CHAPITRE 4 LES FLOCONS


On dit qu’il n’existe pas deux flocons parfaitement identiques, mais quelqu’un a-t-il vérifié ces derniers temps ?

La neige tombait doucement dans le noir. Elle s’accumulait sur les toits, ses baisers lui frayaient un chemin à travers les branches des arbres, elle se déposait sur le sol de la forêt avec un grésillement léger et dégageait une odeur âcre de fer-blanc.

Mémé Ciredutemps vérifiait toujours la neige. Debout sur son seuil, sa silhouette en découpe sur fond de lueur d’une bougie, elle récupérait des flocons sur le dos d’une pelle.

Le chaton blanc observait les flocons de neige. Il ne faisait rien d’autre. Il ne leur donnait pas de coups de patte, il se contentait de les regarder intensément tomber en spirales. Puis il les observait encore un peu avant de relever la tête, certain que le spectacle était terminé, pour en sélectionner un autre.

Il s’appelait Toi, comme dans « Toi ! Tu arrêtes ça ! » et « Toi ! Fiche-moi le camp de là ! » En matière de noms, Mémé Ciredutemps ne versait pas dans la fantaisie.

Elle jeta un coup d’œil aux flocons et se fendit d’un de ses sourires pas franchement agréables. « Allez, rentre, Toi », ordonna-t-elle avant de refermer la porte.

Miss Tique frissonnait près du feu. Pas un très gros feu, juste suffisant. Il flottait pourtant un parfum de lard et de purée de pois cassés en provenance d’une petite marmite sur les braises, à côté d’une plus grande d’où s’échappait une odeur de poulet. Miss Tique ne mangeait pas souvent du poulet, aussi vivait-elle d’espoir.

Il faut signaler que Mémé Ciredutemps et miss Tique ne s’entendaient pas très bien. Comme souvent les grandes sorcières. Ça se voyait à l’extrême politesse dont elles ne se départissaient à aucun moment.

« La neige est précoce, cette année, maîtresse Ciredutemps, dit miss Tique.

— En effet, miss Tique, reconnut Mémé Ciredutemps. Et très… intéressante. Vous l’avez observée ?

— J’ai déjà vu de la neige, maîtresse Ciredutemps. Il a neigé durant tout le trajet jusqu’ici. J’ai dû donner un coup de main à pousser la malle-poste ! De la neige, j’en ai trop vu ! Mais qu’est-ce qu’on va faire au sujet de Tiphaine Patraque ?

— Rien, miss Tique. Encore du thé ?

— C’est à nous de nous occuper d’elle.

— Non. C’est à elle avant tout. C’est une sorcière. Elle a dansé la danse de l’hiver. Je l’ai vue faire.

— Je suis sûre qu’elle ne le voulait pas.

— Comment est-ce qu’on peut danser sans le vouloir ?

— Elle est jeune. Elle s’est sans doute laissé entraîner par ses pieds. Elle ne savait pas ce qui lui arrivait.

— Elle aurait dû s’en rendre compte, asséna Mémé Ciredutemps. Elle aurait dû écouter.

— Je suis sûre que vous faisiez toujours ce qu’on vous disait à un peu moins de treize ans, maîtresse Ciredutemps », répliqua miss Tique avec un soupçon de sarcasme.

Mémé Ciredutemps fixa un instant le mur. « Non, répondit-elle. Je faisais des erreurs. Je faisais pas d’excuses.

— Je croyais que vous vouliez aider la petite, non ?

— Je l’aiderai à s’aider elle-même. C’est ma manière de faire. Elle est entrée en dansant dans la plus vieille histoire qui existe, et le seul moyen d’en sortir, c’est par l’autre bout. Le seul moyen, miss Tique. »

Miss Tique soupira. Les histoires, songea-t-elle. Mémé Ciredutemps croit que le monde n’est qu’histoires. Ah, bah, tout le monde a ses petites manies. Sauf moi, c’est évident.

« Bien entendu. Mais elle est tellement… normale, dit-elle à voix haute. Quand on pense à ce qu’elle a fait, j’entends. Et elle réfléchit tellement. Et maintenant qu’elle a attiré l’attention de l’hiverrier, ben…

— Elle le fascine, la coupa Mémé Ciredutemps.

— Ça va poser un gros problème.

— Qu’elle devra résoudre.

— Et si elle n’y arrive pas ?

— Alors, c’est qu’elle est pas Tiphaine Patraque, trancha Mémé Ciredutemps d’un ton catégorique. Ah oui, elle est maintenant dans l’histoire mais elle le sait pas ! Regardez la neige, miss Tique. Les gens disent qu’y a pas deux flocons identiques. Comment est-ce qu’ils peuvent savoir un truc pareil ? Oh, ils se croient très malins ! J’ai toujours eu envie de les prendre en défaut. Et c’est fait ! Sortez donc maintenant et jetez un coup d’œil à la neige. Jetez un coup d’œil à la neige, miss Tique ! Tous les flocons sont les mêmes ! »


Tiphaine entendit frapper et ouvrit la toute petite fenêtre de la chambre avec difficulté. La neige s’était accumulée sur le rebord, molle et duveteuse.

« On volwat pwint vos raeveyeu, dit Rob Deschamps, mais d’apreus Ch’tit Guillou vos devrieuz vwar cha. »

Tiphaine bâilla. « Qu’est-ce que je dois voir ? marmonna-t-elle.

— Atrapeuz quaeques flocons. Non, pwint su la min, ils vont fonde trop vite. »

Dans l’obscurité, Tiphaine chercha son journal intime à tâtons. Il n’était pas à sa place. Elle chercha par terre au cas où elle l’aurait fait tomber. Puis une allumette s’embrasa quand Rob Deschamps alluma une bougie, et elle vit son journal à sa place, l’air de n’en avoir jamais bougé, mais, nota-t-elle, d’un froid louche au toucher. Rob affichait une mine innocente, signe infaillible de culpabilité.

Tiphaine mit ses questions de côté pour plus tard et tendit le journal par la fenêtre. Des flocons se déposèrent dessus et elle le rapprocha de ses yeux.

« Ils m’ont l’air parfaitement ordin…, commençait-elle avant de s’arrêter puis de reprendre : Oh, non… doit y avoir un truc !

— Win ? Bin, vos poveuz le dire comme cha, fit Rob. Mais c’eut son truc à li, vos saveuz. »

Tiphaine regarda fixement les flocons qui tombaient, qui virevoltaient à la lueur de la bougie.

Chacun d’eux était Tiphaine Patraque. Une petite Tiphaine Patraque scintillante et gelée.

En bas, mademoiselle Trahison éclata de rire.


On secoua bruyamment et rageusement la poignée de la porte fermant la chambre de la tour. Roland de Chumsfanleigh (prononcer Cheuflais ; il n’y était pour rien) prit soin de n’y prêter aucune attention.

« Qu’est-ce que tu fais là-dedans, petit ? demanda avec humeur une voix étouffée.

— Rien, tante Danuta », répondit Roland sans se retourner de son bureau. L’un des avantages de la vie de château, c’était qu’on pouvait facilement verrouiller les salles ; sa porte avait trois serrures en fer et deux verrous gros comme son bras.

« Ton père te réclame à cor et à cri, tu sais ! lança une autre voix avec davantage d’humeur encore.

— Il chuchote, tante Araminta, répondit calmement Roland en écrivant soigneusement une adresse sur une enveloppe. Il ne crie que quand vous lancez les médecins contre lui.

— C’est pour son bien !

— Il crie », répéta Roland avant de lécher le rabat de l’enveloppe.

Tante Araminta secoua encore la poignée de la porte. « Tu es un enfant très ingrat ! Tu vas avoir faim, tu sais ! Nous allons demander aux gardes d’enfoncer cette porte ! »

Roland soupira. Le château avait été bâti par des gens qui n’aimaient pas qu’on enfonce leurs portes, et ceux qui s’y risqueraient devraient hisser le bélier dans un escalier étroit en colimaçon sans espace au sommet pour tourner, et ensuite trouver le moyen d’abattre une porte de quatre planches d’épaisseur en chêne si ancien qu’il ressemblait à du fer. Un seul homme pouvait défendre cette chambre pendant des mois s’il avait des vivres. Il entendit d’autres grommellements dehors puis l’écho des chaussures des tantes qui descendaient de la tour. Enfin il les entendit s’égosiller encore contre les gardes.

Ça ne les avancerait pas à grand-chose. Recevoir des ordres des tantes mettait le sergent Robert et ses gardes[3] à cran. Tout le monde le savait : si le baron mourait avant les vingt et un ans de son fils, les tantes dirigeraient légalement le domaine jusqu’à sa majorité. Et, bien que très malade, le baron n’était pas mort. Les circonstances se prêtaient mal à l’insubordination, mais le sergent et ses hommes survivaient à la colère des tantes en étant, quand leurs ordres le justifiaient, sourds, idiots, distraits, désorientés, souffrants, perdus ou – dans le cas de Kevin – étranger.

Pour le moment, Roland attendait le petit matin pour ses sorties, quand il n’y avait personne dans les parages et qu’il pouvait piller la cuisine. Il en profitait alors pour passer voir son père. Les docteurs bourraient le vieil homme de médicaments, mais il lui tenait un instant la main et en tirait un peu de réconfort. Quand il trouvait des bocaux de guêpes ou de sangsues, il les jetait dans les douves.

Il regarda fixement l’enveloppe. Il devrait peut-être parler de tout ça à Tiphaine, mais il n’aimait pas y penser. Ça l’inquiéterait, elle risquerait de vouloir le sauver encore une fois, et ça ne serait pas bien. C’était à lui de faire face. Et puis il n’était pas sous clé dans une chambre. C’étaient elles qui étaient sous clé dehors. Tant qu’il tenait la tour, il lui restait un sanctuaire où elles ne pouvaient pas fourrer leur nez, fouiner ni voler. Il avait mis à l’abri sous son lit les chandeliers d’argent rescapés, ce qui restait des couverts ancestraux également en argent (« partis à l’expertise », avaient-elles dit), et le coffret à bijoux de sa mère. Ce coffret, il l’avait récupéré un peu tard ; il manquait son alliance ainsi que le collier en argent et grenat qu’elle tenait de sa propre mère.

Mais demain il allait se lever tôt et galoper jusqu’à Deux-Chemises avec la lettre. Il adorait les écrire. Elles embellissaient le monde parce qu’on n’avait pas besoin d’y parler de ses mauvais côtés.

Roland soupira. Il aurait bien aimé dire à Tiphaine qu’il avait trouvé dans la bibliothèque un ouvrage intitulé Sièges et survie du fameux général Callus Tacticus (l’inventeur de la « tactique », détail intéressant). Qui aurait pensé qu’un livre aussi vieux se révélerait aussi utile ? Le général recommandait avec insistance d’accumuler des vivres, aussi Roland disposait-il d’une ample provision de petite bière, de grosses saucisses et de pain de nain bien lourd, commode à laisser tomber sur les assaillants.

Il lança un regard vers l’autre bout de la chambre, vers un portrait de sa mère qu’il avait remonté de la cave où elles l’avaient remisé (« en attendant d’être nettoyé », à les en croire). Juste à côté, quand on savait ce qu’on cherchait, un pan de mur à peu près de la taille d’une petite porte paraissait plus clair que le reste des pierres. Le bougeoir voisin paraissait aussi légèrement de travers.

Il y avait beaucoup d’avantages à vivre dans un château. Dehors, il se mit à neiger.


Les Nac mac Feegle jetèrent un coup d’œil aux flocons duveteux depuis le toit de la chaumière de mademoiselle Trahison. À la lumière qui parvenait à filtrer par les fenêtres encrassées en dessous, ils regardaient passer les tourbillons de Tiphaine miniatures.

« Dites-le aveu des flocons, fit Grand Yann. Hah ! » Guiton Simpleut attrapa au vol un flocon qui descendait en spirale. « Faut rcounwate qu’il a rudmaet bieu raeussi le ch’tit capio pwintu, dit-il. Il dwat bocop aemeu la ch’tite michante sorcieure jaeyante…

— Ch’a pwint de sens ! lança Rob Deschamps. Il est l’iver ! Il est la naeje, la glache et le jael. Elle, c’eut jusse une ch’tite jaeyante ! On peut pwint dire qu’ils sont parfaitmaet assortis ! Vos en dites kwa, Guillou ? Guillou ? »

Le gonnagle mâchait le bout de sa sourimuse tout en fixant les flocons d’un regard absent. Mais la voix de Rob força ses pensées parce qu’il répondit : « Qu’est-ce qu’il counwat des jaes ? Il est mwins vivant qu’un ch’tit insaecte et pourtant aussi pwissant que la maer. Et il a le baeguin pour la ch’tite michante sorcieure jaeyante. Pourkwa ? Elle est kwa pour li ? Qu’est-ce qu’il va faere apreus ? Mi, je vos le dis : les flocons, c’eut jusse le coumaechmaet. On dwat faere atinsion, Rob. Cha peut tourneu traes mal…»


Dans les montagnes, neuf cent quatre-vingt-dix milliards trois cent quatre-vingt-treize millions soixante-douze mille sept Tiphaine atterrirent délicatement sur l’ancienne neige tassée d’une crête et déclenchèrent une avalanche qui emporta plus de cent arbres et un pavillon de chasse. Ce n’était pas la faute de la jeune sorcière.

Pas sa faute non plus si on glissait sur des couches durcies d’elle-même, si on n’arrivait pas à ouvrir la porte parce qu’elle la bloquait à l’extérieur, ou si on recevait des boules de Tiphaine que jetaient les petits enfants. La majeure partie avait fondu le lendemain matin à l’heure du petit-déjeuner, et d’ailleurs personne ne remarqua rien de bizarre en dehors des sorcières qui ne croient pas les gens sur parole et d’un tas de gamins que personne n’écouta.

Tout de même, Tiphaine se réveilla en se sentant très gênée.

Mademoiselle Trahison ne lui était d’aucune aide.

« Au moins, il t’aime bien, dit-elle en remontant férocement sa pendule.

— Ça, je n’en sais rien, mademoiselle Trahison », répondit Tiphaine, qui ne tenait vraiment pas à s’engager dans cette discussion. Elle faisait la vaisselle dans l’évier, le dos tourné vers la vieille femme, et elle était bien contente que mademoiselle Trahison ne lui voie pas la figure – et, en fin de compte, qu’elle-même ne voie pas non plus celle de mademoiselle Trahison.

« Qu’est-ce que ton petit ami va en dire ? Je me le demande.

— Quel petit ami, mademoiselle Trahison ? demanda Tiphaine d’une voix aussi froide que possible.

— Il t’écrit des lettres, petite ! »

Et j’imagine que tu les lis par mes yeux, songea Tiphaine. « Roland ? C’est juste un ami… en quelque sorte, expliqua-t-elle.

— Une sorte d’ami ? »

Je ne vais pas la suivre sur ce terrain, se dit Tiphaine. Je parie qu’elle sourit. Ce n’est pas son affaire, n’importe comment. « Oui, fit-elle, c’est ça, mademoiselle Trahison. Une sorte d’ami. »

Un long silence suivit que Tiphaine mit à profit pour récurer le fond d’une casserole en fer.

« C’est important d’avoir des amis », dit mademoiselle Trahison d’une voix d’une certaine manière plus ténue que précédemment. Comme si Tiphaine avait gagné. « Quand tu auras fini, mignonne, sois gentille et va me chercher mon sac à fourbi. »

Tiphaine s’exécuta puis se rendit en hâte dans la laiterie. C’était toujours agréable de s’y retrouver. Le local lui rappelait chez elle et elle y réfléchissait mieux. Elle…

Il y avait un trou en forme de fromage au bas de la porte, mais Horace avait réintégré sa cage défoncée, où il émettait un léger mnmnmnmn qui était peut-être un ronflement de fromage. Elle le laissa tranquille et s’occupa du lait du matin.

Au moins il ne neigeait pas. Elle se sentit rougir et s’efforça de chasser cette pensée même.

Et il allait y avoir une assemblée de convent ce soir. Les autres filles le sauraient-elles ? Hah ! Évidemment, tiens. Les sorcières faisaient attention à la neige, surtout si ça promettait d’embarrasser quelqu’un.

« Tiphaine ? J’aimerais te parler », cria mademoiselle Trahison.

Mademoiselle Trahison l’appelait très rarement par son prénom. C’était assez inquiétant de l’entendre le prononcer.

Elle tenait un fourbi. Sa souris d’aveugle pendouillait gauchement parmi les bouts d’os et de ruban.

« C’est très embêtant, dit-elle avant d’élever la voix. Ah, espaeces de vorieus ! Sorteuz de là ! Je sais que vos aetes là ! Je vos vwas qui me raviseuz ! »

Des têtes de Feegle apparurent derrière presque tout ce qu’il y avait dans la chaumière.

« Bien ! Tiphaine Patraque, assieds-toi ! » Tiphaine s’assit aussitôt.

« Et en un moment pareil, en plus, poursuivit mademoiselle Trahison en posant le fourbi. C’est très embêtant. Mais il n’y a pas de doute. » Elle marqua un temps avant d’ajouter : « Je vais mourir après-demain. Vendredi, juste avant six heures et demie du matin. »

C’était une déclaration impressionnante, et elle ne méritait pas la réplique qui suivit : « Oh, c’eut damaje de rateu la fin de saemine comme cha, dit Rob Deschamps. Vos alleuz dans un chwaete cwin ?

— Mais… Mais… vous ne pouvez pas mourir ! s’exclama Tiphaine. Vous avez cent treize ans, mademoiselle Trahison !

— Tu sais, c’est très certainement pour ça, petite, répondit calmement mademoiselle Trahison. On ne t’a jamais appris que les sorcières sont averties de l’heure de leur mort ? De toute façon, j’aime les beaux enterrements.

— Oh win, rieu de tael qu’une bonne vaeyeu funaebe, reprit Rob Deschamps. Aveu des bwassons, des danses, des complumaets, des banqueuts et encore des bwassons à gogo.

— Il peut y avoir un peu de sherry moelleux, reconnut mademoiselle Trahison. Quant au banquet, comme je dis toujours, on ne risque pas de beaucoup se tromper avec un rouleau au jambon.

— Mais vous ne pouvez pas…» allait protester Tiphaine, avant de se taire quand mademoiselle Trahison tourna brusquement la tête comme le fait un poulet.

«… te laisser comme ça ? acheva-t-elle. C’est ce que tu allais dire ?

— Euh… non, mentit Tiphaine.

— Il faudra que tu ailles chez une autre sorcière, évidemment. Tu n’es pas encore assez formée pour avoir ta chaumière, surtout que des filles plus âgées attendent…

— Vous savez, je ne veux pas passer ma vie dans les montagnes, mademoiselle Trahison, débita rapidement Tiphaine.

— Oh oui, miss Tique m’a mise au courant. Tu veux retourner dans tes petites collines de calcaire.

— Elles ne sont pas petites ! cracha Tiphaine plus fort qu’elle ne l’aurait voulu.

— Oui, on a passé par des moments difficiles en fin de compte, dit mademoiselle Trahison d’une voix très calme. Je vais écrire quelques lettres que tu descendras au village, ensuite tu auras ton après-midi de libre. On célébrera les obsèques demain tantôt.

— Pardon ? Vous voulez dire avant que vous mouriez ? s’étonna Tiphaine.

— Évidemment, tiens ! Je ne vois pas pourquoi je ne m’amuserais pas un peu !

— Bieu vu ! approuva Rob Deschamps. C’eut le genre de daetay plin de bon sens auquael on paesse pwint souvaet.

— On appelle ça une fête du départ, expliqua mademoiselle Trahison. Réservée aux sorcières, évidemment. Le commun des mortels, ç’a tendance à le rendre nerveux, je ne vois pas pourquoi. Et il y a un bon côté : on a le superbe jambon que nous a donné monsieur Bandebras la semaine dernière pour avoir réglé la question de la propriété du châtaignier, et j’adorerais y goûter. »


Une heure plus tard, Tiphaine se mit en route, les poches pleines de notes pour les bouchers, boulangers et fermiers des villages environnants.

Elle fut un peu étonnée de l’accueil qu’elle reçut. On aurait dit qu’ils croyaient à une blague.

« Mademoiselle Trahison va pas s’amuser à mourir à son âge, dit un boucher en pesant des saucisses. Paraît que la Mort est déjà venu[4] la chercher et qu’elle lui a claqué la porte au nez !

— Treize douzaines de saucisses, s’il vous plaît, commanda Tiphaine. À cuire et à livrer.

— T’es sûre qu’elle va mourir ? demanda le boucher dont le doute voilait la figure.

— Moi, non. Mais elle, oui », répondit Tiphaine.

Et le boulanger : « T’es pas au courant pour sa pendule ? Elle l’a fait fabriquer quand son cœur est mort. C’est comme un cœur mécanique, tu vois ?

— Ah bon ? Alors, si son cœur est mort et qu’elle en a fait fabriquer un nouveau mécanique, comment est-ce qu’elle est restée en vie pendant qu’on le fabriquait, le nouveau ?

— Oh, y a de la magie là-dessous, c’est sûr, répliqua le boulanger.

— Mais un cœur pompe du sang, et le cœur de mademoiselle Trahison est hors de son organisme, fit observer Tiphaine. Il n’y a pas de… tuyaux…

— Il pompe le sang par magie », dit le boulanger d’une voix lente. Il jeta à la jeune fille un drôle de regard. « Comment est-ce que tu peux être une sorcière si tu ne sais pas ces trucs-là ? »

Ce fut la même chose partout ailleurs. Comme si l’idée d’un monde sans mademoiselle Trahison n’avait pas la bonne forme pour entrer dans les têtes. La vieille femme avait cent treize ans, et tous faisaient valoir qu’on n’avait jamais entendu parler d’aucun décès à cet âge-là. Pour eux, soit c’était une blague, soit elle détenait un parchemin signé avec du sang lui garantissant de vivre éternellement, soit il faudrait lui voler sa pendule avant qu’elle ne meure, soit elle avait menti sur son nom chaque fois que le Faucheur était venu la chercher, quitte à l’envoyer chez quelqu’un d’autre, soit elle ne se sentait peut-être pas très bien…

Sa tournée terminée, Tiphaine se demandait si ça allait vraiment arriver. Mademoiselle Trahison lui avait pourtant paru sûre d’elle. Et, à cent treize ans, le plus étonnant n’était pas de mourir demain mais d’être encore en vie aujourd’hui.

Des pensées sombres plein la tête, elle prit le chemin de l’assemblée du convent.

Une fois ou deux, elle crut sentir les Feegle l’observer. Elle ignorait comment elle parvenait à le sentir ; c’était un talent qui s’acquérait par l’apprentissage. Et on apprenait à s’en accommoder la plupart du temps.

Toutes les autres jeunes sorcières étaient là quand elle arriva, et elles avaient même allumé un feu.

Certains pensent que « convent » est un terme qui désigne un groupe de sorcières, et il faut reconnaître que c’est ainsi que le définit le dictionnaire. Mais le vrai terme, c’est en réalité une « bisbille ».

En tout cas, la plupart des sorcières qu’avait croisées Tiphaine ne l’employaient jamais. Mais madame Persoreille, si, presque tout le temps. Grande, mince, assez froide, elle portait des lunettes en argent au bout d’une chaînette et débitait des mots comme « avatar » et « sceau ». Et Annagramma, qui dirigeait le convent parce qu’elle l’avait créé et qu’elle avait le chapeau le plus haut ainsi que la voix la plus aiguë, était son élève vedette (et la seule).

Mémé Ciredutemps le disait toujours, ce que faisait madame Persoreille, c’était de la magie de mage avec une robe, et Annagramma trimballait beaucoup de livres et de baguettes quand elle venait aux réunions. Les filles se livraient la plupart du temps à quelques cérémonies, histoire de la faire tenir tranquille, car pour elles le vrai but du convent était de retrouver des amies, même s’il s’agissait d’amies pour l’unique raison qu’elles étaient les seules à qui on pouvait parler librement, vu qu’elles rencontraient les mêmes problèmes et qu’elles comprenaient de quoi on se plaignait.

Elles se réunissaient toujours dans les bois, même dans la neige. Il y avait assez de branches à traîner par terre pour faire un feu, et elles s’habillaient naturellement chaudement. Même en été, le confort sur un balai volant à n’importe quelle altitude exigeait plus de couches de sous-vêtements qu’on ne l’imagine, et parfois deux bouillottes maintenues par de la ficelle.

Pour l’instant, trois petites boules de feu tournaient autour des flammes. C’était l’œuvre d’Annagramma. Avec ça, on pouvait envoyer des adversaires au cimetière, avait-elle affirmé. Ces boules mettaient les autres filles mal à l’aise. C’était de la magie de mage, prétentieuse et dangereuse. Plutôt que le cimetière, les sorcières préféraient la morgue d’un regard. Ça ne rimait à rien de tuer une adversaire. Comment saurait-elle qu’on avait gagné ?

Basine Brouhaha avait apporté un immense plateau de gâteau-à-l’envers. Exactement ce qu’il fallait pour se revêtir les côtes d’une garniture contre le froid.

Tiphaine annonça : « Mademoiselle Trahison m’a dit qu’elle allait mourir vendredi matin. Elle le sait, d’après elle.

— C’est dommage, fit Annagramma d’un ton signifiant que ça ne l’était pas vraiment. Mais elle était très vieille.

— Elle l’est encore, rappela Tiphaine.

— Hum… c’est ce qu’on nomme l’appel, intervint Pétulia Tendon. Les vieilles sorcières savent quand elles vont mourir. Nul ne sait comment ça marche. C’est comme ça.

— Elle a toujours ses têtes de mort ? demanda Lucie Ruguerre, qui s’était ce jour-là accumulé les cheveux sur la tête pour y planter un couteau et une fourchette. Moi, je ne les supportais pas. J’avais l’impression, comme qui dirait, qu’elles me regardaient tout le temps !

— Moi, c’est sa manie de se servir de moi comme d’un miroir qui m’a fait partir, dit Lulu Chérie. Elle fait toujours ça ? »

Tiphaine soupira. « Oui.

— Moi, j’ai annoncé carrément que je ne partirais pas, dit Gertrude Pénible en tisonnant le feu. Si vous quittez une sorcière sans sa permission, aucune autre ne vous prend chez elle, mais si vous partez de chez mademoiselle Trahison même au bout d’une seule nuit, on ne vous fait aucun reproche et on vous trouve une place, vous saviez ça, vous ?

— Pour madame Persoreille, des trucs comme les têtes de mort et les corbeaux, c’est aller beaucoup trop loin, dit Annagramma. Tout le monde dans le pays est littéralement mort de trouille !

— Hum… qu’est-ce que tu vas devenir ? demanda Pétulia à Tiphaine.

— Je ne sais pas. Je vais aller ailleurs, j’imagine.

— Ma pauvre, fit Annagramma. Mademoiselle Trahison n’a pas dit qui allait reprendre la chaumière, par hasard ? » ajouta-t-elle comme si elle venait juste de penser à la question.

A laquelle répondit le silence que produisent une douzaine de paires d’oreilles qui se tendent à en grincer. Il y avait peu de jeunes sorcières à se présenter, c’était vrai, mais on vivait vieux dans la profession, et avoir sa propre chaumière, c’était le gros lot. On commençait alors à inspirer le respect.

« Non, répondit Tiphaine.

— Pas même une allusion ?

— Non.

— Elle n’a pas dit que ce serait toi, des fois ? » lança Annagramma sèchement. Sa voix pouvait franchement agacer. Dans sa bouche, « salut » pouvait passer pour une accusation.

« Non !

— N’importe comment, tu es trop jeune.

— En fait, il n’y a pas, tu sais, vraiment d’âge limite, précisa Lucie Ruguerre. Ça n’est stipulé nulle part, en tout cas.

— Comment tu le sais ? cracha Annagramma.

— J’ai demandé à la vieille madame Bourbanc », répondit Lucie.

Annagramma plissa les paupières. « Tu lui as demandé ? Pourquoi ? »

Lucie roula des yeux. « Parce que je voulais savoir, c’est tout. Écoute, tout le monde sait que tu es la plus âgée et la… tu sais, la plus expérimentée. C’est évidemment toi qui auras la chaumière.

— Oui, dit Annagramma en observant Tiphaine d’un air méfiant. Évidemment.

— C’est… euh… réglé, alors, fit Pétulia d’une voix plus forte que nécessaire. Vous avez eu beaucoup de neige, vous, la nuit dernière ? D’après Mémère Têtenoire, c’est peu courant. »

Oh là là, nous y voilà, songea Tiphaine.

« Non, ici, en montagne, on en a souvent comme ça tôt dans la saison, dit Lucie.

— Je l’ai trouvée un peu plus duveteuse que d’habitude, renchérit Pétulia. Plutôt jolie, quand on aime ça.

— Ce n’était que de la neige, trancha Annagramma. Hé, est-ce que l’une de vous a entendu parler de ce qui est arrivé à la nouvelle fille qui a commencé chez Mémère Tumulte ? Elle s’est enfuie en hurlant au bout d’une heure. » Elle se fendit d’un sourire peu compatissant.

« Hum, c’était la grenouille ? avança Pétulia.

— Non, pas la grenouille. La grenouille, elle s’en fichait. C’était Charlie Malchanceux.

— Il peut flanquer la trouille », reconnut Lucie.

Et voilà, comprit Tiphaine tandis que les potins se poursuivaient. Un être, pratiquement un dieu, avait créé des milliards de flocons à son image… et elles n’avaient rien remarqué !

Ce qui n’était pas plus mal, à vrai dire…

Évidemment. La dernière chose dont elle avait envie, c’était d’essuyer des taquineries et des questions idiotes, évidemment. Enfin, évidemment…

… mais… ben… ça lui aurait fait plaisir qu’elles le sachent, qu’elles lâchent des « hou là ! », qu’elles soient jalouses, ou effrayées, ou impressionnées. Et elle ne pouvait pas le leur dire, du moins pas à Annagramma, qui tournerait la nouvelle à la blague et qui laisserait entendre, sans vraiment le dire, qu’elle inventait cette histoire.

L’hiverrier était venu la voir et il avait été… impressionné. C’était un peu triste que les seuls au courant soient mademoiselle Trahison et des centaines de Feegle, surtout – elle frissonna – qu’à partir de vendredi matin ça ne se limiterait plus qu’à des centaines de petits hommes bleus.

Autrement dit : si elle ne le racontait pas à quelqu’un d’autre de sa taille et en vie, elle allait exploser.

Elle le raconta donc à Pétulia sur le chemin du retour. Elles allaient dans la même direction et toutes deux volaient si lentement qu’il était plus simple, la nuit, de marcher, ainsi risquaient-elles moins d’emboutir des arbres.

Pétulia était grassouillette, sérieuse, et déjà la meilleure sorcière à cochons des montagnes, ce qui n’est pas rien dans une région où chaque famille en élève un. Et mademoiselle Trahison avait dit que les garçons ne tarderaient pas à lui courir après, parce qu’une fille qui s’y connaît en porcs ne sera jamais en peine de trouver un mari.

Un seul ennui avec Pétulia : elle était toujours d’accord avec ses interlocuteurs et disait à chaque fois ce qu’ils avaient selon elle envie d’entendre. Mais Tiphaine, un brin cruelle, lui raconta tout par le menu. Elle obtint quelques « hou là », ce qui la fit bicher.

Au bout d’un moment, Pétulia commenta : « Ç’a dû être très… hum… intéressant. » C’était ça, Pétulia.

« Qu’est-ce que je vais faire ?

— Hum, il faut que tu fasses quelque chose ?

— Ben, tôt ou tard on va remarquer que tous les flocons sont à mon image !

— Hum, tu as peur qu’on ne le remarque pas ? fit Pétulia d’un air si innocent que Tiphaine éclata de rire.

— Mais j’ai l’impression que ça ne va pas se limiter à des flocons ! Je veux dire, il a tout à voir avec l’hiver !

— Et il s’est sauvé quand tu as crié…, dit Pétulia d’un ton songeur.

— C’est ça.

— Et ensuite il a fait un truc un peu… ridicule.

— Quoi donc ?

— Les flocons, répondit obligeamment Pétulia.

— Ben, je ne dirais pas exactement ça, répliqua une Tiphaine un peu blessée. Pas vraiment ridicule.

— Alors c’est évident. C’est un garçon.

— Quoi ?

— Un garçon. Tu connais ça, les garçons, non ? Ça rougit, ça grogne, ça marmonne, ça tremblote… Ils sont à peu près tous pareils.

— Mais il a des millions d’années et il agit comme s’il n’avait encore jamais vu de fille !

— Hum, je ne sais pas. Est-ce qu’il a déjà vraiment vu une fille ?

— Forcément ! Et l’Été ? rappela Tiphaine. C’est une fille. Enfin, une femme. À ce que j’ai vu dans un livre, en tout cas.

— La seule solution, j’imagine, c’est attendre de voir ce qu’il va faire, alors. Excuse-moi. Je n’ai jamais eu de flocons créés en mon honneur… Euh… on y est…»

Elles étaient arrivées dans la clairière où vivait mademoiselle Trahison, et Pétulia commençait à devenir un peu nerveuse.

« Hum… toutes les histoires sur elle…, dit-elle en regardant la chaumière. Tu te sens bien chez elle ?

— Une de ces histoires n’évoquait pas ce qu’elle arrive à faire avec l’ongle de son pouce ? demanda Tiphaine.

— Si ! confirma Pétulia en frissonnant.

— Elle l’a inventée, celle-là. Mais ne le répète à personne.

— Pourquoi inventer une histoire pareille sur soi-même ? »

Tiphaine hésita. Le pipo n’abusait pas les cochons, aussi Pétulia n’en connaissait-elle rien. Et elle était étonnamment honnête, ce qui – Tiphaine commençait à l’apprendre – était un léger désavantage pour une sorcière. Non pas que les sorcières fussent réellement malhonnêtes, mais elles faisaient attention à la catégorie de vérité qu’elles dispensaient.

« Je ne sais pas, mentit-elle. N’importe comment, il faut trancher profond pour que quelqu’un perde un membre. Et la peau, c’est assez coriace. Je ne crois pas que ce soit possible. »

Pétulia prit peur. « Tu as essayé ?

— Je me suis entraînée avec mon ongle du pouce sur un gros jambon ce matin, si c’est ce que tu veux dire », répondit Tiphaine. Il faut tout vérifier, songea-t-elle. J’ai entendu l’histoire qui prétend que mademoiselle Trahison a des dents de loup, et les gens se la répètent les uns aux autres même quand ils l’ont vue.

« Hum… je vais venir t’aider demain, évidemment », dit Pétulia en jetant un coup d’œil nerveux aux mains de Tiphaine, des fois qu’il leur prendrait envie de renouveler l’expérience avec l’ongle du pouce. « Les fêtes du départ peuvent être très joyeuses, vraiment. Mais, hum, à ta place, je dirais à monsieur Hiverrier de s’en aller. C’est ce que j’ai fait quand David Lourdaux a commencé à se montrer, hum, trop romantique. Et je lui ai dit que, hum, je sortais avec Maquie Tisserand – ne le répète surtout pas aux autres !

— Ce n’est pas celui qui parle sans arrêt de cochons ?

— Ben, les cochons sont très intéressants, dit Pétulia d’un ton de reproche. Et son père, hum, a le plus gros élevage de porcs des montagnes.

— Ça mérite réflexion, c’est certain, admit Tiphaine. Ouille.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Oh, rien. La main m’a méchamment élancé un moment. » Tiphaine la frotta. « Ça fait partie de la guérison, j’imagine. Je te vois demain. » Elle entra dans la chaumière. Pétulia reprit son chemin à travers bois.

D’en haut, près du toit, parvenaient des bruits de conversation.

« Vos aveuz aetaenu ce qu’a dit la groche fille ?

— Win, mais les pourchos, c’eut pwint si intaeressant que cha.

— Oh, je savwas pwint. Une biaete traes utile, le pourcho. On peut tout minjeu dans le pourcho, vos saveuz, sauf le glapichemaet.

— Ah, vos vos trompeuz. On peut se saervi du glapichemaet.

— Swayeuz pwint biaete !

— Si, on peut ! On faet une tourte, bon, et on maet daedans bocop de gambon, là, apreus on atrape le glapichemaet, on arfaerme la tourte avant qu’il s’aecape, là, et on le balanche direktemaet dans le four.

— J’ai jamaes aetaenu parleu d’une afaere pareye !

— Ah non ? Cha s’apaele un glapit au gambon.

— Cha n’aegziste pwint !

— Pourkwa ? Il y a le couineamman, non ? Et un couinemaet, c’eut rieu en comparaeson d’un glapichemaet. D’apreus mi, on…

— Si vos aecouteuz pwint, bande de vorieus, c’eut vos que je vais foureu dans une tourte ! » brailla Rob Deschamps. Les Feegle se turent après quelques marmonnements.

Et, de l’autre côté de la clairière, l’hiverrier observait de ses yeux gris-violet. Il continua d’observer jusqu’à ce qu’on allume une bougie dans une chambre à l’étage, et observa encore la lueur orangée jusqu’à ce qu’elle s’éteigne.

Puis, en marchant d’un pas mal assuré sur de nouvelles jambes, il se dirigea vers le carré de fleurs où des roses avaient poussé durant l’été.


Au Bazar magique de Zakzak Fortdubras, on trouvait des boules de cristal de toutes les tailles mais en gros toujours au même prix, à savoir « beaucoup d’argent ». Comme la plupart des sorcières, surtout les meilleures, n’avaient pas « beaucoup d’argent », elles recouraient à d’autres ustensiles du type flotteurs en verre récupérés sur des filets de pêche ou soucoupe d’encre noire.

Pour l’heure, il y avait une flaque d’encre noire sur la table de Mémé Ciredutemps. Une encre primitivement dans la soucoupe, mais la table avait été un peu ébranlée quand Mémé et miss Tique s’étaient cogné la tête en voulant regarder dedans toutes les deux en même temps.

« Vous avez entendu ça ? dit Mémé Ciredutemps. Pétulia Tendon a posé la question importante, et elle y a même pas réfléchi !

— J’ai le regret de dire que, moi aussi, je suis passée à côté », avoua miss Tique. Toi, la chatonne blanche, sauta sur la table, traversa consciencieusement la flaque d’encre et se laissa tomber sur les genoux de miss Tique.

« Arrête ça, Toi, lança vaguement Mémé Ciredutemps tandis que miss Tique baissait les yeux sur sa robe.

— Ça se voit à peine », fit-elle, mais on distinguait en réalité clairement quatre empreintes parfaites de pattes de chat. Les robes des sorcières, noires au début, ne tardent pas à se décolorer et passer par toutes les nuances de gris à cause des lavages fréquents ou, dans le cas de miss Tique, des bains forcés réguliers dans tel étang et telle rivière. Elles finissaient aussi par s’élimer et s’effilocher, ce qui plaisait à leur propriétaire. Ça montrait qu’on était une sorcière travailleuse, pas une sorcière d’apparat. Mais quatre traces noires de pattes de chaton au milieu d’une robe révélaient une mauviette. Miss Tique déposa par terre la minette, qui fila au petit trot rejoindre Mémé Ciredutemps pour se frotter contre elle et tâcher de faire apparaître par ses miaulements du rab de poulet.

« Qu’est-ce qui était important ? voulut savoir miss Tique.

— Je vous le demande de sorcière à sorcière, Perspicacia Tique : est-ce que l’hiverrier a déjà rencontré une fille ?

— Ben… j’imagine qu’on peut appeler la représentation classique de l’été une…

— Mais est-ce qu’ils se sont déjà rencontrés ? la coupa Mémé Ciredutemps.

— A la danse, je pense. L’espace d’un instant.

— Et à cet instant, à cet instant précis, Tiphaine Patraque entre dans la danse. Une sorcière qui porte pas de noir. Non, pour elle c’est du bleu et du vert, comme de l’herbe verte sous un ciel bleu. Elle en appelle à la force des collines à tout bout de champ. Et les collines répondent à son appel ! Des collines qu’étaient autrefois vivantes, miss Tique ! Elles sentent le rythme de la danse, et la petite le sent aussi dans ses os, sauf qu’elle s’en rend pas compte. Et ça façonne son existence, même ici ! Elle a pas pu s’empêcher de taper du pied ! La terre tape du pied sur la danse des saisons !

— Mais elle…, voulut dire miss Tique parce qu’aucun professeur n’aime entendre quelqu’un d’autre parler très longtemps.

— Qu’est-ce qui s’est passé à cet instant ? poursuivit une Mémé Ciredutemps que rien ne pouvait arrêter. L’été, l’hiver et Tiphaine. Le temps d’un tourbillon ! Et ensuite ils se séparent. Allez savoir quel bazar ç’a mis ! Tout d’un coup, l’hiverrier se conduit si bêtement qu’il pourrait même être un peu… humain !

— Dans quoi s’est-elle fourrée ?

— Dans la danse, miss Tique. La danse s’arrête jamais. Et elle peut pas changer les pas, c’est trop tôt. Elle doit danser sur l’air de l’hiverrier encore un moment.

— Elle va courir beaucoup de risques.

— Elle a la force de ses collines.

— Mais des collines tendres. Qui s’érodent facilement.

— Mais le cœur du calcaire, c’est du silex, rappelez-vous. Ça coupe mieux qu’aucun couteau.

— La neige peut recouvrir les collines, fit observer miss Tique.

— Pas éternellement.

— C’est arrivé une fois, répliqua miss Tique, qui en avait soupé de ce petit jeu. Pendant des milliers d’années au moins. Un âge de glace. De grandes bêtes pataugeaient dans la neige et éternuaient partout dans le monde.

— Ça s’peut, dit Mémé Ciredutemps avec une lueur dans le regard, évidemment, j’étais pas là, à l’époque. En attendant, faut qu’on garde notre fille à l’œil. »

Miss Tique sirota son thé. Loger chez Mémé Ciredutemps tenait de l’épreuve. La marmite de débris de poulet n’était en réalité pas pour elle, mais pour Toi. Les sorcières s’étaient contentées d’une bonne purée de pois cassés et de soupe au lard sans – détail important – le lard. Mémé gardait un gros morceau de lard gras au bout d’une ficelle ; elle l’avait sorti, soigneusement séché puis rangé pour un autre jour. Malgré sa faim, miss Tique était impressionnée. Mémé aurait tondu un œuf.

« Il paraît que mademoiselle Trahison a entendu son Appel, dit-elle.

— Oui. Les obsèques demain, précisa Mémé Ciredutemps.

— C’est dur de tenir une ferme là-bas. Ils ont mademoiselle Trahison depuis très, très longtemps. La tâche sera épineuse pour une nouvelle sorcière.

— Ça sera pas facile de succéder à… un numéro pareil, c’est sûr.

— Un numéro ? fit miss Tique.

— Femme, je veux dire, évidemment, rectifia Mémé Ciredutemps.

— Qui allez-vous préposer là-bas ? » demanda miss Tique parce qu’elle adorait être la première à apprendre les nouvelles. Elle mettait aussi un point d’honneur à employer des mots recherchés tels que « préposer » quand l’occasion se présentait. Elle se disait que ça faisait plus cultivé.

« Miss Tique, ça dépend pas d’moi, répliqua sèchement Mémé. On a pas de chefs en sorcellerie, vous le savez.

— Oh, c’est vrai, dit miss Tique, qui savait aussi que la chef que n’avaient pas les sorcières s’appelait Mémé Ciredutemps. Mais je n’ignore pas que madame Persoreille va proposer la petite Annagramma, et madame Persoreille a un certain nombre de disciples ces temps-ci. Sans doute à cause des livres qu’elle écrit. Elle rend la sorcellerie passionnante.

— Vous savez, j’aime pas les sorcières qui cherchent à imposer leur volonté aux autres, dit Mémé Ciredutemps.

— Parfaitement, fit miss Tique en se retenant de rire.

— Je vais tout d’même glisser un nom dans le cours de la conversation. »

Avec un coup de gong, j’imagine, songea miss Tique. « Pétulia Tendon se débrouille très bien, dit-elle. Un bon élément, une sorcière complète.

— Oui, mais surtout complète avec les cochons, dit Mémé Ciredutemps. Moi, j’pensais à Tiphaine Patraque.

— Quoi ? Vous ne croyez pas que cette petite a suffisamment de problèmes sur les bras ? »

Mémé Ciredutemps eut un bref sourire. « Ben, miss Tique, vous savez ce qu’on dit : si vous voulez que quelque chose soit fait, confiez-le à quelqu’un qui est occupé ! Et la petite Tiphaine risque d’être bientôt très occupée, ajouta-t-elle.

— Pourquoi est-ce que vous dites ça ?

— Hmm. Ben, j’suis pas sûre, mais ça m’intéresse beaucoup de voir ce qui va arriver à ses pieds…»


Tiphaine dormit peu les heures qui précédèrent les funérailles. Le métier de mademoiselle Trahison avait cliqué et claqué toute la nuit parce qu’elle avait une commande de draps de lit qu’elle voulait honorer.

Le jour se levait quand Tiphaine renonça et se leva, dans cet ordre-là. Elle pouvait au moins curer le local des chèvres et traire les bêtes avant de s’attaquer aux autres tâches. Il y avait de la neige, et un vent glacial la faisait voler à ras de terre.

C’est seulement alors qu’elle brouettait un chargement de fumier vers le tas de compost qui fumait doucement dans la lumière grisâtre qu’elle entendit le tintinnabulement. Ça rappelait un peu le carillon éolien que mademoiselle Chandognon avait autour de sa chaumière, à part que le sien était accordé dans un ton désagréable pour les démons.

Ça venait du coin qu’occupait en été le parterre de roses. Les rosiers anciens donnaient en abondance des fleurs au parfum capiteux et si rouges qu’elles en étaient presque… oui, presque noires.

Les roses étaient à nouveau en fleur. Mais elles…

« Elles te plaisent, petite bergère ? » lança une voix. Elle ne lui arriva pas dans la tête, il ne s’agissait pas de ses pensées, d’aucune de ses pensées, et le docteur Billebaude ne se réveillait pas avant au moins dix heures du matin. C’était sa propre voix, sortant de sa propre bouche. Mais elle n’avait pas pensé cette question, et elle n’avait pas eu l’intention de la poser.

Et voilà qu’elle revenait en courant à la chaumière. Elle n’avait pas décidé non plus de rentrer, mais ses jambes avaient pris les commandes. Ce n’était pas la peur, pas exactement ; seulement elle tenait beaucoup à se trouver ailleurs que dans le jardin alors que le soleil n’était pas encore levé et que la neige voltigeait et saturait l’atmosphère de cristaux de glace aussi fins que du brouillard.

Elle franchit en trombe la porte de la souillarde pour entrer en collision avec une silhouette sombre qui lui dit « Hum, pardon », et qui était donc Pétulia. Elle était fille à s’excuser quand on lui marchait sur le pied. À cet instant, il n’y avait pas de spectacle plus agréable qu’elle.

« Pardon, on m’a appelée pour m’occuper d’une vache pas commode et… hum, ça ne valait pas le coup de retourner me coucher, expliqua-t-elle avant d’ajouter : Ça va ? Tu n’as pas l’air bien !

— J’ai entendu une voix dans ma bouche ! » répondit Tiphaine.

Pétulia lui lança un drôle de regard et dut même peut-être reculer un peu. « Tu veux dire dans ta tête ? corrigea-t-elle.

— Non ! Les voix dans la tête, je sais y remédier ! Ma bouche a prononcé des paroles toute seule ! Viens aussi voir ce qui a poussé dans la roseraie ! Tu ne vas pas le croire ! »

Il y avait des roses. Elles étaient en glace si fragile qu’il suffisait qu’on souffle dessus pour qu’elles fondent en ne laissant que les tiges crevées au bout desquelles elles avaient fleuri. Elles se comptaient par douzaines qui s’agitaient au vent.

« Même la chaleur de ma main près d’elles les fait s’égoutter, dit Pétulia. Tu crois que c’est ton hiverrier ?

— Ce n’est pas mon hiverrier ! Et je ne vois pas qui à part lui serait responsable de ça !

— Et tu crois qu’il… hum, t’a parlé ? » Pétulia cueillit une autre rose. Des particules de glace aussi fines que du sucre glissaient et tombaient de son chapeau à chacun de ses mouvements.

« Non ! C’était moi ! Ma voix, je veux dire ! Mais ça ne lui ressemblait pas, ça ne lui ressemblait pas… enfin, ça ne ressemblait pas à l’idée que je me fais de lui ! C’était un peu narquois, comme Annagramma quand elle est de mauvaise humeur ! Mais c’était ma voix !

— À quoi ça devrait ressembler quand il te parle, d’après toi ? » demanda Pétulia.

Une rafale de vent balaya la clairière, agita et fit rugir les pins.

«… Tiphaine… sois à moi…»

Au bout d’un bref moment, Pétulia toussa et demanda : « Hum, c’est moi, ou est-ce qu’on aurait dit… ?

— Pas toi, souffla Tiphaine en restant parfaitement immobile.

— Ah, fit Pétulia d’une voix aussi claire et cassante qu’une rose de glace. Ben, je crois qu’on devrait rentrer maintenant, non ? Hum, allumer aussi tous les feux, puis faire du thé, non ? Et ensuite commencer à tout préparer parce qu’un tas de monde va bientôt débarquer. »

Une minute plus tard, elles étaient dans la chaumière, les portes fermées au verrou, et toutes les bougies prenaient vie en crépitant.

Elles ne parlèrent pas du vent ni des roses. A quoi bon ? Et puis elles avaient du pain sur la planche. Travailler, c’était ça le remède. Travailler, puis réfléchir et parler après, ne pas bafouiller maintenant comme des canards effrayés. Elles réussirent même à enlever une autre couche de crasse des fenêtres.

Tout au long de la matinée, des gens arrivèrent du village avec ce que mademoiselle Trahison avait commandé. C’était un défilé incessant dans la clairière. Il faisait du soleil, même si c’était un soleil aussi pâle qu’un œuf poché. Le monde relevait de la… normalité. Tiphaine se surprit à se demander si elle n’avait pas fait l’objet d’hallucinations.

Y avait-il eu des roses ? Il n’en restait plus aucune à présent ; les pétales n’avaient pas survécu à la lumière pourtant chiche de l’aube. Le vent avait-il parlé ? Elle croisa alors le regard de Pétulia. Oui, tout ça était bien arrivé. Mais, pour l’instant, il fallait donner à manger aux invitées des funérailles.

Les filles s’étaient déjà attelées à la préparation des rouleaux au jambon, agrémentés de trois sortes de moutarde, mais quand bien même on ne risquait pas de beaucoup se tromper avec un rouleau au jambon, si c’était là tout ce qu’on donnait à soixante-dix ou quatre-vingts sorcières affamées, on dépassait le stade de l’erreur pour s’enfoncer dans celui des réjouissances virant au désastre absolu. Aussi des brouettes arrivaient-elles chargées de miches, de rôtis de bœuf et de bocaux de concombres au vinaigre si gros qu’on aurait dit des baleines noyées. Les sorcières sont en principe très friandes d’achards, mais ce qu’elles préfèrent, c’est manger gratis. Oui, voilà le régime de la sorcière en activité : des victuailles en abondance que quelqu’un d’autre paye, en quantité suffisante pour qu’on s’en remplisse les poches pour plus tard.

Il se trouva que mademoiselle Trahison ne les payait pas non plus. Personne ne voulait accepter d’argent. Et les gens ne partaient pas, ils restaient près de la porte de derrière dans l’espoir d’échanger quelques mots avec Tiphaine. La conversation, quand la jeune fille trouvait un moment entre deux tranchages et tartinages, prenait le tour suivant :

« Elle meurt pas vraiment, hein ?

— Si. Vers six heures et demie demain matin.

— Mais elle est très vieille !

— Oui. Je pense que c’est plus ou moins la raison, vous voyez.

— Mais qu’est-ce qu’on va faire sans elle ?

— Je ne sais pas. Qu’est-ce que vous faisiez avant qu’elle arrive ?

— Elle a toujours été là ! Elle connaissait tout ! Qui va nous dire quoi faire maintenant ? »

Puis ils ajoutaient « Ça va pas être toi, dis ? » avant de lui lancer un regard éloquent qui disait : On espère que non. Tu portes même pas de robe noire.

Au bout d’un moment, Tiphaine en eut assez de tout ça et, d’une voix perçante, demanda à la personne suivante, une femme qui apportait six poulets cuits : « Elles sont passées où, ces histoires comme quoi elle ouvrait le ventre des mauvaises gens d’un coup d’ongle de pouce, alors ?

— Euh… ben, oui, mais c’était jamais quelqu’un qu’on connaissait, répondit la femme d’un ton vertueux.

— Et le démon dans la cave ?

— C’est un bruit qui court, évidemment, je l’ai jamais vu personnellement. » La femme jeta à Tiphaine un regard inquiet. « Il y en a un, pas vrai ? »

Tu as envie qu’il y en ait un, songea Tiphaine. Tu tiens absolument à ce qu’il y ait un monstre dans la cave !

Mais, pour ce qu’en savait Tiphaine, tout ce que renfermait la cave ce matin-là, c’était une bande de Feegle qui ronflaient suite à des abus de boisson. Même en plein désert, une bande de Feegle arriverait à dénicher en moins de vingt minutes une bouteille de tord-boyaux.

« Croyez-moi, madame, il vaut mieux éviter de réveiller ce qui se trouve en ce moment dans la cave », dit-elle en adressant à la femme un sourire crispé.

La villageoise parut satisfaite de la réponse, mais soudain fut à nouveau prise d’inquiétude. « Et les araignées ? Elle mange vraiment des araignées ? demanda-t-elle.

— Ben, il y a beaucoup de toiles, reconnut Tiphaine, mais on ne voit jamais d’araignée.

— Ah, d’accord, fit la femme comme si on venait de lui confier un grand secret. On dira ce qu’on voudra, mademoiselle Trahison était une vraie sorcière. Avec des têtes de mort ! J’imagine que tu dois les astiquer, hein ? Ha ! Elle pouvait vous faire sauter l’œil rien qu’en vous regardant.

— Mais elle l’a jamais fait, intervint un homme qui livrait un immense plateau de saucisses. À personne du coin, en tout cas.

— C’est vrai, reconnut à contrecœur la femme. De ce côté-là, elle était très charitable.

— Ah, c’était une bonne sorcière à l’ancienne, mademoiselle Trahison, reprit l’homme aux saucisses. Plus d’un gars a pissé dans ses souliers quand elle lui faisait des réflexions de sa langue acérée. Vous savez, ce tissage qu’elle a toujours en train ? Elle tisse votre nom dans le métier, voilà ce qu’elle fait ! Et si vous lui dites un mensonge, votre fil se casse et vous tombez raide mort aussi sec !

— Oui, ça arrive tout le temps », ajouta Tiphaine en songeant : Je n’en reviens pas ! Le pipo mène sa propre vie !

« Ben, on a plus de sorcières comme elle de nos jours, dit un homme qui livrait quatre douzaines d’œufs. De nos jours, c’est faire les farfelues et danser le derrière à l’air. »

Tout le monde jeta un regard interrogateur à Tiphaine.

« C’est l’hiver, répondit-elle avec froideur. Et je dois continuer mon travail. Les sorcières vont bientôt arriver. Merci beaucoup. »

Alors qu’elles mettaient les œufs à bouillir, elle rapporta la conversation à Pétulia. Son amie ne fut pas surprise.

« Hum, ils sont fiers d’elle, dit-elle. Je les ai entendus, au marché aux cochons de Lancre, se vanter de l’avoir comme sorcière.

— Ils s’en vantent ?

— Oh oui. Dans le style : « Tu crois que la maîtresse Ciredutemps c’est une coriace ? La nôtre, elle a des têtes de mort ! Et un démon ! Elle vivra éternellement parce qu’elle a un cœur mécanique qu’elle remonte tous les jours ! Et elle mange des araignées, parfaitement ! C’est autre chose que les pommes empoisonnées, hein ? »

Une fois qu’on l’a lancé, le pipo marche tout seul, songea Tiphaine. Notre baron est plus grand que le vôtre, notre sorcière plus ensorceleuse que la vôtre…

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