En lisant Julian May, je me suis retrouvé dans le muséum d’histoire naturelle de Lyon qui, entre 49 et 54, de l’enfance à l’adolescence, a été mon palais de l’aventure, plein de portes du temps. Au centre de la grande salle, un squelette de mammouth se dressait en vedette, entre un élan et un narval. La principale porte du temps, celle qui s’ouvrait sur le plus lointain passé, se trouvait très exactement entre ses deux pattes avant. Pour la franchir, il fallait du courage. En s’avançant très doucement, on se retrouvait sous les deux grands arcs blancs des défenses. Là-haut, dans la clarté de la verrière, la tête du monstre d’os semblait minuscule.
En fermant tes yeux, on partait vers Tailleurs. Quelques centaines de milliers d’années dans le passé. Il faisait froid durant un bref instant et un vent furibond traversait la salle. Mais la salle n’existait plus. Alentour, il y avait des rochers sombres, d’immenses frondes de fougères et des racines couvertes de mousse. Et là-haut, sous un ciel gris et noir, entre deux gerbes de pluie, une masse noire et poilue, deux yeux minuscules et deux sabres luisants qui, lentement, basculaient vers le sol. Vers moi.
Alors, c’était l’instant du retour. On sortait du quaternaire comme d’une piscine, un peu haletant, en claquant des dents.
Rosny Ainé, Mayne Reid et Curwood m’aidaient beaucoup, en ce temps-là. Je crois qu’à La guerre du feu, je préférais Helgvor du Fleuve Bleu, peut-être plus fouillé dans le réalisme, mais en même temps lyrique et parfois follement inexact.
Par quel drôle de hasard Julian May a-t-elle choisi la région lyonnaise comme point de départ de sa Saga ? Et plus précisément certain point des Monts du Lyonnais proche du Col de la Luère où je fis, avant d’être éclairé par la foi S.F. et possédé par le rock, quelques séjours de Louveteau ?…
Pourquoi certains de ses personnages traversent-ils nuitamment la ville de Lyon en suivant le cours Lafayette où je suis né ?
Afin de conjurer tout cela, j’ai pris la grave et dangereuse décision de traduire Le Pays Multicolore, puis les Conquérants du Pliocène.
C’est en 1952, en ouvrant un placard dans un appartement où ma famille venait de s’installer, que je reçus entre les mains un livre tombé du rayon le plus haut : Le Conquérant de la Planète Mars, par Edgar Rice Burroughs. Le futur venait de me capturer par un habile coup de commando. Le point nodal était atteint.
Je pénétrais dans la science-fiction par une petite porte marquée fantasy. Fantasy ou science-fiction ? Voilà bien la querelle qu’il fallait pour raviver l’imaginaire. A dire vrai, je ne sais pas qui est quoi. Je ne sais pas ou je ne sais plus, comme disent les mauvais dialoguistes.
Tout ce que je sais, c’est que Julian May, après trente ans de voyages dans ces univers de science et de féerie que je ne renierai jamais, m’a fait retrouver l’aventure. Et m’a projeté beaucoup plus loin que ne le faisait cette porte entre les pattes de mon mammouth. Qu’elle me pardonne si j’écris que je retrouve à la fois Rosny et Philip José Farmer, Michel Zévaco et Max-André Dazergues, London et Jack Vance dans cet Exil au bout du Temps.
Car nous sommes ici en plein roman populaire, mais oui, mais oui. Avec une belle galerie de personnages au relief marqué, des extra-terrestres redoutables ou envoûtants, des héros éperdus et des traîtres rachetés, des femmes romantiques et des voleurs sympathiques.
De Till Eulenspiegel à Don Quichotte, du Hollandais Volant à Eric le Rouge, de Guenièvre à Fausta et Pardaillan…
Des archétypes, selon l’auteur qui avoue avoir suivi un itinéraire partant de la mythologie celte pour rejoindre Jung.
Bryan Grenfell le sociologue, Aiken Drum le voyou révolté, Sœur Roccaro la nonne, Elizabeth Orme la télépathe, Felice Landry la jouteuse-tueuse, Claude Majewski le romantique endeuillé, Stein Oleson le Viking, Voorhees le spationaute renégat, tous ont des raisons précises et pressantes de quitter le Milieu Galactique du XXIe siècle.
Après la Grande Intervention, qui a vu les races évoluées du cosmos débarquer sur Terre pour prendre en main le destin de l’humanité, l’Histoire a basculé. Les Lylmik, les Krondaku, les Simbiari, les Gi et les Poltroyens ont ouvert une multitude de nouveaux mondes aux hommes, dans la paix et l’harmonie.
Le Milieu Galactique de Julian May, c’est le prolongement logique des Rencontres du Troisième Type. Les humains, ayant passé leur examen, entrent dans la société stellaire.
Quoi de plus classique comme cadre ? Quoi de plus riche aussi ?
J’avoue qu’après quelques pages, je me suis demandé pourquoi diable Julian May allait lancer ses personnages à huit millions d’années dans le passé plutôt que de les promener entre tous ces mondes à peine entrevus mais chatoyants et fascinants. Et quelle était cette Révolution Métapsychique à laquelle elle faisait allusion ? Qui sont Jack le Désincarné et le Masque de Diamant ?
Mais il y a la Porte du Temps. Un certain Théo Guderian l’a plus ou moins créée, ou construite, en 2034, en effectuant des recherches sur les champs ondulatoires. Elle ouvre à sens unique sur la dernière période du cénozoïque, à quelque huit millions d’années dans le passé. Quiconque la franchit se retrouve au matin de la Terre. Non, pas au matin. Il s’agit bien plutôt d’un été indien qui aurait duré cinq millions d’années. Un moment heureux entre le miocène et le début du quaternaire et les glaciations du pleistocène. Un âge de chaleur et de végétation luxuriante, un monde foisonnant de vie et de beautés. Le Pays Multicolore. Ouvert à ceux qui, justement, refusent l’harmonieuse pacification, les ultimes enragés, dérangés, révoltés ou rejetés. Ces satanés rêveurs violents pour qui la science-fiction a toujours eu la plus grande tendresse.
Alors, adieu le Milieu Galactique et ses planètes colonisées, fertilisées, typées, enjolivées.
Par un petit matin de France, vous allez vous retrouver avec quelques autres aventuriers intrépides et franchir la Porte du Temps vers l’Exil lumineux du Pliocène. En dehors de tout ce que vous a appris la science, vous ignorez ce que vous allez trouver de l’autre côté. Vous serez chasseur ou constructeur, tanneur ou charpentier, pêcheur ou mercenaire, vous voyagerez en ballon ou en pirogue, vous traquerez l’amphycion ou le machairodus, vous escaladerez les volcans d’Auvergne ou vous descendrez le proto-Rhin à partir du Lac de Bresse… Vous aurez la Terre entière et cinq millions d’années devant vous.
Michel Demuth.