Ces mots la saisirent d’épouvante. Se souvenant du sang sur les lèvres de Stefan, elle eut du mal à retenir un mouvement de recul.
— Ce n’est pas possible, Stefan… Je te connais. Tu n’as pas pu faire ça…
Tout entier plongé dans son passé, il ne semblait pas entendre ses protestations. Il fixait un point invisible, à des années-lumière d’elle.
— Ce soir-là, allongé sur mon lit, j’ai espéré si fort qu’elle viendrait… Déjà, des changements s’étaient opérés en moi : je distinguais mieux ce qui se passait dans le noir, et mon ouïe s’était affinée. Je débordais d’énergie. Et j’avais faim. C’était une sensation étrange, que mon diner n’était pas parvenu à rassasier. Je ne comprenais pas d’où elle venait, jusqu’à ce que mon regard se pose sur le cou blanc d’une de nos servantes. Alors, j’ai compris. J’ai résisté de toutes mes forces à l’envie d’aller y planter mes dents. Ce soir là, j’ai prié pour que Katherine vienne me rejoindre. Oui, j’ai osé prier, moi… une créature maléfique !
Ses yeux te remplirent de détresse… Ce souvenir le torturait. Les doigts d’Elena, engourdis à force de serrer les siens, se refermèrent un peu plus.
— Continue…
Il donnait l’impression de se parler tout haut, comme s’il avait oublié sa présence. Sa voix était devenue hésitante.
— Le lendemain, ma faim était intenable, et je ressentais une vive douleur dans les membres, comme si mes veines étaient asséchées. Je savais bien que je ne tiendrais plus très longtemps. Alors, je suis allé jusqu’aux appartements de Katherine dans l’espoir qu’elle m’aiderait. Mais Damon attendait déjà devant sa porte. J’ai tout de suite constaté, à son teint frais et à l’énergie de son pas, qu’il s’était rassasié. Il n’avait pas réussi à voir Katherine pour autant. « Tu peux frapper tant que tu veux, me dit-il, le dragon qui lui sert de dame de compagnie ne te laissera pas entrer. J’ai déjà essayé. Mais peut-être qu’à deux, nous parviendrons à la faire changer d’avis… » Je ne lui ai pas répondu, dégoûté par son air satisfait et fourbe. Alors j’ai frappé à réveiller… j’allais dire « à réveiller les morts ». Mais ce n’est pas si difficile, finalement !
Il s’esclaffa sinistrement. Après un silence, il continua :
— Gudren a fini par ouvrir, me toisant avec impassibilité J’ai demandé si je pouvais voir sa maîtresse, m’attendant à un refus. Gudren m’a observé en silence, avant de jeter un coup d’œil à Damon, derrière moi.
— « Je ne voulais pas le lui dire à lui, lâcha-t-elle enfin. Mais puisque c’est vous qui le demandez… Dame Katherine n’est pas là. Elle est partie tôt ce matin se promener dans les jardins. Elle m’a dit qu’elle avait besoin de réfléchir. » j’étais très étonné.
— « Tôt ce matin ? » ai-je répété.
— « Oui. Ma maîtresse était très malheureuse hier soir, dit-elle d’un ton accusateur. Elle a pleuré toute la nuit. »
— Un sentiment étrange m’a assailli aussitôt. Je n’étais pas seulement malheureux à l’idée que Katherine avait souffert : j’avais terriblement peur, à tel point que j’en ai oublié ma faim, ma faiblesse… et même ma haine envers Damon. Il fallait agir vite : je me suis tourné vers mon frère en lui expliquant que nous devions retrouver Katherine. À ma grande surprise, il a acquiescé. Nous avons fouillé les jardins à sa recherche. Je me souviens très clairement de la scène. Le soleil brillait par-dessus les hauts cyprès et les pins. Damon et moi avons couru entre les arbres, après avoir examiné les moindres recoins, sans cesser de l’appeler.
Stefan frémissait de tout son corps, et sa respiration s’était faite haletante.
— Nous avions fait le tour de presque tous les jardins lorsque je me suis souvenu que Katherine adorait un endroit en particulier, tout près d’un vieux un citronnier. Je m’y suis précipité. Mais en une terrible prémonition m’a envahi : je ne m’étais pas aventurer jusque-là.
— Stefan ! s’écria Elena.
Il lui broyait la main à présent, et des soubresauts secouaient.
— Stefan, s’il te plaît…
Il ne l’entendait pas.
— C’était… comme dans un cauchemar où tout se déroule au ralenti. Une force me poussait à avancer malgré la terreur qui m’avait gagné. Une odeur violente m’assaillit. Celle de la chair brûlée. J’avais beau me dire que je ne voulais rien voir, je continuais à avancer…
Stefan semblait sur le point de suffoquer, et ses yeux étaient écarquillés d’horreur.
— Stefan ! Stefan, tout va bien… , Tout ça, c’est du passé… Je suis là…
— J’ai beau me dire que je ne veux rien voir, je ne peux pas m’empêcher de regarder. J’aperçois quelque chose de blanc sous l’arbre. Nooon ! Pas ça !
— Stefan ! Stefan ! Regarde-moi !
Il restait sourd à ses cris. Le débit de ses paroles était devenu saccadé.
— Je m’approche. Il y a le citronnier, le mur. Et cette chose blanche, juste derrière. Du blanc et du doré. C’est sa robe, la robe blanche de Katherine. Je contourne l’arbre : c’est bien sa robe… mais Katherine n’est nulle part.
Elena fut parcourue d’un frisson glacial. Elle tenta de le réconforter par quelques mots, mais rien ne semblait pouvoir l’arracher à son récit, comme s’il servait de à sa terreur.
— Katherine n’est pas là, je ne vois que sa robe. Pleine de cendres. On dirait un foyer abandonné. Elle dégage une odeur épouvantable. J’en suis malade. A côté d’une des manches, un parchemin. Et sur une pierre une bague sertie d’une petite pierre bleue. Celle de Katherine.
Soudain, il se mit à hurler :
— Katherine, pourquoi est-ce que tu as fait ça ?
La voix brisée, il tomba à genoux, lâchant enfin Elena, et enfouit son visage dans ses mains. De violents sanglots ébranlaient ses épaules.
Elena l’attira contre elle.
— Katherine a ôté sa bague, termina-t-elle dans un murmure, comme pour elle-même. Et elle s’est exposée aux rayons du soleil.
Elle le tint longtemps ainsi, caressant sa nuque tandis qu’il pleurait toutes les larmes de son corps ; elle murmurait des paroles apaisantes en essayant de lutter contre son propre sentiment d’horreur. Enfin, se calmant un peu, il leva la tête.
— Le parchemin était adressé à Damon et moi, continua-t-il péniblement. Katherine y avait écrit qu’elle regrettait son égoïsme et ne supportait pas d’être la cause de notre haine. Elle espérait que son départ nous pousserait à la réconciliation.
Elena avait les larmes aux yeux.
— Oh Stefan, c’est si triste… , dit-elle, pleine de compassion. Mais tu ne trouves pas, avec le recul, que Katherine a mal agi ? Elle vous a imposé son choix, sans penser à vous. Aucun de vous deux n’est responsable de sa mort.
Stefan n’était pas encore prêt à accepter une autre version que la sienne.
— Non… Elle s’est sacrifiée à cause de nous… Nous l’avons tuée…
Il avait l’air d’un petit garçon désemparé. Il continua :
— Damon est arrivé derrière moi, a pris le parchemin et l’a lu. Alors, il est devenu comme fou. Il a aussitôt essayé de m’arracher la bague de Katherine, que j’avais ramassée. Ça m’a mis hors de moi : nous nous sommes battus en nous couvrant d’insultes, et en nous accusant de sa mort. J’étais dans un tel état de fureur que je ne me suis même pas aperçu que nous nous étions approchés de la maison, l’épée à la main. Tout ce que je sais c’est que je voulais en finir avec cet odieux individu en qui je ne pouvais plus voir un frère. Lorsque nous avons entendu mon père crier de la fenêtre, nous nous sommes battus encore plus violemment pour en avoir terminé quand il arriverait. Damon avait toujours eu le dessus sur moi, même si nous étions à peu près de la même force. Ce jour-là, il fut le plus rapide, déjouant ma garde pour me transpercer le cœur d’un seul coup, avec une violence inouïe. La froideur du métal m’a submergé de douleur, et la vie m’a abandonné lentement. Je suis tombé. Voilà comment… je suis mort.
Elena était stupéfaite.
— Damon s’est penché vers moi, continua-t-il. J’entendais les hurlements de mon père et des serviteurs, mais la seule chose que je voyais, c’était le visage de Damon, et ses yeux plus noirs qu’une nuit sans lune : je voulais venger mon trépas et celui de Katherine. Avec ce qu’il me restait d’énergie, j’ai planté mon épée dans la poitrine de mon frère, et je l’ai tué.
L’orage s’était éloigné. Par la fenêtre cassée, Elena entendait maintenant les stridulations des criquets et le vent agiter les feuilles, dans la nuit. Allongé sur son lit, Stefan avait fermé les yeux. Son visage était marqué par la fatigue, mais son expression de terreur avait enfin disparu.
— Ensuite, je ne me souviens plus de rien jusqu’au moment où je me suis réveillé dans ma tombe. Damon et moi avions reçu juste assez de sang de Katherine pour avoir la force d’achever notre transformation, et de ne pas mourir comme de simples mortels. Nous portions nos plus beaux vêtements, allongés côte à côte sur la dalle. Nous étions néanmoins trop faibles pour recommencer à nous battre.
Lorsque je me suis tourné pour demander à Damon ce qu’il comptait faire, il avait déjà disparu dans la nuit. Heureusement, nous avions été enterrés avec les bagues que Katherine nous avait données. Et la sienne se trouvait dans ma poche. Ils avaient dû penser qu’elle m’en avait fait cadeau… Ensuite, j’ai voulu tout bêtement rentrer chez moi. Évidemment, à peine m’ont-ils vu que les serviteurs ont hurlé en courant chercher un prêtre.
Alors, j’ai gagné le seul endroit où j’étais en sécurité : l’ombre. J’y suis toujours resté, jusqu’à maintenant. C’est au monde des ténèbres que j’appartiens, Elena. C’est mon orgueil et ma jalousie qui ont tué Katherine, et c’est ma haine qui a causé la mort de Damon. Mais ce que j’ai infligé à mon frère est bien pire. À cause de moi, il a été banni pour toujours de l’espèce humaine : si je ne l’avais pas tué, le sang de Katherine qui courait dans ses veines aurait fini par perdre de sa force, et il n’aurait pas pu finir sa transformation. Il serait redevenu un être humain. En le tuant, je lui ai ôté sa seule chance de salut, et l’ai contraint à vivre dans la nuit.
Stefan se mit à rire.
— Tu sais ce que veut dire Salvatore, en italien, Elena ? Ça signifie « sauveur ». Et Stefan est un dérivé du prénom Étienne… le premier martyr chrétien. Et c’est moi qui ai condamné mon frère à l’enfer !
— Non… , murmura Elena. Il s’est lui-même damné en te tuant… Est-ce que tu sais ce qu’il est devenu ?
— Il a fait partie d’un bataillon de mercenaires qui mettaient tout à feu et à sang sur leur passage…
Il a arpenté le pays en se battant et en buvant le sang de ses victimes, pendant que moi je mourrais à moitié de faim aux portes de la ville, où je chassais des animaux. Je n’ai plus entendu parler de lui pendant longtemps. Et puis, un jour, j’ai entendu sa voix dans mon esprit. Il avait acquis cette faculté grâce au sang humain qu’il buvait et qui lui donnait une force bien supérieure à la mienne. D’autant plus qu’il ne se contentait pas de cet élixir : à force d’assécher les veines de ses victimes, il leur prenait leur vie, ce qui lui donnait une puissance supplémentaire.
Lorsqu’un homme est mis à mort, son âme se fortifie, dans les derniers moments de terreur et de lutte, donnant à celui qui boit son sang un pouvoir incroyable.
— Quel… pouvoir ? demanda Elena, intriguée.
— Il ne s’agit pas d’un seul pouvoir, en fait, mais de tout un ensemble de facultés. Un mélange de force et de rapidité, d’abord. Une acuité de tous les sens, aussi, surtout la nuit. Et puis, la possibilité de… sentir les esprits. Nous sommes capables de déceler leur présence, et la nature de leurs pensées. Nous pouvons aussi subjuguer totalement les plus faibles, ou simplement les faire obéir à nos ordres. Et, ce n’est pas tout : si nous buvons suffisamment de sang humain, nous avons la possibilité de changer d’aspect pour prendre celui d’un animal, par exemple. Plus nous tuons, plus notre pouvoir est décuplé.
Dans mon esprit, la voix de Damon était parfaitement distincte. Il me disait qu’il était désormais le chef de son propre bataillon, et qu’il revenait à Florence ; s’il me trouvait encore là lorsqu’il arriverait, il me tuerait. Je savais qu’il tiendrait parole, alors je suis parti. Depuis, je ne l’ai croisé qu’une fois ou deux, et j’ai aussitôt disparu de son chemin : je sentais que sa puissance croissait de jour en jour. Damon a su à merveille s’adapter à son état, et il semble très fier d’appartenir au royaume de l’ombre… Moi aussi, pourtant, que je le veuille ou non, j’en fais partie : je porte la marque des ténèbres. J’ai beau essayer de maîtriser mes instincts, rien n’y fait… J’ai eu tort de penser que je pourrais vivre tranquillement à Fell’s Church, loin des vieux souvenirs qui me rappelaient ma véritable nature. Parce que, ce soir, j’ai tué un homme.
— Non ! Stefan ! Ce n’est pas vrai ! Tu n’as rien fait, j’en suis sûre.
L’histoire qu’elle avait entendue l’avait certes épouvantée. Mais elle lui avait également inspiré de la pitié, et le dégoût du début avait totalement disparu. Elle était certaine d’une chose : Stefan n’était pas un assassin.
— Dis-moi ce qui s’est passé ce soir. Est-ce que tu t’es disputé avec Tanner ?
— Je… je ne me souviens plus. J’ai utilisé mon pouvoir pour le persuader de faire ce que tu voulais. Et puis je suis parti. Mais un peu plus tard, j’ai senti ma tête tourner, et mes forces décliner… comme à chaque attaque… La dernière fois que ça m’est arrivé, c’était dans le cimetière, à côté de l’église, le soir où Vickie a été agressée…
— Mais ce n’est pas toi qui as fait ça ! Tu n’aurais jamais fait une chose pareille, hein, Stefan ?
— Je n’en sais rien. Comment expliques-tu, alors, que je me suis trouvé là à chaque crime, si ce n’est pas moi le coupable ? Et puis, j’ai bu le sang de l’homme sous le pont. Et on l’a retrouvé à moitié mort… Et puis, j’étais là aussi quand Vickie et Tanner ont été attaqués…
— Peut-être, mais ce n’est pas toi le meurtrier. La preuve, c’est que tu ne t’en souviens pas, déclara Elena.
La lumière s’était soudain faite dans son esprit, lui donnant l’absolue certitude que Stefan était innocent.
— Ça ne veut rien dire ! objecta-t-il. Qui d’autre à part moi aurait pu faire une chose pareille ?
— Damon.
Ce nom le fit d’abord tressaillir. Puis ses épaules s’affaissèrent.
— J’y ai pensé, moi aussi : je me suis dis que quelqu’un comme mon frère aurait pu commettre ces attaques. Alors, j’ai sondé autour de moi la présence d’autres esprits. Personne ne s’est manifesté. Tu vois, la seule explication possible, c’est que c’est moi le tueur.
— Non, tu n’as pas compris. Je ne pense pas que quelqu’un comme Damon soit l’auteur de ces crimes. Ce que je veux dire, c’est que Damon est ici, à Fell’s Church. Je l’ai vu.
Stefan la regarda, incrédule.
— C’est forcément lui, reprit-elle. Je l’ai croisé au moins deux fois, peut-être trois. Stefan, c’est mon tour de te raconter.
Elle lui expliqua alors, de façon la plus succincte possible, ce qui s’était passé dans le gymnase, puis chez Bonnie. Lorsqu’elle lui dit que Damon avait essayé de l’embrasser, Stefan eut du mal à contenir sa colère. Et elle eut honte de lui avouer qu’elle avait failli céder. Elle lui parla ensuite du corbeau, et de tous les événements étranges survenus depuis son retour de France.
— Et je pense même qu’il se trouvait dans le gymnase ce soir, acheva-t-elle. Quelqu’un à la démarche familière m’a frôlée dans l’entrée : il était habillé tout en noir, avec un capuchon sur la tête… comme pour incarner la mort. C’était lui, Stefan, j’en suis presque sûre qu’il est là.
— Mais, alors, comment expliques-tu que l’homme sous le pont ait été retrouvé à moitié mort ?
— Tu as dit toi-même que tu n’as bu qu’un peu de sang ! Peut-être que Damon est venu après ton départ et l’a achevé… Rien n’était plus simple pour lui, surtout s’il t’épiait depuis longtemps, peut-être sous une autre forme…
— Un corbeau, par exemple ?
— Oui. Et pour ce qui est de Vickie, j’ai une petite idée. Voilà, tu m’as dit que tu pouvais subjuguer les esprits plus faibles. Est-ce que Damon n’aurait pas pu faire la même chose avec toi ?
— C’est possible. En me cachant sa présence, il aurait pu contrôler ma volonté.
La voix de Stefan retrouva soudain toute sa vigueur.
— Mais, oui ! s’écria-t-il, c’est sans doute pour cette raison qu’il n’a jamais répondu à mes appels. Il volait…
— Il voulait te faire douter, et c’est exactement ce qui s’est passé ! Il a cherché à te faire croire que c’était toi le tueur. Mais c’est faux, Stefan ! Maintenant, tu le sais, et tu n’as plus à avoir peur !
Elena s’était levée. Elle était folle de joie à la pensée que cette atroce nuit s’était conclue de manière si merveilleuse.
— Alors, c’est pour ça que tu étais si distant avec moi ! reprit-elle en lui tendant les mains. Tu avais peur du mal que tu pouvais me faire. Mai tu n’as plus rien à craindre maintenant !
— T’en es bien sûre ? répondit Stefan, qui fixait avec insistance les paumes tendues d’Elena. Tu penses que tu n’as plus aucune raison de me craindre ! Peut-que que Damon a effectivement attaqué ces gens. Mais ça ne rend rien au fait que je peux être dangereux, et que j’ai tenté par de terribles pulsions. Même envers toi…
— Je suis sûre que tu n’as jamais voulu me faite de mal.
— Tu crois ça ! Mais tu ignores qu’à la seule vue de ta gorge, j’ai eu envie plus d’une fois de me jeter sur toi devant tout le monde…
La façon dont il regardait son cou lui faisait tant penser à Damon qu’elle sentit les battements de son cœur s’accélérer.
— Tu sais, Stefan, tu n’as pas besoin de m’y forcer… j’ai bien réfléchi, et, en fin de compte, c’est ce que je veux.
— Tu ne sais pas de quoi tu parles… , dit-il d’un air bouleversé.
— Je crois que si… Tu m’as expliqué ce que tu as ressenti quand Katherine a bu ton sang. Je veux que tu fasses la même chose avec moi. Je ne te demande pas de me changer, tu sais… Je sais à quel point tu aimais Katherine. Mais elle n’est plus là. Moi, si. Et je t’aime Stefan. Je veux tout partager avec toi.
— Il n’en est pas question !
Il s’était levé, furieux qu’elle veuille courir le risque.
— Personne ne sait de quoi je suis capable, quand ma passion se déchaîne…
Peut-être que j’en arriverai à te transformer ! Ou même, à te tuer ! Tu n’as pas encore compris qui j’étais et jusqu’où je pouvais aller ?
Le visage d’Elena était resté impassible, ce qui fit de nouveau enrager Stefan.
— Tu n’en as pas vu assez, c’est ça ? reprit-il. Est-ce qu’il faut que je te montre d’autres horreurs pour que tu comprennes enfin ce qui t’attend ?
Il alla jusqu’à la cheminée et ramassa une bûche dans l’âtre éteint D’un seul geste, il le brisa comme une allumette.
— Voilà ce que je pourrais faire de tes os si fragiles…
Il ramassa ensuite un coussin, et d’un seul coup d’ongle, en lacéra la housse de soie.
— De ta peau si douce… Puis il s’élança vers Elena en un éclair, la prit par les épaules, planta son regard dans le sien et, avec un sifflement sauvage, retroussa ses lèvres dans un rictus horrible, qui lui rappela en tous points la scène du belvédère. Elle avait sous les yeux les mêmes canines démesurées, celles d’un prédateur.
— Et de ton cou si blanc. Elena, pétrifiée par le visage terrifiant de Stefan, fut d’abord incapable du moindre mouvement, puis elle sembla revenir à elle. Elle glissa ses bras entre ceux de Stefan, qui s’agrippait toujours à ses épaules, et les fit remonter jusqu’à son visage, les prenant entre ses mains.
Elle resta longtemps ainsi sans bouger, les joues fraîches du jeune homme, en mettant dans son geste toute la tendresse et la douceur dont elle était capable : c’était comme une réponse à la dureté de des mains de Stefan sur ses épaules nues. Les yeux de celui-ci prirent une expression de stupeur quand il comprit — Elle n’avait pas l’intention de le repousser Elle espéra le sentir enfin vibrer de désir, jusqu’à ce que ses yeux le supplie de l’embrasser. Elle entendit sa respiration s’accélérer ; il frissonnait, comme lorsqu’il avait évoqué le souvenir de Katherine. Alors, tout doucement, elle attira à elle son visage, où une grimace bestiale flottait encore.
La nuque tendue de Stefan lui fît comprendre qu’elle n’avait pas fini de lutter. Pourtant, elle savait qu’il céderait, car sa douceur était une arme plus puissante que sa force à lui, toute surnaturelle qu’elle était Elle ferma les yeux et chercha à évacuer de son esprit les terribles révélations de Stefan, en se rappelant la tendresse de ses caresses. Ses lèvres allèrent rejoindre celles du prédateur qui l’avait menacée quelques instants plus tôt…
Il céda enfin à la douceur de son baiser : sur tes épaules d’Elena, ses doigts lâchèrent prise, et il l’enlaça tendrement.
— Tu n’es pas capable de me faire du mal, murmura-t-elle.
Leur étreinte effaça, dans un élan passionné, toutes leurs peurs et les moments de désespoir qu’ils avaient traversés. Elena s’abandonna entièrement à la volupté ! l’instant. Essoufflée et le cœur battant, elle comprit que le moment était venu.
Tout doucement, elle guida la bouche de Stefan vers sa gorge. Ses lèvres effleurèrent sa peau dans un souffle tiède. Puis ses dents aiguisées trouèrent sa chair. Mais la douleur disparut presque aussitôt, remplacée par un plaisir enivrant qui les submergea tous les deux.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, ce fut pour contempler un visage où tout obstacle avait disparu. Elle se sentit faible, soudain.
— Est-ce que tu me fais entièrement confiance ? murmura-t-il.
Elle hocha la tête. Il tendit la main vers quelque chose, près du lit. C’était la dague. Il la tira de son fourreau et se pratiqua une petite entaille à la base du cou. Le sang apparut, aussi rouge que les fruits du houx. Elle le regarda couler sans détourner le regard, et lorsqu’il l’attira contre sa plaie, elle n’eut aucune résistance.
Il la tint un long moment dans ses bras tandis que, dehors, les criquets poursuivaient leur sérénade. Enfin, il fit un mouvement pour se redresser.
— J’aimerais que tu restes toujours ici, et que nous ne soyons jamais séparés, chuchota-t-il. Mais c’est impossible.
— Je sais.
Ils avaient tellement de choses à se dire à présent, et tant de raisons de ne plus se quitter.
— On se reverra demain, reprit-elle en se serrant contre lui. Quoiqu’il arrive, Stefan, je ne t’abandonnerai pas, je te le jure…
— Oh, Elena, je te crois, murmura-t-il dans ses cheveux. Rien ne nous séparera.