussière du désert car ils avaient bien besoin d’être aérés. La personne qui avait monté son sac de couchage en avait détaché sa chemise et son pantalon neufs pour les étaler à côté. Elle aurait plaisir à retrouver ce style de vêtements mais il leur faudrait longtemps pour que l’usure les rende aussi confortables que les effets détruits par le fou.
La salle de bains était éclairée d’une lumière douce par les lampes à gaz. La plupart des maisons de cette importance avaient leurs propres générateurs de méthane. Qu’ils fussent individuels ou collectifs, ces appareils étaient alimentés par les ordures ménagères qui servaient de base à la production bactérienne de combustible. Avec son générateur et les panneaux solaires du toit, le château produisait au minimum toute l’énergie qui lui était nécessaire. Il disposait même sans doute d’un excédent permettant d’alimenter une pompe à chaleur. En temps de canicule estivale assez forte pour rendre insuffisante l’isolation thermique assurée par la pierre, la maison pouvait être rafraîchie. Le centre des guérisseurs jouissait de commodités comparables, et Serpent n’était pas fâchée de retrouver ce confort. Elle remplit d’eau chaude une vaste bassine et s’y baigna voluptueusement. Même le savon était un progrès par rapport au sable noir, mais elle ne put s’empêcher de rire en constatant que la serviette de bain sentait la menthe poivrée.
Trois heures s’écoulèrent lentement tandis qu’agissait le médicament administré à Sable. Serpent était étendue tout habillée mais nu-pieds, bien éveillée lorsque Gabriel frappa à la porte. Elle s’assit et, tenant Sable d’une main douce, derrière la tête, elle le laissa s’enrouler autour de son poignet et de son bras.
— Entrez, dit-elle.
Le jeune homme regarda le serpent d’un air méfiant. Sa fascination l’emportait sur une anxiété manifeste.
— Je l’empêcherai d’attaquer, dit Serpent.
— Je me demandais quel effet ça peut faire de toucher ces animaux.
Serpent tendit le bras vers lui et il caressa les écailles lisses de Sable aux motifs réguliers. Il retira sa main sans commentaire.
Dans la chambre du maire, Brian, l’air moins déprimé, était heureux de pouvoir à nouveau s’occuper de son maître. Le maire avait le vin triste, il pleurnichait. Lorsque Serpent s’approcha de lui, il geignait presque mélodieusement tandis que de grosses larmes glissaient sur ses joues. Il cessa de gémir à la vue de la guérisseuse. Elle se plaça au pied de son lit. Il l’observait d’un air effrayé.
— Combien a-t-il bu ?
— Il a bu de tout son soûl, dit Gabriel.
— Il serait tout de même préférable qu’il soit inconscient dit Serpent, prise de pitié.
— Je l’ai vu boire jusqu’à l’aube avec les conseillers municipaux, mais sans jamais flancher.
Le maire les regarda en louchant de ses yeux larmoyants.
— Je ne veux plus de brandy, dit-il. Je n’en veux plus.
Il parlait avec force en dépit d’un léger bredouillement.
— Si je suis éveillé, ajouta-t-il, tu ne pourras pas me couper la jambe.
— Très juste. Alors restez éveillé.
Son regard se riva sur Sable, sur ses yeux fixes et sa langue jaillissante, et il se mit à trembler.
— Trouve autre chose, dit-il. Il doit bien y avoir un autre moyen.
— Vous mettez ma patience à bout, dit Serpent. Elle savait qu’elle ne tarderait pas à éclater ou, pire encore, à pleurer au souvenir de la mort de Jesse. Elle aurait tant aimé pouvoir venir en aide à cette femme tandis qu’il lui serait si facile de soigner le maire.
Il gisait sur le dos. Serpent sentait qu’il tremblait encore, mais du moins il se taisait. Gabriel et Brian se tenaient de chaque côté de lui. La guérisseuse déborda le pied du lit et plaça les couvertures sur les genoux du patient pour l’empêcher de voir ses jambes.
— Je veux voir, murmura-t-il.
Sa jambe était enflée et violacée.
— Pas question, dit Serpent. Brian, veuillez ouvrir les fenêtres.
Le vieux domestique s’exécuta avec empressement. Il tira les rideaux et ouvrit des panneaux de la baie vitrée sur la nuit ténébreuse. Un air frais et pur envahit la pièce.
— Lorsque Sable vous mordra, dit Serpent, vous sentirez une douleur aiguë. Puis un engourdissement de la région entourant la morsure. Ce sera juste au-dessus de la plaie. La sensation d’engourdissement s’étendra lentement parce que votre circulation est presque arrêtée. Mais une fois qu’elle se sera propagée, je ferai suppurer la plaie. Ensuite l’antitoxine agira plus efficacement.
Les joues congestionnées du malade pâlirent. Il ne dit rien. Brian porta un verre à ses lèvres et il but avidement. Il reprit ses couleurs.
C’est ainsi, pensa Serpent, à certains malades il faut tout dire, à d’autres tout cacher. Elle lança à Brian un linge propre.
— Imbibez cela de brandy et collez-le-lui sur le nez et la bouche. Vous pouvez, vous et Gabriel, faire de même si vous voulez. Ce ne sera pas agréable. Et buvez tous les deux une bonne gorgée chacun. Ensuite maintenez-le doucement par les épaules. Empêchez-le de s’asseoir brusquement ; ça ferait peur au serpent.
— Oui, guérisseuse, dit Brian.
Serpent nettoya la peau du patient au-dessus de la plaie profonde du mollet.
« Il peut s’estimer heureux de ne pas avoir le tétanos par-dessus le marché », pensa-t-elle en songeant à Ao et à sa bande de récupérateurs. Des guérisseurs passaient de temps en temps à La Montagne, moins souvent pourtant que par le passé. Peut-être le maire s’était-il fait vacciner lorsqu’il avait su qu’un serpent n’était pas nécessaire.
Serpent détacha Sable de son bras et le tint derrière le renflement de sa mâchoire, le laissant projeter sa langue vers la peau décolorée du malade tout en se lovant sur le lit en un épais rouleau. Lorsque Serpent le jugea bien placé, elle lui lâcha la tête.
Il frappa.
Le maire poussa un cri.
Sable ne mordit qu’une fois, et en une détente si rapide qu’on put à peine le voir bouger. Mais le maire ne s’y trompa pas. Il était repris d’un violent tremblement. Un sang noir mêlé de pus suintait des deux petites perforations de la morsure.
La fin de l’opération n’était plus pour Serpent qu’une besogne courante, peu appétissante, dans une atmosphère empestée. Elle ouvrit la plaie et la laissa suppurer. La jeune femme espérait que le maire n’avait pas pris un repas trop copieux car il semblait prêt à vomir en dépit du linge imbibé de brandy qu’il appliquait sur son visage. Brian se tenait stoïquement aux côtés de son maître, l’apaisant et l’empêchant de remuer.
Lorsque la guérisseuse eut terminé, l’enflure de la jambe avait diminué considérablement. Il serait rétabli dans quelques semaines.
— Brian, venez ici, s’il vous plaît.
Le vieil homme s’exécuta non sans hésitation, mais parut se détendre lorsqu’il vit la jambe de son maître.
— La plaie a meilleur aspect, dit-il ; c’est déjà mieux que la dernière fois qu’il m’a permis de la regarder.
— Bien. Elle va continuer à suppurer, il faut donc qu’elle soit constamment nettoyée.
Elle montra à l’intendant comment panser la blessure. Il fit venir une jeune domestique pour lui faire enlever les linges souillés ; dès lors la puanteur de l’infection et de la chair putréfiée ne tarda pas à se dissiper. Assis sur le lit, Gabriel épongeait le front de son père. Le linge imprégné de brandy était tombé de son visage, et il ne s’était pas donné la peine de le ramasser. Il n’était plus aussi pâle.
Serpent fit glisser Sable sur ses épaules.
— Si la plaie lui fait très mal ou si sa température remonte – s’il se produit un changement quelconque qui ne soit pas une amélioration – appelez-moi. Sinon je l’examinerai demain matin.
— Merci, guérisseuse, dit Brian.
Serpent eut un moment d’hésitation en passant devant Gabriel ; mais il garda les yeux baissés. Son père était immobile, respirant péniblement ; il paraissait avoir succombé au sommeil.
Serpent haussa les épaules et quitta la tour du maire pour regagner sa chambre. Après avoir remis Sable dans son logement, elle descendit et trouva les cuisines. Une des innombrables domestiques de la maison lui servit à souper, puis elle alla se coucher.