15 avril 1610

Le spationef était noir comme la nuit, de crainte que sa proie ne l’aperçoive depuis la Terre, étoile filant dans le ciel à l’aube ou au crépuscule, et ne se sache observée. Mais un hublot en verre traité y laissait entrer la lumière. Il survolait la face diurne lorsque Everard arriva à son bord, découvrant des océans bleus mouchetés de blanc où s’enchâssaient les masses ocre des continents.

Son scooter se matérialisa dans la baie prévue à cet effet et, contrairement à son habitude, il en descendit sans prendre le temps d’admirer la vue. La gravité artificielle lui conférait son poids normal. Il se hâta vers la passerelle. Trois Patrouilleurs l’y attendaient, qu’il connaissait bien en dépit des siècles séparant leurs dates de naissance.

« Nous pensons avoir déterminé le moment, lui dit Umfanduma de but en blanc. Voici les images. »

C’était le bâtiment commandant leur escadrille qui les avait prises. Everard était accouru dès qu’un message transmis via l’espace puis le temps l’en avait avisé. Ces images dataient de quelques minutes à peine. Elles étaient plutôt floues, du fait de l’amplification et de la transmission atmosphérique. Mais lorsqu’il en stoppa le déroulement pour mieux les étudier, il vit qu’un éclat métallique émanait de la tête et du torse de l’un des sujets. Il était accroupi non loin d’un scooter temporel, un autre homme à ses côtés, sur une vaste plate-forme de laquelle on avait vue sur la cité déserte et les montagnes alentour. Tous deux étaient cernés par des hommes et des femmes de noir vêtus.

Il opina. « C’est sûrement ça. Nous ne savons pas quand Castelar débutera sa tentative d’évasion, mais ce devrait être dans les deux ou trois heures suivant cet instant. Nous devons attaquer les Exaltationnistes tout de suite après. »

Pas avant, car cela n’est jamais arrivé. Nous n’osons même pas corriger cette séquence interdite. L’ennemi, lui, ose tout. C’est pour cela que nous devons le détruire.

Umfanduma se renfrogna. « Ça ne sera pas facile, dit-elle. Leur camp est survolé en permanence par un scooter équipé de détecteurs. Ils sont prêts à filer en un clin d’œil.

— Mouais. Sauf qu’ils n’ont pas assez de véhicules pour les transporter tous simultanément. Ils doivent faire plusieurs navettes. Mais, tels que je les connais, ils préféreront abandonner ceux qui auront la malchance d’être trop loin des scooters. On n’a pas besoin de leur envoyer une armée. Commençons à préparer l’offensive. »

Durant le laps de temps qui suivit, les spationefs virent débarquer plusieurs scooters armés. De nombreux messages furent échangés par faisceau cohérent. Everard mit son plan au point, donna ses instructions.

Ensuite, il ne lui resta qu’à ronger son frein en s’efforçant de garder son calme. Il s’aperçut que penser à Wanda Tamberly lui faisait du bien.

« Go ! »

Il bondit sur sa selle. Tetsuo Motonobu, l’artilleur qui lui était affecté, était déjà en place. Les doigts d’Everard dansèrent au-dessus du panneau de contrôle.

Ils flottaient au sein d’un azur infini. Un condor volait dans le lointain. Le massif montagneux s’étendait en contrebas, majestueux labyrinthe d’un vert soutenu où la neige faisait ressortir les sommets, les ombres les ravines. Machu Picchu était l’image même de la puissance pétrifiée. De quoi aurait été capable la civilisation qui l’avait édifié si le destin lui avait permis de fleurir ?

Pas le temps de rêvasser, bon sang ! La sentinelle exaltationniste se tenait à quelques mètres à peine. L’air était si transparent, la lumière si nette, qu’on distinguait nettement son visage ébahi mais furibond, sa main qui saisissait une arme. Motonobu laissa échapper une décharge énergétique. Un éclair, un coup de tonnerre. Embrasé comme une torche, l’homme tomba à bas de son scooter, tel Lucifer au moment de sa chute. Un sillage de fumée le suivit. Son véhicule partit en vrille. On le récupérera plus tard. En avant !

Everard ne sauta pas dans la cité. Il tenait à avoir une vue d’ensemble. Tandis qu’il fondait sur ses proies, le vent frappa son champ de force en rugissant. Les bâtiments emplirent peu à peu son champ visuel.

Ses camarades ouvrirent le feu. Des lances écarlates zébrèrent l’air. Lorsque Everard atterrit, la bataille était presque finie.

Le couchant bariolait l’horizon de jaune. La nuit montant des vallées venait laper les murailles de Machu Picchu. Le froid devenait glacial, le silence sépulcral.

Everard sortit du bâtiment où il effectuait ses interrogatoires. Deux Patrouilleurs en gardaient l’accès. « Rassemblez le reste de la troupe, ainsi que les prisonniers, et préparez-vous à regagner la base, dit-il d’une voix lasse.

— Vous avez pu apprendre quelque chose, monsieur ? » demanda Motonobu.

Everard haussa les épaules. « Pas grand-chose. Peut-être que les spécialistes leur soutireront d’autres informations, mais ça m’étonnerait que ça nous avance beaucoup. L’un des captifs est prêt à coopérer en échange d’une cage dorée sur la planète d’exil. Le problème, c’est qu’il est incapable de répondre à ma question la plus pressante.

— Où / quand sont allés ceux qui ont réussi à fuir ? » Everard hocha la tête. « Merau Varagan, leur chef, a été blessé par Castelar lorsque celui-ci leur a tiré sa révérence. Deux de ses acolytes se préparaient à l’évacuer vers une destination connue de lui seul afin qu’il y reçoive des soins. Du coup, ils ont détalé comme des lapins dès que nous avons lancé notre attaque. Trois autres Exaltationnistes ont réussi à nous échapper. »

Il se redressa. « Enfin, nous avons atteint la plupart de nos objectifs. La majorité du gang est hors d’état de nuire. Les bandits qui ont pu fuir ont dû s’égailler dans l’espace-temps. Peut-être ne pourront-ils jamais se regrouper. Nous en avons fini avec eux. »

Motonobu poussa un soupir de regret. « Si seulement nous avions pu débarquer plus tôt et leur tendre un piège dans les règles. On aurait capturé toute la bande.

— Mais on ne pouvait pas faire ça, et on ne l’a pas fait, dit sèchement Everard. La loi, c’est nous, ne l’oubliez pas.

— Non, monsieur. Et je n’oublie pas non plus cet Espagnol et tout le barouf qu’il risque de causer. Comment allons-nous faire pour le retrouver… avant qu’il ne soit trop tard ? »

Everard ne lui répondit pas mais se tourna vers l’esplanade où étaient parqués tous les véhicules. A l’est, il vit la Porte du Soleil sur sa crête, découpée en ombre chinoise devant le ciel.

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