CHAPITRE XVII

Lucas Vondt alluma voluptueusement le joint aux senteurs parfumées. Un petit craquement sec se fit entendre lorsqu'il aspira la fumée. Devant lui, au-delà du pare-brise, la mer roulait des vagues irisées de vif-argent. Le sable de la Praia do Carvoeiro s'étendait de chaque côté de lui, à perte de vue. La lune dessinait un disque d'or pâle dans le ciel constellé d'étoiles.

Il essaya de se détendre le mieux qu'il put, s'étirant de tout son long sur le siège. La soirée avait été assez épouvantable il fallait bien en convenir. Putain, le Bulgare et sa bande de tueurs étaient les types les plus sanguinaires avec lesquels il avait jamais eu l'occasion de bosser. Eva Kristensen n'y allait plus par quatre chemins maintenant. Ce n'était certes pas la première fois qu'il voyait une mort violente et, bon, il connaissait au moins deux types qui devaient pointer au chômage tous les mois, avec une rotule artificielle, celle d'avant n'ayant pas résisté à la cartouche de chevrotine qu'il y avait tirée. Un troisième, dont le souvenir se perdait dans les limbes de sa vie de flic, avait paraît-il succombé à ses blessures. Mais là, seigneur, quand il était redescendu…

Lucas Vondt chassa le noir nuage de pensées. Mais celui-ci se recombina aussitôt, plus intense. L'image du type, hurlant, sous le bâillon et le sac de plastique avec lequel l'adjoint de Sorvan lui enveloppait la tête. Ce salopard de Dimitriescu, un ancien de la Securitate que Sorvan avait déniché sur les quais d'Istanbul, ne cachait pas son plaisir. Il apostrophait parfois Sorvan, qui mangeait tranquillement un demi-poulet entier dans une assiette en carton en se contenant d'encourager son élève d'un sourire froid et tranquille.

– Hey patron vous avez vu? Il vient de pisser partout ce merdeux! Si c'est pas des manières ça?

Et il gueulait aux autres de continuer. Et de lui passer une bouteille à lui aussi.

Quand Vondt avait laissé le Grec, Sorvan lui assenait un swing terrible en pleine mâchoire, alors qu'il gueulait, ficelé sur la chaise, le visage tuméfié et ruisselant de sang. Sorvan avait juste dit, en se frottant le poignet: «Détachez-le et ficelez-le sur la table».

Sorvan était inquiet pour son équipe de l'après-midi qui disait pister Alice depuis Guarda et qui ne donnait plus de nouvelles depuis des heures. Nul doute qu'il allait se défouler un peu lui aussi, pour se calmer les nerfs.

Vondt avait alors lâché:

– On fait comme prévu. Je fouille la baraque. Vous ne sortez pas de la cuisine… Et n'oubliez pas la réserve de dope…

Sorvan l'avait simplement maté, aussi glacial qu un énorme et vénérable cobra, passé maître dans l'art de ces choses. Puis il avait gueulé à ses hommes:

– Allez! prréparrez-moi le dindon de la farrce, ah ah ah… je fairre un pari avec vous, Vondt. Il aida deux de ses hommes à poser le corps nu et contusionné du Grec sur la table… Je parrie que ce gros plein-de-soupe crracherra le morrceau avant que vous… n'avoir trrouvé quelque chose… Combien temps vous nous donnez?

Vondt poussa un soupir, sur le pas de la porte. Il regarda sa montre et fit un rapide calcul.

– Je ne veux prendre aucun risque. Une demi-heure. Trois quarts d'heure au maximum. Après on se tire…

Et il avait refermé la porte pour s'engager dans le couloir plongé dans l'obscurité.

Il avait mis ses gants et avait fouillé la maison. Il savait parfaitement ce qu'il cherchait. Un bureau. Une bibliothèque. Un coffre, éventuellement. Il trouva rapidement le bureau de l'étage et prit garde de ne rien déranger en fouillant systématiquement le secrétaire. Il fallait qu'il trouve un Travis, un Stephen, un code anglais éventuellement. Quelque chose.

Il ne trouva rien de tel nulle part dans le secrétaire. Rien dans les stocks de factures et les quelques lettres entassées dans le tiroir central. Rien dans les carnets et dans l'agenda du Grec. Il avait ensuite passé en revue la bibliothèque. Il sortait les livres et les retournaient vers le sol en les feuilletant d'un geste vif, afin de faire tomber l'éventuel courrier planqué. Mais il ne trouva rien.

Il retourna s'asseoir derrière le secrétaire et fouilla dans les boîtes de disquettes posées à côté du PC. Il trouva une dizaine de disquettes marquées de la mention Manta et une bonne centaine d'autres, diverses, beaucoup de programmes graphiques de pointe. Il hésita un moment puis alluma l'ordi. Il enclencha une des disquettes Manta dans l'appareil.

Il ne trouva rien sur aucune des disquettes sinon des graphiques de navire sur des logiciels dont il ne comprenait pas les fonctions. Mais dans le disque dur, constellé de fichiers de toutes sortes, il repéra un autre dossier Manta. Il réussit à l'ouvrir et se retrouva face à un autre étage rempli à son tour de dizaines et de dizaines de fichiers. Il cherchait quelque chose ayant un lien avec Travis mais ne trouva rien. Il n'avait jamais vu un tel catalogue de programmes. Il y en avait partout, et ça s'entassait au-delà des limites de l'écran comme il pouvait le constater en actionnant les curseurs de déplacement avec la souris. Nom d'un chien… Il cliqua dans une des applications, au hasard. Après une minute de chargement, le logiciel de CAO lui montra le dessin d'une voile, avec des schémas techniques et des chiffres dans tous les sens.

Il ferma l'application.

La Manta n'avait peut-être aucun rapport avec Travis. Sans doute s'agissait-il d'une occupation solitaire du Grec. Il refouilla dans les carnets et l'agenda, et il repéra les indications Manta qu'il n'avait pas détectées la première fois. Il se dit qu'il n'était pas plus avancé, que rien ici ne permettait de retrouver Travis, que le Grec était un dealer prudent et consciencieux et qu'il fallait donc en venir aux dernières extrémités, ce dont s'occuperaient fort bien Sorvan et ses sbires.

Il sortit du bureau et trouva une chambre à l'étage, presque en face du bureau. Chambre qu'il fouilla soigneusement. Il ouvrit les tiroirs des commodes et de la table de nuit, chercha sous le lit, dans les vêtements accrochés dans la penderie. Ne trouva aucune carte de visite, pas même un simple numéro de téléphone, gribouillé sur un ticket avec deux initiales ST, ou Manta. Rien du tout.

Il commença à se demander si l'information de l'homme de Faro n'était pas un putain de tuyau crevé.

«Le Grec deale toujours à cet Anglais, avait-il dit. Je le sais c'est moi son grossiste. Il vient me voir fréquemment et je lui demande toujours des nouvelles des clients, surtout quand ce sont d'anciennes connaissances. Il me dit toujours que ça va. Mais qu'il ne le fréquente pas. C'est devenu tellement systématique que je me dis que ça pourrait justement être le contraire, vous voyez?»

Mais il n'y avait rien dans cette maison qui témoignait d'un lien quelconque entre les deux hommes. Rien que quelques deals d'herbe ou de poudre… Ouais, ouais… Justement… ça ne faisait aucun doute, le Grec connaissait sûrement l'endroit où se planquait Travis. Ou tout au moins le moyen de le joindre…

A l'approche de l'escalier, un hurlement de bête éclata dans la maison et c'est avec une lourde boule dans l'estomac que Vondt s'était approché de la cuisine.

Quand il était entré dans la pièce il avait marqué un temps d'arrêt. Sorvan et son adjoint étaient passés à l'action, assistés de Lemme, le Hollandais. Les deux derniers, Carlo et Straub, faisaient une petite pause-repas, sur le bord de l'évier. L'un d'entre eux émit un rot profond en saupoudrant une énorme ligne de coke dans une assiette propre. Il fit deux gros rails, en sniffa un de deux bons coups dans les narines et passa l'assiette a son voisin avec un râle de satisfaction. Dimitriescu avait un gros joint aux lèvres et cela semblait exciter ses instincts. Le Grec émettait des sons incompréhensibles, son corps était lardé de coups de couteau ou de bouteilles cassées.

Dimitriescu alluma un des feux de la cuisinière et y posa un large couteau de cuisine. Il contemplait en souriant le Grec qui se tortillait sur la table, les yeux vissés à la lame qui chauffait sur la couronne de flammes.

– Alors? demanda Vondt.

– Pas grand-chose encore, lui répondit Sorvan. Lui nous donner sa rréserrve et le nom d'un barr, près de la frrontièrre, à Vila Real. Mais c'est pas suffisant ça, hein, et il va tout nous dirre, hein, le Grrec?

Il s'était adressé au dealer comme à un enfant chahuteur qu'il faut légèrement gronder.

Vondt avait réfléchi un court instant.

– Demandez-lui pour la Manta.

– Quoi? avait jeté le Bulgare, la… manta?

– Oui. C'est le nom d'un bateau. Peut-être que Travis est dans le coup… demandez-lui tout ce qu'il sait.

Le couteau était prêt et Dimitriescu le brandit comme un objet saint. Vondt ne s'attarda pas. Il sortit de la cuisine et remonta à l'étage. Les hurlements animaux l'accompagnèrent néanmoins jusqu'au bureau.

Il ralluma l’ordi et rouvrit le fichier Manta.

Quelque chose. Il y avait sûrement quelque chose dans ce putain de fichier, Résigné, il poussa un soupir en regardant sa montre. Un quart d'heure, VIngt minutes pas plus.

Il parcourut patiemment les étages de la machine et finit par tomber sur ce qu'il cherchait.

Là, oui, c'est ça. Un graphisme en forme de symbole de la Navy. Skip. Comme Skipper. Et Travis avait été enseigne dans la marine de Sa Majesté.

Il cliqua, fébrile.

Bon sang, marmonna-t-il entre ses dents en tombant sur un nouvel étage de fichier, Il reconnut l'emblème de Word 4, un traitement de texte qu'il connaissait un peu. Il cliqua et vit apparaître du courrier. Une lettre.

La lettre parlait de trucs techniques incompréhensibles pour le profane donnant des chiffres, des mesures, des analyses de vents bu de courants… Il la parcourut à toute vitesse mais cela ne lui apprit rien de plus.

Dans la seconde lettre, il vit une allusion à de prochaines vacances mais rien ne semblait lever le voile d'opacité. Le type parlait d'une trop grande résistance de la quille et dissertait des paragraphes entiers sur la chose. Avec des équations mathématiques et des adjectifs de marin d'élite: Vondt était sûr que c'était Travis, ce Skip, mais ça ne lui apportait pas grand-chose. D'autre part le temps pressait. Il cliqua sur une autre lettre et tomba sur un courrier dans lequel Skip semblait programmer une sorte de disparition volontaire… la lettre datait de plusieurs mois. Après il n'y avait rien.

Oui, pensa Vondt, soudainement survolté. C'était ça. Sans doute le Grec disait-il la vérité en hurlant qu'il ne savait rien.

Bon sang. Travis se planquait pour de bon. Ce qu'avait pressenti Eva Kristensen en apprenant la vente de la maison se révélait donc exact. (Travis n'est pas un rigolo,. lui avait-elle dit. Sans doute s'est-il trouvé un repaire bien camouflé pour mener à bien l'enlèvement de ma fille. Vous aurez fort à faire, monsieur Vondt, lui avait-elle précisé, mon ex-mari n'est pas exactement un amateur. C'est pour ça que je vous ai choisi. Et que je vous paie si cher…)

Il s'était levé et avait éteint l'ordi. Avait vérifié que tout était en place sur le bureau et s'était dirigé vers l'escalier. Il était inutile d'en faire endurer plus au Grec, dont il entendait la lointaine plainte étouffée, maintenant. Avec la Manta il pourrait sûrement pister Travis. Un code d'immatriculation. Un hangar. Une société. Peut-être même avaient-ils déjà effectué quelques sorties avec leur foutu bateau et quelque part, quelqu'un avait-il vu la Manta sur la coque.

Lorsqu'il refit son entrée dans la cuisine il comprit qu'il n'y avait plus rien à faire. Les types de Sorvan l'avaient si bien travaillé que lé Grec était à demi mort. Ce serait désormais une bénédiction pour lui que de partir. Cela lui permit de n'éprouver aucun remords pour l'ordre qu'il aurait à donner.

– Alors? jeta-t-il une seconde fois à Sorvan. Ses yeux ne s'attardèrent pas sur la plaie roussie qui s'étoilait au niveau du pubis.

– Ben il a gueulé Travis, Skip… Après y disait plus que la Manta, la Manta… Ensuite là je crois qu'il a appelé sa mère.

Vondt fronça les narines. Une odeur horrible commençait à se dégager du Grec, dont les sphincters avaient lâché.

– Bon je crois qu'on en apprendra pas plus. Mettez la dope dans une des bagnoles et extinction des feux.

Sorvan avait parfaitement saisi l'allusion.

Vondt n'avait pas attendu pour sortir et pour rejoindre la voiture planquée dans l'arrière-cour.

Il avait tout de suite allumé la radio. Elle ne s'était pas arrêtée une seconde depuis.

Après que toute la scène eut fini de se dérouler dans son esprit comme un film bien trop net à son goût, il ressentit un bien-être nouveau doucement envahir. Le pare-brise créait un écran de drive-in sur lequel défilaient des images de plage, d'océan, de ciel étoilé et de reflets lunaires. Il n'avait pas pu faire autrement, c'était tout. Il avait un contrat à exécuter, 20 000 deutsche marks pour une semaine de boulot, à tout casser. Ce n'était pas personnel. Le Grec avait juste été la mauvaise personne, au mauvais endroit, au mauvais moment.

Il espéra que Sorvan ait fait ça vite et relativement proprement. Si c'était à Dimitriescu que le Bulgare avait laissé le soin de l'extinction des feux, nul doute que l'ancien tortionnaire de Bucarest y aurait mis quelque sophistication ingénieuse.

Il aspira une énorme bouffée de sensemilla. Bon, demain matin il se rendrait au Bar du Port, à Vila Real de Santo Antonio. Il demanderait pour un bateau nommé la Manta et chercherait un Travis, ou Skip. Sorvan et son escouade resteraient comme d'habitude enfermés dans la maison de Monchique, un peu au nord de cette plage.

Devant lui la lune se réfractait sur les vagues et l'écume ressemblait à une mousse de cristal. Il y avait un vague truc country à la radio, qui jouait en sourdine.

Le battement du ressac emplissait doucement l'atmosphère, par la fenêtre grande ouverte.


*

Il pénétra sur la Plaça do Giraldo, le centre-ville d'Évora, un peu avant minuit et quart. Il avait bien tracé. Évora est une superbe petite ville de l'Alentejo, de vingt mille âmes environ, cernée par des murailles datant de l'époque romaine, encore visibles aux entrées et sorties de la ville.

Vitali lui avait demandé de retenir de mémoire le nom de cinq rues, toutes pas très loin de la cathédrale.

À chaque adresse, correspondait une journée, à partir de la nuit passée au Parador espagnol. Il suivit les consignes à la lettre et gara le véhicule sur le parvis de l'église, à l'austère façade de granit rose. Il jeta un dernier coup d'œil à son plan de la ville et se dirigea vers la Rua de Mouraria.

Devant le numéro 18, il trouva la voiture. Une petite Fiat bleue. Il ouvrit directement le coffre, comme convenu, dénicha les clés du véhicule sous la toile de lino et pénétra dans la voiture avec une impatience mal contenue. Dans la boîte à gants il trouva la lettre et il ne s'attarda pas. Il referma tout, remit les clés dans le coffre et retourna à bonnes foulées à la voiture où l'attendait Alice.

Il ouvrit le courrier, en prit rapidement connaissance et prit directement la route du sud.

Il y a deux routes qui mènent vers le sud à partir de la ville, la N254 et la N18, qui se rejoignent d'ailleurs quarante kilomètres plus bas, un peu avant Beja.

La planque de Vitali se trouvait à dix kilomètres au sud d'Évora, sur la N254, vers Viana do Alentejo.

Là, à la lisière d'un bois longeant la route droite et poussiéreuse, il y avait une vieille casemate désaffectée, ayant abrité auparavant un transformateur électrique. Il se gara juste devant, en éteignant ses feux.

Il sortit de la voiture et fit le tour du petit bâti ment jusqu'à l'ancienne porte métallique. Elle était rouillée de toutes parts et un vieil écriteau vissé s'oxydait lentement lui aussi. Un écriteau avec une tête de mort électrique, le signe internatonal du danger haute tension. Il vit là un clin d'œil de Vitali pour l'emblème de la Colonne Liberty-Bell et ne douta plus un seul instant qu'il s'agisse de la planque. Il tira sur le battant, qui vint vers lui dans un grincement sonore, et pénétra dans le réduit obscur et poussiéreux.

Il alluma sa torche et promena le pinceau dans l'espace.

La pièce avait été vidée du gros matériel mais divers détritus et structures métalliques jonchaient la pièce, ou couraient sur les murs.

Comme indiqué dans le message, le conduit d'aération se trouvait à trois mètres du sol, dans le coin nord-est supérieur du cube, lui avait spécifié Vitali. Mais on pouvait y accéder assez facilement en s'aidant des structures laissées contre le mur.

Le conduit était protégé par une grille d'alurmnium, recouverte d'une crasse noire et grasse. Il tira la grille vers lui. Elle vint sans trop de résistance.

Il dirigea le faisceau de sa torche dans le boyau obscur et des reflets noir-violet chatoyèrent.

Du plastique. Un sac-poubelle enroulé de Chatterton. Un objet long. Il engouffra son bras dans le boyau et ramena précautionneusement l'objet. Pas vraiment lourd. Ce n'était pas une AR18. Il mit le truc sous son bras et replaça la grille, du mieux qu'il put, en équilibre moyennement stable sur le tube de métal. Puis il sauta à terre.

Il sortit son couteau suisse et déchira l'enveloppe et les liens de Chatterton. Une culasse noire et bien graissée apparut.

Il extirpa l'objet. Un pistolet-mitrailleur Steyr-Aug. Avec quatre magasins de quarante balles, scotchés ensemble sur l'imposante culasse moirée comme un étrange animal métallique. Des chargeurs légèrement courbes.

Mieux. La mitraillette était dotée d'un viseur avec système de vision nocturne.

Tout bonnement parfait. Avec une telle mitraillette on ne peut pas espérer une grande précision au-delà d'une centaine de mètres mais le système photo-optique lui donnerait un avantage certain dans le noir. Il faudrait tâcher de ne pas oublier ça, se dit-il.

Il y avait un petit bristol scotché avec les chargeurs.

Il ralluma sa torche pour déchiffrer le message.


Hello, Fox.

Je n'ai pas pu trouver mieux dans le laps de temps qui nous était imparti.

Pour montrer votre passage, prenez le tube rouillé qui se trouve à l'intérieur, dans le coin à droite de la porte et placez-le à l'extérieur, à terre, le long du mur parallèle à la route.

N'oubliez pas de brûler les messages (je n'avais pas de bande s'autodétruisant dans les trente secondes sous la main).

Soyez extrêmement prudent.

VITALI


Pas pu trouver mieux… Faux modeste! Pensa Hugo en retenant un sourire.

Il replaça l'engin et les magasins dans le sac entrouvert et sortit de la casemate avec le tuyau qu'il agença le long du mur.

Puis il jeta le gros fœtus de plastique dans le coffre, avant d'aller s'asseoir dans la voiture. Il ouvrit la boîte à gants et s'empara du courrier de Vltali, mit le bristol dans l'enveloppe et sortit une petite réserve d'essence à briquet de sa poche.

Alice ne disait rien. Observant avec une curiosité attentive cet étrange ballet.

Il ressortit de l'habitacle.

Il imbiba le papier d'essence et fit quelque pas vers la casemate. Son pouce appuya sur la molette du Zippo. La flamme tempête oscilla sans s'éteindre dans un bref souffle de vent. Il enflamma l'enveloppe et la jeta sur le sol près de la porte déglinguée.

Il attendit patiemment qu'elle se fût tout entière consumée puis il retourna à la voiture.

– Bon, dit-il en se retournant vers Alice, on est à Évora et il est presque une heure du matin, on sera pas à Faro avant deux ou trois bonnes heures… On a le choix. Ou on décolle direct. Ou on passe la nuit à Évora et on remet le reste pour demain matin. On pourrait y être pour le déjeuner. Comme ça on dérange pas ton père en pleine nuit.

Les effets du speed l'avaient quitté. Et le poids d'une nuit et de deux longues journées de conduite, à peine interrompues par un intermède de cinq heures, commençait à retomber sur ses épaules. Deux rudes journées, bien remplies. Il se serait volontiers coulé dans les draps, en fait.

Alice le regardait sans rien dire.

– Bon, laissa-t-il tomber, qu'est-ce que tu préfères?

– Ben c'est comme vous voulez, Hugo, émit-elle timidement. Mais c'est vrai, on pourrait dormir tranquillement à l'hôtel èt rouler demain matin.

Il comprit que le poids de la journée devait sembler encore plus lourd à Alice qu'à lui même.

Et surtout ça lui donnait une vague excuse. Il mit en route le moteur.

– On parle d'un pousada sympa dans le guide du routard, dit-il en effectuant son demi-tour. La pensao O Eborense. Installée dans un ancien solar

Elle ne répondit rien. Elle avait l'air de parfaitement savoir ce qu'était un solar.


Lorsqu'il se gara devant la splendide demeure, plongée dans l'obscurité, il discerna une vague lueur au rez-de-chaussée près de l'entrée vitrée. Il y avait trois ou quatre voitures disséminées dans le parking. Deux bagnoles portugaises. Une espagnole et une allemande. Sans doute des touristes. Comme Berthold Zukor, le touriste qu'il était.

Il éteignit le moteur et sortit sans mot dire de la voiture. Alice fit de même et observa l'architecture harmonieuse du petit palais blanc.

– C'est joli ici, murmura-t-elle.

Hugo ouvrait le coffre. Il s'empara du sac de sport vide et y fourra la mitraillette, enveloppée dans son étui de plastique. Puis il ouvrit la mallette de gauche et s'empara de quelques sous-vêtements, tee-shirt, chaussettes, slip, ainsi que de sa trousse de toilette.

Enfin il ouvrit la trousse à outils où il récupéra un rouleau de Chatterton noir, qui rejoignit la mitraillette et le linge.

Puis il mit le sac sur son épaule et referma le coffre.

À l'accueil un homme bronzé au regard aimable et intelligent lui donna la chambre quatorze, en lui souhaitant la bienvenue et en lui montrant la chambre. Il détaillait la toison oxygénée d'Hugo avec une lueur amusée.

Une pièce assez vaste, mine de rien. Avec des fenêtres donnant sur un bouquet d'arbres. Une douche et des toilettes. Deux grands lits, visiblement confortables.

Hugo remercia l'hôte et prit possession de la chambre.

Alice alla se planter à la fenêtre.

– Prends une douche, et couche-toi, laissa-t-il tomber sans intention particulière.

Elle lui jeta un regard surpris avant de se diriger vers le petit cabinet de bains.

Hugo attendit qu'elle se soit enfermée pour ouvrir le sac. Il s'empara de la mitraillette et découpa le Chatterton qui retenait les chargeurs. Il en enclencha aussitôt un et arma la machine. Un claquement sec. Une balle était engagée dans le canon. Prête à l'emploi.

Puis il scotcha un chargeur sur celui qui était en place, tête-bêche, ce qui permettait de recharger à toute vitesse, en un tour de main.

Il en confectionna un double avec les deux magasins restants puis il replaça le tout dans le sac de sport, ouvert, à la tête de son lit, du côté gauche. Il avait toujours été un faux droitier, un gaucher manqué. Mais la vieille mémoire de ce double endormi ressortait parfois étrangement à la lumière. Il tirait comme un gaucher, en fennant l'œil droit et tenait un fusil ou un PM comme tel. Étrangement, pour les armes de poing, comme le Ruger, c'était sa main droite qui était la plus performante, parce que plus agile, mieux développée. Il entendit le bruit de la douche qu'on actionnait.

Il alla vérifier que la porte de la chambre était bien fermée à clé. À double tour.

Il ôta son blouson et ses bottes et s'allongea sur le lit.

Alice ressortit de la cabine avec un long tee-shirt blanc et une paire de petites chaussettes blanches. Elle se dirigea d'un trait vers son lit et se fourra sous les draps en éteignant sa lumière.

Hugo se leva et s'enferma à son tour dans la cabine de douche. Il se décrassa entièrement et revêtit ses sous-vêtements propres, puis il s'enroula à son tour dans les draps.

La lune projetait des stries pâles et dorées par les interstices des volets. Il ne vit pas le sommeil venir.


*

Ils arrivèrent en vue d'Évora un peu avant minuit et demi, par la Nl8. La N254 était plus jolie, mais la N18 était plus rapide lui avait dit Oliveira à l'intersection.

Le flic conduisit prudemment mais sûrement dans le dédale de vieilles rues. Il s'arrêta devant un porche qui donnait sur un terre-plein au bout duquel se dressait une bâtisse blanche. Il pénétra sur le terre-plein et se gara près d'une Mercedes aux plaques allemandes.

Ils suivirent le tenancier de l'hôtel dans l'escalier garni de plantes exotiques et purent jeter au passage un coup d'œil admiratif à la terrasse qui donnait sur un petit parc.

Ils prirent deux chambres séparées mais voisines et se donnèrent rendez-vous pour le petit déjeuner, à huit heures trente.

Anita posa son petit sac de sport sur le lit et fit le tour de la chambre.

Elle prit une douche rapide, puis une seconde, beaucoup plus longue, qui vida le ballon d'eau chaude, et réalisa qu'elle n'arrivait pas à se detendre. Malgré la fatigue, un virus énervé s'agitait dans son métabolisme. Elle tenta de faire le point, allongée, nue, sur le lit.

Elle entendit vaguement qu'on pénétrait sans trop de bruit dans une chambre, à l'étage. Des bruits furtifs.

Puis elle s'engouffra dans les draps. Elle se résigna à éteindre la lumière en sachant pertinemment que le sommeil ne viendrait pas tout de suite.

Mais rien de bien cohérent ne semblait surgir de ce brainstorm nocturne et involontaire. Les images du Grec tournoyaient régulièrement comme un diaporama malade et obscène. Le fichier Manta, se répétait-elle alors, comme un mantra hypnotique, le fichier Manta, tâchant de se concentrer sur ce qu'elle avait découvert d'important.

Travis. Skip. Un bateau. Une société. Un hangar sans doute quelque part. Un compte bancaire. Il faudrait s'occuper de cela dès demain, après avoir vu les cadavres à la morgue.

De faux citoyens belges. Roulant dans une voiture allemande. Des hommes d'Eva Kristensen?

Mais par qui se seraient-ils fait descendre? Eva K. aurait-elle des concurrents? Le milieu? La maffia?

Bon sang, Oliveira lui avait dit que Travis connaissait des dealers mais aussi des sortes d'agents d'influence ou de liaison de la-maffia…

Nom de dieu… Travis aurait-il fait appel à des tueurs expérimentés du syndicat du crime sicilien pour contrer son ex-femme?

Elle se retourna sur le dos, soudainement tendue, et concentrée.

Oui, pensait-elle alors, presque furieusement.

La chose ne s'était jamais éclairée sous cet angle.

Travis était peut-être plus qu'un simple marin toxico? Peut-être n'était-ce qu'une couverture? Peut-être travaillait-il en fait pour la maffia, ou une organisation approchante?

En ce cas, pourquoi aurait-il fait exécuter ces hommes sur le bord d'une route portugaise? Ben tiens, réagissait-elle. Parce qu'ils y étaient, évidemment. Ce qui voulait dire qu'Eva K. n'était pas loin et que l'étau se resserrait. Travis devait très certainement se méfier au plus haut point de son exfemme. Il avait alors pris les devants et fait exécuter deux types un peu trop curieux… Peut-être Travis se planquait-il à un endroit peu éloigné du lieu de l'exécution… Oui, oui sans doute. Mais il y avait autre chose. Et cette autre chose, Anita le savait de tout son être, cette autre chose c'était Alice.

Elle ne savait d'où venait cette impression mais elle sentait comme l'aura immatérielle de la fillette dans cet «incident». Elle s'agita dans les draps.

Une sorte de scénario tramait sa toile dans son esprit. Et si Travis avait en quelque sorte planifié la fugue d'Alice? Oui mais… Comment?

Pas de réponse.

Supposons qu'il travaille pour la maffia, il doit posséder des relations bien placées et un réseau efficace. Admettons qu'il ait réussi à communiquer avec Alice, malgré sa déchéance des droits paternels. Peut-être était-ce cela le projet dont Travis parlait dans son courrier au Grec. Peut-être même était-ce pour cela qu'il avait programmé sa disparition?

Pour s'évanouir dans la nature des mois avant l’execution. Histoire d'avoir le temps de bien brouiller les pistes. Sans doute le bateau aurait-il servi à filer aux antipodes, avec sa fille, dans une retraite bien préparée.

Oui, mais Alice s'était sauvée de chez elle après avoir vu la cassette de Chatarjampa, il était difficile de voir une main extérieure à tout cela.

Oui mais c'est justement ça, le chaos, le désordre, le hasard. Alice était tombée sur la cassette avant que Travis n'ait eu le temps de tout mettre en place. Elle avait fui avant son ordre et sans doute ne savait-elle pas du tout où il se trouvait. Non, sans doute personne ne le savait. Pas même ses amis. Pinto, et le Grec. Ni elle, la flic embringuée dans cette histoire. Ni Eva Kristensen, ni sa fille. Personne.

À trois heures du matin passées, elle ne dormait toujours pas. Elle avait élaboré cent hypothèses, échafaudé mille scénarios. Elle pesta contre l'insomnie et se leva pour boire un verre d'eau. Elle tourna cinq minutes dans la chambre éclairée par le pâle rayonnement de la lune, puis résignée, alluma une cigarette et s'allongea sur le lit.

Elle finit par somnoler après avoir éteint sa cigarette. Elle tenta de faire le vide en elle, uniquement tendue vers le silence qui baignait l'ancien solar. Elle commença à légèrement partir…

Un bruit de moteur apparut graduellement dans l'univers. Puis un deuxième, juste devant l'entrée. Les moteurs se turent. Puis des portières claquées discrètement, des bruits de pas, des voix étouffées.

Elle ne sut pourquoi, cela l'éveilla et la fit se lever. Elle aperçut deux capots avant, qui se faisaient face, devant l'entrée. Un groupe d'hommes se dirigeaient rapidement et furtivement vers l'entrée.

Elle se raidit et se jeta instinctivement en arrière. Elle se posta sur un côté de la fenêtre et vit que deux hommes semblaient monter la garde devant l'entrée. Qu'est-ce que cela voulait dire?

Des flics?

Peut-être avait-on appris qu'elle et Oliveira étaient ici et les cherchait-on au sujet d'une des affaires dont ils s'occupaient (quoiqu'elle s'obstinât à penser qu'elles ne faisaient qu'une). Elle décida de s'habiller et commença à enfiler son jean lorsqu'elle entendit des bruits venant du rez-de-chaussée.

Des bruits sourds, comme… Bon sang, quelque chose qu'on casse et une voix qui s'élevait comme une plainte soudainement coupée.

Ce n'était certes pas normal… Elle acheva de s'habiller à toute vitesse et se précipita vers le holster suspendu au dossier de la chaise. Elle n'avait pas encore commencé de le fixer lorsqu'elle entendit une cavalcade dans l'escalier.

Un signal d'alarme retentit dans sa tête, bruyamment.

Danger. Immédiat.


*

Vondt remontait vers Monchique lorsqu'il avait reçu un appel radio tout excité de Koesler.

– Putain, assenait celui-d d'une voix tendue et crispée, encore plus métallique que la normale dans le spectre radio… Vous allez pas le croire, là en vingt minutes ce qui vient de se passer…

– Qu'est-ce qu'y a Koess… Gustav? C'est quoi ce raffût?

– Écoutez, putain… Là je suis à Évora, la fliquesse a quitté la maison du Grec avec le flic portugais et ils sont montés vers le nord comme je vous ai dit tout à l’heure…

– O.K., O,K., coupa Vondt, agacé, et alors?

– Y se sont arrêtés à Évora, dans un petit hôtel. Bon la rue était pas très pratique pour mater alors j'ai dû me garer plus haut. J'voulais attendre tranquillement le matin sans dormir et…

– O.K., putain, O.K…

– Bon ben vingt minutes plus tard devinez qui je vois rappliquer?

– Putain, Koesler, vous le faites exprès, souffla Vondt, excédé, je ne suis pas d'humeur aux petites devinettes, alors crachez-moi le morceau…

– La fille…

La voix s’était faite moins forte, comme soufflée au micro..

– Hein? gueula Vondt à l'émetteur.

– La fille, Vondt, la fille Kristensen. Elle a déboulé à peine une demi-heure plus tard dans une bagnole noire, une BMW, conduite par un type qui correspond pas à la description qu'on a… mais bon, Travis il a p'têt' plusieurs gars lui aussi, voyez?

Nom de dieu, se dit Vondt. Koesler avait repéré la fille.

– Où ça vous dites? Évora?

Le nom ne lui disait rien et il ouvrit la boîte à gants pour s'emparer de la carte routière.

– Ouais, résonnait la voix métallique de Koesler, ce n'est pas dans l'Algarve, c'est dans l'Alentejo, plus vers le centre du pays.

– Combien de bornes environ?

– C'est compliqué, vous savez, le réseau routier portugais… Où vous êtes, là?

– Où voulez-vous que je sois? Je suis à Monchique évidemment!.

Il y eut un silence à l'autre bout des ondes, puis une interférence annonciatrice.

– Pas simple de là où vous êtes. Les routes les plus directes sont des saloperies en mauvais état. Faut que vous rejoigniez Beja, pour cela rejoignez la N2 au plus vite par la N124, au sud de Monchique et remontez comme pour aller chez le… Koesler s'interrompit à temps.

– Au nord de Beja, c'est ça? gueula Vondt.

– Ouais c'est ça, qu'est-ce que je fais?

– Rien. Surtout rien. Vous surveillez et vous me communiquez les informations importantes au fur et à mesure. Vous êtes absolument certain que c'est la fille Kristensen?

– Écoutez, j'ai pu m'approcher de l'entrée et je les ai vus à l’accueil. J'la connais bien la môme… Ça vous va?

– O.K., souffla Vondt, faites ce que je dis et tout se passera bien.

Il coupa la communication, réfléchit à peine une minute. Il fallait d'ùrgence contacter Eva Kristensen.

Ce qu'il fit dès son arrivée à la maison prêtée par cet ami d'Eva. Eva avait des amis partout.

Sorvan et ses types dormaient, ronflant dans le salon et les chambres, sauf deux qui montaient la garde dans la cuisine. Dans l'obscurité la plus totale.

Il réussit à avoir Messaoud, au Maroc, mais celui-ci lui annonça qu'Eva était partie pour le Maroc espagnol où elle avait embarqué dans la nuit et serait sur les côtes de l'Algarve dans la journée qui suivrait, qu'il avait prévenu Sorvan dans la soirée. Vondt le coupa et lui demanda s'il était possible de joindre Eva Kristensen, au plus vite.

Messaoud sembla réfléchir, puis laissa tomber:

– Pas cette nuit, votre téléphone n'est pas raccordé au système satellite qu'utilise madame Eva, malheureusement. Ce que j'ai déjà dit à Sorvan, c’est qu'elle se mettrait en contact avec vous dès son arrivée, demain.

Merde, pensa Vondt. Il fallait absolument parler à Eva. C'était vital.

– Écoutez-moi bien, lâcha Vondt froidement. Je sais que vous, vous êtes raccordé avec la liaison satellite du bateau, alors vous allez faire très exactement ce que je vais vous dire de faire, O.K.?

Vondt savait que Mme Kristensen avait dû être très claire au sujet de l'importance de ses ordres. Il entendit un vague borborygme d'assentiment.

– Appelez-la dans la minute. Dites-lui que la petite sirène est en vue, mais qu'il y a un problème. Que la petite sirène semble rejoindre la fliquesse d'Amsterdam. Et qu'elle est avec un homme de Travis. Dites-lui ça. Que la petite sirène est dans un hôtel avec ce type, la Hollandaise et un flic du coin. Dites-lui que quelle que soit sa décision nous partons tout de suite au cas où elle déciderait d'une intervention. On laissera un type ici qui recevra votre coup de fil. Vous aurez juste à lui dire OUI, ou NON. Si oui on agit, si non on revient. O.K.?

Il aurait pu entendre l'homme se remémorer toute la séquence derrière le barrage de parasites.

– O.K., monsieur Vondt, je joins Mme Kristensen et je vous rappelle au plus vite.

– Rappelez-vous, si nous sommes partis, dites juste oui ou non à notre gars, compris?

– Compris monsieur Vondt.

Il avait coupé la communication et avait réveillé la maisonnée. Un peu avant une heure sa voiture et deux de Sorvan s'enfonçaient dans la nuit en direction d'Évora.

Une dizaine de kilomètres plus loin, leur homme resté à Monchique les joignit avec la C.B.

– C'est oui, laissa-t-il tomber laconiquement.


Le Beretta 32 se retrouva bien en mains. Croisées sur la crosse, tendues vers la porte. Elle alla se coller au pan de mur qui serait recouvert si la porte s'ouvrait.

La course des pas s'était éteinte brutalement au sommet de l'escalier et une voix à demi étouffée avait tenté de rétablir le calme.

– Vos gueules. Silence. On doit juste trouver la chambre quatorze.

Puis un chuchotement inaudible pour elle.

Bon dieu se demanda-t-elle, qu'est-ce qu'il y a dans la chambre quatorze pour valoir une telle expédition?

Elle se demanda si Oliveira dormait ou s'il avait entendu les bruits lui aussi.

Elle se traça de mémoire la disposition de l'étage. Elle était à la chambre dix-huit, et Oliveira à la dix-neuf, au fond du couloir. Si ses souvenirs étaient exacts la quatorze devait sûrement se trouver de l'autre côté de la cage d'escalier, son aile ayant commencé par le chiffre seize.

Il n'y avait aucun rai de lumière sous sa porte.

Les types étaient restés dans le noir.

Peut-être des flics venus procéder à une arrestation…

Elle glissa de l'autre côté de la porte et bénit les dieux du hasard qui avaient voulu qu'elle ne l'ait pas fermée à clé.

Elle tourna très doucement le loquet et tira d'un petit centimètre vers elle.

Un groupe de silhouettes faisaient face à l'autre porte du fond, de l'autre côté de l'escalier. Il y avait un type près de la dernière marche qui semblait scruter l'obscurité vers elle. Un type d'une stature imposante et qui semblait diriger le groupe. L’homme se retourna vers la cage et chuchota quelque chose à quelqu'un qui faisait du bruit dans l'escalier.

Cinq hommes au moins. Trois devant la porte. Un au sommet des marches et un dans l'escalier. Ah oui et les deux types dehors. Et peut-être bien un ou deux mecs en bas pour tenir en joue le gardien. Bon dieu, une véritable armée. Qu'est-ce que…

C'est à cet instant qu'elle entrevit un mouvement brusque dans le groupe posté près de la porte et qu'une explosion déchira le silence. Un éclair avait jailli avec la détonation et elle vit la porte du fond s'ouvrir d'un coup de pied violent. On avait tiré dans la serrure et…

C'est à cet instant que l'enfer se déchaîna dans le couloir.

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