TROISIÈME PARTIE LE GRAND CRÉPUSCULE

CHAPITRE PREMIER LE COMPLOT

Quand Mars eut été volatilisé, la tension tomba un peu. Nos chances de survie semblaient maintenant excellentes, et, sauf imprévu, tout danger mortel paraissait écarté. Nous prîmes quelque repos, laissant des observateurs chargés de nous avertir s’il y avait du nouveau. Rhénia vint me rejoindre, assez soucieuse. L’effort terrible auquel était soumis la croûte terrestre l’inquiétait. Et, de fait, le moindre défaut dans la synchronisation des géocosmos aurait pu provoquer une catastrophe irrémédiable. Mais actuellement les forces étaient équilibrées à quelques dynes près. Emportant un léger récepteur-émetteur, dans le cas où l’on aurait besoin de nous, nous sortîmes dans les rues de la cité.

J’avais appris à la connaître à fond, cette cité souterraine, mais aujourd’hui je la voyais avec des yeux neufs : Peu de passants. Tous étaient dans leurs appartements, leurs bureaux, leurs usines, leurs laboratoires, groupés devant les écrans. Elle s’étendait sur des dizaines de kilomètres, percée d’avenues étincelantes, de rues plus étroites, creusée d’immenses jardins, dont le faux ciel était toujours bleu, sauf aux heures de pluie. Nous prîmes le puits 702 et descendîmes aux étages inférieurs, où se trouvait « la jungle ». Là vivaient les bêtes sauvages, en liberté dans un monde souterrain. Le poste de garde, à l’entrée, nous reconnut et nous laissa passer sans questions, malgré nos fulgurateurs. Il était interdit habituellement de pénétrer dans la jungle avec des armes : quiconque s’y promenait le faisait à ses risques et périls. Mais la règle n’était pas valable pour les maîtres ou pour le coordinateur suprême. À peu de distance de l’entrée, nous trouvâmes Hllark et sa tribu. Contrairement aux éléphants ordinaires, dont nous n’avions sauvé que ceux qui étaient nécessaires à la survie de l’espèce, toute la troupe de Paréléphants avait trouvé refuge à Huri-Holdé. Il ne pouvait être question de laisser périr des êtres intelligents !

Nous prîmes un léger véhicule, et à basse altitude, nous survolâmes la brousse. Puis nous nous posâmes dans une clairière. Je m’accoudai à une termitière. Tout autour de nous s’étendait la brousse. L’illusion du plein air était parfaite. La lumière noyait les lointains. Les murs, d’ailleurs fort éloignés, restaient invisibles, et le sommet des piliers massifs qui de-ci, de-là soutenaient la voûte, se perdait aussi dans l’irradiation.

Un rauquement étouffé me fit sursauter, porter la main à mon fulgurateur. Un magnifique lion s’avançait vers nous, ses grands yeux jaunes regardant bien en face. Le développement de son front » bombé sous la crinière rousse, révélait tout de suite son identité : un des paralions. Je remis mon arme à ma ceinture. L’animal — mais était-ce encore un animal ? — s’assit à trois pas de nous : Je m’approchai, tâtonnai dans les poils rudes, trouvai la plaque d’identité : Sirah, 30 Khar 4605. Le nom et la date de naissance.

« Eh bien, Sirah, dis-je, tout va bien ? »

Il émit doucement une série de semi-rugissements rythmés.

« Je regrette, mon vieux, je ne connais pas ta langue. »

Les paralions avaient un langage en effet, élémentaire, peut-être de cent à cent cinquante « mots », désignant essentiellement des choses concrètes ou des actions simples. Il s’approcha de moi, mordit un coin de ma tunique, tira.

« Ah ! Tu veux que nous venions avec toi ? D’accord,mais pas trop loin. Nous ne voulons pas nous écarter de … »

Pour qu’il comprît, je fis un geste vers l’appareil.

Il insista, et nous le suivîmes. À cent mètres de là, nous trouvâmes le cadavre d’un jeune paralion. Sa fourrure portait, très nette, la trace d’une décharge de fulgurateur.

Rhénia me regarda : qui avait été assez stupide, assez criminel pour tuer un paralion ? Ils n’attaquaient jamais l’homme, étaient toujours amicaux, au point que, de temps en temps, on leur permettait de monter dans les jardins de la cité, pour la plus grande joie des enfants. Par ailleurs, la natalité était très faible chez tous les paranimaux, et en tuer un était puni comme meurtre.

Sirah nous entraîna de nouveau. À quelques mètres plus loin, un autre lionceau était étendu, mort également. Mais celui-ci avait été assassiné avec une arme plus primitive : un trou à la base du crâne, dû à une balle pleine.

« Par Lama’k, le démon des Kiristi, mais ce sont avec des armes de ce type que les destinistes … C’est très sérieux, cette fois ! »

Je décrochai le communicateur de ma ceinture, appelai Hélin.

« Ici Haurk. Combinaison 44-22-651.

— Ici Hélin. 44-22-651, entendu. Parlez. »

M’étant ainsi assuré que nul ne pourrait, à part un membre du Conseil, surprendre notre conversation, je le mis au courant.

« La chose est grave, en effet : Je vais immédiatement envoyer ici une force de police …

— Envoyez aussi quelqu’un qui comprenne le paralion. Je suis sûr que Sirah sait pas mal de choses à ce sujet. Où en est le cataclysme ?

— Rien de neuf. Il suit son cours. Rentrez immédiatement. La jungle n’est pas sûre …

— Nous sommes armés. Mais nous allons rentrer. Cependant, le paralion semble vouloir me guider plus loin. Je vais d’abord aller voir.

— C’est imprudent.

— Oh, au point où nous en sommes … »

* * *
* * *

Aujourd’hui encore, je bénis cette imprudence, car elle sauva la Terre d’un danger peut-être pire que des destinistes. Sirah nous mena par un défilé rocheux, vers une série de grottes où, théoriquement, devaient vivre les paralions. À mesure que nous nous en rapprochions, l’allure de notre guide devenait de plus en plus circonspecte. Glissant au ras du sol, muscles tendus, il se coula dans les hautes herbes. Nous le suivîmes, courbés, muets, armes prêtes, nous faufilant entre les blocs.

Le paralion prenait de plus en plus de précautions. Bientôt nous entendîmes un bruit de voix, et notre guide s’arrêta net, tournant vers moi sa tête intelligente. Je le rejoignis. Adossé à un rocher se tenait un homme en sentinelle. À sa main brillait l’acier d’une arme. Il ne regardait pas dans notre direction, aussi pûmes-nous, sans être vus, nous cacher derrière une touffe de hautes herbes. Visiblement, l’homme se sentait en sécurité, et sa vigilance était toute relative. J’hésitai sur la conduite à adopter. Il y avait les plus grandes chances que le hasard et leur propre stupidité nous ait fait découvrir un complot destiniste, mais il se pouvait aussi, bien que cela fût peu vraisemblable, que l’homme fût un promeneur comme nous, qui aurait réussi à dissimuler une arme sur lui. Puis l’homme fit un geste : ce n’était pas un fulgurateur qu’il tenait, mais un grossier pistolet, donc une arme clandestine. Je me préparai au combat. À côté de moi, le paralion était tapi, tendu, prêt à bondir, les moustaches en arrière, la lèvre retroussée découvrant les crocs formidables, l’instinct submergeant presque l’intelligence. Il tressaillit quand je posai ma main sur lui, dans la rude crinière.

De derrière le rocher sur lequel s’appuyait la sentinelle, deux hommes surgirent. Leurs visages étaient masqués, et pourtant je reconnus immédiatement l’un d’eux, Karnol ; l’adjoint du maître des machines. Rapidement, je récapitulai ce que je savais du personnage : intelligent, ambitieux, extrêmement bon organisateur, il n’était pas aimé à cause de sa dureté, et j’avais entendu dire qu’il avait presque échoué à l’examen psychologique précédant le serment. Son compagnon m’était inconnu.

D’un geste, je fis signe à Rhénia de s’aplatir à terre, puis visai le groupe des trois hommes. Au moment de tirer, j’hésitai. Il n’y avait aucun doute que Karnol fût un traître, mais peut-être pouvais-je encore apprendre, en les laissant passer, des choses utiles. Et, de fait, ils s’arrêtèrent à quelques pas de nous seulement.

« Bien joué, Dhar, dit Karnol. Ces idiots de destinistes vont faire notre jeu. Mais tiens tes équipes prêtes, et ne leur laisse saboter que les sas externes ! Sinon, nous sommes tous perdus !

— Ne craignez rien, maître, j’y veillerai moi-même.

— Bon. De mon côté, je m’occuperai de ces imbéciles du conseil. Une fois ce compte réglé, avec l’aide du ressentiment populaire qui existera alors contre les destinistes, il nous sera facile d’écraser ces derniers pour de bon. Et je t’assure que je ne me laisserai pas arrêter par des considérations humanitaires, comme ce pauvre Haurk !

— Et celui-là, maître ?

— Il faut qu’il vive, ainsi que son ami Kelbic et sa femme. Il n’y a qu’eux deux qui puissent calculer le moment où le danger aura disparu, et où nous pourrons retourner autour de notre vieux Soleil. J’ai presque dit tout à l’heure que c’est un crétin. Il l’est, au point de vue politique, mais pas au point de vue scientifique. »

« Merci, maître Karnol, pensai-je. C’est exactement mon avis sur vous. »

« Bon, continuait celui-ci. Déclenchement dans trois heures. Nos amis destinistes doivent déjà se préparer à ouvrir Huri-Holdé sur l’espace ! »

Je sentis la main de Rhénia se crisper sur mon bras. D’un geste, je lui fis signe de ne pas bouger. Ils s’éloignèrent. Sirah leva sa patte droite, fit jouer ses griffes, me regarda d’un air interrogateur. Je fis non de la tête.

« Je regrette, Sirah. Crois bien que je te les abandonnerais avec plaisir, mais il est nécessaire pour nous, hommes, qu’ils partent. Ce sont eux qui ont tué les tiens, n’est-ce pas ? »

Le paralion rugit doucement.

« Ne t’inquiète pas. La justice des hommes est peut-être moins expéditive que tes griffes, mais elle sera aussi sûre ! »

Sans m’attarder à chercher à savoir s’il avait compris, je pris la route du retour. Quand nous pénétrâmes dans la salle de contrôle, nous la trouvâmes presque vide. Seuls quelques maîtres étaient restés, avec l’équipe de veille. Je m’approchai de Hani.

« Ah ! Vous voilà, Haurk. Les astéroïdes ont été engloutis. Regardez. »

Sur l’écran, une méduse de feu lançait ses tentacules dans tous les sens. Un petit point noir se détachait sur l’un d’eux : Jupiter !

« Dans quelques heures, nous serons atteints par les radiations. Le danger … »

Je le coupai :

« Le danger immédiat n’est point dans les radiations, mais dans les destinistes d’une part, Karnol de l’autre. »

Et je rapportai à Hani la conversation que j’avais surprise.

« Mais il faut avertir immédiatement Hélin !

— Êtes-vous sûr de lui ? Depuis la trahison de Karnol …

— Hélin ? Je le connais depuis son enfance !

— Bon, cela simplifie le problème. »

Quelques minutes plus tard, nous étions en conférence. Hélin était d’avis d’arrêter immédiatement Karnol et de faire garder les sas étanches. Je m’y opposai.

« Je crois qu’il vaut mieux les laisser commencer à mettre leurs projets à exécution. Si j’ai bien compris la tactique de Karnol, elle consiste à permettre aux destinistes de saboter les portes étanches les plus externes, puis à leur tomber sur le dos avant qu’ils aient atteint les portes médianes, et à se poser ainsi en sauveur de la situation, après vous avoir assassinés, ce que l’on fera passer, dans la confusion, au compte des destinistes. Mais il ne pourra arrêter les destinistes à lui tout seul. Ses partisans seront obligés de se découvrir, et nous pourrons ainsi faire d’une pierre deux coups, et rafler à la fois destinistes et conspirateurs.

— Et si les destinistes l’emportent ? S’ils font sauter aussi les portes médianes et intérieures ? objecta Hélin.

— Votre police est alertée, et pourra veiller sur celles-ci, dès le début. Il faut également avertir les autres cités, faire garder les portes. Mais je ne crois pas que la conspiration soit très forte en dehors de la capitale. Qui tient Huri-Holdé tient le monde. Avertissez également Vénus. Hani, en tant que doyen, vous pouvez convoquer le conseil en assemblée extraordinaire. Réunissez-le ici, sous bonne garde. Tu restes avec eux, Rhénia.

— Et vous ? demanda Hélin.

— Moi ? Je vais prendre quelques hommes et, vêtus de spatiandres, nous allons à la surface, au cas où quelques-uns de nos amis tenteraient de s’échapper par là. »

CHAPITRE II LA BATAILLE DANS L’AIR LIQUIDE

Pendantun moment, je pensais prendre Kelbic avec moi, puis en décidai autrement. Il fallait, pour l’avenir de la Terre, qu’un de nous au moins reste vivant, et je n’étais pas du tout sûr de revenir. Je pris avec moi une quinzaine d’hommes des forces de police, et nous nous installâmes, revêtus de nos spatiandres, dans une des maisons vides d’Huri-Holdé extérieure, à proximité du puits qui donnait accès au garage des grands cosmomagnétiques.

Presque tous avaient depuis longtemps été remisés sous la surface, mais pour des cas d’urgence nécessitant un voyage interplanétaire, une dizaine étaient maintenus dans le garage. Si quelqu’un voulait quitter Huri-Holdé, il était obligé de passer devant nous. Pour rester en contact avec le conseil, je fis réchauffer le poste de communication de la maison que nous occupions, et je pus ainsi suivre sur l’écran les progrès de l’explosion solaire.

Nous étions puissamment armés de fulgurateurs lourds. Il restait environ une heure avant le déclenchement du soulèvement, et nous n’avions plus qu’à attendre. Nous attendîmes.

Nous nous tenions au septième étage, les rues étant emplies jusqu’à cette hauteur d’air congelé et de neige. En face de nous s’étendait un ancien parc, molles ondulations de glace maintenant, d’où émergeaient les hangars. Le premier, le plus proche de nous, avait ses portes libres de neige. À notre gauche, la superstructure du puits perçait aussi la croûte gelée.

Pour tuer le temps, je bavardais avec Rhénia, puis Kelbic.

« Ne t’expose pas, me dit tout à fait franchement ce dernier. Je ne comprends pas d’ailleurs pourquoi tu es là-haut. Tu n’as en réalité rien à y faire. »

Je n’avais en réalité rien à y faire, en effet. Je m’étais assez bien sorti de la bagarre avec les destinistes, dans la forêt, aux temps déjà si lointains où la Terre avait une atmosphère et des arbres. Mais je savais fort bien que, du point de vue efficacité dans un combat, le moindre de mes policiers l’emportait de beaucoup sur moi. J’avais un poste important, un des plus importants qui soient, je pouvais le dire, sans fausse modestie, puisque, à part le véto théorique du conseil, j’étais le maître de deux planètes. J’avais une femme que j’aimais et qui m’aimait, de nombreux et bons amis. Et pourtant j’avais décidé de participer à cette escarmouche sans importance réelle, donnant mes ordres d’un ton tel que personne n’avait protesté. Pourquoi ?

Je n’étais pas indispensable, soit. Kelbic pourrait me remplacer, et, dans un sens, il me remplacerait avantageusement. D’un autre côté, si je disparaissais en pleine crise, il pourrait y avoir, malgré la continuité assurée par le conseil, un moment de flottement préjudiciable à la planète. J’aurais donc mieux fait de rester dans la chambre de contrôle, laissant à d’autres le soin de briser la rébellion. À d’autres … Peut-être était-ce là la raison ? Une certaine répugnance, une certaine honte à envoyer d’autres se faire tuer pendant que je ne risquais rien ? Mais en pensant cela, n’assumai-je pas le rôle, rien que le rôle, du chef humain qui ne demande à ses subordonnés que ce qu’il est prêt à affronter lui-même ? Était-ce là vraiment la cause de mon attitude ? Je me pris à en douter. Et, tandis que nous attendions, dans cette pièce dénudée, meublée seulement d’un écran, essayant de m’analyser, pour la première fois depuis mon adolescence, je compris soudain pourquoi j’étais là : j’étais là parce que j’aimais la bataille !

Je n’acceptai cette idée qu’avec répugnance. Toute mon éducation me la présentait comme un atavisme douteux presque bestial. Nous honorions le courage à Huri-Holdé, mais rarement sous cette forme : courage du savant qui risquait une expérience dangereuse, courage de l’ingénieur, du technicien, du pilote de cosmo, oui. Mais pas le courage du guerrier, si rarement nécessaire. Et l’idée qu’on pouvait se réjouir de participer à une bataille nous était étrangère … l’idée du danger couru pour le danger lui-même, pour l’excitation qu’il donnait … Et pourtant ? Kelbic aimait voler en planeur dans les orages …

Un attouchement sur mon épaule interrompit le cours de mes pensées.

« Ce doit être l’heure », dit un des policiers.

Nous attendîmes les explosions. Une minute, cinq minutes, une demi-heure, une heure … Rien ne se produisait. J’appelai Hélin. Tout était normal, la police veillait, mais les destinistes ne s’étaient pas encore manifestés. Étais-je sûr de l’heure donnée par Karnol ? Bientôt la radiation solaire atteindrait la Terre, et il nous faudrait redescendre dans la ville inférieure. Quelques minutes supplémentaires coulèrent …

Brusquement, derrière un bloc de maisons, à notre droite, jaillit une colonne de vapeur éclairée de rouge. La vibration nous parvint presque tout de suite. Puis une série de secousses ébranlèrent la maison. Une après l’autre, les portes externes sautaient !

J’appelai Hélin, qui répondit immédiatement. Les destinistes s’étaient rués en grand nombre, avaient submergé les veilleurs aux portes externes, les avaient fait sauter. Et maintenant, en progressant vers les portes médianes, ils se heurtaient aux hommes de Karnol.

« Pourquoi n’ont-ils pas simultanément attaqué les portes médianes ? Dis-je. Je m’y attendais plutôt …

— Si j’avais cru qu’ils le puissent, je n’aurais pas adopté votre plan, Haurk. Non, elles sont trop bien gardées, de l’intérieur. Mais si ce n’étaient les partisans de Karnol, ils n’auraient probablement pas eu de peine à les faire sauter, de l’extérieur. Bien entendu, dans ce cas, nous serions intervenus.

— Et vos hommes ?

— Ils attendent. Laissons nos ennemis se détruire entre eux. Vous voulez voir la bataille ? »

Sur mon écran apparut le sas n° 3, avec sa porte externe déchiquetée par où pénétrait le froid glacial de l’espace. À l’autre bout, un groupe d’hommes vêtus du scaphandre gris des tekns se défendait contre une troupe d’assaillants portant le scaphandre bleu des trills, avec une bande noire ajoutée. L’espace était traversé de l’éclair des fulgurateurs, et, du côté des destinistes, un léger brouillard, produit par la fumée des armes à feu, était aspiré à toute vitesse vers le vide extérieur. Les pertes étaient lourdes des deux côtés.

« Je comprends maintenant pourquoi il y avait des tekns avec les destinistes, dis-je. Ils ont toujours eu l’intention de les utiliser comme des pions. Mais il faudra réviser l’examen psychologique, Hélin. Il semble que pas mal d’ambitieux aient passé au travers ! »

Aussi étrange que cela paraisse, au moment où la vie de la cité était en jeu, cette pensée me rassura. Je préférais des tekns criminels à des tekns irrationnels.

« Des circonstances exceptionnelles, comme celles que nous vivons, peuvent changer un homme, Haurk.

— Où sont vos forces ?

— Derrière la porte latérale. Ils ne vont pas tarder à entrer en jeu, car je crois qu’il en sera besoin. Karnol a sous-estimé ses alliés ! »

Le groupe des tekns défendant la porte s’était en effet considérablement amenuisé, malgré leurs armes supérieures. Et, au fond, l’étaient-elles tellement ? Le rayon d’un petit fulgurateur léger est en grande partie arrêté par un spatiandre isolant, tandis qu’une balle pénètre. Une chose dont il faudrait se souvenir !

La porte B s’ouvrit. Avec une lenteur qui m’exaspéra, mais qui n’était que méthode, les policiers mirent en batterie un fulgurateur à grande puissance. Le rayon bleu faucha de droite à gauche. Il était temps. Un destiniste entrait par la porte latérale A, avec un paquet d’explosifs. Il disparut dans une flamme pourpre.

« Question réglée ici, dit Hélin. Aux autres portes, la bataille tourne favorablement pour nous aussi. Excusez-moi, je dois vous quitter, car nous sommes attaqués à notre tour. »

L’écran redevint blanc. Un de mes policiers m’appela :

« Maître, des hommes sortent par le puits … »

Je me penchai par la fenêtre ouverte. Sous la faible lueur des étoiles, des silhouettes glissaient. Subitement, elles se découpèrent dans l’aveuglante lumière d’un projecteur. Il y en avait au moins cinquante, qui s’égaillèrent, se dissimulèrent tant bien que mal derrière les replis de glace, tombant, se relevant, bondissant vers le garage. Mes hommes ouvrirent le feu et quelques silhouettes s’immobilisèrent pour toujours. Je fus violemment attiré en arrière par le lieutenant au moment où une décharge de fulgurateur fondait l’encadrement de la fenêtre.

« Éteignez le projecteur ! Balayez la place ! » Des nuages de vapeur s’élevèrent de la glace vaporisée quand les deux gros fulgurateurs entrèrent en action. La scène devint imprécise, mais curieusement illuminée. J’avais pourtant ordonné d’éteindre. Mais … cette lumière !

« Le Soleil ! La lumière nous a rejoints ! » Là-haut, dans le ciel, le Soleil avait cessé d’être une simple étoile brillante. À sa place flamboyait un astre d’un éclat insoutenable, qui grossissait de seconde en seconde. Et, si notre feu barrait à l’ennemi la route des hangars ou du puits, le sien nous coupait de la même manière toute possibilité de retraite ! Dans le jeu de notre futile lutte humaine, nous avions tout simplement oublié le cataclysme.

La glace étincelait sous les rayons de la nova ! Je fis un rapide calcul mental : pas de danger avant quelques heures. Nous avions de l’air pour trois jours, et de la nourriture condensée pour autant, mais rapidement la température deviendrait insoutenable. Déjà un mince vernis brillant couvrait la surface, et, dans les dépressions, s’accumulaient des mares d’air liquide.

Dans l’écouteur de mon casque, une voix s’éleva :

« Qui commande chez vous ? »

Poser la question démontrait que l’ennemi ignorait ma présence.

« Ici, capitaine Rexor, répondis-je, usurpant l’identité d’un officier que je connaissais.

— C’est moi, Karnol, tekn de première classe qui parle. Êtes-vous aux ordres du conseil ?

— Oui.

— Alors tout ceci est un malentendu. Nous venons d’écraser une insurrection destiniste, qui voulait faire sauter les portes. Pourquoi avez-vous tiré sur nous ? »

Temporisant, je répondis :

« En vous voyant fuir les hangars, nous vous avions pris pour des destinistes.

— Bon. Oublions cela. Si vous êtes bien aux ordres du conseil, jetez vos armes, et nous rentrerons ensemble.

— Pourquoi jeter nos armes ?

— Vous pouvez être des destinistes. Je ne le crois pas, mais je ne veux pas courir de risques inutiles.

— Nous sommes une force de la police régulière. C’est à vous de jeter vos armes !

— Comment pouvez-vous le prouver ?

— Deux de nos hommes vont sortir, et vous montreront leurs insignes.

— Accepté. »

Je fis signe à deux hommes qui se glissèrent par la fenêtre et coururent vers les insurgés. Au bout de quelques instants, Karnol dit :

« C’est bien. Nous avons vu les insignes » Nous allons jeter nos armes. »

Les insignes ne pouvaient être portés que par les hommes pour qui ils avaient été spécialement fabriqués et auraient été mortels pour tout autre. Le secret de leur fabrication n’était connu que du conseil. Par ailleurs, Karnol, son coup manqué, et probablement au courant de son échec total, prenait la seule voie possible : jouer le rôle du héros qui a brisé l’assaut des portes, comptant que nul n’était au courant de sa trahison.

Lentement, mes deux hommes revenaient. Là-bas, les insurgés se dressaient un à un, débouclant leurs ceintures d’armes. À ce moment retentit dans les écouteurs la voix d’Hélin en clair.

« Haurk, rentrez immédiatement. L’insurrection est écrasée. Nous n’avons pas encore Karnol, mais cela ne tardera pas. »

Un cri de rage retentit.

« Ainsi c’est vous, Haurk ! Et vous savez ! Eh bien, si nous sommes perdus, vous y resterez vous aussi ! Feu ! »

Une pluie de flamme s’abattit sur la maison carbonisant un des policiers à la fenêtre. Frappés par-derrière, nos deux hommes qui retournaient vers nous s’effondrèrent.

Le diable emporte Hélin, comme vous dites ! S’il avait attendu seulement quelques minutes de plus pour faire sa malheureuse communication, tout était fini, presque sans combat. Maintenant … La retraite nous était coupée, et d’ici peu, il deviendrait impossible de regagner la cité, les puits d’accès aussi bien que les antichambres seraient remplies d’eau, après l’avoir été d’air liquide. Non point que l’eau, ni même l’air liquide nous eussent gêné outre mesure dans nos spatiandres, mais les portes internes étaient réglées pour ne s’ouvrir que sur le vide ou sur une pression normale. À moins d’un secours immédiat, nous étions perdus. Je m’approchai du communicateur de la maison ; résolu à exiger ce secours, quand une violenté déflagration me jeta à terre. Un de nos fulgurateurs lourds, atteint en plein par l’ennemi, venait de sauter. Je me relevai étourdi, chancelai, et m’effondrai sur le communicateur, que j’achevais de pulvériser. Nous étions coupés du conseil ! Si en effet Hélin se faisait entendre de tous en utilisant la grande antenne d’Huri-Holdé, toujours débout, nos petits communicateurs individuels ne pouvaient percer le blindage de métal de la ville !

De grave, la situation était devenue désespérée. Hélin, convaincu que nous rentrions, ignorant le combat qui se déroulait, la zone où nous nous trouvions étant en effet en dehors du champ de vision des grands périscopes, interpréterait l’arrêt des communications comme le signe que nous avions quitté la maison. Il n’enverrait pas de secours, et quand, le temps passant, il commencerait à s’inquiéter, il serait trop tard. La tache aveuglante grossissait très vite maintenant dans le ciel. Une brume montait, d’air solide s’évaporant, qu’illuminaient les faisceaux bleu violet des fulgurateurs. Elle tournoyait en colonnes, brouillant la vision. Déformées, les silhouettes bondirent, impossible à localiser, tantôt proches, tantôt lointaines. Et ; subitement, ce fut le corps à corps. Dans la chambre envahie, une mêlée de corps vêtus de spatiandres, féroce, confuse — nul à première vue ne distinguait l’ennemi de l’ami —, et brève. Je me retrouvai le fulgurateur à la main, debout, avec quatre survivants. Amis ou ennemis ? Les armes s’abaissèrent, je reconnus l’insigne visible au front, sous la vitre du casque. Dehors, dans la rue transformée en torrent, des rivières d’air liquide charriaient des paquets de neige. Un semblant d’atmosphère voilait les étoiles. Puis le vent se leva, d’une violenc effrayante malgré la ténuité de l’air, qui, à peine retourné à l’état de gaz, se ruait vers l’hémisphère obscur. Un de mes hommes me toucha le bras.

« Maître, si nous arrivions à gagner le hangar des cosmos … »

Je compris immédiatement. Notre dernière chance était, avec un cosmo, de contourner la Terre et de descendre dans une des cités du côté obscur, là où les portes fonctionnaient encore. Mais le hangar était à plus de cinquante mètres, et la rue était noyée sous au moins deux mètres d’un mélange innommable et bouillonnant d’un liquide, de glace, d’eau, entraîné par un violent courant. Cependant le flot n’était pas régulier ; par moments il baissait considérablement : un bouchon de glace, et de neige barrait la rue en amont. Puis le barrage cédait, et le flot déferlait avec une violence irrésistible.

Kur, un des survivants, arrachait méthodiquement les fils de l’installation électrique. Ces fils, n’offraient en eux-mêmes qu’une solidité médiocre, mais l’isolant qui les entourait était extrêmement résistant à la traction, même à la température de l’air liquide.

« Soit, dis-je. Mais c’est moi qui dois risquer le coup. Je suis le plus grand, de loin, et le plus lourd. »

J’arrêtai d’un geste leurs protestations, attachai solidement le fil autour de ma taille. Penché à la fenêtre du rez-de-chaussée, j’attendis. Le flot coulait au ras de l’entablement. J’y plongeai la main. Malgré le peu de densité du fluide, formé encore en majeure partie d’air liquide, le courant était très fort. Un peu d’eau s’y mêlait maintenant, gelant dès qu’elle touchait le courant, coulant au fond.

Isolé par mon spatiandre, je ne sentais ni la chaleur de la grande étoile, ni le froid du torrent. Mais d’ici quelques heures, il ne serait pas possible de vivre à la surface. Le flot baissa, et je sautai dans la rue.

Immédiatement, je m’étalai de tout mon long. L’eau regelée formait, au fond, une couche épaisse, faite de morceaux de glace irréguliers, libres, surgelés, et j’eus l’impression de marcher sur un lit de billes. Je me cramponnai au câble, me redressai. L’aventure semblait sans espoir. Il était impossible de se tenir debout sur cette couche presque sans friction. Je m’appuyai au mur, prêt à remonter si le flot revenait. Mais cette fois le barrage devait être solide, car le liquide s’écoula en entier, et il n’y eut plus, au-dessus de la glace, qu’une mince couche d’air liquide, vite évaporée.

Je jetai un regard vers l’amont. Le barrage s’élevait à peu de distance, amoncellement de blocs hérissé de pointes. Je décidai de tenter ma chance, et, à quatre pattes, mes bras s’enfonçant presque à chaque instant entre les glaçons entassés, je progressai, très lentement. De temps en temps, un coup d’œil furtif et anxieux vers le barrage. La lumière du soleil se reflétait et se rétractait dans la glace, aveuglante. Puis cette glace commença elle-même à fondre, et je pus me redresser, m’appuyant aux murs.

Je parvins au carrefour, où le vent me saisit. J’essayai de m’assurer sur le câble que mes hommes maintenant raidi, pivotai, m’affalai. Le vent me poussait dans la direction où je voulais aller, et j’ordonnai à Kur de donner du mou. Poussé ainsi, je parvins à quelques mètres du hangar. Et alors le barrage céda.

La vague s’avança vers moi, lisse d’abord, puis écumeuse, bouillonnante quand elle sortit de l’ombre, l’air s’évaporant sous les rayons brûlants de la nova. Elle me recouvrit, et, à ma grande surprise, ne me roula pas : sa densité était trop faible. Je pus me mettre une fois de plus à quatre pattes et atteindre la porte du garage. Me dressant, j’appuyai sur le levier d’ouverture, la porte glissa, et quelques instants après j’étais à bord d’un cosmo.

Je pris les commandes, rien ne se produisit. Une brève inspection des cadrans m’apprit la triste vérité : le dernier imbécile qui s’en était servi avait laissé le contact, et tous les accumulateurs actionnant les relais étaient déchargés. J’en cherchai d’autres dans le cosmo voisin, que sa position ne permettait pas de sortir. Enfin je pus secourir mes hommes, mais le temps avait passé.

Dans le ciel, l’astre écartelé qui avait été notre Soleil plongeait vers l’ouest. La rotation de la Terre allait amener l’autre côté à son tour sous les rayons brûlants, et les mêmes problèmes se poseraient. Il fallait se hâter. Je choisis Kilgur comme destination, et à 3 000 kilomètre-heure le cosmo fonça. Nous volions bas et, malgré la puissance de notre engin et le peu de prise que ses formes donnaient au vent, le pilotage ne fut pas une plaisanterie. Dans la zone crépusculaire, qui se déplaçait à mesure que la Terre tournait, les différences de température, formidables et rapides, créaient un perpétuel cyclone. L’air s’évaporait, se précipitait vers la zone obscure, retombait en pluie, s’amoncelait en montagnes. Pour franchir cette zone, nous montâmes. Loin au-dessus de nous, des trombes fantastiques ravageaient la surface. Enfin, nous laissâmes derrière nous ce paysage de cauchemar, nous aperçûmes les superstructures de Kilgur. Lançant un appel par radio, j’atterris près d’une des portes. Le cosmo rentré dans un hangar, nous nous enfonçâmes dans les profondeurs du sol.

Quoique épuisé, je me fis mettre au courant de la situation. La révolte destiniste avait été écrasée une fois de plus, la majorité des tekns complices de Karnol capturés. Je pris immédiatement le tube interurbain, et, à 800 kilomètre-heure fonçai sur Huri-Holdé.

La bataille avait été rude aux environs de l’immeuble du conseil, et des équipes de trills travaillaient encore au déblaiement des ruines et à l’enlèvement des cadavres. Les destinistes avaient lutté avec l’énergie du désespoir, et maints corps à demi carbonisés tenaient encore en leur main le grossier pistolet qui avait été leur arme principale.

CHAPITRE III LE POUVOIR

Le conseil me reçut immédiatement. La situation politique n’était plus dangereuse. La situation cosmique, elle, pouvait devenir rapidement dramatique. Kelbic me fournit les données.

La Terre et Vénus s’éloignaient maintenant à une vitesse supérieure à celle que possédaient les gaz incandescents du Soleil. De toute façon, nous étions très au-delà de la zone qu’ils atteindraient dans un avenir proche. Mais les calculs montraient qu’à moins d’une accélération nouvelle, immédiate, la température du sol terrestre et vénusien serait portée assez vite par la radiation au-delà du point de cuisson des argiles. Cela signifierait l’impossibilité future de cultiver le sol de nos planètes pendant un temps considérable. D’un autre côté, et Rhénia me le confirma, les géologues et géophysiciens estimaient impossible d’accroître les tensions que subissait la croûte terrestre sous l’effet des géocosmos sans déclencher des séismes catastrophiques. Nous n’avions plus que quelques heures pour prendre une décision. Entre-temps, on accrut très légèrement la poussée des cosmos.

Ce fut, au conseil, une discussion angoissée. D’un côté, un risque immédiat et terrible, la dislocation de la croûte terrestre. De l’autre, un danger plus lointain, mais non moins terrible, la stérilisation des planètes. Nos réserves de vivres, les produits de synthèse, les fermes hydroponiques permettraient de nourrir la population actuelle pendant 15 ans. Après cela ou bien une diminution dramatique de cette population, ou bien la conquête et l’exploitation de planètes étrangères, si nous en avions trouvées de convenables dans ce délai. Peut-être, avec de la chance, l’invention d’un procédé accélérant la formation du sol arable.

Kelbic, Rhénia, Hani, moi-même votâmes pour ce second risque, ainsi qu’un bon nombre des maîtres. Mais la majorité fut contre nous, et la nouvelle accélération fut décidée. Nous gagnâmes la salle de contrôle. J’eus un bref entretien avec Rhénia avant qu’elle ne s’enfermât dans son poste de la géophysique. Elle m’avertirait dès que la croûte atteindrait sa limite de résistance. Je couperais alors l’accélération, et au diable les conséquences. Kelbic, bien entendu, fut du complot.

Je m’assis donc au poste de commande, remplaçant Sni. Sur les écrans la Nova Solis emplissait une bonne part du ciel, presque impossible à regarder, malgré les filtres. Les gaz projetés avaient dépassé l’orbite de Jupiter, et l’énorme planète était invisible, noyée dans l’irradiation, ou déjà volatilisée. Par curiosité, je me fis retransmettre, depuis l’observatoire, l’image de Saturne. Elle se trouvait presque sur la limite, voilée déjà par une bande de gaz lumineux. Comme je m’y attendais, la planète avait perdu ses anneaux de glace.

Il ne m’était plus possible de tergiverser, et j’appliquai prudemment une accélération supplémentaire. Sur l’écran de l’intégrateur, la ligne des tensions dessina un léger crochet. J’appelai Rhénia.

« Quels effets ?

— Presque nuls pour le moment. Continue, puisqu’il le faut. Mais très lentement. Plus lentement tu iras, plus la ligne de rupture a de chances de se situer haut. Mais nous l’atteindrons bientôt, de toute manière. »

Je me retournai. Dans l’amphithéâtre, les maîtres s’étaient assis, regardant. Par hasard ou par calcul, ceux qui s’étaient opposés à l’augmentation de l’accélération se tenaient d’un côté, géologues et physiciens, pour la plupart. De l’autre, la majorité, chimistes, botanistes, agronomes, qui ne croyaient pas à la possibilité de reconstituer un sol arable. Kelbic se pencha sur moi, s’appuyant sur mon épaule. Un peu agacé, je me disposais à le rabrouer quand je sentis qu’il glissait quelque chose par le col ouvert de ma blouse.

« Tout ira bien, dit-il à haute voix, si nous savons utiliser correctement les forces dont nous disposons. »

Passant la main dans ma blouse, je sentis la crosse d’un fulgurateur.

« Oui, répondis-je, jouant à mon tour sur les mots. Mais le moment venu, il ne faudra pas hésiter. »

Et je continuai à appliquer l’accélération, l’œil fixé sur la ligne de l’intégrateur. Les tensions internes se construisaient maintenant très vite, et l’aiguille avait à peine le temps de tracer quelques millimètres de ligne ondulée, entre les crochets. Au bout de deux heures, Rhénia appela :

« Haurk, fais évacuer Hilur. Le prédicteur de séismes en annonce un, degré 9, pour dans 5 heures au rythme actuel. »

Degré 9 ! Cela signifiait que la ville était perdue !

Je donnai les ordres, me levai, m’adressai au conseil.

« Maîtres, je pense que nous devons cesser toute nouvelle accélération. »

Gdan, le maître des Plantes, se dressa.

« Quelle sera la situation, étant donné la vitesse d’éloignement actuelle ? »

Hani consulta quelques cadrans, fit un rapide calcul.

« Nous serons encore dans la zone où l’argile cuira, et où le sol sera détruit.

— Dans ce cas, dit Gdan, j’estime que nous devons continuer. »

Hani profita de sa position de doyen.

« Que ceux qui veulent continuer se lèvent. »

Il fit rapidement le compte.

« Majorité pour eux, Haurk. Je regrette … »

Je m’adossai au tableau de bord, parcourus l’assemblée du regard. Cette majorité s’était amenuisée. Hélin, le maître des Hommes, avait rejoint notre parti. Rhénia se pencha par la fenêtre de sa cabine. Je lui lançai un regard, indiquai le tableau de commandes. Elle fit non de la tête.

« Eh bien, dis-je doucement, je refuse d’obéir. »

Un silence consterné plana. Jamais, depuis l’origine du conseil, un tekn n’avait publiquement rejeté un de ses ordres. Haussant les épaules, l’air accablé, Kelbic grimpa l’escalier de la cabine de géophysique, s’éloigna de moi comme un pestiféré.

« Ai-je bien entendu ? Vous refusez d’obéir, Haurk ? demanda le maître des Plantes. Mais c’est insensé !

— Insensé ou non, je refuse ! Et je crois plutôt que c’est vous, l’insensé, vous qui allez faire éclater la planète.

— Nous n’en sommes pas encore là ! Pour la deuxième et dernière fois, au nom du conseil, je vous somme d’obéir !

— Pour la deuxième et définitive fois, je refuse d’obéir ! »

Et, d’un geste bref, je coupai net toute accélération supplémentaire.

« Soit ! Hélin, faites-le saisir par vos hommes !

— Je le ferai moi-même », dit ce dernier, en m’adressant un clin d’œil. Et il tira négligemment son fulgurateur, le tenant par le canon. Je happai le mien sous ma blouse, et couvris l’assemblée.

« Hélin, arrêtez ! Je ne sais si vous êtes de mon côté ou non ! Vous tous, jetez vos armes. Vite ! »

Avec une expression d’horreur, les maîtres se levèrent, posèrent leurs armes. Un éclair violet jaillit, du haut de l’escalier, et Béloub, l’assistant de Gdan, s’effondra. Kelbic venait de tirer. Je me sentais las, écœuré, dépassé par les événements. Je n’avais guère dormi depuis deux jours.

« Tu peux faire confiance à Hélin, me cria Kelbic. Il est avec nous dès le début. »

Déjà Hélin donnait des ordres, un micro à la main. Des hommes de la police tekn entrèrent, ramassèrent les armes. Hani nous regardait tristement :

« Haurk ! Kelbic ! Je n’aurais jamais cru cela de vous ! Une révolte contre le conseil !

— Nullement, maître, répondit Kelbic. Et Haurk n’y est pour rien. Sa propre rébellion personnelle contre des ordres qu’il sait idiots nous a simplement servis, Hélin et moi. »

Il marcha rapidement vers Gdan, pétrifié, fit un geste rapide, comme s’il voulait lui arracher les yeux, retira sa main, tenant une chose flasque. Le visage effaré qui nous regardait n’était plus celui de Gdan, mais un visage inconnu.

« Maîtres, je vous présente l’ennemi, le vrai, le grand-maître des destinistes, du moins je le suppose ! Et l’assassin probable du vrai Gdan ! Pendant que Haurk se battait héroïquement avec les ennemis du dehors, j’ai fait une petite enquête. Je me doutais depuis longtemps, à vrai dire depuis l’attaque sur nos planeurs, qu’il y avait un traître parmi le conseil lui-même. Qu’un vrai tekn puisse être des-tiniste me paraissait absurde. Donc, quelqu’un dans le conseil n’était pas ce qu’il semblait être. Mais ce n’est qu’hier que j’en ai eu la preuve. Le masque de plastique, remarquable par ailleurs, que portait cet imposteur présente un défaut que le hasard m’a fait découvrir : une bonne fluorescence en ultraviolet lointain. Hier, il est venu me voir, à peu près au moment où Haurk gagnait enfin Kilgur, dans mon laboratoire, essayant de me convaincre de la nécessité d’augmenter l’accélération, développant toute une théorie sur l’impossibilité de régénérer le sol en moins de cent ans. Accidentellement, sa figure traversa le faisceau de rayons ultra-violets d’une lampe que j’avais en fonctionnement. J’étais désormais fixé. J’ai averti Hélin, et nous avons décidé d’attendre. Le but de cet individu était, ni plus ni moins, de faire éclater la Terre. Oh ! Le magnifique imbroglio politique de ces dernières années, les tekns de Karnol croyant manœuvrer les destinistes et manœuvrés par eux !

— Mais, coupa Hani, comment a-t-il pu passer pour un maître ? »

Rhoob, le maître des Sciences psychiques se leva.

« Il est des secrets trop dangereux qui ne sont pas toujours partagés, même entre les maîtres. Il existe, depuis plusieurs centaines d’années, une machine qui permet de vider un homme de toutes ses connaissances et de les transporter dans la conscience d’un autre. Le reste a été affaire de chirurgie plastique et d’un bon masque. Tous les chirurgiens ne sont pas des tekns, vous le savez. Mais comment les destinistes ont-ils pu avoir accès aux plans de la machine ?

— Le plus amusant, continua Kelbic, est que la Terre ne risque pas la destruction de son sol arable, au moins pas la destruction totale. Hypnotisés par les arguments du pseudo Gdan, vous avez oublié un facteur dans vos calculs : avant que la température cuise les argiles, elle aura d’abord reconstitué notre atmosphère, ensuite elle aura vaporisée de grandes quantités d’eau, qui forment un écran protecteur sous l’aspect de nuages épais. Voici les calculs rectifiés. Vous pouvez les refaire, si vous voulez ! »

Nul ne releva le défi.

Cette fois, la révolte destiniste était définitivement matée. Kadul, le chef qui avait agi sous le masque de Gdan, fut livré aux psychotechniciens qui, utilisant à leur tour la machine, purent donner au conseil tous les noms nécessaires. Il n’y eut que très peu d’exécutions. Nous étions las de toutes ces tueries, et le plus grand nombre des conjurés fut simplement transporté sur la Lune, transformée en prison.

Selon les prévisions de Kelbic, notre sol arable échappa en grande partie à la destruction. La Terre avait à nouveau une atmosphère, déchirée d’orages d’une violence fantastique. Une voûte de nuages perpétuellement dispersée et reformée voilait la plupart du temps la nova. Nous perdîmes une certaine quantité d’air et d’eau, car les molécules atteignaient, dans l’atmosphère supérieure, la vitesse de libération sous l’effet de la chaleur, mais cette perte pourrait être compensée plus tard.

À la surface, la température était étouffante, les cyclones continuels, et seules quelques équipes de géologues et d’agronomes sortirent pour évaluer les dégâts. Les plus importants avaient été causés par le grand dégel, les terrains imbibés d’eau ayant coulé le long des pentes, et les rocs ayant éclaté superficiellement sous l’influence des changements répétés de température. Depuis l’observatoire central de la Lune, on voyait la nova, flamboyant noyau d’une immense nébuleuse fluorescente, emplir tout un secteur du ciel. Puis le dernier stade fut atteint, le noyau perdit son éclat apparent, la grande majorité du rayonnement appartenant à l’ultra-violet. Seule resta visible l’enveloppe gazeuse, comme une écharpe effilochée et lumineuse.

L’éloignement se fit sentir. La température externe baissa de nouveau, la neige s’accumula, puis l’atmosphère retrouva son état liquide, et enfin solide. Lentement, très lentement, la nébuleuse décrût dans la distance. Alors commença le grand crépuscule.

Théoriquement, le conseil gouvernait toujours, pratiquement appuyé par Hélin, j’avais eu le dernier mot : sans l’avoir cherché, j’étais devenu le maître.

CHAPITRE IV LE VOYAGE

Le grand crépuscule. Il ne dura que quinze ans, et cependant il mérite bien ce nom.

Notre but, Etanor, l’étoile la plus proche au moment de notre départ, se trouvait à cinq années-lumière. Ce n’était pas celles que vous nommez Alpha Centauri, ni Proxima, mais une étoile de type G, à mouvement rapide, que vous devez déjà connaître aujourd’hui comme une de vos voisines, mais que je ne pourrais vous indiquer sans calculs qui n’ont au fond aucun intérêt. Nos hypertélescopes y avaient décelé l’existence d’au moins sept planètes.

Un soir est resté particulièrement présent à ma mémoire. J’étais avec Kelbic et Rhénia, à l’observatoire central. Rhénia était lasse, notre fils allait naître bientôt. Nous étions assis dans de confortables fauteuils, regardant l’écran panoramique. Sur un côté de la salle luisait la nébuleuse qui avait été le Soleil, mais que nous appelions déjà d’un nom technique, « Sol », diriez-vous, par exemple. De l’autre côté, dans une constellation en forme d’étoile à cinq branches, luisait un point plus lumineux que les autres : Etanor. Nous parlions de la fameuse « barrière » qui avait arrêté autrefois nos cosmos, et à laquelle nous allions nous heurter.

« J’ai refait les calculs une fois de plus, Haurk. Tout va bien. Tu comprends, depuis le coup de la constante de Koob, je me méfie.

— Alors, nous passerons ?

— Sans aucun doute, et sans nous en apercevoir, très probablement. Mais il faudra veiller à ce qu’aucun cosmo ne soit dans l’espace à ce moment. Tout ira bien, si les chiffres laissés par les ancêtres sont exacts.

— Ils le sont, je pense. D’ailleurs, j’ai l’intention d’envoyer un cosmo en avant-garde …

— À la vitesse à laquelle nous nous déplaçons maintenant, et comme les vieilles équations relativistes tiennent encore[2], l’avantage sera maigre ! Un cosmo ne gagnera guère sur nous que quelques jours.

— Oui, c’est sans doute inutile. Et comment vont les études sur l’astronef martien ?

— Mal, comme tu sais. Ou peut-être comme tu ne le sais pas. Tes fonctions de maître suprême ne te laissent plus de temps pour la recherche ! »

J’étais maître suprême en effet, depuis plusieurs années. Sur moi reposait toute la responsabilité de considérer les deux planètes dans un état habitable. L’astronef martien … Il valait mieux que Klobor fût mort sur Mars. Il eût été trop déçu. Peut-être avait-il oublié un détail qui, pour son esprit d’archéologue, n’avait pas d’importance ? Nous n’arrivions pas à reconstruire le moteur, malgré l’optimisme du début. Il s’agissait là d’un modèle hyperspatial peu différent de celui que nos ancêtres avaient utilisé pour leurs essais infructueux. Il y avait aussi dans l’engin martien un cosmomagnétique normal. Et pourtant, les documents trouvés dans la ville morte étaient formels : les martiens, race humanoïde d’aspect, étaient allés jusqu’aux étoiles, et en étaient revenus ! Et plusieurs fois. Il y avait bien ce circuit spécial, que nos meilleurs chercheurs, y compris Kelbic, n’arrivaient pas à débrouiller. Il agissait sur le temps plutôt que sur l’espace.

« Mais, Haurk, intervint doucement Rhénia, si les Martiens sont allés autrefois dans d’autres systèmes, peut-être y sont-ils toujours ? Et mes ancêtres, ceux dont les astronefs ne sont pas rentrés ? »

Je souris.

« Je sais, Rhénia. Et c’est pour cette possibilité, entre autres, que j’ai mis plusieurs équipes sur le problème des armes … »

Nous restâmes un moment silencieux. Dans le cadre de l’écran, les étoiles luisaient calmement, semblant nous attendre. Si lointaines … La mélancolie me saisit. Toutes ces années, sans la douce lumière d’un soleil ! L’homme serait-il donc toujours condamné à ne parcourir qu’un tout petit coin de ciel ? Cinq années-lumière ! Et l’univers en mesurait plusieurs milliards !

Kelbic dut suivre le cours de ma pensée.

« Nous finirons bien par retrouver le secret des Martiens ! Peut-être pas de notre vivant, mais qu’importe ! Nous avons transporté notre planète. Ce n’est pas si mal, crois-moi.

— Des armes ? dit Rhénia, comme sortant d’un rêve. Crois-tu vraiment que nous aurons à les employer ?

— Je l’ignore. J’espère que non. Mais si, dans le système solaire où nous allons nous introduire existe une espèce intelligente, et qui possède des astronefs, j’ai peur que sa réaction ne soit pas pacifique. Je souhaiterais que le système d’Etanor fût sans vie !

— Et si c’était là le monde des Drums ? Elle frissonna.

— Nous sommes mieux armés que nos ancêtres. Et nous avons la puissance de deux planètes, dit Kelbic.

— Contre combien ? Dis-je. Mais je ne crois pas que nous ayons à nous inquiéter de cette éventualités. Le rythme de l’arrivée des Drums semble montrer qu’ils venaient de bien plus loin, à une vitesse inférieure à celle de la lumière. Une vague tous les soixante ans !..

— Qui sait quels monstres recèlent ces mondes, reprit Rhénia.

— Bah, nous le verrons bien ! »

Et ainsi nous devisions, faisant des plans, sans nous douter que nous rencontrerions aussi des ennemis humains !

* * *
* * *

Le temps vint où nous franchîmes la « barrière ». J’avais renoncé en envoyer un cosmo en avant-garde. Les rapports des différents équipages qui avaient tenté, il y a longtemps, le grand voyage sans succès étaient concordants, jusqu’aux décimales ! D’abord le ralentissement, puis l’arrêt, l’impossibilité d’aller plus loin, quelle que fût la dépense d’énergie. Des robots radioguidés nous avertirent quand nous nous en approchâmes. Et ce fut l’instant d’anxiété, à cause de la Lune !

Théoriquement, la masse de notre satellite, augmentée légèrement ; par la vitesse, était suffisante pour franchir la barrière. Pratiquement, nous n’en savions rien. Il fallait donc éviter d’entrer dans la « barrière » avec la Lune en avant, car le résultat eût pu être un carambolage cosmique. Ces derniers mois, Kelbic avait travaillé sur une possibilité théorique de franchir la barrière par résonance, mais il avait abouti à des équations dont nous ne comprenions pas le sens physique, et qui ne nous étaient, pour le moment, d’aucun secours. Nous ne savions pas exactement où commençait la zone dangereuse pour les masses planétaires, aussi toutes les équipes d’astronomes surveillaient la Lune, prêtes à noter le moindre changement dans son orbite.

Vint le moment où nos robots s’arrêtèrent, incapables d’aller plus loin. Nous devions nous-mêmes passer la zone de la barrière dans quelques heures, avec la Lune derrière nous. Tout danger était donc écarté de ce côté. Par prudence, les personnes habitant notre satellite furent repliées sur la Terre. Ayant laissé le conseil dans la salle de contrôle, j’étais seul avec Kelbic dans mon laboratoire. Rhénia, restée à la maison avec Arel, notre fils nouveau-né, nous rejoignit quelques instants avant le moment critique.

Ce passage fut finalement la chose la moins impressionnante du monde. Seul le fait que les cosmos, quelques heures plus tard, purent à nouveau s’élancer librement nous indiqua que tout était fini. Il n’y eut aucun changement dans la gravitation, le magnétisme, ou la vitesse de la lumière. Rien. Et la Lune passa avec nous, sans perturbation notable.

J’en fus heureux. Indépendamment du matériel de grande valeur qu’elle renfermait dans ses laboratoires, j’ai toujours aimé les nuits de Lune, et j’aurais été désolé d’abandonner la compagne fidèle de la Terre.

Nous avions donc accompli à peu près la moitié du voyage, en quelque cinq ans. Le problème de la barrière heureusement résolu, plus rien d’intéressant ne nous attendait pour quatre ans encore. Et ce furent les années les plus pénibles. Nous ne sortions guère à la surface, morne désolation de glace, sous le ciel noir piqué d’étoiles. À l’intérieur des cités, la vie était monotone. Le moral restait pourtant assez élevé chez les tekns, poursuivant à nouveau leurs recherches personnelles ; plus bas, chez les trills. Sur les deux groupes pesait le souvenir de la révolte destiniste, et de la terrible répression qui avait été nécessaire. Le manque de soleil, le confinement dans les parcs trop connus étouffaient la joie. Les promenades à la surface étaient pires, et seules quelques équipes de jeunes gens aventureux trouvaient plaisir à escalader les montagnes couvertes d’air gelé.

Très lentement, l’étoile qui était notre but grossissait. Elle possédait maintenant un disque visible dans les télescopes. Les planètes, elles, n’étaient encore décelables qu’à l’hypertélescope, ce qui ne nous apprenait rien de nouveau à leur sujet, car dans les hypertélescopes tout objet céleste, étoile ou planète, apparaît comme un point. Quand nous arrivâmes enfin à une demi-année-lumière d’Etanor, nous commençâmes la décélération. Et quelques mois plus tard, alors, que notre vitesse était déjà très réduite, je pris la tête de l’expédition de reconnaissance.

Nous devions prendre un des grands cosmos de combat qui avaient été construits à toutes fins utiles, en grand nombre. Son nom était Klingan, ce qui en français signifie La Terreur. Comme vous le voyez, nous n’avions pas renoncé à donner à nos machines de guerre des noms ambitieux ! Il mesurait un peu plus de cent mètres de long, pour un diamètre maximum de vingt-cinq mètres, et renfermait tout ce que notre science, habituellement pacifique, avait pu reconstituer d’armes à demi oubliées, plus quelques autres, toutes nouvelles. Je décidai de participer à l’expédition pour être à même de juger si ce système solaire convenait ou non, et si l’on devait, sans décélérer complètement, diriger notre course vers une autre étoile. Évidemment, Kelbic voulut m’accompagner, et bien qu’il eût peut-être été plus sage qu’un de nous restât sur la Terre, j’acceptai. Mon rôle de direction m’avait coupé de mes semblables, sauf en de rares exceptions, et du moment que Rhénia ne pouvait venir, j’étais heureux d’avoir avec moi quelqu’un en qui je pusse me confier.

L’équipage comptait une cinquantaine d’hommes, sous le commandement d’un Vénusien, Tiril ; douze hommes auraient largement suffi pour la manœuvre ; les autres formaient les groupes de combat que j’espérais ne pas avoir à employer.

Nous partîmes un matin — la lumière d’Etanor était déjà assez forte pour donner à nouveau un sens à ce mot — et Rhénia m’accompagna jusqu’au sas d’entrée, puis s’éloigna, petite silhouette engoncée dans son spatiandre, sur la piste couverte d’air gelé. Je m’installais avec Kelbic et Tiril au poste de commandement, et le Klinganfonça vers le ciel, accélérant à plein.

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