« L’embuscade s’est déroulée comme prévu ou presque, dit Carlos Navarro à Everard. Quand on l’a repéré depuis l’espace, on a activé le générateur électromagnétique et sauté sur place. Le champ généré a induit un voltage tel qu’il a subi un violent choc électrique. Du même coup, toute la mémoire de son scooter a été effacée. Mais je ne vous apprends rien. Nous l’avons arrosé avec nos étourdisseurs par acquit de conscience, puis nous l’avons récupéré avant qu’il ne s’écrase au sol. Pendant ce temps-là, le véhicule de transport est apparu à son tour, il a chargé le scooter et il est reparti. Tout a été bouclé en moins de deux minutes. Je suppose que quelques combattants nous ont aperçus, mais la confusion était telle qu’ils ont dû croire à une illusion.
— Vous avez fait du bon boulot. » Everard se carra dans son vieux fauteuil avachi. Son appartement new-yorkais était un nid douillet et peuplé de souvenirs – au-dessus du bar, un casque et une lance de l’âge du bronze, par terre, une peau d’ours polaire de l’ère viking, des artefacts qui ne risquaient pas d’étonner ses contemporains mais demeuraient chers à son cœur.
Il n’avait pas participé à cette opération. Inutile de gaspiller de cette manière le temps propre d’un agent non-attaché. Le seul risque, c’était que Castelar réussisse à leur filer entre les doigts. Le coup de la décharge électrique l’en avait empêché.
« En fait, reprit-il, votre opération est historique. » Il désigna le livre posé près de lui. « Je viens de relire l’Histoire de la conquête du Pérou. Les chroniques espagnoles racontent que la Vierge est apparue au-dessus du temple de Viracocha, le site de la future cathédrale, et que saint Jacques en a fait autant au-dessus du champ de bataille, ce qui a galvanisé les troupes. De l’avis général, il ne s’agit là que d’une légende, ou alors d’une hallucination collective, mais… Enfin. Comment se porte le prisonnier ?
— Quand je l’ai quitté, il était encore sous sédatif, répondit Navarro. Ses brûlures ne lui laisseront aucune cicatrice. Que va-t-on faire de lui ?
— Cela dépend de pas mal de choses. » Everard prit sa pipe, qu’il avait laissée dans le cendrier, et la ralluma. « La plus importante s’appelle Stephen Tamberly. Vous êtes au courant ?
— Oui. » Rictus de Navarro. « Malheureusement, comme je vous l’ai dit, la décharge a effacé la mémoire moléculaire du scooter de Castelar. Nous avons soumis ce dernier à un premier interrogatoire par kyradex – nous savions que vous aviez besoin d’information –, mais il ne se souvient ni du lieu ni du moment où il a largué Tamberly ; tout ce qu’il sait, c’est que c’est sur la côte de l’Amérique du Sud, à plusieurs millénaires dans le passé. Il savait qu’il retrouverait ces coordonnées s’il le souhaitait, ce qui lui paraissait peu probable. Du coup, il n’a pas pris la peine de les mémoriser. »
Everard poussa un soupir. « C’est bien ce que je craignais. Pauvre Wanda.
— Je vous demande pardon ?
— Rien. » Il tira sur sa bouffarde pour se rasséréner. « Je n’ai plus besoin de vous. Allez donc passer la soirée en ville et vous détendre un peu.
— Vous ne voulez pas m’accompagner ? » demanda Navarro par politesse.
Everard secoua la tête. « Je vais rester quelque temps ici. Il est possible que Tamberly ait trouvé un moyen de se faire secourir. Dans ce cas, il a été soumis à un débriefing dans l’une de nos bases et je ne manquerai pas d’en être informé, vu que j’ai enquêté sur sa disparition. Mais, naturellement, ce ne sera fait qu’après que j’aurai finalisé tous les autres aspects du dossier. Peut-être que je ne vais pas tarder à recevoir un coup de fil.
— Je vois. Eh bien, merci et au revoir. »
Navarro s’en fut. Everard se prépara à une longue soirée. L’obscurité envahit lentement son salon, mais il n’alluma pas les lumières. Il préférait rester assis, réfléchir et espérer.