Il y eut des rayons de soleil pendant ces deux jours; des moments où devant la constatation de la gentillesse de Margaret et de son amour pour moi, tous les doutes se dissipaient comme la brume du matin sous l'influence du soleil. Mais le reste du temps, j'étais accablé, le ciel s'obscurcissait comme si j'avais été recouvert d'un suaire. L'heure dont j'avais accepté la venue, s'approchait si vite et était déjà si près de nous que j'avais le sentiment de l'irrémédiable. Le dénouement serait peut-être pour chacun de nous, la vie, ou la mort; mais, à cela nous étions préparés. Margaret et moi, nous ne faisions qu'un devant le danger. L'aspect moral de la question, qui mettait en jeu les croyances religieuses dans lesquelles j'avais été élevé, n'était pas de nature à me troubler; car le dénouement, et les causes qui se trouvaient derrière, excédaient mon pouvoir de compréhension. Le doute concernant le succès de la Grande Expérience était de ceux qui accompagnent toutes les entreprises aux grandes possibilités. Pour moi, dont la vie avait été une suite de luttes intellectuelles, cette forme de doute constituait plus un stimulant qu'un frein. Qu'est-ce qui me causait donc ce trouble, qui tournait à l'angoisse quand ma pensée s'y attardait?
Je commençais à douter de Margaret!
De quoi est-ce que je doutais, je l'ignorais. Ce n'était pas de son amour, de son honneur, de sa sincérité, de sa bonté, ou de son zèle. De quoi était-ce donc?
C'était d'elle-même!
Margaret était en train de changer. Au cours de ces derniers jours, il y avait eu des moments où je ne reconnaissais plus guère en elle la jeune fille que j'avais connue à ce pique-nique, dont j'avais partagé les nuits de veille dans la chambre de son père. Alors, même dans ses moments de grande tristesse, de crainte, ou d'anxiété, elle était vivante, attentive, compréhensive. Maintenant elle était la plupart du temps distraite, et, en certaines occasions, elle prenait une attitude en retrait, comme si son esprit – et elle-même – étaient absents. Dans ces moments-là, elle était en pleine possession de ses facultés d'observation et de sa mémoire. Elle savait et se rappelait tout ce qui se passait, et s'était passé, autour d'elle; mais quand elle réintégrait sa personnalité ancienne j'avais un peu l'impression qu'une nouvelle personne entrait dans la pièce. Jusqu'au moment où nous avions quitté Londres, sa présence suffisait à me satisfaire. J'avais ce délicieux sentiment de sécurité qui vient de ce qu'on est conscient d'un amour partagé. Mais à présent, le doute avait pris sa place. Je ne savais jamais si la personne présente était ma Margaret – l'ancienne Margaret que j'avais aimée dès notre première rencontre – ou cette autre Margaret nouvelle que je comprenais à peine, et dont l'attitude distante dressait entre nous une barrière invisible. Quelquefois elle s'éveillait presque instantanément. À ces moments-là, tout en me disant les choses tendres et aimables qu'elle avait déjà dites en bien des occasions, elle n'avait pas l'air d'être elle-même. C'était presque un perroquet qui parle en répétant ce qu'on lui a enseigné, qui comprend les paroles et les gestes, mais à qui les pensées échappent. Après une ou deux expériences de cette nature, mes doutes commencèrent à élever une barrière entre nous; car je ne pouvais pas parler avec l'aisance et la liberté qui m'étaient coutumières. Si bien que nous nous trouvions un peu plus éloignés l'un de l'autre d'heure en heure. S'il n'y avait pas eu ces quelques rares occasions où la Margaret d'autrefois me revenait, avec tout son charme, je ne sais pas ce qui serait arrivé. En tout cas, ces instants me redonnaient courage et préservaient mon amour du changement.
J'aurais tout donné pour avoir un confident; mais cela était impossible. Comment aurais-je pu parler des doutes que j'éprouvais à l'égard de Margaret, même à son père. Comment aurais-je pu lui en parler à elle-même, puisque c'était d'elle qu'il s'agissait. Je ne pouvais que supporter – et espérer. Et supporter était encore ce qu'il y avait de moins pénible.
Ce jour-là, tous les occupants de la maison paraissaient très calmes. Chacun était occupé de son travail, ou de ses pensées. Nous ne nous rencontrions qu'aux heures des repas. Et alors, nous avions beau parler, chacun paraissait plus ou moins préoccupé. Il n'y avait même pas dans la maison l'agitation discrète que font en général régner les serviteurs. La précaution qu'avait prise Mr. Trelawny de faire préparer trois chambres pour chacun de nous rendait leur présence inutile. La salle à manger était solidement pourvue de provisions toutes cuites en quantité suffisante pour plusieurs jours. Vers le soir, je sortis faire un tour à pied. J'avais cherché en vain Margaret pour lui demander de m'accompagner. Mais quand je l'eus trouvée, elle était en proie à l'un de ses accès d'apathie, et le charme de sa présence me parut perdu. Furieux contre moi-même, mais incapable de triompher de mon mécontentement, j'allai seul me promener sur la presqu'île rocheuse.
Une fois sur la falaise, avec devant moi la vaste étendue de cette mer admirable, sans autre bruit que celui des vagues sous mes pieds et les cris aigus des mouettes au-dessus de ma tête, mes pensées se donnèrent libre cours. Quoi que je fasse, elles revenaient continuellement au même sujet, la recherche d'une solution au doute qui m'obsédait. Dans cette solitude, au centre du vaste cercle des forces de la Nature et de leurs luttes, mon esprit se mit à travailler pour de bon. Inconsciemment, je me surpris à me poser une question à laquelle je ne voulais pas répondre. Finalement, l'habitude que j'avais toujours eue de voir les choses en face prit le dessus; je me trouvai confronté avec mes doutes. La méthode qui avait été la mienne pendant toute ma vie commença à agir, et j'analysai le témoignage qui se trouvait devant moi.
C'était si bouleversant que je dus me forcer à me soumettre à un effort de logique. Mon point de départ était celui-ci: Margaret avait changé: de quelle façon, et par quels moyens? Était-ce son caractère, son esprit, ou sa nature? Car son aspect physique restait le même. Je me mis à rassembler tout ce que j'avais entendu dire sur son compte, en débutant par sa naissance.
L'étrangeté commençait dès ce moment. D'après Corbeck, elle était née d'une mère morte pendant le temps où son père et son ami étaient en catalepsie dans le tombeau à Assouan. Cet état avait été probablement provoqué par une femme; une femme momifiée, mais conservant, comme nous avions, après expérience, toutes les raisons de le croire, un corps astral soumis à une volonté libre et à une intelligence active. Pour ce corps astral, l'espace cessait d'exister. La grande distance entre Londres et Assouan se réduisait à rien; et tout le pouvoir de nécromancie dont pouvait disposer la Sorcière s'était peut-être exercé sur la mère morte, et, cela était possible, sur l'enfant morte.
La mère morte! Était-il possible que l'enfant ait été morte et qu'on l'ait fait revivre? D'où venait alors l'esprit qui l'avait animé – son âme? La logique me désignait pour de bon la façon dont cela s'était passé.
Si la croyance égyptienne était vraie pour les Égyptiens, alors le «Ka» de la Reine défunte et son «Khu» pouvaient animer ce qu'elle choisissait. Dans ce cas, Margaret n'aurait pas été le moins du monde un individu, mais simplement un aspect de la Reine Tera elle-même; un corps astral obéissant à sa volonté!
Là, je me révoltais contre la logique. Dans toutes les fibres de mon être je m'insurgeais contre une telle conclusion. Comment aurais-je pu croire qu'il n'existait pas du tout de Margaret; mais simplement une image animée utilisée par le Double d'une femme de quarante siècles auparavant pour réaliser ses desseins… D'une certaine façon, la perspective qui s'offrait à moi était plus brillante, en dépit de mes doutes récents.
Au moins, j'avais Margaret!
Le pendule de la logique se remettait à osciller. Alors, l'enfant n'était pas morte. Dans ce cas, la Sorcière avait-elle seulement quelque chose à faire avec sa naissance? Il était évident – je citais de nouveau Corbeck – qu'il y avait une étrange ressemblance entre Margaret et les portraits de la Reine Tera. Comment cela était-il possible? Ce ne pouvait pas être une marque de naissance reproduisant ce qui s'était trouvé dans l'esprit de la mère; car Mrs. Trelawny n'avait jamais vu ces portraits. Bien mieux, son père lui-même ne les avait pas vus jusqu'au moment où, quelques jours avant sa naissance, il était entré dans le tombeau de la Reine. Je ne pouvais pas me débarrasser de cette hypothèse aussi facilement que de la dernière; les fibres de mon être restaient calmes. Il me restait l'horreur du doute. Et même alors, l'esprit humain est si étrange, le doute lui-même devenait une image tangible – une pénombre vaste et impénétrable à travers laquelle clignotaient irrégulièrement et par accès les points minuscules d'une lumière fugitive, qui semblaient conférer à l'obscurité une existence positive.
La possibilité qui subsistait de relations entre Margaret et la Reine momifiée était que la Sorcière, d'une certaine façon occulte, avait le pouvoir de changer de place avec elle. Ce point de vue ne pouvait pas être écarté à la légère. Il y avait tant de circonstances suspectes qui l'appuyaient, à présent que mon attention s'y était fixée et que mon intelligence en reconnaissait la possibilité. Certainement, je ne pouvais pas agir d'une façon salutaire sans une juste conception et une reconnaissance des faits. Classés par ordre, ceux-ci étaient les suivants:
1. L 'étrange ressemblance entre Margaret et Tera, bien qu'étant née dans un autre pays, à des milliers milles de distance, alors que sa mère ne pouvait avoir eu une connaissance, même passagère, de l'apparence physique de la Reine.
2. La disparition du livre de Van Huyn après que j'eus lu la description du Rubis Étoilé.
3. La découverte des lampes dans le boudoir. Tera, par son corps astral pouvait avoir ouvert la porte de la chambre de Corbeck à l'hôtel, l'avoir refermée après en être sortie avec les lampes. Elle avait pu, de la même façon, ouvrir la fenêtre du boudoir et y déposer les lampes. Il n'aurait pas été nécessaire pour Margaret d'intervenir en personne; mais… mais c'était au moins étrange.
4. Ici les soupçons du détective et du docteur me revenaient avec une force nouvelle, et sur un champ plus vaste.
5. Il y avait les occasions où Margaret avait prédit exactement que le calme allait revenir, comme si elle avait eu une certaine conviction ou une connaissance des intentions du corps astral de la Reine.
6. Il y avait eu sa façon de suggérer qu'on allait retrouver le Rubis perdu par son père. En repensant à cet épisode à la lumière de mes soupçons concernant ses pouvoirs, la seule conclusion à laquelle je pouvais aboutir – en supposant toujours que la théorie du pouvoir astral de la Reine était exacte – était celle-ci: la Reine Tera, se préoccupant que tout aille bien dans le déménagement de Londres à Kyllion, avait, à sa façon, pris la Pierre dans le portefeuille de Mr. Trelawny, en le trouvant d'une certaine utilité dans sa surveillance surnaturelle du voyage. Alors, par un moyen mystérieux qui lui appartenait, elle avait, par l'intermédiaire de Margaret suggéré qu'elle était perdue puis retrouvée.
7. Et pour finir. Il y avait l'existence étrangement double que Margaret semblait mener, et qui, en une certaine mesure, paraissait être la conséquence ou le corollaire de tout ce qui s'était passé antérieurement.
La double existence! C'était en vérité la conclusion qui surmontait toutes les difficultés et conciliait les extrêmes. En vérité, si Margaret n'était pas libre d'agir de toutes les façons, mais pouvait être contrainte d'agir ou de parler suivant des instructions qu'elle recevait; ou si elle pouvait, dans sa totalité, être remplacée par une autre sans que personne puisse s'en apercevoir, alors tout était possible. Tout dépendait de l'esprit de l'entité de laquelle elle subirait cette contrainte. Si c'était une entité juste, bonne, et honnête, tout pouvait aller bien. Mais dans le cas contraire… Cette pensée était trop affreuse pour pouvoir être exprimée. Tandis que ces horribles possibilités me venaient à l'esprit, je grinçais des dents dans un accès de rage stérile.
Jusqu'à ce matin-là, les évasions de Margaret vers sa nouvelle personnalité avaient été rares et à peine discernables, sauf à une ou deux occasions, quand son attitude là mon égard m'avait paru étrange. Mais aujourd'hui, c'était le contraire; et le changement était de mauvais présage. Il était possible que cette autre personnalité fut de la catégorie la plus basse et non pas de la meilleure. À présent que j'y pensais, j'avais des raisons d'avoir peur. Dans l'histoire de la momie, depuis le moment où Van Huyn était entré dans le tombeau, le nombre de morts dont nous avions connaissance, et qui pouvaient vraisemblablement être attribués à sa volonté ou à son intervention, était saisissant. L'Arabe qui avait dérobé la main de la momie; celui qui l'avait volée sur le cadavre de ce dernier. Le chef arabe qui avait essayé de voler la Pierre à Van Huyn, et dont le cou portait les marques de sept doigts. Les deux hommes trouvés morts la première nuit suivant le moment où Trelawny avait emporté le sarcophage; et les trois autres lors de son retour au tombeau. L'Arabe qui avait ouvert le serdab secret. Neuf hommes morts, dont un manifestement par la propre main de la Reine! Et en outre les attaques sauvages contre Mr. Trelawny au cours desquelles, aidée par son Esprit Familier, elle avait essayé d'ouvrir le coffre et d'y prendre la Pierre Talisman. Le dispositif imaginé par Mr. Trelawny consistant à accrocher la clef à un bracelet qu'il portait au poignet, tout en portant finalement ses fruits, avait tout de même bien failli lui coûter la vie.
Si donc la Reine, désireuse de parvenir à sa résurrection sous ses propres conditions, le faisait en traversant, pour ainsi dire, un véritable fleuve de sang, que ne pourrait-elle faire au cas où ses projets se trouveraient contrariés? À quelle extrémité ne se livrerait-elle pas pour réaliser ses désirs? Bien plus, quels étaient ses désirs? Quel était son but final? Jusqu'ici nous ne connaissions à cet égard que les déclarations de Margaret, faites dans tout l'enthousiasme déchaîné de son âme altière. Dans ce qu'elle rapportait, il n'était pas question d'un amour qui devait être recherché et trouvé. Tout ce que nous connaissions comme certain, c'était qu'elle s'était assigné un but à sa résurrection, et que dans celle-ci le Nord, qu'elle aimait manifestement, devait avoir une part importante. Mais la résurrection devait s'accomplir dans le tombeau solitaire de la Vallée de la Sorcière, cela était visible. Tous les préparatifs avaient été soigneusement conduits pour qu'elle ait lieu de l'intérieur et pour que, finalement, la Reine sorte après avoir pris sa forme nouvelle et vivante. Le couvercle du sarcophage n'était pas scellé. Les jarres à huile, bien qu'hermétiquement closes, devaient s'ouvrir facilement à la main; et à l'intérieur avait été mise une provision d'huile tenant compte de l'évaporation pendant une longue période. Même le silex et l'acier avaient été prévus pour produire une flamme. Contrairement aux usages, la Fosse de la Momie avait été laissée ouverte; et à côté de la porte de pierre sur le flanc de la falaise, était fixée une chaîne inaltérable qui lui permettrait de descendre en sécurité jusqu'au niveau du sol. Mais sur ses intentions ultérieures, nous n'avions aucun indice. Si elle entendait recommencer sa vie comme une humble créature, il y avait dans cette pensée quelque chose de tellement noble que cela me réchauffait le cœur et me faisait souhaiter son succès.
Cette seule idée semblait justifier la merveilleuse contribution apportée par Margaret à son projet, et m'aida à calmer mon esprit perturbé.
Sur-le-champ, fort de ce sentiment, je décidai de mettre Margaret et son père en garde contre ces éventualités désastreuses, et d'attendre, satisfait d'avoir tenté tout ce que je pouvais, dans mon ignorance, le développement de choses sur lesquelles je n'avais aucune action.
Je regagnai la maison dans un état d'esprit différent de celui qui était le mien en partant; et je fus enchanté de trouver Margaret – la Margaret d'autrefois – qui m'attendait.
Après le repas, lorsque je me trouvai seul un moment avec le père et la fille, j'abordai le sujet, avec toutefois une grande hésitation.
– Ne conviendrait-il pas de prendre toutes les précautions pour le cas où la Reine ne serait pas d'accord avec ce que nous faisons, et cela en prévision de ce qui pourrait se passer avant l'Expérience, et également pendant et après son réveil, s'il se produit?
La réponse de Margaret ne se fit pas attendre – à tel point qu'elle devait, j'en étais convaincu, l'avoir préparée pour quelqu'un d'autre:
– Mais elle est d'accord! Il ne peut sûrement pas en être autrement. Mon père est en train de faire, avec toute son intelligence, toute son énergie et son grand courage, exactement ce que la grande Reine avait préparé!
– Mais, répondis-je, ce n'est guère possible. Tout ce qu'elle avait préparé s'appliquait à un tombeau situé à une grande hauteur dans le roc, dans la solitude d'un désert, coupée du monde par tous les moyens imaginables. Elle semble avoir compté sur cet isolement pour s'assurer contre un accident. Sûrement, ici dans un autre pays et un autre siècle, dans des conditions tout à fait différentes, elle peut, dans son anxiété, commettre des erreurs et traiter n'importe lequel d'entre vous – ou d'entre nous – comme elle a fait pour d'autres dans des temps anciens. À notre connaissance, neuf hommes ont été tués de sa propre main ou sur son instigation. Elle peut être impitoyable quand elle veut!
Ce n'est qu'ensuite, en repensant à cette conversation, que je fus frappé à quel point j'acceptais comme un fait que la Reine Tera ait été un être vivant et conscient. Avant de parler, j'avais craint d'offenser Mr. Trelawny; je fus agréablement surpris de l'entendre me répondre avec un sourire de bonne humeur:
– Mon cher garçon, dans un certain sens, vous avez parfaitement raison. La Reine recherchait incontestablement l'isolement; et, tout bien pesé, il serait préférable que son expérience fût menée comme elle l'avait projetée. Mais pensez simplement à ceci: cela est devenu impossible dès l'instant où l'explorateur hollandais est entré par effraction dans le tombeau. Ce n'est pas moi qui l'ai fait. Je suis innocent de cela, bien que ce soit à l'origine de ma découverte de cette sépulture. Remarquez, je ne prétends pas une seconde que je n'aurais pas agi exactement comme Van Huyn. Je suis entré dans le tombeau par curiosité; et j'y ai pris ce que j'ai pris, poussé par le zèle du collectionneur. Mais rappelez-vous également une chose: à cette époque je ne connaissais pas les intentions de la Reine concernant sa résurrection; je n'avais aucune idée du point jusqu'où elle avait poussé ses préparatifs. Tout cela n'est venu que longtemps après. Mais à ce moment-là, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour réaliser ses désirs au maximum. Ma seule crainte est d'avoir mal interprété quelques-unes de ses instructions voilées, d'avoir oublié ou négligé un point. Mais je suis certain d'une chose: je n'ai laissé de côté rien de ce que j'ai pensé devoir être fait; et je n'ai à ma connaissance rien fait qui soit susceptible de contrarier les dispositions de la Reine Tera. Je désire que sa Grande Expérience réussisse. Dans ce but, je n'ai épargné ni ma peine, ni mon temps, ni mon argent – ni ma personne. J'ai supporté des épreuves, bravé des dangers. Toutes les ressources de mon cerveau, toutes mes connaissances et ma science, telles qu'elles sont; tous mes efforts tels qu'ils sont, ont été, et seront consacrés à atteindre ce but. Jusqu'à ce que nous ayons gagné ou perdu dans la grande partie que nous jouons.
– La grande partie? répétai-je. La résurrection de la femme, et la vie de la femme? La preuve qu'une résurrection peut se réaliser; par des pouvoirs magiques; par la connaissance scientifique; ou par la mise en œuvre de quelque force que le monde ne connaît pas à l'heure actuelle?
Alors Mr. Trelawny exprima les espoirs de son cœur que, jusque-là, il avait esquissés plutôt qu'exprimés. Une ou deux fois j'avais entendu Corbeck parler de la farouche énergie de sa jeunesse; mais, à part les nobles paroles prononcées par Margaret quand elle avait parlé de l'espoir de la Reine Tera – qui, venant de sa fille pouvait donner à croire que son pouvoir était dans un certain sens, dû à l'hérédité -, je n'en avais vu aucun signe précis. Mais à présent ses paroles qui entraînaient dans un torrent toutes les pensées contraires, me donnèrent de cet homme une idée nouvelle.
– La vie d'une femme! Qu'est-ce que la vie d'une femme en comparaison de ce que nous espérons! Eh bien, nous risquons déjà la vie d'une femme; celle qui m'est la plus chère au monde, et qui me devient plus chère d'heure en heure. Nous risquons en même temps la vie de quatre hommes; la vôtre, la mienne, aussi bien que celle des deux autres hommes, qui nous ont fait confiance.
Il s'arrêta, presque à bout. Pendant qu'il disait à quel point elle lui était chère, Margaret lui avait pris la main, et la lui serrait fort. Tandis qu'il continuait à parler, elle la lui tenait toujours. Puis apparut sur son visage ce changement que j'avais si souvent remarqué dans ces derniers temps, ce voile mystérieux occultant sa personnalité qui me donnait le sentiment subtil d'être séparé d'elle. Pris par sa véhémence passionnée, son père ne remarqua rien mais, quand il s'arrêta, elle parut sur-le-champ redevenir elle-même. Dans ses yeux rayonnants s'ajouta l'éclat de larmes contenues; et dans un mouvement d'amour passionné et d'admiration, elle se pencha pour déposer un baiser sur la main de son père. Alors, se tournant vers moi, elle se mit, elle aussi à parler:
– Malcolm, vous avez parlé des morts qui ont été occasionnées par la pauvre Reine; ou qui, plutôt, ont résulté d'une interférence avec les dispositions qu'elle avait prises ou d'un obstacle opposé à ses intentions. Vous ne pensez pas qu'en présentant les choses ainsi, vous avez été injuste? Qui n'aurait pas agi exactement comme elle? Rappelez-vous qu'elle se battait pour sa vie! Pour bien plus que sa vie! Pour la vie, l'amour, et toutes les merveilleuses possibilités de cet avenir mal défini dans le monde inconnu du Nord qui concrétisait pour elle tant d'espoirs enchanteurs! Ne pensez-vous pas qu'avec la science de son époque, avec la force immense et irrésistible de sa nature puissante, elle avait l'espoir de répandre plus largement les aspirations élevées de son âme! Qu'elle espérait apporter à la conquête de mondes inconnus, utiliser à l'avantage de son peuple, tout ce qu'elle avait tiré du sommeil, de la mort et du temps. Tout ce dont elle risquait d'être frustrée par la main impitoyable d'un assassin ou d'un voleur, car cela aurait pu être. À sa place, est-ce que dans ce cas vous n'auriez pas lutté par tous les moyens pour réaliser l'objectif de votre vie et vos espérances, dont les possibilités n'ont cessé de s'accroître à mesure que passaient ces années interminables? Pouvez-vous croire que ce cerveau actif était au repos pendant tous ces siècles fastidieux, pendant que son corps mortel, entouré de toutes les protections prescrites par la religion et la science de son époque, attendait l'heure fatidique? Tandis que son âme libre voletait d'un monde à l'autre au milieu des espaces intrastellaires, sans fin? Ces myriades d'étoiles avec leur vie variée à l'infini n'avaient-elles pas de leçons à lui donner? Comme elles en ont eu pour nous, depuis que nous suivons le chemin glorieux qu'elle et son peuple nous ont tracé, quand ils envoyaient leurs imaginations ailées tournoyer autour des lampes de la nuit.
Ici, elle s'arrêta. Elle aussi, était à bout, et les larmes qui jaillirent de ses yeux ruisselaient sur ses joues. J'étais moi-même plus remué que je ne puis le dire. C'était vraiment ma Margaret; et dans la conscience de sa présence mon cœur bondit. Mon bonheur m'inspira de l'audace et j'osai dire ce que je considérais avec crainte comme impossible; quelque chose qui attirerait l'attention de Mr. Trelawny sur ce que j'imaginais être la double existence de sa fille. Je pris la main de Margaret, y déposai un baiser, et dis à son père:
– Eh bien, monsieur! elle n'aurait pu parler avec plus d'éloquence si l'esprit de la Reine Tera elle-même s'était trouvé en elle pour suggérer et animer ses pensées!
La réponse de Mr. Trelawny me bouleversa simplement de surprise. Elle me fit comprendre que sa pensée avait suivi exactement le même chemin que la mienne.
– Et si cela était? Je sais très bien que l'esprit de sa mère est en elle. S'il se trouve également en elle l'esprit de la grande et merveilleuse Reine, alors elle ne sera pas moins chère, mais doublement chère à mon cœur. N'ayez aucune crainte pour elle, Malcolm Ross. Du moins, n'ayez pas plus peur pour elle que pour le reste d'entre nous!
Margaret continua sur le même thème; elle se mit si vite à parler qu'elle donnait l'impression d'enchaîner sur l'argumentation de son père, et non de l'avoir interrompu.
– N'ayez aucune crainte particulière pour moi, Malcolm. La Reine Tera sait, et ne nous fera aucun mal. Je le sais! Je le sais aussi vrai que je suis perdue dans les profondeurs de mon amour pour vous! Il y avait dans sa voix quelque chose de si étrange que je me hâtai de regarder ses yeux. Ils étaient aussi brillants que jamais, mais la pensée intérieure de Margaret était pour moi cachée par un voile, comme on l'observe dans les yeux des lions.
Et puis les deux autres hommes arrivèrent, et l'on changea de conversation.