12

Callista s’éveilla mais n’ouvrit pas les yeux, jouissant de la sensation du soleil sur ses paupières. Dans son sommeil, elle avait senti la tempête s’apaiser, la neige cesser, les nuages disparaître. Ce matin, le soleil brillait. Elle s’étira, heureuse de ne plus éprouver aucune douleur. Elle était encore très faible, épuisée. Après sa terrible épreuve, elle avait l’impression d’avoir dormi deux ou trois jours d’affilée, puis elle avait encore gardé le lit quelques jours, pour recouvrer ses forces, bien qu’elle se sentît beaucoup mieux. Il lui fallait d’abord retrouver sa santé, qui, jusque-là, avait toujours été excellente, et cela prendrait du temps.

Et quand elle serait complètement rétablie, que ferait-elle ? Elle écarta vivement cette idée. Si elle commençait à ressasser ses problèmes, elle ne trouverait jamais la paix.

Elle était seule dans la chambre. C’était un luxe. Elle avait passé tant d’années dans la solitude qu’elle en était venue à l’aimer autant qu’elle l’avait redoutée pendant ses dures années d’apprentissage. Et pendant sa maladie, elle n’avait jamais été seule un instant. Elle savait pourquoi – elle aurait ordonné le même traitement, sans hésitation, pour toute personne souffrant des mêmes maux qu’elle – et elle leur était reconnaissante de leurs soins attentifs et de leur amour sans partage. Mais maintenant, il lui semblait bon de se trouver seule au réveil.

Elle ouvrit les yeux et s’assit sur son lit. Celui d’Andrew était vide. Elle se rappela vaguement l’avoir entendu remuer, s’habiller, sortir. Maintenant que la tempête avait cessé, le travail ne devait pas manquer sur le domaine. Dans la maison non plus. Ellemir n’avait pas quitté son chevet pendant des jours, négligeant ses devoirs d’intendante.

Callista décida de descendre ce matin.

Hier soir, Andrew était de nouveau allé retrouver Ellemir. Elle ne l’avait perçu que vaguement, l’ancienne discipline télépathique l’obligeant à la discrétion. Il était revenu, passé minuit, tout doucement, sans faire de bruit pour ne pas la réveiller, et elle avait fait semblant de dormir.

Je suis idiote et méchante, se dit-elle. J’ai désiré cela, j’en suis sincèrement contente, et pourtant je n’ai pas pu le lui dire. Mais cette pensée ne menait nulle part non plus. La seule chose qu’elle pouvait faire, c’était de vivre au jour le jour du mieux possible, de recouvrer la santé, confiante en la promesse de Damon. Andrew l’aimait et la désirait toujours, quoique, se dit-elle avec un détachement clinique dont elle ignorait que c’était de l’amertume, quoiqu’elle ne comprît pas pourquoi. Mais là aussi, pourquoi s’attarder sur quelque chose qu’ils ne pouvaient pas encore partager ? Résolument, elle se leva et alla prendre un bain.

Elle enfila une jupe de laine bleue et une tunique blanche tricotée dont elle pouvait enrouler le long col autour d’elle comme un châle. Pour la première fois depuis bien longtemps, elle avait faim. En bas, les servantes avaient desservi la table du repas matinal. On avait roulé le fauteuil de son père près de la fenêtre, et il regardait la cour, où un groupe de serviteurs, chaudement habillés, déblayaient la neige. S’approchant de lui, elle l’embrassa sur le front.

— Comment te sens-tu, ma fille ?

— Beaucoup mieux.

Il lui fit signe de s’asseoir près de lui, scrutant son visage en plissant les yeux.

— Par les enfers de Zandru, tu as maigri, mon enfant. On dirait que le loup d’Alar t’a grignotée ! De quoi as-tu souffert ? Si ce n’est pas indiscret.

Elle n’avait aucune idée de ce qu’Andrew ou Damon lui avaient dit.

— Rien de grave. Des ennuis féminins.

— Pas de ça avec moi, dit son père avec brusquerie. Tu n’es pas une mauviette. Le mariage ne semble pas te réussir, ma fille.

Elle eut un mouvement de recul et vit qu’il s’en était aperçu. Il battit vivement en retraite.

— Eh bien, mon enfant, je sais depuis longtemps que les Tours ne relâchent pas facilement leur emprise sur ceux dont elles se sont emparées. Je me rappelle Damon, qui pendant plus d’un an a erré comme une âme en peine dans les enfers extérieurs.

Maladroitement, il lui tapota le bras.

— Je ne te poserai pas de questions, chiya. Mais si ton mari n’est pas gentil avec toi…

Elle posa vivement sa main sur la sienne.

— Non, non, cela n’a rien à voir avec Andrew, mon Père.

Il fronça les sourcils, l’air sceptique.

— Quand une mariée de quelques lunes a la mine que tu as, son mari est rarement irréprochable, dit-il.

Sous son regard inquisiteur, elle rougit, mais parla d’une voix ferme.

— Je te donne ma parole, Père, que nous ne nous sommes pas querellés, et qu’Andrew n’a rien à se reprocher.

C’était la vérité, mais pas la vérité totale. Impossible de la dire à quelqu’un n’appartenant pas à leur cercle, et elle n’était pas certaine de la connaître elle-même. Il sentit qu’elle éludait sa curiosité, mais il accepta la barrière qu’elle avait dressée entre eux.

— Eh bien, mon enfant, le monde continuera à tourner comme il veut, et non comme toi et moi le désirerions. As-tu déjeuné ?

— Non. J’ai attendu pour te tenir compagnie.

Il appela les servantes et leur ordonna d’apporter à manger, plus qu’elle n’aurait voulu, mais elle savait que sa pâleur et sa maigreur l’avaient choqué. En enfant docile, elle se força à aller un peu au-delà de sa faim. Il la regarder se restaurer, puis dit enfin, avec plus de douceur qu’à son habitude :

— Il y a des moments, mon enfant, où je pense que les filles Comyn qui vont dans les Tours prennent autant de risques que nos fils qui entrent dans les Gardes et défendent nos frontières… et c’est tout aussi inévitable, je suppose, que certaines d’entre vous soient blessées.

Que savait-il ? Que comprenait-il ? Il en avait dit autant qu’il pouvait en dire sans enfreindre l’un des tabous les plus puissants dans les familles de télépathes. Malgré son embarras, elle se sentit vaguement réconfortée. Il avait dû prendre sur lui pour en dire autant à sa fille.

Il lui passa un pot de miel qu’elle refusa en riant.

— Tu me voudrais grasse comme une volaille à rôtir ?

— Non, mais dodue comme une aiguille à broder, peut-être, ironisa-t-il.

L’observant, elle le vit amaigri lui aussi, les traits tirés, les yeux profondément enfoncés dans les orbites.

— Personne ne te tient compagnie, Père ?

— Ellemir s’affaire aux cuisines. Damon est allé au village voir les hommes qui ont eu les pieds gelés pendant la grande tempête, et Andrew est à la serre, en train d’inspecter les dommages causés par le gel. Pourquoi ne vas-tu pas le rejoindre, mon enfant ? Je suis sûr qu’il y a du travail pour deux.

— Et il est non moins certain que je ne serai d’aucune aide pour Ellemir à la cuisine, dit-elle en riant. Plus tard, peut-être. Avec le soleil, on va sans doute faire la grande lessive, et il faudra que je m’occupe du linge.

Il éclata de rire.

— C’est vrai, Ellemir a toujours dit qu’elle aimerait mieux patauger dans le fumier que de tenir une aiguille ! Mais plus tard, nous ferons peut-être un peu de musique. Quand j’étais jeune, je jouais du luth. Mes doigts pourraient peut-être retrouver leur agilité d’antan. J’ai si peu à faire, assis dans mon fauteuil toute la journée…

Les femmes et certains hommes avaient sorti les grandes bassines et faisaient la lessive dans les arrière-cuisines. Callista, constatant qu’elle y était inutile, s’esquiva au laboratoire dont elle avait fait son domaine. Rien n’était en l’état où elle l’avait laissé. Elle se rappela que Damon était venu y travailler pendant sa maladie, et, devant le désordre qu’il avait laissé, elle se mit à ranger. Elle devrait reconstituer ses stocks de remèdes les plus communs, mais, tandis que ses mains s’affairaient à doser les tisanes, elle réalisa qu’une tâche plus importante l’attendait : elle devait préparer du kirian.

Quittant la Tour, elle avait cru qu’elle n’aurait plus jamais à en faire ; Valdir était trop jeune, et Domenic trop vieux. Puis elle s’était rendue à l’évidence : aucune famille de télépathes ne pouvait s’en passer. C’était, et de loin, la drogue la plus difficile à préparer de toutes celles qu’elle avait appris à faire, requérant trois distillations séparées, pour enlever à chaque fois une résine différente. Elle remit tout en place et sortait juste son matériel de distillation quand Ferrika entra et s’immobilisa sur le seuil, stupéfaite de la trouver là.

— Pardonnez-moi de vous déranger, vai domna.

— Pas du tout, entre, Ferrika. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

— Une servante s’est ébouillanté la main en faisant la lessive. Je viens chercher un baume.

— Tiens, voilà, dit Callista, prenant un pot sur une étagère. Je peux faire quelque chose pour elle ?

— Non, Dame Callista, ce n’est pas grave, dit-elle en s’en allant.

— Elle revint peu après rapporter le bocal.

— La brûlure est grave ?

Ferrika secoua la tête.

— Non, elle n’a pas fait attention et s’est trompée de bassine, c’est tout. Mais je crois qu’on devrait toujours avoir quelque baume à la cuisine et à la buanderie. En cas de brûlures graves, c’est une grosse perte de temps de venir jusqu’ici.

Callista hocha la tête.

— Tu as raison. Remplis des petits pots et mets-les à la cuisine.

Ferrika se mit au travail à la petite table. Pendant ce temps, Callista ouvrait tous les tiroirs les uns après les autres, fronçant les sourcils, si bien que Ferrika lui demanda :

— Dame Callista, je peux vous aider ? S’il y a des choses que nous n’avons pas remises à leur place, le Seigneur Damon ou moi…

Callista fronça les sourcils en disant :

— En effet. Il y avait des fleurs de kireseth ici…

— Le Seigneur Damon s’en est servi pendant que vous étiez malade.

Callista hocha la tête au souvenir de la grossière teinture qu’elle avait bue.

— Je sais, mais à moins qu’il n’en ait gaspillé beaucoup, il y en avait plus qu’il n’en pouvait utiliser, dans un sac, au fond de ce placard, dit-elle, continuant à ouvrir portes et tiroirs. Tu t’en es servi, Ferrika ?

— Je n’y ai pas touché, dit-elle, remplissant des pots à l’aide d’une spatule en os.

— Tu sais faire du kirian ? demanda Callista, la regardant travailler.

— Je sais comment on le fait, Dame Callista. Quand j’étudiais à la Maison de la Guilde des Amazones d’Arilinn, chacune faisait un stage chez un apothicaire pour apprendre à faire les remèdes et les drogues. Nous n’en avions pas l’usage, à la Guilde, mais nous devions apprendre à le reconnaître. Vous savez que… que certains vendent les sous-produits de sa distillation ? Illégalement ?

— Je l’avais entendu dire, même à la Tour, dit Callista.

Les feuilles, les fleurs et les tiges du kireseth contenaient différentes résines. Dans les Montagnes de Kilghard, à certaines saisons, le pollen, dangereusement psychoactif, posait de sérieux problèmes. Le kirian, cette drogue télépathique qui supprimait les barrières mentales, n’en utilisait que la fraction non vénéneuse, et encore, avec de grandes précautions. L’utilisation du kireseth brut ou des autres résines était interdite par la loi à Thendara et Arilinn, et considérée comme criminelle partout dans les Domaines. Même le kirian était utilisé avec prudence, et considéré avec une crainte superstitieuse par les non-initiés.

Comptant et triant ses philtres, Callista repensa avec nostalgie aux lointaines plaines d’Arilinn, où elle avait vécu si longtemps. Sans doute qu’elle ne les reverrait jamais.

Elle pouvait y retourner, avait dit Léonie… Pour se distraire de cette pensée, elle demanda :

— Combien de temps as-tu vécu à Arilinn, Ferrika ?

— Trois ans, domna.

— Mais tu es pourtant originaire de notre domaine, non ? Je me rappelle que tu jouais avec moi, Dorian et Ellemir quand nous étions petites, et que nous prenions des leçons de danse ensemble.

— Oui, Dame Callista. Mais quand Dorian est partie pour se marier, et que vous êtes allée à la Tour, je n’ai pas voulu rester à la maison, comme une plante accrochée à son mur. Ma mère avait été sage-femme ici, vous le savez, et je pensais avoir les dons nécessaires pour ce travail. Il y avait une sage-femme sur le domaine de Syrtis, qui avait étudié à la Maison de la Guilde des Amazones d’Arilinn, où elles forment des guérisseuses et des sages-femmes. Grâce à ses soins, bien des femmes avaient survécu, que ma mère aurait abandonnées à la miséricorde d’Avarra – elles survivaient, et leurs enfants s’épanouissaient. Ma mère pensait que toutes ces nouveautés étaient des folies, et même des impiétés. Mais je suis quand même allé à la Maison de la Guilde de Neskaya, où j’ai prêté serment. Elles m’ont envoyée faire mes études à Arilinn. Puis j’ai demandé congé à ma marraine pour revenir travailler ici, et elle a accepté.

— Je ne savais pas qu’il y avait quelqu’un de mon village natal à Arilinn.

— Oh, je vous ai vue de temps en temps, Dame Callista, chevauchant avec l’autre vai leroni, dit Ferrika. Et une fois, la domna Lirielle est venue à la Maison de la Guilde pour nous aider. Il y avait une femme dont tous les organes internes étaient détruits pas une affreuse maladie, et notre Mère de la Guilde disait que rien ne pouvait la sauver, à part la neutralisation.

— Je croyais que c’était illégal, dit Callista, frissonnant.

— C’est illégal en effet, domna, sauf pour sauver une vie. De plus, c’est très dangereux, vu qu’il s’agit d’une opération chirurgicale. Beaucoup y succombent. Mais cela peut se faire par la matrice…

Elle s’interrompit, souriant d’un air penaud, puis reprit :

— Mais ce n’est pas moi qui vous l’apprendrai, à vous qui étiez Dame d’Arilinn et qui êtes versée en ces arts.

— Je n’ai jamais vu ça, dit Callista, avec un mouvement de recul.

— J’ai eu le privilège de voir opérer la leronis, dit Ferrika, et j’ai pensé que ce serait un grand bien pour nos femmes si cet art était plus répandu.

— La neutralisation ? dit Callista, frissonnant d’horreur.

— Pas seulement en elle-même, domna, mais pour sauver des vies. Cette femme a survécu. Sa féminité a été détruite, mais la maladie aussi. Et on pourrait faire tant d’autres choses. Vous n’étiez pas là quand le Seigneur Damon a soigné les pieds gelés des hommes après la tempête, mais moi j’ai vu avec quelle rapidité ils ont guéri – et je sais le temps que ça prend généralement quand je leur coupe un doigt ou un orteil pour prévenir la gangrène. Il y a aussi des femmes pour qui il est dangereux d’avoir des enfants, et il n’existe aucun moyen sûr de rendre de nouvelles grossesses impossibles. Je pense depuis longtemps qu’une neutralisation partielle serait la solution, si on pouvait y procéder sans recourir à la chirurgie. Quel dommage que l’art de travailler avec la matrice soit inconnu à l’extérieur des Tours.

Callista eut l’air atterrée à ces paroles, et Ferrika comprit qu’elle était allée trop loin. Rebouchant le pot de baume, elle dit :

— Avez-vous retrouvé le kireseth disparu, Dame Callista ? Vous devriez demander au Seigneur Damon s’il l’a mis ailleurs.

Elle remit le bocal sur l’étagère, et regarda les tisanes que Callista avait réparties en doses.

— Nous n’avons plus de racine de fruit noir quand celle-ci sera terminée, Dame Callista, dit-elle, montrant un bocal.

Callista regarda les racines noueuses et noires.

— Il faudra aller en acheter au marché de Neskaya quand les routes seront praticables. Elle vient des Villes Sèches. Mais nous n’en avons pas souvent besoin, n’est-ce pas ?

— J’en donne à votre père, domna, pour fortifier son cœur. Je peux la remplacer par du jonc rouge, mais, pour un usage quotidien, la racine est préférable.

— Alors, envoies-en chercher. Tu as l’autorité. Mais il a toujours été fort et vigoureux. Pourquoi lui faut-il des stimulants cardiaques, Ferrika ?

— C’est souvent le cas chez les hommes très actifs, domna, guerriers, cavaliers, athlètes, guides de montagne. Si une blessure les oblige à garder le lit pendant longtemps, souvent leur cœur s’affaiblit. Leur corps semble avoir développé un besoin d’activité, et quand elle leur est brusquement enlevée, ils tombent malades, et parfois, ils meurent. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est un fait.

Cela aussi, c’était sa faute, pensa Callista avec désespoir. C’est en combattant les hommes-chats qu’il avait perdu l’usage de ses membres. Et elle se désola, repensant à la tendresse que son père lui avait manifestée le matin même. Et s’il allait mourir, juste quand elle commençait à le connaître ! Dans la Tour elle était protégée contre le chagrin aussi bien que contre la joie. Maintenant, il lui semblait que le monde était plein de souffrances. Comment avait-elle eu le courage de quitter Arilinn ?

Ferrika la considérait avec sympathie, mais Callista avait trop peu d’expérience pour s’en apercevoir. On lui avait appris à ne compter que sur elle-même, et maintenant, elle était incapable de demander conseil et réconfort à quiconque. Au bout d’un moment, voyant Callista perdue dans ses pensées, Ferrika sortit discrètement, et Callista tenta de se remettre au travail, mais elle était si bouleversée que ses mains ne lui obéissaient plus. Finalement, elle rangea ses matériaux, nettoya ses appareils et sortit, refermant la porte derrière elle.

La lessive était terminée, et, profitant du rare soleil, les servantes et les hommes suspendaient le linge à des cordes tendues un peu partout dans la cour. Ils riaient et plaisantaient, pataugeant dans la boue et la neige fondue. La cour était pleine de vêtements mouillés battant au vent. Tous les serviteurs avaient l’air affairé et joyeux, mais Callista savait par expérience que, si elle se joignait à eux, leur belle humeur retomberait. Ils avaient l’habitude d’Ellemir, mais, pour les femmes du domaine – et encore plus pour les hommes – elle était encore étrangère, exotique, à la fois crainte et révérée en tant que dame Comyn qui avait été leronis à Arilinn. Seule Ferrika, qui l’avait connue enfant, était à l’aise avec elle. Elle était bien solitaire, réalisa-t-elle en regardant les servantes aller et venir, riant et plaisantant, les bras pleins de linge mouillé à étendre, ou de draps secs à ranger dans les armoires. Oui, elle était solitaire, elle n’avait sa place nulle part, ni à la Tour ni parmi eux.

Au bout d’un moment, elle se rendit dans les serres. Elles étaient chauffées en permanence, mais elle vit que certaines plantes près des vitres avaient été gelées, et que le poids de la neige avait cassé plusieurs panneaux de verre. On les avait remplacés par des planches, mais quelques arbustes fruitiers étaient morts. Andrew était à l’autre bout, montrant aux jardiniers comment tailler les vignes blessées, en épargnant les rameaux encore vivants.

Habituée au contact mental avec Andrew, elle le regardait rarement. Elle se demanda si Ellemir le trouvait beau ou laid. Cette idée la contraria hors de toute mesure. Elle savait qu’Andrew la trouvait belle. Cela l’étonnait toujours, car elle n’était pas vaniteuse et, à cause du tabou qui l’avait entourée toute sa vie d’adulte, peu habituée à l’attention des hommes. Mais puisque Ellemir était ravissante, se dit-elle, et qu’elle était elle-même si mince et pâle, il devait sans doute trouver Ellemir plus belle.

Andrew leva les yeux, lui sourit en lui faisant signe d’approcher. Elle le rejoignit, saluant poliment le jardinier de la tête.

— Tous ces arbustes sont morts ?

Il secoua la tête.

— Je ne crois pas. Les racines ont résisté, et ils devraient reprendre au printemps.

Il ajouta à l’adresse du jardinier :

— Marque les endroits où les plants sont coupés à ras de terre, pour ne rien replanter par-dessus.

Callista considéra les branches coupées.

— Il faudrait trier ces feuilles, et faire sécher celles qui ne sont pas gelées. Sinon, nous n’aurons pas d’herbes pour nos rôtis jusqu’au printemps !

Andrew transmit cet ordre.

— Heureusement que tu es venue. Je suis bon jardinier, mais absolument pas cuisinier, même sur ma planète.

— Je ne suis pas cuisinière non plus, dit-elle en riant, mais je m’y connais en épices.

Le jardinier se pencha pour ramasser les branches, et, derrière son dos, Andrew embrassa Callista sur le front. Elle dut se raidir pour ne pas s’esquiver, comme le lui commandaient une longue habitude et les réflexes acquis. Il s’en aperçut, et la regarda, surpris et peiné, puis, se rappelant le traitement de Damon, soupira et sourit.

— Je suis content de te voir si bonne mine, mon amour.

Elle dit en soupirant, indifférente à son baiser :

— J’ai l’impression d’être comme cet arbuste, morte jusqu’à la racine. Peut-être que je reprendrai aussi au printemps.

— Ne devrais-tu pas être couchée ? Damon a dit que tu devais te reposer aujourd’hui.

— Damon a la mauvaise habitude d’avoir raison, mais je me sens comme un champignon dans une cave, dit Callista. Il y a si longtemps que je n’ai pas vu le soleil !

Elle s’arrêta dans un coin de soleil, en savourant la chaleur sur son visage, tandis qu’Andrew avançait entre les rangées de légumes et d’herbes en pots.

— Je crois que toutes ces plantes sont saines, mais je ne connais pas celle-ci. Qu’en penses-tu, Callista ?

Elle s’approcha et s’agenouilla près de la plante pour en inspecter les racines.

— J’ai dit à papa il y a des années de ne pas planter des melons si près du mur. Il y a davantage de soleil, c’est vrai, mais en hiver, ils ne sont pas assez protégés du froid. Ce plant mourra avant que le fruit ne mûrisse, et si celui-ci survit, dit-elle en le montrant, le froid a déjà tué le fruit. Il faut l’enlever avant qu’il ne pourrisse ; l’écorce pourra quand même servir, confite dans du vinaigre.

Elle appela le jardinier pour lui donner des ordres.

— Il faudra demander d’autres semences à une ferme des basses terres. Peut-être que la tempête n’a pas sévi à Syrtis. Ils ont de bons arbres fruitiers, et ils pourront nous donner des melons, et des greffons de leurs vignes. Il faut porter ces fruits aux cuisines. On pourra en faire cuire une partie, sécher ou saler les autres.

Tandis que les hommes exécutaient ses ordres, Andrew glissa la main entre son bras et son flanc. Elle se raidit, puis rougit.

— Je suis désolée. Ce n’est que… qu’un réflexe, une habitude.

Retour à la case départ. Tous les réflexes physiques, si lentement émoussés depuis leur mariage, avaient repris leur force. Andrew se sentit découragé, impuissant. Il savait que cela avait été nécessaire pour lui sauver la vie, mais ce conditionnement revenu lui fit un choc.

— N’aie pas l’air si accablé, supplia Callista. Ça passera.

— Je sais, soupira-t-il. Léonie m’avait prévenu.

Il serra les dents, et Callista dit, nerveuse :

— Tu la hais, n’est-ce pas ?

— Elle non. Mais ce qu’elle t’a fait. Je ne peux pas le lui pardonner et ne le lui pardonnerai jamais.

Callista ressentit un curieux tremblement intérieur qu’elle n’arriva pas à contrôler. Elle dut faire un effort pour maîtriser sa voix.

— Sois juste, Andrew. Léonie ne m’a pas obligée à être Gardienne. J’ai choisi librement. Elle m’a simplement donné la possibilité de suivre plus facilement cette voie difficile entre toutes. Et c’est aussi librement que j’ai choisi d’endurer… la souffrance de la séparation. Pour toi, ajouta-t-elle en le regardant dans les yeux.

Andrew sentit qu’ils étaient dangereusement proches de se quereller. Une partie de lui-même désirait cette querelle, qui, comme un coup de tonnerre, aurait assaini l’atmosphère. Il pensa machinalement qu’il en serait ainsi avec Ellemir : courte et violente dispute, suivie d’une réconciliation qui les laisserait plus proches que jamais.

Mais il n’en serait jamais ainsi avec Callista. Elle avait appris, au prix de souffrances qu’il n’imaginerait jamais, à contrôler ses émotions, à les dissimuler derrière une barrière infranchissable. Il avait essayé de la franchir au péril de sa vie. De temps en temps, il parviendrait peut-être à la persuader d’abaisser ou d’écarter un peu ce mur, mais il serait toujours là, et il ne pouvait pas essayer de le détruire sans prendre le risque de détruire aussi Callista. Elle semblait dure et invulnérable en surface, mais il sentit que derrière cette façade, elle était plus vulnérable qu’il ne le saurait jamais.

— Je ne la blâme pas, ma chérie, mais elle aurait pu être plus explicite avec nous.

C’était assez juste, se dit Callista, repensant – comme à un mauvais rêve, comme à un cauchemar – aux reproches dont elle avait accablé Léonie dans le surmonde. Elle se sentit obligée d’ajouter :

— Léonie ne savait pas.

Alors pourquoi ? eut-il envie de hurler. C’était pourtant son rôle, non ? Mais il n’osa critiquer Léonie en sa présence.

— Qu’allons-nous devenir ? dit-il d’une voix tremblante. Continuer comme ça, alors que tu ne veux même pas me toucher la main.

— Ce n’est pas que je ne veux pas, dit Callista d’une voix étranglée. Je ne peux pas. Je croyais que Damon te l’avait expliqué.

— Et tout ce qu’il a pu faire, c’est encore empirer ton état !

— Il ne l’a pas empiré ! dit-elle, les yeux flamboyants. Il m’a sauvé la vie ! Sois juste, Andrew !

— J’en ai assez d’être juste, marmonna-t-il en baissant les yeux.

— J’ai l’impression que tu me hais quand tu parles comme ça !

— Jamais, Callie, dit-il, revenant à lui. Je me sens terriblement impuissant, c’est tout. Qu’allons-nous devenir ?

Elle dit, détournant les yeux :

— Ce ne doit pourtant plus être si difficile, avec Ellemir…

Sa voix se brisa. Andrew, submergé de tendresse, rechercha son contact mental, pour l’assurer, pour s’assurer lui-même que leur amour était encore là, et qu’il supporterait la séparation. Il lui vint à l’idée qu’à cause de leurs profondes différences culturelles, la télépathie elle-même n’était pas une garantie contre les malentendus. Mais ils étaient toujours aussi proches.

Ils devaient partir de là. Le reste viendrait avec le temps.

Il dit avec douceur :

— Tu as l’air fatigué, Callista. Il ne faut pas te surmener le premier jour. Laisse-moi te raccompagner.

Quand ils furent seuls dans leur chambre, il lui demanda doucement :

— Me reproches-tu mes rapports avec Ellemir, Callista ? Je croyais que c’était ce que tu voulais.

— Oui, balbutia-t-elle. Mais seulement… seulement pour te faciliter l’attente. Sommes-nous obligés d’en parler, Andrew ?

— Je le crois, dit-il avec gravité. Cette nuit-là…

Elle sut immédiatement ce qu’il voulait dire. Pour tous les quatre, et pendant longtemps, l’expression « cette nuit-là » ne pouvait avoir qu’un seul sens.

— … cette nuit-là, Damon m’a dit une chose que je ne suis pas près d’oublier. « Nous sommes télépathes tous les quatre, et aucun de nous n’a eu l’idée de discuter honnêtement du problème. » Ellemir et moi, nous avons eu le courage d’en parler. Même si elle a dû m’enivrer à moitié avant, ajouta-t-il avec un petit sourire.

— Cela t’a rendu la vie plus facile, non ? dit-elle sans lever les yeux.

— En un sens. Mais le jeu n’en vaut pas la chandelle si c’est pour ça que tu es honteuse de me regarder, Callista.

— Pas honteuse, dit-elle, levant les yeux avec effort. Non, pas honteuse. C’est seulement que… qu’on m’a enseigné à diriger ma pensée ailleurs, pour que je ne sois pas… vulnérable. Si tu désires en parler – Evanda et Avarra me préservent d’être moins honnête avec lui qu’Ellemir, pensa-t-elle – j’essaierai. Mais je… je n’ai pas l’habitude de ce genre de conversations et d’idées, et je… je ne trouverai peut-être pas mes mots facilement. Si tu… si tu veux bien t’en souvenir… alors j’essaierai.

Elle se mordit les lèvres, luttant contre les difficultés qu’elle avait à s’exprimer, et il ressentit une profonde pitié. Il eut envie de lui épargner cette épreuve, mais il savait que la barrière du silence était la seule qu’ils n’arriveraient peut-être jamais à abattre. À tout prix – voyant ses joues empourprées et ses lèvres tremblantes, il réalisa que le prix serait élevé – ils devaient continuer à communiquer.

— Damon dit qu’il ne faut pas que tu te sentes seule une minute, ou abandonnée. Est-ce que cela te blesse ? Est-ce que tu as l’impression d’être abandonnée ?

Elle répondit, tordant ses mains sur ses genoux :

— Je me sentirais abandonnée seulement si… si tu m’avais vraiment abandonnée. Si tu ne te souciais plus de moi. Si tu ne m’aimais plus.

Pourtant, l’amour physique était une expérience très intime, qui ne pouvait que le rapprocher d’Ellemir, mettre encore plus de distance entre lui et Callista, pensa-t-il.

Ses barrières mentales étaient abaissées, et Callista, percevant sa pensée, s’écria, outragée :

— Me désires-tu uniquement parce que tu pensais que je te donnerais plus de plaisir au lit que ma sœur ?

Il rougit violemment. Eh bien, il avait voulu une discussion franche, il l’avait.

— Dieu m’en préserve ! Je n’y ai jamais pensé ! C’est seulement… si tu penses que je vais moins te désirer, j’aime mieux renoncer tout de suite. Crois-tu vraiment que je te désire moins parce que je partage la couche d’Ellemir ?

— Pas plus que je n’ai cessé de te désirer, Andrew. Mais… maintenant, nous sommes sur pied d’égalité.

— Je ne comprends pas.

— Maintenant, ton désir est semblable au mien.

Elle avait le regard assuré et les yeux secs, mais il sentit qu’elle pleurait intérieurement.

— C’est… quelque chose de spirituel et d’affectif, une souffrance comme la mienne, mais pas… pas un tourment du corps. Je voulais que tu t’assouvisses, parce que…

Elle s’humecta les lèvres, luttant contre des inhibitions remontant à des années.

— … parce que c’était trop terrible pour moi, de sentir ton besoin, ta faim, ta solitude. C’est pourquoi j’ai essayé de… de les partager et je… j’ai failli te tuer.

Des larmes jaillirent de ses yeux, mais elle les essuya avec colère.

— Comprends-tu ? C’est plus facile pour moi si je ne sens pas ça en toi ; je ne suis pas tentée de prendre le risque de l’assouvir…

À la voir si désolée, il eut envie de pleurer, lui aussi. Il mourait d’envie de la prendre dans ses bras pour la consoler, tout en sachant qu’il pouvait tout juste prendre le risque de lui effleurer la main. Très doux, presque respectueux, il éleva sa petite main jusqu’à ses lèvres, et déposa un léger baiser sur le bout de ses doigts.

— Tu es si généreuse que j’ai honte de moi, Callista. Mais aucune femme au monde ne pourra me donner ce que j’attends de toi. Je suis prêt… à partager ta souffrance, ma chérie.

La pensée était si étrange qu’elle se pétrifia, stupéfaite. Il était sincère, pensa-t-elle, avec une curieuse excitation. Les coutumes de son monde étaient différentes, mais selon elles, il essayait de ne pas être égoïste. Elle réalisa pour la première fois, avec un choc douloureux, qu’il était totalement étranger. Jusque-là, elle n’avait vu que leurs ressemblances ; aujourd’hui, elle réalisait leurs différences.

Il voulait dire que, parce qu’il l’aimait, il était prêt à souffrir cette souffrance de la privation… Il ne savait peut-être même pas combien, cette nuit-là, son désir l’avait tourmentée, la tourmentait encore.

Elle resserra ses doigts sur sa main, se rappelant avec désespoir qu’un instant elle avait su ce que c’était que le désir, mais qu’elle ne s’en souvenait même pas.

— Andrew, mon mari, mon amour, dit-elle, essayant d’égaler sa gentillesse, si tu me voyais porter un lourd fardeau, viendrais-tu m’accabler du tien ? Cela n’allégera pas ma souffrance d’endurer la tienne en même temps.

Elle était toujours choquée, stupéfaite, et Andrew réalisa que dans un monde de télépathes, « partager la souffrance » avait un sens tout différent.

— Ne comprends-tu donc pas, dit-elle en souriant, que Damon et Ellemir sont également concernés, et qu’ils seront malheureux eux aussi s’ils doivent partager ton malheur ?

Il avançait lentement dans la compréhension de leurs coutumes, comme perdu dans un labyrinthe. Ce n’était pas facile. Il pensait avoir perdu la plupart de ses préjugés culturels. Maintenant, comme un oignon dont on enlève les peaux l’une après l’autre, chaque préjugé qu’il perdait en révélait un plus profond.

Le jour où, se réveillant dans le lit d’Ellemir, il avait vu Damon qui les regardait, il se rappela avoir attendu, presque espéré, ses reproches. Il aurait voulu que Damon soit furieux, sans doute parce qu’un homme de son monde l’aurait été, et qu’il avait besoin de se sentir en terrain familier. Un remords même lui aurait fait du bien…

— Mais Ellemir ? Tu attendais d’elle cette attitude. Personne ne l’a consultée, ni ne lui a demandé son avis.

— S’est-elle plainte ? demanda Callista en souriant.

Certes pas, pensa-t-il. Elle semblait même apprécier.

Et cela aussi le tracassait. Si elle et Damon étaient si heureux ensemble, comment pouvait-elle prendre tant de plaisir à coucher avec lui ? Il se sentait furieux et coupable, et cela d’autant plus que Callista ne comprenait pas.

— Naturellement, dit Callista. Cela allait de soi dès l’instant où nous sommes convenues de vivre sous le même toit après notre mariage. Si l’une de nous avait épousé un homme que l’autre ne puisse pas… ne puisse pas accepter… nous nous serions assurées…

Cela déclencha chez Andrew une sonnette d’alarme. Il préféra ne pas penser aux implications de ces paroles.

Elle reprit :

— Le mariage tel que nous le connaissons aujourd’hui n’existait pas il y a encore quelques siècles. On considérait qu’une femme ne devait pas avoir plus d’un ou deux enfants avec le même homme. Les mots « pool génétique » signifient-ils quelque chose pour toi ? Il y eut une période de notre histoire où des dons précieux, certains traits héréditaires étaient en voie de disparition. Alors on a trouvé préférable de varier les combinaisons chromosomiques chez les enfants, pour prévenir la perte accidentelle de gènes importants. Porter les enfants d’un seul homme, cela peut être une forme d’égoïsme. Et le mariage n’existait pas alors, au sens où nous le connaissons aujourd’hui. Nous ne forçons pas nos femmes à héberger nos concubines, comme les Séchéens, mais il y a toujours d’autres femmes à partager. Que faites-vous, vous autres Terriens, quand vos femmes sont enceintes, et trop malades ou avancées dans leur grossesse ? Exigez-vous que votre femme viole son instinct pour votre plaisir ?

Si Ellemir avait posé cette question, Andrew se serait dit qu’il avait marqué un point, mais comme c’était Callista, il n’y avait rien à répliquer.

— Les préjugés culturels sont irrationnels. Le nôtre est contre le partage avec d’autres femmes. Le vôtre contre l’amour pendant la grossesse n’a pas de sens pour moi, à moins que la femme ne soit malade.

Elle haussa les épaules.

— Biologiquement, aucune femelle d’animal enceinte n’a de besoins sexuels ; la plupart refusent les rapports. Si vos femmes ont été socialement conditionnées à l’accepter pour ne pas perdre leur mari, je ne peux que les plaindre. L’exigerais-tu de moi, en une période où je n’y prendrais pas plaisir ?

Andrew s’aperçut soudain qu’il riait.

— Mon amour, il me semble que c’est le moindre de nos soucis pour le moment ! Nous avons un proverbe : il faut attendre d’être devant le pont pour le traverser.

Elle éclata de rire, elle aussi.

— Nous en avons un semblable : il faut attendre que le poulain soit en âge de porter la selle avant de le monter. Mais vraiment, Andrew, est-ce que les hommes de la Terre…

— Mon Dieu, je ne sais pas ce que font la plupart des hommes, mon amour. Je doute pouvoir exiger de toi une chose que tu ne voudrais pas. Probablement, je… j’accepterais les avantages avec les inconvénients. Je suppose que certains hommes iraient se satisfaire ailleurs ; en veillant bien à ce que leurs femmes ne le sachent pas. Nous avons un autre proverbe : on ne souffre que de ce qu’on voit.

— Mais dans une famille de télépathes, ce genre de tromperie est tout simplement impossible, dit Callista. Et j’aimerais mieux savoir mon mari dans les bras d’une sœur ou d’une amie, qui ferait cela par affection, qu’avec une étrangère ou une aventurière.

Elle était plus calme ; cela lui avait fait du bien d’écarter son esprit d’un problème immédiat pour le fixer sur un problème plus lointain.

— J’aimerais mieux mourir que te blesser, dit-il.

Comme il l’avait fait tout à l’heure, elle porta sa main à ses lèvres et l’embrassa, disant avec un sourire :

— Ah, cher mari, ta mort me blesserait plus que n’importe quoi.

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