Michel Demuth: Julian May ou la libération de la fan

Que l’on me pardonne ce lamentable calembour, mais l’auteur le mérite, tant Julian May se plaît à évoquer toutes les conventions de science-fiction qui ont marqué sa vie depuis sa naissance, le 10 juillet 1931 à Chicago, son mariage avec l’anthologiste-spécialiste Tom Dikty et, enfin, son grand retour au genre et son entrée dans le roman avec la Saga du Pliocène.

Dans une interview récente, elle avoue que sa première nouvelle fut Dune Roller, publiée en 1951 dans Astounding et reprise ensuite dans de nombreuses anthologies, traduite en France sous le titre Le galet des dunes, dans Histoires qui font mouche de la série « Hitchcock »… Suivie de trente années de silence.

Du moins dans le genre qui nous occupe. Car Julian May utilisa une bonne dizaine de pseudonymes pour écrire des milliers d’articles scientifiques pour une énorme encyclopédie éditée à Chicago, ce qui lui fournit l’occasion d’enrichir considérablement ses connaissances en sciences naturelles : botanique, zoologie, ichtyologie…

A partir de là, elle entre dans le domaine du « juvenile », du petit roman écrit sur commande pour les adolescents. Elle aborde tous les genres : sport, biographie, histoire naturelle…

Son intérêt pour le passé de la Terre s’accroît encore.

Pour le contact avec la Terre également. Elle aime les randonnées, le camping, la descente des torrents en canoë. Bref, tout ce qui attend ses héros dans le Pliocène…

Mais elle reste une fan. Une vraie, une de celles qui, dans les conventions américaines, participent aux défilés de costumes, aux soirées de Forrest Ackerman, aux diatribes d’Harlan Ellison.

Elle se définit comme une romantique et ne cache pas sa sympathie pour la science-fiction des années 40-50. A quoi bon le dire d’ailleurs : tout est dans sa Saga. Qu’elle pense que nous allons vers un retour à cette forme de fantasy et de S.F., nous ne pouvons qu’être d’accord avec elle.

Mais ce qui fait le phénomène Julian May, c’est le succès. Débordant largement du champ S.F., la Saga du Pliocène figure depuis deux ans dans la liste des best-sellers. Le Pays Multicolore a été nominé pour le Prix Hugo et le Nebula, couronné par le Locus. Avec la parution du second et du troisième volume, les ventes ont encore augmenté et les critiques de la presse non-spécialisée se sont penchés sur « le cas Julian May ».

Pour conclure que l’aventure était de retour, que cela traduisait une certaine soif des lecteurs pour le dépaysement et le merveilleux après quelques années de sophistication et d’intellectualisation, de sombres dystopies nucléaires, politiques, génétiques.

Julian May est une optimiste visionnaire qui écrit vite des paysages et des êtres dont nous avons certainement besoin. Le monde a changé de rythme. Les Fugs, vin groupe californien légendaire des sixties, chantaient : « Quand le ton de la musique change, les murs de la cité tremblent. »

Le ton a changé. Les couleurs se font plus vives. Les personnages plus forts et plus nombreux. Des héros reviennent de l’horizon. Et les panoramas se font immenses.

La Saga du Pliocène, telle que nous la publions, ne comptera pas moins de huit volumes. Mais Julian May, qui a indéniablement le sens de la démesure, entend la faire suivre d’une énorme trilogie qui nous ramènera au Milieu Galactique, achevant une trajectoire de huit millions d’années…


Michel Demuth.

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