Chapitre XIX LA LEÇON DU «KA»

Ce soir-là, nous sommes tous allés nous coucher de bonne heure. La nuit suivante serait une nuit d'anxiété, et Mr. Trelawny estimait que nous devions prendre tout le repos que pouvait nous procurer le sommeil. J'avais l'impression d'entendre les aiguilles de la pendule tourner sur le cadran. Je vis l'obscurité se dissiper peu à peu, tourner au gris de l'aube, puis la lumière se faire, sans que rien vienne interrompre ou faire dévier le cours de mes pensées lamentables. Finalement, dès que cela fut décemment possible sans craindre de déranger mes compagnons, je me levai. Je me glissai dans le couloir pour vérifier que tout allait bien chez les autres; car nous nous étions arrangés de telle sorte que la porte de chacune de nos chambres devait rester légèrement entrouverte pour que tout bruit suspect pût être facilement entendu.


Tout le monde dormait. J'entendis la respiration régulière de chacun, et je me réjouis dans le fond de mon cœur de constater que cette malheureuse nuit d'anxiété s'était passée sans encombre. Tandis que je m'agenouillais dans ma chambre pour dire dans un élan, une prière d'action de grâces, je sondai dans les profondeurs de mon cœur toute l'importance de ma terreur. Je sortis de la maison et descendis jusqu'à l'eau par le long escalier taillé dans le roc. Quelques brasses dans la mer limpide et fraîche calmèrent mes nerfs et me firent redevenir moi-même.


Quand j'arrivai en m'en retournant, je parvins en haut des marches, je pus voir le soleil resplendissant, qui s'élevait derrière moi et donnait aux rochers situés de l'autre côté de la baie, une teinte d'or étincelant. Et cependant je me sentis plus ou moins troublé. Tout cela était trop flamboyant comme il arrive quelquefois avant une tempête. Tandis que je m'arrêtais pour contempler le spectacle, je sentis une main se poser doucement sur mon épaule. Je me retournai et je trouvai Margaret tout près de moi. Margaret aussi rayonnante que ce soleil matinal et glorieux! Cette fois, c'était bien ma Margaret. Ma Margaret d'autrefois, sans mélange d'aucune autre! Et j'eus l'impression qu'au moins cette dernière journée fatale avait bien commencé.


Mais, hélas! Cette joie fut de courte durée. Quand nous fûmes rentrés à la maison après une promenade sur les falaises, ce fut le retour de la même routine que la veille: tristesse et anxiété, espoir, ardeur, profonde dépression, réserve apathique.


La journée cependant devait être consacrée au travail et nous nous y préparâmes tous avec une énergie qui nous sauva.


Après le petit-déjeuner, nous nous sommes réunis dans la caverne. Mr. Trelawny passa en revue, point par point, la position de chaque objet. Il expliquait au passage la raison pour laquelle on assignait une place à chacun d'entre eux. Il avait à la main les grands rouleaux de papier avec les plans cotés, les inscriptions et les dessins qu'il avait faits d'après les siennes et les notes prises au brouillon par Corbeck. Comme il nous l'avait dit, il y avait là tous les hiéroglyphes qui se trouvaient sur les parois, les plafonds et le sol du tombeau de la Vallée de la Sorcière. Même si les mesures, reproduites à l'échelle, déterminaient l'emplacement de chaque meuble, nous aurions pu éventuellement les mettre là où il convenait en étudiant les inscriptions secrètes et les symboles.


Mr. Trelawny nous expliqua certaines autres choses, qui n'étaient pas portées sur le plan. Par exemple, la partie évidée de la table s'adaptait exactement au fond du Coffre Magique, qui était donc destiné à y être placé. Les places respectives des pieds de cette table étaient indiquées par des uræus de différentes formes tracés sur le sol, la tête de chaque serpent étant dirigée vers un uræus semblable enroulé autour du pied. Il expliqua également que la momie, quand elle serait couchée sur la partie surélevée ménagée au fond du sarcophage, faite, semblait-il, pour épouser sa forme, aurait la tête à l'ouest et les pieds à l'est, de manière à recevoir les rayons telluriques naturels.


– Si cela est intentionnel, dit-il, comme je le suppose, j'imagine que la force à utiliser a quelque chose à faire avec le magnétisme, l'électricité, ou les deux. Il est possible naturellement qu'une autre force, comme, par exemple, celle qui est émise par le radium, doive être employée. J'ai fait des expériences avec cette dernière force, mais seulement à l'aide de la petite quantité de radium que j'ai pu me procurer; mais autant que je puisse le constater, la pierre du Coffre est absolument insensible à son action. Il doit y avoir dans la nature de telles substances présentant le même caractère. Le radium ne se manifeste pas, semble-t-il, quand il est contenu dans le pechblende; et il y a sans doute d'autres substances auxquelles il peut se trouver inclus. Elles appartiennent peut-être à cette catégorie d'éléments «inertes» découverts et isolés par Sir William Ramsay. Il est donc possible que, dans ce Coffre, tiré d'un aérolite et contenant donc peut-être quelque élément inconnu dans notre monde, se trouve une énergie considérable qui sera libérée quand nous l'ouvrirons.


Cela paraissait être la conclusion de ce chapitre du sujet traité; mais comme il avait le regard fixe de quelqu'un qui est toujours engagé sur un sujet, nous attendions tous en silence. Après avoir marqué un temps, il continua:


– Il y a une chose qui, je le confesse, m'a toujours, jusqu'à présent, intrigué. Elle n'est peut-être pas de la première importance; mais dans une affaire comme celle-ci, où tout est inconnu, nous devons admettre que tout est important. Je ne peux pas croire que dans une entreprise étudiée avec cette extraordinaire minutie, une pareille chose ait pu être négligée. Comme vous pouvez le voir sur le plan du tombeau le sarcophage se trouve près de la paroi nord, avec le Coffre Magique au sud. L'espace recouvert par le sarcophage ne porte aucun symbole ni aucune ornementation de quelque nature que ce soit. À première vue cela semblerait impliquer que les dessins ont été tracés après la mise en place du sarcophage. Mais un examen plus minutieux nous montrera que les symboles sont disposés sur le sol de manière à produire un effet déterminé. Regardez, ici les inscriptions sont dans le bon ordre, comme si elles avaient sauté par-dessus l'espace vide. C'est seulement d'après certains effets qu'une chose devient claire: cela présente une signification quelconque. Ce que nous voulons savoir, c'est en quoi consiste cette signification. Regardez en haut et en bas de l'espace vide, qui s'étend de l'ouest à l'est c'est-à-dire de la tête au pied du sarcophage. Aux deux endroits, il y a la reproduction de la même symbolisation, mais disposée de telle sorte que les parties de chacune d'elles sont intégralement des parties d'autres inscrites en travers. C'est seulement quand on jette un coup d'œil en partant, soit de la tête, soit du pied, qu'on s'aperçoit qu'il s'agit de symbolisations. Regardez! Il y a une troisième reproduction dans les coins et au centre de la partie supérieure et de la partie inférieure. Dans chaque compartiment se trouve un soleil coupé au milieu par la ligne du sarcophage, comme par l'horizon. Tout près, derrière chacun d'eux et tourné de l'autre côté, comme s'il dépendait de lui d'une certaine façon, se trouve le vase qui, dans l'écriture hiéroglyphique symbolise le cœur – «Ab», du nom que lui donnent les Égyptiens. De nouveau, au-dessous de chacun se trouve une paire de bras étendus tournés vers le haut à partir du coude; c'est le déterminant du «Ka» ou «Double». Mais sa position relative est différente entre le haut et le bas. À la tête du sarcophage le haut du «Ka» est tourné vers l'ouverture du vase, mais au pied les bras étendus s'en éloignent.


» Ce symbole semble vouloir dire que pendant le passage du soleil de l'ouest à l'est – du coucher au lever du soleil, ou à travers le Monde d'En-Dessous, autrement dit la nuit – le Cœur qui est matériel, même dans la tombe et qui ne peut la quitter, se résout simplement en ses éléments, de sorte qu'il peut toujours se reposer sur «Ra», le Dieu Soleil, l'origine de tout le bien; mais que le Double, qui représente le principe actif, va où il veut, aussi bien la nuit que le jour. Si cela est exact, c'est un avertissement: la conscience de la momie ne repose pas, mais on doit en tenir compte.


» Ou bien cela tend peut-être à dire qu'après la nuit de la résurrection elle-même, le «Ka» quittera tout à fait le cœur. Symbolisant ainsi le fait que dans sa résurrection la Reine serait rendue à une existence inférieure et purement physique. Dans ce cas qu'adviendrait-il de ses souvenirs et de ses expériences d'âme errante? La principale valeur de sa résurrection serait perdue pour le monde! Cependant, cela ne m'inquiète pas. Après tout, car cela est contraire à la croyance intellectuelle de la théologie égyptienne, d'après laquelle le «Ka» est une portion essentielle d'humanité.


Il s'était arrêté; nous attendions tous. Le silence fut rompu par le Dr Winchester:


– Mais cela n'impliquerait-il pas simplement que la Reine craignait une intrusion dans sa tombe?


– Mon cher monsieur, répondit Mr. Trelawny en souriant, elle y était préparée. Le viol de sépulture n'est pas une invention moderne; il était probablement connu au temps de la dynastie de la Reine. Elle était non seulement préparée à une intrusion, mais, comme on le voit de différentes façons, elle l'attendait. Le fait d'avoir caché les lampes dans le serdab, l'installation du «trésorier» vengeur montre l'existence d'une défense, aussi bien positive que négative. À dire vrai, d'après les nombreuses indications fournies par les indices laissés avec une parfaite prévoyance, nous pourrions presque conclure qu'elle envisageait comme possible que d'autres – comme nous, par exemple – entreprennent très sérieusement le travail qu'elle s'était préparé pour elle lorsque le moment en serait venu. Cette question dont je viens de parler est prise comme exemple. L'indice est destiné à des yeux qui savent voir!


Nous étions de nouveau silencieux. Ce fut Margaret qui dit:


– Père, puis-je avoir ce plan? J'aimerais l'étudier pendant la journée.


– Certainement, ma chérie, répondit Mr. Trelawny de bon cœur en lui tendant le plan.


Il reprit ses instructions sur un ton différent, plus terre à terre et convenant à un sujet pratique qui ne comportait rien de mystérieux:


– Je crois qu'il est préférable que vous connaissiez le fonctionnement de la lumière électrique en prévision d'un cas d'urgence. Vous avez remarqué, je pense, que nous avons une installation complète dans toutes les parties de la maison, si bien qu'aucun recoin ne doit rester dans l'obscurité. Cela a été spécialement prévu. L'installation est alimentée par un jeu de turbines mues par le flux et le reflux, comme les turbines du Niagara. J'espère supprimer ainsi tout risque d'accident et assurer la fourniture de courant à tout instant. Venez avec moi pour que je vous explique le système des circuits, vous montre les interrupteurs et les fusibles.


Tandis que nous faisions avec lui le tour de la maison, je ne pus m'empêcher de remarquer à quel point tout était prévu, comme il s'était prémuni contre tout désastre prévisible par un esprit humain.


Mais cette perfection même me causait une crainte. Dans une entreprise comme la nôtre, les limites de la pensée humaine ne peuvent être que très étroites. Au-delà s'étendent l'immensité de la sagesse et la puissance divines.


Quand nous eûmes regagné la caverne, Mr. Trelawny aborda un autre thème:


– Il nous faut à présent fixer avec précision l'heure exacte à laquelle la Grande Expérience doit être tentée. Quand il ne s'agit que de science et de mécanique, à condition que les préparatifs soient complets, l'heure n'a pas d'importance. Mais nous avons à compter avec les préparatifs faits par une femme d'un esprit extraordinairement subtil, qui avait pleine croyance dans la magie, mettait dans toute chose une signification cachée et nous devons, avant de décider, nous mettre à sa place. Il est à présent manifeste que le coucher du soleil occupe une place importante dans les dispositions prises. Comme ces soleils, coupés si mathématiquement par le bord du sarcophage, ont été mis là avec une intention bien nette, nous devons nous en servir comme indices. De plus, nous avons trouvé sans cesse que le chiffre sept jouait un rôle primordial dans toutes les nuances de la pensée de la Reine, dans son raisonnement et sa manière d'agir. La conséquence logique, c'est que la septième heure après le coucher du soleil est le moment prescrit. Cela se confirme par le fait que chaque fois qu'une chose a été entreprise dans ma maison, cela fut l'heure choisie. Comme ce soir le soleil se couche en Cornouailles à huit heures, notre heure doit être trois heures du matin.


Il parlait de cela comme d'une chose toute naturelle, avec cependant une grande gravité; mais il n'y avait rien de mystérieux dans ses paroles ou ses manières. Nous étions toutefois impressionnés à un degré remarquable. Je pouvais le voir chez les autres hommes par la pâleur qui envahissait certains visages, par le calme, le silence et l'absence de questions qui accueillaient l'annonce de cette décision. La seule qui restait d'une certaine façon à son aise, c'était Margaret, qui avait sombré dans l'une de ses absences, mais qui parut se réveiller avec une sorte de gaieté. Son père, qui la surveillait attentivement, sourit, son humeur lui apportait une confirmation directe de l'exactitude de sa théorie.


À présent nous allons voir les lampes et achever nos préparatifs. En conséquence, nous nous mîmes au travail, et sous sa supervision, nous avons préparé les lampes égyptiennes, vérifié si elles étaient bien garnies d'huile de cèdre, si les mèches étaient réglées et en bon état. Nous les allumâmes et les vérifiâmes une par une et les laissâmes prêtes de sorte qu'elles puissent éclairer immédiatement et régulièrement. Lorsque cela fut fait, nous passâmes une inspection générale et nous avons tout tenu prêt pour notre travail de la nuit.


Tout cela nous avait pris du temps et nous fûmes, je crois, tous surpris quand, en sortant de la caverne, nous avons entendu la grande horloge de l'antichambre sonner quatre heures.


Nous prîmes un déjeuner tardif, chose possible sans difficultés dans l'état présent de notre intendance. Ensuite, sur le conseil de Mr. Trelawny, nous nous sommes séparés; chacun devait se préparer à sa manière aux épreuves de la nuit, Margaret était pâle et semblait assez fatiguée, si bien que je lui conseillai de s'étendre et d'essayer de dormir. Elle me le promit. Cet air absent qu'elle avait eu toute la journée s'était dissipé pour le moment. Avec toute sa gentillesse habituelle et son amoureuse délicatesse elle m'embrassa pour me dire au revoir. Le bonheur que j'en ressentis me poussa à aller me promener sur les falaises. Je ne voulais pas penser et j'avais le sentiment instinctif que l'air frais et le soleil de Dieu, les milliers de beautés dispensées par Sa main seraient pour moi la meilleure préparation à ce qui allait venir, et me donneraient le courage nécessaire.


Quand je rentrai, tout le monde se réunissait pour prendre un thé tardif. Je sortais à peine de l'exubérance de la nature, et une chose me frappa comme presque comique: alors que nous approchions du dénouement d'une entreprise tellement étrange – et presque monstrueuse – nous restions prisonniers des habitudes et des besoins contractés tout au long de nos existences.


Tous les hommes étaient graves; le temps pendant lequel ils étaient restés enfermés, même s'ils l'avaient consacré au repos, leur avait donné l'occasion de réfléchir.


Margaret était brillante, presque joyeuse; mais je regrettais l'absence en elle d'une certaine spontanéité. À mon égard elle avait un vague air de réserve qui fit revivre quelque chose de mes soupçons. Quand le thé fut desservi, elle sortit de la pièce; mais elle revint une minute après avec le rouleau de dessins qu'elle avait pris au début de la journée. Elle s'approcha de Mr. Trelawny et lui dit:


– Père, j'ai soigneusement examiné ce que vous disiez hier au sujet du sens caché de ces soleils et de ces cœurs et «Kas» et j'ai regardé de nouveau les dessins.


– Et avec quel résultat, mon enfant? demanda avec empressement Mr. Trelawny.


– Il est possible de les lire autrement.


– Et comment? Sa voix était à présent tremblante d'anxiété.


Margaret parlait avec une étrange résonance dans la voix; une résonance qui ne pouvait s'expliquer que par une conviction qui étayait ses dires:


– Cela veut dire qu'au coucher du soleil le «Ka» est sur le point d'entrer dans l' «Ab», et c'est seulement au lever du soleil qu'il le quittera!


– Continue! dit son père d'un ton rauque.


– Cela veut dire que pour cette nuit, le Double de la Reine, qui autrement est libre, restera dans son cœur, qui est mortel et ne peut quitter sa prison à l'intérieur du suaire de la momie. Cela veut dire que lorsque le soleil aura sombré dans la mer, la Reine Tera cessera d'exister comme puissance consciente, jusqu'au lever du soleil; à moins que la Grande Expérience ne puisse la rappeler à la vie éveillée. Cela veut dire qu'il n'y aura absolument rien pour vous ou pour d'autres à craindre d'elle d'une façon dont nous avons toutes les raisons de nous souvenir. Quel que soit le changement qui puisse résulter de la mise en œuvre de la Grande Expérience, il ne peut en venir aucun de la pauvre femme morte, sans recours, qui a attendu cette nuit depuis tant de siècles; qui a abandonné en faveur de l'heure qui vient toute la liberté de l'éternité, gagnée à la façon traditionnelle, dans l'espoir d'une vie nouvelle dans un monde nouveau tel que celui auquel elle aspirait…


Elle s'arrêta soudain. Tandis qu'elle parlait, ses paroles s'accompagnaient d'une intonation étrangement pathétique, presque suppliante, qui me toucha jusqu'à la moelle des os.


Après le départ de Mr. Trelawny, le silence s'établit. Je ne pense pas que personne ait eu envie de dire quelque chose. Puis, Margaret regagna sa chambre et je sortis sur la terrasse donnant sur la mer. L'air frais et la beauté du spectacle m'aidèrent à retrouver la bonne humeur que j'avais connue plus tôt dans la journée. Je ne tardai pas à éprouver une véritable joie grâce à la conviction que le danger que je craignais, et qui aurait résulté de la violence de la Reine pendant la nuit qui allait venir était évité. Je partageai la conviction de Margaret au point de ne pas mettre en doute la justesse de son raisonnement. J'avais un moral élevé, j'étais moins inquiet que je ne l'avais été depuis bien des jours, j'allai dans ma chambre pour m'étendre sur le sofa.


Je fus réveillé par Corbeck qui m'appelait en toute hâte.


– Descendez dans la caverne aussi vite que vous le pouvez. Mr. Trelawny veut nous y voir immédiatement. Dépêchez-vous!


Je bondis et descendis à la caverne en courant. Tout le monde était là, à l'exception de Margaret, qui arriva immédiatement après moi, portant Silvio dans ses bras. Quand le chat aperçut son vieil ennemi, il se débattit pour sauter à terre; mais Margaret le tenait serré et le calmait. Je regardai ma montre. Il était près de huit heures.


Lorsque Margaret nous eut rejoints, son père dit immédiatement, avec une insistance calme qui était nouvelle pour moi:


– Tu croyais, Margaret, que la Reine Tera avait volontairement choisi de renoncer pour cette nuit à sa liberté? De devenir une momie et rien d'autre, jusqu'à ce que l'Expérience ait été achevée? De se contenter d'être sans pouvoir en toutes circonstances jusqu'à ce que tout soit terminé, jusqu'à ce que la résurrection soit un fait accompli, ou que la tentative ait échoué?


Au bout d'un instant, Margaret répondit à voix basse:


– Oui.


Pendant cette pause tout avait changé chez Margaret son apparence, son expression, sa voix, ses manières. Même Silvio l'avait remarqué; dans un violent effort, il réussit à se dégager de ses bras; elle ne parut pas s'en apercevoir. Je m'attendais à ce que le chat, ayant conquis sa liberté, attaque la momie; mais cette fois-ci, il n'en fit rien. Il semblait trop intimidé pour s'en approcher. Il s'écarta et avec un «miaou» piteux il vint se frotter à mes chevilles. Je le pris dans mes bras, il s'y blottit en frissonnant. Mr. Trelawny avait repris la parole:


– Tu es sûre de ce que tu dis! Tu le crois de toute ton âme?


Le visage de Margaret n'avait plus son air absent; il paraissait illuminé par la dévotion de celui à qui il est donné de parler de choses grandioses. Elle répondit d'une voix qui, bien que calme, était vibrante de conviction:


– Je le sais! Mon savoir dépasse la croyance!


Mr. Trelawny parla de nouveau:


– Tu es donc tellement sûre que, serais-tu la Reine Tera elle-même, tu serais disposée à le prouver par tout moyen que je pourrais suggérer?


– Oui, par n'importe quel moyen! fut la réponse qui retentit avec un accent d'intrépidité.


D'une voix qui laissait paraître un léger doute, son père dit alors:


– Même en abandonnant ton Esprit Familier à la mort – à l'annihilation?


Elle se tut un instant, et je pouvais voir qu'elle souffrait horriblement. Il y avait dans ses yeux une expression traquée qu'aucun homme n'aurait pu voir, sans être retourné, dans les yeux de l'être aimé. J'étais sur le point d'intervenir lorsque les yeux du père, regardant autour de lui avec une détermination farouche, rencontrèrent les miens. Je restai silencieux, presque magnétisé; les autres hommes, de même. Il se passait sous nos yeux une chose que nous ne comprenions pas!


En quelques longues enjambées, Mr. Trelawny alla jusqu'au côté ouest de la caverne et ouvrit le volet qui occultait la fenêtre, avec une telle violence qu'il en brisa la chaîne qui servait à le manœuvrer et qui était usée par le temps. L'air frais entra, la lumière du soleil se répandit sur eux deux, car Margaret était à présent à côté de lui. Il désigna du doigt le soleil en train de plonger dans la mer au centre d'un halo de feu doré, et son visage avait la dureté du silex. D'une voix dont la dureté absolue résonnera jusqu'à ma mort dans mes oreilles, il dit:


– Choisis! Parle! Quand le soleil aura plongé dans la mer, il sera trop tard!


La lueur resplendissante du couchant éclairait le visage de Margaret au point qu'il semblait illuminé par l'intérieur, et elle répondit:


– Même à ce prix!


Elle bondit jusqu'à la petite table sur laquelle se trouvait le chat momifié, et elle posa la main sur lui. Elle était à présent sortie de la lumière du soleil et au-dessus d'elle les ténèbres étaient profondes. Elle dit d'une voix claire:


– Si j'étais Tera, je dirais: «Prenez tout ce que j'ai! Cette nuit est pour les seuls Dieux!»


Au moment où elle parlait, le soleil s'enfonça et l'ombre froide tomba soudain sur nous. Nous sommes restés immobiles un moment. Silvio sauta de mes bras, courut à sa maîtresse, se dressa contre sa robe comme s'il avait voulu qu'elle le soulève. Il ne faisait plus attention à la momie.


Margaret était triomphante. Avec une douceur voulue elle dit tristement:


– Le soleil est couché, père! Le reverrons-nous jamais? La nuit des nuits est venue!

Загрузка...