XVIII

— Depuis que le Vespasien a quitté Etla nous avons essayé d’infiltrer l’Empire avec nos agents, résuma calmement Dermod. Et nous avons réussi à en implanter huit groupes, dont un sur le Monde Central lui-même. Les renseignements dont nous disposons sur l’opinion publique et, par elle, sur la propagande employée pour la façonner, sont absolument dignes de foi.

« Nous savons que les sentiments de haine contre nous dépassent de beaucoup l’affaire étlienne, ajouta-t-il, ou plutôt ce que nous sommes censées avoir fait aux Etliens, mais je reviendrai plus tard sur ce point. Ce dernier rebondissement va rendre notre tâche encore plus difficile …

Selon le gouvernement Impérial, expliqua Dermod, Etla avait été envahie par le corps des Moniteurs. Les indigènes avaient, sous le couvert d’une assistance médicale, ignominieusement été utilisés comme cobayes sur lesquels les Moniteurs avaient testé divers types d’armes bactériologiques. Cela était incontestablement prouvé par la série d’épidémies dévastatrices qui s’étaient abattues sur Etla juste après le départ des envahisseurs. Un crime aussi ignoble et inhumain ne pouvait rester impuni et l’Empereur était certain que tous les citoyens de l’Empire approuveraient la décision que lui avait dictée sa conscience.

Cependant, et toujours selon les sources Impériales, les informations reçues d’un agent ennemi qui avait été capturé prouvaient clairement que la conduite des envahisseurs sur Etla n’était pas un acte isolé de violence gratuite. Les envahisseurs avaient été précédés sur cette malheureuse planète par un extra-terrestre : un être stupide et inoffensif envoyé pour tester les défenses de ce monde, un simple jouet entre les mains des ennemis qui avaient nié avoir le moindre rapport avec lui, ou même connaître son existence, lorsqu’ils avaient ensuite pris contact avec les autorités d’Etla. Il était à présent évident que l’adversaire faisait grand usage de telles créatures, qu’il les utilisait comme serviteurs, comme animaux d’expérience, et sans doute également comme source de nourriture …

Les envahisseurs possédaient un complexe spatial démesuré, un compromis entre une base militaire et un laboratoire, où des atrocités similaires à celles commises, sur Etla étaient pratiquées chaque jour. L’agent des envahisseurs, qui avait été amené à révéler les coordonnées spatiales de cette base, avait avoué ce qui s’y déroulait. Tout laissait supposer que l’ennemi gardait sous sa coupe un grand nombre d’espèces différentes et c’était en ce lieu que les méthodes et les armes permettant de les maintenir en esclavage étaient mises au point.

L’Empereur déclarait qu’il était fermement décidé, et qu’il considérait de son devoir, d’employer ses forces pour abattre cette ignoble tyrannie. Il ajoutait qu’il ne pourrait utiliser pour cette noble mission que les armées Impériales, parce qu’il devait admettre avec honte que les relations entre les humains de l’Empire et les espèces différentes de sa sphère d’influence n’avaient pas toujours été aussi fraternelles qu’on aurait pu le souhaiter. Cependant, si certains de ces groupes ethniques dont on avait fait trop peu cas par le passé désiraient se joindre à la croisade de l’Empire, il accepterait avec reconnaissance l’appui de ces nouveaux alliés …

— … ce qui explique un bon nombre des éléments troublants concernant les offensives ennemies, continua Dermod. Si nos adversaires n’utilisent que des armes chimiques et vibratoires, alors que dans l’espace restreint de notre sphère de défense nous devons faire de même, c’est parce que cette base doit être capturée plutôt que détruite. L’Empereur pense y trouver les coordonnées des planètes de la Fédération qui lui permettront de poursuivre cette guerre. Le fait qu’ils combattent sans merci et jusqu’à la mort peut être expliqué par leur peur d’être capturés, car pour eux cet hôpital n’est rien d’autre qu’une salle de torture spatiale.

« Quant à l’offensive totalement inefficace que nous venons d’essuyer, elle a dû être organisée par un des peuples nouvellement ralliés à l’Empire qui a probablement été autorisé à passer à l’attaque sans avoir préalablement reçu un entraînement approprié ou des informations sur nos défenses. À présent que ces êtres ont été exterminés, un tas d’autres espèces jusqu’alors indécises vont prendre rapidement parti …

« En faveur de l’Empire, conclut-il avec amertume.

Lorsque le commandant de la flotte eut cessé son exposé, Conway resta silencieux. Il avait eu accès aux rapports sur l’Empire adressés à Williamson et il savait que Dermod n’exagérait pas la gravité de la situation. O’Mara avait quant à lui reçu des informations semblables et il gardait le même silence lourd de menace. Cependant, le professeur Mannon n’était pas un homme taciturne.

— Mais c’est complètement absurde ! s’exclama-t-il. Ils déforment la vérité ! Le Secteur Général est un hôpital, pas une salle de torture. Et ils nous accusent des crimes dont ils se rendent eux-mêmes coupables …

Dermod ignora cet éclat, mais de façon à ne pas offenser le professeur.

— L’Empire est politiquement instable, dit-il simplement. Avec le temps, nous pourrions remplacer son gouvernement actuel par un autre qui serait plus acceptable. Les citoyens de l’Empire le feront deux-mêmes, d’ailleurs. Mais il faut du temps, pour cela. Et nous devons également empêcher cette guerre de s’étendre et d’aller trop loin. Si trop d’alliés d’autres espèces se liguent contre nous aux côtés de l’Empire, la situation deviendra trop complexe pour pouvoir être gardée sous contrôle. Les raisons ayant provoqué ce conflit, le bien fondé ou l’absurdité des accusations portées contre nous, cesseront d’avoir la moindre importance.

« Nous pouvons naturellement gagner du temps en conservant cette position le plus longtemps possible, conclut-il sombrement, mais en ce qui concerne l’extension du conflit nous ne pouvons pas faire grand-chose, hormis espérer.

Il rabattit son casque en avant et commença à le fixer. Il avait cependant laissé le hublot facial ouvert afin de pouvoir s’entretenir avec eux. Ce fut à cet instant que Mannon posa la question qui obsédait Conway depuis un bon moment, mais que, par peur d’être jugé pusillanime, il n’avait pas osé exprimer.

— Sincèrement, avons-nous la moindre chance de tenir?

Dermod hésita un instant. Il semblait se demander s’il devait le rassurer ou lui dire la vérité.

— Une sphère défensive bien soutenue et bien ravitaillée est la meilleure position tactique qui soit. Mais elle peut également, si l’ennemi est en nombre bien plus important que les défenseurs, se transformer en un piège mortel …

Après le départ de Dermod, le cadavre qu’il avait accompagné fut réclamé par Thornnastor, le diagnosticien Tralthien responsable de la pathologie, qui pourrait sans doute s’amuser sur lui durant plusieurs jours. O’Mara retourna rudoyer les personnes dont il avait la charge, afin de les empêcher de perdre la raison, et Mannon et Conway regagnèrent leurs services respectifs. Les réactions du personnel, face à la possibilité d’être attaqué par des créatures d’autres espèces, étaient divisées presque à part égale entre la peur de voir la guerre s’étendre et l’intérêt que suscitait la mise au point de nouvelles méthodes afin de pouvoir soigner d’éventuels blessés appartenant à des espèces flambant neuves.


Mais deux semaines s’écoulèrent sans que l’attaque que tous attendaient eût lieu. De nombreux vaisseaux de guerre du corps des Moniteurs continuaient d’arriver et prenaient position sitôt après que leurs astronavigateurs eussent été immédiatement renvoyés à bord de navettes de sauvetage. Vus à partir des hublots d’observation de l’hôpital, ils semblaient occuper tout le ciel, comme si le Secteur Général s’était trouvé au sein d’un immense amas stellaire dont chaque étoile était un vaisseau de guerre. C’était une vision à la fois impressionnante et rassurante et Conway tentait de se rendre au moins une fois par jour auprès d’un de ces hublots panoramiques.

Ce fut alors qu’il revenait d’assister à ce spectacle, qu’il rencontra un groupe de Kelgiens.

Durant un instant, il ne put en croire ses yeux. Tous les Kelgiens DBLF avaient été évacués et il avait assisté personnellement au départ des derniers d’entre eux. Cependant, il se trouvait bien en présence d’une vingtaine de chenilles géantes qui passaient à la queue leu leu, en bombant le dos. Un examen plus approfondi lui révéla qu’elles ne portaient pas le brassard habituel à l’emblème du service technique ou du corps médical … leur fourrure argentée était ornée de motifs circulaires ou en losange dans les tons de rouge, de bleu et de noir. Il s’agissait des emblèmes militaires de Kelgia. Conway se précipita dans le bureau de O’Mara.

— … J’allais justement poser la même question, professeur, lui répondit avec brusquerie le pyschologue en chef qui désignait son écran de contrôle. Quoi qu’en termes bien plus châtiés. Je tente en ce moment même de contacter le commandant de la flotte, alors cessez de hurler et asseyez-vous !

Le visage de Dermod apparut quelques minutes plus tard sur l’écran. Ce fut sur un ton courtois mais pressé qu’il leur donna les explications demandées.

— Vous n’êtes pas dans l’Empire, messieurs. Nous devons informer tous les gouvernements de la Fédération, et par leur entremise tous les peuples, de la situation telle que nous la voyons. Je dois cependant reconnaître que le fait que nous soyons sur le point d’être attaqués par une force ennemie composée de membres d’autres espèces n’a pas encore été rendu public.

« Mais vous devez accorder aux extra-terrestres qui appartiennent à la Fédération le droit d’éprouver les mêmes sentiments que nous, ajouta-t-il. Des extra-terrestres sont restés au secteur général et, sur leurs divers mondes d’origine, leurs amis ont commencé à penser qu’ils devraient venir ici pour assurer leur protection. C’est aussi simple que cela.

— Mais vous prétendiez ne pas vouloir que cette guerre se généralise, protesta Conway.

— Ce n’est pas moi qui leur ai demandé de venir ici, professeur, rétorqua sèchement Dermod. Mais à présent qu’ils s’y trouvent je leur trouverai certainement une utilité. Les derniers rapports de nos agents secrets indiquent que la prochaine attaque risque d’être décisive …


Plus tard, alors qu’il déjeunait, Mannon apprit la nouvelle de l’arrivée des forces de défense extraterrestres avec la mort dans l’âme. Il commençait à apprécier le fait de se trouver seul et de pouvoir engloutir des steaks à chaque repas, expliqua-t-il tristement à Conway, et maintenant qu’ils devraient certainement s’occuper de blessés d’autres espèces il était probable qu’ils allaient à nouveau être accablés de bandes. Prilicla qui mangeait ses spaghettis déclara qu’il était tout compte fait heureux que tous les médecins extra-terrestres n’eussent pas évacué l’hôpital. Il avait pris soin de ne pas regarder Conway, pour faire cette remarque.

Ce dernier, quant à lui, était plongé dans un profond mutisme.

La prochaine attaque risque d’être décisive, avait dit Dermod.

Elle se produisit trois semaines plus tard, après une période de trêve durant laquelle absolument rien ne s’était passé, exception faite de l’arrivée d’une force de volontaires Tralthiens et d’un unique vaisseau. Conway n’avait jamais entendu parler de l’espèce à laquelle appartenait son équipage dont la classification était QLCL pas plus que de sa planète d’origine. Il apprit que le Secteur Général n’avait encore jamais professionnellement eu affaire à ces êtres, parce qu’ils étaient de nouveaux membres très enthousiastes de la Fédération. Conway aménagea un petit service afin de pouvoir accueillir d’éventuels blessés de cette espèce. Il l’emplit de l’horrible brouillard corrosif qui leur servait d’atmosphère et régla l’éclairage sur le bleu inactinique aveuglant que les QLCL considéraient comme reposant pour la vue.

L’offensive commençait presque lentement, pensa Conway en observant à travers le hublot d’observation. La sphère défensive principale semblait à peine touchée par les petites attaques lancées en des points très éloignés de sa surface. Il ne pouvait voir que trois petits tourbillons minuscules et confus d’activité. Les points de lumière qui indiquaient l’emplacement des vaisseaux, des missiles, des missiles anti-missiles et des explosions, paraissaient se déplacer trop lentement pour pouvoir représenter la moindre menace. Mais cette lenteur n’était qu’apparente, car les vaisseaux manœuvraient à un minimum de cinq G alors que des appareils anti-gravifiques automatiques empêchaient leurs équipages d’être réduits en bouillie par leurs accélérations impensables et que les missiles étaient propulsés à des vitesses allant jusqu’à cinquante G. Les écrans de répulsion largement déployés qui repoussaient parfois les missiles étaient invisibles, de même que les rayons presseurs et vibreurs qui anéantissaient presque toujours ceux qui réunissaient à franchir cet écran protecteur. Mais même ainsi, il ne s’agissait que d’un sondage préliminaire des défenses de l’hôpital, une suite de petits raids, le lever de rideau …

Conway se détourna du hublot et se dirigea vers son poste. La moindre des escarmouches entraînait des pertes et il avait mieux à faire que rester là, à assister au spectacle. De plus, il savait qu’il obtiendrait une image bien plus exacte du déroulement de la bataille en bas, dans son service.


Pendant les douze heures qui suivirent les blessés arrivèrent en un filet régulier, puis les petits raids d’avant garde se métamorphosèrent en lourds coups de boutoir et les blessés arrivèrent selon un flot irrégulier. Finalement, la grande offensive proprement dite commença et ce fut une marée de patients qui déferla dans les services.

Conway fut rapidement incapable de pouvoir dire depuis combien de temps il travaillait, qui étaient ses assistants, combien de blessés il avait soignés. À de nombreuses reprises il aurait eu besoin d’une piqûre de remontant pour chasser la fatigue de son esprit et de ses mains, mais de telles injections étaient à présent interdites, quelles que fussent les circonstances … l’équipe médicale avait déjà suffisamment à faire sans que le nombre de ses patients fût encore augmenté par certains de ses membres. Il devait travailler en étant totalement épuisé et il avait parfaitement conscience que les soins qu’il donnait aux blessés laissaient à désirer. Il mangeait et dormait lorsqu’il atteignait le stade où il n’était plus capable de tenir correctement ses instruments. Il voyait parfois à son côté la masse démesurée d’un Tralthien, parfois un infirmier du corps des Moniteurs, parfois Murchison. Murchison, la plupart du temps. Soit elle n’éprouvait pas le besoin de dormir soit elle allait faire une petite sieste en même temps que lui, à moins qu’à un moment tel que celui-ci il eût plus tendance à remarquer sa présence. C’était généralement Murchison qui avançait de la nourriture vers sa bouche obéissante et lui ordonnait d’aller se reposer lorsque cela devenait indispensable.


Le quatrième jour, l’attaque ne semblait toujours pas vouloir diminuer. Les vibreurs de la coque extérieure tiraient presque sans interruption et leur consommation d’énergie faisait clignoter les lumières.

Le principe qui fournissait la gravité artificielle et compensait les accélérations meurtrières des vaisseaux était le même que celui utilisé pour les armes des deux camps … l’écran répulsif, à l’origine destiné à protéger des météorites, les rayons presseurs et tracteurs, et le vibreur qui était une combinaison des deux. Le vibreur tirait et poussait à la fois … il vibrait … avec une force pouvant atteindre quatre-vingt G selon la largeur de son faisceau. Une poussée de quatre-vingts gravités, puis une traction de quatre-vingts gravités, plusieurs fois par minute. Il n’atteignait naturellement pas toujours sa cible avec précision, car les appareils des deux camps s’esquivaient et prenaient des contre-mesures, mais les tirs étaient toujours suffisamment précis pour déchirer le blindage d’une coque ou, dans le cas d’un petit appareil, de le secouer au point de briser les hommes d’équipage.

À présent, il y avait un très grand nombre de vibreurs à l’œuvre. Les forces de l’Empire attaquaient avec acharnement et repoussaient les unités de défense vers la coque externe de l’hôpital. La bataille aérienne qui se déroulait était à présent combattue uniquement à l’aide de vibreurs, car l’espace était trop encombré pour qu’il fût encore possible de lancer des missiles. Cela n’était cependant valable que pour les vaisseaux de combat … car des missiles étaient toujours lancés vers l’hôpital, probablement des centaines, et certains parvenaient à forcer le barrage. À cinq reprises, au moins, Conway perçut l’impact révélateur dans les semelles de ses chaussures alors que ses pieds étaient sanglés au sol du bloc opératoire.

Il était inutile de posséder une forte science du diagnostic pour s’occuper des hommes « vibrés ». Il n’était que trop évident qu’ils souffraient de fractures multiples et compliquées qui, dans certains cas, s’appliquaient pratiquement à tous les os de leur corps. De nombreuses fois, alors qu’il devait découper la combinaison de ces corps broyés afin de les en extraire, Conway aurait voulu hurler aux hommes qui avaient amené le blessé :

— Mais qu’espérez-vous que je puisse faire de … cette chose?

Mais cette chose était encore en vie et, en tant que médecin, il était censé faire tout son possible pour qu’elle le reste.


Conway venait de terminer son travail sur un blessé particulièrement mal en point, assisté par Murchison et une infirmière Tralthienne, lorsqu’il prit conscience de la présence d’un DBLF dans la salle. Conway s’était accoutumé aux symboles colorés employés par les militaires Kelgiens pour indiquer leur rang et il nota que celui-ci portait un symbole supplémentaire signifiant qu’il était également un médecin.

— Je suis venu vous relever, professeur, annonça le DBLF d’une voix rapide, atone et traduite. J’ai l’habitude de m’occuper des êtres de votre espèce. Le commandant O’Mara désire que vous vous rendiez immédiatement au Sas Douze …

Conway lui présenta rapidement Murchison et la Tralthienne … car on amenait un autre blessé et ils devraient se remettre à l’ouvrage dans quelques minutes, puis il demanda :

— Pourquoi?

— Le professeur Thornnastor a été victime du dernier missile qui nous a atteints, répondit le Kelgien en pulvérisant sur ses manipulateurs le film plastique qui faisait office de gants pour les membres de son espèce. Il faut une personne possédant une connaissance approfondie des autres espèces pour s’occuper de ses patients et des FGLI qui arrivent au Sas Douze. Le commandant O’Mara voudrait que vous les examiniez le plus rapidement possible, afin de savoir de quelles bandes vous aurez besoin.

« Et prenez un scaphandre, professeur, ajouta le DBLF comme Conway pivotait pour partir. Le niveau supérieur à celui-ci perd de la pression …

Depuis l’évacuation, le service de pathologie n’avait pas eu beaucoup de travail, pensa Conway comme il se propulsait le long des coursives conduisant au Sas Douze, mais le diagnosticien responsable de ce service avait prouvé son universalité en prenant sous sa coupe la plus importante section de soins. En plus des FGLI de sa propre espèce, Thornnastor avait accepté des DBLF et des terriens, et les patients qui avaient eu ce Tralthien irascible, encombrant, et aux capacités exceptionnelles pour les soigner pouvaient s’estimer heureux. Conway se demandait quelle était la gravité de sa blessure, car le médecin kelgien n’avait pas été capable de le lui apprendre.

Il passa devant un hublot et jeta un rapide regard à l’extérieur. Ce qu’il vit lui fit penser à un essaim de lucioles enragées. La barre à laquelle il s’agrippait lui secoua la main, indiquant qu’un autre missile avait fait mouche non loin de là.

Il y avait deux Tralthiens, un Nidien et un QCQL, revêtu d’un scaphandre, dans le vestibule du sas lorsqu’il y arriva, ainsi que des Moniteurs qui étaient omniprésents. Le Nidien expliqua qu’un vaisseau tralthien avait été pratiquement démantelé par les vibreurs ennemis mais que la majeure partie de l’équipage avait survécu. Les rayons tracteurs du Secteur Général venaient de haler l’appareil endommagé jusqu’au sas et …

Le Nidien commença à aboyer.

— Arrêtez ! ordonna Conway avec colère.

Le Nidien parut surpris, puis se remit à aboyer.

Quelques secondes plus tard des infirmières Tralthiennes arrivèrent et commencèrent à l’assourdir avec leurs mugissements modulés de corne de brume alors que le QCQL lui sifflait quelque chose par la radio de sa combinaison. Les Moniteurs, chargés d’amener les blessés par le tunnel de raccordement, semblaient quant à eux simplement déconcertés. Brusquement ; Conway fut couvert de sueur.

L’ennemi avait à nouveau touché l’hôpital, mais comme Conway flottait en apesanteur il n’avait pas senti l’onde de choc. Il savait cependant où le missile l’avait atteint. Conway manipula son traducteur, le frappa violemment (un geste absolument inutile) et se propulsa d’un coup de pied vers le plus proche interphone.

Sur chaque circuit qu’il essuya des choses hululaient, barrissaient, gémissaient et émettaient des aboiements gutturaux : une folle cacophonie qui lui fit crisser les dents. Une image du bloc opératoire qu’il venait de quitter s’imposa à son esprit. Il voyait Murchison, la Tralthienne et le chirurgien Kelgien en train d’opérer le blessé, sans plus pouvoir se comprendre. Les instructions, les ordres vitaux, les demandes d’instruments chirurgicaux ou d’informations sur l’état du malade … tout cela était donné dans un charabia étranger absolument incompréhensible pour les personnes présentes. Et il voyait cette scène se répéter dans tout l’hôpital. Seuls les êtres appartenant à la même espèce pouvaient encore se faire comprendre entre eux, et même cela n’était pas tout à fait exact. Il y avait des terriens qui ne connaissaient pas l’Universel, qui parlaient les langues de leurs pays d’origine et qui devaient avoir recours aux traducteurs pour s’adresser à leurs semblables …

En tendant l’oreille, Conway parvenait à isoler des mots dans cette tour de Babel et une voix qu’il pouvait comprendre. C’était l’intelligence qui luttait contre un très fort bruit de fond et, brusquement, il fut capable de filtrer les parasites et de n’écouter que cette voix, cette voix qui disait :

— … Trois torpilles qui se suivaient, commandant. Les premières ont ouvert le passage aux autres. Nous ne pouvons pas remettre le traducteur en état de marche, car il n’en reste rien d’utilisable. La dernière torpille a explosé à l’intérieur de la salle de l’ordinateur.

À l’extérieur de la niche de l’interphone les infirmières extra-terrestres sifflaient, grognaient, et gémissaient entre elles ou à son attention. Il aurait dû donner des instructions pour l’examen préliminaire de ses blessés, faire procéder à l’aménagement de la salle, vérifier que le bloc FGLI était prêt. Mais il ne pouvait rien faire de tout cela pour la simple raison que les infirmières ne pouvaient pas comprendre une seule de ses paroles.

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