CHAPITRE XX La chambre spirale

Je ne saurais dire si le vaisseau resta longtemps ainsi suspendu dans le ciel. Certainement moins d’une veille et seulement le temps d’une respiration, me sembla-t-il. Tant qu’il fut là, je n’eus d’yeux pour rien d’autre ; ce que fit Aphéta pendant ce temps, je n’en ai pas la moindre idée. Lorsqu’il eut disparu, je la retrouvai assise sur un rocher, au bord de l’eau, qui m’observait.

« J’ai encore tant de questions à vous poser, dis-je. La vue de Thécle me les a fait oublier, mais elles me reviennent à l’esprit ; des questions qui vous concernent aussi.

— Si ce n’est que vous êtes épuisé », remarqua-t-elle.

J’acquiesçai.

« Vous devrez affronter Tzadkiel, demain ; et demain n’est pas loin. Notre petit monde tourne plus vite que le vôtre ; ses jours et ses nuits doivent vous paraître courts. Viendrez-vous avec moi ?

— Avec joie, gente dame.

— Vous me prenez pour une reine, ou quelque chose de ce genre. N’allez-vous pas être stupéfait en découvrant que je vis dans une seule pièce ? Regardez par là. »

Je suivis son geste et vis une arche formant entrée que dissimulaient en partie des arbres, à seulement une douzaine de pas de la berge.

« N’y a-t-il pas de marées, ici ? demandai-je.

— Non. Je sais ce que cela signifie car j’ai étudié votre monde – c’est pourquoi j’ai été choisie pour conduire les marins, et plus tard pour vous parler. Mais Yesod, qui n’a pas de compagnon céleste, est sans marées.

— Vous avez su dès le début que c’était moi l’autarque, n’est-ce pas ? Si vous avez étudié Teur, vous ne pouviez l’ignorer. Enchaîner Zak n’était qu’un stratagème. »

Elle ne répondit pas, même après que nous eûmes franchi l’arche sombre. S’ouvrant dans un mur en pierre, tout blanc, on aurait dit l’entrée d’une tombe ; mais à l’intérieur l’air était frais et doux comme partout sur Yesod.

« Il va falloir me guider, madame. Je n’y vois rien, il fait trop noir. »

À peine avais-je parlé qu’il y eut de la lumière, une lumière sourde comme celle d’une flamme qui se reflète dans de l’argent terni. Elle venait d’Aphéta elle-même, et puisait comme un cœur qui bat

.

Nous nous tenions dans une vaste pièce, avec des rideaux de mousseline de chaque côté. Des sièges et des divans rembourrés étaient répartis au hasard sur un tapis gris. Les uns après les autres, les rideaux s’écartèrent en un bref frisson et j’aperçus derrière chacun le visage sombre et silencieux d’un homme ; ils nous regardèrent pendant quelques instants, puis, un à un, laissèrent retomber le pan de mousseline.

« Vous êtes bien gardée, madame, dis-je. Mais vous n’avez rien à craindre de moi. »

Elle sourit, et rien n’était plus étrange que de voir un sourire qu’éclairait sa propre lumière. « Vous me couperiez le cou le temps de le dire, si cela devait sauver votre Teur. Nous le savons bien tous les deux. Vous seriez même capable de vous couper le vôtre, je crois.

— Oui. Du moins, je l’espère.

— Mais ces hommes ne sont pas des protecteurs. Cette lumière signifie que je suis prête à m’accoupler.

— Et si moi je ne le suis pas ?

— J’en choisirai un autre pendant votre sommeil. Ce ne sera pas difficile, comme vous le voyez. »

Elle poussa un rideau de côté, et nous passâmes dans un grand corridor qui s’incurvait à gauche. Des sièges comme ceux de la première pièce s’y trouvaient dispersés, ainsi que bien d’autres objets qui me parurent aussi mystérieux que les appareils du château de Baldanders, quoiqu’ils fussent charmants et non terribles d’aspect. Aphéta s’installa sur l’un des divans.

« Nous n’allons pas dans votre chambre, gente dame ?

— Ceci est ma chambre. Elle est en spirale, comme beaucoup de nos pièces. C’est une forme que nous aimons. Si vous la suivez, vous arriverez dans un endroit où vous pourrez vous laver et être seul pendant un moment.

— Merci. Avez-vous une bougie à me prêter ? »

Elle secoua la tête, et me dit qu’il n’y ferait pas entièrement noir.

Je la laissai et suivis la spirale. Sa lumière m’accompagna, devenant de plus en plus faible, mais réfléchie par la paroi incurvée. À l’extrémité, que j’atteignis rapidement, un souffle d’air me laissa à penser que ce que Gunnie avait appelé un spiracle allait d’ici au toit. Mes yeux s’étant habitués à la pénombre, je distinguai d’ailleurs un cercle légèrement plus clair et, levant les yeux, je vis le ciel étoilé de Yesod.

J’y pensai tout en me soulageant et en me lavant les mains. Lorsque je revins auprès d’Aphéta, étendue sur le divan, dans toute sa beauté nue puisant doucement sous un drap de toile fine, je l’embrassai et lui demandai : « N’y a-t-il pas d’autres mondes, gente dame ?

— Une infinité », murmura-t-elle. Elle avait dénoué sa chevelure sombre qui flottait autour de son visage brillant, si bien qu’elle semblait être elle-même quelque étoile surnaturelle protégée par la nuit.

« Ici à Yesod. Depuis Teur, nous voyons des myriades de soleils, pâles de jour, brillants la nuit. Votre ciel diurne est vide, mais votre ciel nocturne est plus éclatant que le nôtre.

— Quand nous en aurons besoin, les hiérogrammates en construiront d’autres ; des mondes aussi beaux que celui-ci, ou plus beaux encore. Et des soleils pour ces mondes, s’il en était besoin. C’est ainsi que pour nous ils sont déjà là. Le temps passe tandis que nous les demandons, et nous aimons leur lumière.

— Le temps ne passe pas pendant que je vous questionne. » Je m’assis sur le divan, ma mauvaise jambe tendue devant moi.

« Pas encore. Vous êtes boiteux, autarque.

— Vous l’aviez certainement déjà remarqué.

— Oui, mais je cherche un moyen de vous dire que pour vous le temps passera comme pour nous. Vous êtes boiteux en ce moment ; mais si vous ramenez le Nouveau Soleil sur votre Teur, vous ne le resterez pas.

— Vous autres, hiérarques, êtes des magiciens. Vous êtes plus puissants que ceux que j’ai rencontrés jadis, mais des magiciens tout de même. Vous parlez de telle ou telle merveille, mais bien que vos malédictions puissent exploser, j’ai le sentiment que vos récompenses sont d’un or de mauvais aloi qui se transformera en poussière dans la main.

— Vous vous méprenez sur nous, répondit-elle. Et bien que nous en sachions beaucoup plus que vous, notre or est de l’or véritable, obtenu comme l’est toujours l’or véritable, c’est-à-dire souvent au prix de nos vies.

— Alors vous êtes perdus dans votre propre labyrinthe ; ce n’est pas étonnant. J’avais autrefois le pouvoir de guérir ce genre de choses – parfois, du moins. » Et je lui parlai de la fillette malade dans la cabane de Thrax, du uhlan sur la route verte, de Triskele ; et, à la fin, comment j’avais trouvé le steward mort devant ma porte.

« Si j’essaie d’éclaircir ce mystère pour vous, comprendrez-vous enfin que, pas plus que vous-même, je ne connais tous les secrets de votre Briah, alors même qu’ils font l’objet de mon étude ? Ils sont sans fin.

— Je comprends, dis-je. Mais sur le vaisseau, j’avais cru que nous avions franchi les limites de Briah en venant ici.

— En effet. Mais bien que vous puissiez pénétrer dans une maison par une porte, et en sortir par une autre, vous n’en connaissez pas pour autant tous les secrets. »

J’acquiesçai, contemplant les pulsations qui révélaient sa ravissante nudité sous le tissu léger et souhaitant, si la vérité devait être connue, qu’elle ne détînt pas une aussi forte emprise sur moi.

« Vous avez vu notre mer. Y avez-vous remarqué des vagues ? Que répondriez-vous à un homme qui vous dirait que vous avez vu non pas des vagues, mais de l’eau ?

— Que j’ai appris à ne pas discuter avec les fous. On sourit et on s’éloigne.

— Ce que vous appelez le temps est constitué de vagues semblables, et de même que les vagues que vous avez vues existaient dans l’eau, de même le temps existe dans la matière. Les vagues se dirigent vers la plage, mais si vous jetiez un galet dans l’eau, de nouvelles vagues, cent ou mille fois plus faibles que les autres, courraient vers le large, où la houle les ressentirait.

— Je comprends.

— C’est ainsi que les choses de l’avenir se font connaître dans le passé. Un enfant destiné à être un jour plein de sagesse est déjà un enfant sage ; et beaucoup que guette une catastrophe portent souvent leur destin funeste sur le visage, si bien que ceux qui peuvent voir l’avenir, même brièvement, le comprennent et détournent les yeux.

— N’avons-nous pas tous un destin funeste ?

— Non, mais c’est une autre question. Vous pouvez devenir le maître d’un Nouveau Soleil. Si vous y arrivez, vous pourrez puiser à volonté dans son énergie. Mais il ne pourra exister que si vous – vous et Teur – triomphez ici. Or de même que le garçon laisse entrevoir l’homme qu’il sera, quelque chose de cette faculté vous a atteint par les Corridors du Temps. Je ne saurais dire d’où vous l’avez tirée lorsque vous étiez sur Teur. En partie de vous-même, sans doute. Mais tout, loin de là, ne peut venir de vous, sans quoi vous auriez péri. Peut-être de votre monde, ou de son vieux soleil. Quand vous étiez sur le vaisseau, il n’y avait ni monde ni soleil suffisamment près, si bien que vous avez pris ce que vous avez pu du vaisseau lui-même et avez bien failli le naufrager. Mais même cela n’a pas été suffisant.

— Et la Griffe du Conciliateur n’aurait eu aucun pouvoir ?

— Laissez-moi voir. » Elle me tendit une main brillante.

« Elle a été détruite il y a longtemps par les armes des Asciens », expliquai-je.

Elle ne répondit pas, se contentant de me regarder ; le temps que passe un battement de cœur, je me rendis compte qu’elle fixait ma poitrine, là où je portais la Griffe dans le petit sac que Dorcas avait cousu pour moi.

Je baissai les yeux et vis une lumière – plus faible que la sienne, mais continue. Je sortis la Griffe, et son rayonnement doré se refléta sur les murs avant de mourir. « Elle est redevenue la Griffe, dis-je. C’est ainsi que je l’ai vue lorsque je l’ai retirée des rochers. »

Je la lui tendis ; ce n’est pas elle qu’elle regarda, mais la blessure à demi guérie qu’elle avait faite. « Elle était saturée de votre sang, et votre sang contient vos cellules vivantes. Je doute qu’elle ait été sans pouvoir. Et je ne m’étonne pas que les pèlerines l’aient révérée. »

Je la quittai alors, retrouvai mon chemin jusqu’à la plage où je restai longtemps à faire les cent pas sur le sable. Mais les pensées qui me vinrent n’ont pas leur place ici.

Lorsque je revins, Aphéta m’attendait toujours, la pulsation argentée de son corps plus importune encore. « Pouvez-vous ? » me demanda-t-elle, à quoi je répondis qu’elle était très belle.

« Mais pouvez-vous ?

— Nous devons tout d’abord parler. Ce serait trahir les miens que de ne pas vous interroger.

— Alors demandez, murmura-t-elle. Mais je dois vous avertir que rien de ce que je pourrai dire ne vous aidera, vous et les vôtres, dans l’épreuve à venir.

— Comment se fait-il que vous parliez ? Quels sons retentissent ici ?

— Vous devez écouter ma voix, et non mes mots. Qu’entendez-vous ? »

Je fis ce qu’elle me demandait, et me parvint le froufrou soyeux du drap, les murmures de nos deux corps, le clapotis des vaguelettes et les battements de mon propre cœur.

Ce sont cent questions que j’avais été prêt à lui poser, et il m’avait semblé que chacune était celle qui pouvait nous donner le Nouveau Soleil. Ses lèvres effleurèrent les miennes et toutes ces questions s’évanouirent, chassées de ma conscience comme si elles ne s’y étaient jamais trouvées. Ses mains, ses lèvres, ses yeux, ses seins que je pressais – tout m’émerveillait ; mais il y avait autre chose, peut-être le parfum de ses cheveux. J’avais l’impression de respirer une nuit sans fin…

Allongé sur le dos, je pénétrai Yesod. Ou plutôt, Yesod se referma sur moi. Ce n’est qu’à cet instant que je sus que je n’avais jamais été là. Par milliards, jaillirent de moi des étoiles, fontaines solaires, si bien que, pendant un instant, je crus savoir comment naissaient les univers. Pure folie.

La réalité la repoussa, comme la lumière d’une torche chasse les ombres dans les coins, et avec elles les fées ailées de l’imaginaire. Quelque chose naquit entre Yesod et Briah lorsque je rencontrai Aphéta sur ce divan de la pièce arrondi, quelque chose de minuscule et cependant immense qui brûlait comme un charbon que des pincettes porteraient à la langue.

Ce quelque chose était moi-même.

Je dormis ; et comme ce sommeil fut sans rêve, je ne sus pas que je dormais.

À mon réveil, Aphéta avait disparu. Par le spiracle, le soleil de Yesod avait pénétré jusqu’en cette extrémité étroite de la chambre spirale. Affaibli, sa lumière était renvoyée sur moi par les murs blancs, si bien que je m’éveillai dans un crépuscule doré. Je me levai et m’habillai, me demandant où pouvait bien être Aphéta ; mais elle entra, portant un plateau, au moment où j’enfilais mes bottes. J’étais gêné qu’une aussi grande dame me servit et le lui avouai.

« Les nobles concubines de votre cour ont certainement été attentives à vous servir, autarque.

— Que sont-elles, comparées à vous ? »

Elle haussa les épaules. « Je ne suis pas une grande dame. Ou alors seulement aujourd’hui et seulement pour vous. Notre statut est fonction de notre proximité avec les hiérogrammates, et je n’en suis pas très près. »

Elle posa le plateau et s’assit à côté. Il y avait des petits gâteaux, une carafe d’eau fraîche et des tasses d’un liquide fumant qui ressemblait à du lait mais n’en était pas.

« J’ai de la peine à croire que vous soyez loin des hiérogrammates, gente dame.

— Cela tient simplement à ce que vous vous croyez si important, vous et votre Teur, et à ce que vous imaginez que tout ce que je dis et tout ce que nous faisons décidera de votre destin. Mais il n’en est rien, absolument rien. Ce que nous ferons maintenant sera sans effet, et vous et votre monde n’ont d’importance pour personne ici. »

J’attendis qu’elle s’expliquât davantage et finalement elle ajouta : « Sauf pour moi », en croquant un morceau de gâteau.

« Merci, madame.

— Et cela, seulement depuis votre arrivée. Bien que je ne puisse que vous détester, vous et votre monde, je dois dire que vous vous en souciez beaucoup.

— Gente dame…

— Je sais, vous avez cru que je vous désirais. Ce n’est que maintenant que je vous aime assez pour pouvoir vous dire que non. Vous êtes un héros, autarque, et les héros sont toujours des monstres qui débarquent porteurs de nouvelles que nous préférerions ignorer. Mais vous êtes un monstre particulièrement monstrueux. Dites-moi, avez-vous étudié les images, pendant que vous parcouriez le hall circulaire qui entoure la Chambre d’Examen ?

— Seulement quelques-unes. J’ai vu la cellule où Aghia avait été enfermée, et j’en ai remarqué une ou deux autres.

— Et comment croyez-vous qu’elles sont parvenues jusqu’ici ? »

Je pris moi-même un gâteau, et une gorgée du liquide chaud. « Je n’en ai aucune idée, madame. J’ai vu tant de merveilles ici que j’ai cessé de m’émerveiller, sauf en ce qui concerne Thécle.

— Mais vous ne pouviez trop m’interroger sur elle, oui, même sur Thécle, la nuit dernière, de peur de ce que je pourrais dire ou faire. Cent fois l’envie de m’interroger vous est venue, cependant.

— M’auriez-vous mieux aimé, gente dame, si je vous avais posé des questions sur un ancien amour alors que je vous tenais dans mes bras ? Votre race est bien étrange, en vérité. Mais étant donné que c’est vous qui en avez parlé, continuez. » Une goutte du breuvage blanc, que j’avais avalé sans prendre garde au goût, coulait le long de la tasse. Je jetai un regard circulaire à la recherche de quelque chose pour l’éponger, mais ne trouvai rien.

— Vos mains tremblent.

— En effet, gente dame. » Je reposai la tasse, qui cliqueta contre le plateau.

« L’aimiez-vous donc tant que cela ?

— Oui, madame. Et je la haïssais aussi. Je suis Thécle et l’homme qui aimait Thécle.

— Alors je ne vous dirai rien d’elle – que pourrais-je vous apprendre ? Peut-être vous parlera-t-elle elle-même après la Présentation.

— Vous voulez dire, si je réussis.

— Votre Thécle vous punirait-elle si vous échouiez ? » me demanda Aphéta. Et une grande joie pénétra en mon cœur. « Mais mangez, reprit-elle, nous devons partir. Je vous ai dit la nuit dernière que nos journées étaient courtes ici, et vous avez déjà dormi pendant la première partie de celle-ci. »

J’engloutis le reste du gâteau et vidai la tasse. « Qu’arrivera-t-il à Teur, si j’échoue ? »

Elle se leva. « Tzadkiel est juste. Teur ne deviendra pas pire que ce qu’elle est actuellement, pas pire que ce qu’elle aurait été si vous n’étiez pas venu.

— Un avenir de glaciation, dis-je. Mais si je réussis, le Nouveau Soleil viendra. » Comme si j’avais bu une drogue avec le liquide blanc, j’avais l’impression de me tenir infiniment loin de moi-même, de m’observer comme un homme peut observer un moucheron, d’entendre ma voix comme un faucon entend les couinements d’une souris des prairies.

Aphéta venait de repousser le rideau. Je la suivis jusque dans la stoa. À travers son arche ouverte scintillait la mer toute fraîche de Yesod, saphir moucheté de blanc. « Oui, dit-elle, et votre Teur sera détruite.

— Madame…

— Il suffit. Venez avec moi.

— Purn avait raison, alors. Il voulait me tuer, et j’aurais dû le laisser faire. » L’avenue que nous empruntâmes était plus en pente que celle que nous avions descendue la nuit précédente et montait directement jusqu’à la Cour de Justice, qui nous surplombait comme un nuage.

« Ce n’est pas vous qui l’en avez empêché, remarqua Aphéta.

— Un peu auparavant, sur le vaisseau, madame. C’est donc lui, hier soir, dans l’obscurité. Quelqu’un d’autre l’a arrêté, sans quoi je serais mort. J’étais incapable de me libérer moi-même.

— Tzadkiel », dit-elle.

Mes jambes avaient beau être plus longues que les siennes, je devais presser le pas pour rester à sa hauteur. « Vous avez dit qu’il n’était pas là, madame.

— Non. Simplement qu’il n’occupait pas son Siège de Justice, hier. Regardez donc autour de vous, autarque. » Elle s’arrêta, et je l’imitai. « N’est-ce pas une belle ville ?

— La plus belle que j’aie jamais vue, gente dame. Sans aucun doute cent fois plus belle que la plus belle ville de Teur.

— Ne l’oubliez pas ; il se peut que vous ne la revoyiez pas. Votre monde pourrait être aussi beau que celui-ci, si seulement vous le vouliez tous. »

Nous continuâmes de monter jusqu’à l’entrée de la Cour de Justice. Je m’étais imaginé obligé de fendre la foule, comme lors de nos procès publics, mais le silence du matin régnait sur le sommet de la colline.

Aphéta se tourna de nouveau et m’indiqua la mer. « Regardez, dit-elle à nouveau. Apercevez-vous les îles ? »

Je les vis. Elles étaient éparpillées – à l’infini, aurait-on dit – jusqu’à l’horizon, telles que je les avais déjà contemplées depuis le vaisseau.

« Savez-vous ce qu’est une galaxie, autarque ? Ce tourbillon d’étoiles innombrables, éloignées les unes des autres ? »

J’acquiesçai.

« Cette île sur laquelle vous vous tenez juge les mondes de votre galaxie. Chaque île que vous voyez en juge une autre. J’espère que de savoir cela vous aidera, car c’est tout ce que je peux faire pour vous. Si vous ne me revoyez pas, n’oubliez pas que moi je vous verrai. »

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