Chapitre 3 La voix avait raison

Le lendemain, à neuf heures du matin, Nic Deck et le docteur Patak préparent leur départ. Nic veut monter le col [35] deVulkan et arriver au château par le chemin le plus court.

Les villageois ont peur: une voix mvstérieuse a menacé Nic Deck et, pourtant, il veut aller au château. Ses amis veulent le faire changer d’avis. Sa fiancée, Miriota, le supplie [36] de rester. Mais quand Nic décide quelque chose, il le fait. Même s’il doit mourir. Lorsque l’heure du départ arrive, Nic serre Miriota contre lui.

Et le docteur? Eh bien lui, il essave de ne pas partir…

— Vous avez promis de venir avec moi, lui dit Nic. J’y vais, donc vous y allez aussi.

Koltz, Hermod, Frik et Jonas accompagnent les deux hommes jusqu’au tournant de la grande route. Là, Koltz observe le château à travers sa lunette (il l’a toujours avec lui maintenant). Il n’y a plus de fumée. Les êtres naturels ou surnaturels sont-ils partis? Il y a une seule façon de répondre à cette question: aller au château!

On se serre les mains puis Nic et Patak partent vers le col. Nic porte ses habits de forestier: casquette, veste, ceinture, pantalon large. Il est armé d'un couteau et d'un fusil. C’est utile pour se défendre contre les revenants, les voleurs ou les ours.

Le docteur a un vieux pistolet (qui rate trois coups sur cinq) et une petite hache. Il porte un grand chapeau, une épaisse cape [37] de voyage et des bottes en fer. Son habit est lourd, mais il pourra quand même courir s’il y a un danger… Chacun a à boire et à manger dans son sac.

Nic et Patak suivent tout d'abord le Nyad. Mais le chemin devient vite trop difficile et ils tournent sur la gauche. Ils rejoignent ainsi le chemin connu à l'époque du comte Rodolphe de Gortz. Mais les plantes ont poussé depuis et il est très difficile de trouver un passage. Nic s'arrête et essaye de s’orienter [38]. D'où ils sont, il ne voit pas le château.

— Il n'y a plus de chemin, dit Patak.

— Il y en aura un.

— Tu veux toujours y aller?

Le forestier répond par un signe et entre dans la forêt. Le docteur hésite, mais Nic le regarde durement, alors il le suit. Le docteur espère que Nic va se perdre [39]. Mais le forestier a un instinct [40] professionnel et «animal»: il se dirige grâce aux signes de la nature.

Les arbres autour d’eux sont magnifiques. Mais leurs troncs sont gros et leur feuillage est épais. Les deux hommes essayent de passer sous les branches. Mais il y a des orties et des ronces. Ces plantes ne font pas peur â Nic et il ouvre le chemin à l'aide de sa hache.

Le docteur, lui, a peur des bruits de la forêt et des branches qui accrochent sa veste. Mais il n'ose pas revenir tout seul en arrière et essave de suivre Nic. Le forestier avance vite, car ils ne doivent pas perdre de temps. Il veut arriver au château dans l’après-midi, le visiter et revenir au village avant la nuit. Nic avance facilement. Mais le docteur tombe souvent à cause de son gros ventre et de ses jambes courtes.


— Je vais me casser quelque chose, dit le docteur.

— Eh bien, vous le soignerez.

— Sois raisonnable, c’est impossible de continuer.

Mais Nic avance toujours.

A trois heures de l'après-midi, ils arrivent à la lisière [41] de la forêt. La, une forêt avec des arbres d’altitude commence. Nic aperçoit le Nyad au milieu des roches, ils marchent donc dans la bonne direction. Mais ils ont faim et leurs jambes ont besoin de repos, ils s’arrêtent donc au bord de la rivière.

— Nous nous arrêtons ici pour reprendre des forces, dit Patak.

— C est exact.

— Et ensuite nous repartons vers Werst.

— Non, nous allons au château.

— Nous marchons depuis six heures et nous sommes à mi-chemin. Il fera nuit à notre arrivée. Il faudra attendre le jour pour y entrer.

— Nous l’attendrons.

— Tu ne veux pas retourner au village?

— Non.

— Nous aurons besoin d'un bon lit dans une bonne chambre ce soir.

— Nous dormirons dehors ou bien dans les appartements du donjon.

— Hein? Je ne dormirai jamais dans ce château.

— Vous resterez alors dehors tout seul.

— Seul? Ce n'est pas prévu! Nous devons toujours rester ensemble.

— Vous devez surtout toujours me suivre.

— Le jour, oui, mais pas la nuit.

— Dans ce cas, vous pouvez partir, mais attention de ne pas vous perdre.

L'idée fait peur au docteur.

— Le Nyad est notre guide maintenant, dit Nic Deck. Suivons-le et dans deux heures nous serons au château. Allons-y! Vous êtes prêt?

— Déjà? Nous nous reposons depuis quelques minutes seulement. Mes jambes et mes pieds me font mal.

Nic se lève:

— Ça suffît maintenant. Vous pouvez me quitter, bon voyage.

— Mais il est tard. Pourquoi ne pas passer la nuit ici et repartir demain?

— Je veux dormir dans le château.

— Non! Je t'en empêcherai… Je m'accrocherai à toi… Je te donnerai des coups…

Le docteur ne sait plus ce qu'il dit. Nic fait quelques pas vers le Nyad.

— Attendez, attendez, lui dit Patak. Encore un instant. Oh, mes jambes…

Mais le docteur doit se dépêcher, car Nic ne l’attend pas. Le forestier a raison de se dépêcher: il est déjà quatre heures et la nuit tombe vite dans une forêt.

Cette deuxième forêt est encore plus difficile à franchir. Il faut escalader de nombreux rochers. Nic doit souvent aider le docteur. Seul, il peut la traverser en une demi-heure, mais à deux, ils ont besoin de trois heures. Puis les arbres deviennent plus rares et le torrent devient un petit ruisseau. Nic et Patak atteignent enfin le plateau d’Orgall après un dernier effort. Le docteur tombe sur le sol comme un bœuf sous les coups du boucher. Nic, lui, ne ressent pas la fatigue. Il regarde le château, debout et immobile[42]. Il voit de près le fossé, l’enceinte et le pont-levis pour la première fois. Tout est silencieux et le château semble abandonné. Mais il va bientôt faire nuit et c'est impossible de trouver une entrée dans le noir. Nic décide donc de passer la nuit à l’extérieur du château. Il est déçu, mais le docteur, lui, est rassuré.

Les deux hommes s’installent sur une large roche plate pour se protéger du vent et du froid. Ces roches sont cornantes dans la région. Elles servent de banc aux voyageurs et un vase avec de l’eau fraîche leur permet de boire. Quand le baron Rodolphe de Gortz habitait le château, ses serviteurs changeaient l'eau tous les jours. Aujourd’hui, le vase est plein d’herbe verte.

À l’extrémité du banc, il y a une vieille croix en pierre. Une croix ne protège pas des êtres surnaturels, pense le docteur. Mais à cet instant, il croit presque au diable et l’imagine dans le château. Il a peur de passer la nuit ici, car le diable peut sortir du château et leur tordre le cou. Une pensée lui vient soudain: nous sommes mardi soir, le jour des maléfices[43]. Ce jour-là, les habitants de la région ne sortent pas après le coucher du soleil, car les êtres surnaturels se promènent dans la campagne. Et pourtant, Nic et lui sont dehors et loin de chez eux!

Nic sort de son sac un morceau de viande froide et boit de l’eau. Le docteur fait comme lui. Cela calme sa faim mais pas sa peur.

— Dormons maintenant, dit Nic. Bonne nuit.

— Dormir? C’est facile de souhaiter une bonne nuit. Mais elle va mal finir…

Nic ne veut plus discuter et s'endort rapidement. Le docteur ne trouve pas le sommeil. Il imagine des formes dans la nuit et écoute les bruits de la campagne. Il croit voir des rochers bouger. Peuvent-ils leur tomber dessus? Il entend des oiseaux passer au-dessus d’eux. Il a peur.

Minuit. C’est l’heure la plus terrible, l’heure des apparitions.

Le docteur se lève. Que se passe-t-il? Dort-il ou bien est-il dans un cauchemar [44]? Il croit voir, là-haut… non! Il voit vraiment des formes étranges éclairées par une lumière. Elles montent et descendent vers les nuages. Ce sont des dragons à queues de serpent et des vampires énormes. Ils tombent sur eux pour les attraper. Maintenant, les roches, les arbres, toute la nature bouge. Puis, la cloche du château sonne le tocsin [45].

Le son de la cloche réveille Nic.

— Le Chort sonne la cloche! dit Patak.

Soudain, ils entendent des cris d animaux et une lumière forte apparaît sur le donjon. Quelle machine peut produire une telle lumière? Quelle force peut créer une lumière si blanche?

— Nic, regarde-moi, suis-je un cadavre[46] comme toi?

En effet, leurs yeux, leurs joues, leurs cheveux… leur visage entier ressemble à celui d’un mort. Que se passe-t-il?


Le phénomène dure une minute, puis la lumière s’éteint et les cris s’arrêtent. Le plateau d Orgall redevient sombre et silencieux. Les deux hommes ne peuvent plus dormir. Le docteur reste immobile. Nic est debout et attend l’aube. Doit-il renoncer à entrer dans le château? Le docteur veut l’entraîner au loin. Mais il refuse.

Quand le jour arrive, Nic observe le château avec attention. Le pont-levis [47] est levé et ferme la poterne [48]. Mais Nic veut toujours entrer dans le château. Le docteur ne peut plus réagir ou penser. Il est incapable de répondre quand le forestier dit:

— Allons-y!

Par ou peuvent-ils entrer? Les murs sont en très bon état et Nic ne voit pas de passage. Puis, il aperçoit une ouverture au-dessus de la poterne. II peut l'atteindre grâce aux chaînes du pont-levis. Nic entraîne le docteur au fond du fossé[49]. Le docteur le suit comme une bête qu'on tire avec une corde. Nic lui dit de rester là sans bouger, puis il grimpe facilement le long de la chaîne grâce à ses muscles de montagnard. Tout à coup, le docteur s’écrie:

— Arrête, Nic. Reviens ou je m'en vais.

— Va-t’en!

Le docteur veut sortir du fossé, mais ses pieds ne peuvent plus bouger. Que se passe-t-il? Il n’a plus la force de crier et tend les mains comme pour échapper à un animal monstrueux.

Au même moment, Nic arrive à la hauteur de la poterne. Il pose la main sur un morceau de fer placé dans le mur et… il crie de douleur! Qu’est-ce qui le frappe ainsi? Il réussit à glisser le long de la chaine et tombe au fond du fossé.

— La voix avait raison, murmure-t-il: il m’arrive bien un malheur.

Puis, il perd connaissance.

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