11.

Elena s’était précipitée dans le couloir qui menait à la sortie en manquant se cogner aux murs. La lumière revint brusquement, éclairant les casiers familiers autour d’elle. Elle retint un cri de soulagement jamais la clarté ne lui avait tant manqué !

— Elena ! Qu’est-ce que tu fais là ? Meredith et Bonnie, au bout du couloir, venaient à sa rencontre.

— Et vous, où vous étiez passées ? demanda-t-elle en colère.

— C’est qu’on a cherché un bon moment M. Shelby avant de tomber dessus, répondit Meredith. Figure-toi qu’il dormait ! Et on n’arrivait pas à le réveiller… Je te jure que c’est vrai ! ajouta-t-elle devant le regard incrédule d’Elena. C’est seulement quand la lumière est revenue qu’il a ouvert les yeux. Alors, on est partie. Mais toi, qu’est-ce que tu fais là ?

Elena hésita.

— J’en avais marre d’attendre à ne rien faire dit-elle du ton le plus léger qu’elle put. De toute façon, on a assez travaillé pour aujourd’hui.

— Et c’est maintenant que tu le dis ! Râla Bonnie.

Meredith, elle, observait Elena sans rien dire.

Pendant le week-end et la semaine qui suivirent, Elena se consacra tout entière au projet de la Maison Hantée Elle eut très peu de temps à consacrer à Stefan, qui y manquait terriblement. Tout en travaillant, elle pensait à ce qui le poussait à éviter de se retrouver seul avec elle. Finalement, le mystère entourant Stefan était toujours aussi dense qu’au premier jour. Ainsi, il se débrouillait toujours pour esquiver les questions qu’elle lui posait sur sa famille et sa vie avant Fell’s Church. Mais quand elle lui avait demandé si l’Italie ne lui manquait pas, une étincelle avait jailli dans ses yeux verts.

— Comment pourrais-je la regretter alors que je suis là, avec toi ?

Et il avait embrassé Elena d’une façon qui avait balayé toutes ses interrogations. Elle avait alors compris ce que signifiait être profondément heureux. En voyant le visage radieux de Stefan, sa joie avait redoublé.

— Oh, Elena, avait-il murmuré.

Dernièrement, pourtant, ses inquiétudes n’avaient fait que grandir en constatant qu’il l’embrassait de moins en moins.

Ce vendredi-là, Bonnie avait invité Meredith et Elena à passer la nuit chez elle. Le ciel gris laissait présager de la pluie, et il faisait très froid pour la saison. Mais dans les rues, la splendeur des couleurs automnales apportait consolation aux prévisions météo pessimistes : les fables étaient d’un roux flamboyant, et les ginkgos rayonnaient d’un magnifique jaune.

Bonnie leur ouvrit la porte.

— Salut, vous deux ! Tout le monde est déjà parti pour Leesburg ! On a la maison rien que pour nous jusqu’à demain après-midi ! C’est génial, non ?

Alors qu’elle les faisait entrer, Yang-Tsê, le pékinois, lui fila entre les jambes.

— Non, Yang-Tsê ! Reviens ici tout de suite !

Mais le boudin ambulant courait déjà sur la pelouse en direction de l’unique bouleau, au pied duquel il s’arrêta en aboyant.

— Qu’est-ce qui lui arrive encore, à celui-là ?

— On dirait que c’est le corbeau qui lui fait cet effet.

À ces mots, Elena fut pétrifiée. Elle s’approcha de l’arbre pour en fouiller du regard le feuillage. Son pressentiment s’avéra exact : il s’agissait bien, pour la troisième fois, du même oiseau. Et peut-être même la quatrième, si elle comptait la forme sombre qui s’était envolée d’un chêne, dans le cimetière.

Tétanisée, elle vit l’œil noir et vif du corbeau la fixer : il avait toujours son regard humain. Il lui sembla avoir déjà vu ces yeux-là quelque part…

Le volatile émit soudain un croassement strident fit bondir les trois filles en arrière. Il remua les ailes pour quitter son perchoir et foncer droit vers elles. Au dernier moment, il changea de trajectoire, et fondit sur le chien qui aboya de plus belle. Mais l’oiseau ne fit que l’effleurer. Il prit de l’altitude, survola la maison, et disparut dans un des noyers qui se trouvaient derrière.

Les trois amies restèrent un moment stupéfaites, Bonnie et Meredith éclatèrent d’un rire nerveux.

— J’ai cru qu’il allait nous attaquer ! dit Bonnie en attrapant Yang-Tsê, qui jappait toujours.

— Moi aussi… murmura Elena, qui, elle, n’avait aucune envie de plaisanter.

Une fois à l’intérieur, la soirée prit un tour plus agréable. Assise avec ses amies devant la cheminée, une tasse de chocolat chaud dans les mains, Elena ne pouvait que se sentir bien. La discussion tournant très vite autour de la Maison Hantée, elle se détendit complètement.

— On a bien avancé, finalement ! déclara Meredith. Mais bon, c’est bien beau d’avoir imaginé les costumes des autres, on n’a toujours pas pensé aux nôtres !

— Pour moi, c’est facile, dit Bonnie. Je serai une druidesse : tout ce qu’il me faut, c’est une couronne de feuilles et une aube blanche. Je demanderai à Mary de m’aider : en une soirée, ce sera fait.

— Je crois que je vais opter pour la sorcière, déclara Meredith. Comme ça, j’aurai juste besoin d’une robe noire. Et toi Elena ?

— Ben, j’étais censée garder le secret, mais… tant pis, je vais quand même vous le dire. Ma tante a bien voulu que je demande l’aide d’une couturière pour réaliser la robe de la Renaissance que j’ai trouvée dans un bouquin. Elle est en soie de Venise, bleu givré. Elle est magnifique.

— Magnifique et hors de prix, sans doute, commenta Bonnie.

— Tante Judith a été d’accord pour que j’utilise l’argent laissé par mes parents. J’espère qu’elle plaira à Stefan… je veux lui faire la surprise et … Enfin, bref, j’espère vraiment qu’il l’aimera.

— Et lui, il se déguise en quoi ?

— À vrai dire, j’en sais rien, répondit Elena. D’ailleurs, Halloween n’a pas l’air de l’enthousiasmer plus que ça.

— De toute façon, je le vois mal caché sous un drap déchiré et couvert de faux sang, admit Meredith. Il est… comment dire… beaucoup trop digne pour ça.

— J’ai une idée ! s’écria Bonnie. Je vois exactement comment il pourrait se déguiser : comme il a le teint pâle, un accent étranger, et qu’il a toujours l’air un peu en colère, il suffit de lui trouver une redingote, et on aura un comte Dracula plus vrai que nature ! Elena eut un sourire forcé.

— On lui demandera ce qu’il en pense, d’accord ? En parlant de Stefan, intervint Meredith, comment ça va, vous deux ?

Elena soupira, et se perdit dans la contemplation de l’âtre.

— Je… je ne sais pas, dit-elle enfin. À des moments c’est génial, et puis, à d’autres…

Bonnie et Meredith échangèrent un regard, puis celle-ci demanda doucement :

— À d’autres… ?

Elena hésita, ne sachant comment exprimer ce qu’elle ressentait. Alors, elle eut une idée.

— Attendez deux secondes, dit-elle en se levant.

Elle grimpa en courant les escaliers jusqu’à la chambre de Bonnie, y prit son journal dans son sac, et redescendit.

— J’ai écrit ça hier soir. C’est plus simple de vous le lire…

Elle ouvrit le cahier, respira profondément et commença la lecture.

17 octobre

Je me sens très mal ce soir. J’ai plus que jamais besoin d’écrire.

Quelque chose cloche entre Stefan et moi. Il y aune très grande tristesse au fond de lui, dont je ne connais pas la cause ; c’est ce silence que j’ai vraiment du mal à accepter. Je ne sais pas quoi faire. Je ne supporte pas l’idée de le perdre, mais s’il n’a pas assez confiance en moi pour me parler de ses problèmes, je ne vois pas comment ça peut marcher entre nous.

Hier, quand j’étais dans ses bras, j’ai sentie sous sa chemise, quelque chose de rond qui pendait à une chaîne. Je lui ai demandé si c’était un camaïeu de Caroline. Mais cette question l’a rendu muet, presque mal à l’aise. Il avait l’air à des kilomètres de moi, tout à coup et de souffrir horriblement.

Elena interrompit sa lecture et relut pour elle-même les lignes qui suivaient :

J’ai l’impression que quelqu’un lui a fait beaucoup de mal et qu’il ne s’en est jamais vraiment remis. Mais il doit aussi avoir un secret qu’il veut à tout prix garder pour lui, et qu’il a peur que je découvre. Si seulement j’arrivais à savoir de quoi il s’agit, je pourrais lui prouver qu’il peut me faire confiance jusqu’au bout.

— Si seulement je savais… murmura-t-elle.

— Si seulement tu savais quoi ?

Elena sursauta.

— Heu… si seulement je savais ce qui va se passer, dit-elle en refermant son journal. Je veux dire… si c’était possible de connaître l’avenir, et si on me disait qu’on se séparerait, j’en terminerais le plus vite possible. Mais si tout devait s’arranger, je m’inquiéterais moins de ce qui se passe en ce moment. Le plus terrible, c’est de rester dans l’incertitude…

Bonnie se mordit la lèvre, les yeux brillants.

— Tu sais, Elena, moi, je connais un moyen de deviner le futur. Ma grand-mère m’a montré comment savoir avec qui on se mariera. Pour ça, il faut faire un souper muet.

— Laisse-moi deviner, c’est encore un vieux truc de druides, commenta Meredith.

— Ça, j’en sais rien. Mais ma grand-mère dit qu’il y en a toujours eu. Et je vous jure que ça marche : ma mère a vu qu’elle se marierait avec mon père, et un mois plus tard, c’est ce qui s’est passé ! C’est pas compliqué, tu sais Et puis, de toute façon, t’as rien à perdre !

Elena regarda ses deux amies l’une après l’autre.

— J’hésite… Tu crois vraiment à ce genre de trucs ?

Bonnie prit un air offensé.

— Tu veux dire que ma mère est une menteuse ? Allez… Je te dis que tu risques rien…

— Qu’est-ce qu’il faut faire ? demanda Elena qui commençait à être intriguée, bien qu’un peu inquiète.

— C’est simple. Il faut que tout soit prêt avant les douze coups de minuit…

À 23 h 55, Elena se tenait dans la salle à manger des parents de Bonnie, seule. Elle ne s’était jamais sentie aussi stupide. Dans le jardin, Yang-Tsê aboyait frénétiquement. À l’intérieur, en revanche, seul le tic-tac régulier de l’horloge se faisait entendre. Conformément aux instructions de Bonnie, elle avait disposé, dans le plus grand silence, une assiette, un verre et des couverts sur la table en noyer. Puis, elle avait placé une bougie allumée au centre, avant de se placer derrière l’unique chaise, installée devant l’assiette. Au douzième coup de minuit, elle devait tirer la chaise et inviter son futur époux à s’y asseoir. À ce moment-là, la chandelle s’éteindrait et Elena y verrait une silhouette sur le siège.

Au départ, toute cette mise en scène l’avait un peu Inquiétée : elle n’avait pas envie qu’une quelconque silhouette apparaisse, pas même celle de son futur mari À présent, elle trouvait cela tout simplement ridicule, mais sans danger.

Quand elle entendit l’horloge sonner, elle se redressa malgré elle, et s’agrippa un peu plus au dossier de la chaise, car Bonnie lui avait bien recommandé de ne jamais le lâcher. Elle se demandait encore si elle prononcerait vraiment la formule idiote indiquée par son amie, lorsque le dernier coup retentit.

— Entrez… , dit-elle malgré elle dans la pièce vide, tout en tirant la chaise.

Un vent froid souffla la chandelle. Elle se retourna brusquement, sans lâcher prise. Elle comprit que le courant d’air venait des grandes baies vitrées derrière elle. Elle aurait juré que ces fenêtres étaient fermées !

Quelque chose bougea dans l’obscurité : un frisson de terreur lui parcourut le dos. Elle n’avait plus du tout envie de rire maintenant. Toutes ces idioties étaient en train de tourner au cauchemar. La pénombre, ajoutée au silence le plus total, lui ôtaient tout moyen de savoir d’où viendrait le danger.

— Vous permettez ? dit une voix.

Une flamme s’était allumée dans le noir. L’espace d’un instant, elle pensa que c’était Tyler, car elle crut reconnaître le briquet dont il s’était servi dans l’église. « Mon Dieu, quelle horreur ! » eut-elle le temps de songer en apercevant les mains fines qui tenaient la bougie elle eut un soupir de soulagement : elles n’avaient rien à voir avec les grosses pattes de Tyler, et ressemblaient davantage à celles de Stefan.

Elle leva les yeux.

— Vous ! Qu’est-ce que vous faites là ? Comment êtes-vous entré ?

Les baies vitrées étaient effectivement ouvertes.

— Ça vous arrive souvent de venir chez les gens sans être invité ? demanda-t-elle enfin.

— Vous m’avez vous-même demandé d’entrer.

Sa voix était la même : calme, ironique, et amusée Son sourire ne l’avait pas quitté.

— Et je vous en remercie, ajouta-t-il en s’asseyant sur la chaise.

Elle retira aussitôt ses mains du dossier comme si elle s’était brûlée à son contact.

— Mais je ne vous ai rien demandé du tout ! s’écria-t-elle.

Elle ne savait pas si elle devait être gênée ou indignée.

— Qu’est-ce que vous faisiez dans le jardin de Bonnie ? reprit-elle.

À la lumière de la flamme, les cheveux du jeune homme brillaient d’un éclat surnaturel. Il était d’une pâleur extrême, et, pourtant, irrésistiblement beau. Ses yeux se plantèrent dans ceux d’Elena.

Hélène, ta beauté est pour moi comme ces nefs nicéennes d’autrefois, qui doucement, sur une mer parfumée.

Vous feriez mieux de partir tout de suite.

Elle sentait qu’elle devait immédiatement se soustraire à cette voix, dont la mélodie commençait à lui ôter toute volonté.

— Vous n’avez rien à faire ici, insista-t-elle. Allez-vous-en !

Comme il ne bougeait pas, elle tendit une main vers la bougie avec l’intention de quitter la pièce. Mais, avant qu’elle ait pu la saisir, il lui prit la main : avec une infinie douceur, il la retourna, et y déposa un baiser.

— Non… murmura Elena.

— Venez avec moi.

— Non, s’il vous plaît…

Le sol se déroba sous ses pieds. Elle eut juste le temps de se demander où son interlocuteur voulait l’emmener avant de s’effondrer. Il se leva pour l’empêcher de tomber, encerclant sa taille. La tête de la jeune fille alla malgré elle se poser contre sa poitrine. Alors, de ses doigts froids, il défit le premier bouton de son chemisier, près de la gorge.

— Non, pitié…

— Ça ne sera rien, vous allez voir.

Il écarta son col pour lui dégager le cou, tout en lui soutenant la tête de l’autre main.

— Nooon ! hurla-t-elle.

La conscience du danger lui était apparue si puissamment qu’elle trouva enfin la force de réagir. Elle s’écarta violemment, butant contre la chaise.

— Je vous ai demandé de vous en aller ! Foutez le camp immédiatement !

L’inconnu lui lança un coup d’œil furieux. Mais l’instant d’après, ses traits avaient retrouvé leur calme habituel, et un sourire éclaira même son visage.

— Eh bien, je m’en vais, dit-il enfin. Pour l’instant…

Lorsque les fenêtres se refermèrent derrière lui, elle reprit enfin son souffle, goûtant au silence avec soulagement. Même le tic-tac de l’horloge s’était arrêté. Elle s’apprêtait à en examiner le mécanisme lorsque des exclamations s’élevèrent du jardin. Elle se précipita dans l’entrée, encore un peu faible sur ses jambes, tout en reboutonnant son chemisier. La porte ouverte lui permit d’apercevoir ses deux amies penchées sur quelque chose.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Elle les rejoignit en quelques pas, et vit que Bonnie pleurait.

— Il est… mort…

Horrifiée, Elena se courba à son tour sur la forme inerte à ses pieds. C’était son pékinois, couché sur le flanc, raide et les yeux ouverts.

— Oh, ma pauvre…

— Il était vieux, c’est vrai, mais je ne pensais pas qu’il mourrait si subitement ! Quand je pense qu’il était en train d’aboyer il y a à peine quelques minutes…

— Ça ne sert à rien de rester là, dit doucement Meredith. Il faut rentrer.

Elena avait hâte de rejoindre la maison, elle aussi, car elle se méfiait plus que jamais de l’obscurité, à présent, elle réfléchirait à deux fois, désormais, avant d’inviter quiconque à entrer chez elle…

Lorsqu’elle regagna le salon, son journal avait disparu. Stefan fut dérangé par un bruit qui lui fit lever la tête. La biche sur laquelle il était penché profita de cet instant pour tenter de se libérer de sa morsure.

— Allez, va-t’en, murmura Stefan en la relâchant.

Il regarda l’animal se hisser sur ses pattes et disparaître dans les taillis en se disant qu’il avait absorbé suffisamment de sang : la pointe de ses canines était devenue hypersensible, comme à chaque fois qu’il s’abreuvait longuement. Il était toutefois de plus en plus difficile de savoir quand il devait s’arrêter. Depuis le soir où il était entré dans l’église, il n’avait qu’une peur, celle d’éprouver un malaise identique et d’en faire subir les conséquences à quelqu’un d’autre…

En réalité, il vivait surtout dans la hantise de se réveiller un jour, le corps gracile d’Elena dans ses bras, sa gorge délicate percée de deux petits trous rouges, et son cœur au repos pour l’éternité.

Cette soif de sang, à laquelle il était pourtant soumis depuis des siècles, lui posait toujours autant de questions : comment pouvait-il ressentir un si vif plaisir accompagné d’un si profond sentiment d’horreur ? Il s’imposa la réaction qu’aurait un être humain si on lui offrait de boire ce nectar à même un corps chaud, Il serait sans doute profondément dégoûté…

Mais la nuit où lui-même en avait goûté pour la première fois, une telle proposition n’avait pas été formulée. Les années n’avaient effacé aucun détail du moment où Katherine avait permis sa transformation. La jeune fille devait rendre sa décision le lendemain.

Elle était apparue dans sa chambre pendant son sommeil, avec la légèreté d’un fantôme, vêtue d’une fine chemise de lin. Il fut réveillé par sa main blanche écartant les rideaux du lit. Il se dressa sur son séant, mais lorsqu’il vit ses cheveux blond cendré en cascade sur ses épaules et ses yeux bleus remplis d’ombre, l’émerveillement le laissa sans voix. Il ne l’avait jamais vue si belle : son amour pour elle le submergea avec une immense force. Comme il s’apprêtait à parler, tout tremblant d’émotion, elle lui posa ses doigts sur la bouche.

— Chut…

Et quand elle se glissa à ses côtés en faisant craquer le bois du lit, le cœur de Stefan se mit à battre à tout rompre, et le feu lui monta aux joues. Pour la première fois, une femme partageait son lit, et c’était Katherine, dont le visage angélique était penché vers lui. Il l’aimait plus que tout. Il fit un grand effort pour sortir de son état de béatitude.

— Katherine, murmura-t-il. Nous… Je peux attendre, tu sais. Je saurai patienter jusqu’à ce que nous soyons prêts. Mon père arrangera tout la semaine prochaine,… Ce ne sera pas long…

— Chut… répéta-t-elle.

Au contact de sa peau fraîche, il ne put s’empêcher de l’enlacer.

— Ce n’est pas ce que tu penses… , dit-elle en lui caressant la gorge de ses doigts fins.

Alors, il comprit. Réconforté par la douceur de Katherine, il oublia la peur qui l’avait traversé l’espace d’un instant, et se résigna à toutes ses volontés.

— Allonge-toi, mon amour, murmura-t-elle.

Mon amour. Ces mots firent bondir son cœur de joie ; la tête sur l’oreiller, il exposa sa gorge avec obéissance. Les cheveux soyeux de Katherine glissèrent sur son visage, sa bouche vint se coller à son cou, puis ses dents s’y plantèrent La douleur aiguë l’aurait fait crier si son désir de contenter Katherine n’avait été le plus fort. D’ailleurs, la souffrance s’atténua presque aussitôt, laissant place à un grand bien-être : il était tellement heureux de se donner !

Puis, ce fut comme si leurs deux esprits entraient en communion : il partageait la joie que Katherine ressentait en aspirant ce sang chaud et vivifiant ; elle savait à quel point ce cadeau le comblait. Stefan sombra lentement dans une torpeur qui lui ôtait la faculté de penser, l’emportant dans un autre univers…

Lorsqu’il reprit connaissance, il était dans les bras de Katherine, qui le berçait doucement. Elle guida sa bouche vers une petite coupure, dans son cou, tout en lui caressant les cheveux d’un geste encourageant. Il plaqua ses lèvres sur la plaie sans hésiter, et aspira.

Stefan chassa d’un geste méthodique les brindilles accrochées à ses vêtements. Ces souvenirs avaient réveillé son appétit : il n’avait plus la sensation d’être rassasié. Les narines frémissantes, il se remit en chasse, à l’affût de l’odeur musquée du renard.

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